Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Pratique déloyale de travail - Plainte fondée sur l'alinéa 23(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, alléguant une violation du paragraphe 10(2) - Devoir de représentation juste - Délai - la plaignante était en congé de maladie de 1990 à 1991 - en avril 1991, elle a informé son employeur qu'elle était apte à reprendre le travail - l'employeur ne lui a trouvé un poste qu'à compter du 2 avril 1993 - en 1997, la plaignante a perdu un recours en réclamation de prestations d'assurance invalidité pour la période de 1991 à 1993 - en 1998, elle a présenté un grief en réclamation de salaire pour la période de 1991 à 1993 - en 1999, son agent négociateur l'a avisée qu'il ne la représenterait pas en arbitrage, puisque son grief était prescrit - elle a déposé une plainte contre son agent négociateur en 2003, alléguant qu'il avait agi de manière arbitraire et de mauvaise foi en refusant de la représenter en arbitrage - l'agent négociateur a objecté que la plainte a été présentée dans un délai déraisonnable - la plaignante a répondu que ce n'est que lorsqu'un arbitre de grief a conclu, en 2000, que son grief était prescrit qu'elle a réalisé que son agent négociateur l'avait mal représentée - elle a ensuite attendu le résultat d'une demande de contrôle judiciaire qu'elle avait présentée à l'encontre de cette décision - la Commission a conclu que la plaignante savait en 1999 que son agent négociateur considérait son grief comme étant prescrit - la plaignante n'a présenté aucune explication satisfaisante justifiant le délai de trois ans et neuf mois pour déposer sa plainte. Plainte rejetée. Décisions citées :Rhéaume c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2000 CRTFP 105; Giroux c. Santé Canada, dossiers de la CRTFP 161-2-825 et 826 (1999) (QL); Harrison c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossier de la CRTFP 161-2-739 (1995) (QL); Machnee c. Klaponski, 2001 CRTFP 28.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2004-07-26
  • Dossier:  161-34-1280
  • Référence:  2004 CRTFP 95

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique



ENTRE

CHARLOTTE RHÉAUME
plaignante

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA
défenderesse

AFFAIRE :  Plainte fondée sur l'article 23 de la
                  Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Devant :   Jean-Pierre Tessier, commissaire

Pour la plaignante :   elle-même

Pour la défenderesse :   Glen Chochla, Alliance de la Fonction publique du Canada


Affaire entendue à Montréal (Québec),
les 30 et 31 mars 2004.


[1]   Charlotte Rhéaume travaille à Revenu Canada depuis mai 1987. Au cours des années 1990 à 1993, elle a déposé plusieurs griefs relatifs à des questions de harcèlement et de discrimination. En novembre 1990, elle s'absente du travail pour des raisons de maladie.

[2]    En avril 1991, Mme Rhéaume se dit apte à occuper un poste où elle ne serait pas en contact avec ses anciens supérieurs. Suite à diverses discussions, l'employeur lui trouve un nouveau poste et elle commence à y travailler le 2 avril 1993. Pendant ce délai, la compagnie d'assurance avait mis fin aux prestations d'invalidité dont bénéficie Mme Rhéaume, puisque, selon la compagnie, Mme Rhéaume est apte au travail depuis le 1er avril 1991. Mme Rhéaume se trouve donc privée de salaire pour la période débutant le 1er avril 1991 jusqu'au 2 avril 1993.

[3]    Entre 1991 et 2003, Mme Rhéaume a déposé divers griefs pour contester la décision de la compagnie d'assurance et a fait une demande à la Commission de la santé et sécurité au travail du Québec (C.S.S.T.), mais sans succès.

[4]    Le 16 octobre 2003, Mme Rhéaume dépose une plainte contre l'Alliance de la Fonction publique du Canada, son agent négociateur, lui reprochant notamment d'avoir agi de manière arbitraire et de mauvaise foi en matière de représentation relativement à la perte de salaire qu'elle a subie de 1991 à 1993.

[5]    La plainte est entendue les 30 et 31 mars 2004.

Le dossier

[6]    Il est à noter que divers documents ont été transmis à la Commission par chacune des parties entre la plainte d'octobre 2003 et l'audience de mars 2004, car l'agent négociateur invoque que la plainte est hors délai.

L'audience

[7]    Lors de l'audience, les parties ont formulé leurs commentaires sur le fait que la plainte est formulée tardivement.

[8]    Au soutien de son objection, l'agent négociateur a déposé divers documents, dont un historique des faits (pièce S-1), des décisions et des échanges ou correspondances avec la plaignante (pièces S-2 à S-12).

[9]    L'agent négociateur soutient que l'examen des documents au dossier, ainsi que ceux déposés à l'audience, démontre qu'il a pris des mesures pour défendre les intérêts de Mme Rhéaume.

[10]    L'agent négociateur conclut que, en définitive, Mme Rhéaume se plaint en 2003 qu'il a mal défendu ses intérêts depuis 1991, puisqu'elle n'a pu avoir gain de cause pour être compensée contre la perte de salaire qu'elle a subie il y a plus de 10 ans, soit de 1991 à 1993.

[11]    De plus, l'agent négociateur souligne que, même si on admettait que la situation était ambigüe au moment des événements, Mme Rhéaume aurait pu, si elle croyait être mal représentée, porter plainte contre lui lorsqu'il refuse de poursuivre le grief de février 1998, portant sur la perte de salaire de 1991 à 1993.

[12]    Subsidiairement, l'agent négociateur ajoute que Mme Rhéaume s'appuie sur la décision 2000 CRTFP 105, pour fonder sa plainte. Cependant, elle attend le résultat des procédures de contrôle judiciaire (2003 CAF 188), pour finalement déposer sa plainte en octobre 2003.

[13]    De son côté, Mme Rhéaume soutient qu'elle n'a pas déposé de plainte contre son agent négociateur antérieurement, car son dossier était toujours actif et elle comptait avoir gain de cause en arbitrage.

[14]    Selon la plaignante, ce n'est qu'en novembre 2000 qu'elle prend conscience que son agent négociateur aurait pu agir différemment de 1991 à 1993 pour défendre ses intérêts. À cet effet, elle se réfère à 2000 CRTFP 105 § 26-28 :

[...]

[...] Je ne peux concevoir qu'au plus tard vers le 16 juillet 1993, au moment où elle obtient un poste, Mme Rhéaume n'ait pas déposé, si elle croyait y avoir droit, un grief réclamant sa rémunération pour la période où elle fut sans traitement.

[...]

[...]    je me dois de conclure que le grief est prescrit, ayant été déposé plusieurs années après l'événement y donnant lieu (absence de rémunération en 1992-1993). [...]

[15]    Selon Mme Rhéaume, elle réalise après cette décision qu'un grief aurait pu être formulé en 1993. La décision en question est rendue en novembre 2000. Mme Rhéaume soutien avoir attendu les résultats de la procédure de contrôle judiciaire pour voir ce qui surviendrait.

[16]    En conclusion, Mme Rhéaume fait remarquer qu'il est difficile de s'attaquer à son agent négociateur compte tenu du fait qu'elle a logé plusieurs griefs et qu'elle a besoin d'être représentée. Ce n'est que lorsqu'elle fut placée devant le fait qu'elle ne pouvait obtenir gain de cause, relativement à la perte de salaire qu'elle a subi de 1991 à 1993, qu'elle a décidé de porter plainte contre son agent négociateur.

Motifs de la décision

[17]    Pour une bonne compréhension du dossier, je me réfère à l'historique assez succinct déposé par l'agent négociateur (pièce S-1), qui concorde avec la liste d'événements soulignés par Mme Rhéaume.

 HISTORIQUE
mai 1987La plaignante commence à travailler comme agent vérificateur (PM2) à Revenu Canada.
11 septembre 1990Elle dépose le premier de ses neuf (9) griefs soumis pendant la période 1990 à 1993 impliquant 32 épisodes allégués de harcèlement et de discrimination de la part de ses surveillants.
27 novembre 1990Elle s'absente du travail en raison de maladie.
27 février 1991La plaignante épuise ses crédits de congé de maladie. Ses prestations d'assurance invalidité débutent.
1er avril 1991Elle se dit apte à occuper un poste où elle ne serait pas en relation avec ses anciens supérieurs. En conséquence, la Sun Life met fin aux prestations d'assurance d'invalidité à compter du 1er avril 1991 et la plaignante est privée de salaire à compter du 1er avril au 2 août 1993. La Sun Life suggère à la plaignante de faire une demande de prestations à la Commission de la santé et de sécurité du travail pour décision (CSST).
22 janvier 1992La plaignante dépose un grief de harcèlement demandant le versement d'une somme d'argent " couvrant la totalité du salaire perdu ainsi que tous les avantages qui s'y attachent, rétroactivement au 1er avril 1991 ".
29 juin 1992La CSST refuse la demande de la plaignante. Elle porte la décision de la CSST en appel devant la Commission d'appel en matière de lésion professionnelle (CALP).
30 juin 1993L'employeur offre à la plaignante un nouveau poste d'agent des demandes de renseignements au sein de la division de l'Interprétation et Services du BRALT.
16 juillet 1993La plaignante accepte l'offre du nouveau poste.
2 août 1993Elle commence à travailler au nouveau poste.
27 juin 1994Le grief d'harcèlement déposé le 22 janvier 1992 est rejeté après sept (7) jours d'audiences par Yvon Tarte, président suppléant à la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Les huit (8) autres griefs déposés depuis le 11 septembre 1990 sont retirés au début des audiences.
18 avril 1995L'employeur informe la plaignante qu'il considère qu'elle était en congé sans solde à long terme pour raison de maladie entre le 1er avril 1991 et le 2 août 1993.
26 janvier 1996la CALP rejette l'appel de la plaignante et décide qu'elle n'a pas été victime d'un accident de travail ou d'une maladie professionnelle.
juillet 1996Suite à un réexamen du dossier de la plaignante, la Sun Life refuse les prestations d'invalidité.
26 mai 1997La Sun Life accepte de revoir le dossier de la plaignante, et le refus des prestations d'invalidité est porté au Conseil national mixte de la fonction publique (CNM).
15 décembre 1997Le CNM rend une décision finale négative au sujet du droit de la plaignante aux prestations d'assurance invalidité pour la période entre le 1er avril 1991 et le 1 août 1993.
2 février 1998La plaignante dépose le grief #98/1208-002 demandant que l'employeur la rémunère pour la période entre le 1er avril 1991 et le 2 août 1993.
14 septembre 1999L'employeur rejette le grief #98/1208-002 pour raison de hors délai et, en vue de la décision d'Yvon Tarte du 27 juin 1994, pour raison de " chose jugée ".
6 décembre 1999L'Alliance de la Fonction publique décide, pour les mêmes raisons que l'employeur, de ne pas poursuivre le grief #98/1208-002. La plaignante poursuit le grief à l'arbitrage indépendamment du syndicat.
27 novembre 2000Le grief #98/1208-002 est rejeté par Jean-Pierre Tessier, commissaire à la Commission des relations de travail dans la fonction publique, pour raison de hors délai. La plaignante dépose une demande de révision judiciaire devant la Cour fédérale.
29 janvier 2002La Cour fédérale (section de première instance) rejette la demande de révision judiciaire de la plaignante. La plaignante porte la décision en appel.
14 avril 2003La Cour fédérale (section d'appel) rejette l'appel de la plaignante.
17 octobre 2003La plaignante dépose une plainte en vertu de l'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans laquelle l'Alliance de la Fonction publique du Canada est nommée défenderesse.

[18]    Mme Rhéaume soutient que sa plainte n'est pas déposée tardivement, car c'est au moment de la décision 2000 CRTFP 105, en novembre 2000, qu'elle réalise qu'un grief en réclamation de salaire aurait pu être logé en 1993. L'examen des pièces S-5 et S-6 déposées par la défenderesse révèle tout autre chose.

[19]    Dans son avis juridique du 6 décembre 1999 (pièce S-5), lequel est transmis à Mme Rhéaume le jour même, l'avocat de l'agent négociateur traite de la question du grief de réclamation de salaire qui aurait pu, s'il y avait lieu, être déposé en 1995. À cet effet, l'avocat écrit :

[...]

De plus, comme la consoeur Rhéaume avait déjà déposé de nombreux griefs, nous ne pourrions prétendre que celle-ci ne connaissait pas les délais en vigueur en ce qui a trait au dépôt de griefs. Nous croyons que ce fut une erreur de ne pas déposer un grief sur le litige de la perte de la rémunération en avril 1995, erreur que nous ne pouvons malheureusement pas réparer plus de trois ans plus tard en nous basant sur la décision d'un tiers. Il y a absence d'action ou de circonstances imputables à l'employeur dans les 25 jours précédents le dépôt du grief de la consoeur Rhéaume.

[...]

[20]    Une autre partie de l'avis du conseiller juridique est encore plus révélateur sur la connaissance du dossier qu'avait Mme Rhéaume en décembre 1999, alors qu'il fait référence à une lettre que Mme Rhéaume aurait écrite à l'agent négociateur suite au refus de l'employeur en 1995.

[...]

Par ailleurs, la consoeur Rhéaume indique dans sa dernière lettre que : " L'employeur m'a écrit une lettre le 18 avril 1995 et soutenait encore à ce moment que ma perte de salaire avait été occasionnée par mon congé sans solde à long terme pour raison de maladie. Avant de déposer un grief pour réclamer mon salaire en temps que salarié, je devais débattre de la question de harcèlement pour les griefs déposés à cet effet, question qui était intimement liée à la réclamation d'accident de travail. " Nous ne partageons pas son analyse. Nous croyons qu'il est erroné de prétendre qu'elle avait une obligation de débattre de la question de harcèlement avant de déposer un grief portant sur le refus de l'employeur d'avril 1995 de la rémunérer et ce, nonobstant le motif invoqué par celui-ci pour justifier son refus. C'est à ce moment-là qu'elle aurait dû déposer un grief si elle se croyait lésée en ce qui a trait au refus de l'employeur de la rémunérer pendant la période en cause. [...]

[...]

[21]    L'opinion du conseiller juridique de l'agent négociateur est claire sur l'opportunité de présenter un grief pour perte de salaire et sa conclusion relativement au fait qu'un tel grief est présenté hors délai. La décision 2000 CRTFP 105 confirme cette position que le grief de Mme Rhéaume est hors délai.

[22]    L'avis juridique du 6 décembre 1999 est très éloquent sur le fait que ce fut une erreur de ne pas présenter un grief en 1995 et il impute cette erreur à Mme Rhéaume, qui, ayant déposé de nombreux griefs, se devait de connaître le délai.

[23]    Si, connaissant cette position du conseiller juridique de l'agent négociateur en 1999, elle croit sincèrement que l'agent négociateur est responsable de cette erreur et qu'il agit de mauvaise foi, Mme Rhéaume se devait d'agir le plus rapidement possible en logeant une plainte contre son syndicat. Ce n'est qu'en octobre 2003, soit trois ans et neuf mois plus tard, que Mme Rhéaume porte plainte.

[24]    Trois (3) décisions de la Commission, Giroux c. Santé Canada, dossiers de la CRTFP 161-2-825 et 826 (1999) (QL); Harrison c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossier de la CRTFP 161-2-739 (1995) (QL); Machnee c. Klaponski, 2001 CRTFP 28, indiquent que le délai pour loger une plainte, selon l'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique peut s'étendre sur plusieurs mois, mais qu'il revient au plaignant de fournir une explication satisfaisante justifiant le délai pour soumettre sa plainte.

[25]    La plainte réfère à des événements survenus en 1991, 1993 et 1995 (lettre de refus de l'employeur). La question de l'opportunité de loger un grief est analysée en décembre 1999 et la décision 2000 CRTFP 105 de novembre 2000 confirme l'analyse de la défenderesse.

[26]    Il faut retenir que la présente plainte réfère à des évènements survenus en 1992 et 1993. L'avis juridique de 1999 analyse bien la situation antérieure et ce n'est qu'en octobre 2003 que Mme Rhéaume dépose sa plainte. Je ne vois aucune justification me permettant d'accueillir cette plainte qui est présentée tardivement.

[27]    Pour ces raisons, la plainte est rejetée.

Jean-Pierre Tessier,
commissaire

OTTAWA, le 26 juillet 2004

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