Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée souffrait d’une maladie causée par les conditions à son lieu de travail - elle a déposé un grief suite à la décision de son employeur de ne pas lui accorder un congé payé pour accident de travail - son grief a été rejeté au premier palier du processus de règlement des griefs - elle a demandé à son agent négociateur de présenter le grief au deuxième palier - l’agent négociateur a présenté son grief au deuxième palier cinq mois plus tard - l’employeur a refusé que le grief soit présenté au deuxième palier - la fonctionnaire s’estimant lésée a demandé à la Commission de proroger le délai pour la présentation de son grief au deuxième palier du processus de règlement - la Commission a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait clairement manifesté son intention de présenter son grief au deuxième palier et qu’elle avait demandé à son agent négociateur de procéder en temps opportun - la Commission a également statué que la fonctionnaire s’estimant lésée avait agi de manière raisonnable dans les circonstances - la Commission a aussi jugé que le défaut de l’agent négociateur de présenter le grief au deuxième palier dans le délai prévu n’était pas justifié - après avoir évalué le préjudice éventuel des parties, la Commission a estimé que le rejet de la demande entraînerait une perte financière importante pour la fonctionnaire s’estimant lésée, alors que l’employeur n’a pas démontré qu’il subirait un préjudice advenant que la demande soit accueillie. Demande accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2005-03-18
  • Dossier:  149-32-256
  • Référence:  2005 CRTFP 23

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

BEATRICE RINKE

requérante

et

AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

employeur

AFFAIRE : Demande de prorogation du délai de présentation d'un grief

Devant : Joseph W. Potter, vice-président

Pour la requérante : Evan Heidinger, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Neil McGraw, avocat


(Décision rendue sans audience.)


[1]   Le 22 mai 2004, l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) a écrit à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) pour lui demander de [traduction] « [...] proroger le délai de présentation d'un grief concernant ce qui constituerait un manquement à la convention collective entre l'IPFPC et l'ACIA, en vertu du paragraphe 63b) du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. ».

[2]   Après des échanges de correspondance entre les parties en cause, la CRTFP a fixé une date d'audience pour décembre 2004.

[3]   En novembre 2004, l'IPFPC a écrit à la CRTFP pour lui proposer de trancher l'affaire en se fondant sur les observations écrites, et l'employeur a accepté cette façon de procéder. Le 21 décembre 2004, l'IPFPC a donc envoyé ses observations écrites à la CRTFP; l'employeur a fait de même le 26 janvier 2005, et l'IPFPC a fait parvenir ses observations en réfutation à la CRTFP le 2 février 2005. Le texte intégral de ces observations écrites est conservé au dossier à la CRTFP.

[4]   La présente décision porte sur la demande de l'IPFPC de prorogation du délai de présentation d'un grief de la Dre Beatrice Rinke, une fonctionnaire qui a démissionné de l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA).

Observations écrites de l'agent négociateur

[5]   L'IPFPC a déposé les observations suivantes :

[Traduction]

[...]

  1. Avant de demander un congé pour accident du travail, la Dre Rinke avait pris plusieurs congés de maladie prolongés - payés et non payés - après avoir été rendue malade par les conditions à son lieu de travail. Elle avait présenté une demande d'indemnisation pour accident du travail qui a fini par être accueillie par le Tribunal d'appel des accidents du travail (TAAT) de la Commission des accidents du travail (CAT) de la Colombie Britannique. On lui a accordé rétroactivement environ deux ans d'indemnités pour accident du travail.

[...]

  1. Après avoir reçu la décision du TAAT, la Dre Rinke a présenté le 19 mai 2003 une demande de congé pour accident du travail en vertu de sa convention collective, pour la période durant laquelle elle était incapable de travailler à cause de cet accident et pour laquelle la CAT avait approuvé sa demande d'indemnisation. L'employeur a rejeté cette demande de congé pour accident du travail dans une lettre datée du 14 juillet 2003 (que la Dre Rinke a reçue le 24 juillet 2003).

  2. Pour contester le rejet de sa demande, la Dre Rinke a présenté un grief que l'agent négociateur a fait livrer par courrier recommandé au gestionnaire désigné le 19 août 2003, dans le délai prescrit par la convention collective (25 jours ouvrables, compte non tenu des samedis, dimanches et jours fériés désignés payés).

  3. Dans la lettre d'accompagnement du grief, l'agent négociateur demandait à la direction de renoncer à l'entendre aux deux premiers paliers de la procédure afin que les parties puissent passer au dernier palier de la procédure. Il a envoyé par télécopieur des copies de la lettre et du grief aux agents des Ressources humaines de Calgary et d'Ottawa, en y joignant une explication voulant que la fonctionnaire s'estimant lésée et l'Institut voulaient que le grief soit entendu le plus rapidement possible, de façon à pouvoir être regroupé avec deux autres griefs de l'intéressée qui étaient déjà rendus à l'arbitrage. [...]

  4. L'audience d'arbitrage de ces autres griefs devait au départ avoir lieu à la fin de septembre 2003, mais elle a été reportée. Les griefs ont été entendus à Vancouver à partir du 22 juin 2004.

  5. L'employeur a refusé de renoncer à entendre le grief visé par la demande de prorogation aux premiers paliers de la procédure de règlement des griefs, de sorte qu'il a été entendu au premier palier par appel conférence, le 27 août 2003. L'employeur l'a rejeté par écrit le 3 septembre 2003. L'agent négociateur a reçu une copie de la lettre de rejet du grief par télécopieur le jour même.

  6. La Dre Rinke a été informée du rejet de son grief; elle a confirmé son intention de le porter au palier suivant dans un courriel adressé au représentant de l'agent négociateur le 5 septembre 2003. [...] Elle voulait que l'agent négociateur communique cette demande envoyée par courriel à l'employeur en confirmant qu'il l'appuyait et qu'il entendait continuer à la représenter.

  7. Le même jour, la Dre Rinke a envoyé par télécopieur une demande de report de l'audience d'arbitrage qui devait avoir lieu en septembre, pour raisons médicales. Le représentant de l'agent négociateur a écrit à la CRTFP au sujet de cette demande de report [...] et discuté de la tournure des événements avec l'avocat du Conseil du Trésor, Me McGraw. Au cours de leur conversation, il a informé Me McGraw de l'existence du grief de la Dre Rinke contestant le rejet de sa demande de congé pour accident du travail et de l'intention de tenter de le regrouper avec les deux autres griefs à l'arbitrage.

  8. Comme nous l'avons déjà précisé, l'audience sur les autres griefs a été reportée. La transmission du grief contestant le rejet de la demande de congé pour accident du travail s'est perdue dans la foule des événements entourant la demande de report de l'audience ainsi que des autres activités du représentant syndical. Vers le début de février 2004, convaincu que le grief était rendu à Ottawa où il allait être entendu au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, le représentant de l'agent négociateur a communiqué avec l'agente des Ressources humaines d'Ottawa pour demander qu'il soit entendu à ce palier.

  9. Au cours d'une conversation que le représentant syndical et l'agente des Ressources humaines ont eue par la suite, celle ci l'a informé que l'employeur considérait le grief comme ayant été abandonné après avoir été entendu au premier palier. Le représentant syndical s'est renseigné et il a constaté que le grief transmis par courriel le 5 septembre n'avait jamais été envoyé à l'employeur.

[...]

  1. Le représentant syndical n'a pas eu de nouvelles la semaine suivante, si ce n'est que le directeur lui a laissé dans la soirée du 27 avril un message téléphonique expliquant son refus d'accepter la transmission du grief. C'était pour des raisons personnelles. Il y a beaucoup d'animosité entre la Dre Rinke et la direction de l'ACIA, en raison d'une relation antagoniste qui perdure depuis une douzaine d'années.

  2. Si l'employeur avait refusé d'accepter la transmission du grief, c'est que la Dre Rinke lui avait déjà coûté trop cher. En 1992, elle avait eu gain de cause à l'arbitrage d'un grief concernant sa réinstallation; depuis, elle avait eu gain de cause aussi dans sa demande à la CAT. En outre, l'ACIA blâmait la Dre Rinke de la décision de la TAAT de rejeter son appel. Enfin, elle estimait que la Dre Rinke lui devait une importante somme qui faisait l'objet d'un des griefs portés à l'arbitrage à ce moment là, et elle n'avait aucun désir qu'on réduise ce qu'elle estimait être son dû advenant le cas où un arbitre de griefs déciderait d'accueillir le grief contestant le refus d'accorder à l'intéressée un congé pour accident du travail.

  3. La Dre Rinke habite désormais à Guelph, en Ontario, tandis que les gestionnaires de l'ACIA responsables des décisions relatives à ses problèmes d'emploi à l'Agence sont en Alberta et en Colombie-Britannique. En outre, son représentant syndical est lui aussi dans l'Ouest du Canada, à Vancouver. Par conséquent, la plupart des communications entre la Dre Rinke et son représentant syndical, ainsi qu'entre elle et l'ACIA, de même qu'entre le représentant syndical et l'ACIA, ont eu lieu dans des conversations téléphoniques, dans des lettres et des documents envoyés par télécopieur, par courrier électronique ou par poste.

[...]

  1. Les décisions antérieures de la Commission montrent clairement que, même si les principes qui régissent ces questions restent constants, chaque affaire est tranchée au fond pour des motifs qui lui sont propres; en outre, les arbitres de griefs de la CRTFP ont rendu des décisions différentes même dans des cas où l'on aurait pu juger que les faits se ressemblaient.

  2. Les principes fondamentaux qui s'appliquent en l'espèce ont été établis par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Demercado c. Canada ([1984] A.C.F. no 1119, no d'appel A-774-84). Dans une décision unanime, la Cour a souligné qu'une décision antérieurement rendue par la CRTFP définissait la façon de trancher les demandes de prorogation du délai, en citant avec approbation le président suppléant Kates, qui avait déclaré ce qui suit dans Dunham c. Conseil du Trésor (dossier de la CRTFP 149 2 39) :

    Lorsqu'une demande est présentée en vertu du paragraphe 89(1) du Règlement [tel qu'il était à l'époque], la Commission doit établir un équilibre entre l'injustice faite au requérant si sa demande est rejetée et le préjudice causé à l'employeur si le requérant obtient gain de cause.

[...]

  1. Ce ne sont là que quelques unes des décisions publiées de la Commission sur la question de la prorogation du délai de présentation d'un grief. Ce qui est clair dans toutes ces décisions, c'est qu'une demande de prorogation est acceptée pourvu que la plupart sinon tous les facteurs suivants soient évidents :

    1. Le fonctionnaire s'estimant lésé a agi avec diligence pour faire valoir sa cause;

    2. Le retard est raisonnable;

    3. [sic] Il y a une explication raisonnable du retard;

    4. Le fonctionnaire s'estimant lésé subira un préjudice si la demande est rejetée (plus les conséquences de son rejet sont grandes, plus ce facteur compte);

    5. L'absence de difficulté ou de préjudice causé à l'employeur si la demande est accueillie (c. à d. preuve intacte, témoins faciles à faire comparaître).

  2. Bien qu'aucune des affaires citées ne corresponde vraiment à celle en l'espèce, une analyse des faits en fonction des facteurs énumérés plus haut justifie la demande de prorogation.

[...]

  1. La Dre Rinke subira une grande injustice si cette demande de prorogation est rejetée. La conclusion du TAAT qu'elle avait été victime d'un accident de travail signifie qu'elle a droit à des indemnités d'accident du travail pour la période qu'elle a passée sans travailler. Toutefois, ces indemnités ne sont qu'une partie de son traitement et peuvent être plafonnées. Si une partie (sinon la totalité) de la période au cours de laquelle elle a été en congé de maladie non payé et a touché des indemnités d'accident du travail devait être réputée constituer une période de congé pour accident du travail, la Dre Rinke y gagnerait beaucoup financièrement, puisque les personnes en congé pour accident du travail touchent la totalité de leur traitement.

  2. L'employeur n'aura pas de difficulté à faire valoir son point de vue devant l'arbitre de griefs. Sa décision devrait être fondée sur la Politique en vigueur et sur les précédents qui peuvent être clairement établis et de plus, tous ceux et celles qui ont participé à la décision de rejeter la demande de congé pour accident du travail de la Dre Rinke continuent à travailler dans la Région de l'Ouest et devraient pouvoir comparaître. Une décision d'accueillir le grief n'imposerait pas un fardeau financier écrasant à l'employeur, qui paye déjà à la Dre Rinke des indemnités pour accident du travail, et même si la différence entre les indemnités pour accident du travail dues à la Dr Rinke et la totalité de son traitement est importante pour elle, c'est une somme relativement négligeable pour l'employeur comparativement à l'ensemble des traitements qu'il paye ainsi qu'à ses budgets de fonctionnement. Qui plus est, l'employeur ne devrait pas invoquer des contraintes budgétaires pour tenter de se soustraire aux responsabilités que lui dicte la convention collective.

[...]

[6]   À l'appui de ses arguments, l'IPFPC m'a renvoyé aux décisions suivantes :

Hitchock et autres c. Conseil du Trésor (Pêches et Océans), dossiers de la CRTFP 166 2 16651 à 16654 et 149 2 78 (1987);

Gagnon c. Conseil du Trésor (Commission de la fonction publique), dossier de la CRTFP 149 2 90 (1990);

Rattew c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 149 107 (1992);

Cotter c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord), dossier de la CRTFP 149 2 152 (1995);

Boulay c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), dossier de la CRTFP 149 2 160 (1996);

Guittard c. Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes, 2002 CRTFP 18.

Observations écrites de l'employeur

[7]   Les observations de l'employeur se lisent notamment comme suit :

[Traduction]

[...]

  1. L'employeur ne conteste pas globalement les faits décrits par l'agent négociateur dans ses observations, mais il estime que certains points doivent être clarifiés ou discutés.

[...]

  1. Bien que je ne me rappelle pas personnellement avoir parlé du grief relatif au congé pour accident du travail avec M. Heidinger en septembre 2003, je ne crois pas que nous ayons dit quoi que ce soit sur la transmission du grief, puisque cette conversation a eu lieu peu après l'envoi du courriel de la Dre Rinke reproduit à l'Appendice II des observations de la requérante.

  2. À ma connaissance, il n'y a pas eu d'autres discussions sur ce grief avant que la demande de prorogation du délai ne soit présentée.

  3. La première communication entre l'employeur et l'agent négociateur au sujet du grief a eu lieu en février 2004, quand M. Heidinger a été informé par Susan Dibble, une agente des Ressources humaines de l'ACIA, que le grief n'avait pas été transmis au deuxième palier.

  4. Vers le 27 avril 2004, l'employeur a fait connaître à l'agent négociateur sa décision de ne pas accepter la transmission tardive du grief au deuxième palier, conformément au délai prescrit dans la convention collective.

[...]

  1. L'employeur n'a pas rejeté la demande de prorogation pour des raisons personnelles, mais plutôt parce que l'agent négociateur n'a donné aucune raison valable afin d'expliquer pourquoi il a tant tardé à présenter le grief. Comme l'agent négociateur n'a pas communiqué avec lui sur cette question avant février 2004, l'employeur estimait avoir raison de supposer que le grief avait été abandonné.

Arguments

  1. Le fardeau de la preuve pour justifier une demande de prorogation incombe à la requérante. Le délai de présentation d'un grief est stipulé dans la convention collective.

[...]

  1. La preuve démontre que ni la requérante, ni son agent négociateur n'ont communiqué avec l'employeur pour demander que le grief soit transmis au deuxième palier ou même pour savoir où il en était entre octobre 2003 et février 2004.

[...]

  1. L'agent négociateur a souligné ce qu'il considère comme le motif déraisonnable de l'employeur pour rejeter la demande de prorogation. L'employeur conteste cette interprétation des faits par l'agent négociateur et précise que la question à trancher consiste à savoir si ce dernier a agi avec une diligence raisonnable et s'il a présenté une explication valable pour justifier son retard. Le fait que la transmission « s'est perdue dans la foule des événements » pendant plus de cinq mois n'est pas une explication valable.

[...]

[8]   À l'appui de ses observations, l'employeur a cité les décisions suivantes :

Boulay c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), dossier de la CRTFP 149 2 160 (1996);

Mbaegu c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), 2003 CRTFP 9.

Observations en réplique de l'agent négociateur

[9]   L'IPFPC a présenté en réplique les observations suivantes, reproduites en partie :

[Traduction]

[…]

  1. Comme l'agent négociateur l'avait précisé au paragraphe 27 de ses observations originales, les demandes de prorogation du délai de présentation d'un grief ont été tranchées à partir du principe que certains facteurs étaient présents ou pas, à savoir :
    1. Le fonctionnaire s'estimant lésé a t il agi avec diligence pour faire valoir sa cause?
    2. Le retard était il déraisonnable?
    3. Y avait il une explication raisonnable pour le retard?
    4. Le fonctionnaire s'estimant lésé allait il subir un préjudice si la demande était rejetée et, si oui, dans quelle mesure?
    5. L'employeur allait il avoir des difficultés ou subir un préjudice si la demande était accueillie?

[...]

  1. Répétons-le, l'analyse des facteurs est favorable à une prorogation du délai dans le cas de la Dre Rinke :
    1. La fonctionnaire s'estimant lésée a t elle agi avec diligence pour faire valoir sa cause? Oui. Elle a demandé que le grief soit transmis dans les deux jours de la date où elle a été informée de son rejet au premier palier.
    2. Le retard est il déraisonnable? Pas dans ces circonstances; compte tenu du laxisme avec lequel tant l'employeur que l'agent négociateur avaient traité les délais de présentation ainsi que de réponse, le retard n'était certainement pas déraisonnable.
    3. Y a t il une explication raisonnable pour le retard? Absolument, comme l'exposé des faits commençant à la page 1 de la demande originale de prorogation le montre à l'évidence.
    4. La fonctionnaire s'estimant lésée va t elle subir un préjudice si la demande est rejetée et, si oui, dans quelle mesure? Oui, puisqu'elle améliorera sa situation financière si le grief peut passer à l'étape suivante et si l'on peut en prouver le bien fondé.
    5. L'employeur va t il avoir des difficultés ou subir un préjudice si la demande est accueillie? Seulement si le grief finit par être accueilli (sans doute à l'arbitrage). Toutefois, l'employeur ne subira aucun préjudice du fait d'être contraint à accepter la transmission du grief.

[...]

Motifs de décision

[10]   Comme l'agent négociateur l'a demandé - et comme l'employeur a accepté cette façon de procéder - cette décision est fondée sur les observations écrites des parties.

[11]   Quand il s'agit d'évaluer une demande de prorogation du délai, l'agent négociateur fait valoir qu'il faut tenir compte des points suivants :

  1. Le fonctionnaire s'estimant lésé a agi avec diligence pour faire valoir sa cause;
  2. Le retard est raisonnable;
  3. Il y a une explication raisonnable pour le retard;
  4. Le fonctionnaire s'estimant lésé subira un préjudice si la demande est rejetée (plus les conséquences de son rejet sont grandes, plus ce facteur compte);
  5. L'absence de difficulté ou de préjudice causé à l'employeur si la demande est accueillie (c. à d. preuve intacte, témoins faciles à faire comparaître).

[12]   L'employeur n'a pas contesté cette liste de facteurs, et j'estime que c'est un bon point de départ pour déterminer d'accorder ou non la prorogation demandée. Il n'a pas contesté non plus les faits allégués dans les observations de l'agent négociateur.

[13]   La fonctionnaire s'estimant lésée a t elle agi avec diligence? L'agent négociateur a déclaré que, dans les deux jours de la date où elle avait appris que son grief avait été rejeté au premier palier, la Dre Rinke a communiqué avec son représentant syndical pour demander que le grief soit porté au palier suivant. Normalement, les fonctionnaires présentent le formulaire de transmission du grief à leur superviseur pour le faire passer au prochain palier, s'ils le désirent. Dans ce cas ci, d'après ce que je comprends, la Dre Rinke n'était pas à son lieu de travail, puisqu'elle demandait un congé pour accident du travail. Elle a donc communiqué avec son représentant syndical ce qui, dans les circonstances, n'est pas déraisonnable.

[14]   La Dre Rinke a clairement exprimé son intention de faire entendre son grief en temps opportun. Elle a demandé à son représentant syndical de le transmettre en agissant avec diligence, à mon avis.

[15]   Le retard est il raisonnable? Le grief lui même a été envoyé au gestionnaire désigné le 19 août 2003; la réponse qui le rejetait au premier palier a été envoyée le 3 septembre 2003. En février 2004, le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée a appris que la transmission du grief n'avait pas été effectuée. Il a communiqué avec l'employeur ce mois là pour lui expliquer la situation. Cinq mois s'étaient donc écoulés.

[16]   Un retard de cinq mois peut être raisonnable ou déraisonnable, selon les faits. Il n'y a pas de point magique avant lequel tout ce qui est transmis l'est dans un délai raisonnable mais au delà duquel le retard devient déraisonnable. Cela dépend des faits dans chaque cas. Par conséquent, je vais me prononcer sur les autres points avancés dans les observations de l'agent négociateur avant de me prononcer sur cet aspect.

[17]   Y a t il une explication raisonnable pour le retard? Dans cette affaire, le retard est attribuable au fait que le représentant n'a pas transmis le grief. Il est carrément impossible de le dire gentiment! Le représentant a tout simplement été accaparé par d'autres activités, et c'est pourquoi il n'a pas acheminé le formulaire de transmission du grief. Comme l'arbitre l'a déclaré dans Boulay, supra :

[...]

[...] Il me semble qu'en relevant une partie de son défaut d'agir dans les délais au seul motif d'erreurs commises par les procureurs, on risquerait d'ouvrir la porte à une série de requêtes invoquant les diverses méprises des représentants, avocats inclus, auxquels ont recours les fonctionnaires qui se présentent devant la Commission. [...]

[...]

[18]   Toutefois, en l'espèce, le fait reste qu'aucun retard n'est imputable à la Dre Rinke. Elle a fait connaître son intention à temps. Son représentant ne s'est pas acquitté de sa part du processus dans le délai voulu, et invoquer une trop lourde charge de travail n'est pas une raison valable pour justifier ce manquement.

[19]   La fonctionnaire s'estimant lésée subirait-elle un préjudice si la demande était rejetée? Si le grief qu'elle a présenté devait être accueilli, la Dre Rinke « y gagnerait financièrement beaucoup », d'après les observations de l'agent négociateur. Comme l'employeur ne l'a pas contesté, je n'ai aucune difficulté à conclure que la Dre Rinke subirait effectivement un préjudice si sa demande de prorogation du délai de présentation du grief était rejetée.

[20]   Cela dit, quel préjudice l'employeur subirait il si j'accordais la prorogation? L'employeur n'en a mentionné aucun si la demande était accueillie (en raison de la perte de documents avec ce retard, de la perte de témoins, des pertes de mémoire ou d'autres facteurs du genre). J'estime donc qu'il ne subira aucun préjudice si j'accueille la demande de prorogation, sauf celui - manifeste - d'avoir à verser de l'argent à la Dre Rinke si son grief devait être accueilli. Toutefois, comme ce résultat serait dû au fait qu'elle aurait droit à cet argent aux termes de la convention collective, je ne pense pas qu'il s'agisse d'un préjudice pour l'employeur, mais plutôt d'un droit pour l'intéressée (je ne porte toutefois aucun jugement quant à ce droit comme tel).

[21]   Après avoir évalué chacun des éléments de cette liste, il est clair dans mon esprit que la Dre Rinke avait tout à fait l'intention de porter son grief au palier suivant dans le délai prescrit. Comme c'était le cas dans Guittard, supra, il existait aussi dès le début une intention manifeste de contester le rejet du grief. Dans des situations comme celles là, l'intention manifeste du fonctionnaire s'estimant lésé est très importante, selon moi.

[22]   La fonctionnaire s'estimant lésée a fait ce qu'elle avait fait auparavant dans le contexte d'un autre grief : elle a envoyé sa demande de porter le grief au palier suivant à son représentant. Elle a fait tout ce qu'elle pouvait hormis peut être d'appeler continuellement ce dernier pour savoir ce qu'il en était. Compte tenu des observations de l'agent négociateur sur le long délai de réponse aux griefs antérieurs de l'intéressée, je ne pense pas que cette absence de contacts continuels entre la Dre Rinke et son représentant dans cette affaire était déraisonnable.

[23]   Je pense qu'il s'agit ici de ce que la fonctionnaire s'estimant lésée considère comme un droit en vertu de la convention collective. Si elle a droit à un avantage parce que la convention collective est libellée en ce sens compte tenu des circonstances, je ne crois pas qu'il soit raisonnable de lui refuser le droit de présenter sa cause pour obtenir cet avantage.

[24]   L'employeur ne m'a fait état d'aucun préjudice qu'il subirait si j'accordais la prorogation demandée. La Dre Rinke voulait manifestement que le grief aille de l'avant et elle subirait un grand préjudice s'il ne le faisait pas.

[25]   Par conséquent, la demande de prorogation réclamée en vertu du paragraphe 63b) du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. est accueillie.

Joseph W. Potter,
vice-président

OTTAWA, le 18 mars 2005.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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