Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Plainte fondée sur l'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) - Devoir de représentation juste - Règlement de griefs par l'agent négociateur contre la volonté des membres et sans avis préalable aux fonctionnaires s'estimant lésés - Conflit d'intérêt - Pouvoir de conclure une entente - Contournement du processus de règlement des griefs - Limite du paiement rétroactif à 25 jours avant le dépôt du grief - les plaignants ont déposé des griefs à l'égard de la nouvelle politique de l'employeur concernant les heures de travail - les griefs ont été renvoyés à l'arbitrage par le syndicat prédécesseur; la question concernant la politique a été résolue, mais pas celle de la rémunération - le défendeur a pris en charge les griefs des plaignants et a réglé la question de la rémunération - les plaignants ont soutenu que le règlement comme tel et la manière dont il a été conclu allaient à l'encontre du devoir de représentation juste de l'agent négociateur prévu au paragraphe 10(2) de la LRTFP - les plaignants ont prétendu que le défendeur avait agi sournoisement et de mauvaise foi pour conclure l'entente - les fonctionnaires s'estimant lésés n'avaient pas été informés de l'intention de l'agent négociateur de conclure une entente et ils n'ont pas eu non plus la possibilité de la ratifier - de plus, ils ont fait valoir que le représentant syndical qui a conclu l'entente (et qui était également un fonctionnaire s'estimant lésé) était en conflit d'intérêt et qu'il aurait donc dû se récuser comme négociateur - la Commission a statué que la LRTFP ne prévoyait pas d'accès illimité à l'arbitrage quand les fonctionnaires présentaient des griefs fondés sur leur convention collective et qu'il fallait l'appui de l'agent négociateur pour porter en arbitrage des affaires relatives à l'interprétation d'un contrat - selon la Commission, le fait que l'agent négociateur n'avait pas obtenu de chaque fonctionnaire s'estimant lésé le retrait officiel de son grief ne constituait pas un manquement à son devoir de représentation juste, étant donné que les agents négociateurs et leurs représentants disposent d'une grande marge de manoeuvre lorsqu'il s'agit de régler les griefs - la Commission a invoqué l'affaire Coallier qui fournit une base raisonnable pour arriver à la conclusion de l'agent négociateur de limiter le dédommagement financier à 25 jours avant le dépôt des griefs - la Commission a conclu que, dans les circonstances, le fait que le syndicat n'avait pas communiqué avec tous les fonctionnaires s'estimant lésés avant de conclure une entente de règlement des griefs ne constituait pas un manquement à son devoir de représentation juste - la Commission a indiqué qu'il n'existait pas de règles sur le palier auquel un grief pouvait être réglé et qu'il n'y avait rien de répréhensible au fait que l'agent négociateur ait réglé l'affaire au niveau local après avoir essuyé un refus au niveau national - la Commission a conclu qu'il n'y avait pas de conflit d'intérêt, car le représentant syndical n'avait bénéficié d'aucun traitement préférentiel dans le règlement et qu'il n'y avait pas d'indice d'un conflit quelconque - la Commission a statué que le représentant était habilité à participer aux griefs car il avait l'approbation de l'agent négociateur - l'arbitre a statué que la demande de dommages-intérêts était sans fondement et qu'il s'agissait essentiellement d'une demande de frais; or, la LRTFP n'autorise la Commission à ordonner à quiconque d'assumer des frais. Plainte rejetée. Décisions citées :Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S 509; Richard et Alliance de la Fonction publique du Canada (2000 CRTFP 61); Lipscomb et Alliance de la Fonction publique du Canada (2000 CRTFP 66); Coallier c. Procureur général, [1983] A.C.F. No 813 (QL); Brideau et BRAC (1986), 12 CLRBR (N.S.) 245 (CCRT).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2003-10-28
  • Dossier:  161-2-1245
  • Référence:  2003 CRTFP 98

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

KEITH NOWEN, LINDA TRUEMAN, DANIEL BOYD, HAROLD CARSON,
MARY ANN CLAYTON, GREG HARSCH, DENNIS NERIUOKA, KELLY
TURNER, ROBERT WINTERS, WILLIAM CRIST ET LEAH WILE

plaignants

et

UCCO-SACC-CSN
défendeur

AFFAIRE : Plainte fondée sur l'article 23 de la Loi sur les
                 relations de travail dans la fonction publique

Devant :   Ian R. Mackenzie, commissaire

Pour les plaignants :   Keith Nowen, plaignant

Pour le défendeur :   John Mancini, UCCO-SACC-CSN


Affaire entendue à Calgary (Alberta),
le 23 juillet 2003.


[1]    Keith Nowen et ses collègues ont déposé une plainte en vertu de l'alinéa 23(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) contre l'UCCO-SACC-CSN, plainte visant particulièrement John Beauchamp, représentant régional des Prairies de ce syndicat et Robert Clarke, représentant en matière de santé et de sécurité de la section locale du syndicat de l'établissement de Bowden. La plainte concerne des griefs déposés au début de février 1999 et portés à l'arbitrage le 3 mai 2000 par le prédécesseur de l'UCCO-SACC-CSN, Syndicat des employés du Solliciteur général (SESG), qui faisait partie de l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). Le 25 octobre 2002, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) a été informée par l'UCCO-SACC (CSN Prairies), qu'une entente avait été conclue avec l'employeur, et que l'audience qui devait avoir lieu la semaine suivante devait être annulée. Les plaignant allèguent que tant la façon dont cette entente a été conclue que l'entente elle-même sont incompatibles avec le devoir de représentation juste de l'agent négociateur, aux termes du paragraphe 10(2) de la LRTFP.

[2]    Les plaignants demandent que la Commission rende une décision déclarant ce qui suit :

[Traduction]

  1. Que M. John Beauchamp était en conflit d'intérêts quand il a entrepris des négociations financières en vue de régler les griefs sur l'horaire de travail à l'administration centrale de la Région des Prairies, le 24 octobre 2002.
  2. Que M. Robert Clarke n'est pas reconnu comme agent négociateur autorisé et qu'il n'avait aucun droit légal de représenter les plaignants ni de conclure une entente financière à leur égard.
  3. Que l'entente financière de 611,52 $ conclue entre les parties à leur rencontre à l'administration centrale de la Région des Prairies le 24 octobre 2002 est nulle et non avenue.
  4. Que la conduite de MM. John Beauchamp et Robert Clarke a été arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi quant à la représentation des employés de l'établissement de Bowden.
  5. Que la liste annexée des noms des fonctionnaires (ceux qui déclarent avoir présenté des griefs en 1999) soit jointe à celle des 24 fonctionnaires s'estimant lésés en cause.
  6. Qu'une audience d'arbitrage soit tenue dans les trente jours de la réception de la présente plainte.
  7. Que les agents de correction (CX 01, CX 02 et CX 03) au service de l'établissement de Bowden avant 1999 bénéficient de toutes les ententes financières conclues à l'égard des griefs concernant l'horaire de travail.

[3]    La Commission a reçu cette plainte le 19 novembre 2002. L'employeur en a reçu une copie; dans un courriel daté du 28 janvier 2003, il a dit qu'il s'abstiendrait de tout commentaire. L'intimé a répondu à la plainte le 31 janvier 2003 :

[Traduction]

[...]

M. Beauchamp agissait à titre de conseiller syndical de la CSN pour la Région des Prairies. C'est à ce titre qu'il représente les membres de l'UCCO-SACC-CSN au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et lorsque les griefs sont renvoyés à l'arbitrage.

Il s'est fondé sur la jurisprudence et sur la preuve pour conclure que l'offre de l'employeur était acceptable.

M. Beauchamp a agi de bonne foi. Il ne s'est pas comporté de façon arbitraire ni discriminatoire dans sa représentation des fonctionnaires de l'établissement de Bowden en vue de régler ce grief collectif.

[...]

[4]    Les plaignants ont fait comparaître un témoin, tout comme l'intimé, après quoi les plaignants ont rappelé un témoin en réplique.

Questions préliminaires

[5]    John Mancini, représentant de l'intimé, a soulevé plusieurs questions préliminaires quant à la compétence de la Commission ainsi qu'au statut de M. Nowen comme représentant des plaignants. Je me suis prononcé sur certaines de ces questions à l'audience et j'ai réservé ma décision sur les autres.

[6]    M. Mancini a déclaré que la Commission n'a pas compétence pour entendre la plainte étant donné que les plaignants ont accepté et encaissé les chèques que l'employeur leur a délivrés en règlement du grief, de sorte que le principe de préclusion leur interdit de porter plainte. J'ai jugé que ce principe ne s'applique pas en l'espèce puisqu'il ne s'agit pas d'un conflit avec l'employeur, mais plutôt avec l'agent négociateur. L'acceptation d'un règlement avec l'employeur n'empêche donc pas les fonctionnaires s'estimant lésés de porter plainte contre l'agent négociateur.

[7]    M. Mancini a fait valoir aussi que M. Nowen n'avait pas compétence pour représenter qui que ce soit sauf lui-même et les deux autres plaignants qui étaient présents à l'audience (Daniel Boyd et Linda Trueman). Selon lui, cette plainte est une vengeance personnelle pour M. Nowen, qui n'a aucun appui à cet égard dans l'unité de négociation, à part le sien et celui des deux autres plaignants qui étaient à l'audience.

[8]    M. Nowen a déclaré qu'il aurait aimé que les 24 fonctionnaires s'estimant lésés en cause assistent tous à l'audience, mais que la direction avait refusé d'accorder un congé à beaucoup de ceux qui voulaient s'y présenter.

[9]    J'ai conclu que la plainte était signée et que, à moins qu'on ne prouve le contraire, il fallait partir du principe que ceux qui l'avaient signée continuaient à y souscrire comme plaignants. J'ai aussi déclaré que la question de savoir qui peut être considéré à juste titre comme un plaignant en l'espèce pourrait être débattue davantage dans les arguments finals des parties, puisqu'il n'était pas indispensable de la trancher pour que l'audience puisse se poursuivre. M. Mancini n'a rien produit en preuve pendant l'audience pour démontrer que des signataires de la plainte avaient cessé d'y souscrire ou retiré leur appui à M. Nowen pour les représenter. Il s'ensuit que toutes les personnes qui avaient signé la plainte au départ doivent être considérées comme des plaignants.

[10]    La plainte contenait une deuxième liste des noms et des signatures des fonctionnaires s'estimant lésés qui avaient signé des griefs en 1999, mais dont les griefs n'avaient pas été portés au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. À la lecture de la plainte, il est impossible de déterminer si ces personnes y souscrivent ou non. Bien qu'il soit raisonnable de penser que leur signature était incluse dans la plainte pour témoigner qu'ils en étaient solidaires, la LRTFP exige une preuve directe explicite pour qu'on puisse conclure qu'une plainte est appuyée. Par conséquent, les personnes dont la signature figure dans la deuxième liste ne sont pas considérées comme des plaignants en l'espèce.

[11]    M. Mancini a fait valoir qu'on ne sait pas très bien ce que les plaignants cherchaient à obtenir dans cette affaire. Selon lui, M. Nowen voudrait un règlement pour une période rétroactive plus longue que les 25 jours prévus par la convention collective, et c'est clairement impossible. M. Nowen a maintenu pour sa part que les plaignants se rendent compte que je ne peux pas me prononcer sur le fond des griefs et qu'ils auraient voulu faire rouvrir la procédure de règlement des griefs. J'ai déclaré aux parties que l'interprétation de la période maximale de 25 jours et le caractère raisonnable du règlement des griefs sont le point focal de la plainte et qu'il faut des preuves pour rendre une décision là-dessus. Par conséquent, j'ai ajouté que je ne pouvais pas me prononcer dans une décision préliminaire.

[12]    M. Mancini a maintenu que la Commission ne rend pas de décisions déclaratoires et que je ne pouvais pas en rendre une que M. Beauchamp avait un conflit d'intérêts. Néanmoins, il a déclaré que je pourrais arriver à la conclusion factuelle qu'il a agi en situation de conflit d'intérêts. Selon lui, des raisons de principe devraient pourtant m'empêcher d'arriver à cette conclusion. Il a avancé le même argument au sujet de la demande des plaignants en ce qui concerne le rôle de M. Clarke. M. Nowen n'a pas contesté que la Commission n'a pas le pouvoir de rendre des décisions déclaratoires. J'ai fait savoir aux parties que j'étais libre de me prononcer sur ces questions dans le contexte de ma conclusion globale sur le fond de la plainte, en précisant aussi que les raisons de principe qui m'empêcheraient d'arriver à de telles conclusions sur les faits devraient être invoquées dans les arguments finals.

[13]    M. Nowen a reconnu que la demande de tenue d'une audience d'arbitrage n'avait plus sa raison d'être puisque l'audience sur la plainte avait commencé.

[14]    M. Mancini a déclaré que l'agent négociateur allait réclamer des dommages-intérêts aux plaignants présents à l'audience, parce que la plainte était frivole. Je lui ai rappelé que la compétence de la Commission pour accorder des dommages-intérêts ou les dépens est limitée, à mon avis, et j'ai aussi informé les parties que la question des dommages-intérêts devrait elle aussi être discutée dans les arguments finals.

[15]    Enfin, M. Mancini a fait valoir que l'UCCO-SACC-CSN n'était pas l'agent négociateur quand les griefs ont été déposés. J'ai jugé que les questions qui avaient été soulevées avant qu'il ne devienne l'agent négociateur pourraient être introduites en preuve seulement pour situer le contexte du règlement des griefs. L'AFPC n'est pas intimée; la représentation qu'elle a assurée n'est pas en cause ici.

Preuve

[16]    Selon Jean Beauchamp, conseiller de la CSN dans la Région des Prairies, un ancien représentant syndical à l'établissement de Bowden, les griefs dont il est question ici remontent à janvier 1999, quand la nouvelle direction de l'établissement a changé une politique sur l'horaire de travail qui était établie depuis longtemps. Ce changement a incité la plupart des CX de Bowden à présenter des griefs. D'après Daniel Boyd, un des plaignants qui est aussi l'un des fonctionnaires s'estimant lésés, le problème de l'horaire de travail a commencé le 25 juin 1998.

[17]    Le grief de Keith Nowen (pièce C-1) est formulé de la même façon que tous ceux qui ont été déposés dans ce contexte :

[Traduction]

Je conteste la politique de la direction de l'établissement de Bowden qui impose aux CX1 et aux CX2 un horaire dans lequel le quart de jour est de 8½ heures. Les heures additionnelles qui s'accumulent à cause de cette politique dépassent de loin les dispositions sur l'horaire de travail de la convention collective. Les articles de la convention collective (convention cadre et convention collective des CX) enfreints sont les suivants : clause 21.02a)(i) : les employés travaillant par quarts sont tenus de travailler en moyenne 37½ heures par semaine; 21.02a)(ii) : les employés travaillant par quarts sont tenus d'être de service 8 heures par quart. La clause 21.07 prévoit que ces employés doivent être autorisés à s'absenter de leur poste pour une pause-repas raisonnable à chaque quart. La clause 21.13 stipule qu'ils ont droit à des heures supplémentaires pour tout le temps travaillé au-delà de 8 heures par quart. Enfin, la clause 21.15 précise que les heures supplémentaires sont payées au taux applicable pour chaque tranche de 15 minutes supplémentaires travaillée.

REDRESSEMENT RÉCLAMÉ

Que cette politique prévoyant un quart de jour de 8½ heures soit annulée immédiatement et que toutes les heures supplémentaires accumulées depuis sa mise en oeuvre (le 25 juin 1998) soient rémunérées au taux applicable.

[18]    Les griefs ont été rejetés à tous les paliers; l'employeur a donné sa réponse finale au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 20 avril 2000. Sa réponse au grief de M. Nowen a été déposée en preuve (pièce C-1); elle se termine comme suit :

[Traduction]

[...]

Après avoir soigneusement étudié la question, j'ai conclu que votre quart de jour est de huit heures, réparties sur une période de huit heures et demie (8½) dont une demi-heure (½) pour la pause-repas au cours de laquelle vous n'êtes pas tenu de travailler. Par conséquent, vous n'avez pas le droit d'être rémunéré pour votre pause-repas d'une demi-heure.

Nous avons aussi soigneusement analysé les dispositions de la convention collective et conclu que l'Établissement n'a contrevenu à aucune de ses dispositions pertinentes.

[19]    Le 4 avril 2000, Michel Charbonneau a écrit à M. Beauchamp au nom de l'agent négociateur du groupe CX à l'époque (SESG, AFPC), pour préparer le terrain en vue d'un éventuel renvoi de ces griefs à l'arbitrage (pièce C-1). Aucune décision n'avait encore été prise à cet effet, mais M. Charbonneau a soulevé une difficulté dans le contexte de ces griefs :

[Traduction]

[...]

À mon humble avis, ces griefs sont fondés, mais il est très possible que la direction locale souhaite discuter davantage de la question avec vous après mon intervention. On a dit dans la rencontre sur le grief que la pratique d'offrir un repas gratuit aux employés à l'heure du déjeuner avait pour but de faire en sorte qu'ils soient à l'établissement pendant ce temps en cas d'urgence. C'est une pratique de longue date, à laquelle les membres du SESG de tout le pays souscrivent; nous l'avons même invoquée avec succès pour empêcher le SCC de cesser d'offrir ce « déjeuner gratuit ». Les griefs menacent carrément cette pratique de l'employeur d'offrir un repas « gratuit » aux employés, dans l'éventualité où ils décideraient de quitter l'établissement pour leur pause-repas d'une demi-heure, pourvu que l'employeur leur en donne l'autorisation. Si les employés n'étaient pas autorisés à quitter l'établissement, l'employeur les garderait « captifs » et devrait par conséquent leur payer la pause, comme si c'était du temps passé à travailler. Parallèlement, l'employeur pourrait décider de ne plus offrir de « repas gratuit » ou exiger que les employés payent leur repas et, comme le « repas gratuit » n'est pas garanti par la convention collective, il pourrait informer les employés qu'il veut mettre fin à cette pratique. Cela ne veut absolument pas dire que nous n'appuierons pas les griefs tels que présentés, mais nous devons nous rappeler qu'une pratique établie vaut autant qu'une convention collective, jusqu'à ce que les parties déclarent leur intention d'y mettre fin.

Avant que les 23 fonctionnaires s'estimant lésés ne renvoient leur formule 14 au Bureau national, je vais proposer que la situation soit réévaluée par les membres de la section locale de Bowden parce qu'elle pourrait menacer une pratique avantageuse pour la majorité des employés.

[...]

[20]    M. Beauchamp a témoigné que les craintes exprimées dans cette lettre restaient entières au moment où les griefs ont été réglés.

[21]    Les fonctionnaires s'estimant lésés ont rempli leurs formules de renvoi à l'arbitrage vers le 3 mai 2000 (pièce C-1); l'AFPC a consenti au renvoi.

[22]    À la séance de médiation organisée le 4 octobre 2000, le problème de la politique sur l'horaire de travail a été réglé (pièce C-4). Toutefois, celui du paiement des heures supplémentaires accumulées par les fonctionnaires s'estimant lésés n'a pas été résolu.

[23]    Le 31 mars 2001, l'UCCO-SACC-CSN a été accrédité comme agent négociateur des CX.

[24]    Le 26 juin 2002, le président de la section locale de l'établissement de Bowden a envoyé un courriel aux fonctionnaires s'estimant lésés pour proposer un règlement de leurs griefs :

[Traduction]

Bonjour à tous!

Votre grief au sujet de l'horaire de travail s'est rendu au quatrième palier, où l'employeur a décidé de verser 750 $ à tous ceux et celles qui ont porté leur grief à ce palier. L'employeur estime que la situation a duré environ quatre mois, et que vous avez travaillé environ 30 heures supplémentaires durant cette période. On m'a demandé de me renseigner auprès de chacun et chacune d'entre vous pour savoir si vous accepteriez ce règlement. Ce n'est pas une décision conjointe. Si vous décidez d'accepter les 750 $, on vous les paiera; par contre, si vous décidez de ne pas les accepter, l'offre de l'employeur sera retirée.

Veuillez me faire connaître le plus tôt possible votre décision personnelle.

[25]    M. Boyd a témoigné que cette offre n'avait pas été acceptée par les fonctionnaires s'estimant lésés; il est allégué dans la plainte que la majorité d'entre eux l'ont rejetée.

[26]    Les griefs devaient être entendus par la Commission les 29 et 30 octobre 2002, à Calgary. M. Beauchamp a témoigné que des représentants du Conseil du Trésor avaient proposé qu'on entame des discussions avant l'audience en vue d'un règlement. Avant que les parties se réunissent pour ces discussions, on a rédigé un document précisant les principes de base du règlement éventuel (pièce R-2) :

[Traduction]

  1. Déterminer d'un commun accord les noms des employés;
  2. Déterminer d'un commun accord la période pertinente;
  3. Analyser les renseignements relatifs au nombre d'agents qui auraient pu être autorisés à quitter l'établissement pour le déjeuner s'ils l'avaient demandé, établir une moyenne, puis un pourcentage;
  4. Décider si le calcul devait être individuel ou s'il faudrait établir une moyenne par employé.

[27]    M. Clarke, représentant du syndicat à l'établissement de Bowden, a été choisi par la section locale pour participer aux discussions en vue de ce règlement, d'après M. Beauchamp.

[28]    M. Beauchamp a témoigné que les employés dont les griefs étaient maintenus ont été informés des discussions qui allaient avoir lieu pour régler leurs griefs. Il a ajouté que M. Clarke l'avait informé que 14 des 24 fonctionnaires s'estimant lésés savaient à l'avance que les discussions allaient avoir lieu (pièce R-3), et que les employés qui étaient à l'établissement le 14 octobre 2002 avaient aussi été informés de la démarche envisagée pour régler le problème, à partir des principes de la pièce R-2.

[29]    Le 23 octobre 2002, MM. Beauchamp et Clarke ont rencontré Bonnie Davenport, chef régionale par intérim des Relations de travail de la Région des Prairies, ainsi que Dianne Bird, une autre représentante de la direction. Les parties ont conclu une entente selon laquelle les fonctionnaires s'estimant lésés accepteraient de retirer leurs griefs en échange d'une somme de 611,52 $ chacun (pièce R-7). Les parties ont aussi convenu que l'entente se ferait [traduction] « sans publicité ». L'entente a été signée par Mmes Davenport et Bird au nom du Ministère, ainsi que par MM. Beauchamp et Clarke pour l'UCCO-SACC-CSN.

[30]    M. Beauchamp a déclaré que le montant du règlement avait été calculé en revenant 25 jours en arrière à partir de la date de présentation du premier grief. Le taux de rémunération le plus élevé des fonctionnaires s'estimant lésés a ensuite servi de base pour le calcul du versement moyen, en fonction du nombre total de quarts de jour travaillés du 18 janvier au 31 mai 1999 (pièce R-6). M. Boyd a témoigné qu'il ne savait pas pourquoi on avait choisi de s'arrêter au 31 mai 1999, et qu'on ne lui a jamais expliqué clairement ce qui avait motivé ce choix. Il a aussi déclaré que les fonctionnaires s'estimant lésés s'attendaient globalement à recevoir plus d'argent à l'arbitrage. En contre-interrogatoire, il a dit qu'il n'avait jamais calculé la somme qu'il croyait lui être due, mais qu'il estimait qu'elle serait de 1 000 $ à 1 500 $. Il a aussi déclaré que l'agent négociateur n'avait jamais rien mis par écrit pour expliquer la raison et le calcul du montant du règlement. Selon lui, quand il a reçu son chèque, il a déclaré à M. Clarke que bien des gens seraient mécontents du règlement.

[31]    M. Beauchamp a témoigné que, puisqu'il avait été convenu que le règlement se ferait « sans publicité », l'agent négociateur ne pouvait rien afficher sur les tableaux d'affichage à ce sujet. Il a déclaré que, à sa connaissance, M. Clarke avait informé tous les fonctionnaires s'estimant lésés du règlement.

[32]    Le 25 octobre 2002, la Commission a reçu une lettre du Bureau des Prairies de la CSN l'informant qu'une entente avait été conclue avec l'employeur et que l'audience prévue pouvait donc être annulée.

Arguments

Pour les plaignants

[33]    En plus d'avoir plaidé à l'audience, M. Nowen a invoqué les arguments avancés dans sa plainte, qui figure au dossier de la Commission. Le résumé suivant des arguments des plaignants comprend des points soulevés dans la plainte écrite et présentés de vive voix.

[34]    M. Nowen a déclaré que MM. Beauchamp et Clarke avaient agi sournoisement et de mauvaise foi pour conclure l'entente. Les fonctionnaires s'estimant lésés n'avaient pas été informés de leurs intentions et n'ont pas eu non plus la possibilité de ratifier l'entente ni d'opter pour la présentation de leurs griefs à l'audience d'arbitrage.

[35]    M. Nowen a aussi affirmé que M. Beauchamp était en conflit d'intérêts quand il s'est rendu à l'administration centrale de la Région des Prairies pour négocier un règlement des 24 griefs. Il était lui-même un des fonctionnaires s'estimant lésés : il aurait donc dû se récuser comme négociateur. D'après les plaignants, M. Beauchamp avait un intérêt personnel pour régler les griefs sur l'horaire de travail en s'entendant sur des conditions financières avantageuses pour la direction. M. Nowen a aussi fait valoir que M. Clarke n'aurait pas dû participer aux négociations puisqu'il n'avait pas qualité pour y assister, ni pour conclure des ententes financières.

[36]    M. Beauchamp aurait dû être conscient des attentes des fonctionnaires s'estimant lésés, qui estimaient avoir le droit d'être rémunérés pour les heures supplémentaires travaillées, comme ils l'avaient déclaré dans le redressement demandé pour leurs griefs (depuis le 25 juin 1998). M. Beauchamp aurait dû savoir que le règlement final de 611,53 $ était de loin inférieur au paiement attendu.

[37]    M. Nowen a contesté l'entente signée par l'agent négociateur et par la direction le 23 octobre en disant que M. Clarke n'était pas accrédité comme agent négociateur. Il a aussi contesté le fait que la signature du sous-commissaire n'apparaissait pas sur le document.

[38]    En outre, M. Nowen a maintenu que M. Beauchamp avait contourné la procédure de règlement des griefs en reprenant la négociation au troisième palier après que les griefs eurent été présentés et rejetés au quatrième et dernier palier.

[39]    Qui plus est, M. Nowen a déclaré que le courriel de M. Clarke (pièce R-3) n'était pas fiable parce que c'était du ouï-dire et qu'il avait été rédigé en janvier 2003, soit longtemps après les événements pertinents. Il a contesté le passage du courriel où il est écrit que certains des fonctionnaires s'estimant lésés avaient été informés des discussions en vue du règlement de leurs griefs. Il a déclaré que la mention dans le courriel d'une discussion entre M. Winkler et lui-même était totalement fausse.

[40]    En ce qui concerne l'interprétation de la clause 20.10 de la convention collective, M. Nowen a soutenu que l'agent négociateur avait tort. Il a déclaré que cette clause précise seulement qu'un employé a 25 jours à compter de la date à laquelle il sait que quelque chose de contestable s'est passé pour présenter un grief, et que cela ne signifie pas qu'on peut remonter en arrière de 25 jours seulement pour calculer le redressement justifié.

[41]    Les plaignants ont déclaré que le règlement aurait dû être proposé aux syndiqués pour qu'ils l'approuvent, comme l'offre antérieure de l'employeur l'avait été.

[42]    M. Nowen a conclu en me demandant d'accéder aux demandes énumérées dans la plainte, y compris l'annulation du règlement et la tenue d'une nouvelle audience où les griefs seraient entendus.

Pour l'intimé

[43]    M. Mancini a déclaré que, dans le contexte d'une plainte fondée sur le paragraphe 10(2) de la LRTFP, les plaignants doivent s'acquitter d'une lourde charge de la preuve, puisqu'il leur faut démontrer que MM. Beauchamp et Clarke ainsi que l'agent négociateur ont agi de mauvaise foi, de manière arbitraire ou de façon discriminatoire. Selon lui, les plaignants ne se sont pas acquittés de cette charge.

[44]    M. Mancini a déclaré que, même si l'interprétation de la convention collective que les plaignants ont avancée était fondée et que si les griefs l'étaient aussi, les plaignants devraient démontrer que l'agent négociateur a agi de mauvaise foi, alors que rien n'indique qu'il ait agi de la sorte. Prises collectivement, les allégations avancées dans la plainte sont soit non fondées en droit, soit révélatrices d'un manque de compréhension des procédures de négociation et des relations de travail.

[45]    M. Mancini a déclaré que M. Beauchamp n'était pas en conflit d'intérêts. À l'établissement de Bowden, tout le monde savait qu'il était le conseiller syndical. Rien dans la preuve n'a révélé que qui que ce soit à cet établissement ait soulevé des réserves quant à sa représentation. Même s'il y en avait eu, d'ailleurs, la section locale du syndicat a décidé qu'il s'occuperait du règlement des griefs. M. Beauchamp n'a pas été indûment avantagé parce qu'il est un employé, puisqu'il a touché le même règlement que tous les autres intéressés. Rien dans la preuve n'indique non plus qu'il ait tenté de profiter de son poste.

[46]    M. Mancini a déclaré que la plainte repose sur une très mauvaise compréhension de la procédure de règlement des griefs ainsi que des limites des griefs. Les plaignants veulent que les griefs remontent au moins jusqu'en 1998, mais leur interprétation ne tient tout simplement pas.

[47]    Quant à la contestation de la qualité de M. Clarke pour participer aux négociations, M. Mancini a fait valoir que c'est un dirigeant élu du syndicat et qu'il avait donc le droit d'être là. En fait, sa participation était une mesure de protection essentielle pour l'UCCO-SACC-CSN, qui exige qu'un dirigeant élu de la section locale accompagne un représentant syndical chargé de négocier une entente. Pourquoi sa présence devrait-elle alors être contestée? Qu'a-t-il fait qui puisse constituer de la mauvaise foi? Sa présence est requise par les statuts et par les règles de l'UCCO-SACC-CSN. Quand un représentant syndical négocie sans être accompagné d'un mandataire de la base, le syndicat n'a pas la transparence qu'il désire. La présence de M. Clarke à ces négociations faisait partie de son rôle.

[48]    L'allégation que M. Beauchamp aurait dû savoir ce que les fonctionnaires s'estimant lésés voulaient n'est pas fondée non plus, car le libellé d'un grief n'est pas important puisque le conseiller syndical doit se fonder sur la convention collective pour se présenter à la table de négociation avec une position crédible. Le conseiller syndical savait que la position de M. Nowen était intenable, parce qu'il estimait que la période de rétroactivité des griefs aurait dû être supérieure à 25 jours, et l'employeur le savait aussi. M. Nowen et les autres plaignants ne comprennent pas ce qui est généralement reconnu dans la jurisprudence quant aux périodes limites de la portée des dispositions des conventions collectives.

[49]    M. Mancini a aussi maintenu que les plaignants ne comprenaient pas la nature des griefs. La convention collective prévoit un quart de huit heures et demie. Avant janvier 1999, les CX ne travaillaient que huit heures, et la pause-déjeuner faisait partie de l'entente tacite avec l'employeur. En janvier 1999, trois nouveaux membres de la direction ont décidé de s'en tenir à la lettre et de forcer les agents de correction de rester à l'établissement pour toute la durée de leur quart, soit huit heures et demie. Cette nouvelle application de la convention collective a prévalu de janvier à mai 1999. À partir de mai 1999, l'arrangement antérieur a été rétabli. Le simple fait que les griefs déposés précisent ce qui était contesté ainsi que le redressement demandé ne signifie pas que les fonctionnaires s'estimant lésés ont droit à tout ce qu'ils réclament. Pendant des années, les agents avaient travaillé huit heures par quart alors que la convention collective stipulait qu'ils auraient dû travailler huit heures et demie. Le seul argument que l'agent négociateur aurait pu invoquer aurait consisté à déclarer que la pratique de l'employeur prévalait sur ce qui était clairement écrit dans la convention collective. M. Mancini a souligné qu'il n'avait jamais encore eu gain de cause en invoquant un argument comme celui-là.

[50]    Le 23 octobre 2002, l'agent négociateur a négocié une entente extrêmement avantageuse pour les fonctionnaires s'estimant lésés. En fait, elle était plus avantageuse qu'il ne s'y attendait. Les heures sur lesquelles le calcul était basé avaient été gonflées parce que les fonctionnaires s'estimant lésés n'auraient pas tous été tenus de travailler cette demi-heure supplémentaire à chaque quart. En outre, l'entente était basée sur le taux de rémunération moyen le plus élevé. L'agent négociateur n'aurait pas pu s'asseoir sérieusement à la table pour amener l'employeur à payer ces heures supplémentaires après le début de mai 1999 (quand la pratique antérieure a été rétablie) ou avant le début de janvier de cette année-là (25 jours avant la présentation du premier grief). Bref, l'entente était plus avantageuse que n'importe quel règlement qu'il aurait pu obtenir à l'arbitrage.

[51]    M. Mancini a déclaré que l'agent négociateur savait que les griefs n'avaient pas été retirés le jour où il a signé l'entente avec l'employeur (pièce R-7). Or, le règlement d'un grief à l'amiable implique immanquablement son retrait. Les membres du syndicat peuvent bien dire qu'ils ne l'accepteront pas, mais l'agent négociateur leur rend compte de ses actes tant par les mécanismes internes du syndicat que par l'intermédiaire de la Commission.

[52]    M. Mancini a aussi maintenu que la prétention de M. Nowen que la signature du sous-commissaire aurait dû figurer sur l'entente n'est pas pertinente. Il a déclaré que le pouvoir de conclure des ententes peut être délégué, et que la question de savoir s'il l'a été à juste titre n'est pas du ressort des plaignants, mais bien de l'employeur lui-même.

[53]    M. Mancini a déclaré que la pièce R-3 prouve que l'allégation figurant dans la plainte que personne n'avait été informé que les griefs allaient être discutés avec la direction n'est pas fondée. Par ailleurs, cette allégation soulève une autre question, celle de savoir jusqu'à quel point un agent négociateur doit aller vis-à-vis de ses membres quand il décide de négocier. Les plaignants semblent croire que le règlement aurait dû être mis aux voix. Pourtant, cette forme d'« ultradémocratie » n'est pas pratique. L'agent négociateur a un devoir de représentation juste et il est tenu d'expliquer à ses membres toutes les ententes qu'il conclut. Il doit leur rendre des comptes s'il agit de mauvaise foi. Néanmoins, le devoir de représentation juste n'exige pas que chaque règlement soit mis aux voix. Il y a des situations où cela peut se faire, mais, en l'occurrence, c'est de la régie interne du syndicat.

[54]    M. Mancini a déclaré que la Commission devrait imposer des dommages-intérêts aux trois plaignants qui ont assisté à l'audience. Il a précisé qu'il ne pouvait pas comptabiliser les coûts de la représentation et ceux de la participation de MM. Beauchamp et Clarke à l'audience, en ajoutant toutefois qu'ils pourraient être quantifiés. Il a fait valoir qu'il serait justifié d'imposer des dommages-intérêts parce que l'agent négociateur a tenté d'obtenir la médiation du différend. Qui plus est, M. Nowen n'a pas tenté de communiquer avec lui pour essayer de comprendre la nature du règlement. Il n'y a eu aucune tentative de communication avec les représentants de l'agent négociateur pour parler du règlement. M. Mancini a ajouté que M. Nowen n'avait pas consulté d'avocat ni de spécialiste des relations du travail, qui lui auraient dit que son interprétation était mauvaise. M. Nowen a eu l'occasion de se faire entendre et il n'aurait pas dû l'avoir aux dépens de l'agent négociateur; c'est pourquoi ce dernier réclame des dommages-intérêts.

Réplique des plaignants

[55]    M. Nowen a déclaré que les deux parties avaient refusé la médiation, de sorte qu'il ne devrait pas en être question ici.

[56]    M. Nowen a contesté la prétention de M. Mancini qu'un tiers seulement des heures étaient rémunérables, puisqu'il aurait été contraire à la politique sur la sécurité de l'établissement de Bowden de laisser un agent seul à un poste.

[57]    M. Nowen a aussi fait valoir que les commis avaient réussi à obtenir un paiement rétroactif d'équité salariale pour une période excédant 25 jours, et il a demandé pourquoi cette approche ne s'appliquerait pas en l'espèce.

[58]    Sur la question des dépens, M. Nowen a déclaré que c'est l'agent négociateur qui a toutes les ressources alors que les plaignants n'en ont pas.

[59]    M. Nowen a fait valoir que les 44 agents de correction qui avaient présenté des griefs, mais dont le nom ne figurait pas sur la liste définitive des fonctionnaires s'estimant lésés n'avaient pas été informés de la procédure d'acheminement des griefs. M. Beauchamp était le président de la section locale durant la période au cours de laquelle les griefs ont été présentés. Il aurait dû les informer des obligations que la convention collective leur imposait et leur remettre des formules de renvoi. M. Nowen a terminé en demandant que les 44 agents en question soient inclus parmi les fonctionnaires s'estimant lésés.

Réplique de l'intimé

[60]    Comme M. Nowen avait soulevé des points nouveaux dans sa réplique, j'ai permis à M. Mancini d'y répondre.

[61]    M. Mancini a déclaré que les plaignants n'avaient pas présenté de preuve quant aux fonctionnaires s'estimant lésés qui ne s'étaient pas rendus jusqu'au dernier palier, pas plus d'ailleurs qu'il n'avait produit de preuve que M. Beauchamp ait une responsabilité quelconque à assumer parce que ces griefs ne s'étaient pas rendus au dernier palier de la procédure.

Motifs de la décision

[62]    Cette plainte résulte d'un manque de communication que je juge reprochable tant à l'agent négociateur qu'aux plaignants. En outre, les plaignants n'ont fondamentalement pas compris la procédure de règlement des griefs et de négociation d'une entente, et l'agent négociateur ne s'est guère efforcé de leur expliquer cette démarche ou ce qu'il a fait pour arriver à un règlement des griefs. Les plaignants ne se sont pas non plus suffisamment efforcés de faire valoir leurs préoccupations à l'interne. Néanmoins, la preuve n'a pas démontré de mauvaise foi de la part de l'agent négociateur ni de ses représentants.

[63]    Le devoir de représentation juste qu'impose le paragraphe 10(2) de la LRTFP exige que les agents négociateurs et leurs représentants représentent les membres de l'unité de négociation d'une manière qui n'est pas arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi.

[64]    La Cour suprême du Canada a succinctement exprimé les principes généraux auxquels les agents négociateurs doivent se conformer pour s'acquitter de leur devoir de représentation juste :

  1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d'agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d'une unité de négociation comporte en contre-partie l'obligation de la part du syndicat d'une juste représentation de tous les salariés compris dans l'unité.
  2. Lorsque, comme en l'espèce et comme c'est généralement le cas, le droit de porter un grief à l'arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n'a pas un droit absolu à l'arbitrage et le syndicat jouit d'une discrétion appréciable.
  3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l'importance du grief et des conséquences pour le salarié, d'une part, et des intérêts légitimes du syndicat d'autre part.
  4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.
  5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509]

[65]    Les griefs dont il s'agit dans cette plainte portaient sur l'interprétation de la convention collective. La LRTFP dispose que, pour pouvoir être portés à l'arbitrage, les griefs fondés sur la convention collective doivent être approuvés par l'agent négociateur, qui doit en outre accepter de représenter le ou les fonctionnaires s'estimant lésés dans la procédure d'arbitrage (paragraphe 92(2)). L'ancien agent négociateur des fonctionnaires s'estimant lésés avait effectivement porté les griefs à l'arbitrage en mai 2000 et résolu les problèmes sous-jacents causés par la politique de l'employeur. Toutefois, l'agent négociateur successeur a conclu une entente sur le dédommagement financier des intéressés, réglé les griefs et informé la Commission qu'il renonçait à l'audience d'arbitrage. Dans la lettre qu'il a envoyée à la Commission à cet effet, l'agent négociateur a retiré à toutes fins utiles son approbation du renvoi des griefs à l'arbitrage, comme le paragraphe 91(2) de la LRTFP l'y autorise.

[66]    Les plaignants ont déclaré qu'ils voulaient que leurs griefs soient portés à l'arbitrage. Comme je l'ai souligné, la LRTFP ne prévoit pas d'accès illimité à l'arbitrage quand les fonctionnaires présentent des griefs fondés sur leur convention collective. La Commission des relations de travail de la Colombie-Britannique a récemment analysé les principales règles de ce rôle de gardien de la procédure des agents négociateurs :

[Traduction]

Les syndicats [ont] ce contrôle exclusif parce qu'il est indispensable pour qu'ils puissent représenter efficacement le employés dans leur ensemble. Le pouvoir des syndicats résulte du fait qu'ils représentent tous les employés comme une seule et même entité. Ils doivent parler d'une seule voix afin de pouvoir négocier efficacement avec l'employeur. Ils doivent être en mesure de prendre des engagements auxquels l'employeur puisse avoir confiance, afin de pouvoir s'attendre à obtenir quelque chose en retour. Ils seraient incapables de prendre de tels engagements s'ils étaient tenus d'agir à l'avenir d'une façon quelconque qui leur serait imposée par divers employés pris individuellement.

Les syndicats doivent aussi être en mesure de se servir de leurs ressources de façon à en maximiser l'effet. Leurs ressources sont limitées. Si un employé pouvait insister par exemple pour que le grief qu'il a présenté afin de contester son congédiement soit renvoyé à l'arbitrage même si une évaluation raisonnable devait conclure qu'il n'aurait aucune chance d'être accueilli, les syndicats pourraient y engloutir des dizaines de milliers de dollars de cotisations de leurs membres.

En contrôlant l'utilisation de leurs ressources, les syndicats peuvent s'en servir afin d'obtenir un maximum de résultats pour un minimum de dépenses. Les employeurs savent que les syndicats pourraient renvoyer n'importe quel grief à l'arbitrage s'ils le désiraient, mais ils savent aussi que les syndicats sont susceptibles d'accepter un règlement raisonnable s'ils leur en offrent un. Dans une relation de ce genre, les employeurs peuvent être incités à faire des offres raisonnables pour régler certaines affaires à l'amiable, sans plaider dans chaque cas. De cette façon, les employés eux-mêmes obtiennent un maximum d'avantages pour un minimum de dépenses. Par contre, si chaque employé pouvait faire renvoyer chaque grief à l'arbitrage chaque fois qu'il le désirerait, le nombre des litiges de ce genre se multiplierait et les employés se rendraient bien vite compte que leurs ressources collectives seraient épuisées. Ce serait néfaste pour le milieu de travail et inabordable tant pour les employés que pour les syndicats, en plus peut-être d'être trop exigeant pour l'employeur au point de saper sa viabilité globale.

Les syndicats doivent aussi être responsables de la prise de décisions, puisque ce qui est bon pour un des membres de l'unité de négociation peut être mauvais pour les autres ... Ils doivent être libres d'opter pour l'interprétation qu'ils estiment la plus favorable à l'unité de négociation dans son ensemble.

C'est notamment pour ces raisons que les syndicats doivent agir comme une seule et même entité afin de représenter efficacement les employés. Ils doivent être en mesure de prendre des décisions même quand des membres individuels de l'unité de négociation peuvent ne pas y souscrire. En fait, les syndicats sont capables d'exercer leur pouvoir collectif parce que les employés ne peuvent tout simplement pas faire ce qu'ils veulent individuellement. C'est cette caractéristique qui donne aux syndicats leur pouvoir de négociation au nom des employés.

[Judd and C.E.P. Local 2000, 91 C.L.R.B.R. (2d) 33 (paragr. 36 à 39)]

[67]    Le représentant des plaignants a fait valoir que les griefs n'ont pas été réglés avec la permission des fonctionnaires s'estimant lésés, et que ceux-ci n'ont jamais retiré leurs griefs par écrit. Il est vrai que c'est un employé qui porte un grief fondé sur la convention collective à l'arbitrage, en vertu de la LRTFP. Toutefois, il y a dans la LRTFP un principe primordial, à savoir qu'il est impossible de porter un grief à l'arbitrage (ou de le faire ensuite entendre par un arbitre) si l'agent négociateur n'y consent pas et ne l'appuie pas. Dans la pratique, le règlement d'un grief fondé sur la convention collective par un agent négociateur met fin à la procédure de règlement des griefs, l'arbitrage compris. Le fait que l'agent négociateur n'a pas obtenu de chaque fonctionnaire s'estimant lésé le retrait officiel de son grief ne constitue pas un manquement à son devoir de représentation juste.

[68]    Les agents négociateurs et leurs représentants disposent d'une grande marge de manoeuvre lorsqu'il s'agit de régler les griefs (Richard et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2000 CRTFP 61 et Lipscomb et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2000 CRTFP 66. Dans Trade Union Law in Canada (MacNeil, Lynk et Engelmann), ce principe est résumé de la façon suivante :

[Traduction]

Un syndicat qui se penche vraiment sur un grief après avoir fait une enquête exhaustive et conclut qu'il ne devrait pas être porté à l'arbitrage parce qu'il estime n'avoir guère de chances de succès s'est acquitté de ses obligations, même si une commission aurait pu arriver à une autre conclusion.

[Paragr. 7.480]

[69]    La question que je dois trancher ne consiste pas à savoir si je souscris au raisonnement de l'agent négociateur, qui estime que le règlement des griefs qu'il a négocié était préférable à ce qu'il aurait pu obtenir à l'arbitrage, mais plutôt à déterminer s'il a agi de mauvaise foi ou de façon discriminatoire ou arbitraire en raisonnant ainsi. L'agent négociateur et les plaignants ont donné des interprétations différentes de l'implication de la période maximale de 25 jours pour la présentation d'un grief que prévoit la convention collective. L'agent négociateur a déposé en preuve les calculs sur lesquels il s'est fondé pour conclure l'entente, à partir de son interprétation que la rémunération versée ne saurait être calculée pour une période remontant à plus de 25 jours avant la présentation des griefs. Les plaignants ont contesté cette méthode de calcul ainsi que la limitation de la période pour laquelle ils auraient dû être rémunérés à 25 jours avant le dépôt des griefs. M. Beauchamp a aussi témoigné qu'il estimait à l'époque que le règlement était le meilleur possible dans les circonstances. M. Mancini n'a pas cité de jurisprudence à l'appui de cette interprétation, mais l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Coallier c. Procureur général, [1983] A.C.F. no 813 est une base raisonnable pour arriver à cette conclusion. Je conclus donc que la façon de l'agent négociateur d'interpréter la convention collective et son évaluation du règlement conclu étaient raisonnables et non arbitraires, de mauvaise foi ou discriminatoires.

[70]    M. Beauchamp a témoigné que certains des fonctionnaires (mais pas tous) avaient été informés qu'on allait discuter en vue d'un règlement et informés aussi des paramètres de base de ces discussions. Je considère ce témoignage comme fiable. Par contre, le courriel de M. Clarke (pièce R-3) n'est pas fiable à la fois parce que son auteur n'a pas témoigné et parce qu'il a été rédigé longtemps après les événements en cause. Je n'y ai donc accordé aucun poids. Par ailleurs, la preuve a révélé que les fonctionnaires s'estimant lésés ont été informés du règlement après sa signature et après que les représentants de l'agent négociateur eurent accepté de retirer les griefs. Dans ces circonstances, toutefois, le fait que le syndicat n'a pas communiqué avec tous les fonctionnaires s'estimant lésés avant de conclure une entente de règlement des griefs ne constitue pas un manquement à son devoir de représentation juste. On peut conclure qu'il y a eu manquement à ce devoir en pareil cas si le fonctionnaire s'estimant lésé détenait des renseignements pertinents dont l'agent négociateur n'a pas tenu compte. En l'espèce, les fonctionnaires s'estimant lésés n'auraient pas pu fournir à l'agent négociateur des renseignements que celui-ci n'avait pas déjà (voir Brideau et BRAC (1986), 12 CLRBR (N.S.) 245 (CCRT)). Le bon sens peut bien nous laisser entendre qu'il est bon de consulter tous les fonctionnaires s'estimant lésés avant de conclure une entente pour régler des griefs fondés sur la convention collective, mais le fait que le syndicat ne l'a pas fait en l'occurrence ne contrevient pas au paragraphe 10(2) de la LRTFP.

[71]    Les plaignants maintiennent qu'il n'est pas correct qu'un grief déjà entendu au dernier palier de la procédure de règlement des griefs soit réglé à un palier inférieur. Pourtant, il n'y a pas de règles sur le palier auquel un grief peut être réglé. En fait, il est souvent plus efficace de négocier un règlement au palier où les parties connaissent bien l'unité de travail et les enjeux. Je ne trouve rien de répréhensible au fait que l'affaire a été réglée à un palier inférieur.

[72]    Les plaignants allèguent en outre que M. Beauchamp était en conflit d'intérêts parce qu'il était lui-même un des fonctionnaires s'estimant lésés et qu'il a participé aux discussions en vue du règlement. Or, M. Beauchamp n'a bénéficié d'aucun traitement préférentiel dans le règlement et il n'y a pas d'indice d'un conflit quelconque dans son rôle à la fois de fonctionnaire s'estimant lésé et de représentant de l'agent négociateur.

[73]    Les plaignants prétendent aussi que M. Clarke n'était ni reconnu, ni accrédité comme agent négociateur, ce qui impliquerait qu'il n'avait pas qualité pour participer aux discussions en vue du règlement. Pourtant, l'agent négociateur avait approuvé sa participation aux discussions. C'est le syndicat et non l'individu qui est accrédité comme agent négociateur. L'agent négociateur accrédité est libre de déléguer ses responsabilités comme il le juge bon.

[74]    Dans la plainte et dans les arguments qu'il a présentés de vive voix, M. Nowen a soulevé des questions relatives aux fonctionnaires s'estimant lésés dont les griefs ne se sont pas rendus au dernier palier. Dans la plainte, les plaignants ont demandé que la liste annexée des fonctionnaires qui déclaraient avoir présenté des griefs en 1999 soit ajoutée à celle des 24 fonctionnaires s'estimant lésés dont les griefs avaient été portés à l'arbitrage. M. Nowen a aussi allégué que c'est à cause de M. Beauchamp que ces griefs n'avaient pas été renvoyés aux paliers suivants. La preuve est muette quant aux raisons pour lesquelles ces griefs n'ont pas été portés aux paliers suivants, et rien ne prouve non plus que M. Beauchamp en ait été responsable d'une façon quelconque. Il est possible que des griefs ne soient pas portés au palier suivant pour diverses raisons, et rien dans la preuve ne laisse entendre que M. Beauchamp ait agi de mauvaise foi ou de manière discriminatoire ou arbitraire dans sa façon de traiter les griefs.

[75]    La demande de dommages-intérêts que M. Mancini a présentée au début de l'audience est sans fondement. Il n'a invoqué aucune jurisprudence qui justifierait une décision de la Commission d'accorder des dommages-intérêts. De toute façon, il serait plus juste de considérer sa démarche comme une demande de dépens. À cet égard, et bien qu'il n'ait pas précisé les pertes subies par l'agent négociateur, il a fait état de ses coûts de participation à l'audience. Néanmoins, rien dans la LRTFP n'autorise la Commission à ordonner que les plaignants assument les frais. Par conséquent, la demande de dommages-intérêts ou de dépens est rejetée.

[76]    Il est regrettable que M. Mancini ait invoqué le refus de la médiation par les plaignants pour justifier sa demande de dommages-intérêts. La médiation est une procédure qu'on accepte ou qu'on refuse librement, et la décision d'une partie ou de l'autre d'y participer ou non est une décision interne dont on ne devrait jamais tenir compte dans une audience par la suite.

[77]    Bref, la plainte contre l'UCCO-SACC-CSN et ses représentants Jean Beauchamp et Robert Clarke, est rejetée. La demande de dommages-intérêts contre les plaignants est rejetée elle aussi.

Ian R. Mackenzie,
commissaire

OTTAWA, le 28 octobre 2003.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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