Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Réaffectation temporaire - Frais de déplacement non-défrayés - Agent correctionnel - Réaffectation pour but de séparer les personnes qui ont des opinions opposées pendant la durée d'une enquête - la fonctionnaire s'estimant lésée occupait la fonction d'agent correctionnel, un poste classifié aux groupe et niveau CX-II - le 9 juillet 1998, elle a reçu une note de service l'informant qu'elle était affectée provisoirement au CCC Sherbrooke, à 10,5 km du CCC Martineau - la fonctionnaire s'estimant lésée a déposé un grief le 24 juillet 1998 pour contester cette décision qu'elle considérait comme une mesure disciplinaire - elle demanda de retourner travailler au CCC Martineau et réclama entre-temps qu'on lui reconnaisse son temps de déplacement comme temps de travail et qu'on lui rembourse ses frais de déplacement - dans son témoignage elle souligna dès le départ que les relations étaient difficiles avec l'ancien directeur, notamment en 1997-1998 - n'ayant eu aucune nouvelle de la direction régionale suite aux doléances qu'elle a exprimées a l'égard de l'attitude de ce directeur et compte tenu de la plainte formulée par ses collègues de travail le 18 février 1998, la fonctionnaire s'estimant lésée se sentit bouleversée et sur les conseils de son médecin, elle était en arrêt de travail du 23 février 1998 au 3 juillet de la même année - selon elle, son employeur a insisté qu'elle revienne au travail en juillet - lors de son retour en juillet 1998, le nouveau directeur l'informa qu'elle serait réaffectée au CCC Sherbrooke - ce nouveau directeur souligna que même avant le retour de la fonctionnaire s'estimant lésée, il avait discuté avec la direction régionale de cette possibilité - tenant compte du fait qu'une plainte avait été déposée contre la fonctionnaire s'estimant lésée et que cette dernière allègue avoir subi du harcèlement de la part de son ancien directeur, le nouveau directeur trouvait souhaitable que la situation soit clarifiée et qu'entre-temps on sépare les personnes en cause - la question devant l'arbitre de grief était donc de savoir s'il y a eu à l'époque des événements une situation qui justifiait une enquête et qui justifiait que les personnes qui avaient des opinions divergentes soient séparées pendant la durée de cette enquête - celui-ci conclut qu'il était souhaitable de séparer les personnes qui avaient des opinions opposées pendant la durée de l'enquête compte tenu qu'il s'agissait d'un petit milieu de travail - l'arbitre de grief décida que l'employeur, qui s'inspira de la directive no. 255 du Commissaire du Service correctionnel pour toutes les questions afférentes à l'enquête, avait agi de bonne foi et que la réaffectation temporaire de cette fonctionnaire ne pouvait pas être considérée comme une mesure de représaille ou une action punitive - la fonctionnaire s'estimant lésée avait été réaffectée provisoirement à une fonction identique à celle qu'elle occupait - l'arbitre de grief conclut que l'employeur, dans sa décision de cesser de défrayer les coûts de transport, s'appuyait sur la politique en vigueur au Service correctionnel Canada - il a jugé que la preuve révélait que l'employeur avait corrigé sa propre erreur en cessant de payer des frais de déplacement qu'il n'aurait pas dû payer puisque le CCC Sherbrooke n'est qu'à 10,05 km du CCC Martineau. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2002-07-19
  • Dossier:  166-2-31111
  • Référence:  2002 CRTFP 63

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

SYLVIE GOYETTE

fonctionnaire s'estimant lésée

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR
(Solliciteur général Canada - Service correctionnel)

employeur

Devant :  Jean-Pierre Tessier, commissaire

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée :  Alain Lachance, UNION OF CANADIAN CORRECTIONAL OFFICERS - SYNDICAT DES AGENTS CORRECTIONNELS DU CANADA - CSN

Pour l'employeur :  Jennifer Champagne, avocate


Affaire entendue à Montréal (Québec),
du 6 au 10 mai 2002.

[1]   Mme Sylvie Goyette est à l'emploi du Service correctionnel Canada depuis 1983. Au moment des évènements relatés dans la présente décision, elle occupe la fonction d'agent correctionnel au Centre correctionnel communautaire (CCC) Martineau, 10345, boulevard St-Laurent à Montréal (Québec). Ce poste est classifié aux groupe et niveau CX-II.

[2]   Le 9 juillet 1998, Mme Goyette reçoit une note de service l'informant qu'elle est affectée provisoirement au CCC Sherbrooke, 2196, rue Sherbrooke à Montréal, à 10,5 km du CCC Martineau..

[3]   La fonctionnaire s'estimant lésée dépose un grief le 24 juillet 1998 pour contester cette décision qu'elle considère comme une mesure disciplinaire. Elle demande de retourner travailler au CCC Martineau et réclame entre temps qu'on lui reconnaisse son temps de déplacement comme temps de travail et qu'on lui rembourse ses frais de déplacement.

[4]   Le grief est renvoyé à l'arbitrage le 6 février 2002. L'audition de ce grief a lieu dans la semaine du 6 au 10 mai 2002. Le renvoi tardif à l'arbitrage s'explique du fait que plusieurs évènements se sont succédés entre 1997 et 2000.

[5]   De fait, dix griefs sont renvoyés à l'arbitrage; par accord des parties quatre griefs sont plaidés lors des audiences du 6 au 10 mai 2002 :

  • le grief 166-2-31110 est relatif à une sanction pécuniaire, équivalant à une journée de salaire, imposée pour consommation de repas aux frais de l'employeur;

  • le grief 166-2-31116 porte sur un refus de congé pour le 29 août 1997 et d'une mesure disciplinaire imposée pour l'absence du travail lors de cette journée;

  • le grief 166-2-31117 traite d'un refus de congé pour la période du 20 décembre 1999 au 7 janvier 2000;

  • le grief 166-2-31111 conteste la réaffectation temporaire dans un autre lieu de travail en juillet 1998.

[6]   Bien que chacun des quatre griefs fasse l'objet d'une preuve distincte, les parties conviennent que la preuve déposée dans un dossier (notamment description de fonctions, lieu de travail, clientèle, etc.) puisse être considérée dans un autre.

La preuve

[7]   Mme Sylvie Goyette travaille au CCC Martineau depuis 1989. Il s'agit d'un petit établissement carcéral accueillant environ 50 détenus en 1989. Cependant, depuis 1990, on y loge en moyenne de 30 à 35 détenus bénéficiant de libération conditionnelle de jour ou de fin de semaine.

[8]   Mme Goyette est responsable de l'animation communautaire auprès des résidents (détenus) et effectue des tâches techniques liées au fonctionnement opérationnel du centre de même qu'au programme.

[9]   En 1997, travaillent au CCC Martineau, en plus du directeur René Pellerin, quatre agents de libération, deux secrétaires, un agent correctionnel (CX), soit Mme Goyette, et des gardiens du corps de sécurité.

[10]   Dans son témoignage Mme Goyette souligne dès le départ que les relations sont difficiles avec l'ancien directeur M. René Pellerin notamment en 1997-1998. En juillet 1997, le directeur réorganise la charge de travail de Mme Goyette (pièce F-3). Le 3 novembre suivant (1997) le directeur lui transmet une évaluation annuelle attestant d'un rendement insatisfaisant (pièce F-4).

[11]   Mme Goyette souligne que lors de réunions d'équipe le directeur Pellerin ne tient pas compte des remarques qu'elle fait et il s'adresse à elle de façon agressive.

[12]   En décembre 1997, lors d'une rencontre avec le directeur régional M. Thibault, Mme Goyette parle à ce dernier des problèmes de communication qui existent entre elle et le directeur du CCC Martineau, M. René Pellerin.

[13]   En février 1998, Mme Goyette a une altercation avec son collègue de travail Spiros Mastoras. Par la suite, ce dernier est signataire avec ses collègues de travail d'une plainte dénonçant le non-professionnalisme de Mme Goyette (pièce F-5). Dans cette plainte, on reproche à Mme Goyette de dénigrer ses collègues et de détériorer le climat de travail.

[14]   N'ayant eu aucune nouvelle de la direction régionale suite aux doléances qu'elle exprime à l'égard de l'attitude de M. Pellerin et compte tenu de la plainte formulée par ses collègues de travail le 18 février 1998, Mme Goyette se sent bouleversée et sur les conseils de son médecin, elle est en arrêt de travail du 23 février 1998 au 3 juillet de la même année. Selon elle, c'est sur l'insistance de son employeur qu'elle revient au travail en juillet. En effet le 9 avril 1998, le directeur René Pellerin informe Mme Goyette que l'employeur requiert une expertise médicale pour fixer une date de retour au travail.

[15]   Pendant son absence, il y a des changements au CCC Martineau. M. Lussier devient le nouveau directeur. Mme Goyette fait part d'une communication téléphonique entre elle et M. Lussier au cours de laquelle elle lui demande de régler le problème de climat de travail entre elle et ses collègues de travail.

[16]   En terminant, Mme Goyette souligne que l'employeur a cessé de lui rembourser à compter du 31 août 1998 les frais de transport qui lui étaient alloués pour se rendre au CCC Sherbrooke. Deux collègues de travail de Mme Goyette attestent qu'il arrive que le directeur, M. Pellerin, parle de façon agressive à Mme Goyette, mais sans plus.

[17]   Pour sa part, M. Lussier, le nouveau directeur du CCC Martineau, constate à son arrivée en juin 1998 que l'atmosphère de travail est « mitigée ». Il discute avec chacun des employés relativement à la plainte déposée contre Mme Goyette. Il est aussi au courant des doléances de cette dernière relativement à l'attitude du directeur M. René Pellerin. Il ne voit pas lieu d'y donner suite puisque Mme Goyette est en congé de maladie et que M. Pellerin n'est plus au CCC Martineau.

[18]   Cependant, lors du retour de Mme Goyette, en juillet 1998, M. Lussier l'informe qu'elle sera réaffectée au CCC Sherbrooke. M. Lussier souligne que même avant le retour de Mme Goyette, il avait discuté avec la direction régionale de cette possibilité. Tenant compte du fait qu'une plainte avait été déposée contre Mme Goyette et que cette dernière allègue avoir subi du harcèlement de la part de son ancien directeur, M. Pellerin, M. Lussier trouve souhaitable que la situation soit clarifiée et qu'entre temps on sépare les personnes en cause.

[19]   M. Lussier souligne qu'au CCC Martineau, le milieu de travail est exigu et que des fonctionnaires ont leur bureau à proximité les uns les autres. Les deux autres collègues de travail en cause sont des agents de libération qui ont des cas individuels à gérer. Pour le bien du service, M. Lussier juge préférable de déplacer Mme Goyette.

[20]   C'est M. Lussier qui fait la recommandation au directeur régional M. Gilles Thibault de déplacer provisoirement Mme Goyette, le temps qu'on fasse le point sur les problèmes soulevés tant par les autres employés du CCC Martineau que par Mme Goyette à l'égard de M. Pellerin.

[21]   M. Thibault, directeur du centre métropolitain depuis 1989, confirme les propos de M. Lussier. Il constate que la situation est tendue et décide de faire mener une enquête pour examiner la plainte des employés et les allégations de Mme Goyette (pièce E-2).

[22]   M. Thibault tient compte de la directive no. 255 du Commissaire du Service correctionnel relative à la discrimination et au harcèlement en milieu de travail (pièce E-3) pour demander une enquête. Il admet que Mme Goyette n'a pas déposé de plainte écrite auprès de l'employeur concernant le problème de harcèlement. Cependant, dans un dossier qu'elle présente à la Commission de la santé et sécurité au travail du Québec, Mme Goyette allègue avoir subi de l'abus de pouvoir et du harcèlement de la part de son superviseur, M. Pellerin. De plus, quelques mois auparavant, elle avait abordé ce problème lors d'une rencontre avec M. Thibault.

[23]   M. Thibault dit avoir considéré le problème de harcèlement et la plainte des collègues de travail de Mme Goyette dans sa décision de demander une enquête. Il trouve souhaitable d'avoir un éclairage sur ces questions avant que Mme Goyette ne réintègre son milieu de travail suite à son congé maladie.

[24]   M. Thibault considère que pendant l'enquête il est souhaitable de séparer les personnes qui ont des opinions divergentes.

[25]   M. Thibault admet ne pas avoir consulté Mme Goyette relativement à son affectation provisoire au CCC Sherbrooke. Il explique que généralement lorsque l'employeur sépare les opposants il peut y avoir un transfert dans une autre fonction et un autre service dans le même établissement (ex. un pénitencier). Dans ces cas, il est souhaitable de discuter avec l'employé qui est transféré à une autre tâche. Cependant dans le cas de Mme Goyette, il recommande un échange de poste avec le fonctionnaire qui exerce les même fonctions que Mme Goyette au CCC Sherbrooke.

L'argumentation

[26]   La fonctionnaire s'estimant lésée soutient que l'employeur ne peut s'appuyer sur la directive no. 255 du Commissaire du Service correctionnel (pièce E-3) pour procéder à une affectation provisoire compte tenu qu'elle n'a jamais déposé par écrit une plainte de harcèlement auprès de son employeur et de plus M. Pellerin n'est plus son directeur en juillet 1998. Si l'employeur avait à agir, il aurait dû le faire avec diligence au moment où Mme Goyette soulignait un problème. Aucune remarque particulier n'est formulée relativement à la question des frais de déplacement.

[27]   L'employeur soutient qu'il n'y a pas lieu d'appliquer une règle formelle pour effectuer une enquête lorsqu'un problème de harcèlement ou toute autre forme de discrimination est alléguée. L'employeur a agi de bonne foi pour tenter de clarifier les situations problématiques avant que Mme Goyette ne reprenne ses fonctions au CCC Martineau suite à son congé maladie.

Motifs de la décision

[28]   Je n'ai pas à décider s'il y a harcèlement ou abus de pouvoir de la part de M. Pellerin. De même que je n'ai pas à déterminer qui a raison ou qui a tort relativement à la plainte présentée par les collègues de travail de Mme Goyette.

[29]   Dans le présent cas, il s'agit de savoir s'il y a à l'époque des événements une situation qui justifie une enquête et qui justifie que les personnes qui ont des opinions divergentes ne soient pas en contact pendant la durée de l'enquête.

[30]   Sur le premier point, compte tenu de la preuve présentée, je crois que M. Thibault a agi correctement en tenant compte de la recommandation de M. Lussier, directeur du CCC Martineau. Ce dernier considère qu'au moment où Mme Goyette revient au travail, il est souhaitable de clarifier la situation de tension qui existait au moment où Mme Goyette avait quitté afin de voir la situation se corriger s'il y a lieu, tout cela dans le but d'assaisir le climat de travail.

[31]   Il faut rappeler que Mme Goyette elle-même demande à M. Lussier de se préoccuper de rétablir le climat avant ou lors de son retour de congé de maladie. La décision de l'employeur de tenir une enquête découle d'une situation réelle.

[32]   Relativement à la deuxième question, je crois qu'il est souhaitable de séparer les personnes qui ont des opinions opposées pendant la durée de l'enquête compte tenu qu'il s'agit d'un petit milieu de travail; le CCC Martineau ne compte que peu d'employés. La réaffectation temporaire de Mme Goyette à un autre établissement découle de la décision de tenir une enquête. La preuve présentée me convinc que l'employeur a agi de bonne foi et que la réaffectation temporaire de Mme Goyette ne peut être considérée comme une mesure de représaille ou une action punitive. L'employeur s'inspire de la directive no. 255 du Commissaire du Service correctionnel pour toutes les questions afférentes à l'enquête. Mme Goyette est réaffectée provisoirement à une fonction identique à celle qu'elle occupe.

[33]   La décision de l'employeur de cesser de défrayer les coûts de transport s'appuie sur la politique en vigueur au Service correctionnel Canada tel que l'employeur l'allègue dans sa note du 28 août 1998 (pièce F-10).

[34]   La preuve révèle que l'employeur a corrigé sa propre erreur en cessant de payer des frais de déplacement qu'il n'aurait pas du payer puisque le CCC Sherbrooke, 2196 rue Sherbrooke, est à 10,05 km du CCC Martineau, 10345 boulevard St.-Laurent (pièce E-5).

[35]   En conséquence, je ne peux faire droit au grief de Mme Goyette.

Jean-Pierre Tessier,
commissaire

OTTAWA, le 19 juillet 2002

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