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Résumé :

Déclaration degrève illégale - Demande fondée sur le paragraphe 104(1) de la Loi sur les relations de travail dans lafonction publique (Loi) - Arrêt de travail - Fonctionnaires se déclarantmalades pour refuser de travailler - Arrêt de travail constituant une grèveillégale ou pas - Groupe Médecine vétérinaire - l'employeur a demandé à la Commission dedéclarer une grève illégale - cent seize vétérinaires de la province de Québecavaient refusé de travailler - l'agent négociateur avait reconnu que lesactions de ces vétérinaires constituaient un arrêt de travail - l'employeur aretiré son allégation que l'agent négociateur avait déclaré ou autorisé unarrêt de travail - il a demandé à la Commission de déclarer que l'arrêt detravail constituait une grève illégale - selon lui, les vétérinaires en questionoccupaient des postes désignés par la CRTFP comme ayant des fonctions liées àla sécurité et n'avaient par conséquent pas le droit de faire la grève - il aajouté que, au moment de l'arrêt de travail, il négociait collectivement avecl'agent négociateur et qu'il n'y avait pas eu de rapport d'un bureau deconciliation, alors que c'est une condition préalable à toute grève légale -l'employeur a souligné l'importance de faire respecter la Loi - l'agentnégociateur a répondu que, conformément à l'article 104 de la Loi, lepouvoir de la Commission de déclarer une grève illégale doit être fondé sur uneconclusion que la grève a été déclarée ou autorisée par l'agent négociateur -l'agent négociateur a rappelé à la Commission que l'employeur avait retiré cetteallégation - la Commission a jugé que les actions des vétérinairesconstituaient une grève illégale - toutefois, son pouvoir de déclarer une grèveillégale en vertu de l'article 104 de la Loi ne peut être invoqué que sila grève est déclarée ou autorisée par une organisation syndicale - aucune preuve ne lui a été présentée pour justifier une telle conclusion. Demande rejetée. Décisions citées : LeConseil du Trésor et la section locale de Fort Erie (district) de l'Uniondouanes et accise et l'Alliance de la Fonction publique du Canada (192-2-13,17 août 1971); Le Conseil duTrésor et la succursale de Windsor (ville et district de l'Union douane etaccise et l'Alliance de la Fonction publique du Canada (192-2-12, 22 janvier 1971).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2002-01-30
  • Dossier:  192-32-23
  • Référence:  2002 CRTFP 12

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

L'AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

requérante

et

L'INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défendeur

AFFAIRE : Demande fondée sur le paragraphe 104(1) de la
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Devant :  Yvon Tarte, président

Pour la requérante :  Raymond Piché, avocat

Pour le défendeur :  Dougal Brown, avocat


Affaire entendue à Ottawa (Ontario)
les 19, 20 et 21 décembre 2001.

[1]   Le 18 décembre 2001, l'Agence canadienne d'inspection des aliments (Agence) a demandé à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission), en vertu du paragraphe 104(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (Loi) de déclarer une grève illégale.

[2]   Le paragraphe 104(1) de la Loi se lit comme il suit :

104. (1) À la demande de l'employeur qui prétend qu'une organisation syndicale a déclaré ou autorisé une grève de fonctionnaires qui a ou aurait pour effet de placer ces fonctionnaires en situation de contravention à l'article 102, la Commission peut déclarer la grève illégale, après avoir donné toutefois l'occasion à l'organisation syndicale de se faire entendre.

[3]   En raison de la nature de la demande, la Commission a décidé de tenir une audience le plus vite possible afin de donner aux parties l'occasion de se faire entendre.

La demande

[4]   Dans sa demande, l'Agence déclare être un employeur distinct sous le régime de la Loi et, au moment où elle a décidé de présenter sa demande, elle négociait collectivement avec l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (Institut) pour le groupe Médecine vétérinaire (VM), dont l'Institut est l'agent négociateur.

[5]   L'Agence déclare en outre que, le 17 décembre 2001, 116 membres du groupe VM travaillant dans la province de Québec ont décidé de façon concertée de refuser de travailler alors qu'ils étaient légalement tenus de travailler. En début d'audience, l'Institut a reconnu que les actes des 116 VM en question le 17 décembre 2001 constituaient un arrêt de travail concerté. Toujours à l'audience, l'Agence a retiré son allégation selon laquelle l'Institut avait déclaré ou autorisé l'arrêt de travail du 17 décembre 2001, en demandant seulement à la Commission de déclarer que les actes des 116 VM ce jour–là constituaient une grève illégale.

L'injonction

[6]   Le 21 décembre 2001, pendant que la Commission étudiait l'affaire, la Cour fédérale du Canada a accordé une injonction provisoire enjoignant aux VM, à l'Institut et à l'Agence de ne pas procéder à d'autres arrêts de travail pour une période de 14 jours, dans l'affaire Union des producteurs agricoles c. Agence canadienne d'inspection des animaux (Cour fédérale, Section de première instance, dossier T–2242–01). Dans le jugement 2001 CFPI 1432, la Cour fédérale a déclaré que les demandeurs de l'injonction avaient établi prima facie que l'arrêt de travail des 116 VM du Québec le 17 décembre 2001 constituait une grève illégale.

Plaidoiries

Pour la requérante

[7]   Le jour où les 116 VM ont refusé de travailler, le 17 décembre 2001, l'Institut était en négociations collectives avec l'Agence. Il n'y avait pas eu de rapport d'un bureau de conciliation, alors que c'est une condition préalable à toute grève légale. Un très fort pourcentage de ces 116 VM occupent des postes désignés et ne peuvent par conséquent pas participer à une grève légale. Il est donc très clair que ce qui s'est passé au Québec le 17 décembre 2001 était une grève illégale. La Commission est chargée d'assurer l'application de la Loi conformément à l'intention du Parlement. Le 17 décembre 2001, le système n'a pas fonctionné; par conséquent, la Commission a le devoir de déclarer cette grève illégale.

[8]   L'Agence a pour mandat de protéger la santé et d'assurer la sécurité du public canadien. Le travail des VM est essentiel à l'exécution de ce mandat. En faisant la grève le 17 décembre 2001, les VM ont pris l'ensemble de la population en otage. L'arrêt de travail a dépassé les bornes des relations de travail. Ses effets ont été bien davantage ressentis par le public et par le secteur privé que par l'employeur.

[9]   On ne saurait prétendre qu'une déclaration de grève illégale ne devrait être faite que dans les cas où les arrêts de travail illégaux se prolongent.

[10]   Comme les parties ont désormais convenu d'opter pour l'arbitrage obligatoire, en vertu de l'article 61 de la Loi, la Commission ne peut pas nuire en déclarant que la grève en question était illégale. À l'appui de son raisonnement, l'Agence invoque la décision rendue dans Le Conseil du Trésor et la succursale de Windsor (ville et district) de l'Union douanes et accise et l'Alliance de la Fonction publique du Canada (dossier de la Commission 192–2–12, 22 janvier 1971). En l'espèce, l'intérêt public exige une déclaration que la grève était illégale.

Pour le défendeur

[11]   Avant de faire une déclaration en vertu du paragraphe 104(1), la Commission doit à tout le moins conclure que l'Institut a déclaré ou autorisé la grève. Puisque l'Agence a retiré ses allégations contre lui, la Commission ne peut arriver à cette conclusion. Par conséquent, la déclaration demandée ne peut être faite.

[12]   En outre, une déclaration ne devrait pas être faite en vertu du paragraphe 104(1) sauf si la situation est caractérisée par une série de grèves illégales ou s'il est probable qu'une autre grève illégale va bientôt avoir lieu. Ni l'une ni l'autre de ces conditions n'a été remplie en l'espèce.

[13]   Dans les affaires de ce genre, le rôle de la Commission ne devrait pas être punitif. Compte tenu du fait qu'on ne peut raisonnablement présumer qu'il y aura une autre grève illégale, la Commission ne devrait pas acquiescer à la demande de l'Agence.

[14]   À l'appui de sa thèse, l'Institut cite La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 79 di 82 (C.C.R.T.).

Réplique de la requérante

[15]   Même si l'Agence a modifié sa demande en retirant ses allégations contre l'Institut, cela ne veut pas dire qu'elle concède qu'il n'était pas en cause pour autoriser ou déclarer la grève du 17 décembre.

[16]   Le pouvoirs généraux dont la Commission est investie par l'article 21 de la Loi sont assez larges pour qu'elle puisse déclarer que cette grève était illégale, conformément au paragraphe 104(1).

[17]   Il s'agit ici d'une activité illégale et l'on devrait déclarer que c'était bel et bien illégal. Il faut envoyer un message clair à tous : la Loi doit être respectée.

Motifs de la décision

[18]   Les actes des 116 VM qui ne se sont pas présentés au travail le 17 décembre 2001 constituaient manifestement une grève au sens où le terme est défini à l'article 2 de la Loi, car il est évident que ces fonctionnaires se sont entendus pour refuser de travailler, et ce, de façon conjointe et concertée.

[19]   En outre, il semble tout aussi évident que cette grève était illégale et qu'elle contrevenait à l'article 102 de la Loi :

102. (1) Il est interdit au fonctionnaire de participer à une grève :

a) s'il ne fait pas partie d'une unité de négociation pour laquelle un agent négociateur a été accrédité;

b) s'il appartient à une unité de négociation pour laquelle le mode de règlement des différends est le renvoi à l'arbitrage;

c) s'il occupe un poste désigné.

(1.1) Il est interdit au fonctionnaire de participer à une grève s'il appartient à une unité de négociation dont l'agent négociateur a choisi de renvoyer au mode substitutif visé au paragraphe 61(1) toutes les questions en cause dans la grève.

(1.2) Il est aussi interdit au fonctionnaire de participer à une grève s'il appartient à une unité de négociation dont l'agent négociateur a accepté, aux termes de l'article 90, d'être lié en ce qui touche toutes les questions en cause dans la grève.

(2) Il est également interdit au fonctionnaire ne remplissant pas les conditions énoncées au paragraphe (1) de participer à une grève dans le cas où :

a) une convention collective est en vigueur pour l'unité de négociation dont il fait partie;

b) aucune convention collective ne s'applique à l'unité de négociation dont il fait partie, sauf si, selon le cas :

(i) un bureau de conciliation chargé de l'enquête et de la conciliation au sujet d'un différend concernant cette unité a été établi, ou un commissaire-conciliateur a été nommé à cette fin, et sept jours se sont écoulés depuis la réception par le président du rapport du bureau ou du commissaire-conciliateur,

(ii) sept jours se sont écoulés depuis que le président a prévenu les parties, conformément aux paragraphes 77(2) ou 77.1(4), de son intention de ne pas établir de bureau de conciliation ou de ne pas nommer de commissaire-conciliateur.

(3) Il est interdit au fonctionnaire de participer à une grève pendant la période visée par le décret au titre du paragraphe 102.1(1).

[20]   Le 17 décembre 2001, l'Agence et l'Institut étaient en négociations collectives, de sorte que les conditions posées aux sous-alinéas 102(2)b)(i) ou (ii) n'ont pas été respectées.

[21]   Comme la Commission l'a déclaré dans Le Conseil du Trésor et la section locale de Fort Erie (ville et district) de l'Union douanes et accise et l'Alliance de la Fonction publique du Canada (dossier de la Commission 192–2–13, 17 août 1971), au paragraphe 23 :

Peu importe que les employés décident de l'appeler [la grève] arrêt de travail, activité (ou défaut d'activité) de service, séance d'étude, séance de prière, avis collectif des employés signalant qu'ils sont malades, ou de tout autre nom [...]

[22]   Conclure que les 116 VM faisaient une grève illégale au sens de l'article 102 ne nous mène toutefois pas inévitablement et inexorablement à déclarer que cette grève était illégale en vertu du paragraphe 104(1).

[23]   Pour faire une déclaration en vertu du paragraphe 104(1), la Commission doit être convaincue qu'une organisation syndicale définie comme telle par la Loi a autorisé ou déclaré la grève. Bref, et bien que la requérante ait convaincu la Commission que les VM du Québec ont fait une grève illégale le 17 décembre 2001, elle n'a pas produit une preuve suffisante pour m'amener à conclure que les VM constituent une organisation syndicale ou qu'ils ont agi au nom d'une telle organisation.

[24]   Je tiens à ajouter que la Commission a le pouvoir discrétionnaire de faire une déclaration fondée sur le paragraphe 104(1) « [...] même si la grève, qui est le motif de la demande, a cessé avant l'audition de la demande ou quant à cela, avant la présentation de la demande à la Commission » (Windsor (supra) para. 33).

[25]   Enfin, la Commission n'a jamais souscrit à la jurisprudence ontarienne invoquée par l'Institut. Dans Windsor (supra), la Commission a clairement précisé son interprétation du volet informatif et éducatif que comporte une déclaration de grève illégale en application du paragraphe 104(1), dans les circonstances appropriées. Si j'acceptais le raisonnement de l'Institut dans la présente affaire, cette disposition de la Loi perdrait toute utilité, dans bien des cas.

[26]   Le paragraphe 104(1) est plutôt une étape dans la poursuite d'une organisation syndicale en vertu de l'article 106, pour une infraction visée par l'article 103, qui interdit à une telle organisation d'autoriser ou de déclarer une grève illégale.

[27]   Je dois aussi souligner, à titre de référence ultérieure, que le recours par une organisation syndicale à l'omission, au subterfuge ou à un langage ambigu, qui laisserait entendre à ses membres qu'elle est favorable à une grève illégale, pourrait fort bien convaincre la Commission qu'une telle grève a été déclarée ou autorisée par cette organisation syndicale.

[28]   Bref, la Commission estime que les actes des 116 VM, le 17 décembre 2001, constituaient une grève illégale au sens de l'article 102 de la Loi. Néanmoins, l'Agence n'a pas prouvé qu'une organisation syndicale ait autorisé ou déclaré cette grève. Par conséquent, la demande fondée sur le paragraphe 104(1) dans ce contexte doit être rejetée.

Yvon Tarte
président

OTTAWA, le 30 janvier 2002.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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