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Résumé :

Plainte - Intervention dans la représentation - Infraction de l'article 147 du Code canadien du travail (CCT) - le plaignant King a reçu un document énumérant les incidents considérés comme des dangers de mort signalés par des agents des douanes sur une période de 25 ans - l'employeur a ordonné à tous ceux qui ont reçu le document de le détruire - il a déclaré craindre que le document ne contienne des renseignements dont la communication est interdite par la Loi sur les douanes - le plaignant Waugh avait reçu un document intitulé << Rapport sommaire d'incident critique d'un agent des douanes du Canada >> et l'avait déposé à une réunion du Comité de santé et de sécurité au travail (Comité de SST) - l'employeur a déclaré que ce document ne semblait pas contenir des renseignements dont la communication est interdite par la Loi sur les douanes, mais il en avait quand même ordonné la destruction puisqu'il était virtuellement identique à l'autre document - M. King a demandé qu'on lui fournisse une copie approuvée du document original qu'il lui avait présenté - l'employeur a refusé - M. King a assisté à une réunion du Comité de SST et a distribué un document intitulé << Rapport sommaire d'incident critique >> - comme le contenu de ce document était identique au précédent document, l'employeur a ordonné qu'il soit détruit lui aussi - les plaignants avaient demandé en quoi le document enfreignait la Loi sur les douanes, sans obtenir de réponse - ils n'ont pas détruit le document et ont écopé de suspensions - après la dernière suspension, ils ont détruit le document - à l'audience, l'employeur a témoigné qu'il craignait que le document ne serve à promouvoir la cause des inspecteurs des douanes désireux d'être équipés d'armes à feu et d'obtenir la parité salariale avec les policiers - la Commission a jugé que les questions figurant dans le document étaient liées à la santé et à la sécurité - les plaignants avaient le droit de soulever ces questions au Comité de SST - l'ordre de détruire le document portait atteinte au droit des plaignants de représenter les employés aux réunions du Comité de SST - c'était une infraction de l'article 8 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique - les plaignants agissaient à titre de représentants en matière de santé et de sécurité, conformément à la Partie II du CCT - leur suspension était interdite par l'article 147 du CCT - la Commission a ordonné à l'employeur de dédommager intégralement les plaignants pour leurs suspensions. Plaintes accueillies.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique et
Code canadien du travail, Partie II

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2005-01-13
  • Dossiers:  160-2-83, 161-2-1242
    160-2-84, 161-2-1243
    160-2-86, 161-2-1247, 160-2-96, 161-2-1264
  • Référence:  2005 CRTFP 3

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

JOHN KING ET EMERSON WAUGH

plaignants

et

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

employeur

AFFAIRE :   Plaintes fondées sur l'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et sur l'article 147 du Code canadien du travail
 
Devant :J.W. Potter, vice-président
Pour les plaignants :John King, Emerson Waugh et Dan Fisher, Alliance de la Fonction publique du Canada
Pour l'employeur :Richard Fader, avocat, et Lesa Brown

Affaire entendue à Toronto (Ontario),
du 15 au 18 juin et du 2 au 4 novembre 2004.


[1]    Cette décision vise huit plaintes fondées à la fois sur l'article 23 de la LRTFP (LRTFP) et sur l'article 147 du Code canadien du travail, Partie II (le Code). Quatre d'entre elles ont été soumises par John King et les quatre autres par Emerson Waugh. Les plaignants allèguent que l'employeur ne s'est pas conformé à l'article 8 de la LRTFP ni à l'article 147 du Code, Partie II. La Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) a assigné le préfixe « 161 » aux dossiers d'allégation d'infraction de la LRTFP, et le préfixe « 160 » à ceux d'allégation d'infraction du Code. Les faits sont fondamentalement identiques dans toutes les plaintes. Au moment où MM. King et Waugh les ont déposées, ils étaient au service de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC), un employeur distinct. Par suite de la réorganisation de l'administration fédérale annoncée le 12 décembre 2003, leurs postes ont été transférés de l'ADRC à la nouvelle Agence des services frontaliers du Canada, pour laquelle le Conseil du Trésor est l'employeur, de sorte que ma décision s'applique aux plaignants et au Conseil du Trésor.

[2]    L'employeur a déclaré qu'en vertu des dispositions en vigueur du Code, les allégations d'infraction de l'article 147 entraînent l'inversion du fardeau de la preuve lorsque l'employé allègue qu'on a pris des mesures disciplinaires à son endroit parce qu'il a retiré ses services. Comme il ne s'agit pas ici de retrait des services des intéressés, les plaignants ne doivent assumer que le fardeau normal de la preuve; ils le reconnaissent.

[3]    Le 27 août 2002, l'employeur a imposé à M. King une suspension d'un jour pour ne s'être pas conformé à ses instructions lui enjoignant de détruire un document. M. King a déposé sa première plainte le 24 octobre 2002, en alléguant que l'employeur lui avait ordonné de détruire un document intitulé [traduction] « Rapport sommaire d'incident critique » censé concerner la sécurité et la santé de membres du syndicat. M. King déclarait aussi dans sa plainte avoir été menacé de sanctions disciplinaires progressives s'il refusait de se conformer aux instructions de l'employeur de détruire le document. Il ajoutait que les actions de l'employeur l'avaient empêché de [traduction] « s'acquitter correctement de [ses] obligations légales en vertu de la LRTFP et de la Partie II du Code canadien du travail ». Il réclamait le remboursement de sa journée de traitement et tous ses frais, l'imposition à l'employeur d'une pénalité, conformément à la Partie II du Code, la somme de 100 000 $ en dommages-intérêts personnels et une ordonnance enjoignant aux responsables de la mesure disciplinaire dont il avait écopé de lui faire des excuses écrites.

[4]    Le 13 septembre 2002, l'employeur a imposé à M. King une suspension de dix jours pour avoir persisté à ne pas se conformer aux instructions de détruire le document en question. Le 8 novembre 2002, M. King a déposé une deuxième plainte dont la nature est à toutes fins utiles identique à celle décrite au paragraphe précédent, dans laquelle il réclamait le remboursement du traitement perdu (je dois préciser qu'il déclarait dans sa plainte réclamer [traduction] « le remboursement résultant de la suspension d'un jour », mais l'employeur a reconnu qu'il devrait plutôt s'agir de [traduction] « la suspension de dix jours »). M. King demandait aussi 1 000 000 $ en dommages-intérêts personnels, en plus de répéter ce qu'il réclamait au paragraphe précédent, à l'égard de sa suspension d'un jour.

[5]    M. Waugh a déposé ses deux plaintes le 28 octobre et le 18 novembre 2002; par leur nature et par les redressements qu'il a réclamés, elles sont essentiellement identiques à celles de M. King.

[6]    MM. King et Waugh ont décidé de se représenter eux-mêmes dans cette affaire; toutefois, Dan Fisher, de l'Alliance de la Fonction publique du Canada, était présent durant toute la procédure pour les assister au besoin.

Contexte

[7]    John King est un agent des douanes (PM-2) dont le poste d'attache est à l'aéroport Pearson, à Toronto. Il est actuellement en congé payé pour affaires syndicales; au moment de l'audience initiale, il était premier vice-président national de l'Union Douanes Accise (CEUDA).

[8]    Dans le cadre de ses activités syndicales, M. King siégeait à divers comités, notamment à un Comité d'orientation national mixte syndical-patronal ainsi qu'à un Comité local de santé et de sécurité au travail (SST).

[9]    Emerson Waugh est lui aussi agent des douanes à l'aéroport Pearson; tout comme M. King, il est en congé payé pour affaires syndicales. Au moment où il a déposé sa plainte, il était le président de la succursale de Toronto de la CEUDA et siégeait aussi au Comité local de SST.

La preuve

[10]    En mars 2002, Robert Tait, directeur général de la Gestion des activités de l'ADRC, a eu connaissance d'un courrier électronique appelé « Rapport Kingman » (pièce G-8). Il s'agit d'un document de dix pages qui avait été distribué à quelque 146 employés, dont John King (le nom d'Emerson Waugh ne figurait pas sur la liste de distribution).

[11]    Sous la rubrique « Objet », on peut lire ce qui suit dans ce Rapport :

[Traduction]

Le présent rapport est conçu pour refléter le point de vue national quant aux incidents qui pourraient être interprétés comme constituant un danger de mort. Ces incidents peuvent se produire quotidiennement, à n'importe quel moment et dans n'importe quel lieu de travail des Douanes.

Nous avons établi ces statistiques pour démontrer clairement qu'il faut équiper les agents des douanes du Canada d'armes.

L'ADRC devrait équiper ses agents des douanes d'armes pour leur protection et pour celle du public voyageur, qui est souvent mêlé à des interventions policières simplement parce qu'il franchit la frontière ce jour-là.

[12]    On trouve ensuite une liste de 103 [traduction] « Rencontres à risque élevé d'agents des douanes du Canada dans l'exercice de leurs fonctions » survenues depuis environ 25 ans. M. Tait a immédiatement réagi, parce qu'il était d'avis que le document contenait des renseignements douaniers, selon la définition qu'en donne l'article 107 de la Loi sur les douanes.

[13]    M. Tait a témoigné avoir craint qu'on ne puisse se servir du document pour faire avancer la cause des inspecteurs des douanes. Quand on lui a demandé ce qu'il entendait par là, M. Tait a déclaré que [traduction] « les inspecteurs veulent la parité salariale avec les policiers, et la seule façon pour eux de l'avoir serait qu'on les équipe d'armes à feu. C'est leur plan. »

[14]    Le document contenait ce que M. Tait jugeait être des renseignements confidentiels et faisait état de dossiers eux aussi confidentiels. À son avis, la divulgation de tels renseignements contrevenait au Code de déontologie de l'ADRC. Le 20 mars 2002, il a donc envoyé un courrier électronique aux récipiendaires du « Rapport Kingman », pour leur enjoindre de supprimer le courrier électronique de M. Kingman et toutes les copies qu'ils auraient pu en faire (pièce G-10).

[15]    Après avoir reçu la demande de M. Tait lui enjoignant de détruire le Rapport Kingman, M. King lui a répondu par courrier électronique (pièce E-2) en invoquant certains articles de la Partie II du Code canadien du travail, portant sur les comités de santé et de sécurité et sur les représentants en matière de santé et de sécurité, puis en ajoutant ce qui suit :

[Traduction]

Compte tenu des dispositions législatives susmentionnées et en ma qualité de membre du Comité national mixte de santé et de sécurité au travail, je me sens obligé de vous informer que je n'ai pas l'intention de me conformer à votre directive, tel que précisée au paragraphe sept (7) de ladite pièce jointe.

Je tiens à conserver tous les renseignements et/ou les documents qui ont été portés à mon attention en ce qui concerne la santé et la sécurité des membres que je représente. En outre, j'estime que tous les employés qui sont membres de comités locaux de santé et de sécurité au travail ont également le droit de conserver ces renseignements dans leurs dossiers locaux. Je le répète encore, pour les raisons déjà précisées.

[16]    M. Tait a saisi de la question la directrice régionale de la région du Sud de l'Ontario des Douanes, Mme Barbara Hebert. Mme Hebert a témoigné qu'elle avait tous les pouvoirs de gestion applicables au plaignant, dans le cadre de ses responsabilités globales de prestation des services douaniers dans la région.

[17]    Elle a communiqué avec M. King et pris des arrangements pour le rencontrer afin de discuter du courrier électronique dans lequel il avait refusé de se conformer à la demande de détruire le document. La rencontre a été fixée au 8 avril 2002.

[18]    M. King s'est présenté à la rencontre en compagnie de son représentant syndical, M. Waugh. En tant que représentant en santé et sécurité du syndicat et de membre du Comité de SST, il a dit avoir le droit de conserver les renseignements. Mme Hebert lui a expliqué que tous les pouvoirs qu'il avait découlaient des tâches qui lui étaient assignées par le Comité, et que ni le Comité d'orientation national, ni le Comité local de SST ne lui avaient confié cette tâche-là. Par conséquent, elle estimait qu'il n'avait pas le droit de conserver les renseignements. M. King lui a demandé ce qui constituait une infraction de l'article 107; il s'est fait répondre que l'employeur était là pour lui donner des directives. On ne lui a pas dit qu'il avait enfreint l'article 107.

[19]    À la fin de la rencontre, M. King a demandé à Mme Hebert de mettre ce qu'elle lui demandait par écrit, puis il est parti en déclarant qu'il n'obtempérerait pas.

[20]    Mme Hebert a écrit à M. King (pièce G-12) le 8 avril 2002, en décrivant ce qui s'était passé lors de leur rencontre et en lui enjoignant de nouveau de se conformer aux instructions de M. Tait, voulant qu'il détruise les copies du Rapport Kingman.

[21]    M. King était absent de son lieu de travail quand cette lettre du 8 avril lui a été envoyée; il ne l'a reçue qu'à son retour au travail, le 22 avril 2002. Après l'avoir lue, il a répondu à la superviseure de Mme Hebert, Ruby Howard, avec copie à d'autres personnes, en déclarant qu'il considérait la lettre de Mme Hebert comme [traduction] « injustifiée, menaçante et indésirée ». Il ajoutait que c'était [traduction] « un exemple de plus de harcèlement constant ». Enfin, il demandait qu'on ne prenne pas d'autres mesures en ce qui concernait le Rapport Kingman avant que son représentant syndical ne lui ait donné son avis sur les enjeux.

[22]    L'allégation de harcèlement constant de M. King a fait l'objet d'une enquête interne. Le 7 mai 2002, le commissaire adjoint Dan Tucker lui a envoyé un courrier électronique l'informant que la direction avait [traduction] « conclu qu'il n'y avait eu ni harcèlement, ni abus de pouvoir ».

[23]    Le 24 mai 2002, M. King a écrit à Mme Hebert pour lui déclarer qu'il avait supprimé le Rapport Kingman, et que la seule copie qu'il en avait faite était chez son avocat. Il concluait en ces termes [traduction] : « Je me suis ainsi conformé à votre directive » (pièce G-13).

[24]    Mme Hebert lui a répondu le 30 mai, en accusant réception et en ajoutant que s'il se servait de la copie papier, il désobéirait à sa directive, et que des mesures disciplinaires s'ensuivraient (pièce G-16).

[25]    Dans d'autres circonstances, cela aurait pu vider la question, et il n'aurait pas été nécessaire de raconter toute cette histoire. Toutefois, entre-temps, M. Waugh devait participer à une réunion du Comité de SST le 14 mai 2002. Il a témoigné avoir reçu un document anonyme par télécopieur, à sa résidence, « juste avant » cette réunion. Il en a pris connaissance et l'a déposé à la réunion du Comité de SST le 14 mai. Ce document était intitulé [traduction] « Rapport sommaire d'incident critique d'un agent des douanes du Canada ».

[26]    Le compte rendu de la réunion du Comité de la SST précise que M. Waugh a tenté de distribuer des copies de ce document, mais que le Comité les a refusées (pièce G-39). En outre, comme l'origine du document ainsi que son auteur n'étaient pas connus, le coprésident du Comité pour la direction, Allen Ilasewich, a envoyé le document à son superviseur, Norm Sheridan, pour lui demander ce qu'il fallait en faire. M. Sheridan l'a informé que ce document était très semblable au Rapport Kingman, dont l'employeur avait ordonné la destruction.

[27]    Par suite de sa discussion avec M. Sheridan, M. Ilasewich a envoyé à M. Waugh un courrier électronique daté du 27 mai 2002 dans lequel il déclarait notamment ce qui suit (pièce G-34) :

[Traduction]

[...]

Les copies distribuées par Emerson sont de très mauvaise qualité et ne semblent pas contenir des renseignements douaniers dont la divulgation est interdite par l'article 107, mais comme une autre version du document lui-même a été trouvée à d'autres endroits, je vous demanderais de détruire toutes les copies que vous avez; si vous en avez fait des copies et que vous les avez faites parvenir à d'autres, je vous demanderais aussi de les prier de détruire les copies qu'ils ont, et ainsi de suite.

[...]

[28]    Le 8 juin, M. King a écrit à M. Tait pour lui demander une copie approuvée du Rapport Kingman (pièce G-17A). Le 9 juillet, M. Tait lui a répondu (pièce E-5) :

[Traduction]

[...]

Vous avez aussi demandé que la direction fournisse au syndicat une copie approuvée du « tableau Kingman ». Ce ne serait ni productif, ni rentable, en raison des limitations du « tableau Kingman » soulignées dans le paragraphe qui précède. Il est plus productif que nous concentrions nos ressources sur le nouveau système que nous mettons au point pour prendre note des incidents et pour les signaler.

Vous avez aussi demandé qu'un document présenté par Emerson Waugh au Comité des opérations passagers en milieu de travail de l'AIP soit comparé au « tableau Kingman » [...] Nous estimons que les renseignements figurant dans ce document ne sont pas du ressort d'un comité local en milieu de travail, puisque leur portée est bien plus vaste.

En raison de ce qui précède, nous sommes dans l'impossibilité d'accepter votre demande d'information.

[...]

[29]    Le 11 juin 2002, M. King participait à une réunion de son Comité de SST. Il y a distribué des copies d'un document intitulé « Rapport sommaire d'incident critique », en demandant si c'était le Rapport Kingman ou pas (pièce E-13). M. Ilasewich était là ce jour-là aussi, en sa qualité de coprésident du Comité pour la direction, mais M. Waugh était absent. Le Comité a décidé de renvoyer le document au Comité d'orientation national de SST pour que celui-ci l'examine de façon plus approfondie (onglet 11).

[30]    À la suite de la réunion du 11 juin du Comité de SST, M. Ilasewich a envoyé à M. King un courrier électronique (pièce E-14) dans lequel il déclarait notamment ce qui suit :

[Traduction]

[...]

John, à notre réunion du Comité de SST du 11 juin, vous avez déposé des copies d'un document intitulé Rapport sommaire d'incident critique d'un agent des douanes du Canada. Vous avez demandé qu'on vous confirme s'il s'agissait du même document que celui qui avait été déposé par Emerson Waugh à la réunion du Comité de SST le 14 mai.

J'ai pris connaissance du document, et je puis vous dire qu'il y a suffisamment d'éléments communs aux deux documents pour pouvoir déclarer qu'ils sont identiques.

[...]

Je vous demande de détruire toutes les copies de ce document, pour éviter toute infraction de l'article 107.

[...]

[31]    Le 15 juillet, M. Ilasewich a envoyé à MM. King et Waugh un autre courrier électronique (pièce G-42) :

[Traduction]

John et Emerson, on a examiné la copie du Rapport sommaire d'incident critique d'un agent des douanes du Canada qu'Emerson a présenté au Comité de SST le 14 mai.

À la suite de cet examen, on a conclu que le document renferme encore des renseignements dont la divulgation constituerait une infraction de l'article 107 de la Loi sur les douanes.

Par conséquent, comme il vous l'a déjà été demandé, veuillez détruire toutes les copies de ce document. Veuillez aussi confirmer par courrier électronique que vous vous êtes conformés à ma demande, d'ici au lundi 22 juillet 2002. Merci, Allen

[32]    Le 16 juillet, M. Waugh a répondu par écrit à M. Ilasewich en lui demandant comment il avait enfreint l'article 107. Il déclarait qu'il allait détruire le document une fois qu'on lui aurait donné les précisions qu'il demandait (pièce E-15).

[33]    M. Ilasewich a répondu le 19 juillet, en citant l'article 107 de la Loi sur les douanes et en enjoignant de nouveau à M. Waugh de détruire toutes les copies du document pour le 24 juillet, faute de quoi il serait passible de mesures disciplinaires. Ce délai a plus tard été prolongé jusqu'au 26 juillet 2002 (pièce G-43).

[34]    Le 26 juillet, M. Waugh a répondu en déclarant [traduction] « Il m'est toujours impossible de me conformer à votre directive, et je vous demande de continuer à en tenir compte en conséquence » (pièce E-16).

[35]    Jean Laronde est directrice des Relations de travail à l'ADRC. Une de ses fonctions consiste à superviser le Comité d'orientation national dans le contexte des réunions des comités de santé et de sécurité au travail. Elle a assisté à une de ces réunions le 23 juillet 2002, et c'est alors que Serge Charette, qui était président de la CEUDA à l'époque, a présenté un rapport en demandant si c'était celui qu'on demandait aux employés de détruire. L'employeur s'était alors engagé à faire parvenir le document à M. Tait afin de pouvoir répondre à M. Charette, et le Comité avait convenu de se réunir de nouveau le 31 juillet pour se pencher sur ce rapport relatif à des situations dangereuses en milieu de travail.

[36]    À la réunion du 31 juillet, l'employeur a proposé de faire une étude sur les situations dangereuses constatées au cours des trois années précédentes. Le syndicat a demandé que l'étude remonte cinq ans en arrière; l'employeur a accepté cette proposition. Il a aussi été convenu que l'étude serait confiée à une firme de consultants.

[37]    Le 7 août, la présidente nationale de la CEUDA, Betty Bannon, a envoyé à plusieurs personnes - dont M. King - un courrier électronique précisant que le syndicat avait accepté que l'étude en question porte sur cinq ans (pièce E-1, page 4). M. King n'était pas content qu'elle soit limitée à une période de cinq ans; il l'a fait savoir à Mme Bannon dans sa réponse, datée du 11 août 2002 (pièce E-1, page 3).

[38]    En contre-interrogatoire, Mme Laronde a déclaré que les parties aux réunions des comités de SST étaient égales et que chacune pouvait par conséquent soulever une question. Néanmoins, elle a aussi déclaré qu'on s'était globalement entendu pour qu'il n'y ait pas de surprises, de sorte que les questions discutées dans les réunions des comités étaient habituellement convenues à l'avance.

[39]    Norm Sheridan est le directeur de district des Opérations passagers à l'Aéroport international Pearson. En bout de ligne, MM. King et Waugh relèvent de lui. Comme ils ne se conformaient pas à l'ordre de détruire le document, M. Sheridan les a rencontrés, le 12 août, pour tenter de les persuader de le faire. Ils ont discuté de plusieurs questions, après quoi M. Sheridan a écrit des courriers électroniques à MM. King et Waugh le 13 août, pour leur rappeler ce qu'il considérait comme étant les questions dont ils avaient discuté à leur rencontre, en leur demandant s'il les avait bien saisies (pièce E-17).

[40]    Une des questions que M. King avait soulevées était mentionnée dans le courrier électronique du 13 août :

[Traduction]

Questions de M. King

Quels sont les renseignements figurant dans le rapport qui contreviennent à l'article 107 de la Loi sur les douanes, et si ces renseignements ont été supprimés dans le processus d'approbation, cela ne serait-il pas réputé suffisant pour faire du RSI un document acceptable?

[41]    Ni M. King, ni M. Waugh n'ont répondu à M. Sheridan; par conséquent, le 19 août, celui-ci leur a récrit (pièce G-19) en répondant lui-même aux questions qu'il avait soulevées dans ses courriers électroniques du 13 août. Il précisait notamment ce qui suit, en réponse à la question que M. King avait soulevée :

[Traduction]

1) Je n'ai pas poursuivi la question du processus d'approbation, puisque vous n'aviez confirmé ni à Allen, ni à moi-même que nous l'avions bien saisie. La direction de l'ADRC est d'avis que le RSI qu'Emerson a présenté le 14 mai au Comité de SST des Opérations passagers de l'AIP contient des renseignements sur les voyageurs dont la divulgation est interdite par l'article 107 de la Loi sur les douanes (art. 107, LD). Allen a donc demandé à tous ceux qui avaient reçu une copie du document à cette réunion-là de la détruire.

[42]    Le 27 août 2002, M. Sheridan a rencontré MM. King et Waugh pour leur imposer une sanction disciplinaire. Ils ont tous les deux écopé d'une suspension d'un jour. Les lettres disciplinaires se lisent notamment comme suit (pièces G-22 and G-23) :

[...]

« Votre refus constant et répété d'obéir aux ordres de la direction constitue de l'insubordination. En raison de la gravité de l'inconduite susmentionnée [...] il vous est imposé une suspension d'un jour (7,5 h) [...] »

[43]    MM. King et Waugh ont témoigné avoir redemandé en quoi le document contrevenait à l'article 107 de la Loi sur les douanes lors de la rencontre disciplinaire, en déclarant qu'on ne le leur avait pas dit.

[44]    En contre-interrogatoire, M. Sheridan a confirmé n'avoir jamais vu d'avis juridique ni de rapport d'enquête précisant en quoi le document contrevenait à l'article 107. Mme Hebert lui avait déclaré qu'une opinion juridique soutenait que le document contrevenait à l'article 107 et lui avait enjoint d'ordonner la destruction du document.

[45]    M. Sheridan a concédé que la simple possession du document ne sapait pas la prestation du service du programme de douanes à l'Aéroport international Pearson.

[46]    Il a aussi concédé que MM. King et Waugh avaient offert de supprimer les noms figurant dans le document, si la difficulté en résultait.

[47]    Le 4 septembre 2002, on a de nouveau ordonné aux deux plaignants de se conformer à l'ordre de détruire le document, au plus tard le 6 septembre 2002 (pièce G-27).

[48]    Le 5 septembre 2002, M. King a envoyé à diverses personnes un courrier électronique dans lequel il déclarait [traduction] : « [...] nous avons été "incapables", pour diverses raisons, de nous conformer à l'ordre ».

[49]    L'employeur a imposé à MM. King et Waugh un suspension de dix jours (pièces G-24 et G-25). Les lettres disciplinaires précisaient notamment ce qui suit :

[Traduction]

[...]

En persistant à défier la direction et à refuser d'obéir à ses ordres, vous vous êtes rendu coupable d'insubordination [...]

L'Agence s'attend à ce que vous obéissiez aux ordres qui vous sont donnés par la direction.

[...]

[50]    Le 4 octobre 2002, M. King a envoyé à divers représentants de l'employeur un courrier électronique contenant la déclaration suivante (pièce G-32) :

[Traduction]

[...]

« Sous une extrême contrainte, j'ai obtempéré et détruit les documents comme on me l'avait ordonné. »

[51]    M. Waugh s'est lui aussi conformé à l'ordre de la direction, après avoir écopé de sa suspension de dix jours.

Arguments pour les plaignants

[52]    Personne n'a pu préciser où se situait l'infraction de l'article 107. En fait, dans son courrier électronique daté du 27 mai, M. Ilasewich déclarait que le rapport [traduction] « ne sembl[ait] pas contenir des renseignements douaniers dont la divulgation est interdite par l'article 107 ». Les deux plaignants ont offert de façon répétée de retirer de tels renseignements, mais l'employeur n'a jamais précisé où était l'infraction.

[53]    La personne qui a décidé que le document constituait une infraction de l'article 107, M. Tait, a déclaré qu'il était lié à un élément radical. Les plaignants déclarent que les actions de M. Tait étaient entachées de sa perception qu'ils étaient des radicaux. Ils tentaient simplement de représenter les employés aux réunions du Comité de SST.

[54]    En ordonnant la destruction du document, l'employeur a supprimé à toutes fins utiles l'information dont les plaignants se servaient pour représenter les membres du syndicat aux réunions du Comité de SST. Le document détruit ne peut pas être récupéré. Il aurait pu contenir des renseignements licites susceptibles de promouvoir les intérêts légitimes des membres du syndicat. Fondamentalement, l'employeur a empêché les plaignants de représenter les membres de leur syndicat.

[55]    Les plaignants n'ont jamais dit que les renseignements en question devaient être divulgués au-delà du lieu de travail. Leur seul objectif, qu'ils ont expliqué à l'employeur, était de se servir du document aux réunions du Comité de SST.

[56]    La responsabilité du Comité de SST consiste à faire en sorte que les employés soient informés de tous les dangers réels et potentiels au lieu de travail. L'employeur a même accepté de réaliser une étude des dangers constatés dans ce contexte au cours des cinq années précédentes. Pourquoi a-t-il accepté de le faire? Parce qu'il n'a pas ces renseignements, de sorte qu'il a dû se servir de ceux qui figuraient dans le document pour mener son étude.

[57]    La preuve a révélé que la possession du document n'avait pas sapé les activités de l'Agence. Par conséquent, comment l'ordre de les détruire était-il raisonnable ou légal?

[58]    On n'a présenté aucune preuve pour démontrer que les renseignements figurant dans le tableau avaient été obtenus illicitement ou par un accès interdit à la banque de données de l'employeur. On peut se les procurer ouvertement; comment l'employeur peut-il alors prétendre qu'on a enfreint l'article 107, étant donné que les renseignements sont d'ordre public?

[59]    L'agent négociateur a le droit de recueillir les renseignements dont il veut se servir pour représenter ses membres. La simple compilation de renseignements ne peut être interprétée comme une infraction de la loi. Si les renseignements sont obtenus d'une source publique, le syndicat a le droit de s'en servir.

[60]    L'employeur a enfreint le paragraphe 8(1) de la LRTFP en s'ingérant dans la représentation licite de ses membres par le syndicat.

[61]    La plus grande partie de la jurisprudence relative au droit de l'employeur de donner un ordre vaut dans l'exercice des fonctions des employés, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence. Ici, l'employeur a donné une directive à des représentants à un comité de SST qui sont en congé pour s'occuper à plein temps des affaires du syndicat. Est-il raisonnable de déclarer que les représentants syndicaux peuvent être assujettis aux mêmes normes que les employés?

[62]    L'ordre de l'employeur était illégal, puisqu'il constituait une infraction du paragraphe 430(1) du Code criminel. L'employeur a mal agi en faisant obstacle à l'utilisation légale des données en question.

[63]    L'employeur a aussi enfreint l'article 147b) du Code canadien du travail en limitant les droits que cet article reconnaît aux plaignants, qui se livraient à une activité légale en vertu de la Partie II du Code, lorsqu'il s'est ingéré dans cette activité légale.

[64]    L'employeur a aussi enfreint la Charte canadienne des droits (Partie I, alinéa 2e)) en ordonnant la destruction d'un document dont il savait qu'il ferait l'objet d'une procédure devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

[65]    Le syndicat a invoqué les décisions suivantes : Kinhnicki c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 52; Boivin c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 94; Pruyn c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2002 CRTFP 17; Canada (Natural Resources) and Guilbeault [1997] C.L.C.R.S.O.D. No. 5; Marken et Carson, dossier de la CRTFP 161-2-605 (1992) et Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2000 CRTFP 5.

Arguments pour l'employeur

[66]    Il s'agit ici de plaintes fondées sur l'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et sur l'article 147 du Code canadien du travail, Partie II. Par conséquent, le fardeau de la preuve incombe aux plaignants. La question qu'il faut se poser consiste à savoir si l'employeur a porté atteinte aux droits des employés.

[67]    En l'occurrence, l'Agence des douanes et du revenu du Canada gérait ses affaires conformément à l'article 51 de la Loi sur l'Agence des douanes et du revenu du Canada.

[68]    En ce qui concerne la prétendue infraction de l'article 147 du Code, il faut déterminer si les actions de l'employeur étaient entachées de représailles ou non. Cette question a été tranchée dans une décision du Conseil canadien des relations industrielles (Ouimet, [2002] CCRI no 171). Au paragraphe 56 de cette décision, le Conseil a déclaré ce qui suit :

[56] En outre, le rôle du Conseil n'est pas de déterminer si le degré de discipline était juste, ni même si l'employeur avait juste cause pour imposer quelque mesure disciplinaire que ce soit, comme pourrait le faire un arbitre dans une procédure de grief selon la convention collective, mais d'être convaincu que l'action de l'employeur n'est pas entachée de représailles envers le plaignant pour son rôle de coprésident du comité et ses autres activités connexes. Ce n'est donc pas au Conseil de statuer si la mesure disciplinaire imposée était justifiée ou excessive (voir Patrick R. Ridge (1992), 88 di 20 (CCRT no 934)). Un employeur peut imposer des mesures disciplinaires à un employé pour une bonne raison, une raison discutable ou pour aucune raison, tant qu'il n'y a pas de violation des dispositions du Code (voir Claude H. Foisy et autres, Canada Labour Relations Board Policies and Procedures (Toronto, Butterworths, 1986), à la page 247).

[69]    Des sanctions disciplinaires ont été imposées pour inconduite. Les plaignants n'ont pas subi de sanctions disciplinaires pour s'être prévalus de leurs droits en vertu du Code canadien du travail, de sorte que leur prétention que l'employeur a enfreint l'article 147 du Code n'est pas fondée.

[70]    De même, invoquer l'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour alléguer que l'employeur a enfreint l'article 8 de cette Loi n'est possible que si l'on prouve que les actions de l'employeur étaient entachées de mauvaise foi.

[71]    Il n'y a aucune indication de mauvaise foi ici. En fait, l'employeur a tenté à maintes reprises d'amener les employés à obtempérer avant d'entamer une procédure disciplinaire.

[72]    Il s'agit simplement d'appliquer l'axiome bien connu en relations de travail, à savoir qu'il faut obéir d'abord et présenter un grief ensuite. Les plaignants auraient pu se conformer à cet axiome en remettant une copie du document à leur avocat pour le préserver, en présentant ensuite un grief pour contester l'ordre de le détruire.

[73]    Le syndicat a conclu une entente pour qu'on mène une étude sur les incidents constatés au cours des cinq années précédentes. Cette entente n'a peut-être pas eu l'heur de plaire aux plaignants, mais elle n'en a pas moins été conclue, de sorte qu'ordonner la destruction du document ne leur causait aucun tort irréparable.

[74]    Le Guide des ressources humaines de l'Agence précise que la règle selon laquelle il faut obéir d'abord et présenter un grief ensuite a des exceptions dans quatre conditions qu'on ne trouve pas en l'espèce, car il aurait fallu qu'obéir à l'ordre ait lésé quelqu'un, que l'ordre ait été impossible à respecter, que les employés aient commis un acte illégal en lui obéissant et enfin qu'il n'y ait pas eu de rapport direct entre l'ordre et les activités régulières du service, en ce qu'il n'aurait pas eu pour objet de tenter de protéger des renseignements relatifs au clients.

[75]    Quant à la prétendue infraction de l'article 430 du Code criminel, l'employeur a été informé que cette allégation avait été rejetée par un juge de paix.

[76]    La Charte des droits n'a pas été violée, étant donné que l'employeur a le droit de protéger son entreprise. Il faut concilier les droits des employés avec les siens.

[77]    Les sanctions disciplinaires imposées en l'espèce l'ont été pour de l'insubordination, rien de plus et rien de moins. Il n'y a pas eu d'infraction de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, ni du Code.

[78]    L'employeur a invoqué les décisions suivantes : Ouimet, [2002] CCRI no 171; Blakely, [2003] D.C.C.R.I. no 33; Ridge, CCRT no 934; Gilmore, [1994] CCRT no 1096; Alan Kucher, [1996] CCRT no 1180; Boivin c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 94; Rozon c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada), 2002 CRTFP 30; Buchanan c. Service correctionnel du Canada, 2001 CRTFP 128; Day c. Blattman, dossiers de la CRTFP 161-2-809 et 161-2-810 (1999); Chopra et Canada (Santé Canada), dossiers de la CRTFP 161-2-858 et 161-2-860 (1998); Fairall et McGregor, dossier de la CRTFP 161-2-368 (1987); Tobin et Brown, dossier de la CRTFP 161-2-438 (1989); Jackson et Séguin, dossier de la CRTFP 161-2-399 (1988); Doucette c. Conseil du Trésor (Ministère de la Défense nationale), 2003 CRTFP 66 et King c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Douanes, Accise et Impôt), 2003 CRTFP 48.

Réplique

[79]    Cette affaire a commencé quand le Rapport Kingman est apparu; après en avoir pris connaissance, M. Tait a conclu qu'il enfreignait l'article 107. Ce document-là a été détruit sans que des mesures disciplinaires ne soient prises. Nous sommes ici à cause d'un second document qui n'a pas été examiné par l'employeur pour vérifier s'il enfreignait l'article 107 ou non. L'ordre de détruire ce document a fait qu'il était impossible pour les plaignants de représenter leurs membres.

[80]    L'action de l'employeur a manifestement été prise par représailles contre les plaignants, qui tentaient simplement de faire leur travail. L'employeur n'a fait aucun effort pour les aider à faire modifier le document de façon à se conformer à l'article 107.

Motifs de décision

[81]    Les plaignants ont allégué que l'article 147 du Code canadien du travail, Partie II, avait été enfreint, tout comme l'article 8 de la LRTFP. Je vais me prononcer d'abord sur l'allégation d'infraction de la LRTFP.

[82]    L'article 8 de la LRTFP se lit comme suit :

8. (1) Il est interdit à quiconque occupant un poste de direction ou de confiance, qu'il agisse ou non pour le compte de l'employeur, de participer à la formation ou à l'administration d'une organisation syndicale, ou d'intervenir dans la représentation des fonctionnaires par une telle organisation ou dans les affaires en général de celle-ci.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), il est interdit :

a) de refuser d'employer ou de continuer à employer une personne, ou encore de faire des distinctions injustes fondées, en ce qui concerne l'emploi ou l'une quelconque des conditions d'emploi d'une personne, sur l'appartenance de celle-ci à une organisation syndicale ou sur l'exercice d'un droit que lui accorde la présente loi;

b) d'imposer — ou de proposer d'imposer —, à l'occasion d'une nomination ou d'un contrat de travail, une condition visant à empêcher un fonctionnaire ou une personne cherchant un emploi d'adhérer à une organisation syndicale ou d'exercer un droit que lui accorde la présente loi;

c) de chercher, notamment par intimidation, par menace de destitution ou par l'imposition de sanctions pécuniaires ou autres, à obliger un fonctionnaire :

(i) à adhérer — ou s'abstenir ou cesser d'adhérer —, ou encore, sauf disposition contraire dans une convention collective, à continuer d'adhérer à une organisation syndicale,

(ii) à s'abstenir d'exercer tout autre droit que lui accorde la présente loi.

[83]    L'employeur allègue que les plaignants étaient coupables d'insubordination et qu'ils n'ont pas respecté le principe fondamental en relations de travail qu'il faut obéir d'abord et présenter un grief ensuite. Ils ont écopé de sanctions disciplinaires par suite de leur insubordination. L'employeur estime donc n'avoir pas enfreint l'article 8.

[84]    Les deux plaignants étaient représentants en matière de santé et de sécurité; à ce titre, ils étaient considérés comme les égaux de tous les autres membres du Comité de santé et de sécurité au travail, qu'ils fassent partie de la direction ou du syndicat. Les comités de santé et de sécurité au travail ont été créés pour discuter de questions d'intérêt pour l'agent négociateur, pour l'employeur ou pour ces deux parties. Il s'ensuit donc que n'importe quel membre d'un comité du genre peut soulever une question de santé et de sécurité. Cela ne signifie pas qu'il faille obtenir l'unanimité sur la question soulevée, mais, si le comité doit être consultatif, je suis convaincu que n'importe quel de ses membres doit avoir des chances égales d'au moins soulever une question à ses réunions. En tant que participants égaux, MM. King et Waugh avaient sûrement le droit de soulever des questions qui les préoccupaient.

[85]    Dans Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, supra, la Commission a écrit ce qui suit :

[1] Des consultations franches et sérieuses fondées sur la confiance et le respect mutuels sont au coeur de saines relations de travail. Plus les communications entre les parties sont bonnes, plus les rapports sont généralement harmonieux. Inversement, comme l'illustrent les affaires en l'espèce, moins les parties communiquent entre elles, plus leurs rapports deviennent malheureusement agressifs et sans compromis.

[...]

[37] Dans un milieu de travail syndiqué, l'employeur a le droit d'exercer ses pouvoirs de gestion dans la mesure où ce droit n'est pas limité par une loi ou une convention collective. De façon analogue, le syndicat a le droit et, en fait, l'obligation de représenter les employés faisant partie de l'unité de négociation. Inévitablement, les conflits surgissent et la méfiance s'installe quand une partie prétend exercer ses droits à l'exclusion de ceux de l'autre. L'exercice et le respect des droits ne doivent jamais mener à la rupture des communications entre un employeur et un syndicat.

J'estime que ces principes sont éminemment applicables ici.

[86]    En leur qualité de représentants à un comité de SST, les deux plaignants avaient le droit de représenter les intérêts des membres de l'unité de négociation aux réunions de ce comité. En le faisant dans ce cas-ci, ils ont tenté d'introduire un document intitulé « Rapport sommaire d'incident critique », ou quelque chose en ce sens. Cela s'est passé à la réunion du 14 mai 2002 du Comité de SST.

[87]    La preuve a révélé que le coprésident du Comité pour la direction, M. Ilasewich, a fait parvenir ce document à son superviseur, M. Sheridan, en lui demandant ce qu'il devrait en faire. Une fois qu'il a reçu ses instructions, il les a communiquées aux plaignants. Que leur a-t-il dit?

[88]    Dans un courrier électronique daté du 27 mai et adressé à M. Waugh, avec copie à M. Sheridan, M. Ilasewich a déclaré notamment :

[Traduction]

Les copies distribuées par Emerson sont de très mauvaise qualité et ne semblent pas contenir des renseignements douaniers dont la divulgation est interdite par l'article 107, mais [...] je vous demanderais de détruire toutes les copies que vous avez [...]

[89]    À la réunion suivante du Comité de SST, le 11 juin 2002, M. King a distribué des copies d'un document intitulé « Rapport sommaire d'incident critique » en demandant si c'était le même document que celui qui avait été déposé à la réunion précédente.

[90]    Le lendemain, le 12 juin 2002, M. Ilasewich a répondu à M. King :

[Traduction]

[...]

John, à notre réunion du Comité de SST du 11 juin, vous avez déposé des copies d'un document intitulé Rapport sommaire d'incident critique d'un agent des douanes du Canada. Vous avez demandé qu'on vous confirme s'il s'agissait du même document que celui qui avait été déposé par Emerson Waugh à la réunion du Comité de SST le 14 mai.

J'ai pris connaissance du document, et je puis vous dire qu'il y a suffisamment d'éléments communs aux deux documents pour pouvoir déclarer qu'ils sont identiques.

[...]

Je vous demande de détruire toutes les copies de ce document pour éviter toute infraction de l'article 107.

[...]

[91]    La preuve montre clairement que les deux plaignants se faisaient demander de détruire un document qui, selon M. Ilasewich, [traduction] « ne sembl[ait] pas contenir des renseignements douaniers dont la divulgation est interdite par l'article 107 ».

[92]    Ni l'un ni l'autre des plaignants ne s'est conformé à l'ordre de détruire le document, et c'est pourquoi M. Ilasewich leur a envoyé le 15 juillet 2002 un autre courrier électronique :

[Traduction]

John et Emerson, on a examiné la copie du Rapport sommaire d'incident critique d'un agent des douanes du Canada qu'Emerson a présenté au Comité de SST le 14 mai.

À la suite de cet examen, on a conclu que le document renferme encore des renseignements dont la divulgation constituerait une infraction de l'article 107 de la Loi sur les douanes.

Par conséquent, comme il vous l'a déjà été demandé, veuillez détruire toutes les copies de ce document. Veuillez aussi confirmer par courrier électronique que vous vous êtes conformés à ma demande, d'ici au lundi 22 juillet 2002. Merci, Allen

[93]    Le premier examen a révélé que le document ne contenait pas d'infraction de l'article 107, et les plaignants ont alors été informés qu'il y aurait une infraction seulement si le contenu du document était divulgué à d'autres personnes. L'ordre de détruire le document a été maintenu.

[94]    Pourquoi a-t-on demandé aux plaignants de détruire ce document, s'il ne constituait pas une infraction de l'article 107 ou s'il n'en aurait constitué une que s'il avait été divulgué à d'autres? M. Tait a témoigné que le Rapport Kingman, dont le tableau était un dérivé, avait été déposé pour promouvoir le « plan » des inspecteurs des douanes en vue de leur faire obtenir la parité salariale avec les policiers; les intéressés pensaient peut-être que les inspecteurs tentaient d'avancer des arguments pour qu'on les équipe d'armes à feu en suscitant une discussion sur ce Rapport énumérant divers incidents survenus aux postes frontaliers sur une longue période. La seule conclusion que je puisse tirer, c'est que l'employeur a essayé d'empêcher cette discussion en ordonnant la destruction du document.

[95]    Cette conclusion est d'ailleurs étayée par la réticence de l'employeur à fournir à M. King une copie approuvée du document de façon que l'article 107 soit respecté (dans le courrier électronique du 9 juillet de M. Tait et dans celui du 19 août 2002 de M. Sheridan). Il aurait été bien simple de dire aux plaignants où l'infraction se situait (s'il en existait une) et de leur dire aussi comment se conformer.

[96]    Je dois souligner un autre facteur important en l'occurrence, le témoignage de M. Sheridan qui a déclaré que la possession du document ne sapait pas les activités de l'Agence. Là encore, il faut se demander pourquoi on en a ordonné la destruction s'il ne nuisait pas aux opérations.

[97]    En ordonnant la destruction du document, je suis convaincu que l'employeur a empêché les plaignants de se servir des données qu'il contenait pour discuter de leurs préoccupations en matière de santé et de sécurité aux réunions du Comité de SST.

[98]    Je ne puis tirer de la preuve aucune autre conclusion que celle que l'employeur a porté atteinte aux droits des plaignants de représenter les employés et sapé leurs intérêts aux réunions du Comité de SST, ce qui constituerait à mon avis une infraction de l'article 8 de la LRTFP, chose interdite par la Loi.

[99]    Les plaignants allèguent aussi que l'employeur a enfreint l'article 147 du Code canadien du travail, Partie II, qui se lit comme suit :

Mesures disciplinaires

   147.   Il est interdit à l'employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s'il ne s'était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre — ou menacer de prendre — des mesures disciplinaires contre lui parce que :
(a)soit il a témoigné - ou est sur le point de faire - dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;
(b)soit il a fourni à une personne agissant dans l'exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celle de ses compagnons de travail;
(c)soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

[...]

[100]    Les mesures de l'employeur constituent-elles une infraction du Code? Pour le savoir, je pense qu'il est bon de commencer par vérifier le Code afin de déterminer quel était le rôle des plaignants en matière de santé et de sécurité.

[101]    L'article 134.1 du Code prévoit notamment ce qui suit :

[...]

Comité d'orientation en matière de santé et de sécurité

134.1 (1) L'employeur qui compte habituellement trois cents employés directs ou plus constitue un comité d'orientation chargé d'examiner les questions qui concernent l'entreprise de l'employeur en matière de santé et de sécurité; il en choisit et nomme les membres sous réserve de l'article 135.1.

[...]

(4) Le comité d'orientation :

[...]

b) étudie et tranche rapidement les questions en matière de santé et de sécurité que soulèvent ses membres ou qui lui sont présentées par un comité local ou un représentant;

[...]

f) collabore avec les agents de santé et de sécurité;

[...]

[102]    L'article 135 se lit en partie comme suit :

Comités locaux de santé et de sécurité

135. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l'employeur constitue, pour chaque lieu de travail placé sous son entière autorité et occupant habituellement au moins vingt employés, un comité local chargé d'examiner les questions qui concernent le lieu de travail en matière de santé et de sécurité; il en choisit et nomme les membres sous réserve de l'article 135.1.

[103]    L'article 136 se lit en partie comme suit :

Représentants en matière de santé et de sécurité

136. (1) L'employeur nomme un représentant pour chaque lieu de travail placé sous son entière autorité et occupant habituellement moins de vingt employés ou pour lequel il n'est pas tenu de constituer un comité local.

[...]

(5) Le représentant, pour ce qui concerne le lieu de travail pour lequel il est nommé :

[...]

c) tient au besoin avec l'employeur des réunions ayant pour objet la santé et la sécurité au travail;

[...]

[104]    Si nous revenons aux plaintes elles-mêmes, nous devons conclure que l'article 147 interdit notamment à l'employeur de suspendre un employé parce qu'il a observé les dispositions du Code.

[105]    La preuve a démontré que l'employeur a suspendu les plaignants parce qu'ils refusaient de détruire un document. Or, dans leurs fonctions de membres d'un comité de santé et de sécurité au travail, les deux plaignants avaient parfaitement le droit de porter des questions à l'attention du comité. Quel était l'objet de ce comité? Le paragraphe 135(1) du Code dispose qu'il consiste à « examiner les questions qui concernent le lieu de travail en matière de santé et de sécurité ». En ordonnant la destruction d'un document qui, la preuve l'a montré, ne constituait pas une infraction de l'article 107 de la Loi sur les douanes, l'employeur a empêché les plaignants d'examiner ces questions de santé et de sécurité en se servant des données qu'il contenait, et il a par conséquent enfreint le Code.

[106]    De même, j'estime que l'employeur a enfreint l'alinéa 134.1(4)b) du Code en empêchant le Comité de se pencher sur des « questions en matière de santé et de sécurité que [soulevaient] ses membres ». C'est l'évidence même : lorsqu'on empêche un membre d'un tel comité de soulever une question, elle ne peut être examinée.

[107]    Comme j'ai conclu que l'employeur a enfreint l'article 8 de la LRTFP et l'article 147 du Code, quelle mesure corrective dois-je ordonner?

[108]    Le paragraphe 23(2) de la LRTFP dispose que :

23. (2) Dans les cas où, en application du paragraphe (1), elle juge l'employeur, une organisation syndicale ou une personne coupable d'un des manquements qui y sont énoncés, la Commission peut, par ordonnance, lui enjoindre d'y remédier ou de prendre toute mesure nécessaire à cet effet dans le délai qu'elle estime approprié.

[109]    Comme le document a été détruit conformément à l'ordre de l'employeur, je ne pense pas qu'il soit possible de lui ordonner de le rendre aux plaignants. De toute façon, une des raisons pour lesquelles ces derniers l'avaient introduit consistait à soulever des questions de santé et de sécurité relativement à divers incidents mettant en cause des agents des douanes. L'employeur et le syndicat s'étaient entendus pour examiner cette question avec l'aide d'un consultant; elle est donc examinée, dans cette mesure.

[110]    Les plaignants ont tous deux été suspendus pour un total de onze jours. L'employeur maintient qu'ils l'ont été pour inconduite. Toutefois, j'ai conclu que son ordre constituait une infraction de la LRTFP et j'ordonne donc, en vertu de l'article 23, qu'il dédommage intégralement chacun des plaignants pour ces onze jours de suspension. Le dédommagement comprendra le retrait de toute mention des suspensions des dossiers des intéressés.

[111]    Les plaignants ont aussi réclamé le remboursement de leurs frais (juridiques ou autres), des dommages-intérêts de 100 000 $ pour leur suspension d'un jour et de 1 000 000 $ pour leur suspension de dix jours, de même que des excuses écrites affichées dans un lieu approprié.

[112]    Je refuse de leur accorder ces autres mesures correctives. Dans la mesure où ils ont supporté des frais et subi des dommages, on ne m'a pas fait état de frais ni de dommages quantifiables. Comme je viens de le dire, le syndicat et l'employeur se sont entendus pour qu'une étude soit faite sur les incidents survenus au cours des cinq années précédentes. Tous les torts que les plaignants ont pu subir faute d'avoir été en mesure de discuter sur leurs données sont réparés, à mon avis, parce que le syndicat a souscrit à cette démarche d'étude. Le syndicat agit au nom de tous ses membres, y compris M. King et M. Waugh, et son acceptation d'un projet d'étude sur une période de cinq ans subsume tout ce à quoi M. King pourrait ne pas souscrire à cet égard. On a examiné la question.

[113]    Je ne crois pas qu'on puisse tirer quoi que ce soit de positif d'une décision ordonnant à l'employeur de faire des excuses écrites. Une fois publiée, la présente décision pourra être lue par tous, et elle parle d'elle-même.

[114]    Je ne crois pas nécessaire non plus de me prononcer sur une allégation de manquement à la Charte canadienne des droits ou d'infraction du Code criminel.

[115]    Dans la mesure que j'ai précisée, les plaintes sont accueillies.

[116]    Le principe qu'il faut obéir d'abord et présenter un grief ensuite s'applique dans le contexte d'un grief, alors qu'il s'agit en l'occurrence de plaintes. Si l'on conclut qu'il y a eu une infraction de la Loi, comme je l'ai fait, le principe qu'il faut obéir d'abord et présenter un grief ensuite n'est pas pertinent à mon avis. S'il s'était agi en l'occurrence de griefs portés à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la LRTFP, ce principe aurait bien pu s'appliquer, mais je le répète, il s'agit ici de plaintes fondées sur l'article 23, et j'estime que le principe d'obéir d'abord et de présenter un grief plus tard ne s'applique pas dans ces circonstances.

[117]    J'ajouterais aussi que la Commission a une grande expérience de la médiation préventive, et que ses médiateurs compétents peuvent assister les parties en milieu de travail s'ils sont invités à le faire dès les premières étapes. Dans des circonstances comme celles en l'espèce, ils peuvent être invités à les aider à concevoir des solutions plus positives pour surmonter des problèmes qui leur semblent difficiles dans le milieu de travail.

Joseph W. Potter,
vice-président

OTTAWA, le 13 janvier 2005.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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