Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Pratique déloyale de travail en vertu du paragraphe 23(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), alléguant une violation de l'article 8(2) - Discrimination - Activité syndicale - Animus anti-syndical - le plaignant alléguait que la partie défenderesse avait enfreint les dispositions de l'article 8(2) de la LRTFP en n'incluant pas le plaignant dans le processus de sélection pour un poste intérimaire du seul fait du manque de disponibilité du plaignant compte tenu qu'il occupait un poste national au sein du syndicat - la nomination intérimaire a été faite à partir d'une liste d'employés intéressés, et la partie demanderesse a choisi la personne qui, de son avis, était mieux qualifiée - la partie défenderesse a expliqué à un témoin que la candidature du plaignant ne serait pas tenue en compte du fait que ses activités syndicales occupaient beaucoup de son temps - la partie défenderesse a déclaré s'être grandement fiée aux conseils du superviseur du plaignant relativement aux candidatures pour combler son poste - la partie défenderesse a fait valoir que le choix était clair du fait que le candidat choisi avait toutes les qualités souhaitées, alors que le plaignant n'avait pas d'expérience récente dans le domaine des appels, compte tenu que ses activités syndicales avaient occupé beaucoup de son temps au cours de l'année précédant les événements en question - dans une décision antérieure, la Commission avait établi des critères dans de telles situations; un plaignant devait prouver qu'une mesure discriminatoire avait été prise à l'égard de son emploi ou d'une condition de son emploi, et ce du fait de son appartenance à un syndicat ou de l'exercice d'un droit en vertu de la LRTFP, et que la mesure avait été prise par la personne nommée dans la plainte comme défendeur - la Commission a conclu qu'il était légitime pour l'employeur de chercher une personne dotée d'une expérience récente et qu'il ne s'agissait pas d'une mesure discriminatoire à l'endroit du plaignant en vue de l'éliminer d'un concours - bien que les activités syndicales du plaignant avaient privé celui-ci de la possibilité d'acquérir de l'expérience récente dans le domaine des appels, ses activités syndicales n'étaient pas la cause de son rejet, ce qui aurait été contraire à l'article 8 de la LRTFP - la Commission a aussi conclu que le processus de dotation (nomination intérimaire dans l'attente des résultats d'un concours) n'avait pas eu une incidence discriminatoire sur le plaignant qui aurait favorisé les autres candidats - la décision de doter un poste de cette manière a été prise sur les conseils du service des ressources humaines et l'employeur s'est prévalu de sa prérogative en vertu de l'article 7 de la LRTFP - même si l'animus anti-syndical peut parfois être inféré, la Commission a statué que ce n'était pas le cas en l'espèce et a accepté l'explication du défendeur qui a prétendu que le choix du candidat était fondé sur l'expérience et que le manque de disponibilité du plaignant n'avait pas influé sur le choix du candidat. Plainte rejetée. Décisions citées :Fairall c. McGregor, dossier de la CRTFP 161-2-368 (QL); Gennings c. Milani, dossier de la CRTFP 161-2-87 (QL); Stonehouse, dossier de la CRTFP 161-2-137 (QL); Association des employé(e)s en sciences sociales et le Syndicat canadien des employés professionnels et techniques c. Claydon et Smith, 2002 CRTFP 101; Faryna v. Chorney, [1952] 2 D.L.R. 354 (BCCA).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2004-04-26
  • Dossier:  161-34-1240
  • Référence:  2004 CRTFP 29

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique



ENTRE

RÉAL LAMARCHE
plaignant

et

YVAN MARCEAU
défendeur

AFFAIRE : Plainte fondée sur l'article 23 de la
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Devant :   Sylvie Matteau, présidente suppléante

Pour le plaignant :  Pierrette Gosselin, avocate, l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour le défendeur :  Stéphane Hould, avocat


Affaire entendue à Sherbrooke (Québec),
les 19 et 20 janvier 2004.


[1]    La présente décision porte sur une plainte déposée aux termes de l'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), le plaignant alléguant une discrimination interdite par le paragraphe 8(2) a) de la LRTFP en ce que le gestionnaire défendeur « n'a pas retenu sa candidature dans un processus de nomination sous le seul motif » de ne pas être disponible compte tenu que [celui-ci] occupe un poste national au syndicat « (sic) » (libellé de la plainte datée du 4 octobre 2002).

[2]    En fait, deux plaintes ont été déposées, l'une datant du 10 septembre 2002, et l'autre du 4 octobre 2002. Les parties ont convenu de procéder uniquement sur cette dernière plainte suite à des discussions préliminaires. De plus, le plaignant n'entend procéder que contre M. Yvan Marceau, le directeur-adjoint de la Division des appels du BSF de l'Est du Québec. Il est donc pris note du désistement du plaignant contre tous les autres défendeurs dans ce dossier.

[3]    Il va de soi que le processus de dotation lui-même n'est pas en question devant moi. Le plaignant s'est prévalu des procédures appropriées à cet effet, conformément à la législation de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'Agence). Ma juridiction se limite à déterminer si oui ou non, suite à la preuve entendue, le défendeur a exercé une discrimination pour raisons d'activités syndicales à l'endroit du plaignant.

[4]    La question de la juridiction de l'arbitre en matière de remède a été débattue par les parties par échange de lettres avant l'audition. Elles sont au dossier. De brèves représentations ont été faites à ce sujet à l'audition. Cette question n'aura à être tranchée que si j'en arrive à la conclusion que la plainte est fondée.

[5]    Les textes législatifs pertinents sont les suivants :

8.1) Il est interdit à quiconque occupant un poste de direction ou de confiance, qu'il agisse ou non pour le compte de l'employeur....

    2) Sous réserve du paragraphe (3), il est interdit :

a)   de refuser d'employer ou de continuer à employer une personne, ou encore de faire des distinctions injustes fondées, en ce qui concerne l'emploi ou l'une quelconque des conditions d'emploi d'une personne, sur l'appartenance de celle-ci à une organisation syndicale ou sur l'exercice d'un droit que lui accorde la présente loi.

[...]

23.(1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle l'employeur ou une organisation syndicale ou une personne agissant pour le compte de celui-là ou de celle-ci n'a pas, selon le cas :

a)   observé les interdictions énoncées aux articles 8, 9 ou 10.

  (2) Dans les cas où, en application du paragraphe (1), elle juge l'employeur, une organisation syndicale ou une personne coupable d'un des manquements qui y sont énoncés, la Commission peut, par ordonnance, lui enjoindre d'y remédier ou de prendre toute mesure nécessaire à cet effet dans le délai qu'elle estime approprié.

[...]

La preuve

[6]    Le plaignant a présenté un témoin et a lui-même témoigné. Le défendeur a témoigné seul de sa version des faits.

[7]    M. Lamarche est à l'emploi de l'Agence des douanes et du revenu du Canada depuis 1975. Il a toujours travaillé au bureau de Sherbrooke. Il occupe un poste au niveau AU-3 depuis près de dix ans. Il est également président national du groupe « VFS », regroupant quelque 10 500 membres de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada depuis 1996. Pendant la période qui nous occupe ici, le plaignant était conseiller technique à la Division des appels, quoique son poste d'attache eu été à la vérification.

[8]    Le chef d'équipe de cette Division à Sherbrooke était M. Jean-Claude Fontaine. En mai 2002, celui-ci fut affecté à d'autres fonctions pour une période de deux ans. Le directeur adjoint de la Division des appels, M. Marceau, a donc initié un processus de dotation pour combler ce poste de façon intérimaire pour la même période. Son bureau se situe à Québec. C'est dans le cadre de ce processus que le plaignant allègue qu'un acte interdit aurait été posé par le défendeur, M. Marceau, à son égard.

[9]    Les témoins ont décrit les événements entourant ce processus de dotation. Mme Lucie Bouchard a témoigné en faveur du plaignant. Elle est employée de l'Agence depuis onze ans et demi. En mai 2002, elle était vérificatrice de niveau AU-1 et occupait un poste d'agent des appels à la Division des appels de Sherbrooke.

[10]    En somme, elle explique qu'elle a appris la nomination intérimaire de Mme Danielle Rouleau au poste de chef d'équipe lors d'une réunion le 6 juin 2002. Elle déclare avoir été surprise et choquée de cette annonce, car, selon elle, de plus « anciens » de la section avaient été approchés au sujet de ce poste.

[11]    Un processus de consultation paraissant informel aurait débuté dès la nomination de M. Fontaine à son nouveau poste à la fin mai. Ce dernier aurait pris l'initiative de vérifier l'intérêt que pourraient porter certaines personnes à ce poste. MM. Denis Blais et Claude Charpentier auraient été ainsi approchés. Ceux-ci n'étaient pas membres de l'unité au mois de mai 2002, mais l'ont été dans le passé. Mme Bouchard dit avoir eu avec eux des conversations à ce sujet.

[12]    Elle aurait également parlé à M. Lamarche le 3 juin. Elle dit lui avoir alors demandé s'il avait été consulté par M. Fontaine, puisqu'il était conseiller technique aux appels à ce moment, et s'il était intéressé au poste. Celui-ci l'a alors informé qu'il n'avait pas été consulté et que, par ailleurs, il était effectivement intéressé au poste. Mme Bouchard ajoute que M. Lamarche lui aurait aussi dit « qu'il aurait des décisions à prendre. » Selon elle, il faisait alors référence à ses activités syndicales.

[13]    Elle a également eu une conversation avec M. Marceau suite à l'annonce de la décision nommant Mme Rouleau, le 6 juin. Après la rencontre de groupe, M. Marceau a rencontré individuellement les employés de la Division. Mme Bouchard lui a demandé à cette occasion comment ce choix avait été fait. M. Marceau lui aurait répondu que Mme Rouleau travaillait déjà dans la Division, que sa nomination ne créait pas un poste vacant dans un autre secteur et enfin qu'elle avait l'expérience au niveau AU-3 au BSF de Laval avant son arrivée à Sherbrooke, quoiqu'elle occupa un poste au niveau AU-2 à Sherbrooke.

[14]    Mme Bouchard dit avoir demandé à M. Marceau si la candidature de M. Lamarche avait été considérée au même titre que celle de Mme Rouleau. Sa réponse aurait été négative, expliquant que M. Lamarche était déjà occupé par le syndicat. Elle lui aurait ensuite demandé s'il avait posé la question à M. Lamarche. Il aurait répondu non, répétant qu'il le croyait occupé avec le syndicat.

[15]    Vient ensuite le témoignage de M. Lamarche. Il explique qu'il agit à titre de conseiller technique pour les appels depuis 1995. La pièce P-3 est produite au soutien de cette affirmation et confirme la mutation latérale temporaire de M. Lamarche du 3 avril 1995 au 31 mars 2003. Il explique qu'à plusieurs reprises dans le passé, il partageait des tâches avec M. Fontaine, le remplaçant à l'occasion pendant un jour ou deux. Il avait quelque fois autorisation de signer pour M. Fontaine pendant la période dite pré-Agence alors que certaines délégations étaient possibles. Il se considérait le bras droit de M. Fontaine et croit bien que les autres employés le voyaient également ainsi.

[16]    Il témoigne avoir appliqué au poste de chef des appels en 1995, au niveau AU-4 (le poste étant chef d'équipe depuis avril 2002, suite à une réorganisation expliquée par M. Marceau lors de son témoignage), et avoir obtenu confirmation de ses qualifications par le comité de sélection de l'époque (pièce P-4).

[17]    Quant aux circonstances entourant le présent processus de nomination intérimaire, M. Lamarche dit avoir été approché par Mme Bouchard qui s'informa de son intérêt pour le poste et du processus de sélection. Il explique avoir par la suite rencontré M. Fontaine le même jour, soit le 3 juin. Il l'a alors lui-même informé de son intérêt pour le poste et s'est informé du processus de sélection. M. Fontaine lui aurait alors expliqué qu'il avait été mandaté par M. Marceau pour émettre un avis d'intérêt et identifier les candidats.

[18]    M. Lamarche décrit le processus d'avis d'intérêt comme étant un processus de dotation en vertu duquel on tente d'identifier des candidats potentiels qui pourraient être intéressés au poste. Les critères que lui aurait alors communiqués M. Fontaine visaient l'expérience aux appels et au niveau AU-3. En réponse à une question de M. Lamarche, M. Fontaine l'aurait alors informé que quatre candidats avaient ainsi été identifiés, soit MM. Blais et Charpentier et Mmes Lemieux et Rouleau.

[19]    M. Lamarche aurait alors demandé à M. Fontaine pourquoi il n'avait pas été approché pour le poste. Celui-ci lui aurait répondu qu'il ne savait pas que le plaignant était intéressé. M. Lamarche dit avoir alors été très clair quant à son intérêt, rappelant à M. Fontaine qu'il avait l'expérience et les qualifications requises, ayant travaillé avec lui aux appels depuis sept ans, sans compter une période de trois ans, de 1989 à 1991.

[20]    M. Fontaine lui aurait alors répondu qu'il voulait quelqu'un de disponible et prêt à faire « la job », ce qu'il ne croyait pas être le cas de M. Lamarche puisqu'il n'était pas disponible à cause de ses activités syndicales. Ce à quoi M. Lamarche dit avoir réitéré son intérêt dans le poste et indiqué à M. Fontaine qu'il aurait des grosses décisions à prendre et qu'il pouvait se rendre disponible.

[21]    M. Lamarche est très honnête dans son témoignage lorsqu'il dit qu'il n'a probablement pas dit clairement à M. Fontaine qu'il était prêt à laisser le syndicat pour prendre le poste. Il croit se rappeler lui avoir dit : « Je vais avoir de grosses décisions à prendre. »

[22]    Le 6 juin 2002, à 7h25, un courrier électronique au sujet du processus d'avis d'intérêt est envoyé à M. Lamarche et aux quatre autres candidats les informant qu'un concours aurait lieu dans les prochains mois pour combler le poste de chef d'équipe aux appels, et qu'une personne serait nommée de façon intérimaire pendant cette période de dotation (pièce p-5). Ceci mettait donc fin au processus d'avis d'intérêt et décrivait un nouveau processus en deux étapes, soit une nomination à court terme sans concours, suivi d'une nomination intérimaire par concours.

[23]    Le plaignant n'était pas présent à la rencontre de l'équipe, la même journée, lorsque M. Marceau annonça la nomination de Mme Rouleau au poste intérimaire à court terme. Il a appris cette nouvelle par un appel téléphonique de Mme Bouchard.

[24]    M. Lamarche dit avoir eu une rencontre avec Mme Rouleau, qui s'est présentée à son bureau plus tard dans la journée pour lui annoncer sa nomination. Elle lui aurait demandé s'il avait été approché pour le poste et s'il était intéressé. Le plaignant dit lui avoir expliqué qu'il n'avait pas été sollicité et lui aurait fait part de sa conversation du 3 juin 2002 avec M. Fontaine. En quittant le bureau, elle lui aurait dit que M. Marceau voulait le voir.

[25]    Le plaignant a rencontré M. Marceau uniquement le lendemain, le 7 juin 2002. Ce dernier lui a expliqué les raisons de la décision de nommer Mme Rouleau; c'est-à-dire quelle rencontrait les critères dont une expérience récente. Le plaignant souligne qu'il entendait pour la première fois les mots « récente » dans la description des critères d'expérience. Quant à sa disponibilité, M. Marceau lui aurait dit qu'il n'avait pas vu la possibilité qu'il quitte son poste au syndicat et que d'ailleurs il ne devrait pas quitter ce poste puisqu'il y faisait un bon travail. M. Lamarche aurait alors confirmé à M. Marceau qu'au contraire, il était disposé à se rendre disponible pour ce poste.

[26]    Le plus grand reproche que fait M. Lamarche est à l'effet qu'il n'a pas été consulté. C'est à lui que revenait la décision d'abandonner ses responsabilités auprès du syndicat pour se consacrer à un nouveau plan de carrière. Il voyait dans cette nomination intérimaire à court terme la possibilité de se retremper dans ce travail et de se réintégrer de manière à obtenir la nomination intérimaire à plus long terme. Il aurait été en mesure de se libérer en moins de 10 jours. Il avait l'expérience et les qualifications requises.

[27]    Selon lui, le fait de « faire du syndicat » ne peut nuire à sa carrière. Il dit avoir vu clairement la nécessité pour lui d'abandonner ces activités syndicales. La nomination intérimaire à court terme lui aurait donné de meilleures chances de réussir le concours. À trois ans de la retraite, il y voyait un avantage financier immédiat de même que sur son fonds de pension. Il y avait donc un impact important pour lui.

[28]    M. Lamarche a participé par la suite au concours pour ce même poste, mais s'est toutefois désisté durant le processus.

[29]    Enfin, M. Marceau, quant à lui, explique que le processus pour remplacer M. Fontaine a été initié le 30 mai 2002. Il a d'abord parlé à M. Fontaine qui, lui, devait parler au directeur du bureau de Sherbrooke, M. Donati. Le processus d'avis d'intérêt aurait été une initiative de M. Fontaine. Il a ensuite consulté le service des ressources humaines.

[30]    Suite à ces consultations avec les ressources humaines, M. Marceau en serait venu à la décision de faire une nomination intérimaire de quelques mois, sans concours, le temps de procéder à l'automne avec un concours pour une nomination intérimaire d'un peu moins de deux ans. Une rencontre avec M. Fontaine a été fixée le 5 juin, à Sherbrooke, pour décider des orientations du dossier. Lors de cette rencontre, M. Fontaine lui aurait fait part des approches effectuées dans le cadre du processus d'avis d'intérêt. M. Marceau s'est dit mal à l'aise avec ce processus mais M. Fontaine avait déjà entrepris ces démarches.

[31]    Les deux gestionnaires auraient examiné ensemble les candidatures. Puisqu'il est responsable de la Division uniquement depuis avril 2002, M. Marceau dit s'être beaucoup fié à M. Fontaine, qui connaissait bien les candidats. Selon lui, ce processus a été très bref. Les candidats ont été évalués en fonction des critères qui avaient été identifiés et qui assureraient une transition efficace jusqu'au résultat du concours. Cinq candidats auraient été considérés (MM. Blais et Charpentier et Mmes Lemieux et Rouleau et le plaignant, M. Lamarche). Pour M. Marceau, la décision était claire, car Mme Rouleau répondait le mieux à tous les critères requis ayant dix ans d'expérience aux appels, ayant été AU-3 à Laval pendant six ans et étant en poste à la Division des appels de Sherbrooke depuis un an.

[32]    La réaction à l'annonce de sa décision le 6 juin a été une surprise pour M. Marceau. Toutefois, Mme Bouchard est la seule personne l'ayant approché au sujet de M. Lamarche suite à l'annonce. Il lui aurait dit avoir pris en considération la candidature de M. Lamarche bien qu'il ne lui ait pas parlé, comme il n'avait d'ailleurs parlé à aucun autre candidat. Il confirme ainsi qu'il s'est fié à M. Fontaine.

[33]    Lorsqu'on lui demande des précisions sur le cas de M. Lamarche, il répond que ce dernier n'aurait enregistré que 49 heures dans les dossiers d'appels au niveau des opérations dans la dernière année, ce qui lui accordait peu d'expérience récente des programmes des appels. En contre-interrogatoire, il admet toutefois qu'il n'a obtenu ce chiffre précis qu'après coup. Il est aussi reconnu que ce chiffre ne représente pas nécessairement la totalité du temps passé par M. Lamarche à titre de conseiller technique aux appels. Il s'agit du temps inscrit dans des dossiers spécifiques.

[34]    M. Marceau dit avoir été informé du désir de M. Lamarche de le rencontrer par quelqu'un à sa sortie d'une rencontre avec l'un des employés de la Division le 6 juin. Il a alors été convenu par téléphone de se rencontrer le lendemain à l'occasion d'une autre réunion déjà prévue à Drummondville.

[35]    La rencontre du 7 juin avait pour but d'expliquer à M. Lamarche les critères de sélection et l'ensemble du processus. Sur la question de la disponibilité, il reconnaît qu'un échange informel a eu lieu à ce sujet. M. Marceau affirme que la question de la disponibilité pour accomplir la tâche à combler n'a pas été le facteur déterminant dans sa décision. Il dit avoir basé sa décision sur deux autres critères qu'il estime différents, soit l'expérience récente et significative dans l'exécution des tâches attribuables à un poste AU-3 et l'expérience récente des programmes administrés à la Division des appels. Le fait pour M. Lamarche d'abandonner ses tâches au syndicat pour se rendre plus disponible n'aurait donc pas, selon lui, changé sa décision.

[36]    Il témoigne que la conversation aurait ensuite porté sur le fait que M. Lamarche serait très occupé dans les semaines suivantes par les négociations de conventions collectives qui devaient débuter. Lors d'une discussion qu'il qualifie d'informelle au sujet des négociations qui approchaient, M. Marceau révèle avoir demandé à M. Lamarche s'il aurait eu le temps pour le poste dans ces circonstances. M. Lamarche lui a répondu qu'il aurait des décisions à prendre. Il aurait alors été question de la participation de M. Lamarche au concours prévu pour l'automne.

[37]    L'expérience de Mme Rouleau aurait aussi fait l'objet de la conversation. En contre-interrogatoire, M. Marceau admet que son expérience était du niveau de la vérification générale. Il a aussi été question du fait que M. Lamarche avait, selon M. Fontaine, peu d'expérience aux appels dans les deux ou trois dernières années.

[38]    M. Marceau dit ne pas nier qu'il a pu avoir des doutes au sujet la disponibilité de M. Lamarche. Il réaffirme toutefois que ce n'était pas là le critère de sélection. Il a clairement témoigné qu'il n'a « aucune objection à nommer quelqu'un qui a un poste syndical comme chef d'équipe. »

[39]    En contre-interrogatoire, M. Marceau a été appelé à décrire le processus de nomination de M. Fontaine à son nouveau poste. Selon la description fournie, un processus d'avis d'intérêt a été utilisé et M. Fontaine a été nommé pour deux ans, sans concours.

[40]    En ce qui a trait au sentiment de M. Marceau envers le syndicat, deux événements dans son passé ont été soulevés en contre-interrogatoire. Le procureur du défendeur y a fait objection à chaque reprise. Les questions visant des circonstances entourant son refus d'appartenance au syndicat ont été permises sous réserve du poids à leur être accordé. Ces événements remontaient à plusieurs années et ont été expliqués par M. Marceau en terme de sa relation avec la personne qui « lui tirait la pipe » à ce sujet alors qu'il se dirigeait vers un poste de direction. L'autre question visait une référence dans une évaluation annuelle passée d'un employé où M. Marceau y aurait indiqué que ses fonctions de vérificateur étaient incompatibles avec son rôle de représentant syndical. Cette objection fut maintenue.

[41]    Ces derniers événements visaient le dossier personnel d'un employé qui n'était pas présent, remontaient à plusieurs années aux dires de M. Marceau et ne visaient pas les circonstances du présent dossier. Selon l'avocate du plaignant, il s'agissait d'une démonstration de l'animus anti-syndical du défendeur d'où ont peut tirer une conclusion par inférence dans le présent dossier.

Plaidoiries

Pour le plaignant

[42]    Le plaignant allègue que le refus de considérer sa candidature au poste de chef d'équipe constitue une discrimination interdite par la LRTFP puisque dans les motifs au soutien de la décision de l'employeur, sa non-disponibilité vue ses activités syndicales constituait une limite et un empêchement. M. Lamarche à titre de président national a des responsabilités importantes qui exigent beaucoup de son temps. Ces activités ont joué un rôle dans la décision de M. Marceau.

[43]    Il a également été établi que M. Lamarche était membre de l'équipe des appels au moment du déclenchement du processus de nomination d'un remplaçant au poste de M. Fontaine et qu'il était de niveau AU-3 agissant à titre de conseiller technique (pièce P-3). De plus, son avocate ajoute qu'il s'était déjà qualifié pour ce même poste en 1995 (pièce P-4), qu'il avait la confiance des autres membres de l'équipe ainsi que l'expérience requise et, qu'enfin, en pratique, il avait déjà remplacé M. Fontaine au cours des années 1990 à 1992, ayant même eu autorité de signer pour ce dernier avant que ses activités syndicales ne l'amènent à s'absenter.

[44]    Selon la procureure du plaignant, je devrais donc conclure que M. Lamarche avait l'expérience et les qualifications pour occuper ce poste sur une base temporaire, intérimaire ou définitive et qu'il rencontrait les trois critères énoncés : 1) l'expérience aux appels, 2) il était déjà membre de l'équipe, et 3) il avait l'expérience de niveau AU-3.

[45]    Elle souligne également que le plaignant a clairement manifesté son intérêt pour le poste à différentes personnes pendant la période de décision qui se serait située entre le 28 mai et le 6 juin. Le 3 juin, M. Lamarche aurait concrètement et clairement communiqué son intérêt à M. Fontaine lors d'un repas. Celui-ci lui aurait, le premier, opposé son manque de disponibilité dû à ses activités syndicales. Mme Bouchard a témoigné dans le même sens. Suite aux démarches de cette dernière auprès de MM. Fontaine et Marceau, on lui aurait dit que la disponibilité réduite du plaignant dû à ses activités syndicales aurait été un facteur dans la décision.

[46]    En plus du fait que la décision de nommer Mme Rouleau soit apparue impopulaire, l'expérience de cette dernière se situait au niveau de la vérification générale et le fait de privilégier celle-ci à l'expérience acquise aux appels par M. Lamarche au cours des années constituerait une démonstration de discrimination. Selon le plaignant, il n'est pas alors interdit de penser que le critère « expérience » récente « aux appels » visait à exclure M. Lamarche. En tout cas, cela en avait l'effet.

[47]    À l'appui de ses prétentions, la procureure du plaignant soumet le dossier Stonehouse (dossier de la CRTFP 161-2-137 (1997) (QL)). Celui-ci devrait servir de guide dans la présente affaire. Me Gosselin tire un parallèle entre les deux affaires et fait siennes les allégations contenues dans trois paragraphes de la plaidoirie du représentant de Mme Stonehouse :

[...]

d)      La direction aurait dû demander à Mme Stonehouse, mais ne l'a jamais fait, si, en cas de promotion ou d'affectation à des fonctions de surveillance, elle pourrait consacrer tout le temps nécessaire à son travail au sein du Ministère.

e)      L'avocat de la plaignante a soutenu qu'en attribuant de nouvelles fonctions ou en accordant une promotion, la direction n'a pas le droit, et ne l'a jamais eu, de tenir compte du temps consacré aux activités syndicales. Le simple fait de tenir compte de telles activités est discriminatoire et l'article 8 de la loi l'interdit. Dans la présente affaire, affirme-t-il, si Mme Stonehouse n'avait pas exercé son droit statutaire de participation aux activités légitimes de son syndicat, tant à titre de présidente qu'à celui de déléguée syndicale, la direction aurait étudié d'un oeil plus favorable sa candidature en vue d'une promotion ou d'une nouvelle affectation, et elle n'aurait pas fait preuve de discrimination à son égard.

f)      L'absence légitime d'un employé pendant ses heures de travail, comme dans le cas des employés qui suivent des cours de langue, ne lui porte pas ni ne doit lui porter préjudice. Alors pourquoi les absences pour s'occuper d'activités syndicales devraient-elles nuire aux possibilités de promotion ou d'affectation? En fait, l'article 8 de la loi interdit à la direction de pratiquer une telle forme de discrimination.

[...]

[48]    On attire également mon attention sur le paragraphe 24 de la décision, ajoutant que M. Marceau aurait lui aussi admis que le manque de disponibilité aurait été un facteur dans sa décision.

24.      Au cours de son témoignage, M. Farmer a admis que le temps consacré par la plaignante à ses activités syndicales avait sûrement influé sur la décision prise au moment de la réorganisation en décembre 1975 de ne pas l'affecter au poste de chef d'unité. M. Farmer a aussi émis l'opinion que les heures consacrées aux affaires syndicales ne profitaient nullement à l'employeur et que les activités d'un syndicat pouvaient nuire à « la bonne marche d'un service où le travail s'accomplirait sans plainte ni grief ». Il est raisonnable de conclure, à en juger d'après l'ensemble de son témoignage, que M. Farmer tolère le syndicat et le juge plus nuisible qu'efficace.

[49]    Enfin, le plaignant reprend le paragraphe 43 des motifs de la décision à l'effet que :

43.      Les termes employés dans l'article 6 de la loi sont essentiels à l'intention de la loi. Ils sont la Grande Charte réglementaire des droits conférés à tous les employés assujettis à la Loi sur les Relations de travail dans la Fonction publique. En termes simples et concis, l'article stipule que tout employé peut devenir membre d'une association d'employés et participer aux activités légitimes de cette dernière. Ces droits peuvent être exercés sans distinction par tous les employés sans exception et ce sans crainte et sans restriction imposée par qui que ce soit. Sans ces droits, l'ensemble des autres dispositions de la loi portant sur l'accréditation d'un agent négociateur, la négociation collective, la médiation et le règlement des différends et des griefs seraient pure moquerie.

[50]    Toujours en vertu de cette décision, il s'agirait de déterminer ici, comme dans ce cas, si le fait d'avoir refusé de considérer la nomination de M. Lamarche à cause, entre autres, du temps consacré à ses obligations syndicales, constitue une mesure discriminatoire interdite en vertu du paragraphe 8(2) de la LRTFP. Il s'agirait également de déterminer si l'occasion a été offerte à M. Lamarche de s'expliquer et de décider lui-même des priorités à accorder à ses activités syndicales ou à son plan de carrière.

[51]    Selon le dossier Stonehouse ((supra), paragraphe 56), pour ne pas se livrer à discrimination, la gestion doit s'informer de l'intérêt de l'employé et le consulter pour lui donner l'occasion de s'expliquer. La preuve ici démontre que ce n'est pas le cas; au contraire, c'est le plaignant qui a communiqué son intérêt.

[52]    L'interdiction du paragraphe 8(2) de la LRTFP est absolue. Au paragraphe 58 de la même décision ont précise que « ... la loi interdit toute mesure discriminatoire, qu'elle soit voulue ou non. » Dans le présent cas, même en donnant le bénéfice du doute à M. Marceau, ce que le plaignant est prêt à faire, il faudra lui donner raison puisque la preuve de l'impact de la discrimination sur lui personnellement a été faite.

[53]    Enfin, le plaignant se pose la question à savoir pourquoi le processus de dotation intérimaire a été différent pour ce poste et pour le nouveau poste de M. Fontaine. S'agissait-il d'un moyen de mettre M. Lamarche à l'écart?

Pour le défendeur

[54]    Du côté du défendeur, son avocat soumet que la question à trancher est de déterminer si la preuve a été faite que M. Marceau a fait une distinction injuste envers M. Lamarche dans le processus de nomination à cause de ses activités syndicales. En d'autres termes, les activités syndicales de M. Lamarche ont-elles eu une influence sur la décision de M. Marceau? Ce dernier a nié que les activités syndicales du plaignant aient été un facteur dans sa décision. Selon lui, l'abandon de ces activités n'aurait rien changé à sa décision. Ainsi, les arguments sont les suivants :

  1. Le bien fondé de la nomination de Mme Rouleau ne relève pas de ma compétence.
  2. Le plaignant ne s'est tout simplement pas déchargé du fardeau de la preuve. Les témoignages sont grandement basés sur l'ouï-dire et M. Marceau a offert une version des faits crédible et une explication des événements plausible. Sa version des faits se conjugue mieux avec l'ensemble de la preuve (Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (BCCA). Le reproche fait à M. Marceau se limite au fait que ce dernier n'aurait pas pris en considération la candidature de M. Lamarche parce qu'il s'occupe d'affaires syndicales, ce que nie M. Marceau et ce que soutient la preuve.
  3. Si discrimination il y avait, elle pourrait peut-être se trouver chez M. Fontaine. C'est ce dernier qui a initié l'avis d'intérêt, qui a expliqué les critères à M. Lamarche le 3 juin et qui a fait ses commentaires à M. Marceau sur les candidats puisque celui-ci ne les connaissait pas. Ce n'est pas cette preuve qu'a choisi de faire le plaignant. M. Marceau cherchait quelqu'un qui serait compétent et « opérationnel » pendant ces quelques mois. Le procureur du défendeur souligne que M. Lamarche a admis dans son témoignage que s'il y avait des doutes quant à ses qualifications, ce poste lui aurait permis de faire ses classes pour se réintégrer.

[55]    Le procureur du défendeur soumet deux décisions à l'appui de sa prétention à l'effet que je ne peux me prononcer sur la décision de nommer Mme Rouleau à ce poste intérimaire et que le fardeau de la preuve appartient bien au plaignant, soit les dossiers Gaudreau et Harvey (dossier de la CRTFP 161-2-347) (QL)) et Prue et Bhabha (dossier de la CRTFP 161-2-540) (QL)). Le plaignant devait établir que les activités syndicales du plaignant ont influencé la décision de M. Marceau. Il devait également établir un lien entre la distinction faite et la décision prise.

[56]    La preuve présentée n'établit pas ce lien en ce qui a trait au présent dossier. M. Marceau ne connaissait pas M. Lamarche; il cherchait quelqu'un qui pourrait opérer immédiatement et il était tout à fait acceptable qu'il recherche une expérience récente à ces fins. Sa priorité à court terme était le fonctionnement de la Division. Quant à la nomination intérimaire par concours, il a invité M. Lamarche à y participer.

[57]    La preuve n'a donc pas été faite de l'intention de discrimination par M. Marceau envers M. Lamarche pour raisons d'activités syndicales. Même si la disponibilité de M. Lamarche avait été un facteur dans le délibéré de M. Marceau, ceci n'aurait rien changé à son choix, car ce n'était pas un critère. De plus, l'autre candidate offrait une expérience récente et pouvait être « opérationnelle » immédiatement. Il a témoigné que le choix a été clair et rapide, considérant la connaissance qu'avait M. Fontaine des candidats et l'expérience de Mme Rouleau, et considérant que la nomination était à court terme et qu'elle serait suivie d'un concours en bonne et due forme. Le processus a été établi sur les conseils des ressources humaines. Le processus de nomination adopté dans le cas de M. Fontaine n'est pas pertinent à la présente affaire. La situation est différente.

[58]    En réplique, la procureure du plaignant souligne qu'aucune preuve n'a été faite de l'urgence de la situation aux appels ayant exigé la nécessité de nommer une personne qui avait cette expérience récente. Des accommodations auraient été possibles pour permettre au plaignant de se libérer de ses activités syndicales.

Motifs

[59]    M. Marceau a-t-il, oui ou non, fait preuve de traitement discriminatoire envers M. Lamarche, voire différent de celui accordé aux autres candidats, en raison de ses activités syndicales tel qu'interdit par le paragraphe 8(2)a) de la LRTFP?

[60]    La plainte se limite à l'action de M. Marceau et elle se limite à la nomination intérimaire à court terme (six mois) sans concours. Elle se limite également à la juridiction de la Commission sous l'article 23 de la LRTFP, tenant compte du fait que celle-ci n'a pas le loisir de s'immiscer dans le processus de dotation même.

[61]    La plainte se lit comme suit :

Exposé des circonstances :

Afin de combler le poste de chef d'équipe des appels L.I.R. du BSF de Sherbrooke, les gestionnaires impliqués dans le processus de nomination n'ont pas retenu ma candidature sous le seul prétexte « de ne pas être disponible compte tenu que j'occupe un poste national au syndicat ». Cette affirmation a été la seule explication fournie par les gestionnaires délégués avant la date de l'annonce de la nomination (6 juin 2002).

Le remède demandé est le suivant :

D'être nommé de façon intérimaire chef d'équipe des appels L.I.R. du BSF de Sherbrooke.

[62]    L'affaire n'est pas simple puisque son examen doit s'inscrire dans un contexte où l'on retrouve plusieurs équilibres délicats : l'équilibre entre les droits de l'individu de participer aux activités syndicales et ses obligations envers son employeur d'une part et d'autre part, l'équilibre entre les devoirs de respect du gestionnaire envers les activités syndicales de l'employé et les besoins opérationnels de l'organisation.

[63]    La LRTFP vise à protéger les employés qui s'impliquent dans les affaires syndicales. Elle tente toutefois de maintenir l'équilibre entre ce droit de l'employé et les besoins de l'employeur. D'une part, le plaignant participe, par choix personnel, aux activités syndicales, à un niveau même élevé, sans interférence de la part de la gestion; d'autre part, la gestion doit assurer le bon fonctionnement des opérations tenant compte des employés ayant fait ces choix. Il a été question de cet équilibre délicat dans d'autres décisions de la Commission, entre autres dans le dossier Fairall et McGregor (dossier de la CRTFP 161-2-368) (QL)).

[64]    Comme le soulignait alors la présidente suppléante Muriel Korngold Wexler : « Manifestement, il n'y a qu'un nombre d'heures limité dans une journée au cours desquelles [l'employé] peut faire son travail et s'occuper de ses responsabilités syndicales. Il lui appartient donc de répartir son temps convenablement et de voir à satisfaire à ses obligations. » Bref, dit-elle, la plaignante ne pouvait être à deux endroits à la fois. C'est également le cas ici.

[65]    Le facteur qui semble avoir désavantagé M. Lamarche dans le processus de dotation est selon lui, le fait « de ne pas être disponible compte tenu que j'occupe un poste national au syndicat. » Doit-on alors conclure à discrimination?

[66]    Afin d'être en mesure de déterminer s'il y a eu effectivement illégalité en vertu de la LRTFP, je me dois d'examiner les critères de sélection utilisés, les qualifications des personnes impliquées et les circonstances entourant le processus de dotation dans le but de rechercher des indices de discrimination.

[67]    La Commission a adopté depuis longtemps, par la voix de son président de l'époque, M. Finkelman, un test pour obtenir gain de cause dans une telle affaire (Gennings et Milani (dossier de la CRTFP 161-2-87) (QL)). Ainsi, le plaignant doit prouver :

i) qu'on a pris une mesure discriminatoire à son égard en ce qui concerne son emploi ou une de ses conditions de travail;

ii) que la mesure discriminatoire a été prise parce qu'(il) était membre d'une association d'employés ou qu'(il) exerçait un droit en vertu de la Loi; et

iii) que la mesure discriminatoire a été prise par la personne nommée dans la plainte comme défendeur.

[68]    Il s'agit donc de déterminer si ces trois éléments sont présents dans le présent dossier. J'aborderai également la question de la preuve de l'animus anti-syndical.

i)      Mesure discriminatoire

[69]    Le plaignant soulève deux facteurs qui feraient preuve de discrimination à son égard, soit les critères de sélection et le processus de dotation adopté. Examinons d'abord ces deux éléments en ce qu'ils pourraient constituer une mesure discriminatoire contre le plaignant.

[70]    Le dictionnaire du droit Black's Law Dictionary définit la discrimination en ces termes :

(...) A failure to treat all persons equally where no reasonable distinction can be found between those favored and those not favored.

[71]    La preuve a révélé que cinq candidats ont été considérés : MM. Blais et Charpentier et Mmes Lemieux et Rouleau ainsi que le plaignant, M. Lamarche. L'organigramme (P-1) et la preuve révèlent également que MM. Blais et Charpentier ne sont pas membres de la Division des appels au moment du processus de nomination intérimaire du mois de juin, et qu'ils n'ont donc pas non plus l'expérience récente requise.

[72]    On ne peut donc conclure que le fait d'avoir adopté le critère de l'expérience récente visait à disqualifier M. Lamarche et avait un effet discriminatoire contre lui, puisqu'il avait aussi pour effet de disqualifier deux autres candidats qui, à ma connaissance, n'ont pas un rôle auprès du syndicat. Au contraire, cet élément corrobore les explications de M. Marceau qui cherchait quelqu'un qui était familier avec les opérations et les programmes et qui serait en mesure d'assurer l'intérimaire rapidement et jusqu'au résultat du concours.

[73]    Ainsi, la légitimité des critères sélectionnés, ne me paraît pas en elle-même en question selon la preuve faite. De plus, il est reconnu par la loi que ceux-ci sont du ressort de l'employeur. L'article 7 de la LRTFP prévoit que :

La présente loi n'a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l'autorité de l'employeur quant à l'organisation de la fonction publique, à l'attribution des fonctions aux postes et à la classification de ces derniers.

[74]    Quant au processus adopté, c'est-à-dire une première nomination sans concours suivi d'une nomination intérimaire par concours pour la balance de deux ans d'absence de M. Fontaine, il n'avait pas non plus, selon la preuve, d'effet discriminatoire sur le plaignant en faveur des autres candidats. Tous ont été soumis au même processus. Il s'agit d'une décision qui a été prise sur les recommandations des gens des ressources humaines sans égard aux candidats. C'est une décision prise quant à l'organisation du travail en vertu de l'article 7; elle est bien du ressort de l'employeur. M. Lamarche a d'ailleurs participé à ce concours subséquent avant de l'abandonner.

[75]    Ainsi, sur la question à savoir si, en soi, les critères et le processus utilisés ont eu pour effet de créer une discrimination envers M. Lamarche, je dois répondre que la preuve n'a pas été faite de cet égard.

[76]    Là ne s'arrête cependant pas l'examen de la question. M. Lamarche soutient que ces facteurs, et plus particulièrement celui de l'expérience récente, ont été un prétexte pour l'écarter intentionnellement du poste. Selon le libellé de sa plainte, le facteur ayant joué au détriment de M. Lamarche serait celui de son manque de disponibilité. De ce fait il aurait un manque d'expérience récente des programmes de la Division des appels. Les critères auraient donc été choisis délibérément de manière à l'éliminer de la compétition ou ne pas le considérer pour le poste parce qu'il exerce des activités syndicales créant ainsi une distinction injuste fondée sur son appartenance syndicale et sur l'exercice de ses activités à titre de président national. Il est alors question de la deuxième partie du test Finkelman.

ii)      Lien de causalité

[77]    Pour conclure à une discrimination en vertu de l'article 8 de la LRTFP, il doit y avoir preuve d'un lien causal selon le test de M. Finkelman.

[78]    Le témoignage de Mme Bouchard à l'effet que M. Fontaine lui aurait dit que M. Lamarche n'a pas été considéré pour le poste à cause de ses activités syndicales m'a beaucoup troublée. M. Lamarche relate ensuite sa rencontre avec M. Fontaine. Il décrit avoir eu à lui déclarer son intérêt dans le poste et avoir eu comme réponse qu'il n'avait pas été considéré puisqu'il était occupé avec le syndicat. M. Fontaine n'a pas témoigné et M. Lamarche a abandonné sa plainte contre lui. Je ne ferai donc aucun autre commentaire sur cet aspect du dossier.

[79]    Toutefois, la preuve écrite démontre que suite à cette rencontre le nom de M. Lamarche s'est retrouvé sur la liste des candidats, tel qu'on peut le constater du courrier électronique du 6 juin expédié par M. Fontaine (pièce P-5). Ceci me porte à croire que la conversation qu'a eue M. Lamarche avec M. Fontaine a porté fruit.

[80]    Dans son témoignage, Mme Bouchard fait également état de sa conversation avec M. Marceau suite à l'annonce de la décision le 6 juin. M. Marceau lui aurait dit que la candidature de M. Lamarche n'aurait pas été prise en considération puisqu'il était occupé à des activités syndicales, ce que nie M. Marceau. Ce dernier témoigne à l'effet que la candidature de M. Lamarche a été considérée mais que suite aux commentaires de M. Fontaine, il a conclu que le temps passé par M. Lamarche dans la Division au cours des dernières années ne l'assurait pas de la même expérience des programmes que présentait Mme Rouleau. Selon lui, le processus décisionnel fut très rapide. Devant les qualifications de cette dernière sa candidature a été retenue en fonction des besoins opérationnels.

[81]    Encore une fois, il n'est pas de ma juridiction de déterminer qui de M. Lamarche ou de Mme Rouleau était mieux qualifié pour se mériter le poste dans les circonstances. Toutefois, les qualifications des candidats peuvent être un indice de discrimination. M. Marceau a témoigné à l'effet que la candidate choisie rencontrait les critères de sélection. Elle a occupé un poste au niveau AU-3 à Laval pendant six ans et occupait un poste aux appels à Sherbrooke depuis un an au niveau AU-2. Ceci n'a pas été contredit par le plaignant, qui a toutefois fait préciser au défendeur, en contre-interrogatoire, que l'expérience de Mme Rouleau au niveau AU-3 se situait à la vérification générale, alors que celle de M. Lamarche se situait au niveau de la Division des appels. Je ne peux me prononcer sur la valeur de ces éléments du dossier dans l'action de dotation. Il paraît tout de même, à prime abord, que la personne choisie rencontrait les critères de sélection. Il n'y a donc pas là, à mon avis, d'indice de discrimination.

[82]    Pour ce qui est de M. Lamarche, même si j'étais convaincue qu'il avait lui aussi les qualifications requises pour le poste, ce motif seul ne me permet pas de conclure à discrimination.

[83]    Toujours dans le seul cadre d'un intérim à court terme, le fait que M. Lamarche n'a pas été sélectionné pour le poste me paraît dû au fait que ses activités syndicales ne lui ont pas permis d'acquérir une expérience des programmes de la division des appels telle que selon la gestion il aurait été en mesure d'être « opérationnel » dans un très court délai. C'est donc une conséquence de ses activités syndicales. Toutefois, rien ne démontre que celles-ci sont la cause de la décision au sens interdit par la loi. En d'autres mots, ses activités syndicales l'ont privé d'une expérience qui elle l'a privé du poste. La situation serait différente s'il s'agissait du concours prévu au processus de dotation dont le titulaire devait entrer en fonction plus tard et être en fonction plus longtemps.

[84]    L'objectif et l'intention de l'article 8 de la LRTFP visent à sanctionner toute représailles, pression ou ingérence de la part de l'employeur et ses agents envers les employés qui s'impliquent dans les affaires syndicales. C'est dans ce contexte que je dois analyser la situation. Quant à moi, le lien de causalité n'est donc pas établit.

iii)      L'animus anti-syndical

[85]    La question de la preuve de l'animus anti-syndical a été soulevée par le plaignant et je me dois de m'y adresser dans un dossier de cette nature. Le plaignant a fait siens plusieurs éléments du dossier Stonehouse (supra) dont le principe qui veut que la preuve de l'animus anti-syndical n'ait pas à être faite.

[86]    La doctrine et la jurisprudence conviennent que l'animus anti-syndical peut toutefois être inféré du fait de l'impact négatif sur le plaignant, dans le cas où il n'y aurait pas une explication valide des motifs de distinction : l'Association des employé(e)s en sciences sociales et le Syndicat canadien des employés professionnels et techniques c. Frank Claydon et Tom Smith (2002 CRTFP 101).

[87]    Je note d'entrée de jeu que, dans le dossier Stonehouse (supra), il y avait aveu sans réserve par le défendeur de l'animus anti-syndical envers la plaignante. Tenant compte des principes qui y sont énoncés, ce sont les éléments de preuve dans la présente affaire qui doivent guider ma décision.

[88]    M. Marceau a nié que les activités syndicales du plaignant aient été un facteur dans sa décision. Il a affirmé que le manque de disponibilité de M. Lamarche n'avait pas été un facteur et que ce fait n'aurait rien changé à sa décision, puisque ce n'était pas un critère de sélection. Il n'y a pas dans le présent dossier de preuve directe d'animus anti-syndical. On convient toutefois qu'il est rare que le défendeur admette ce genre de chose.

[89]    Il y a un impact sur le plaignant. Toutefois, il est important de le reconnaître dans le cadre plus restreint de la présente plainte et non dans le cadre d'une allégation de discrimination sur la base du concours subséquent et de la nomination à plus long terme comme semblait le faire le plaignant.

[90]    Le défendeur a fourni une explication valide de ses gestes et décisions et je ne peux inférer d'animus anti-syndical de sa part ni à l'égard de M. Lamarche personnellement, ni à l'égard du fait qu'il était impliqué dans les affaires syndicales. Sa version des faits se conjugue avec l'ensemble de la preuve (Faryna c. Chorny (supra)).

[91]    Les événements soulevés en contre-interrogatoire concernant l'expérience passée du défendeur relativement à son refus d'appartenance au syndicat et relatifs à son rôle dans le processus d'évaluation annuelle d'un employé membre du syndicat, ont peu de pertinence en regard de la présente affaire. Ces événements qui se voulaient similaires n'ont pas de lien direct avec le plaignant et les événements de mai et juin 2002 sous étude (Yves Ouellette, Les tribunaux administratifs au Canada, Les Éditions Thémis, 1997, p. 298). Après avoir revue la preuve et analysé le dossier, j'en viens à la conclusion que même si l'objection n'avait pas été maintenue sur la question de l'évaluation de travail passée, j'en serais venu à la même conclusion.

[92]    M. Lamarche a lui-même admit que le poste exigeait de lui une disponibilité telle qu'il devait « avoir à prendre des décisions » sur son implication syndicale. Il est clair que ses responsabilités et obligations à titre de président national représentent un investissement de temps important. Ce facteur était connu de M. Marceau et reconnu comme conséquence de son implication syndicale. Bien qu'on ait constaté l'impact de ces activités sur son travail, on ne lui a pas fait de reproches sur sa productivité ou sa présence au bureau.

[93]    Le plaignant reproche à MM. Marceau et Fontaine de ne pas l'avoir consulté à ce sujet. Aurait-on pu alors reprocher à ceux-ci ingérence dans les affaires syndicales? Le défendeur a pris pour acquis le choix du plaignant de s'impliquer auprès du syndicat. La nature de la décision à prendre ne justifiait pas nécessairement cette consultation. De bonnes relations de travail seraient toutefois favorisées par ce genre de pratique. Quant à la décision à long terme, M. Marceau dit avoir discuté avec M. Lamarche de sa participation au concours de l'automne. Que le poste intérimaire à court terme ne lui ait pas été accordé en raison d'une expérience insuffisante des programmes courants, conséquemment au choix qu'il a fait de s'occuper d'affaires syndicales n'est pas à mon avis un motif de discrimination en raison de son implication dans les affaires syndicales au sens de la loi.

iv)      Le défendeur est-il celui qui a posé le geste?

[94]    Bien que l'analyse et les conclusions déjà énoncées ne requièrent pas l'étude de cette question, je me permettrai quelques commentaires. Le témoignage de Mme Bouchard est à l'effet que M. Fontaine n'avait pas considéré la possibilité que M. Lamarche soit intéressé au poste. M. Lamarche a fait part à ce dernier de son intérêt pour le poste, de sa propre initiative. À partir de ce moment, et suite à l'explication que lui aurait donnée M. Fontaine, la preuve démontre que la candidature de M. Lamarche a été ajoutée à la liste des personnes intéressées. Le processus d'avis d'intérêt aurait été fait sur l'initiative de M. Fontaine. M. Marceau s'est dit avoir été inconfortable avec cette façon de faire et s'être fié aux commentaires de M. Fontaine sur les candidats. La preuve contre le défendeur est donc plutôt faible.

[95]    En conclusion, le plaignant avait le fardeau d'établir de manière prépondérante que ses activités syndicales ont influencé la décision du défendeur. Il devait également établir un lien de causalité entre la distinction faite à son égard, s'il en est, et la décision prise. En conclusion, et après avoir examiné soigneusement les éléments de preuve pertinents, le témoignage troublant de Mme Bouchard, les circonstances et les explications fournies par le défendeur, je ne peux conclure que la preuve a été faite que le plaignant a été victime, de la part du défendeur, de distinctions injustes fondées sur ses activités syndicales.

[96]    Quant au remède, cette question n'a pas à être déterminée puisque la violation d'une interdiction prévue à la LRTFP n'a pas été prouvée.

[97]    La plainte est donc rejetée.

Sylvie Matteau,
présidente suppléante

OTTAWA, le 26 avril 2004.

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