Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le commissaire saisi de la présente plainte avait lui-même rendu une décision en faveur du plaignant lors de l’arbitrage d’un grief portant sur la rémunération provisoire - l’employeur avait versé au plaignant une rémunération provisoire pendant une période de 25 jours précédant le dépôt du grief, mais refusait de continuer de le faire - le plaignant a allégué que l’employeur n’avait pas mis à effet la décision de l’arbitre - il soutenait que la période visée par la décision était continue et qu’elle avait une portée rétrospective et prospective - selon l’employeur, comme la décision fixait clairement la date de début pour le calcul de la rémunération provisoire et ne précisait aucune date de fin, il était logique de conclure que la période se terminait au dépôt du grief - l’employeur a fait valoir qu’aucune preuve n’avait été soumise concernant les fonctions assumées par le fonctionnaire s’estimant lésé après le dépôt du grief et que, de toute façon, un arbitre n’aurait pas le droit de considérer des faits survenus après le dépôt du grief - selon l’employeur, l’acceptation de la thèse du plaignant serait assimilable à une reclassification - il s’est opposé à ce que le commissaire ayant rendu la décision relative au grief soit saisi de la plainte au motif de l’existence d’un conflit d’intérêt - la Commission a conclu à l’absence d’un conflit d’intérêt - la question en litige dans la plainte n’était pas la même que celle ayant été soumise à l’arbitre - quant à la question de fond, la Commission a rejeté l’argument de l’employeur concernant la reclassification en affirmant que la question portait simplement sur la rémunération provisoire - la Commission a confirmé que l’effet de la décision relatif au grief était continu - la Commission a demandé à l’employeur d’appliquer la clause 48.07 de la convention collective, comme le prévoyait la décision, et de rémunérer le plaignant pendant la totalité de sa période d’intérim. Plainte accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

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  • Date:  2005-03-31
  • Dossier:  161-2-1289
  • Référence:  2005 CRTFP 29

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

GUY LAJOIE


plaignant



et

JIM A.J. JUDD



défendeur


AFFAIRE :Plainte fondée sur l'article 23 de la Loi sur les
relations de travail dans la fonction publique

Devant :   Jean-Pierre Tessier, commissaire

Pour le plaignant
Céline Lalande, UNION OF CANADIAN CORRECTIONAL OFFICERS - SYNDICAT DES AGENTS CORRECTIONNELS DU CANADA - CSN (UCCO-SACC-CSN)

Pour le défendeur :   Karl Chemsi, avocat


Affaire entendue à  Montréal, (Québec),

le 8 mars 2005.


[1]   M. Guy Lajoie est à l’emploi du Service correctionnel du Canada et travaille à l’établissement Archambault depuis 1985.

[2]   Le 22 décembre 2003, l’arbitre Jean-Pierre Tessier rendait une décision relativement au fait que M. Lajoie exécute, à titre intérimaire, des fonctions d’une classification supérieure.

[3]   Cette décision, Lajoie c. le Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel) 2003 CRTFP 117, prévoit :

...

En conséquence de ce qui précède, je fais droit au grief et demande à l’employeur de rémunérer M. Lajoie à un salaire équivalent à un poste CX-02 occupé par intérim à compter des 25 jours précédant le grief du 15 juillet 2000.

[4]   Jugeant que l’employeur n’a pas exécuté la décision, le fonctionnaire dépose, le 4 février 2004, une plainte selon l’article 23, demandant à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) de prendre toutes les mesures nécessaires pour donner effet à la décision.

[5]   L’alinéa 23(1)c) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) prévoit :

23.(1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle l'employeur ou une organisation syndicale ou une personne agissant pour le compte de celui-là ou de celle-ci n'a pas, selon le cas :

...

c) mis à effet une décision d'un arbitre sur un grief;

...

[6]   L’audience de la plainte a eu lieu le 8 mars 2005, à Montréal.

Les faits

[7]   Au début de l’audience, l’employeur soulève une objection sur le fait que la CRTFP ait désigné Jean-Pierre Tessier, commissaire, pour décider de la présente plainte. Selon l’employeur, le commissaire désigné serait en conflit d’intérêt puisqu’il doit décider sur la mise en application d’une décision qu’il a lui-même rendue.

[8]   L’objection est prise sous réserve après que les parties aient argumenté sur cette question et déposé de la jurisprudence.

[9]   Sur la plainte elle-même, le fonctionnaire expose que, suite à la décision, il a reçu un chèque de l’employeur correspondant à la rémunération par intérim pour la période débutant 25 jours avant le dépôt du grief jusqu’à la date du grief. Le chèque n’a pas été encaissé.

[10]   Le chèque (pièce D-1) correspond à la période du 12 juin 2000 au 14 juillet 2000.

[11]   Le fonctionnaire n’a reçu aucun autre montant de l’employeur et soutient qu’il exerce toujours les mêmes fonctions.

Arguments des parties

[12]   Le fonctionnaire soutient que l’occupation d’une fonction par intérim est quelque chose de continu. Par son grief, il voulait souligner à l’employeur qu’on lui confiait des fonctions de niveau supérieur et qu’il doit, à compter du début de l’exercice de telles fonctions et pendant toute la période où il continue à occuper de telles fonctions, être rémunéré à un niveau supérieur. Selon lui, le grief a une portée actuelle et future.

[13]   De son côté, l’employeur soutient avoir mis en application la décision puisque, selon lui, l’arbitre n’a pas indiqué la fin de la période d’intérim. La seule explication logique est que la fin de la période se situe à la date du dépôt du grief.

[14]   Selon l’employeur, la décision de 2003 ne fait pas état de preuve déposée postérieurement au dépôt du grief, le 15 juillet 2000. Sans cette preuve, l’arbitre ne peut présumer que le fonctionnaire accomplissait des fonctions supérieures. Plus encore, l’arbitre n’a pas le pouvoir de considérer les faits postérieurement au grief, tel que l’a déterminé la Cour suprême dans l’affaire Compagnie minière Québec Cartier c. Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 6869, [1995] 2 R.C.S. 1095.

[15]   Subsidiairement, l’employeur soutient que la clause 48.07 de la convention collective prévoit que l’employé touche une rémunération d’intérim pendant la durée de cette période. Il s’agit donc d’une période déterminée et non d’une période continue. La seule interprétation logique à donner à la décision de l’arbitre est d’appliquer une période déterminée. Se référer à une période continue serait l’équivalent de classifier le fonctionnaire pour l’avenir à un niveau supérieur, or l’arbitre n’a pas compétence pour déterminer la classification.

Motifs de la décision

[16]   Pour décider de l’objection soulevée par l’employeur, relativement à la question de conflit d’intérêt, nous devons nous référer au texte de la LRTFP :

97. (6) La Commission peut prendre toute mesure prévue par l’article 23 pour donner effet à la décision rendue par un arbitre sur un grief, sans toutefois discuter le fondement ou la substance de cette décision.

[17]   La décision que doit rendre la CRTFP, dans le cadre du paragraphe 97(6), est tout à fait distincte de celle de l’arbitre de grief.

[18]   Sur cette question, le président Yvon Tarte (à l’époque, président suppléant), dans la décision Alliance de la Fonction publique du Canada c. le Conseil du Trésor, dossier 161-2-703 (1993) (QL), s’explique à la page 6 ainsi :

...

J’en viens maintenant au fond de l’affaire. Je dois d’abord préciser clairement, comme je l’avais fait dans “Phillips” (supra), que je n’ai pas le pouvoir de décider si la décision de l’arbitre qui est visée par la plainte fondée sur l’article 23 était correcte. Le paragraphe 97(6) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (cité ci-dessous) interdit très clairement à la Commission, lorsqu’elle est saisie d’une plainte concernant une décision d’arbitrage, de discuter le fondement ou la substance de cette dernière.

97.(6)   La Commission peut prendre toute mesure prévue par l’article 23 pour donner effet à la décision rendue par un arbitre sur un grief, sans toutefois discuter le fondement ou la substance de cette décision.

Cette disposition diffère du pouvoir de réexaminer, d’annuler ou de modifier ses propres décisions que lui confère l’article 27 de la Loi.  Si le législateur avait voulu accorder le même pouvoir à l’égard des décisions d’arbitrage, il aurait pu facilement ajouter les dispositions voulues.

...

Nota : "Phillips" (Alliance de la Fonction publique et Conseil du Trésor: dossier de la Commission 161-2-693)

[19]   Le fait que le commissaire chargé de décider de la plainte soit la même personne qui a décidé du grief ne le place pas en conflit d’intérêt, puisque le rôle du commissaire est encadré par le libellé de l’article 97 et qu’il ne peut discuter du fondement ou de la substance de cette décision.

[20]   Dans la cause Re Emerald Transport, [2000] CCRI no 91 (QL), le Conseil canadien des relations industrielles rejette une demande de récusation et conclut qu’il n’y a pas lieu de craindre la partialité parce qu’un commissaire entend une nouvelle plainte entre des parties alors qu’il avait déjà rendu récemment une décision visant ces mêmes parties.

[21]  À de nombreuses occasions, la CRTFP a confié à un commissaire de décider d’une plainte par défaut d’exécution portant sur la décision qu’il a lui-même rendue comme arbitre. On peut se référer notamment aux cas suivants : Péllicore c. le Conseil du Trésor, 2001 CRTFP 96 ; Vaughn c. le Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada) (dossier de la CRTFP no 166-2-28296) (1999) (QL) ; L’Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. le Conseil du Trésor (Agriculture Canada) (décision de la CRTFP no. 161-2-692) (1993) (QL) ; Coughtry c. le Conseil du Trésor (Pêches et Océans), 2000 CRTFP 72.

[22]    En conséquence, je rejette l’objection de l’employeur

[23]    Sur le fond de la question en litige, je retiens deux éléments. L’employeur soutient premièrement que la décision ne peut avoir un effet postérieur à la date du grief et que s’il en était ainsi, les parties auraient dû être appelées à présenter une preuve sur ce point. En second lieu, il souligne que le fait de ne pas limiter la période d’intérim équivaut à classifier l’employé à un niveau supérieur.

[24]    La décision dont on demande l’application révèle ce qui suit  :

     a) L’arbitre a décidé que M. Lajoie :

…accomplit des tâches similaires à ses deux autres collègues occupant des postes classifiés CX-02 et qui travaillent dans le cadre d’une « rotation lente » de deux ans au service de visite et correspondance.

M. Lajoie forme les nouveaux venus au service de visite et correspondance et effectue les mêmes tâches qu’eux ; il doit donc recevoir à titre d’intérim la même rémunération comme l’exige l’article 48.07 de la convention collective.

En conséquence de ce qui précède, je fais droit au grief et demande à l’employeur de rémunérer M. Lajoie à un salaire équivalent à un poste CX-02 occupé par intérim à compter des 25 jours précédant le grief du 15 juillet 2000.

[25]    Le grief porte sur la clause 48.07 de la convention collective qui est libellée ainsi :

48.07 Lorsque l’employé-e est tenu par l’Employeur d’exécuter à titre intérimaire une grande partie des fonctions d’un employé-e d’un niveau de classification supérieur et qu’il exécute ces fonctions pendant au moins une (1) journée de travail, il touche, pendant la période d’intérim, une rémunération d’intérim calculée à compter de la date à laquelle il commence à remplir ces fonctions, comme s’il avait été nommé à ce niveau supérieur.

[26]  L’arbitre a déterminé que M. Lajoie était visé par la clause 48.07. Il a situé le début de la période d’intérim à juin 2000, soit 25 jours précédant le dépôt du grief du 15 juillet 2000.

[27]   La décision ne prévoit pas de date de fin de la période d’intérim et il ne paraîtrait pas à la lecture du contenu de la décision qu’il y ait eu de discussions à cet effet.

[28]   L’employeur décide que la fin de la période est la date du grief. Il soutient que l’arbitre se devait de déterminer une période d’intérim. Selon lui, interpréter que la décision arbitrale a un effet continu serait illégal puisque la décision de l’arbitre aurait pour effet de classifier le fonctionnaire à un niveau supérieur.

[29]  Je ne peux retenir cette interprétation, car la clause 48.07 porte justement sur une nomination à un poste supérieur. Il ne s’agit pas de considérer que le fonctionnaire détient une classification supérieure mais de le rémunérer comme s’il avait été nommé à ce niveau supérieur. Il y a donc là un effet de continuité.

[30]   Je dois ajouter subsidiairement que la position de l’employeur équivaut à dire que le droit d’application de la clause 48.07 cesserait au moment du dépôt d’un grief et qu’il faudrait faire des griefs à chaque 25 jours pour bénéficier de la rémunération d’intérim.  Une telle interprétation aurait un effet négatif et irait à contresens du contexte des relations de travail.

[31]  En se basant sur la décision Compagnie minière Québec Cartier (supra), l’employeur soutient que la décision arbitrale ne peut excéder la date du grief sans qu’il y ait une preuve sur les faits postérieurs.

[32]   Je ne peux retenir cette allégation, car dans le cas de la décision Compagnie minière Québec Cartier (supra), la Cour Suprême a interdit aux arbitres de se servir d’événements postérieurs au grief pour décider du grief. Dans le présent cas, l’arbitre décide que, à partir du moment du grief, M. Lajoie exécutait des tâches de niveau supérieur et devrait bénéficier de la clause 48.07 de la convention collective.

[33]   L’arbitre n’a pas déterminé la fin de la période d’intérim.  La CRTFP ne peut donc agir à sa place et déterminer cette date.

[34]   Cependant, l’arbitre a indiqué que M. Lajoie avait le droit de recevoir la même rémunération que ses collègues, comme l’exige la clause 48.07 de la convention collective.  Le fond du litige étant réglé par la décision, il appartient à l’employeur d’appliquer la clause 48.07.

[35]   En conséquence, je demande à l’employeur d’appliquer la clause 48.07 de la convention collective, comme le veut la décision arbitrale, et de rémunérer M. Lajoie pendant la période de l’intérim, selon une rémunération d’intérim, à compter de la date à laquelle il a commencé à remplir ces fonctions, soit le 12 juin 2000, comme s’il avait été nommé à ce niveau supérieur.

Jean-Pierre Tessier,

commissaire

OTTAWA, le 31 mars 2005.

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