Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Plainte - Droit de représentation - Refus de l'employeur de connaître le grief de classification du fonctionnaire s'estimant lésé - Procédure de grief de classification exigeant que le fonctionnaire s'estimant lésé soit le titulaire du poste au moment de la décision de classification - Plaignant candidat retenu pour le nouveau poste - Poste classifié avant sa nomination - le plaignant avait été le candidat retenu pour occuper un poste nouvellement créé de PM-04 - avant d'être déclaré candidat heureux, il occupait ce poste à titre intérimaire - on ne lui a remis une copie de sa description de travail qu'après sa nomination au poste - il a alors décidé de déposer un grief de classification que l'employeur a refusé d'entendre - la procédure de grief de classification exigeait que le fonctionnaire s'estimant lésé soit titulaire du poste faisant l'objet du grief au moment de la décision de classification - il est allégué dans la plainte que l'employeur se serait ingéré dans la représentation des employés par l'organisation syndicale ou aurait fait à l'endroit du plaignant des distinctions injustes dans ses conditions d'emploi fondées sur l'exercice par ce dernier d'un droit que lui reconnaît la Loi - la Commission a jugé que la LRTFP reconnaissait clairement l'autorité de l'employeur en matière de classification des postes - ce droit implique le pouvoir de déterminer la procédure de règlement des griefs de classification - la question en jeu était le droit d'accès à la procédure de grief de classification, et il fallait donc déterminer si l'employeur pouvait restreindre le droit de présenter un grief de classification en imposant une condition préalable à la présentation d'un grief - le droit de présenter un grief est prévu au paragraphe 91(1) de la LRTFP, et les articles 71 et 74 du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P., 1993 stipulent les règles applicables aux griefs de classification - l'employeur est libre d'adopter des règlements applicables aux griefs de classification en autant qu'ils respectent la Loi ou le Règlement - en vertu du Règlement de la C.R.T.F.P., le plaignant avait 25 jours à compter de la date à laquelle il avait eu connaissance pour la première fois de l'action, de l'omission ou de la situation à l'origine du grief (ou du jour où il en avait été avisé) - le plaignant n'a eu connaissance de la situation qu'au moment où il a été nommé au poste et s'est vu remettre une copie de sa description de travail - la plainte contre l'employeur a été accueillie, mais celle contre le défendeur Tucker a été rejetée, puisqu'aucune preuve n'avait établi sa participation personnelle dans le dossier du fonctionnaire s'estimant lésé - la partie de la procédure de l'employeur qui était contraire à la loi a été déclarée nulle et sans effet - la défenderesse s'est fait ordonner de traiter le grief du plaignant. Plainte accueillie en partie. Décisions citées :Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, dossiers de la Commission nos 148-2-103 et 161-2-356 (1985) (QL); Chong c. Canada (Procureur général) (1995), 104 F.T.R. 253; Hale c. Canada (Conseil du Trésor) (1996), 112 F.T.R. 216; Gendron c. Conseil du Trésor (Environnement Canada) , dossier de la Commission no 166-2-19054 (1989) (QL); Burke et al. et Alliance de la Fonction publique du Canada c. Napoli et al. (Transports Canada) , dossier de la Commission no 161-2-372 (1987) (QL); Boyer et Marks, dossiers de la Commission nos 161-2-516 et 517 (1989) (QL).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2004-08-20
  • Dossier:  161-34-1226
  • Référence:  2004 CRTFP 121

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique



ENTRE

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

et

JACQUES DEMERS

plaignants

ET

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU CANADA

et

DAN TUCKER

défendeurs

Devant :   Sylvie Matteau, présidente suppléante

Pour les plaignants :   Daniel Fisher, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour les défendeurs :   Karl G. Chemsi, avocat


Affaire entendue à Québec (Québec),
le 28 juin 2004.


[1]    L'Alliance de la Fonction publique du Canada et Jacques Demers ont déposé une plainte en vertu des alinéas 23(1)(a) et 23(1)(d) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). Ils y allèguent que l'employeur, ou une personne agissant pour son compte, a fait défaut de respecter leurs droits en vertu de la LRTFP et ses règlements, incluant le droit à la représentation en vertu de l'article 8, en refusant de recevoir le grief de classification de M. Demers au motif qu'il n'était pas titulaire du poste au moment de la décision de classification conformément aux conditions établies dans sa procédure de règlement des griefs.

[2]    L'employeur répond que pour procéder à l'étude d'un grief de classification, une étude préliminaire doit en être faite et celui-ci doit être déclaré valide selon sa procédure interne de règlement des griefs de classification. Selon lui, M. Demers n'ayant pas eu droit au grief selon cette procédure, puisqu'il n'était pas le titulaire du poste au moment de sa classification, aucun droit ne lui a été nié. Il n'y a pas ouverture à une plainte en vertu de l'article 23 de la LRTFP.

[3]    Le 30 mai 2002, cinq autres fonctionnaires avaient déposé une plainte avec M. Demers contre l'employeur et MM. Vince Renda et Daniel Tucker, agissant en son nom. Ces plaignants se sont retirés et M. Demers a procédé seul contre l'employeur, par plainte amendée. Cet amendement, déjà communiqué à l'autre partie, n'a pas été contesté. Cette plainte ne fait plus référence qu'à l'employeur et à M. Tucker. M. Demers a témoigné des faits qui le concernent personnellement. Les défendeurs n'ont présenté aucun témoin. Les parties ont déposé, de consentement, les pièces cotées de 1 à 13, incluant la « Procédure de règlement des griefs de classification » (PRGC) de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'Agence).

[4]    La plainte amendée (pièce P-9) se lit comme suit :

ANNEXE A

[...]

Selon la partie plaignante :

l'employeur, ou une personne agissant pour le compte de celui-ci, n'a pas respecté les Règlements de la Commission des relations de travail dans la fonction publique portant sur les griefs de classification et n'a pas observé, par conséquent, les interdictions énoncées à l'alinéa 23(1)(d) de la LRTFP. La plainte porte spécifiquement, mais pas exclusivement, sur les paragraphes 71(3) et 74(2) des Règlements.

En outre, le défendeur a brimé le droit de l'agent négociateur de représenter un employé qui a exercé son droit de présenter un grief de classification et, ce faisant, n'a pas observé les interdictions énoncées à l'article 8 de la LRTFP.

[...]

[5]    Les actions ou omissions reprochées à l'employeur sont succinctement décrites de la façon suivante :

ANNEXE B

[...]

Le 1er novembre 2001, Jacques Demers a soumis un grief de classification (ci-joint). Le 18 février 2002, Dan Tucker a refusé de connaître de ce grief (voir document ci-joint).

Le plaignant soutient que les actions de l'employeur ne constituent pas une réaction réfléchie au droit de tout employé à présenter un grief de classification. Qui plus est, le défendeur, par son attitude, empêche la tenue d'une audience sur la plainte et le syndicat de représenter l'employé.

[...]

[6]    Et enfin, on demande à la Commission d'émettre l'ordonnance suivante :

[...]

ANNEXE C

a)  déclarer que le défendeur a enfreint l'article 8 de la LRTFP;

b)  ordonner que le défendeur cesse et s'abstienne de commettre de telles infractions à la Loi;

c)  ordonner que le défendeur traite sans tarder le grief de classification qui a donné lieu aux infractions à la Loi;

d)  confirmer le droit du plaignant à ce que son grief de classification soit instruit et à être représenté par la représentante ou le représentant attitré du syndicat;

e)  ordonner que la procédure de règlement des griefs de classification soit modifiée afin de respecter les dispositions de la LRTFP;

f)  ordonner que soit adopté tout recours qui, selon la Commission ou l'arbitre, permettrait au plaignant d'obtenir pleine réparation et veillerait à ce que toutes les parties concernées respectent la Loi.

[...]

La preuve

[7]    La « Procédure de règlement des griefs de classification » (PRGC) de l'Agence a été adoptée par cette dernière en décembre 1999 par résolution (pièces 2-A à 2-C), faisant ainsi siennes la procédure et les directives déjà existantes du Conseil du Trésor (pièces 1-A à 1-C). Les dispositions de cette procédure (pièce 1-A) dont il est question dans la présente affaire se lisent comme suit :

[...]

I.        RENSEIGNEMENTS GÉNÉRAUX

A.    DROIT DE PRÉSENTER UN GRIEF DE CLASSIFICATION

  1.     La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique accorde aux employés le droit de présenter un grief. Aux fins du processus de règlement des griefs de classification, un «employé» est une personne qui travaille dans l'un des ministères ou d'autres organismes de la fonction publique énumérés à la partie I de l'annexe I de la Loi, y compris les personnes qui occupent des fonctions de nature confidentielle ou de gestion.

  2.     N'ont pas le droit de présenter un grief de classification, les personnes embauchées à titre occasionnel ou qui sont embauchées pour une période déterminée de moins de trois mois, ou celles qui sont tenues de travailler moins du tiers des heures normales de travail que des employés exerçant des fonctions semblables.

B.    DÉFINITION D'UN GRIEF DE CLASSIFICATION

  1.     Un grief de classification consiste en une plainte rédigée par un employé qui s'oppose à la classification de la description de travail qui lui est attribuée par le ministère ou l'organisme employeur. Aux fins du processus de règlement des griefs, le terme «classification» ne comprend pas la description de ce poste ou la date d'entrée en vigueur de la décision de classification. Ces derniers aspects doivent être résolus par le biais du processus de règlement des griefs de relations de travail prévus dans les conventions collectives.

C.    CIRCONSTANCES JUSTIFIANT LA PRÉSENTATION ET DÉLAI PRESCRIT POUR LA PRÉSENTATION D'UN GRIEF DE CLASSIFICATION

  1.     Un grief doit être présenté au dernier palier de la procédure du règlement des griefs, si le grief a trait à la classification. L'employé doit présenter son grief au plus tard 25 jours ouvrables suivant le jour où il a été informé de vive voix ou par écrit, qu'une mesure ou une circonstance touchant la classification de son poste a été prise, ou lorsque l'employé n'est pas avisé par la direction, le lendemain du jour où il apprend l'existence de cette mesure ou de cette circonstance. Un employé a le droit d'être informé de toute mesure ou circonstance touchant la classification de son poste.

[...]

IV.        MESURES PRÉLIMINAIRES

A.    EXAMEN INITIAL DU GRIEF DE CLASSIFICATION

  1.     Tous les griefs de classification doivent être examinés afin d'en déterminer leur validité. L'administrateur général ou son délégué déterminera s'il faut l'accepter ou le rejeter.

  2.     Un grief de classification doit être accepté s'il a été présenté dans les délais prévus et, en autant que le plaignant était le titulaire du poste au moment où la décision a été rendue.

  3.     Il ne faut établir aucune distinction entre les employés occupant un poste par intérim et les employés titulaires; cependant, la description de travail visée par le grief de classification doit correspondre à la description de travail qui a été attribuée à l'auteur de ce grief.

[...]

[8]    M. Demers travaille à l'Agence depuis 1974, d'abord comme vérificateur puis à titre d'enquêteur spécial en 1979, et ce, jusqu'en 1993. Après quelque temps à la Division des appels, il y est nommé au poste de coordonnateur d'équipe de niveau PM-04 à titre intérimaire. En 2001, il revient aux enquêtes spéciales, programme des enquêtes criminelles.

[9]    Il occupe ce poste à titre intérimaire à compter du mois d'avril 2001. Suite à un processus de sélection, une lettre d'offre lui fut adressée le 30 août 2001 (pièce P-4). Selon cette lettre, sa nomination entrait en vigueur le 1er août 2001.

[10]    M. Demers explique qu'il a accepté l'offre le 1er octobre 2001, à son retour d'une formation de trois semaines consécutives à Rigaud (pièce P-10). Lors de son retour au travail ce 1er octobre, il prenait alors connaissance, pour la première fois, de l'offre et de la description de tâches qui l'accompagnait (pièce P-5). Il a déposé son grief de classification le 1er novembre 2001, moins de 25 jours depuis son acceptation de cette lettre d'offre.

[11]    M. Demers déclare que c'est suite à un examen comparant la description du poste PM-04 avec celle du poste AU-02 qu'il a décidé de déposer son grief. Il dit être revenu aux enquêtes spéciales à un niveau salarial identique à celui des AU-01, comme lorsqu'il a quitté en 1993, alors qu'il y occupait un poste de niveau PM-03. Il est très déçu, car il avait justement quitté cette division à l'époque, à cause du fait qu'il y voyait une injustice avec sa classification et celle des AU, dont l'employeur favorisait le développement. À son retour en 2001, il a dû constater que les choses ne s'étaient pas améliorées. Il est ainsi dans la même situation avec un salaire comparable à celui des AU-01, alors que, selon lui, la complexité des dossiers qu'il traite, vu son expérience, est plus élevée et est semblable à celle des dossiers que traitent les employés de niveau AU-02. En contre-interrogatoire, il reconnaît qu'il ne peut poser sa candidature à un poste de niveau AU, car il n'y est pas admissible, faute de diplôme universitaire.

[12]    Il précise qu'à son retour, au mois d'avril, on lui avait offert un poste de niveau PM-03. Il a alors refusé cette offre, a insisté et a obtenu l'intérimaire de niveau PM-04, son poste substantif ayant été de niveau PM-04, avec entente qu'il devrait participer à une formation pour mettre ses connaissances à jour, ce qui fut fait au mois de septembre suivant. Tel que déjà mentionné, il a également dû participer à un concours de dotation.

[13]    En réponse à son grief, il a reçu une lettre datée du 18 février 2002, du sous-commissaire Daniel G.J. Tucker (pièce P-6), lui expliquant les raisons du refus de recevoir le grief et de procéder à son étude. Il s'est alors adressé à son syndicat pour expliquer la situation. À sa demande, il a fait état de ses commentaires dans une lettre adressée à Me Michelle Tranchemontagne, le 29 avril 2002 (pièce P-13).

[14]    Il est admis que M. Demers n'était pas en poste le 10 juin 2000, au moment de la décision de classification du poste. Toutefois, il considère que le droit au grief de classification lui était ouvert dès qu'il a pris connaissance officiellement de la description de tâches le 1er octobre 2001. La présente plainte serait son seul recours pour faire rectifier sa situation qu'il qualifie d'injustice du système.

[15]    En contre-interrogatoire, il explique qu'il s'en est remis à son syndicat pour déterminer le recours auquel il avait droit, après lui avoir communiqué ses préoccupations. Selon lui, le poste devrait être reclassé au niveau AU-02 ou PM-05. C'est principalement une affaire de discrimination salariale puisqu'il estime exécuter des tâches de la même complexité que ses collègues de niveau plus élevé. Quant à lui, il est victime de discrimination salariale et d'iniquité procédurale.

Argumentation des plaignants

[16]    La procédure adoptée par l'employeur fait que M. Demers n'a pas droit au grief de classification prévu à la LRTFP, puisqu'il n'occupait pas le poste lors de sa classification. Cette disposition est à l'encontre des droits des employés qui sont protégés par la Loi. L'agent négociateur dénonce cette pratique de l'employeur qu'il qualifie de déloyale. Dans les faits, M. Demers a déposé son grief 22 jours après avoir pris connaissance officielle de sa description de tâches. Ce n'est qu'après ce moment que le droit au grief de M. Demers s'ouvre. L'employeur n'a pas le droit de lui nier ce droit; il doit recevoir le grief et l'instruire. L'équité procédurale n'a pas été respectée.

[17]    En refusant de recevoir ces griefs, l'employeur nie les droits des fonctionnaires en vertu de la LRTFP. Ce faisant, l'employeur réprime également le droit de l'employé d'être représenté en vertu de l'article 8 de la LRTFP. M. Demers a le droit d'être entendu, a le droit d'être représenté.

[18]    Bien que le droit de l'employeur d'établir la classification des postes soit reconnu, il ne lui appartient pas de déterminer les conditions de recevabilité d'un grief à ce sujet. C'est ce qui est en cause ici. L'employeur a aussi cette autorité sur l'attribution des fonctions aux postes et autres conditions d'emploi découlant de son pouvoir d'organisation de la fonction publique. Ceci n'empêche pas le droit de l'employé de faire un grief au sujet de ses conditions d'emploi. Pourquoi en serait-il autrement pour la classification? L'employeur ne peut non plus profiter du fait que le poste est vacant pour faire une classification et ainsi éviter un grief.

[19]    À l'appui de ses arguments, l'agent négociateur soumet des décisions de la Commission. Il souligne que la décision Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, dossiers de la CRTFP 148-2-103 et 161-2-356 (1985) (QL), est très pertinente en l'espèce. Il reprend l'argument du représentant de la requérante dans cette affaire, à la page 3, paragraphe 10 :

Me Wright a fait valoir que le paragraphe 90(1) de la Loi (maintenant 91(1)) accordait à chaque employé un droit fondamental, notamment celui de présenter un grief concernant « un événement ou une question qui vise ses conditions d'emploi ». Selon lui, la classification de poste d'un employé constituait un tel événement ou une telle question. Quant à l'article 7 de la Loi, Me Wright a soutenu que la requérante ne contestait pas le droit ou le pouvoir qu'avait l'employeur de classer les postes, mais plutôt qu'elle soulevait tout bonnement des questions de procédure touchant les griefs en matière de classification.

[20]    La décision du président suppléant W.L. Nisbet, c.r., dans le dossier Burke et al. et l'Alliance de la Fonction publique du Canada c. Napoli et al. (Transports Canada), dossier de la C.R.T.F.P. 161-2-372 (1987) (QL), confirme également le droit au grief de classification. Le commissaire D. Kwavnick en vient aux mêmes conclusions dans l'affaire Boyer et Marks, dossiers de la C.R.T.F.P. 161-2-516 et 517 (1989) (QL), page 33 : « En matière de classification, l'article 91 assure aux fonctionnaires le droit de contester une fois les décisions de l'employeur. »

[21]    L'autorité de la Commission est également reconnue en cette matière. Le représentant des plaignants reprend ainsi, pour les fins du présent dossier, les arguments présentés dans le dossier Boyer et Marks (supra) (page 24), à l'effet que l'employeur ayant concédé le droit de présenter un grief de classification dans son « manuel de gestion du personnel », l'employé-e peut chercher à obtenir la protection des articles 23 et 8 de la LRTFP auxquels le commissaire Kwavnick a donné raison (page 28).

[22]    Quant à la question des délais, le représentant des plaignants se base sur la décision dans le dossier Gendron c. le Conseil du Trésor (Environnement Canada), dossier de la C.R.T.F.P. 166-2-19054 (1989) (QL), pour confirmer que M. Demers a agi dans les délais à compter du moment où il avait en main les documents officiels pour le faire et tous les éléments nécessaires pour évaluer sa décision concernant le dépôt d'un grief.

[23]    Selon lui, ces décisions confirment que l'employeur, dans des circonstances comme celles rencontrées dans la présente affaire, est tenu de respecter la LRTFPv et son règlement et de recevoir le grief. Il est tenu de procéder de manière à respecter les règles d'équité procédurale. Il s'agit d'une question importante pour tous ses membres, car la nomination à un poste doit leur donner droit au dépôt d'un grief. Il y a lieu de clarifier cette situation.

[24]    En conclusion, on me demande d'accueillir la plainte et d'ordonner à l'employeur d'initier un processus de classification du poste de M. Demers.

Argumentation des défendeurs

[25]    Le représentant des défendeurs rappelle, d'entrée de jeu, que le fardeau de la preuve incombe à l'employé qui dépose une plainte en vertu des articles 23 et 8 de la LRTFP. Le plaignant devait donc me convaincre que l'employeur l'a empêché d'exercer un droit.

[26]    La première question serait donc de déterminer s'il existe un droit. L'employé devait d'abord établir un droit avant d'alléguer que celui-ci lui est nié. Selon l'employeur, la plainte n'est pas fondée puisque le droit à déposer un grief de classification n'existe pas a priori.

[27]    La jurisprudence ainsi que les plaignants reconnaissent l'autorité de l'employeur en matière de classification. Ce pouvoir donne aussi à l'employeur le pouvoir de fixer les procédures et moyens de contester ces classifications. Dans les décisions Chong c. Canada (Procureur général), (1995), 104 F.T.R. 253, et Hale c. Canada (Conseil du Trésor), (1996), 112 F.T.R. 216, la Cour fédérale du Canada confirme que puisque ni la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, ni la Loi sur la gestion des finances publiques, ne prévoient de procédure en cette matière, le Conseil du Trésor a le pouvoir d'en établir. La Cour fédérale reconnaît donc, dans le Manuel du Conseil du Trésor, la procédure de ce dernier en cette matière.

[28]    L'employeur s'est donc doté, en 1999 par résolution de l'Agence (pièce P-2 en liasse), d'une procédure « para-règlementaire » très exigeante. Il doit la respecter. À la lecture de la procédure produite (pièce P-1A), et plus particulièrement les extraits déjà cités au début de la présente décision, la question se pose à savoir si l'employeur serait dans l'illégalité s'il avait accepté le dépôt du grief. Dans le contexte de la procédure, il faut que le grief soit valide en fonction de celle-ci pour pouvoir l'examiner. Si le dépôt du grief ne rencontre pas les conditions préalables établies, le droit au grief n'existe pas. L'employeur n'a donc pas nié l'exercice d'un droit à M. Demers.

[29]    Les faits dans la présente affaire sont clairs et soutiennent la décision de l'employeur: une décision de classification du poste a été prise le 6 octobre 2000; à ce moment, M. Demers n'était pas titulaire de ce poste; il y a été nommé en 2001; l'employeur a procédé à l'examen initial du grief sur réception et en a refusé le dépôt conformément à l'alinéa 2 de la sous-section IV. A. de sa procédure. On doit donc conclure qu'on n'a ainsi rien nié à M. Demers.

[30]    Le représentant de l'employeur assimile cette disposition de la PRGC aux limitations prévues à l'article 91 de la LRTFPvvv visant, par exemple, les griefs portant sur des questions relevant de la Charte canadienne des droits de la personne. Ainsi, un arbitre de grief devra décliner sa compétence devant une preuve prima facie de l'application de la Charte. L'arbitre ne nie pas alors un droit au grief de l'employé, puisque ce droit n'existe pas. C'est la même chose ici.

[31]    L'Agence traite des centaines de griefs par année. On ne peut lui reprocher de limiter le droit au grief; ce n'est pas le cas. De plus, il n'y a aucune preuve d'acharnement de la part de l'employeur ou du défendeur. C'est simplement que M. Demers n'avait pas un grief valide; il n'y a aucun animus anti-syndical.

[32]    En conclusion sur cette question, l'employeur soutient qu'en acceptant de recevoir le grief, il aurait été dans l'illégalité. Il n'a pas nié l'exercice d'un droit à M. Demers, puisque celui-ci n'avait pas de droit au dépôt d'un grief.

[33]    L'employeur soumet d'autres arguments. D'abord, en examinant de plus près l'alinéa 1 du sous-paragraphe I.C. de sa procédure :

... L'employé doit présenter son grief au plus tard 25 jours ouvrables suivant le jour où il a été informé de vive voix ou par écrit, qu'une mesure ou une circonstance touchant la classification de son poste a été prise, ou lorsque l'employé n'est pas avisé par la direction, le lendemain du jour où il apprend l'existence de cette mesure ou de cette circonstance. ... (Souligné de la soussignée)

on constate que le grief doit porter sur « une mesure » touchant la classification du poste qui aurait eu lieu dans les 25 jours ou même depuis que M. Demers est titulaire du poste, même à titre intérimaire; il n'y a pas eu de telle « mesure prise » par l'employeur, à l'intérieur de ce délai en l'instance. La prise de connaissance de sa description de tâches par M. Demers au moment de sa nomination n'est pas une « mesure » au sens de l'alinéa 1. Par ailleurs, s'il n'y a pas eu de décision de classification, il doit y avoir eu des « circonstances » qui touchent la classification; en contre-interrogatoire, M. Demers dit que c'est lui qui a fait une analyse de ses tâches, les comparant avec celles du AU-02. Encore ici, ce n'est certainement pas le sens de l'expression « circonstances ».

[34]    En réponse à l'argument de l'agent négociateur qui réfère au paragraphe 71(3) du règlement de la LRTFP, l'employeur soutient que l'action à l'origine du grief doit s'entendre de la décision de classification en 2000. L'action devrait être initiée par l'employeur et non par l'employé.

[35]    La PRGC précise que ce droit n'est ouvert qu'au titulaire du poste au moment de la décision de classification. Pourquoi est-ce ainsi? La raison est qu'il n'est pas possible d'accorder un droit de grief de classification à chaque fois que l'employeur nomme un employé à un nouveau poste. Ce n'est pas souhaitable et ça ne peut être ce que le Parlement recherchait. De plus, tout le processus de dotation serait remis en question.

[36]    M. Demers n'aurait pas pris le bon recours. Devant le refus de recevoir son grief, il aurait pu faire une demande en révision judiciaire. Il aurait aussi pu faire un grief ayant trait à sa description de tâches. C'est un grief que l'employé peut initier de son propre chef et qui amène possiblement à la re-classification du poste. Enfin, on souligne qu'il n'est pas sans recours devant une réponse négative de la Commission, contrairement à ce qui est allégué, puisque la mesure de classification de l'an 2000 prévoit l'ouverture du processus de révision de la classification du poste au mois de mai 2005. Vingt-cinq (25) jours plus tard, si M. Demers n'est pas satisfait, il pourra faire son grief.

[37]    Lorsque M. Demers a accepté le poste en 2001, il savait à quoi s'en tenir, il connaissait la description de tâches, l'environnement, il y était à titre intérimaire depuis plusieurs mois. M. Demers ne peut accepter le poste puis décider par la suite que ce n'est pas la bonne classification.

[38]    En conclusion, les plaignants ne se sont pas déchargés du fardeau de la preuve et je devrais conclure que la plainte est non fondée.

Motifs

[39]    Le poste qu'occupe M. Demers a été créé en juin 2000, tel que le démontre la décision de classification produite (pièce P-3). Ce document décrit clairement l'action de classification posée par l'employeur ainsi que ses motifs. Il s'agissait d'un nouveau poste. Il fut désigné « PM0677 » avec une date d'entrée en vigueur du 18 mai 2000. On peut aussi y lire que la classification PM-04 a été décidée suite à l'évaluation d'un comité de classification. La prochaine date de révision de cette classification est prévue pour le 8 mai 2005.

[40]    M. Demers a accepté une offre pour ce poste, le 1er octobre 2001, après avoir pris connaissance et accepté la description de tâches qui accompagnait la lettre d'offre. Il occupait le même poste à titre intérimaire depuis le mois d'avril 2001. Il connaissait également très bien le travail puisqu'il avait déjà travaillé aux enquêtes spéciales, du mois d'octobre 1979 au mois d'avril 1993. De l'admission des parties, M. Demers n'était pas titulaire du poste en juin 2000. Enfin, l'employeur ne conteste pas le fait qu'il ait déposé son grief 22 jours suivant l'acceptation de son poste et la prise de connaissance de la description de tâches qui y était jointe.

[41]    La plainte se fonde sur les paragraphes 23(1)(a) et 8(1) et (2)(a) de la Loi, en ce que l'employeur se serait ingéré dans la représentation de M. Demers par son organisation syndicale ou aurait fait envers lui des distinctions injustes dans ses conditions d'emploi fondées sur l'exercice par celui-ci d'un droit que lui accorde la Loi; elle se fonde également sur les paragraphes 23(d) en ce que les articles 71 et 74 du règlement de la CRTFP n'auraient pas été respectés.

[42]    L'autorité de la Commission d'entendre les plaintes en matière de grief de classification a été reconnue entre autres dans les dossiers Alliance de la Fonction publique du Canada c. le Conseil du Trésor, dossier de la C.R.T.F.P. 148-2-103 et 161-2-356 (1985) (QL) et dossier de la C.R.T.F.P. 148-2-103 (1985) (QL) et n'a pas été remise en question dans la présente affaire.

[43]    Le fardeau de la preuve dans un dossier comme celui-ci appartient en effet au plaignant. Toutefois, contrairement à ce que soutient l'avocat de l'employeur, le plaignant n'a pas à faire la preuve de son droit au grief de classification. Il a à faire la preuve de ses circonstances et des éléments requis pour donner lieu à sa plainte sous l'article 23.

[44]    En fait, la question posée à la Commission est de savoir si l'employeur nie les droits de l'employé à se faire entendre, et à être représenté, sur un grief de classification en exigeant, par sa PRGC, que l'employé qui dépose le grief soit titulaire du poste au moment de l'action de classification.

[45]    Ainsi, de cette question découle, selon les plaignants, le fait que l'employeur n'aurait pas « observé les interdictions énoncées aux articles 8, 9 ou 10 » ou n'aurait pas « respecté l'un des règlements pris en matière de griefs par la Commission conformément à l'article 100 ». Je vais d'abord me pencher sur ce dernier élément, qui pourra suffire à déterminer le sort de la présente plainte.

[46]    L'autorité de l'employeur en matière de classification est reconnue par les plaignants. L'article 7 de la LRTFP est clair à cet effet et tient compte, en fait, de l'autorité conférée à l'employeur en vertu de la Loi ayant créé l'Agence (art. 51(1)(c)). De plus, la Cour fédérale du Canada a confirmé que ce droit emporte avec lui le pouvoir de déterminer la procédure de règlement des griefs de classification. La procédure en vertu de laquelle cette contestation peut avoir lieu, audition, soumissions écrites, etc, est du ressort de l'employeur. La Cour fédérale a également établi la norme d'équité procédurale que doit respecter l'employeur dans ces matières Chong et Hale (supra) et il n'est pas nécessaire d'y revenir ici. Ce qui est en jeu dans la présente affaire, c'est le droit à l'accès à la procédure de grief de classification, c'est-à-dire, l'ouverture du droit. L'employeur allègue que ce droit n'existait pas dans le cas de M. Demers, puisque son règlement exige qu'il soit titulaire du poste au moment de la décision de classification. L'employeur peut-il ainsi restreindre le droit au grief de classification en prévoyant une condition préalable dans son règlement portant sur la procédure de règlement de ces griefs?

[47]    Il y a donc lieu d'examiner la hiérarchie législative et réglementaire de ce droit en matière de classification. C'est dans la LRTFP que se trouve la source du droit au grief de classification. Le paragraphe 91(1) de la LRTFP prévoit en effet que:

[...]

... le fonctionnaire a le droit de présenter un grief ....lorsqu'il s'estime lésé :

a) par l'interprétation ou l'application à son égard :

i) soit d'une disposition législative, d'un règlement - administratif ou autre -, d'une instruction ou d'un autre acte pris par l'employeur concernant ses conditions d'emploi,

...

b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi.

[...]

[48]    Le droit au grief de classification est reconnu en relation de travail dans la fonction publique. Il est également reconnu par le présent employeur dans sa PRGC au paragraphe 1, de la sous-section I A. :

[...]

I. RENSEIGNEMENTS GÉNÉRAUX

A. DROIT DE PRÉSENTER UN GRIEF DE CLASSIFICATION

  1. La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique accorde aux employés le droit de présenter un grief. (...)

[...]

[49]    Il n'est pas un grief arbitrable (article 92 de la LRTFP) et la décision de l'employeur est finale et obligatoire conformément à la clause privative du paragraphe 96(3) de la LRTFP :

[...]

Sauf dans les cas d'un grief qui peut être renvoyé à l'arbitrage au titre de l'article 92, la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable en la matière est finale et obligatoire, et aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l'égard du grief ainsi tranché.

[...]

[50]    Enfin, l'article 100 de la LRTFP donne le pouvoir d'adopter des règlements relatifs à la procédure applicable aux griefs (dont le grief de classification) et son paragraphe (2) prévoit que celle-ci est supplétive à la procédure en la matière convenue par convention collective entre l'employeur et l'agent négociateur.

[51]    Comme on le sait, ces dispositions du règlement de la CRTFP visant le grief de classification se retrouvent aux articles 71 et 74. Ces règles prévoient a) que le grief n'est présenté qu'au dernier palier, et b) que l'employeur a 60 jours pour y répondre. Le paragraphe (3) de l'article 71 prévoit le délai pour présenter le grief, soit 25 jours.

[52]    Les parties ont reconnu que dans la présente affaire, ce sont ces règles qui s'appliquent. D'ailleurs, aucune règle en la matière ne peut être prévue à la convention collective liant les parties puisque la classification est du ressort exclusif de l'employeur. Ce qui m'amène à l'examen de la PRGC.

[53]    Ce règlement a été adopté unilatéralement par l'employeur. Ceci lui est permis en autant qu'il ne déroge pas à la Loi et au règlement de la CRTFP. Selon ces règles établies par la Commission, M. Demers avait 25 jours pour déposer son grief à compter du jour où il a eu connaissance pour la première fois de l'action, de l'omission ou de la situation à l'origine du grief ou le jour où il en a été avisé. Il ne peut rencontrer ces critères qu'une fois qu'il est titulaire du poste, tel que confirmé par la décision Gendron c. Le Conseil du Trésor (supra).

[54]    Or, le paragraphe 2 de la sous-section IV A. qui est au coeur du présent débat stipule :

Un grief de classification doit être accepté s'il a été présenté dans les délais prévus et, en autant que le plaignant était le titulaire du poste au moment où la décision a été rendue.

[55]    Il va de soi que le droit au grief de classification appartient au titulaire du poste. La jurisprudence a reconnu ce droit également à la personne qui en exécute les fonctions à titre intérimaire Burke et al. et l'Alliance de la Fonction publique du Canada c. Napoli et al. (Transports Canada) (supra). On peut très bien comprendre que l'employeur désire restreindre le droit à ces griefs aux personnes qui en sont les légitimes détenteurs. De saines relations de travail militent également en ce sens. Un employé ne serait pas bienvenu à déposer un grief concernant un poste dont il n'est pas le titulaire ou dont il n'assume pas les fonctions.

[56]    En l'instance, la procédure de l'employeur exige de M. Demers qu'il ait été le titulaire du poste au moment où la décision de classification est prise. Puisqu'il est admis qu'il n'avait pas cette qualité au moment de la décision, l'employeur conclut, très simplement, que M. Demers n'a pas le droit au grief. C'est faux. Le droit au grief ne peut être restreint par une procédure adoptée unilatéralement par l'employeur, la PRGC, et ce, malgré l'autorité de l'employeur sur la classification et son pouvoir de mettre en place des procédures de grief en la matière. C'est un pas qu'il ne peut franchir.

[57]    Je dois m'arrêter sur l'argument de l'employeur à l'effet que la restriction qu'il a imposée par son règlement a le même effet que toute autre restriction en vertu du paragraphe (1) de l'article 91 de la LRTFP. Cette clause prévoit que :

Sous réserve du paragraphe (2) (restrictions concernant toute question de sécurité nationale et d'autorisation de l'agent négociateur lorsque la convention collective est en jeu) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief... ».

[58]    Je ne peux accepter cet argument. La restriction imposée par l'employeur par le biais de sa PRGC est à l'endroit d'un recours dont la LRTFP est la source. Il n'existe pas d'autre recours administratif de réparation que celui prévu par l'article 91 de la LRTFP. La comparaison est donc boiteuse et ne peut que porter à confusion. L'autorité reconnue à l'employeur en matière de classification sous le régime de sa loi constituante (et reconnue par la LRTFP) vise l'action de classification des postes. Le recours qui en permet la contestation a sa source dans la LRTFP, alors que la procédure prévue pour cette contestation, soit les modalités d'audition, de soumissions écrites, etc, est du ressort de l'employeur en autant que celles-ci respectent les règles d'équité procédurales établies par la Cour fédérale et ne contredisent pas les quelques règles de la CRTFP.

[59]    Il est important de bien distinguer la question de l'autorité conférée à l'employeur en matière de procédure de grief et la source de ce droit au grief, base du recours, sur laquelle l'employeur n'a aucun pouvoir.

[60]    Ainsi, l'employeur ne peut, par le biais de sa procédure de grief, unilatéralement nier ce droit qui est autrement reconnu par l'article 91 de la LRTFP. Celle-ci ne pose aucune condition préalable à l'ouverture du droit au grief. Elle impose un délai au bout duquel il expire.

[61]    Il va de soi que la classification d'un poste ne peut faire l'objet d'un grief tant que le poste en question demeure sans titulaire. Il s'agissait d'un nouveau poste comme en fait preuve la décision du 10 juin 2000 (pièce P-3). Au moment de la classification, il n'y a donc aucun titulaire qui puisse faire un grief dans le délai de 25 jours à compter de la décision. M. Demers y est nommé près d'un an plus tard.

[62]    L'employeur soutient que le fait de permettre ainsi à un nouveau titulaire de poste d'en contester la classification après en avoir accepté les termes et conditions, en signant l'offre et la description de tâches, serait abusif et nuirait à sa bonne gestion de la classification et de la dotation. M. Demers, dit-il, a signé les conditions d'emploi de ce poste, incluant sa classification, en toute connaissance de cause. Il ne peut, 25 jours plus tard, contester la classification puisqu'aucune mesure de classification n'a été prise par l'employeur dans ce délai.

[63]    C'est au paragraphe 71(3) du règlement de la LRTFP qu'il faut se reporter pour déterminer à quel moment commence à courir ce délai et si une mesure doit avoir été prise pendant cette période. Il se lit comme suit :

Le fonctionnaire présente son grief au plus tard 25 jours après le premier en date des jours suivants : le jour où il a eu connaissance pour la première fois de l'action, de l'omission ou de la situation à l'origine du grief ou le jour où il en a été avisé.

[64]    C'est donc en fonction de cette disposition qu'il faudra déterminer si M. Demers a rencontré les exigences, en cas de disparité entre les deux règlements. Selon le règlement de la LRTFP, le délai doit donc être calculé à partir du moment où M. Demers a pris connaissance pour la première fois de l'action, omission ou situation à l'origine du grief.

[65]    L'employeur allègue qu'il n'y a pas eu action, omission ou situation à l'origine du grief à l'intérieur du délai de 25 jours, suivant le moment où M. Demers a signé son contrat. Cette action ou situation date du mois de juin 2000. L'agent négociateur soutient que tant que le poste demeure sans titulaire, il ne peut y avoir contestation.

[66]    L'employeur souligne également que M. Demers occupait le poste à titre intérimaire depuis le mois d'avril 2001. Aurait-il été en mesure de contester la classification du poste dès ce moment? Ne connaissait-il pas alors les exigences et tâches de ce poste? Il a, par la suite, participé à un concours de dotation ayant évidemment clairement identifié le poste au niveau PM-04. L'employeur soutient que dans ces circonstances, M. Demers est mal venu de contester la classification du poste. Il ajoute que c'est une analyse superficielle faite par ce dernier, qui l'a amené à déposer son grief. Il n'y a eu aucun geste posé par l'employeur pendant cette période.

[67]    Je dois me ranger derrière l'opinion du commissaire Kwavnick dans le dossier Gendron c. Le Conseil du Trésor (supra) et reconnaître que le titulaire du poste n'est vraiment en position de contester la classification de son poste que lorsqu'il a en main les documents officiels lui permettant de le faire. La preuve est à l'effet que M. Demers a été en possession de ces documents uniquement à compter du 1er octobre 2001. Les délais de ce genre (extinctifs de droits) doivent être calculés avec précision en se basant sur des éléments objectifs. Il serait difficile d'établir de façon subjective le moment où M. Demers avait une connaissance de la situation suffisante pour lui permettre de participer pleinement et véritablement à la procédure : Hale c. Canada (Le Conseil du Trésor) (supra) (page 11).

[68]    M. Demers s'est retrouvé dans une situation difficile dans les mois qui ont suivi sa nomination à titre intérimaire. Il a obtenu d'être nommé au niveau PM-04, plutôt que PM-03, comme l'avait d'abord offert l'employeur. Il a alors accepté des conditions visant la mise à jour de ses connaissances. Il a, dès le mois de juin, dû participer à un processus de sélection. Il a été, par la suite, en attente du résultat du concours. Ce n'est donc qu'à compter du 1er octobre qu'il était réellement en mesure de déposer un grief sur la classification de son poste. Il n'y a pas de doute que M. Demers connaissait depuis quelque temps les tâches de son poste et qu'il avait probablement découvert depuis quelque temps que sa situation ne s'était pas améliorée depuis son départ en 1993. Toutefois, on voit mal comment il aurait eu à déposer un grief de classification pour un poste qu'il convoitait et pour lequel il attendait le résultat du concours. Le grief de classification ne pouvait d'ailleurs procéder qu'après que M. Demers eut signé sa description de tâches. D'ailleurs, l'alinéa 5 sous-paragraphe 1V.A. de la PRGC prévoit :

Un grief de classification ne sera pas considéré recevable lorsque le contenu de la description de travail est contesté....

[69]    Dans le dossier Boyer et Marks (supra) à la page 28, le commissaire Kwavnick confirme que « dans le cas de griefs qui portent sur des questions de classification, où les droits de l'employeur sont très larges... l'autorité conférée à la Commission par l'article 90 (le nouvel article 91) ne va pas, à une exception près, au-delà de celle de veiller à ce que soit protégé le droit de présenter un grief... » Il précise dans le paragraphe précédent que ce droit « ne peut être vide de sens ». Il poursuit : « Il doit s'en suivre que le droit du fonctionnaire de présenter un grief implique nécessairement une obligation, de la part de l'employeur, de se pencher sur l'objet du grief, d'étudier la question et de produire une réponse réfléchie. »

[70]    En conclusion, je suis d'avis que l'employeur ne peut unilatéralement restreindre le droit de l'employé à déposer un grief de classification par le biais de sa PRGC en exigeant que celui-ci soit titulaire du poste au moment de la classification. Le paragraphe 74(3) du règlement de la LRTFP prévoit que ce délai court du moment où le fonctionnaire a eu connaissance pour la première fois de la situation à l'origine du grief. M. Demers a pris connaissance officiellement de la description de tâches le 1er octobre 2001 et le délai de 25 jours lui donnant droit au grief commence à courir à partir de ce moment.

[71]    Je ferai donc droit à la plainte en vertu du paragraphe 23(d) de la LRTFP contre l'employeur. Quant au défendeur Tucker, aucune preuve n'a été établie de ses faits et gestes qui justifierait que la plainte soit retenue contre lui personnellement.

[72]    Accueillant la plainte sous ce chef, il ne m'est pas nécessaire d'analyser le dossier et conclure sous le paragraphe 23(a) de la Loi.

[73]    Je déclare que la portion contestée de la «Politique de règlement des griefs de classification» est contraire à la loi et ses règlements et est donc nulle et sans effet.

[74]    Je déclare que l'Agence n'a pas respecté l'un des règlements pris, en matière de griefs, par la Commission, conformément à l'article 100 de la LRTFP.

[75]    J'ordonne à la défenderesse de cesser cette contravention à la loi et aux règlements de la Commission.

[76]    J'ordonne à la défenderesse de traiter sans tarder le grief de classification de M. Jacques Demers.

[77]    Je confirme le droit du plaignant, M. Demers, de voir instruire son grief et de se voir représenter par son syndicat dans ce grief de classification.

Sylvie Matteau,
présidente suppléante

OTTAWA, le 20 août 2004

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