Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Santé et sécurité au travail - Refus de travailler - Gardien de prison - Renvoi de la décision d'un agent de sécurité aux termes du paragraphe 129(5) du Code canadien du travail - distribution d'eau de Javel aux détenus - les requérants qui ont invoqué leur droit de refuser de travailler en vertu du paragraphe 128(1) du Code canadien du travail ont prétendu que la distribution d'eau de Javel aux détenus constituait un danger pour eux - à la suite d'une recommandation du Comité d'experts sur le SIDA et les prisons, un établissement particulier a mis sur pied un projet pilote autorisant les détenus à avoir plus librement accès à de l'eau de Javel domestique pour désinfecter les seringues - l'objectif du projet pilote était de réduire la transmission du VIH/SIDA ainsi que de l'hépatite C - le programme ayant été un succès, le Service correctionnel a décidé d'en étendre l'application à l'ensemble des établissements pénitentiaires - une trousse d'eau de Javel composée d'une bouteille d'une once en plastique contenant de l'eau de Javel à 4 p. 100 et d'une autre bouteille d'une once contenant de l'eau de rinçage a été distribuée aux détenus et des distributrices d'eau de Javel ont été installées dans divers endroits à l'intérieur des établissements pour que les détenus puissent librement et en privé remplir les bouteilles d'eau de Javel au besoin - les requérants ont prétendu qu'il n'y avait pas eu suffisamment de consultations entre eux et la direction avant l'introduction du programme et que la distribution de l'eau de Javel mettait leur santé et leur sécurité en danger du fait que les détenus pouvaient leur lancer le produit à la figure, s'en servir comme poison dans la cuisine ou l'utiliser pour fabriquer une bombe en le mélangeant à d'autres substances - après avoir mené son enquête, l'agent de sécurité a conclu que la possession d'eau de Javel à 4 p. 100 par les détenus ne constituait pas un danger - tout en reconnaissant la sincérité des craintes des requérants, la Commission a conclu que leurs craintes n'étaient pas étayées par la preuve - la Commission a conclu que les mesures de protection telles que la dilution à 4 p. 100 de l'eau de Javel, la restriction de la quantité d'eau de Javel que peuvent avoir en leur possession les détenus ainsi que les diverses mesures de premiers soins, étayaient la décision de l'agent de sécurité selon laquelle la distribution d'eau de Javel aux détenus ne constituait pas un danger au sens du Code. Décision de l'agent de sécurité confirmée.

Contenu de la décision

Dossiers: 165-2-114 à 132 Code canadien du travail, Devant la Commission des relations partie II de travail dans la fonction publique ENTRE PAUL DOIRON ET AUTRES requérants et LE CONSEIL DU TRÉSOR (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel

employeur AFFAIRE: Renvois fondés sur le paragraphe 129(5) du Code canadien de travail Devant: P. Chodos, président suppléant Pour les requérants: Gary Bannister, Alliance de la Fonction publique du Canada Pour l’employeur: André Garneau, avocat Affaire entendue à Bathurst (Nouveau-Brunswick), les 17 et 18 décembre 1996

Decision Page 1 DÉCISION La présente décision porte sur le renvoi d’un rapport d’un agent de sécurité à la Commission aux termes du paragraphe 129(5) de la partie II du Code canadien du travail, qui se lit comme suit :

129.(5) Si l’agent de sécurité conclut à l’absence de danger, un employé ne peut se prévaloir de l’article 128 ou du présent article pour maintenir son refus d’utiliser ou de faire fonctionner la machine ou la chose en question ou de travailler dans le lieu en cause; il peut toutefois, par écrit et dans un délai de sept jours à compter de la réception de la décision, exiger que l’agent renvoie celle-ci au Conseil, auquel cas l’agent de sécurité est tenu d’obtempérer.

Le 7 novembre 1996, les requérants, dont les noms figurent en annexe de la présente décision, ont invoqué leur droit de refuser de travailler aux termes du paragraphe 128(1) du Code. Leurs motifs sont expliqués dans le formulaire de refus de travailler que chacun d’eux a rempli; bien qu’ils aient individuellement présenté un formulaire, les motifs indiqués sont identiques pour tous; ils sont reproduits ci-dessous :

[traduction] Vu que la direction de l’établissement pénitentiaire de l’Atlantique a distribué des trousses d’eau de Javel aux détenus de l’établissement de l’Atlantique, j’exerce le droit qui m’est conféré par la partie II du Code canadien du travail qui stipule qu’un employé peut refuser de travailler s’il a des motifs raisonnables de croire

1) qu’il y a un danger pour lui de travailler dans le lieu; 2) que l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

J’estime que la distribution des trousses d’eau de Javel tombe dans les deux catégories ci-dessus parce que dans certains cas (quelques exemples seulement) :

1) les détenus peuvent obtenir de l’eau de Javel à volonté en privé (p. ex. condom) et peuvent s’en servir comme arme en m’en lançant dans les yeux.

2) Les détenus peuvent la verser dans nos aliments et nos boissons pour nous empoisonner.

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Decision Page 2 3) Un gallon d’eau de Javel mélangé à du chlorure de sodium (vendu comme succédané de sel dans les magasins de produits homéopathiques) et à quelques autres ingrédients se transforme en explosif plastique.

4) D’après la fiche signalétique du fabricant, l’eau de Javel est incompatible avec d’autres substances telles que les métaux lourds, les agents chimiques, les acides, l’ammoniaque, les glycols, les alcools et la majorité des solvants ou des matériaux.

5) D’après la fiche signalétique, de l’eau de Javel mélangée à de l’ammoniaque dégage des vapeurs dangereuses.

6) La fiche signalétique ci-incluse décrit diverses circonstances qui font de l’eau de Javel un produit dangereux.

7) Au bas de la fiche signalétique, le fabricant indique qu’il laisse à l’utilisateur le soin de faire ses propres expériences étant donné qu’il n’a pas effectué tous les tests. Le SCC a-t-il effectué des tests pour déterminer le degré de risques posé par l’utilisation de l’eau de Javel?

8) À cause du milieu dans lequel nous travaillons, nous croyons que l’eau de Javel devient un outil extrêmement dangereux entre les mains des détenus.

L’essentiel des faits pertinents n’est pas contesté. Vers la fin de 1994, à la suite d’une recommandation du Comité d’experts sur le SIDA et les prisons (CESP) l’établissement Matsqui en Colombie-Britannique a mis sur pied un projet pilote autorisant les détenus à avoir plus librement accès à de l’eau de Javel domestique pour désinfecter les seringues. L’objectif du projet pilote était de réduire la transmission du VIH-SIDA ainsi que de l’hépatite C, des maladies qui posent des problèmes très graves dans l’ensemble des établissements pénitentiaires du monde entier, y compris au Canada.

Le docteur Robert Climie, spécialiste de la santé publique et actuellement conseiller des Services de santé du Service correctionnel du Canada, a déclaré que le taux d’hépatite dans la population carcérale se situe entre 22 et 40 p. 100 tandis que celui du VIH est d’environ un pour cent, ce qui est dix fois plus élevé que dans le reste de la population. Environ 90 p. 100 des utilisateurs de drogues intraveineuses sont

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Decision Page 3 contaminés par le virus de l’hépatite C; il est également généralement reconnu que la population carcérale compte un nombre disproportionné de toxicomanes qui s’injectent des drogues. Le docteur Climie a fait remarquer que l’Organisation mondiale la santé a, en 1993, publié des lignes directrices concernant la gestion du VIH dans les prisons; que cet organisme ainsi que le Center for Disease Control à Atlanta ont recommandé l’utilisation d’eau de Javel pour nettoyer les seringues. L’eau de Javel domestique, a-t-on conclu, est extrêmement efficace pour stériliser les aiguilles afin d’empêcher la transmission du VIH et pour réduire la propagation de l’hépatite, mais à un degré moindre.

À la suite du succès du programme de distribution de trousses d’eau de Javel à Matsqui, le Service correctionnel a décidé d’étendre le programme à l’ensemble des établissements pénitentiaires relevant de sa compétence. Le 15 avril 1996, il a envoyé un communiqué au personnel annonçant la mise en oeuvre d’un programme de distribution de trousses d’eau de Javel dans tous les établissements; chaque détenu devait recevoir une trousse composée d’une bouteille en plastique contenant une once d’eau de Javel et une autre bouteille d’une once contenant de l’eau de rinçage. De plus, des distributrices d’eau de Javel devaient être installées dans divers endroits à l’intérieur des établissements pour que les détenus puissent librement et en privé remplir les bouteilles d’eau de Javel. Il y a lieu de faire remarquer qu’avant l’introduction du programme, les détenus pouvaient obtenir de l’eau de Javel, mais la distribution de celle-ci était contrôlée par le personnel. La politique de distribution de trousses d’eau de Javel spécifiait que les établissements devaient nommer un coordonnateur «ayant de la crédibilité auprès du personnel et des détenus». Cette disposition de la politique, décrite en détail dans une note de service du Commissaire datée du 16 avril 1996, stipule que le coordonnateur doit être «une personne avec beaucoup d’entregent et de contacts avec un large éventail d’employés et de détenus [...]».

M. Doug Robichaud est agent correctionnel à l’établissement Atlantique et président de la section locale du syndicat; à ce titre, il assiste régulièrement aux réunions du comité syndical-patronal. Il a déclaré qu’il n’a été question de la mise en oeuvre du programme de distribution de trousses d’eau de Javel qu’à une seule des réunions, il y a environ quatre ou cinq mois. M. Richard Price est lui aussi agent correctionnel et, depuis le 23 septembre 1996, il est le coprésident du Comité de santé

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Decision Page 4 et sécurité au travail; auparavant il a été pendant environ un an le représentant syndical siégeant au comité en question. Il a affirmé que la question du programme de distribution de trousses d’eau de Javel n’avait été abordée qu’une seule fois, soit à la réunion du 21 mai 1996. Il n’avait pas assisté à cette réunion. Il a toutefois déclaré que le procès-verbal indiquait sous la rubrique «Bassins oculaires» qu’il «est question de la possibilité de distribuer des sachets d’eau de Javel aux détenus à l’avenir. Roy MacLean affirme qu’il faudrait alors prévoir l’installation de bassins oculaire dans les sections.» (pièce C-4). M. Price a déclaré que la question n’avait pas encore été rediscutée quand il est devenu coprésident le 23 septembre.

Lorsqu’il a été informé de la mise en œuvre imminente du programme de distribution de trousses d’eau de Javel quelques jours avant le 7 novembre 1996, M. Robichaud a rencontré M. Luc Sarrazin, un agent des affaires du travail du Centre du secteur travail, Développement des ressources humaines Canada, qui effectuait une visite à l’établissement au sujet d’une autre affaire. M. Robichaud a expliqué qu’il avait reçu des plaintes de plusieurs agents de correction au sujet de la mise en œuvre du programme en question et qu’il avait mentionné à M. Sarrazin que les agents estimaient que le programme constituait un danger pour le personnel. M. Sarrazin a indiqué que les agents avaient le droit de refuser de travailler en vertu de la partie II du Code canadien du travail. Le 7 novembre, M. Robichaud a appris de la haute direction de l’établissement que le programme serait mis en œuvre ce jour-là; en conséquence, lui-même et un certain nombre d’agents de correction ont invoqué leur droit de refuser de travailler parce qu’ils croyaient que le programme mettait leur santé et leur sécurité en danger. M. Robichaud a fait remarquer qu’il n’avait reçu aucun préavis de la note de service du Commissaire (pièce C-3) et qu’il n’avait pas fait partie du groupe de travail qui avait participé à la mise en œuvre du programme. Il a également précisé que ni lui ni beaucoup d’autres employés ne connaissaient M me Linda Quann, une infirmière contractuelle, qui avait été nommée pour coordonner le programme de l’établissement. D’après lui, cela empêcherait cette dernière d’assumer son rôle de coordonnatrice tel qu’il est énoncé dans la note de service. Toutefois, M. Robichaud a affirmé que « cela ne posait pas trop de problème ». M. Robichaud a fourni d’autres détails au sujet des inquiétudes que lui-même et ses collègues nourrissaient à l’égard du programme de distribution de trousses d’eau de Javel, inquiétudes dont faisait état le rapport que les agents de correction ont remis à M. Sarrazin. Il a indiqué que les distributrices d’eau de Javel sont installées à côté des

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Decision Page 5 distributrices de condoms dans une pièce fermée située à proximité du poste de l’agent de correction 2. Il a fait remarquer que les détenus sont censés pouvoir utiliser les distributrices en privé; par conséquent, ils peuvent se procurer un condom, le remplir d’eau de Javel et le lancer à la figure d’un agent de correction. Il a aussi indiqué qu’il arrive souvent aux détenus de travailler dans la cuisine. Bien qu’ils soient surveillés par les gardiens stationnés sur la passerelle, il serait néanmoins facile pour eux de verser de l’eau de Javel dans la soupe et dans d’autres aliments. Même s’il ne connaissait pas les risques d’empoisonnement, il n’en était pas moins inquiet. De plus, les agents de correction s’inquiétaient du fait que les détenus pouvaient mélanger l’eau de Javel à d’autres substances pour fabriquer une bombe; un des agents à obtenu de l’information sur l’Internet décrivant comment l’ingrédient principal de l’eau de Javel, l’hypochlorite de sodium, pouvait être mélangé à d’autres substances pour fabriquer une bombe (référence : Making Plastic Explosives from Bleach (La fabrication d’explosifs plastics à l’aide d’eau de Javel), par Jolly Roger, (pièce C-8). Il a aussi mentionné en passant les possibilités d’incompatibilité entre l’eau de Javel et d’autres substances; il a aussi parlé des propriétés corrosives de l’eau de Javel. À cet égard, il a indiqué que les cadenas des distributrices d’eau de Javel avaient rouillé en moins d’un mois à cause de l’eau de Javel. M. Robichaud a aussi déclaré que l’employeur n’avait par informé le personnel de la nature potentiellement dangereuse de l’eau de Javel; le personnel avait obtenu la fiche signalétique du fabricant (pièce C-1) sont décrits quelques-uns des aspects dangereux de l’eau de Javel. Il n’était au courant d’aucun test effectué par l’employeur même s’il avait demandé qu’on le renseigne sur ces dangers.

M. Robichaud a reconnu que sa principale inquiétude au sujet de l’eau de Javel découle de la possibilité que les détenus en aient plus qu’une once en leur possession. Il a convenu qu’il y a beaucoup de choses que ces derniers peuvent mettre dans la nourriture et qu’il se produit souvent des incidents dans la cuisine. Il ne sait pas dans quelle mesure il serait aveuglé si on lui lançait de l’eau de Javel dans les yeux ni si cette substance a déjà servi à la fabrication d’une bombe. M. Price a déclaré que, à son avis, l’introduction d’un programme de libre accès à l’eau de Javel par les détenus met la santé et la sécurité des agents de correction en danger pour les raisons indiqués dans le formulaire de refus de travailler. D’après lui, les détenus pourraient facilement se constituer une provision d’eau de Javel puis lui en lancer ou lui en injecter. M. Keith Sonmor, un autre agent de correction à l’établissement, a trouvé la fiche signalétique à proximité de son poste de travail deux

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Decision Page 6 semaines avant qu’il ne décide d’exercer son droit de refuser de travailler. Il a mentionné les multiples dangers indiqués dans ce document, notamment que le produit était « extrêmement corrosif » pour les yeux, que le chlore gazeux qui se dégagerait si on mettait le feu à l’eau de Javel pouvait provoquer un coma. Il a affirmé que lorsqu’il travaillait à l’établissement de Drumheller les détenus avaient mis le feu à la prison; il s’inquiétait de la possibilité que les détenus mettent le feu à l’eau de Javel et que se dégagent des gaz qui, comme l’indique la fiche signalétique, peuvent causer une irritation des membranes. L’employeur ne lui a communiqué aucun renseignement pour dissiper ces inquiétudes.

M. Brian Mullin est un agent de correction de niveau 2 à l’établissement. Il a déclaré qu’il lui était arrivé de se faire attaquer par un détenu à quelques occasions, de se faire lancer des objets et de recevoir un coup de poing dans un oeil. D’après lui, l’eau de Javel était une autre arme que les détenus pouvaient utiliser contre lui. Il a fait remarquer que dans le passé, les détenus avaient fabriqué des armes à l’aide de différents objets pour s’en servir contre les gardiens. Il a indiqué qu’il passe entre 80 et 90 p. cent de son temps avec les détenus; une de ses tâches consiste à fouiller les cellules. Bien que normalement on est censé fouiller environ cinq cellules par jour, il arrive qu’on ne puisse le faire à cause du manque de personnel. M. Mullin a déclaré qu’il y a un bassin oculaire près de son pupitre; il s’agit d’une bouteille d’eau d’un litre qui est accrochée au mur. Il a reconnu au cours de son contre-interrogatoire qu’il n’était au courant d’aucun cas l’eau de Javel avait été utilisée pour fabriquer une bombe dans d’autres établissements.

M. Luc Sarrazin, l’agent des affaires du travail qui a enquêté sur le refus de travailler à l’établissement de l’Atlantique, a témoigné au sujet de son enquête et des motifs de sa conclusion que « la possession d’eau de Javel à 4 p. 100 par les détenus ne constitue pas un danger aux termes de la partie II du Code canadien du travail » (page 5 du rapport de l’agent de sécurité). Les motifs de la conclusion à laquelle il est arrivé sont les suivants :

[traduction] [...] a) Une bouteille d’eau de Javel ne constitue pas en soi une situation dangereuse.

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Decision Page 7 b) Le fait d’obtenir la même bouteille d’eau de Javel dans une distributrice ne constitue pas une situation dangereuse.

c) Le fait que les détenus obtiennent de l’eau de Javel de la distributrice pour désinfecter des articles personnels ne constitue pas une situation dangereuse.

d) Le fait qu’un détenu soit en possession d’eau de Javel ne constitue pas une situation dangereuse.

Le risque de blessure ou la possibilité d’un danger ne suffisent pas pour créer une situation dangereuse.

Les détenus qui sont en possession d’eau de Javel dans le but de commettre un crime, toutefois, pourraient amener le personnel à s’inquiéter pour sa sécurité et sa santé. En tant que telle, cette substance est considérée comme un objet interdit si les détenus s’en procurent en quantité supérieure à ce qui est considéré comme normal.

L’étude des motifs invoqués par les employés pour refuser de travailler a confirmé que, en effet, si les détenus ont accès à toutes les substances nécessaires, ils peuvent fabriquer des bombes et provoquer le dégagement de gaz toxiques. Toutefois, pour qu’un détenu en possession de substances dangereuses pose un danger, il faudrait démontrer clairement son intention de blesser un employé.

L’employeur a introduit l’eau de Javel dans l’établissement en vue de réduire la transmission du VIH-SIDA et d’autres maladies infectieuses dans les prisons.

Après avoir été avisé que des employés avaient exercé leur droit de refuser de travailler aux termes de la partie II du Code canadien du travail, M. Sarrazin s’est entretenu avec les employés en question qui ont indiqué que l’introduction du programme de distribution de trousses d’eau de Javel donnant aux détenus libre accès à cette substance était à l’origine de leur refus de travailler. Il a pris note des motifs particuliers qu’ils avaient indiqués dans le formulaire de refus de travailler. Il était entendu qu’il lui faudrait quelques jours pour mener son enquête; il a remis son rapport le vendredi 15 novembre. Son enquête a porté sur les inquiétudes exprimées par les employés. Il a parlé avec plusieurs personnes, notamment M. Bob Reid, hygiéniste du travail à la Direction générale du travail; M. Grant Mitton, conseiller technique principal de la région au Centre de services du secteur travail; M. Jacques Morin, conseiller de programme à la Direction générale du travail; le docteur

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Decision Page 8 O’Brien, conseiller médical au Centre de services du secteur travail; M. Pierre Delorme, technicien de laboratoire. Il a indiqué que M. Price l’a accompagné durant l’inspection de l’entretien préventif. Il s’est aussi entretenu avec M. Robichaud et M. Bannister, ce dernier étant le représentant de la santé et de la sécurité pour l’Alliance, ainsi que d’autres employés. Il a ensuite consulté plusieurs représentants de l’employeur, y compris le docteur Climie, Charlene Sutherland, la directrice adjointe intérimaire, Services administratifs, M me Linda Quann, infirmière, Promotion de la santé, à l’établissement, et M me Sandra Barrieau, chef, Services de santé, établissement de l’Atlantique. Il a aussi parlé avec des membres du comité de santé et de sécurité ainsi que deux infirmières régionales des soins de santé aux établissements de Kingston et Kent. Il a passé en revue la documentation relative au programme de distribution de trousses d’eau de Javel, en particulier un manuel intitulé « Trousse de formation - Programme national de distribution de trousses de désinfection à l’eau de Javel, avril 1996 » (pièce E-1).

À la lumière de ces renseignements, M. Sarrazin a tiré un certain nombre de conclusions au sujet du programme de distribution de trousses d’eau de Javel. À moins que les détenus n’utilisent l’eau de Javel de la manière redoutée par les agents de correction, le risque ne demeurait qu’un danger possible; il croit que l’établissement dispose des moyens pour prévenir les dangers mentionnés par le personnel. Par exemple, le personnel peut confisquer l’eau de Javel ou tout produit fabriqué avec cette eau de Javel s’il estime qu’il y a risque de fabrication d’une substance dangereuse. Il a fait remarquer que, si l’on soupçonne un détenu d’avoir en sa possession plus d’une once d’eau de Javel, celle-ci sera confisquée et le détenu fera l’objet d’une sanction disciplinaire.

M. Sarrazin a reconnu avoir fait référence à l’ancienne définition du terme « danger imminent » dans son rapport, définition qui ne se trouve plus dans la partie II du Code canadien du travail. Il a précisé avoir utilisé ce terme afin de faire la distinction entre danger et « danger imminent ». Il a fait remarquer que, d’après la jurisprudence actuelle, cette distinction est toujours pertinente pour le Centre de services du secteur travail. Il a indiqué que, au moment de son enquête, l’établissement utilisait l’eau de Javel de marque « La Parisienne », laquelle a une concentration de quatre pour cent seulement d’hypochlorite de sodium contrairement à d’autres marques dont la concentration est plus élevée. Il a convenu que l’employeur avait

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Decision Page 9 indiqué qu’il pourrait éventuellement changer de marque. En ce qui concerne la question des premiers soins, M. Sarrazin a affirmé que les agents de correction ont accès à toutes les douches et à toutes les salles de toilettes qu’il y a dans l’établissement pour se doucher la peau et les yeux; il a fait remarquer que des bassins oculaires, que l’on peut utiliser en attendant des soins médicaux, ont été installés à côté des distributrices d’eau de Javel. Il a reconnu la pièce C-2, une liste d’instructions datée du 19 novembre 1996, émise par lui-même aux termes du paragraphe 145(1) du Code canadien du travail, dans laquelle il mentionne les multiples contraventions à l’article 125 du Code et demande à l’employeur, notamment [traduction] « que l’on distribue à tous les employés susceptibles d’être exposés à l’eau de Javel des instructions sur la manutention du produit [...]; que l’on installe un bassin oculaire dans les secteurs les employés risquent le plus d’être exposés à l’eau de Javel [...]; que l’on introduise un programme de prévention relatif aux bains oculaires [...]; que le comité de santé et de sécurité participe à l’introduction du programme de sécurité au travail ou qu’il en soit informé.

M. Sarrazin a reconnu que l’eau de Javel est une substance corrosive; à sa connaissance l’employeur n’a effectué aucun test concernant la réaction d’un mélange d’eau de Javel à une autre substance. Au cours de son entretien avec M. Reid, ce dernier lui a dit que lorsque les conditions s’y prêtent il est possible de fabriquer une bombe en mélangeant de l’eau de Javel à d’autres substances. M. Sarrazin a déclaré que ses conclusions auraient été identiques même si l’eau de Javel utilisée avait été plus concentrée que « La Parisienne ». Il a convenu avec l’avocat de l’employeur que le manuel (pièce E-1) précise qu’il ne faut pas distribuer d’eau de Javel aux détenus susceptibles de s’en servir pour blesser des personnes et que l’on peut décider de ne pas en distribuer aux détenus des unités spéciales de détention. Il a aussi fait remarquer que, aux termes de la politique de l’employeur, un détenu trouvé en possession de plus d’une once d’eau de Javel est considérée comme possédant un objet interdit et le personnel doit alors la confisquer.

M. Sarrazin a formulé des réponses à l’égard de plusieurs des inquiétudes signalées par les employés. Il a fait remarquer que, à son avis, la fabrication d’une bombe était fort improbable vu l’absence d’autres substances. D’après ses renseignements, aucun dommage permanent ne serait causé à des yeux en bon état si l’agent se faisait lancer de l’eau de Javel dans les yeux. De plus, une once d’eau de Javel

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Decision Page 10 n’est pas un poison efficace et ne serait sans doute pas suffisant pour rendre quelqu’un malade si on l’ajoutait à une grande quantité de nourriture. D’après lui, le danger doit être immédiat pour que le Code s’applique. Il a fait remarquer que, à son avis, les employés n’étaient pas au courant des renseignements relatifs à la politique au moment du refus de travailler d’où les instructions données à l’employeur à la pièce C-2. Toutefois, ce manque d’information ne constituait pas un danger en soi selon l’utilisation de ce terme dans le Code. M. Sarrazin a expliqué qu’il avait donné des instructions au sujet des bassins oculaires à cause de l’absence de programme d’entretien et d’inspection des installations au moment de son enquête. De nouveau, cela ne constituait pas un « danger » d’après lui. Il a aussi noté que les établissements provinciaux en Colombie-Britannique se sont dotés de programmes analogues de distribution de trousses d’eau de Javel il y a plusieurs années et que, à sa connaissance, il n’y a jamais eu d’incident pas plus qu’il y en a eu dans les autres établissements fédéraux le programme existe depuis environ six mois.

Le docteur Climie a également témoigné au sujet des craintes particulières des employés quant au danger pour leur santé ou leur sécurité. Il a fait remarquer que la « fiche signalétique » fournie par le fabricant décrit le pire des scénarios même s’il s’agit d’une possibilité sur un million de cas. Il a fait remarquer que, bien que l’eau de Javel soit extrêmement irritante pour les yeux, elle ne cause aucun dommage connu même si les yeux ne sont pas rincés immédiatement. Pour ce qui est de l’ajout de cette substance à la nourriture ou à une boisson, la quantité qu’il faudrait utiliser pour causer du tort à quelqu’un rendrait la nourriture ou la boisson non comestible ou non buvable et sa présence serait facilement détectable. En ce qui concerne les réactions possibles du mélange de l’eau de Javel à d’autres substances, des chimistes de l’unité de la santé et de la sécurité au travail de la Direction générale des services médicaux lui ont dit qu’il était possible, dans de rares cas, de mélanger l’eau de Javel à d’autres substances pour produire du chlore gazeux, lequel ne serait vraiment dangereux que s’il était libéré dans un espace clos. Il n’avait obtenu aucun renseignement au sujet de la possibilité de fabriquer une bombe à l’aide d’eau de Javel. Il a conclu que cette substance pouvait causer des irritations, mais qu’elle ne posait pas de danger pour la santé ou la sécurité du personnel particulièrement si elle est utilisée de la façon décrite dans le programme de distribution. Il a aussi affirmé que l’utilisation de l’eau de Javel réduirait le taux de transmission du VIH et de l’hépatite, d’où une plus grande protection du personnel et des détenus ainsi que du grand public.

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Decision Page 11 Le docteur Climie a été interrogé par le représentant des requérants au sujet de l’article paru dans le numéro de juillet 1988 du journal médical The Lancet, qui mentionne plusieurs agents stérilisants, notamment l’hypochlorite de sodium (soit l’eau de Javel). Il a maintenu que les autres produits du genre ont soit les mêmes propriétés que l’eau de Javel ou peuvent en fait être considérés comme plus dangereux. Il a aussi fait une mise en garde au sujet de l’article qui est considéré comme périmé puisqu’il a été publié avant la recommandation, en 1994, du Center for Disease Control relativement à l’utilisation de l’eau de Javel.

Le docteur Climie a aussi répondu à des questions concernant un document consacré à l’eau de Javel qui a été publié par le Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail. En ce qui a trait aux risques pour la santé des êtres humains dont il est question dans ce document, le docteur Climie a fait remarquer que le risque de dommages aux poumons posé par le gaz chloreux n’était présent que si le gaz était libéré dans un espace clos; il a aussi fait remarquer que le gaz dégage une odeur extrêmement nauséabonde, ce qui signale la présence d’un danger. Il a soutenu que même le fait de renverser une grande quantité d’eau de Javel ne poserait aucun risque des points de vue inhalation ou contact malgré le côté désagréable de la chose. Il a fait remarquer que même si l’eau de Javel pouvait irriter les yeux, elle ne les endommageait pas. Il a remis en question les données sur la toxicité pour les animaux car à son avis on ne peut se lancer dans des extrapolations à partir des yeux des lapins et en les appliquant aux yeux des humains étant donné que les lapins sont particulièrement sensibles aux produits chimiques et que leur yeux sont immobilisés lorsqu’ils sont soumis à ces produits chimiques. Il a aussi fait une mise en garde au sujet des renseignements contenus dans ce document puisqu’il y est question d’eau de Javel industrielle dont la concentration est plus élevée que l’eau de Javel domestique. Il a convenu qu’il était possible de produire du gaz chloreux à partir de l’eau de Javel et que ce gaz peut irriter la trachée et les bronches. Il a toutefois réitéré qu’il faudrait que le gaz soit en concentration élevée et qu’il soit libéré dans un espace clos. Le docteur Climie a convenu que le personnel de l’établissement de l’Atlantique aurait avoir reçu la documentation concernant le programme, y compris les risques qu’il comportait. Toutefois, il a soutenu que le fait de ne pas connaître les risques ne constituerait pas un danger pour la santé et la sécurité vu les petites quantités utilisées et les faibles concentrations.

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Decision Page 12 M me Teresa Garrahan est l’actuelle coordonnatrice régionale des maladies infectieuses au Service correctionnel; elle travaille à Kingston (Ontario). Depuis juin 1995, elle fait partie du groupe de travail national qui a préparé les lignes directrices relatives au programme de distribution de trousses de désinfection à l’eau de Javel. À titre de membre du groupe, M me Garrahan a rédigé la pièce E-1, soit la « Trousse de formation - Programme national de distribution de trousses de désinfection à l’eau de Javel ». Elle a fait remarquer que le groupe de travail s’est penché sur les questions de santé et de sécurité et qu’elles sont prises en compte dans le manuel. Par exemple, a-t-elle déclaré, le détenu en possession de plus d’une once d’eau de Javel est considéré comme possédant un objet interdit; les bouteilles d’eau de Javel son munies d’un bouchon que l’on visse pour empêcher leur contenu de gicler et les mesures de premiers soins sont expliquées aux paragraphes 18 à 21. M me Garrahan a aussi mentionné une note de service qu’elle avait envoyée aux membres du groupe de travail qui précise qu’il [traduction] « est indispensable que les coordonnateurs du programme de distribution de trousses d’eau de Javel dans les établissements [...] tiennent des consultations avec leur comité conjoint de la sécurité et de la santé au travail pour s’assurer leur participation continue et la communication des renseignements. Le soutien des comités de santé et de sécurité est un élément essentiel à l’introduction du programme de distribution de trousses d’eau de Javel dans nos établissements [...] » (pièce E-4). M me Garrahan a également fait remarquer que M. Charles Moore, un hygiéniste industriel à la Direction des services de la santé au travail et de l’hygiène du milieu, avait été consulté au sujet du programme et que ses recommandations concernant les bassins oculaires (pièce E-2) avaient été mises en œuvre.

M me Garrahan a convenu que si les consultations qu’il y a eues à l’établissement de l’Atlantique se résument à celles dont il est fait état dans le procès-verbal de la réunion du 21 mai, cela n’était pas suffisant. Elle a noté que dans le cadre d’un sondage effectué en juillet, on demandait si les comités de santé et de sécurité avaient été officiellement consultés. Le 6 octobre, le groupe a de nouveau demandé aux établissements si les bassins oculaires avaient été examinés par les comités de santé et de sécurité.

M me Sandra Barrieau, chef, Services de santé, établissement de l’Atlantique, a déclaré qu’il y avait eu plusieurs réunions à l’établissement de l’Atlantique avant

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Decision Page 13 novembre 1996 concernant l’introduction du programme de distribution de trousses d’eau de Javel. Ces réunions et discussions ont été rapportées dans une note de service qu’elle a rédigée le 14 novembre 1996 (pièce E-5). M me Marrieau a reconnu que les mécanismes à ressort des distributrices des trousses d’eau de Javel fonctionnaient mal; ils avaient été corrodés par l’eau de Javel peu après l’installation des distributrices le 7 novembre 1996.

M. Dale Cross, directeur de l’établissement de l’Atlantique depuis le 4 mars 1996, a également témoigné au sujet des risques éventuels que posait le programme de distribution de trousses d’eau de Javel tel que décrit par les requérants. Il a fait remarquer qu’il est toujours possible que des détenus lancent de l’eau de Javel ou quelque autre substance au personnel. En ce qui concerne l’empoisonnement alimentaire, il a indiqué que les détenus n’ont pas accès à la cafétéria des agents et qu’il est fort peu possible, à son avis, que cela se produise. Pour ce qui est de la fabrication de bombes à l’aide de l’eau de Javel, il estime que la possibilité de faire entrer des explosifs en contrebande dans l’établissement est plus grande. En règle générale, il a indiqué qu’il existe des dangers inhérents aux établissements carcéraux, mais que des mesures disciplinaires sont prévues lorsque les détenus commettent des actes répréhensibles; ces derniers sont surveillés étroitement et il y a plusieurs conseillers et psychiatres qui sont disponibles pour s’occuper des cas de comportement violent. En outre, il existe un programme de formation du personnel en premiers soins et en RCP. Il a affirmé qu’il était présent aux réunions du personnel tenues en avril et juillet il a été question du programme de distribution de trousses d’eau de Javel. Il a indiqué, toutefois, qu’il avait des réserves concernant la manière dont le personnel avait été renseigné au sujet du programme.

Arguments Au nom des requérants, M. Bannister a soutenu que la distribution non contrôlée de l’eau de Javel à l’établissement de l’Atlantique constituait un danger pour les employés de l’établissement selon la définition du terme « danger » qui se trouve à la partie II du Code canadien du travail. M. Bannister a aussi invoqué la définition de « substance dangereuse » qui fait état d’« un agent chimique [...] dont une propriété présente un danger pour la sécurité ou la santé de quiconque y est exposé [...] ». Il a soutenu que l’eau de Javel dans un tel milieu constitue une substance dangereuse du

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Decision Page 14 fait de ses émanations délétères, de ses effets corrosifs et qu’il s’agit d’un irritant cutané susceptible de causer des brûlures. À l’appui de ses arguments, M. Bannister a fait référence à la « fiche signalétique » (pièce C-1) qui indique que l’utilisation de l’eau de Javel comporte des risques; le paragraphe VIII précise que la manipulation de l’eau de Javel nécessite certaines précautions. Pourtant les employés n’ont reçu aucune formation lorsque ce produit a été introduit au travail. De plus, la situation a été exacerbée par le défaut de l’employeur de prendre les mesures de protection appropriées, comme l’installation des bassins oculaires, ce qui a amené l’agent de sécurité à émettre une directive aux termes du paragraphe 145(1) du Code. En réalité, l’agent de sécurité a reconnu que l’employeur avait manqué à son devoir de protéger ses employés comme le stipule l’article 124 du Code.

M. Bannister a aussi fait valoir que l’agent de sécurité avait commis une erreur lorsqu’il avait cité la définition de « danger imminent » dans son rapport et conclu que la définition actuelle de « danger » comprenait le terme désuet « danger imminent ». M. Bannister a maintenu que la conclusion de M. Sarrazin selon laquelle un danger devait être immédiat aux termes du Code pour que l’on puisse refuser de travailler dépasse la portée de cette disposition.

M. Bannister a fait valoir que le manque d’information de la part de l’employeur ainsi que son défaut de communiquer les risques pour la santé au Comité de la santé et de la sécurité constituaient un danger pour les employés. Ces derniers se sentaient très vulnérables à cause de l’introduction non contrôlée de cette substance dans leur milieu de travail, ce qui les plaçait dans une situation à risque.

Au nom de l’employeur, M e Garneau a fait remarquer que la jurisprudence concernant la partie II du Code appuie le point de vue selon lequel la définition de « danger » que l’on retrouve dans le Code comporte un aspect d’imminence, c’est-à-dire que pour qu’il y ait danger tel que défini dans le Code, il doit y avoir une situation dangereuse qu’il faut éliminer. Il a cité, à titre d’exemple, la décision du Conseil canadien des relations de travail rendue dans l’affaire Scott C. Montani, 95 di 157. Dans cette affaire, le CCRT a conclu qu’il doit exister un « danger imminent » avant de pouvoir avaliser un refus de travailler. L’avocat de l’employeur a aussi fait référence à la décision du CCRT dans David Pratt 73 di 218; 1 CLRBR (2d) 310, le Conseil a passé en revue l’évolution de la définition du terme « danger imminent » dans la

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Decision Page 15 législation; il a conclu que le Code avait préservé « dans la notion de danger le caractère immédiat de celui-ci » et que la définition actuelle avait pratiquement le même sens qu’avant les modifications.

M e Garneau a fait remarquer que le travail d’un agent de correction comporte des risques inhérents; le Code reconnaît que ce ces risques inhérents ne sont pas des motifs suffisants pour invoquer le droit de refuser de travailler, ni les dangers éventuels un motif légitime pour refuser. Il a cité la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Attorney General) v. Bonfa 73 D.L.R. (4) 364, le tribunal a indiqué qu’un agent de sécurité doit examiner la situation qui existe au moment du refus de travailler; c’est-à-dire que la possibilité d’un risque de danger dans un quelconque avenir n’est pas un motif suffisant pour invoquer le droit de refuser de travailler.

L’avocat de l’employeur a fait référence au témoignage du docteur Climie selon qui la perception d’un éventuel danger comme on le mentionne dans la « fiche signalétique » était injustifiée et grandement exagérée compte tenu de la preuve scientifique actuelle. Il a aussi cité le témoignage du directeur Cross selon qui les risques mentionnés par les employés étaient faibles et non différents des risques que présentent de nombreuses autres choses et substances disponibles dans l’établissement; c’est-à-dire que ces risques sont inhérents au milieu carcéral. M e Garneau a également maintenu que la distribution des trousses d’eau de Javel fait l’objet d’un certain contrôle puisqu’un certain nombre de procédures sont prévues pour s’assurer que les détenus n’aient pas une quantité indue d’eau de Javel en leur possession. M e Garneau a fait valoir que les préoccupations des gardiens au sujet des risques éventuels devraient être évaluées en regard de la preuve très claire et irréfutable démontrant que l’eau de Javel joue un rôle important pour réduire la transmission du SIDA dans les établissements. Les agents de sécurité l’ont eux-mêmes reconnu comme l’a fait remarquer la CRTFP dans sa décision rendue dans l’affaire Walton (dossier de la Commission : 165-2-21). À l’appui de ses arguments, M e Garneau a aussi cité la décision de la Commission rendue dans les affaires Brown (dossier de la Commission : 165-2-110) et Stephenson et autres (dossier de la Commission : 165-2-83).

Motifs de décision Commission des relations de travail dans la fonction publique

Decision Page 16 Le mandat de la Commission relativement à la révision d’une décision d’un agent de sécurité est énoncé au paragraphe 130(1) du Code, qui stipule ce qui suit :

130.1 Le Conseil procède sans retard et de façon sommaire à l'examen des faits et des motifs de la décision dont il a été saisi en vertu du paragraphe 129(5) et peut :

a) soit confirmer celle-ci; b) soit donner, en ce qui concerne la machine, la chose ou le lieu, les instructions qu'il juge indiquées parmi celles que doit ou peut donner l'agent de sécurité aux termes du paragraphe 145(2).

La question de fait dont a été saisi l’agent de sécurité en l’occurrence était de déterminer si l’introduction du programme de distribution de trousses d’eau de Javel en vertu duquel les détenus avaient directement accès, sans l’intervention d’un membre du personnel, à une once d’eau de Javel domestique, constituait un danger pour la santé et la sécurité des employés de l’établissement selon la définition du terme « danger » que l’on trouve à la partie II du Code canadien du travail. L’agent de sécurité a examiné en détail les motifs fournis par les employés qui disaient craindre pour leur santé ou leur sécurité; il a conclu qu’il n’existait pas de danger aux termes du Code. Il est arrivé à cette conclusion après avoir interrogé un certain nombre de plaignants, y compris des membres du comité de santé et de sécurité. Il a ensuite examiné la politique de l’employeur en détail et s’est entretenu avec plusieurs représentants du Ministère qui étaient responsables du programme ainsi qu’avec des représentants du Centre de services du secteur travail, y compris plusieurs spécialistes. Il a ensuite conclu que la santé ou la sécurité des requérants n’étaient pas en danger. Je n’ai trouvé aucune erreur dans la conclusion à laquelle il est arrivé ni dans les méthodes qu’il a utilisées pour arriver à cette conclusion.

Il faut comprendre que le mandat de la Commission dans cette affaire est limité; il n’est pas du ressort de cette dernière, aux termes du paragraphe 130(1) du Code canadien du travail, de déclarer que les efforts de l’employeur de consulter le personnel au sujet de l’introduction du programme de distribution de trousses d’eau de Javel étaient suffisants ou non sauf si le fait de ne pas avoir consulté les employés a en soi posé un danger pour la santé et la sécurité de ces derniers. S’il avait davantage consulté les employés et organisé des séances d’information avant d’introduire le

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Decision Page 17 programme le 7 novembre 1996, peut-être aurait-il pu apaiser les craintes des employés, de sorte que l’introduction du programme se serait déroulée sans incident, comme cela a vraisemblablement été le cas dans les autres établissements au pays. Cela étant dit, je tiens à ce qu’il soit clair que je ne mets nullement en doute la sincérité des employés qui craignent pour leur santé et sécurité. Il n’y a aucun doute que les agents de correction ont à faire face tous les jours à la perspective d’être victimes d’agressions par des détenus qui peuvent utiliser et qui ont utilisé tous les moyens à leur disposition pour s’attaquer au personnel des établissements. Toutefois, je ne suis pas convaincu, sur la foi de la preuve qui m’a été présentée, que l’on puisse dire du programme de distribution de trousses d’eau de Javel, tel qu’il a été introduit par Service correctionnel Canada, qu’il crée quoi que ce soit de plus que la possibilité d’exacerber les risques inhérents au travail des agents de correction. Comme l’a fait remarquer l’avocat de l’employeur, la jurisprudence a toujours maintenu que le refus de travailler ne peut être avalisé que lorsque le danger pour la santé ou la sécurité est de nature immédiate en ce sens qu’il constitue une urgence (voir les décisions rendues dans les affaires David Pratt et Scott Montani, précitées). Il est important de noter l’existence de plusieurs mesures de protection, telles que la restriction de la quantité d’eau de Javel que les détenus peuvent avoir en leur possession ainsi que les diverses mesures de premiers soins, pour tenir compte, semble-t-il, des préoccupations que la décision de lever certaines restrictions concernant la distribution d’eau de Javel aux détenus pour désinfecter les seringues sont susceptibles de susciter.

De plus, les inquiétudes particulières soulevées par les requérants ne trouvent pas appui dans la preuve scientifique disponible. À cet égard, le témoignage du docteur Climie est d’un intérêt particulier; ce dernier a expliqué en détail pourquoi ces inquiétudes n’étaient pas fondées. Il a essentiellement conclu que bien que l’eau de Javel soit une substance corrosive, elle ne posait aucune menace réelle pour le personnel de l’établissement, même si les détenus l’utilisaient pour s’attaquer au personnel. En ce qui concerne la possibilité de fabriquer une bombe avec de l’eau de Javel, à mon avis, la réponse de M. Cross selon qui il serait plus facile de faire entrer des explosifs en contrebande dans l’établissement que de fabriquer une bombe à partir de l’eau de Javel suffit pour lever cette inquiétude. Comme l’a fait remarquer le directeur, dans tout établissement carcéral travaillent et cohabitent un grand nombre de personnes, il y a un nombre considérable de substances qui peuvent être utilisées pour s’attaquer au personnel. L’eau de Javel domestique ne semble pas être

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Decision Page 18 plus dangereuse; en fait, l’introduction de cette substance est susceptible de réduire les risques auxquels sont exposés les agents de correction en réduisant la transmission du SIDA et de l’hépatite.

Par conséquent, pour les motifs ci-dessus, j’entérine la décision de l’agent de sécurité.

P. Chodos, président suppléant

OTTAWA, le 8 janvier 1997. Traduction certifiée conforme Serge Lareau

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Decision ANNEXE Numéro du dossier de la Commission 165-2-114 165-2-115 165-2-116 165-2-117 165-2-118 165-2-119 165-2-120 165-2-121 165-2-122 165-2-123 165-2-124 165-2-125 165-2-126 165-2-127 165-2-128 165-2-129 165-2-130 165-2-131 165-2-132 Commission des relations de travail dans la fonction publique

Page 19 Requérant Paul Doiron Mike J. Doiron Lisa Dutcher J.W. Martin Richard T. Matchett Richard W. Price Doug Robichaud Keith Sonmor Delphis Brideau Lisa Johnson Kevin F. Kavanagh Kevin Savage Jeff Simon Jackie Tooker Ronnie Vautour Brent Johnstone Kellie Matchett Brian A. Mullin Weldon T. McEvoy

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