Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Suspension(3 jours) - Insubordination - Agent de sécurité - le fonctionnaire s'estimant lésé était un agent des affaires dutravail dont les fonctions comprenaient l'application des dispositions sur lasanté et la sécurité de la Partie II du Code canadien du travail (Code) - son superviseur lui avait confiéla responsabilité d'enquêter sur une plainte déposée par un employé de lacompagnie C - les dirigeants de la compagnie C n'ont pas coopéréquand le fonctionnaire s'estimant lésé a enquêté sur place - en fait, ils sesont plaints à son superviseur et ont tenté de le faire retirer de l'enquête -le superviseur du fonctionnaire s'estimant lésé a jugé que celui-cimenait l'enquête comme il se devait et il a refusé de l'en retirer - lefonctionnaire s'estimant lésé a donné à la compagnie C deux instructionsfondées sur l'article 145 du Code à l'égard de diverses infractions à laPartie II du Code - au début, la compagnie C a refusé de se conformerà ces instructions, en attendant le résultat d'un appel - à la fin, elle arenoncé à son appel - plus d'un mois après que le délai que le fonctionnaires'estimant lésé avait imposé à la compagnie C pour se conformer à sesinstructions se soit écoulé, celle-ci l'a informé soit qu'elle s'étaitconformée à ses instructions, soit qu'elle était en train de le faire - la compagnie Ca écrit à la ministre du Travail pour se plaindre des actions du fonctionnaires'estimant lésé et pour demander qu'il n'ait plus aucun rapport avecl'entreprise - le superviseur du fonctionnaire s'estimant lésé a suspendu saparticipation au dossier de la compagnie C pendant l'enquête sur saplainte - entre-temps, le fonctionnaire s'estimant lésé a reçu des appelstéléphoniques d'employés de la compagnie C lui disant qu'on ne faisaitrien pour apaiser leurs craintes en matière de santé et de sécurité - lesuperviseur a décidé de confier le dossier de la compagnie C à un autreagent de sécurité - ce deuxième agent de sécurité s'est rendu aux locaux de lacompagnie C puis a rédigé un rapport concluant qu'elle s'était conforméeaux instructions - le fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas satisfait decette conclusion - il a donné à son superviseur une instruction fondée sur leparagraphe 145(1) du Code lui enjoignant de ne pas s'ingérer dans sonenquête, en conformité de l'article 143 du Code - l'appel de l'instructiona été entendu par l'agent de sécurité régional, qui a conclu que le superviseurn'avait pas contrevenu au Code; il a annulé l'instruction du fonctionnaires'estimant lésé - le superviseur a imposé au fonctionnaire s'estimant lésé une suspensionde trois jours pour insubordination - l'arbitre a conclu que le superviseuravait agi correctement en retirant le fonctionnaire s'estimant lésé du dossierde la compagnie C - le refus du fonctionnaire s'estimant lésé d'acceptercette décision, sous la forme de l'instruction qu'il avait donnée à sonsuperviseur, constituait de l'insubordination - la sanction imposée au fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas excessive. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2002-03-05
  • Dossier:  166-02-30882
  • Référence:  2002 CRTFP 26

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

ROD J. NOEL

fonctionnaire s'estimant lésé

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR
(Développement des ressources humaines Canada)

employeur

Devant :  Joseph W. Potter, vice-président

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :  Sherrill Robinson-Wilson, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur :  Colleen Edwards, avocate


Affaire entendue à Hamilton (Ontario),
les 28 et 29 janvier 2002.

[1]   Dans cette affaire, Rod Noel, un agent des affaires du travail à Développement des ressources humaines Canada (D.R.H.C.), conteste une suspension de trois jours. La lettre de suspension (pièce E–1) est datée du 13 janvier 2000 et signée par son superviseur, Trevor Mills. On peut y lire notamment ce qui suit :

[Traduction]

Je me reporte à nos rencontres du 30 décembre 1999 et du 15 octobre 1999. À ces deux occasions, nous avons discuté de votre comportement dans les locaux de Cogeco Cable, à Burlington.

Le 15 octobre, je vous ai ordonné par écrit de cesser toute autre intervention dans les locaux de Cogeco jusqu'à ce qu'une enquête sur le comportement qu'on vous reproche à cet endroit soit terminée.

Le 30 décembre, j'ai reconfirmé cet ordre puisque j'avais conclu qu'il y avait eu une rupture des relations entre vous et Cogeco, au point où j'estimais que tout contact ultérieur ne serait pas dans l'intérêt du Programme du travail de D.R.H.C. ou de Cogeco.

Ce que vous avez fait par la suite, en me disant que vous me donneriez une instruction pour surseoir à ma décision, quand vous avez ajouté que si jamais quelqu'un s'ingérait dans vos enquêtes, vous donneriez une instruction et enfin quand vous m'avez effectivement donné l'instruction de retirer l'ordre que je vous avais intimé, est considéré comme de l'insubordination et aussi comme un abus de vos pouvoirs d'agent de sécurité exercés en vertu du Code canadien du travail ainsi qu'à titre de fonctionnaire du Programme du travail de D.R.H.C.

[. . .]

[2]  Sur consentement, les parties ont produit 24 pièces (E–1 à E–24 inclusivement); deux personnes ont témoigné : le fonctionnaire s'estimant lésé et son superviseur.

[3]  La situation qui a mené aux événements dont la suspension a résulté n'est pas vraiment contestée; il est possible de la résumer assez succinctement.

Contexte

[4]  M. Noel est au service de D.R.H.C., comme agent des affaires du travail, depuis octobre 1988. Il est chargé d'appliquer les dispositions sur la santé et la sécurité de la Partie II du Code canadien du travail (le « Code »), de même que d'enquêter sur des questions comme les plaintes de temps supplémentaire, les congédiements injustifiés et les décès au lieu de travail, pour n'en citer que quelques–unes.

[5]  En décembre 1998, le fonctionnaire s'estimant lésé s'était vu confier la tâche d'enquêter sur une plainte déposée par un employé d'une entreprise appelée « COGECO ». Dans les situations de ce genre, la pratique normale consiste à faire une inspection sur place par un agent des affaires du travail, et c'est ce que M. Noel a fait le 8 janvier 1999. Il est arrivé sur les lieux sans s'annoncer juste avant 10 h et il a inspecté le lieu de travail pendant toute la journée.

[6]  Durant l'inspection, un dirigeant de l'entreprise a téléphoné au superviseur de M. Noel, Trevor Mills, pour se plaindre de la conduite du fonctionnaire s'estimant lésé. M. Mills a alors parlé à M. Noel de la situation; il a conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé menait l'inspection comme il se devait et qu'on devrait lui permettre de la poursuivre; c'est ce qu'il a déclaré au dirigeant de l'entreprise. Plus tard ce jour–là, ce même dirigeant a communiqué de nouveau avec M. Mills pour lui dire que COGECO voulait que M. Noel s'en aille, faute de quoi elle appellerait la police pour le faire expulser. M. Mills n'a pas dit à M. Noel de mettre fin à son inspection.

[7]  À la fin de la journée de travail, M. Noel n'avait pas terminé son inspection; il est donc retourné au lieu de travail de COGECO le 12 janvier, en compagnie d'un spécialiste en sécurité-incendie, qui devait se prononcer sur certaines questions pour lesquelles M. Noel estimait ne pas avoir la compétence nécessaire. Cette fois, l'inspection a été menée à bien; M. Noel avait pris des notes sur les aspects auxquels COGECO ne s'était pas conformée aux dispositions du Code, selon lui.

[8]  M. Noel a donné à COGECO deux instructions fondées sur l'article 145 du Code, la première datée du 12 et la seconde du 19 janvier 1999 (pièce E–2). La première de ces instructions avait trait à l'utilisation de ce que M. Noel considérait comme un article d'équipement dangereux et enjoignait à l'entreprise de [traduction] « ne pas utiliser ou faire fonctionner la machine ou la chose (l'échelle)... ». La seconde instruction détaillait 17 contraventions à la Partie II du Code et enjoignait à l'entreprise d'y avoir remédié au plus tard le 12 février 1999.

[9]  Cette façon de procéder est conforme à la pratique pour un agent des affaires du travail. Ces agents se rendent au lieu de travail et, s'ils constatent des violations aux dispositions du Code en matière de santé et de sécurité, ils donnent ce qu'on appelle une instruction à l'entreprise, en lui enjoignant de remédier à la situation pour une certaine date. Les entreprises peuvent faire appel de cette décision à un arbitre indépendant appelé agent régional de sécurité.

[10]   COGECO a interjeté appel des instructions de M. Noel le 21 janvier 1999 (pièce E–4). Dans sa lettre, elle déclarait refuser de se conformer à l'exigence écrite de M. Noel d'afficher ses instructions au lieu de travail (même si le paragraphe 143(3) du Code lui imposait expressément l'obligation de le faire). Elle exigeait aussi dans sa lettre que M. Noel soit retiré du dossier de COGECO, [traduction] « [...] puisqu'il n'y avait ni confiance mutuelle, ni respect dans la relation avec M. Noel. »

[11]   En raison de cet appel, le fonctionnaire s'estimant lésé a dû rédiger un rapport sur les événements qui s'étaient déroulés durant son inspection. Il a terminé ce rapport le 25 mars 1999 (voir la pièce E–10, première annexe).

[12]   Peu après avoir terminé ce rapport, en mars, le fonctionnaire s'estimant lésé a téléphoné à l'entreprise pour savoir si elle allait se conformer à ses instructions, ce qu'elle était tenue de faire même après avoir interjeté appel. Comme sa demande est restée sans réponse, il a rédigé une autre instruction (pièce E–6).

[13]   Cette instruction est datée du 12 mai 1999 et précise que l'entreprise avait jusqu'au 26 mai 1999 pour donner des précisions sur sa conformité aux instructions. Sa réponse est venue le 18 juin 1999; elle a déclaré soit qu'elle avait intégralement observé les instructions, soit, dans certains cas, qu'elle prenait des mesures pour s'y conformer.

[14]   Afin de vérifier si l'entreprise s'était effectivement conformée aux instructions, M. Noel s'est rendu sur place le 5 août 1999, avec un collègue, Paul Danton. Il a constaté qu'on n'avait pas affiché ses instructions alors qu'il l'avait exigé, quoiqu'on l'ait informé qu'elles avaient été affichées pendant un certain temps, puis retirées.

[15]   Peu après cette visite au mois d'août, M. Noel a appris que l'audience de l'appel devait avoir lieu le 22 septembre 1999. Le 17 septembre, COGECO a retiré son appel (voir la pièce E–24).

[16]   Le 23 septembre, COGECO a écrit à la ministre du Travail pour se plaindre des actions de M. Noel au cours de l'inspection et pour demander que celui–ci n'ait plus aucun rapport avec l'entreprise (pièce E–10).

[17]   M. Noel a été informé de cette plainte par M. Mills peu après que ce dernier en eut reçu copie. Ils se sont réunis le 15 octobre pour parler de ces allégations.

[18]   M. Mills a témoigné - et confirmé en contre-interrogatoire - avoir dit à M. Noel que sa participation au dossier de COGECO serait suspendue pendant l'enquête sur la plainte. En contre-interrogatoire, il a aussi déclaré que M. Noel avait coopéré à cet égard.

[19]   M. Noel a témoigné qu'il continuait à recevoir des appels téléphoniques d'employés de COGECO lui disant qu'on ne faisait rien pour apaiser leurs craintes en matière de santé et de sécurité. Il a envoyé un courriel à M. Mills pour l'informer de ses inquiétudes quant au non–respect de ses instructions et pour lui demander de lui donner par écrit l'ordre de suspendre son enquête. À la fin, il a demandé que le dossier de COGECO soit transféré à un collègue pour le suivi.

[20]   M. Mills a donné à M. Noel une directive écrite lui enjoignant de s'abstenir de toute autre action au lieu de travail de COGECO jusqu'à ce qu'on ait enquêté sur les allégations (pièce E–23). En outre, les deux hommes se sont réunis le 24 novembre pour parler des questions soulevées dans le courriel de M. Noel.

[21]   À cette rencontre du 24 novembre, M. Noel a exprimé ses inquiétudes à l'égard des problèmes de santé et de sécurité qui n'avaient pas encore été réglés, selon lui, dans le dossier de COGECO. Les deux problèmes les plus graves concernaient la sécurité en cas d'incendie, selon lui.

[22]   M. Mills a dit qu'il affecterait Paul Danton au dossier; M. Noel s'est dit d'accord. M. Danton s'est joint à eux et M. Noel l'a mis au courant du dossier, en lui remettant une copie des instructions originales qu'il avait données et en lui expliquant que deux problèmes concernaient la sécurité en cas d'incendie.

[23]   Il a été convenu que M. Danton se rendrait chez COGECO pour faire le suivi sur les instructions.

[24]   Pendant que tout cela se passait, M. Mills poursuivait son enquête sur la plainte adressée à la ministre. Il a rédigé un rapport sur la question le 15 novembre 1999 (pièce E–13), en concluant notamment que : [traduction] « [...] il est difficile de savoir qui blâmer, en n'oubliant pas qu'il ne s'agit pas de savoir si l'agent avait tort ou raison, mais de déterminer la perception de l'employeur et comment en tenir compte[...] ».

[25]   Dans la foulée de la rencontre du 24 novembre, M. Danton s'est rendu aux locaux de COGECO; son rapport est daté du 17 décembre 1999 (pièce E–15).

[26]   Dans ce rapport, M. Danton s'est penché sur les deux problèmes de sécurité en cas d'incendie, en concluant que COGECO s'était conformée aux instructions. Il a terminé en déclarant : [traduction] « Compte tenu des renseignements qui précèdent, cette affectation est désormais considérée comme terminée. »

[27]   M. Danton a remis une copie de son rapport à M. Noel peu après l'avoir rendu. M. Noel l'a lu; il a constaté que c'était très court. Il continuait encore à s'inquiéter au sujet du plan de sécurité en cas d'incendie de COGECO.

[28]   Vers le 22 décembre, M. Mills a téléphoné à M. Noel pour lui demander de le rencontrer le 30 décembre afin de discuter de quelques questions à régler. Dans son témoignage, il a dit avoir déclaré alors à M. Noel qu'il pensait que celui–ci serait heureux des résultats de leur rencontre.

[29]   M. Noel a interprété ces propos en se disant que les problèmes encore non réglés chez COGECO seraient remis sur la bonne voie et que soit lui, soit un autre agent continuerait à suivre le dossier.

[30]   Étaient présents à la rencontre du 30 novembre le fonctionnaire s'estimant lésé, sa collègue Peggy Wright et M. Mills.

[31]   Les notes de M. Mills sur ce qui s'est passé à cette rencontre figurent à la pièce E–16, et celles de M. Noel, à la pièce G–1.

[32]   Il a été question de plusieurs autres points, mais aussi du dossier de COGECO. M. Noel a déclaré qu'il restait encore des problèmes à régler, ce à quoi M. Mills a répliqué que le dossier était fermé et que l'enquête était terminée. M. Noel a déclaré à M. Mills que cette décision ne lui convenait pas et qu'il ne pouvait pas comprendre pourquoi on fermerait un dossier quand il restait des problèmes de sécurité à régler. Il a dit que cela constituait une ingérence dans son travail, à son avis.

[33]   M. Noel a témoigné avoir alors dit à M. Mills : [traduction] « Je n'ai pas d'autre choix que de vous donner une instruction, peut-être. » M. Mills dit se rappeler que M. Noel avait aussi déclaré que, si jamais quelqu'un s'ingérait encore dans ses enquêtes, il lui donnerait une instruction.

[34]   La rencontre s'est terminée; M. Noel a déclaré qu'il était très perturbé. Il est resté éveillé toute la nuit à se demander ce qu'il pourrait faire. Il savait qu'il était déjà arrivé qu'un autre agent des affaires du travail donne une instruction à un gestionnaire pour lui enjoindre de cesser de s'ingérer dans une enquête (pièce G–2).

[35]   M. Noel a conclu qu'il devait faire de même, et c'est pourquoi il a donné à M. Mills une instruction contenant notamment ce qui suit (pièce E–18) :

[Traduction]

[. . .]

Par conséquent, je vous DONNE PAR LA PRÉSENTE L'INSTRUCTION, en vertu du paragraphe 145(1) de la Partie II du Code canadien du travail, de prendre immédiatement des mesures pour assurer la conformité à l'article 143 de la Partie II du Code canadien du travail, en permettant à l'agent de sécurité soussigné de s'acquitter de ses fonctions, qui lui ont été confiées par la ministre du Travail.

[. . .]

[36]   L'instruction a été envoyée, avec une lettre d'accompagnement, au superviseur de M. Mills, Robert Howsam, le directeur régional. On peut y lire notamment ce qui suit (pièce E–18) :

[Traduction]

[. . .]

Je vous informe que, en vertu du paragraphe 145(5) de la Partie II du Code canadien du travail, l'employeur fera afficher une copie de cette instruction dans tous les bureaux de district de la région de l'Ontario du Programme du travail de D.R.H.C. et qu'il en fournira une copie à tous ses représentants en matière de santé et de sécurité.

[. . .]

[37]   M. Noel a témoigné que, en donnant cette instruction, il voulait faire en sorte qu'on ne ferme pas le dossier de COGECO et que lui-même ou un autre agent assure le suivi et la conformité à ses instructions.

[38]   Dans ce cas–là comme chaque fois qu'une instruction est donnée par un agent des affaires du travail, la partie visée a le droit d'en appeler, et l'instruction donnée par M. Noel (à la pièce E–18) a fait l'objet d'un appel par M. Howsam (voir la pièce E–20).

[39]   L'appel en question a été entendu le 11 avril 2000; l'agent régional de sécurité qui l'a entendu a conclu que M. Mills n'avait pas contrevenu au Code; il a annulé l'instruction de M. Noel (voir la pièce E–23).

[40]   Entre-temps, M. Mills a imposé à M. Noel une suspension de trois jours dont il l'a informé dans une lettre datée du 13 janvier 2000. Cette suspension était nécessaire, d'après M. Mills, parce qu'il estimait que M. Noel contestait son autorité comme gestionnaire. Il estimait avoir le droit de confier le dossier à quelqu'un d'autre et jugeait que M. Noel s'immisçait dans ses prérogatives de gestionnaire. À son avis, cela dépassait les bornes d'un comportement raisonnable.

[41]   En outre, l'exigence de M. Noel que son instruction soit affichée dans toute la Région de l'Ontario était exagérée, puisque M. Mills n'était responsable que du sud-ouest de la Région.

[42]   M. Noel a expliqué qu'il avait pensé que son instruction devait être affichée dans toute la Région de l'Ontario parce qu'il avait envoyé la lettre d'accompagnement à M. Howsam, le directeur régional de l'Ontario. C'était la procédure normale, et, selon lui, ce n'était pas conçu comme une attaque personnelle contre M. Mills.

Arguments

Pour l'employeur

[43]   Les gestionnaires doivent être en mesure de gérer comme ils le jugent bon. Ce n'est pas aux fonctionnaires qu'il incombe de déterminer la meilleure ligne de conduite. Le gestionnaire est responsable de ses décisions et c'est à lui que le pouvoir décisionnel est confié.

[44]   Les fonctionnaires doivent se conformer aux directives de leurs gestionnaires même quand ils pensent qu'elles sont mauvaises. L'axiome « obéir maintenant et présenter un grief ensuite » s'applique ici.

[45]   C'est un cas d'insubordination. Le fonctionnaire s'estimant lésé avait été temporairement retiré du dossier en octobre 1999, et le gestionnaire avait le droit de l'en retirer. Par la suite, il a confié l'examen des problèmes non réglés à un autre agent.

[46]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a accepté qu'un autre agent, M. Danton, reprenne le dossier; tout le monde a attendu le rapport de M. Danton, qui a été remis en décembre 1999, en fermant le dossier.

[47]   La réaction du fonctionnaire s'estimant lésé était de l'insubordination. Premièrement, il a menacé le gestionnaire de lui donner une instruction; ensuite, il la lui a donnée. Cela revenait à dire : « C'est moi qui dirige cette opération et je vais vous dire comment le faire. » En outre, cela revenait à le dire devant tous les fonctionnaires de la Région de l'Ontario.

[48]   Toutes ces actions tentaient de saper l'autorité du gestionnaire.

[49]   Il y a des exceptions au principe d'insubordination, quand les instructions données mettent le fonctionnaire en danger ou quand elles sont illégales. Ni l'une ni l'autre de ces exceptions ne vaut dans ce cas–ci, de sorte que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait aucune raison de ne pas se conformer aux directives du gestionnaire.

[50]   S'il fallait permettre aux fonctionnaires d'agir ainsi, le milieu de travail serait livré à l'anarchie.

[51]   Le fonctionnaire s'estimant lésé était fâché par la décision du gestionnaire de fermer le dossier, comme il l'a dit à la rencontre de décembre. L'instruction qu'il a donnée au gestionnaire avait pour but de prévaloir sur cette décision. Si le fonctionnaire s'estimant lésé ne souscrivait pas à la décision, il aurait pu écrire au directeur régional, M. Howsam, pour faire valoir ses inquiétudes.

[52]   L'avocate de l'employeur invoque les décisions suivantes : Hogarth (dossier de la Commission 166–2–15583); MacLean (dossier de la Commission 166–2–27968); Nowoselsky (dossier de la Commission 166–2–14229) et Imperatore (dossiers de la Commission 149–2–169 et 166–2–27963).

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

[53]   La question à trancher en l'espèce consiste à savoir si l'instruction donnée par le fonctionnaire s'estimant lésé justifiait une suspension de trois jours. Le fonctionnaire s'estimant lésé est d'avis que non.

[54]   La preuve a clairement montré que le fonctionnaire s'estimant lésé s'inquiétait de la non–conformité de l'entreprise aux instructions qu'il avait données. Au début, il pensait que les problèmes allaient être réglés dans le contexte de l'appel interjeté par la compagnie. À la fin, cet appel a été retiré, de sorte que la non–conformité aux instructions était plus importante qu'avant, à ce moment–là, pour le fonctionnaire s'estimant lésé.

[55]   Quand le dossier a été confié à M. Danton, le fonctionnaire s'estimant lésé a coopéré avec lui. Toutefois, quand il a lu le rapport de son collègue, il est resté perplexe, car ce rapport était très court. En outre, il recommandait que le dossier soit fermé, mais ne contenait rien pour démontrer que l'entreprise s'était conformée aux instructions.

[56]   Le fonctionnaire s'estimant lésé était frustré; il a cru que son seul recours consistait à donner une instruction. S'il l'a fait, c'est parce qu'il voulait que le dossier soit confié à lui-même ou à un autre agent, pour que les problèmes constatés puissent être réglés.

[57]   Ce n'était pas de l'insubordination, parce que M. Noel a pris une mesure qu'il croyait avoir le pouvoir de prendre.

[58]   Si l'arbitre conclut qu'il y a eu insubordination, il faudrait tenir compte d'un facteur atténuant, à savoir l'inquiétude pour la sécurité des employés de COGECO qui motivait toutes les actions du fonctionnaire s'estimant lésé.

Motifs de la décision

[59]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a écopé d'une suspension de trois jours pour une conduite qualifiée d'insubordination, comme le précise la lettre disciplinaire du 13 janvier 2000 (pièce E–1). Qu'est-ce que le fonctionnaire s'estimant lésé a fait, et cela constituait-il effectivement de l'insubordination?

[60]   M. Noel était un agent des affaires du travail (appelé agent de sécurité dans le Code); il était responsable d'un dossier concernant une entreprise nommée COGECO. Après une visite sur place, il a donné deux instructions à la compagnie pour qu'elle corrige certains points qui, à son avis, contrevenaient à la Partie II du Code canadien du travail.

[61]   La compagnie a interjeté appel de ces instructions et s'est plainte du comportement du fonctionnaire s'estimant lésé pendant qu'il était dans ses locaux.

[62]   À la fin, l'appel a été retiré, mais la compagnie a écrit pour se plaindre de la conduite du fonctionnaire s'estimant lésé à la ministre du Travail, qui est politiquement responsable de cet aspect du programme de D.R.H.C.

[63]   Le superviseur du fonctionnaire s'estimant lésé, M. Mills, a décidé alors que la meilleure façon de procéder consisterait à retirer M. Noel du dossier pendant l'enquête sur cette plainte.

[64]   Le fonctionnaire s'estimant lésé continuait toutefois à s'inquiéter de ce qu'on lui signalait comme des cas de non–conformité à ses instructions; il a envoyé un courriel à M. Mills pour lui demander de faire reprendre l'enquête sur les problèmes de santé et de sécurité, en la confiant soit à lui, soit à un autre agent.

[65]   M. Mills a affecté au dossier un autre agent, Paul Danton, pour qu'il se penche sur les problèmes en question; le fonctionnaire s'estimant lésé a informé cet agent de deux gros problèmes concernant tous les deux la sécurité en cas d'incendie.

[66]   M. Danton a fait enquête, déterminé que la compagnie s'était conformée aux instructions à chacun de ses deux égards, après quoi il a déclaré que le dossier pouvait désormais être considéré comme fermé.

[67]   M. Mills a rencontré le fonctionnaire s'estimant lésé afin de s'entretenir avec lui de plusieurs questions d'ordre professionnel; il lui a déclaré à cette occasion que le dossier de COGEGO était maintenant fermé. M. Noel n'était pas heureux de cette décision, puisqu'il estimait que plusieurs problèmes de santé et de sécurité étaient restés sans solution. Il avait l'impression que M. Mills s'ingérait dans ses fonctions d'agent des affaires du travail et, lors d'une rencontre qu'ils ont eue le 30 décembre, il lui a déclaré qu'il pourrait devoir lui donner une instruction.

[68]   Quelques jours plus tard, M. Noel a donné à M. Mills l'instruction écrite en question, en lui enjoignant de lui permettre de s'acquitter de ses fonctions d'agent désigné par la ministre du Travail.

[69]   M. Noel a témoigné que, ce faisant, il voulait que lui-même ou un autre agent reprenne la responsabilité du dossier de COGECO et s'occupe des problèmes de non–conformité aux instructions.

[70]   L'instruction donnée ne précise toutefois pas que le dossier devait être assigné à quiconque sauf le fonctionnaire s'estimant lésé. À mon avis, elle est très claire : [traduction] « [...] Je vous DONNE PAR LA PRÉSENTE L'INSTRUCTION [...] de prendre immédiatement des mesures pour assurer la conformité [...] en permettant à l'agent de sécurité soussigné de s'acquitter de ses fonctions ». Et le fonctionnaire s'estimant lésé a signé cette instruction.

[71]   En lisant le document dans sa totalité, je conclus que l'intention du fonctionnaire s'estimant lésé consistait en fait à ordonner à M. Mills de lui confier le dossier de COGECO afin d'éviter que ce dossier ne soit fermé, comme M. Noel l'a déclaré dans son témoignage.

[72]   Cela rejetait directement la décision de M. Mills de confier le dossier à un autre agent (M. Danton), puis, à la fin, de le fermer, après avoir reçu une recommandation à cet effet de M. Danton.

[73]   À la page 7–176.1 de Canadian Labour Arbitration, Third Edition, de Brown et Beatty, on peut lire ce qui suit :

[Traduction]

7:3600  Insubordination

7:3610  Refus de suivre les instructions

L'une des règles les plus fondamentales et les plus communément acceptées de la jurisprudence arbitrale, c'est que les employés qui contestent le bien-fondé des ordres de leur employeur doivent s'y conformer, sous réserve des conditions qui suivent, et n'en contester la validité qu'après, dans la procédure de règlement des griefs

[. . .]

[74]   Puis, à la page 7–183 :

[Traduction]

7:3620  Exceptions

[. . .]

De nombreux arbitres ont dit que ces exceptions particulières ne doivent pas être élargies indûment, de façon par exemple que les employés puissent les invoquer pour contester indirectement l'à–propos d'une affectation particulière, et, plus généralement, le droit de l'employeur de gérer ses affaires […]

[. . .]

[75]   En l'espèce, M. Mills est le gestionnaire. Comme son titre l'implique, il gère. Ses fonctions comprennent la gestion de l'effectif et celle de la charge de travail. C'est pour cela qu'on le paye. L'instruction que M. Noel lui a donnée aurait eu pour effet de laisser ce dernier décider premièrement de réactiver le dossier, et, deuxièmement, de se le faire confier.

[76]   Je ne puis tirer aucune autre conclusion que celle–là de ce qui précède, parce que j'estime que l'instruction est très claire. Si le fonctionnaire s'estimant lésé avait voulu que le dossier soit confié à lui-même ou à quelqu'un d'autre, comme il en a témoigné, il aurait sûrement rédigé son instruction en ce sens. Il ne l'a pas fait. Il a précisé qu'on devait lui permettre de s'acquitter de ses fonctions. La totalité du document me convainc très clairement qu'il voulait être chargé du dossier de COGECO.

[77]   À la page 7 de sa décision sur l'appel de l'instruction de M. Noel, l'agent régional de sécurité a conclu que celui–ci avait le pouvoir de donner des instructions, en vertu de l'article 145 de la Partie II du Code canadien du travail. En outre, il a ajouté ce qui suit :

[Traduction]

[. . .]

[…] Par conséquent, l'article 143 pourrait s'appliquer au gestionnaire d'un agent de sécurité quand celui–ci est en train de s'acquitter de ses fonctions en vertu du Code […]

[. . .]

[78]   Après avoir conclu que M. Noel avait le pouvoir de donner l'instruction, l'agent régional de sécurité s'est employé à déterminer si M. Mills avait contrevenu ou pas à l'article 143 du Code. En d'autres termes, fallait-il que cette instruction soit donnée?

[79]   À la page 9 de sa décision, l'agent régional de sécurité a conclu comme il suit :

[Traduction]

[. . .]

À mon avis, M. Mills ne faisait qu'assumer ses responsabilités de gestionnaire quant il a confié une tâche à l'agent de sécurité Noel, quand il a supervisé l'exécution de cette tâche après des plaintes, quand il a discuté avec lui des efforts de COGEGO pour se conformer à ses instructions et, surtout, quand il a pris le contrôle de la tâche parce que, à son avis, M. Noel avait perdu son objectivité. M. Mills n'avait aucun lien avec le milieu de COGECO et n'était absolument pas en cause dans les problèmes de sécurité de l'entreprise. Il n'avait aucun avantage personnel à gagner du résultat de l'enquête de M. Noel`(sic). Il a simplement décidé qu'il était temps de mettre fin à une enquête qui avait eu lieu et qui, à son avis, ne justifiait pas qu'on y consacre plus de ressources. Il est devenu convaincu que l'agent de sécurité avait perdu son objectivité quand il s'est rendu compte que la situation entre ce dernier et Cogeco devenait un conflit de personnalités. À mon avis, M. Mills était raisonnablement sûr que Cogeco s'efforçait de se conformer aux instructions, et c'est à bon droit qu'il a fermé le dossier.

[. . .]

[80]   Compte tenu de la preuve qui m'a été présentée, je souscris à cette conclusion. Rien de ce qu'on m'a présenté ne laisse entendre que M. Mills ait agi incorrectement quand il a fini par décider de fermer le dossier. M. Noel n'était pas d'accord avec lui à cet égard, mais il ne lui appartenait pas de donner une instruction qui allait avoir pour effet de rouvrir le dossier.

[81]   Bref, compte tenu de ce qui précède, je conclus qu'il y a effectivement eu insubordination. Le fonctionnaire s'estimant lésé a clairement tenté de contrevenir à la décision du gestionnaire de fermer le dossier en lui donnant une instruction. En outre, il a tenté de se faire confier le dossier.

[82]   Si je considérais un comportement pareil comme acceptable, cela reviendrait selon moi à permettre aux fonctionnaires de déterminer eux-mêmes leur charge de travail et les dossiers dont ils s'occuperaient. J'estime en outre qu'on n'aurait plus besoin de gestionnaires et que cela risquerait de détruire l'impartialité dont doit de toute évidence faire preuve un agent des affaires du travail pour effectuer son travail correctement, alors que ce serait lui qui déterminerait comment le travail est réparti.

[83]   Je juge donc que les actions de M. Noel constituaient de l'insubordination; je dois maintenant me prononcer sur la gravité de la sanction. Une suspension de trois jours était-elle justifiée?

[84]   Dans Hogarth (supra), à la page 6, l'arbitre a écrit ce qui suit :

[. . .]

J'approuve le principal argument de Me Bouzigon comme quoi un arbitre ne doit mitiger une mesure disciplinaire que lorsque celle–ci est manifestement déraisonnable ou erronée. Selon moi, l'arbitre ne doit pas intervenir même s'il estime qu'une peine légèrement moins sévère aurait été suffisante. Il est évident que la détermination d'une mesure disciplinaire appropriée est un art et non une science.

[85]   Compte tenu de tous les faits en l'espèce, une suspension de trois jours n'est pas excessive, et je ne vois aucun motif auquel je pourrais, voire devrais, modifier la sanction.

[86]   Compte tenu de tout ce qui précède, le grief est rejeté.

Joseph W. Potter,
vice-président

OTTAWA, le 5 mars 2002.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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