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Résumé :

Rémunération - Inspecteurs de l'aviation civile - Grief collectif - Compétence - Qualité pour agir - les fonctionnaires s'estimant lésés ont présenté un grief alléguant faire l'objet de discrimination de la part de l'employeur parce que celui-ci embauchait de nouveaux employés à un taux de rémunération supérieur au taux minimum prévu dans la convention collective - dans certains cas, ces nouveaux employés étaient rémunérés à des taux supérieurs à ceux des fonctionnaires faisant partie de l'unité de négociation, qui travaillaient depuis de nombreuses années à titre d'inspecteurs de l'aviation civile - l'employeur a soutenu que, même si cette pratique avait eu pour effet de démoraliser les fonctionnaires chevronnés qui faisaient partie de l'unité de négociation, elle n'était pas discriminatoire au sens des divers motifs de discrimination illicites prévus par la Loi canadienne sur les droits de la personne - les difficultés de recrutement obligeaient l'employeur à rémunérer les nouveaux employés à un taux supérieur - quoi qu'il en soit, l'employeur a soutenu que l'arbitre n'avait pas compétence pour instruire et trancher le présent grief puisque la convention collective n'avait pas été enfreinte - l'arbitre a déterminé qu'il n'avait pas compétence étant donné que la convention collective ne traitait pas de la question du taux de rémunération des employés nouvellement nommés à l'un des postes relevant de l'unité de négociation - en outre, l'alinéa 92(1) a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique prévoit qu'un grief ne peut être renvoyé à l'arbitrage que s'il a trait à l'interprétation et à l'application d'une disposition de la convention collective relativement au fonctionnaire - étant donné que le grief concernait la prétendue application erronée de la convention collective à l'endroit d'autres fonctionnaires, les fonctionnaires s'estimant lésés n'avaient pas le droit de renvoyer le grief à l'arbitrage. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Référence:  2000 CRTFP 24
  • Date:  2000-03-28
  • Dossier:  166-2-29374

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

M. EVANS, J. HIGGINS, R. HEWITT, B. HUTCHINGS,
R. KIRKWOOD, J. MORRELL, J. CUTLER, C. HOLSTEIN

fonctionnaires s'estimant lésés

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR
(Transports Canada)

employeur

Devant :  Philip Chodos, vice-président

Pour les fonctionnaires : /em> Wayne C. Foy, président national, Association du groupe de la navigation aérienne

Pour l'employeur :  Harvey Newman, avocat


Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 3 février 2000.

[1]   MM. M. Evans, J. Higgins, R. Hewitt, B. Hutchings, R. Kirkwood, J. Morrell, J. Cutler et C. Holstein travaillent tous en qualité d'inspecteurs de l'aviation civile pour Transports Canada ou le Bureau de la sécurité des transports. Le 9 février 1999, ils ont déposé un grief dans lequel ils allèguent faire l'objet de discrimination de la part de l'employeur parce que celui–ci embauche de nouveaux employés à un taux de rémunération supérieur au taux minimum prévu dans la convention collective applicable (soit la convention collective du groupe Navigation aérienne, Code : 401/90). À titre de redressement, ils demandent que [traduction] « […] tous les salaires, taux de rémunération et avantages sociaux soient augmentés en fonction des salaires, taux de rémunération et avantages sociaux des « nouveaux » employés, augmentés de rajustements tenant compte des années de service ». L'employeur prétend que la présente affaire n'est pas arbitrable aux termes de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP).

[2]    Les faits en l'espèce ne sont pas contestés. Le représentant des fonctionnaires s'estimant lésés a décidé de ne pas citer de témoin, préférant s'appuyer sur la documentation présentée en preuve avec le consentement de l'avocat de l'employeur.

[3]    Depuis quelque temps, l'employeur recrute du personnel de l'extérieur de la fonction publique pour combler des postes du sous–groupe des inspecteurs de l'aviation civile, à un taux de rémunération qui est supérieur au minimum prévu dans la convention collective et, dans certains cas, se situe au maximum de l'échelle de classification. Le représentant des fonctionnaires, M. Wayne Foy, a fait remarquer que, en raison du gel des salaires décrété en 1991, certains membres de l'unité de négociation sont actuellement rémunérés à un taux inférieur au maximum de leur échelle de salaire, et ce, même s'ils travaillent en qualité d'inspecteurs de l'aviation civile depuis plusieurs années (pièce G–1, onglet A–4). L'employeur a reconnu que c'est effectivement le cas. Mme Lynette Cox, directrice générale des ressources humaines à Transports Canada, a indiqué ce qui suit dans sa réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs :

[Traduction]

[…]

Tout en sympathisant avec vous au sujet du fait que la pratique actuelle a eu pour effet de démoraliser les employés chevronnés comme vous, elle n'est pas discriminatoire aux termes des divers motifs de discrimination illicites prévus par la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'échelle de rémunération est négociée en fonction des responsabilités et des compétences requises à chaque niveau. La négociation d'un taux de rémunération de départ, elle, est dictée strictement par les conditions du marché du travail.

Le Ministère a actuellement de la difficulté à recruter des inspecteurs d'aviation civile d'expérience dans certaines régions et spécialités. Il doit donc faire usage de la marge de manouvre dont il dispose pour s'adapter aux conditions du marché et exercer son pouvoir discrétionnaire de recruter à un taux de rémunération supérieur au taux minimum lorsque la situation le justifie.

[…]

[4]    Dans son argumentation, M. Foy fait remarquer qu'au paragraphe 22 du chapitre 1–1, (intitulé « Taux de rémunération à la nomination ou mutation ») du Manuel de gestion du personnel du Conseil du Trésor, il est précisé ce qui suit :

22.  Sous réserve du présent règlement et de tout autre édit du Conseil du Trésor, le taux de rémunération d'une personne nommée à un service de la partie I doit être le taux minimum applicable au poste auquel elle accède.

Selon M. Foy, cette disposition démontre que c'est la politique même de l'employeur de rémunérer les nouveaux employés au taux minimum au moment de leur nomination. Il souligne également que les dispositions du Manuel de gestion du personnel sont incorporées par renvoi dans la convention collective du groupe Navigation aérienne. Il soutient que le principe de rémunération incorporé à la convention collective prévoit une augmentation progressive des salaires en fonction de l'expérience. Par conséquent, la pratique actuelle de l'employeur, qui consiste à recruter des employés de l'extérieur de la fonction publique à un taux de rémunération supérieur au taux minimum, est contraire à l'esprit de la convention collective du fait qu'elle ne tient pas compte de l'incidence de l'expérience sur les taux de rémunération. M. Foy fait valoir que, bien que les nouveaux inspecteurs remplissent les conditions de formation des pilotes, ils sont en fait des novices en ce qui concerne leur travail et leurs responsabilités d'inspecteurs de l'aviation civile. Par conséquent, il est à la fois discriminatoire et injuste de les rémunérer à un taux égal ou supérieur à celui des inspecteurs de l'aviation civile bien formés et chevronnés qui exercent ces fonctions depuis plusieurs années. M. Foy maintient que cette situation a considérablement démoralisé ses membres.

[5]    L'avocat de l'employeur soutient que la question en l'espèce n'a rien à voir avec l'application de la convention collective à l'égard des fonctionnaires s'estimant lésés, mais concerne plutôt l'application du Manuel de gestion du personnel du Conseil du Trésor vis–à–vis des nouveaux employés. Bien que la décision d'accorder à ces derniers un taux de rémunération supérieur au taux minimum puisse être injuste, elle ne constitue pas une violation de la convention collective. Dans sa politique, le Conseil du Trésor prévoit la possibilité de recruter des employés à un taux supérieur au taux minimum dans certaines conditions; il s'agit d'une pratique nécessaire de temps à autre si l'on veut recruter du personnel qualifié. Me Newman maintient qu'il n'a pas été démontré que les fonctionnaires s'estimant lésés n'étaient pas rémunérés en conformité avec la convention collective. En outre, il ne leur est pas loisible de se plaindre du traitement salarial accordé à d'autres personnes. À l'appui de son argumentation, Me Newman cite l'affaire Hicks (dossier de la Commission 166–2–27345).

Motifs de décision

[6]    À mon avis, le présent grief n'est pas arbitrable pour les motifs suivants. Le droit de renvoyer un grief à l'arbitrage est fondé sur l'article 92 de la LRTFP et, en l'espèce, plus précisément sur l'alinéa 92(1)a), qui dispose ce qui suit :

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

[...]

[7]    Les seules dispositions de la convention collective applicable qui sont susceptibles d'avoir une quelconque pertinence, même des plus ténues, en l'espèce sont les articles 21.01 et 21.02, où l'on peut lire ce qui suit :

21.01 Sous réserve des clauses 21.02, 21.03, 21.04, 21.05 et 21.06, les conditions régissant l'application de la rémunération aux employés ne sont pas modifiées par la présente convention.
21.02 Tout employé a droit pour services rendus à:
a) la rémunération qui est indiquée à l'appendice «A» pour la classification du poste auquel il est nommé si la classification coïncide avec celle qui est précisée dans son certificat de nomination,

ou

b)à la rémunération qui est indiquée à l'appendice «A» pour la classification précisée dans son certificat de nomination si cette classification et celle du poste auquel il est nommé ne coïncident pas.

[8]    De toute évidence, aucune de ces dispositions - ni en fait aucune autre disposition de la convention collective - ne traite de la question du taux de rémunération d'un employé nouvellement nommé à l'un des postes relevant de l'unité de négociation. L'appendice « A », mentionné à l'article 21.02, est muet également au sujet du taux de rémunération au moment de la nomination; il indique uniquement l'échelle des salaires du sous–groupe des inspecteurs de l'aviation civile. En outre, l'article 21.01 précise en fait que, sous réserve de l'article 21, les conditions régissant l'application de la rémunération ne sont pas modifiées par la convention. C'est–à–dire que la politique du Conseil du Trésor concernant l'application de la rémunération régit les employés faisant partie de l'unité de négociation, sauf s'il y a contradiction avec les dispositions particulières de l'article 21 concernant la rémunération. Cela doit englober, notamment, la politique du Conseil du Trésor concernant la « Rémunération supérieure au minimum au moment de la nomination d'un employé provenant de l'extérieur de la fonction publique » (pièce G–1, onglet A–1). Par conséquent, l'employeur n'enfreint pas la convention collective lorsqu'il accorde à un nouvel employé un taux de rémunération supérieur au minimum; en fait, il exerce une prérogative que lui accorde la convention collective.

[9]    Il existe un autre empêchement à la compétence de l'arbitre en l'espèce. Comme l'a souligné Me Newman, un grief déposé en vertu de l'alinéa 92(1)a) de la LRTFP ne peut être renvoyé à l'arbitrage que s'il porte sur « [.] l'interprétation ou l'application, à son endroit [à l'endroit du fonctionnaire], d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale [.]   » (c'est moi qui souligne). En d'autres termes, il n'appartient pas à un fonctionnaire de renvoyer à l'arbitrage un grief portant sur l'interprétation ou l'application d'une disposition d'une convention collective à moins que lui–même ne soit en cause. En l'espèce, si l'application des dispositions de la convention collective fait problème, c'est à l'égard d'employés autres que les fonctionnaires s'estimant lésés. Ne serait–ce que pour ce motif, l'affaire ne peut être renvoyée à l'arbitrage.

[10]   Par conséquent, le présent grief est rejeté faute de compétence.

Philip Chodos,
vice-président

OTTAWA, le 28 mars 2000.

Traduction certifiée conforme
Serge Lareau

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