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Résumé :

Sanctiondisciplinaire ou mesure administrative - Perte de la prime de service extérieur- Libellé du grief original - Compétence - le fonctionnaire s'estimant lésé était unagent d'immigration affecté à Manille, aux Philippines - l'employeur l'arappelé à Ottawa avant la fin de son affectation - avant de quitter Manille, lefonctionnaire s'estimant lésé a présenté un grief pour protester contre son rappelen alléguant que c'était parce qu'on l'accusait d'inconduite - il a renvoyé songrief à l'arbitrage en disant avoir subi une mesure disciplinaire entraînantune sanction pécuniaire - l'employeur a contesté la compétence de l'arbitred'entendre le grief - il a notamment déclaré que, dans le grief original, iln'était pas question de mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire- il a ajouté que le grief n'avait pas été traité comme s'il était questiond'une mesure disciplinaire - il a fait valoir que le fonctionnaire s'estimantlésé tentait de changer la nature de son grief à l'arbitrage - le fonctionnaires'estimant lésé a répondu que l'employeur savait que son rappel avant la fin deson affectation lui ferait perdre sa prime de service extérieur, conformément àla convention collective - il a ajouté que la perte d'une prime, si elle estliée à une mesure disciplinaire, constitue une sanction pécuniaire - il adéclaré que l'aspect disciplinaire de son grief avait été discuté au dernierpalier de la procédure de règlement de griefs - l'employeur a répliqué que lefonctionnaire n'avait pas soulevé la question de la perte de sa prime deservice extérieur au moment de la présentation de son grief - l'arbitre a jugéque le fonctionnaire s'estimant lésé ne bénéficiait pas des conseils d'unavocat ou de son agent négociateur quand il avait déposé son grief - elle aconstaté que, selon lui, il avait été rappelé pour des motifs disciplinaires -elle a en outre jugé que l'absence d'une mention d'une sanction pécuniaire dansle grief original n'avait pas pour effet de le rendre impossible à arbitrer,puisque les deux parties savaient que le fonctionnaire s'estimant lésé allaitperdre sa prime de service extérieur par suite de son rappel - elle était convaincueque l'employeur comprenait la nature du grief, étant donné que la questiond'une sanction pécuniaire avait été discutée au dernier palier de la procédure de règlement des griefs - objection rejetée. Compétence assumée. Décision citée : Massip c.Canada (Conseil du Trésor) (11 janvier 1985), A-183-84 (C.A.F.).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2002-05-07
  • Dossier:  166-02-31001
  • Référence:  2002 CRTFP 46

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

ALAIN GINGRAS

fonctionnaire s'estimant lésé

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR
(Citoyenneté et Immigration Canada)

employeur

Devant :  Marguerite-Marie Galipeau, présidente suppléante

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :  Ron Cochrane, Association professionnelle des agents du Service extérieur

Pour l'employeur :  Harvey Newman, avocat


Affaire entendue à Ottawa (Ontario)
le 12 mars 2002.

[1]   M. Alain Gingras (« le fonctionnaire s'estimant lésé ») a renvoyé un grief à l'arbitrage en vertu de l'alinéa 92(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (Loi). Cette disposition porte ce qui suit :

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

[…]

b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), […] une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire […].

[2]   Le fonctionnaire s'estimant lésé occupe un poste (FS-02) d'agent d'immigration au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration du Canada. Depuis les événements qui ont donné lieu à son grief et entraîné son départ de Manille, Philippines, il travaille à Ottawa.

[3]   Son grief, daté du 17 mai 2001, se lit ainsi :

Je désire déposer un grief contre la décision de l'employeur de mettre un terme à mon affectation pour raison présumée d'inconduite.

Mesures correctives demandées

Je désire que la décision soit annulée et retirée de mon dossier. Je désire également que soit retiré de mon dossier tout document relatif à cette décision et que ces documents me soient remis.

[4]   Au moment du renvoi à l'arbitrage, en 2001, le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé, Ron Cochrane, a écrit à la Commission ce qui suit:

[Traduction]

[…]

On a mis fin à une affectation de M. Gingras aux Philippines un an après son arrivée en poste là-bas pour raison présumée d'inconduite. Le fait qu'on ait mis prématurément fin à l'affectation de M. Gingras lui a causé une sanction pécuniaire.

[5]   Le 13 décembre 2001, l'employeur s'est opposé au renvoi du grief à l'arbitrage.

[Traduction]

[…]

Nous soumettons respectueusement qu'un arbitre de grief n'a pas compétence pour instruire cette affaire, car elle ne satisfait pas aux critères énoncés à l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, du fait que la décision de la direction de mettre fin à la nomination de M. Gingras à un poste d'agent des visas à Manille ne constituait pas une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire.

[…]

[6]   À l'audience, l'employeur s'est objecté à la compétence d'un arbitre pour entendre cette affaire pour deux raisons : 1) l'énoncé du grief ne comporte pas d'allégation de mesure disciplinaire; 2) la décision de rappeler M. Gingras au Canada était une décision administrative et non une mesure disciplinaire. La présente décision ne porte que sur la première objection préliminaire.

Observations de l'employeur

[7]   Bien que le fonctionnaire s'estimant lésé pouvait présenter un grief en vertu de l'article 91 de la Loi et voir son grief traité à l'interne aux différents paliers de la procédure de règlement des griefs du Ministère, le grief n'est pas arbitrable du fait qu'il ne comporte pas d'allégation de « mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire », comme l'indique le libellé de l'alinéa 92(1)b) de la Loi.

[8]   Avant le renvoi à l'arbitrage, l'employeur n'a pas traité le grief comme un grief portant sur une « mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire », comme le confirment les réponses de l'employeur (en date du 31 mai 2001 et du 20 octobre 2001) au grief.

[9]   Ce n'est qu'après avoir utilisé les recours prévus dans la procédure interne de règlement des griefs que les termes « mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire » ont été utilisés dans la lettre qui accompagnait le renvoi à l'arbitrage.

[10]   De fait, le rappel au Canada du fonctionnaire s'estimant lésé, qui était en poste à Manille, (c'est-à-dire la cessation de son affectation) n'a jamais été considéré comme une mesure disciplinaire. Aucune mention de sanction pécuniaire ou de mesure disciplinaire n'est faite, que ce soit dans le dossier de l'employeur ou dans celui du fonctionnaire s'estimant lésé. L'agent négociateur du fonctionnaire s'estimant lésé essaye, par un tour de passe-passe, de rendre ce grief arbitrable. C'est là une manouvre que l'on ne saurait tolérer, un abus de procédure que l'on ne saurait cautionner. Il faut renoncer à la compétence. La décision Burchill (dossier de la Commission 166-2-5298) règle la question.

Observations du fonctionnaire s'estimant lésé

[11]   Un agent du service extérieur est embauché à un niveau (en l'occurrence, FS-02) et non à un poste. Un agent est affecté quelque part dans le monde et cette affectation a une durée de deux à quatre ans.

[12]   Au moment de son départ, l'agent du service extérieur connaît la durée de son affectation. Lorsque l'on met fin à l'affectation plus tôt que prévu, se pose alors la question de savoir pourquoi.

[13]   Au moment du grief, le Ministère et l'ambassadeur savaient que le fonctionnaire s'estimant lésé contestait la décision de l'employeur de mettre fin deux ans plus tôt à son affectation. Le Ministère, l'ambassadeur et le fonctionnaire s'estimant lésé savaient tous que le rappel anticipé à Ottawa (Ontario) du fonctionnaire s'estimant lésé se traduirait par la perte, pour ce dernier, de la prime de service extérieur à laquelle il a droit en vertu de la convention collective.

[14]   La perte de cette prime, lorsqu'elle est liée à une mesure disciplinaire, a été interprétée par la Cour d'appel fédérale (Massip c. Canada (Conseil du Trésor) (C.A.F.),11 janvier 1985) comme une sanction pécuniaire.

[15]   Qui plus est, le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé, Ron Cochrane, était présent à l'audition du grief par le sous-ministre adjoint (SMA) (dernier palier de la procédure de règlement des griefs). M. Cochrane a affirmé que, parmi les points abordés, il y avait les suivants : 1) le fait que l'employeur ne considérait pas le rappel comme une mesure disciplinaire; 2) le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé perdrait sa prime de service extérieur à son retour à Ottawa; 3) le fait que, après la décision Massip (supra), l'agent négociateur et le fonctionnaire s'estimant lésé étaient confortés dans leur opinion selon laquelle la perte de la prime de service extérieur était une sanction pécuniaire. (L'avocat de l'employeur a indiqué qu'il ne contestait pas le fait que ces questions avaient été abordées lors de la rencontre avec le SMA.)

[16]   Le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé a souligné que, au moment du grief, les deux parties savaient que le fonctionnaire s'estimant lésé subirait une sanction pécuniaire à la suite de son rappel anticipé. Par conséquent, l'employeur n'est pas ni n'a été pris au dépourvu et il n'a subi aucun préjudice. (L'avocat de l'employeur a admis que, à la date de dépôt du grief, soit le 17 mai 2001, les deux parties savaient que, à son retour à Ottawa, le fonctionnaire s'estimant lésé cesserait de toucher la prime de service extérieur.)

[17]   L'avocat de l'employeur a répliqué en ajoutant que le fonctionnaire s'estimant lésé aurait dû soulever, dans son grief, la question de la perte de la prime de service extérieur et le fait que cela constituait, selon lui, une sanction pécuniaire. Tel qu'il était rédigé, le grief n'était pas arbitrable. L'avocat a réitéré que les fonctionnaires s'estimant lésés ne peuvent avoir la latitude de ne pas énoncer une opinion qui, au moins à première vue, reprend les termes employés dans la Loi, soit « une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire », ce qui donne compétence à un arbitre pour instruire l'affaire. Même si on avance que l'employeur était à même de déduire l'existence d'une mesure disciplinaire à la lecture du grief, on ne devrait pas en déduire aussi l'existence d'une sanction pécuniaire. La seule mesure corrective que demande le fonctionnaire dans l'énoncé du grief est que soit annulée la décision de mettre un terme à son affectation. Bref, de la façon dont il est rédigé, le grief ne comporte pas d'allégation de mesure disciplinaire ni de sanction pécuniaire, et le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas la possibilité, après avoir reçu la réponse de l'employeur au dernier palier, de modifier le grief car, comme l'employeur répond à un grief particulier aux divers paliers de la procédure de règlement des griefs, il est en droit de savoir sur quoi il se prononce. En outre, même si ces arguments ne sont pas retenus, un autre obstacle en matière de compétence reste à franchir. L'employeur ne considère pas qu'il y a eu mesure disciplinaire, et c'est au fonctionnaire s'estimant lésé qu'il incombe de prouver l'existence d'une mesure disciplinaire. Le fonctionnaire s'estimant lésé a peut-être agi d'une façon qui aurait pu donner lieu à une mesure disciplinaire, mais l'employeur a choisi de ne pas lui imposer de mesure disciplinaire. L'employeur a pris une décision administrative qui ne dépasse pas les limites des pouvoirs de gestion que lui confère la Loi sur la gestion des finances publiques et qui sont confirmés par l'article 7 de la Loi.

[18]   Le représentant de l'agent négociateur a ajouté les points suivants. Lorsqu'il met fin à une affectation, l'employeur ne peut faire comme bon lui semble en alléguant chaque fois une mesure administrative. Cela devient plus fréquent. Il faut qu'il y ait une raison pour expliquer que l'affectation d'un fonctionnaire prend fin plus tôt que prévu. Le fonctionnaire s'estimant lésé était en poste à Manille et ne pouvait compter sur l'aide d'un agent des griefs pour rédiger son grief.

Motifs de la décision

[19]   L'employeur remet en question l'arbitrabilité du présent grief. L'employeur s'oppose à la compétence d'un arbitre pour instruire cette affaire pour deux raisons : 1) le fait que, de la façon dont il est rédigé, le grief n'est pas arbitrable car il ne comporte pas d'allégation de « mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire »; 2) le fait que, selon l'employeur, la décision de rappeler le fonctionnaire s'estimant lésé était une décision administrative et non « une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire ».

[20]   Dans la présente décision préliminaire, je me prononce sur le premier chef. Une fois que la présente décision aura été rendue, je m'attacherai à trancher la seconde raison à la reprise des audiences.

[21]   Je suis d'avis que, dans la formulation du grief en instance, les termes employés ou non employés ne constituent pas un obstacle à son arbitrabilité pour les raisons qui suivent.

[22]   Le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas bénéficié des services d'un avocat ou des conseils de son agent négociateur lorsqu'il a rédigé son grief, de sorte que l'on devrait, jusqu'à un certain point, lui accorder un certain degré de latitude.

[23]   Même s'il n'a pas qualifié la mesure de l'employeur de le rappeler au Canada de « disciplinaire », le fonctionnaire s'estimant lésé a clairement fait valoir l'objet de son grief, soit son rappel au pays alors qu'il était en poste à l'étranger. S'il ne l'a pas explicitement écrit, il a au moins implicitement laissé entendre qu'il considérait son rappel comme une mesure « disciplinaire » en disant que l'employeur avait pris sa décision de le rappeler « pour raison présumée d'inconduite ». On peut à tout le moins déduire de cette formulation que le fonctionnaire s'estimant lésé considérait la décision comme de nature « disciplinaire ».

[24]   Les termes « sanction pécuniaire » n'ont pas été employés, mais les représentants des deux parties ont convenu que les deux parties savaient et comprenaient, au moment du rappel, que, puisque le fonctionnaire s'estimant lésé était rappelé à Ottawa, ce rappel signifierait pour lui la perte de sa prime de service extérieur (à la suite de l'application de la convention collective).

[25]   Dans la mesure où les deux parties savaient que le fonctionnaire s'estimant lésé perdait la prime de service extérieur directement à cause de son rappel à Ottawa et dans la mesure où il est clair, d'après la décision Massip (supra), que la perte de cette prime constitue une sanction pécuniaire, le fait que les mots « sanction pécuniaire » n'aient pas été utilisés n'invalide pas le caractère arbitrable du présent grief.

[26]   Je suis convaincue que, dès le jour où il a reçu le grief, l'employeur a compris la nature de ce grief, à savoir que le fonctionnaire s'estimant lésé lui demandait d'annuler sa « décision de le rappeler à Ottawa », dont l'une des conséquences était la perte de la prime de service extérieur. En conséquence, pendant toute la procédure de règlement du grief à l'interne, l'employeur comprenait la nature de ce que demandait le fonctionnaire s'estimant lésé; il a eu l'occasion de se pencher sur les préoccupations du fonctionnaire s'estimant lésé et, en bref, il n'a pas été pris au dépourvu ni n'a subi de préjudice de quelque sorte.

[27]   Les faits suivants me confortent dans ma conclusion.

[28]   Premièrement, le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé dans l'affaire dont je suis saisie, Ron Cochrane a affirmé que, au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, il avait discuté tant de la perte de la prime de service extérieur que de la nature disciplinaire de la décision de l'employeur avec les représentants de l'employeur. Sur ce point, l'avocat de l'employeur a indiqué qu'il ne contestait pas la véracité des propos de M. Cochrane. Par conséquent, j'accorde plein crédit à cette déclaration et suis convaincue que l'employeur comprenait le problème auquel il faisait face.

[29]   J'ajouterais que la réponse de l'employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs confirme la déclaration de M. Cochrane.

[30]   L'employeur écrit ce qui suit :

[…]

Je suis satisfaite [sic] que la décision de mettre fin à votre affectation ne constituait pas une mesure disciplinaire, mais plutôt une action de la gestion pour mettre fin à un comportement inapproprié et qui démontrait un manque de jugement de la part d'un agent des visas.

[…]

[31]   Ce paragraphe corrobore la déclaration de M. Cochrane selon laquelle le caractère disciplinaire de la décision a été discuté au troisième palier et renforce ma conclusion que la formulation imparfaite du grief n'a aucunement porté préjudice à la capacité de l'employeur de se pencher comme il se doit sur tous les aspects du litige.

[32]   En conclusion, la première objection de l'employeur est rejetée. Je me prononcerai sur la seconde, qui touche la compétence, au moment de la reprise de l'audience. Les parties doivent être prêtes à plaider l'affaire sur le fond à cette occasion, car il se pourrait que j'entende des éléments de preuve pour trancher la question de la compétence et déterminer s'il y a effectivement eu mesure disciplinaire.

[33]   Les parties seront informées, sous peu, des dates de la reprise de l'audience.

Marguerite-Marie Galipeau,
présidente suppléante

OTTAWA, le 7 mai 2002.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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