Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Pratique déloyale de travail - Plainte fondée sur l'alinéa 23(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique alléguant une infraction du paragraphe 10(2) - Décision arbitraire - la plaignante avait été renvoyée en cours de stage - elle avait présenté un grief pour contester son licenciement - après avoir reçu la décision de l'employeur au premier palier de la procédure de règlement des griefs, elle avait demandé à son agent négociateur de porter le grief au deuxième palier - l'agent négociateur avait négligé de le faire - la Commission a jugé que la plaignante n'avait jamais eu l'intention de renoncer à son grief, et que la négligence grave de l'agent négociateur équivalait à une conduite arbitraire - elle a aussi conclu que l'injustice que la plaignante avait subie justifiait une prolongation du délai de présentation de son grief - la Commission s'est prévalue de son pouvoir discrétionnaire de remettre la plaignante dans la situation où elle aurait été si son agent négociateur ne s'était pas rendu coupable de négligence, en ordonnant à ce dernier de présenter le grief au deuxième palier de la procédure dans les 21 jours de sa décision. Plainte accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2005-01-31
  • Dossier:  161-02-1266
  • Référence:  2005 CRTFP 9

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

PATTI ANN PEACOCK

plaignante

et

SYNDICAT DES AGENTS CORRECTIONNELS DU CANADA

intimé

AFFAIRE :    Plainte fondée sur l'article 23 de la
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Devant : Paul Love, commissaire

Pour la fonctionnaire : Me Lee D. Mayzes

Pour l'agent négociateur : John Mancini, SYNDICAT DES AGENTS CORRECTIONNELS DU CANADA - UNION OF CANADIAN CORRECTIONAL OFFICERS - CSN


Affaire entendue à Calgary (Alberta),
le 21 septembre 2004.


[1]    Patti Ann Peacock a présenté à la Commission une plainte fondée sur l'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35, déclarant que son agent négociateur, le SYNDICAT DES AGENTS CORRECTIONNELS DU CANADA - UNION OF CANADIAN CORRECTIONAL OFFICERS (UCCO-SACC-CSN) avait agi de manière arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi en ne traitant pas comme il se devait le grief par lequel elle contestait son renvoi en cours de stage de son poste d'agent correctionnel (CX-01) à l'établissement Drumheller.

[2]    Mme Peacock a présenté sa plainte à la Commission le 14 août 2003. Elle s'est plainte que le représentant local de son agent négociateur n'avait pas porté ce grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs.

[3]    La plainte a fait l'objet d'une procédure de médiation; le 29 décembre 2003, [traduction] « sans admettre les faits allégués dans [la] plainte, ni [sa] responsabilité [...] », l'intimé a souscrit à la plupart des redressements réclamés par Mme Peacock, à savoir :

[Traduction]

[...]

a)une ordonnance que le SACC porte à l'arbitrage le grief de la plaignante contre le SCC;
b)une ordonnance que le SACC représente à ses frais la plaignante à l'arbitrage;
c)une ordonnance dispensant la plaignante de l'obligation de respecter les délais ou prolongeant ces délais, de façon à éviter que le SACC puisse refuser de porter son grief à l'arbitrage;

[...]

[4]    Le 16 janvier 2004, Mme Peacock a demandé que l'intimé [traduction] « obtienne le consentement écrit de l'employeur qu'elle soit exemptée de tous les délais applicables qui auraient pu avoir expiré dans le contexte de la présentation de [son] grief ou, subsidiairement, qu'il obtienne de la CRTFP une ordonnance au même effet. » Elle demandait aussi que sa plainte soit mise en suspens jusqu'à ce qu'une décision d'arbitrage soit rendue sur le grief contestant son renvoi en cours de stage.

[5]    Le 28 janvier 2004, la Commission a fait parvenir à l'employeur une copie de la plainte et de la demande de Mme Peacock datée du 16 janvier 2004.

[6]    Le 9 mars 2004, l'employeur s'est opposé à la demande que la plainte soit mise en suspens; de plus, il a informé la Commission de son intention de contester la compétence d'un arbitre d'entendre le grief de Mme Peacock. Un des motifs invoqués par l'employeur était l'irrecevabilité du grief parce qu'il avait été présenté tardivement au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs.

[7]    Afin que les parties soient disponibles, la date d'audience de la plainte a été fixée au 21 septembre 2004. Les parties et l'employeur ont été informés en conséquence.

[8]    Le 28 mai 2004, la Commission a informé les parties et l'employeur de ce qui suit :

[Traduction]

[...]

L'audience qui doit avoir lieu en septembre se limitera aux questions découlant de la plainte sans s'attaquer au fond d'un grief quelconque. Bien que la Commission sache que des discussions sont en cours entre la plaignante et l'intimé, le dossier de plainte ne peut être fermé tant que la plainte n'aura pas été retirée par la plaignante ou qu'une décision n'aura pas été rendue. Veuillez aussi prendre note qu'une ordonnance dispensant la plaignante de l'obligation de respecter le délai de présentation d'un grief ou le prolongeant ne peut être rendue que par suite d'une décision au fond favorable à la plaignante. Il faudra donc que l'affaire soit entendue pour trancher la question de la responsabilité de même que de la question de tous les redressements susceptibles de découler d'une conclusion défavorable à l'agent négociateur.

[...]

[9]    À l'audience, j'ai entendu le témoignage de Patti Ann Peacock et de Rodney Morgan, pour la plaignante, ainsi que celui de Jean-Jacques Beauchamp, pour l'agent négociateur. L'employeur a déposé une lettre contestant le grief, mais son avocat ne s'est pas présenté à l'audience.

[10]    Mme Peacock a commencé à travailler pour le Service correctionnel du Canada (SCC) à l'établissement Drumheller le 1er octobre 2001. Elle était en période de stage. Vers le 23 avril 20021 , Mme Peacock et une collègue de travail, Gavina King, se trouvaient à Calgary en dehors de leurs heures de travail quand elles ont été accusées de voies de fait contre un chauffeur de taxi. Quand l'employeur a appris qu'elle avait été accusée au criminel, il a suspendu Mme Peacock sans traitement, le 26 avril 2002.

[11]    Mme Peacock a déclaré avoir reçu par la poste, le 2 juin 2002, une lettre la convoquant à une réunion avec le directeur de l'établissement Drumheller, F.E. Wilson, dans l'immeuble A-1 de l'établissement. On lui enjoignait de se faire accompagner d'un représentant de l'agent négociateur. Elle s'est présentée à la réunion avec David Newhook. À l'audience, elle a témoigné que le directeur lui avait déclaré qu'il [traduction] « agissait conformément aux résultats de l'enquête qu'il avait menée » et qu'il avait décidé de la renvoyer en cours de stage. Mme Peacock a dit avoir tenté de faire comprendre au directeur qu'elle avait fréquenté l'université pendant quatre ans, qu'elle avait des antécédents dans la GRC et qu'elle n'aurait jamais compromis son emploi en faisant quelque chose comme ce qu'on lui reprochait. L'employeur l'a licenciée en la renvoyant en cours de stage.

[12]    Après cette réunion avec le directeur, Mme Peacock a eu une rencontre avec M. Newhook. Dans son témoignage, elle a précisé comment elle avait interprété cette rencontre. M. Newhook lui avait dit qu'elle n'aurait qu'à présenter un grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs, étant donné qu'elle était employée depuis peu, en lui disant de remplir la formule de grief. Il lui a dit qu'elle devrait trouver un emploi immédiatement, parce que la procédure allait [traduction] « prendre un bon bout de temps ». Mme Peacock a pris des arrangements pour que son conjoint de fait, Rodney Morgan, lui apporte une formule, ce qu'il a fait deux jours plus tard.

[13]    Mme Peacock a téléphoné à M. Newhook pour savoir comment remplir la formule de grief. Ensuite, elle l'a remplie et l'a remise à Rodney Morgan. Elle a déclaré être sûre que celui-ci l'avait livrée à l'établissement Drumheller, puisqu'elle a reçu quelques jours plus tard une réponse au premier palier de la procédure de règlement des griefs.

[14]    Cette réponse de l'employeur au premier palier figure dans la décision de la direction sur le grief datée du 4 juillet 2002 (pièce 1) :

[Traduction]

[...]

Veuillez prendre note que j'ai soigneusement analysé toutes les circonstances ainsi que toute l'information sur votre grief au premier palier concernant votre congédiement, basé sur des erreurs de fait dans l'enquête et sur votre renvoi en cours de stage.

Le 14 mai 2002, on a mené une enquête disciplinaire sur l'inconduite qui vous était reprochée. Vous avez déclaré que le rapport contenait des erreurs de fait et que vous n'aviez pas été impliquée dans des voies de fait. Je ne trouve aucune raison de croire que l'information figurant dans le Rapport d'enquête disciplinaire daté du 14 mai 2002 ne reflète pas les faits et j'estime que ce rapport est une description très complète et exacte de l'inconduite à laquelle vous avez été mêlée.

Je constate que vous continuez à n'assumer aucune responsabilité pour vos actions. Je conclus aussi que votre conduite est inacceptable. La preuve recueillie dans le cadre de l'enquête a démontré que vous avez été belliqueuse à l'endroit de la serveuse de l'hôtel Town and Country, que vous avez refusé de quitter les lieux, qu'on a appelé la police et que vous avez persisté dans votre refus de coopérer. Après avoir été expulsée de l'hôtel, vous avez pris un taxi; pendant qu'il était en marche, vous avez insulté le chauffeur et vous l'avez agressé physiquement; il s'est enfui et il a appelé la police. Vous avez été accusée de voies de fait.

En tant qu'employée du Service correctionnel du Canada, nous nous attendons à ce que vous vous comportiez au travail et ailleurs d'une façon qui fasse honneur au Service. Quand j'ai pris la décision de vous renvoyer en cours de stage, j'ai tenu compte de votre dossier professionnel, notamment que vous travaillez pour le Service correctionnel du Canada depuis moins d'un an et que vous continuez à n'assumer aucune responsabilité pour vos actions.

Ma décision demeure inchangée : vous êtes renvoyée pour un motif déterminé.

Compte tenu de ce qui précède, votre demande de redressement est rejetée. Vous ne serez pas réintégrée dans vos fonctions au SCC. Votre grief est entièrement rejeté.

[...]

[15]    Mme Peacock a suivi le conseil de M. Newhook : elle a quitté l'Alberta pour trouver du travail, mais elle est restée en contact avec M. Morgan, en conservant son numéro de casier postal à Drumheller ainsi que son numéro de téléphone chez lui. Elle a déclaré que M. Newhook était au courant de sa relation avec M. Morgan et savait comment la rejoindre.

[16]    Mme Peacock a trouvé un emploi près de Field, en Colombie-Britannique. M. Morgan s'est rendu de Drumheller à Field pour la voir, vers le 5 juillet 2002. Il est arrivé avec deux autres formules de grief qu'elle devait signer et dater. Mme Peacock a déclaré que M. Morgan lui avait dit qu'un autre représentant de l'agent négociateur, Brent Houghton, lui avait demandé de faire signer les formules par elle. Elle a remis les formules signées à M. Morgan et croit qu'il les a remises à M. Houghton quatre jours plus tard, quand il est retourné à Drumheller à la fin de son congé.

[17]    Cet été-là, Mme Peacock avait un emploi saisonnier en forêt; elle rentrait en ville tous les 15 jours. Elle a témoigné qu'en septembre elle a téléphoné à M. Houghton chez lui, à Drumheller, en laissant à son épouse un message lui demandant de la rappeler pour une question syndicale. Elle a déclaré s'être fait dire que l'épouse de M. Houghton avait déclaré qu'elle lui ferait le message.

[18]    On n'a pas rappelé Mme Peacock. Deux ou trois semaines plus tard, elle a de nouveau téléphoné à M. Houghton, en laissant un message sur son répondeur et en lui donnant deux numéros de téléphone où il pourrait la rejoindre. Cet appel-là aussi est resté sans réponse. Mme Peacock a dit avoir laissé un autre message à l'épouse de M. Houghton, qui a répondu qu'elle le lui communiquerait.

[19]    Le temps passait; on en était au 3 novembre 2002. Mme Peacock est retournée vivre à Drumheller avec M. Morgan. Elle a témoigné avoir tenté de communiquer avec M. Houghton chez lui, mais avoir été incapable de le rejoindre. Elle a déclaré avoir demandé plusieurs fois à M. Morgan de communiquer avec M. Houghton au sujet du grief; la dernière réponse qu'elle a reçue de M. Houghton, par l'intermédiaire de M. Morgan, c'est qu'il [traduction] « n'y pouvait plus rien ».

[20]    Durant toute la période pertinente, Mme Peacock a clamé son innocence. La Couronne a fini par retirer l'accusation criminelle qui pesait contre elle, mais seulement après que l'intéressée eut reçu la lettre lui annonçant son renvoi en cours de stage.

[21]    À la suite de sa comparution au tribunal et de la levée des accusations, Mme Peacock a tenté de communiquer avec M. Beauchamp, le conseiller de l'agent négociateur pour la Région des Prairies. Elle a dit lui avoir envoyé le 12 février 2003 un courriel pour se présenter et lui expliquer la situation; elle restait sans réponse du représentant local du syndicat, et les accusations avaient été retirées. Elle demandait ce qu'elle devrait faire.

[22]    Le 27 février 2003, Mme Peacock a téléphoné à M. Beauchamp. Celui-ci lui a dit qu'elle avait un représentant syndical à l'époque et que cela n'aurait jamais dû se passer. Il lui a déclaré qu'elle devrait présenter sa démission pour qu'il puisse obtenir de l'information sur la situation et lui venir en aide.

[23]    Mme Peacock a témoigné avoir continué à envoyer des courriels à M. Beauchamp pour savoir quoi faire, en précisant que M. Beauchamp et sa secrétaire avait fini par cesser de lui répondre.

[24]    Le 5 mai 2003, Mme Peacock a envoyé un courriel à Kevin Grabowski, le président régional de l'agent négociateur, pour lui expliquer sa situation et ce qui s'était passé avec Brent Houghton. Un échange de courriels entre elle et M. Grabowski a été déposé en preuve (pièce 4). En somme, M. Grabowski lui a répondu qu'elle avait été renvoyée en cours de stage et qu'elle pouvait être licenciée par le SCC, qu'elle ait été accusée et jugée coupable ou non. Il lui a aussi dit qu'elle n'avait pas respecté le délai de présentation de son grief au deuxième palier de la procédure et que le grief avait été abandonné. Il a déclaré qu'elle avait quitté Drumheller sans laisser d'adresse où la rejoindre. M. Grabowski a terminé son courriel en lui donnant le conseil suivant :

[Traduction]

[...]

Vous pourriez peut-être appeler le directeur pour l'informer que les accusations qui portaient contre vous ont été levées et que vous aimeriez qu'il réévalue sa décision de vous congédier, en présentant plutôt l'affaire comme une démission, ce qui vous donnerait la possibilité de présenter une nouvelle demande d'emploi.

[...]

[25]    En contre-interrogatoire, Mme Peacock a déclaré avoir reçu de M. Houghton un exemplaire de la convention collective quand elle avait commencé à travailler pour le SCC. Elle n'avait jamais lu la convention collective et n'était pas au courant des délais; personne ne l'avait informée qu'il y avait des délais à respecter pour présenter des griefs. Elle a déclaré catégoriquement qu'elle n'avait pas renoncé à son grief.

[26]    M. Morgan a aussi témoigné. Il a confirmé avoir reçu les formules de grief de M. Newhook, les avoir apportées à Mme Peacock pour qu'elle les remplisse et les avoir retournées à M. Newhook, qui était à l'époque président de la section locale de l'agent négociateur. M. Morgan a aussi confirmé avoir reçu d'autres documents de M. Houghton et les avoir apportés à Mme Peacock; à son retour au travail, il s'était rendu au poste de contrôle de l'établissement Drumheller et les avait remis à M. Houghton. Il a déclaré que celui-ci lui avait dit qu'[traduction] « il les enverrait le lendemain ».

[27]    M. Morgan a précisé qu'il travaillait régulièrement avec M. Houghton. Il a dit avoir communiqué avec Mme Peacock tous les 10 à 12 jours par téléphone et par courriel. Il a déclaré qu'il avait demandé à M. Houghton où les griefs en étaient et si celui-ci avait eu des nouvelles, en ajoutant s'être fait répondre qu'il n'avait rien entendu dire.

[28]    M. Morgan a dit avoir reparlé du grief avec M. Houghton le 16 juillet 2004, à l'entrée principale de l'établissement Drumheller, quand celui-ci est venu y laisser un téléphone cellulaire. M. Morgan a déclaré avoir demandé à M. Houghton s'il avait eu des nouvelles de l'audience dont la date approchait. Il a déclaré que M. Beauchamp lui en avait parlé, et que M. Houghton se rappelait lui avoir donné les formules et se les être fait remettre par lui, sans toutefois pouvoir se souvenir de ce qu'il en avait fait ensuite.

[29]    Le témoin a précisé que M. Houghton n'est plus membre de l'unité de négociation et que, jusqu'à il y a environ un an, quand ce dernier a été promu à un poste de superviseur, il travaillait régulièrement avec lui. Il a précisé qu'une longue amitié familiale le liait à M. Houghton, qui était au courant de sa relation avec Mme Peacock et savait qu'il pouvait avoir recours à lui comme intermédiaire sans craindre pour la confidentialité de l'information qui lui serait confiée. M. Morgan est convaincu que M. Houghton avait oublié d'acheminer les formules. Il est malheureux que ni l'une, ni l'autre des parties ne l'ait appelé à témoigner sur la façon de traiter le grief.

[30]    M. Jean-Jacques Beauchamp a lui aussi témoigné à l'audience. Comme représentant de l'agent négociateur, il a 15 ou 16 ans d'expérience, et il a été agent de correction pendant une vingtaine d'années. La première fois qu'il a été informé du grief de Mme Peacock, c'était en février 2003. M. Beauchamp a témoigné que son enquête avait révélé que le grief avait été présenté au premier palier, mais qu'on n'avait rien fait parvenir pour le porter au deuxième ou au troisième paliers. Il a parlé à M. Houghton, qui était le président de la section locale; M. Houghton se rappelait qu'il avait reçu des documents de M. Morgan et que Mme Peacock avait quitté la région, mais il ne se souvenait pas de ce qu'il avait fait après avoir reçu les documents. M. Beauchamp ne sait pas exactement quelle formation M. Houghton avait reçue en matière de traitement des griefs.

[31]    En contre-interrogatoire, M. Beauchamp a déclaré que, bien que les représentants syndicaux donnent des conseils à leurs membres, les membres se doivent aussi de lire la convention collective et de connaître leurs droits.

[32]    La convention collective entre les parties a été déposée en preuve (pièce 5). Elle prévoit le délai suivant de présentation des griefs :

20.10 Au premier (1er) palier de la procédure, l'employé-e peut présenter un grief de la manière prescrite au paragraphe 20.05, au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l'action ou des circonstances donnant lieu au grief.

20.11 L'Employeur répond normalement au grief d'un employé-e, à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs sauf au dernier, dans les dix (10) jours qui suivent la date de présentation du grief audit palier. Si la décision ou le règlement du grief ne donne pas satisfaction à l'employé-e, ce dernier peut présenter un grief au palier suivant de la procédure dans les dix (10) jours qui suivent la date à laquelle il reçoit la décision ou le règlement par écrit.

Argumentation

Pour la plaignante

[33]    Mme Peacock soutient que le grief qu'elle a présenté était on ne peut plus grave, puisqu'il contestait des allégations d'inconduite criminelle qui avaient des répercussions sur son emploi et sur sa réputation. C'était sa possibilité de se faire entendre et de se faire réintégrer dans son emploi. Elle avait le droit de s'attendre à ce que l'agent négociateur l'envoie à l'employeur au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs avec tout le soin et la diligence possibles. Bien que l'agent négociateur ait une grande latitude pour présenter un grief, une fois qu'il décide de le faire, il se doit de ne pas être insouciant et d'agir avec une diligence raisonnable. (Voir Savoury c. Guilde de la marine marchande du Canada, 2001 CRTFP 79 et Shanks c. Syndicat international des transports communication et CANPAR Transport Ltée, [1996] D.C.C.R.T. No. 20 (QL).)

[34]    Il est clair qu'une grave erreur s'est produite quand le président de la section locale de l'agent négociateur n'a pas fait le nécessaire pour que le grief soit porté au deuxième palier, n'a pas communiqué avec Mme Peacock au sujet de son grief et n'a pas tenté d'obtenir une prolongation du délai de présentation du grief pour éviter qu'il soit considéré comme irrecevable. En outre, l'agent négociateur n'a pas enquêté sur le grief de Mme Peacock et semble avoir accepté la version des faits de l'employeur, pour ensuite imputer à Mme Peacock le non-respect du délai. Le redressement qui s'impose est que l'affaire soit portée à l'arbitrage dans un délai précis (voir Shanks, supra).

[35]    Mme Peacock soutient que l'agent négociateur a admis son erreur, en ajoutant qu'il faut qu'on lui accorde une prolongation du délai de présentation d'un grief en vertu de l'article 63 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), afin que son grief puisse être traité comme il se doit, étant donné que l'employeur a pris pour position de le déclarer irrecevable parce que présenté tardivement. Elle se fonde sur la décision rendue dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada) , 2004 CRTFP 1, en rappelant qu'il faut tenir compte des critères suivants, à savoir si le retard est justifié par des raisons claires et convaincantes, la durée du retard, la diligence raisonnable du fonctionnaire s'estimant lésé, l'équilibre à respecter entre l'injustice dont il a été victime et le préjudice que subirait l'employeur si la demande de prolongation du délai était accueillie et enfin les chances de succès du grief; tout cela justifierait que le délai soit prolongé, dans la présente affaire.

[36]    Mme Peacock soutient en outre que le critère des « chances de succès » du grief devrait consister à se demander s'il n'a aucune chance d'être accueilli (voir Schenkman, supra).

[37]    Mme Peacock réclame une ordonnance enjoignant à l'agent négociateur de porter le grief à l'arbitrage à ses frais, ainsi qu'une ordonnance de prolongation du délai de présentation de son grief. Elle déclare que le grief devrait être porté à l'arbitrage dès maintenant puisqu'il est resté en instance pendant deux ans et n'est pas susceptible être réglé dans le cadre de la procédure de règlement des griefs. Elle fait valoir en outre que, comme son grief conteste un licenciement en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, il aurait dû avoir été porté directement au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, de sorte qu'il pourrait être directement renvoyé à l'arbitrage.

Pour l'intimé

[38]    L'agent négociateur déclare qu'il serait disposé à représenter Mme Peacock dans une audience d'arbitrage et qu'il ne voit rien qui l'empêcherait de tenter de faire rejeter la position de l'employeur. La LRTFP ne reconnaît au fonctionnaire en période de stage qu'un droit limité d'aller à l'arbitrage. Selon l'agent négociateur, plutôt que de prendre la décision de renvoyer Mme Peacock à la fin de sa période de stage, l'employeur l'a congédiée. À son avis, il a ainsi violé la convention collective (voir Larson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel) , 2002 CRTFP 9. Qui plus est, au lieu d'attendre de savoir si Mme Peacock serait jugée coupable des accusations, l'employeur l'a immédiatement licenciée. Bref, son dossier est assez solide pour justifier une demande de prolongation du délai de présentation d'un grief.

[39]    Même si Mme Peacock avait elle-même une part de responsabilité dans le traitement de son grief et qu'elle n'avait pas lu la convention collective, le président de la section locale du syndicat a fait une erreur; il aurait dû présenter le grief au deuxième palier. L'agent négociateur admet que c'était simple, en reconnaissant la gravité des actions et la négligence de son représentant. Il admet que Mme Peacock s'était fiée à M. Houghton pour qu'il présente le grief au deuxième palier, en disant [traduction] « comment expliquer qu'on n'envoie pas deux feuilles de papier quand quelqu'un a perdu son emploi? » Il ajoute que je ne devrais pas le blâmer parce que le président de sa section locale n'a pas fait ce qu'il aurait dû faire.

Réplique

[40]    Mme Peacock maintient que le président de la section locale est le représentant de l'agent négociateur, et que celui-ci doit donc assumer les conséquences de la négligence de son représentant.

Motifs de décision

Manquement au devoir de représentation juste

[41]    Le devoir de représentation juste est défini au paragraphe 10(2) de la LRTFP :

    (2) Il est interdit à l'organisation syndicale, ainsi qu'à ses représentants, d'agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation des fonctionnaires qui font partie de l'unité dont elle est l'agent négociateur.

[42]    Il y a dans cette affaire un grief contestant un licenciement, et, du point de vue de la plaignante, c'est très grave. On a mis fin à sa carrière au SCC. De son point de vue, sa carrière a pris fin alors qu'elle était innocente d'une accusation criminelle portée contre elle pour ce qu'elle aurait fait dans ses heures de loisirs et que cette accusation a été levée par la Couronne, en définitive. Il ne s'agit pas ici d'une affaire dans laquelle l'agent négociateur a tenu compte de tous les faits — et du droit — pour décider après mûre réflexion que le grief n'était pas fondé et de ne pas le pousser plus loin. C'est malheureusement un cas où le représentant local de l'agent négociateur a abandonné, en ne faisant pas parvenir à qui de droit les formules de transmission nécessaires pour porter le grief de Mme Peacock au deuxième et au troisième paliers. De plus, il n'a pas avoué son erreur à Mme Peacock et n'a pris aucune mesure pour la réparer. La preuve dont je suis saisi montre clairement que Mme Peacock n'avait pas l'intention de renoncer à son grief : elle a signé les formules pour qu'il aille plus loin, elle a pris des dispositions pour les faire remettre en temps opportun au président de la section locale de l'agent négociateur et elle s'est régulièrement informée pour savoir où son grief en était.

[43]    La Commission a récemment eu l'occasion de vérifier la jurisprudence actuelle sur le paragraphe 10(2) de la LRTFP, lorsqu'elle a rendu sa décision dans l'affaire Savoury, supra. Dans cette affaire, le fonctionnaire s'estimant lésé avait invoqué l'arrêt Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 9, qui pose plusieurs principes, le plus pertinent ici étant le suivant :

[...]

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[...]

[44]    Dans Savoury, supra, la Commission a écrit ce qui suit au paragraphe 126 :

[126] Lorsque le syndicat entreprend une représentation, celle-ci doit être juste, réelle et pas seulement apparente. Elle doit être faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave et sans hostilité envers le fonctionnaire. Lorsque l'arbitrage est envisagé, on doit reconnaître que le fonctionnaire n'a pas un droit absolu à l'arbitrage, car le syndicat jouit d'une discrétion appréciable dans la prise de cette décision, mais ce pouvoir discrétionnaire est limité par la gravité et les répercussions de la sanction disciplinaire sur le fonctionnaire. [...]

[45]    On ne peut pas dire dans ce cas-ci que l'agent négociateur a agi de mauvaise foi, manqué d'intégrité ou eu de l'hostilité envers la plaignante. On ne peut pas dire non plus que celle-ci demande à la Commission de vérifier si l'agent négociateur s'est prévalu à bon droit de sa latitude dans le traitement du grief. Dans cette affaire, le président de la section locale de l'agent négociateur s'est rendu coupable de négligence grave ou majeure en ne présentant pas le grief au deuxième palier, puis en n'informant pas Mme Peacock qu'il n'avait pas présenté le grief qu'il s'était engagé à présenter en son nom. Le président de la section locale n'a pas non plus communiqué avec Mme Peacock au sujet de son grief et n'a pas pris de mesure pour remédier à sa négligence. Cette affaire était importante pour Mme Peacock, et il n'aurait pas fallu déployer de grands efforts pour envoyer les formules qu'elle avait fait remettre au représentant de l'agent négociateur. Il est évident que l'agent négociateur a manqué à son devoir de représentation de Mme Peacock; il le concède. Il concède aussi que c'est une affaire sérieuse et que M. Houghton a été négligent en ne faisant pas parvenir les formules à l'employeur. À mon sens, l'agent négociateur s'est comporté de manière arbitraire en ne présentant pas le grief au deuxième palier. Il est responsable de la négligence de son représentant local, au moins dans la mesure où ce dernier n'a pas présenté un grief alors qu'il s'était engagé à le faire. Bref, les faits prouvent que l'agent négociateur n'a pas respecté le paragraphe 10(2) de la LRTFP.

Prolongation du délai

[46]    L'agent négociateur serait disposé à représenter Mme Peacock dans une procédure d'arbitrage si je relevais l'obligation de respecter le délai de renvoi du grief à l'arbitrage. Toutefois, il soutient aussi que Mme Peacock ne s'est pas conformée aux paragraphes 20.05, 20.10 et 20.12 de la convention collective, qu'elle avait la responsabilité de lui signaler le problème et que, si elle l'avait fait, il aurait pu tenter de s'attaquer plus tôt au problème du non-respect du délai de présentation de son grief.

[47]    Avant de décider de l'opportunité de dispenser l'obligation de respecter le délai prescrit, j'ai tenu compte des raisons du retard, de sa longueur, de la diligence de la plaignante, de l'importance de peser l'injustice qu'elle a subie et le préjudice éventuel pour l'employeur, ainsi que les chances de succès de son grief. Dans Schenkman, supra, la Commission a récemment établi les critères fondamentaux à retenir pour déterminer si elle doit se prévaloir de son pouvoir discrétionnaire de prolonger un délai en vertu de l'article 63 de la LRTFP. Les facteurs sont les suivants :

-le fait que le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
-la durée du retard;
-la diligence raisonnable du ou de la fonctionnaire s'estimant lésée;
-l'équilibre entre l'injustice causée au fonctionnaire ou à la fonctionnaire et le préjudice que subirait l'employeur si la prolongation du délai était accordée;
-les chances de succès du grief.

[48]    À mon avis, il est évident que Mme Peacock avait l'intention de présenter un grief et qu'elle a pris des mesures concrètes en ce sens, en signant la formule de grief et en prenant des arrangements pour qu'elle soit envoyée à l'employeur dans le délai prescrit aux premier et deuxième paliers de la procédure de règlement des griefs. Même s'il s'agit en l'occurrence d'un renvoi en cours de stage, et que l'intéressée avait été accusée d'actes criminels pendant ses heures de loisirs, on ne peut pas dire qu'elle ait attendu jusqu'à ce que les accusations criminelles portées contre elle soient tranchées avant d'agir pour contester la décision de l'employeur de la renvoyer en cours de stage. Sa décision de présenter un grief a été prise rapidement, dans le délai prescrit pour qu'il soit présenté.

[49]    Il ne semble pas que Mme Peacock ait nettement tardé à agir ou à faire des démarches pour remédier au manquement de l'agent négociateur à son devoir d'acheminer les formules de transmission du grief.

[50]    J'estime que le retard dans cette affaire est attribuable au fait que le président de la section locale de l'agent négociateur n'a pas fait parvenir les formules nécessaires à qui de droit. Il semble bien que ses réponses aux questions qu'on lui a posées — à savoir qu'il n'avait rien entendu dire — auraient pu avoir induit Mme Peacock en erreur, en lui faisant croire que tout allait bien et en la dissuadant de prendre d'autres mesures pour faire elle-même avancer son grief. Mme Peacock semble s'être fiée à l'agent négociateur et n'a pas été informée que celui-ci n'avait rien fait avec ses formules de grief.

[51]    En l'espèce, Mme Peacock s'est occupée de son grief avec diligence, en maintenant le contact avec l'agent négociateur. Quand le président de la section locale a cessé de lui répondre, elle a communiqué avec d'autres personnes, à des échelons plus élevés dans la hiérarchie de l'agent négociateur, pour déterminer où son grief en était rendu. J'estime donc qu'il y a une explication raisonnable de tout retard en l'occurrence, et que la plaignante a fait preuve d'une diligence raisonnable pour s'occuper de son cas.

[52]    Je souligne que la situation était sérieuse pour Mme Peacock puisqu'on avait mis fin à son emploi. Ce qu'on lui reprochait s'était produit en dehors de ses heures de travail, elle l'avait nié, et les accusations criminelles ont en définitive été levées par la Couronne. Mme Peacock a été privée de la possibilité de contester son congédiement à cause de la négligence du représentant de son agent négociateur. J'estime que je serais manifestement injuste envers elle si je n'accordais pas la prolongation de délai demandée. Je ne vois pas comment l'employeur pourrait en subir un préjudice. L'employeur a choisi de ne pas être partie à cette procédure, bien qu'il ait été informé de l'audience et des enjeux, et rien dans la preuve ne démontre qu'il subirait un préjudice quelconque si cette affaire devait être portée à l'arbitrage. L'injustice dont la plaignante serait victime dans ce cas-ci pèse en faveur d'une ordonnance la libérant des conséquences de l'expiration du délai.

[53]    En ce qui concerne les chances de succès du grief, l'arbitre dans Schenkman, supra, a écrit qu'il conviendrait davantage de se demander si le grief n'a aucune chance d'être accueilli, puisqu'il est difficile de déterminer si un grief a des chances d'être accueilli sans entendre la preuve. Je souligne toutefois qu'on n'a pas avancé d'éléments de preuve significatifs à l'audience sur le bien-fondé du grief en l'espèce. L'agent négociateur m'a toutefois signalé la décision rendue dans Larson, supra, une affaire concernant la suspension d'un fonctionnaire par le directeur d'un établissement correctionnel sans que celui-ci n'ait mené une enquête approfondie après qu'on eut porté des accusations criminelles contre l'intéressé. L'arbitre a conclu que l'action de l'employeur d'imposer une suspension était disciplinaire plutôt qu'administrative. Je précise toutefois qu'il ne s'agissait pas alors d'un fonctionnaire en période de stage.

[54]    En réponse à la plainte de Mme Peacock, l'employeur a déclaré qu'il entendait contester la recevabilité du grief en raison du non-respect du délai, et contester aussi la compétence de la Commission. Sa position sur la question de compétence est la suivante :

[Traduction]

[...]

La première objection porte sur la compétence de la Commission pour entendre le grief. Le libellé de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) ne justifie pas ce renvoi à l'arbitrage. Le grief de Mme Peacock ne porte pas sur l'interprétation ou l'application d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale, ni sur une mesure disciplinaire entraînant la suspension, une sanction pécuniaire, le licenciement ou une rétrogradation en vertu des alinéas 11(2) f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP). En outre, le paragraphe 92(3) de la LRTFP interdit le renvoi à l'arbitrage par la Commission d'un grief portant sur un licenciement sous le régime de la LEFP. En outre, on n'allègue pas dans le grief que le licenciement était pour motifs disciplinaires déguisés, et l'affaire n'a pas non plus été traitée sur cette base. Ce serait donc changer la nature du grief de le considérer comme portant sur un licenciement en vertu de la LGFP (conformément à l'arrêt Burchill de la Cour d'appel fédérale).

[...]

[55]    Avec cette position de l'employeur, on pourrait s'attendre à ce que la compétence de l'arbitre d'entendre le grief soit une question extrêmement importante, et que l'employeur allègue que Mme Peacock a été renvoyée en cours de stage.

[56]    Il est évident que l'arbitre est habilité à déterminer s'il a compétence en pareil cas. Certaines décisions, dont Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, 2001 CFPI 529, révèlent qu'il est souvent difficile pour l'agent négociateur de prouver qu'un renvoi en cours de stage était une sanction disciplinaire déguisée. Que ce soit difficile à prouver ne signifie toutefois pas qu'un grief est totalement dénué de fondement. En l'espèce, les preuves sont suffisantes pour satisfaire aux critères établis dans Schenkman, supra. Je souligne que je me suis prononcé sur la question du bien-fondé du grief en concluant qu'il n'est pas absolument sans fondement, dans la mesure où c'était nécessaire pour que je décide de me prévaloir de mon pouvoir discrétionnaire de ne pas faire subir à Mme Peacock les conséquences de la négligence avec laquelle le président de la section locale de son agent négociateur a traité son grief. La question de compétence reste toutefois entière pour l'arbitre qui entendra le grief de Mme Peacock.

[57]    Dans cette affaire, je suis convaincu qu'il faut accorder une prolongation du délai de présentation d'un grief prévu par la convention collective.

Redressement - Reprise de la procédure de règlement des griefs ou renvoi du grief à l'arbitrage?

[58]    Mme Peacock demande qu'il soit ordonné à l'agent négociateur de porter son grief à l'arbitrage et que le grief soit directement renvoyé à l'arbitrage. Dans Savoury, supra, je rappelle que la Commission avait ordonné le redressement suivant, au paragraphe 152 :

[152] [...] j'ordonne à la Guilde de représenter le plaignant dans une demande, à la Commission, de prorogation du délai pour soumettre son grief à l'arbitrage, en application de l'article 63 des Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. Au cas où la Guilde obtiendrait une prolongation du délai pour soumettre le grief du plaignant à l'arbitrage, j'ordonne à la Guilde de représenter le plaignant à l'audience d'arbitrage.

[59]    Dans cette décision, l'agent négociateur avait décidé de ne pas porter le grief à l'arbitrage après avoir représenté le plaignant à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs. Dans cette affaire-ci, toutefois, la procédure de règlement des griefs n'a pas été épuisée, à cause de la négligence du représentant local de l'agent négociateur, qui n'a pas présenté le grief au deuxième palier.

[60]    Mme Peacock fait valoir qu'un grief contestant un licenciement ne doit être présenté qu'au dernier palier, en vertu du paragraphe 20.19 de la convention collective :

20.19 Lorsque l'Employeur rétrograde ou licencie un employé-e pour un motif déterminé aux termes des alinéas 11(2) f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques, la procédure de règlement des griefs énoncée dans la présente convention s'applique, sauf que le grief n'est présenté qu'au dernier palier.

[61]    Mme Peacock a été licenciée en étant renvoyée en cours de stage. C'est la situation juridique et factuelle qu'elle souhaite contester devant un arbitre. Elle veut contester son licenciement en tant que licenciement pour un motif déterminé. L'employeur a soulevé une importante question de compétence sur laquelle un arbitre va devoir se prononcer, peut-être en entendant la preuve. L'audience que j'ai présidée était axée sur la question de déterminer si l'agent négociateur a manqué à son devoir de représentation juste de Mme Peacock. Dans une audience d'arbitrage faisant suite à la procédure de règlement des griefs, il s'agirait plutôt de savoir si le renvoi en cours de stage était un congédiement pour motif disciplinaire déguisé.

[62]    Sur la question du redressement réclamé, j'ai réfléchi pour savoir si je devrais accorder à Mme Peacock ce qu'elle demande. J'ai des réserves quant au redressement qu'elle réclame pour le manquement de l'agent négociateur au paragraphe 10(2) de la LRTFP, étant donné que le paragraphe 23 (2) dispose que :

    (2) Dans les cas où, en application du paragraphe (1), elle juge l'employeur, une organisation syndicale ou une personne coupable d'un des manquements qui y sont énoncés, la Commission peut, par ordonnance, lui enjoindre d'y remédier ou de prendre toute mesure nécessaire à cet effet dans le délai qu'elle estime approprié.

[63]    La procédure de règlement des griefs applicable est établie à l'article 20 de la convention collective (pièce 5) et comprend trois paliers, le dernier étant l'administrateur général ou son représentant autorisé. Dans la présente affaire, le président de la section locale de l'agent négociateur n'a pas transmis le grief au palier intermédiaire (le deuxième) de la procédure. Il est clair que la fonctionnaire a été incapable de faire entendre son grief au deuxième et au troisième paliers à cause de la négligence du représentant de l'agent négociateur.

[64]    Avant de porter un grief à l'arbitrage, les parties intéressées doivent épuiser la procédure de règlement des griefs. Le paragraphe 20.23 de la convention collective reflète ce principe, à savoir que le grief peut être porté à l'arbitrage soit après avoir obtenu une réponse au dernier palier, soit après que le délai de réponse de l'employeur à ce palier soit épuisé. Le début du paragraphe 92(1) de la LRTFP dispose clairement que la procédure de règlement des griefs doit être épuisée avant que le fonctionnaire s'estimant lésé puisse avoir le droit de porter un grief à l'arbitrage :

    92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief [...]

[...]

[65]    La procédure de règlement des griefs peut être épuisée soit parce que l'employeur a donné une réponse dans le délai prescrit, soit parce qu'il ne l'a pas fait dans le délai prescrit au dernier palier. J'estime que l'allégation que le renvoi en cours de stage était plutôt un congédiement pour un motif déterminé en vertu des alinéas 11(2) f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques ne libère pas automatiquement le grief de la procédure de règlement en trois étapes prévue par la convention collective en l'espèce. En fait, son allégation d'avoir été congédiée pour un motif déterminé est la principale question que Mme Peacock souhaite faire valoir devant un arbitre, si je devais décider d'accueillir sa demande quant à la procédure de règlement des griefs.

[66]    Je rappelle que l'employeur s'est opposé au grief de Mme Peacock, en le déclarant irrecevable puisque présenté tardivement, et aussi parce qu'il conteste la compétence de la Commission pour l'entendre en vertu de l'article 92 de la LRTFP. On pourrait déduire de sa position qu'il ne servira peut-être à rien d'ordonner que les parties présentent et entendent respectivement le grief à chaque palier de la procédure avant qu'il ne soit porté à l'arbitrage. Néanmoins, le régime législatif de l'arbitrage prévoit que la procédure de règlement des griefs doit être épuisée. Je pense que le pouvoir discrétionnaire dont je suis investi par l'article 23 de la LRTFP ne va pas jusqu'à m'autoriser à exempter quelqu'un de l'obligation de présenter son grief à tous les paliers. En bout de ligne, cette affaire pourrait nécessiter une décision d'arbitrage sur la question de compétence, si l'employeur maintenait la position qu'il a exprimée dans sa correspondance avec la Commission. Cela dit, toutefois, Mme Peacock aura la possibilité de présenter à l'employeur des faits nouveaux quant aux accusations criminelles qui avaient été portées contre elle, et ces faits pourraient influer sur le processus décisionnel de l'employeur. Pour le moment, il serait purement hypothétique de se demander s'il existe une raison valable pour qu'elle présente son grief aux deux autres paliers de la procédure. Je suis néanmoins convaincu que le redressement que je dois ordonner consiste à remettre Mme Peacock dans la position où elle se serait trouvée si l'agent négociateur ne s'était pas rendu coupable de négligence en ne présentant pas son grief au deuxième palier.

[67]    À mon avis, si j'ordonnais à l'agent négociateur de porter directement le grief à l'arbitrage, je mettrais Mme Peacock dans une meilleure position que celle où elle aurait été s'il avait présenté son grief au deuxième palier. Comme je l'ai déjà dit, ni l'agent négociateur, ni Mme Peacock n'ont avancé beaucoup d'éléments de preuve quant au bien-fondé de son grief. Il ne s'agit d'ailleurs pas ici de savoir si l'agent négociateur n'a pas porté un grief à l'arbitrage, mais plutôt s'il a manqué à son devoir de prendre les mesures nécessaires pour s'assurer que le grief serait présenté à chaque palier de la procédure de règlement des griefs afin que la position de la plaignante soit protégée. L'agent négociateur n'est pas tenu de présenter des griefs chaque fois que ses membres voudraient le faire, mais il est tenu d'étudier sérieusement la situation avant de décider de ne pas présenter un grief. Dans ce cas-ci, l'agent négociateur ne s'est pas rendu jusqu'à la phase de l'examen sérieux de la validité du grief à cause de la négligence du président de sa section locale.

[68]    D'après ce que j'ai compris de l'intimé, il semble bien que, si je levais l'obstacle de l'expiration du délai de présentation du grief dans le cas de Mme Peacock, il entend la représenter à n'importe quelle audience d'arbitrage. J'estime qu'il serait prématuré que je lui ordonne de porter le grief à l'arbitrage à ses frais, comme Mme Peacock l'a demandé. Il ne m'apparaît pas évident, si j'en crois la preuve produite à l'audience, que l'agent négociateur a fait un examen sérieux du bien-fondé du grief. Il est bien possible qu'il l'ait fait, mais, comme je l'ai dit, il ne s'agit pas ici d'une affaire où l'agent négociateur a déclaré dans sa défense contre la plainte qu'il avait examiné sérieusement le grief pour déterminer s'il était fondé et qu'il avait décidé de ne pas aller plus loin. Je rappelle que les agents négociateurs ont passablement de latitude pour décider de porter un grief à l'arbitrage. Selon moi, ordonner à l'agent négociateur de le faire quand il n'a pas présenté le grief au deuxième palier serait accorder à la plaignante un redressement disproportionné. En outre, une ordonnance comme celle-là ne serait pas compatible avec le régime d'arbitrage des griefs, puisqu'il exige que la procédure de règlement des griefs de la convention collective soit épuisée avant que le grief ne soit porté à l'arbitrage. Sur la foi de la preuve dont je suis saisi, le redressement que je dois accorder consiste à accorder la prolongation demandée du délai de présentation du grief ainsi qu'à permettre à l'agent négociateur de présenter le grief au deuxième palier. Je ne suis donc pas disposé pour le moment à rendre une ordonnance lui enjoignant de porter le grief à l'arbitrage, et ce à ses frais.

[69]    Je conclus par conséquent que la plaignante et l'agent négociateur sont libérés de l'obligation de respecter le délai de présentation du grief à l'employeur au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs et fixe à 21 jours de la date de la présente décision le délai de présentation du grief au deuxième palier.

Paul Love,
commissaire

CAMPBELL RIVER, le 31 janvier 2005.

Traduction de la C.R.T.F.P.


1 Cette date est tirée de la réponse de la plaignante déposée à la Commission et datée du 7 avril 2004.

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