Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Pratique déloyale de travail - Plainte fondée sur l'alinéa 23(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) alléguant une violation du paragraphe 10(2) de la LRTFP - Devoir de représentation juste - Refus de l'agent négociateur de représenter le plaignant à l'arbitrage - Licenciement - Renvoi en cours de stage - le plaignant a été renvoyé en cours de stage - il a présenté un grief pour contester son licenciement - son agent négociateur l'a représenté pendant toute la procédure de règlement des griefs - l'agent négociateur a refusé de représenter le plaignant lors de l'arbitrage de son grief - le plaignant a porté plainte parce que son agent négociateur avait manqué à l'obligation que lui impose le paragraphe 10(2) de la LRTFP - il a allégué que son agent négociateur a l'obligation absolue de représenter les membres de l'unité de négociation relativement à toutes les affaires sauf les plus banales - l'agent négociateur a fait valoir que le plaignant avait été renvoyé en cours de stage et que le paragraphe 92(3) de la LRTFP ne lui permettait pas de renvoyer son grief à l'arbitrage - la Commission a jugé que l'agent négociateur avait évalué méticuleusement et à plusieurs reprises la situation du plaignant, en toute bonne foi et sans discrimination - elle a ajouté qu'elle doit accorder à un agent négociateur une assez grande latitude relativement à la représentation des membres de l'unité de négociation qu'il représente - la Commission n'a pas accepté la thèse du plaignant selon laquelle le droit à la représentation prévu au paragraphe 10(2) de la LRTFP est absolu et ne peut être refusé sauf dans les cas les plus banals - le fardeau de la preuve incombait au plaignant, qui ne s'en est pas acquitté. Plainte rejetée. Décision citée : Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

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  • Date:  2000-07-18
  • Dossier:  161-34-1127
  • Référence:  2000 CRTFP 66

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

JOHN NICHOLAS LIPSCOMB

plaignant

et

L'ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA,
ANNE CLARK-MCMUNAGLE ET PHILIPPE TROTTIER

défendeurs

AFFAIRE :  Plainte fondée sur l'article 23 de la
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Devant : Yvon Tarte, président

Pour le plaignant : Lui-même

Pour les défendeurs : Philippe Trottier


Affaire entendue à Vancouver (Colombie-Britannique),
le 30 juin 2000.

[1]   En janvier de cette année, John Lipscomb a déposé une plainte fondée sur l'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.T.F.P.) dans laquelle il allègue que l'Alliance de la Fonction publique du Canada (Alliance) et l'un de ses dirigeants ont refusé de le représenter dans le cadre de la procédure de règlement des griefs, violant ainsi les droits que lui confère le paragraphe 10(2) de la L.R.T.F.P.. Lors de l'audience, M. Lipscomb a élargi sa plainte en vue d'inclure le représentant de l'Alliance à titre de défendeur. M. Trottier n'a soulevé aucune objection.

[2]   Le paragraphe 10(2) impose un devoir de représentation juste aux agents négociateurs et à leurs dirigeants. Il prévoit ce qui suit :

10. (2) Il est interdit à l'organisation syndicale, ainsi qu'à ses représentants, d'agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation des fonctionnaires qui font partie de l'unité dont elle est l'agent négociateur.

Contexte

[3]   Au moyen d'une lettre datée du 24 février 1998, le plaignant a été renvoyé en cours de stage. Le ministère employeur, Revenu Canada à l'époque, a justifié le licenciement en faisant valoir que M. Lipscomb avait eu un comportement déplacé vis–à–vis d'une collègue (pièce R–1, onglet 4).

[4]   Quelques jours auparavant, le 19 février, à la suggestion de son représentant syndical et d'un conseiller du Programme d'aide aux employés, le plaignant s'était excusé par écrit au sujet du dernier incident concernant la collègue en question. Il avait conclu sa lettre en reconnaissant avoir commis une « grave » erreur et il en assumait l'entière responsabilité (pièce R–1, onglet 3).

[5]   Le plaignant a contesté son renvoi en cours de stage par voie de grief et a demandé à l'Alliance, son agent négociateur, de le représenter. L'Alliance l'a représenté aux divers paliers de la procédure de règlement des griefs, mais a refusé de poursuivre l'affaire lorsqu'il a voulu renvoyer le grief à l'arbitrage.

[6]   Les documents déposés par les défendeurs (pièce R-1, plus particulièrement les onglets 9, 12, 14 et 15) indiquent que ces derniers ont étudié soigneusement cette affaire, analysant les documents à leur disposition ainsi que la jurisprudence pertinente et la politique interne de l'Alliance en matière de harcèlement en milieu de travail (pièce R–2) avant de refuser de représenter le plaignant à l'arbitrage.

Argumentations

Pour le plaignant

[7]   M. Lipscomb soutient que le paragraphe 10(2) de la L.R.T.F.P. impose à l'agent négociateur une obligation absolue de représenter les membres de l'unité de négociation relativement à tous les problèmes que les membres portent à son attention, sauf les cas les plus banals. Pour reprendre son exemple, même s'il avait assassiné quelqu'un à coups de hache au travail, il aurait droit à la représentation.

[8]   Dans toute cette histoire, l'Alliance a cru les mensonges de l'employeur et a refusé de voir le plaignant comme la victime qu'il est en réalité. Elle n'a pas manqué une occasion de faire de l'obstruction durant toute cette épreuve.

[9]   L'Alliance et ses dirigeants appliquent un modèle de justice punitive où tous les hommes servent de boucs émissaires peu importe où se trouve la responsabilité, alors qu'en réalité ils devraient promouvoir un modèle de justice réparatrice, sans chercher à trouver un coupable, et essayer de rétablir l'harmonie.

[10]   M. Lipscomb soutient que la politique de l'Alliance en matière de harcèlement au travail est inconstitutionnelle étant donné qu'elle est inévitablement discriminatoire envers les hommes, qui sont toujours considérés comme les auteurs du harcèlement (pièce R–2).

Pour les défendeurs

[11]   Ayant longuement réfléchi à cette affaire, comme le démontre la preuve documentaire, l'Alliance a conclu, à juste titre, que M. Lipscomb avait été renvoyé en cours de stage. Comme ce type de licenciement ne peut faire l'objet d'un arbitrage aux termes du paragraphe 92(3) de la L.R.T.F.P., l'Alliance n'est pas tenue de représenter le plaignant.

[12]   L'Alliance a évalué la situation de M. Lipscomb de façon convenable et objective à plusieurs occasions et n'a certainement pas agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi. Les dirigeants syndicaux se sont appuyés sur la politique de l'Alliance en matière de harcèlement au travail pour décider s'il y avait lieu ou non de représenter M. Lipscomb (pièce R–2).

[13]   À l'appui de sa position, M. Trottier a invoqué les affaires suivantes : Gagnon v. Canadian Merchant Service Guild and Laurentian Pilotage Authority (1984), 53 N.R. 100; Gendron c. Syndicat des approvisionnements et services de l'Alliance de la Fonction publique du Canada, section locale 50057, [1990] 1 R.C.S. 1298; Jacques c.Alliance (dossier de la Commission 161–2–731); Begley c.Alliance (dossier de la Commission 161–2–759); Re Seneviratne and Amalgamated Transit Union, Local 583 et al., 92 D.L.R. (4th) 195; Jacmain c. Procureur général (Canada) et autre, [1978] 2 R.C.S. 15; Richard c.Alliance, 2000 CRTFP 61 (161–2–1119) et Perreault et le Conseil du Trésor (Transports Canada) (dossier de la Commission 166–2–26094).

Réfutation du plaignant

[14]   Lorsque l'interprétation d'une convention collective risque d'opposer les intérêts des différents membres d'une unité de négociation, l'agent négociateur peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider de la façon dont il représentera les membres en général. Étant donné l'absence d'intérêts opposés en l'espèce, l'Alliance ne peut exercer ce pouvoir discrétionnaire.

[15]   En congédiant le plaignant, l'employeur a appliqué le règlement dans toute sa rigueur, car il ne voulait pas ou ne pouvait pas faire face à la dimension émotive de la situation au travail. L'Alliance aurait dû voir plus loin et accepter de représenter le plaignant à l'arbitrage. Elle a plutôt emboîté le pas à l'employeur, se contentant de faire de lui un bouc émissaire.

Motifs de la décision

[16]   En vertu du paragraphe 10(2), un agent négociateur doit représenter ses membres d'une manière qui ne soit pas arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi. Lorsqu'elle est saisie d'une plainte de représentation injuste, la Commission doit évaluer le comportement reproché afin de déterminer s'il constitue une violation des dispositions du paragraphe 10(2).

[17]   En l'espèce, les défendeurs ont évalué méticuleusement et à plusieurs reprises les faits entourant le licenciement du plaignant. Ils ont conclu, en toute bonne foi et sans discrimination, que M. Lipscomb avait en fait été renvoyé en cours de stage, une décision qui ne peut faire l'objet d'un arbitrage aux termes du paragraphe 92(3) de la L.R.T.F.P..

[18]   La Commission doit accorder à un agent négociateur une assez grande latitude relativement à la représentation de ses membres aux termes de la L.R.T.F.P.. Elle n'accepte pas la thèse du plaignant selon laquelle le droit à la représentation prévu au paragraphe 10(2) de la L.R.T.F.P. serait pratiquement absolu et ne pourrait être refusé, sauf dans les cas les plus banals. Ce point de vue est contraire à l'arrêt Gagnon (supra) de la Cour suprême du Canada.

[19]   Le fardeau de la preuve en l'espèce incombait au plaignant, M. Lipscomb. Ce dernier n'a présenté aucune preuve démontrant que l'Alliance ou ses dirigeants auraient manqué à leur devoir à son égard aux termes du paragraphe 10(2) de la L.R.T.F.P..

[20]   Par conséquent, la plainte de M. Lipscomb est rejetée.

Yvon Tarte,
président

OTTAWA, le 18 juillet 2000.

Traduction certifiée conforme
Maryse Bernier

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