Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Suspension pour une période indéterminée - Licenciement (disciplinaire) - Agent de correction - Relations inacceptables avec un détenu - Fardeau de la preuve - le fonctionnaire s'estimant lésé, un agent de correction (CX-01), a été suspendu sans traitement en attendant les résultats d'une enquête sur des allégations d'inconduite - le fonctionnaire s'estimant lésé a présenté un grief afin de contester sa suspension pour une période indéterminée et un autre grief afin de contester son licenciement - la lettre de congédiement indiquait que les preuves qui avaient été réunies avaient démontré que le fonctionnaire s'estimant lésé avait pris part à plusieurs actes d'inconduite très graves, dont des relations inacceptables avec un détenu, qu'il avait demandé à un détenu de lui prêter de l'argent pour financer l'achat d'une propriété, sachant que cela impliquait sa participation à des activités de blanchiment - jusqu'au début de l'audience, le fonctionnaire s'estimant lésé avait continuellement nié son implication dans les événements décrits par l'employeur - toutefois, tout cela a changé quand son avocat a déclaré que les faits allégués par l'employeur ne seraient pas niés, mais que le fonctionnaire s'estimant lésé allait expliquer pourquoi il avait agi de cette façon et pourquoi il avait nié les allégations jusqu'à ce moment-là - le fonctionnaire s'estimant lésé a produit une défense positive en témoignant que ses activités pouvaient s'expliquer par le fait qu'il tentait d'enquêter sur des agissements criminels d'autres agents de correction - l'arbitre a conclu que l'employeur s'était acquitté de son fardeau de la preuve en ce qui concerne l'allégation selon laquelle le fonctionnaire s'estimant lésé aurait demandé à un détenu de lui prêter de l'argent, de même que celle qui lui reproche d'avoir rencontré un ami du détenu pour discuter des détails du financement nécessaire, ce qui avait amené l'intéressé à participer à une opération de blanchiment d'argent - l'arbitre a conclu en outre que le fonctionnaire s'estimant lésé ne s'était pas acquitté de son fardeau de la preuve en présentant une défense positive, indiquant que, compte tenu de tous les faits, il était très difficile d'ajouter foi aux propos du fonctionnaire s'estimant lésé - l'arbitre a conclu que, compte tenu de l'ancienneté relativement limitée du fonctionnaire s'estimant lésé, son licenciement était justifié, même si son dossier disciplinaire était vierge, parce que son inconduite était grave, voire incompatible avec ses fonctions d'agent de correction - l'arbitre a conclu que le lien de confiance entre le fonctionnaire s'estimant lésé et son employeur avait été irrémédiablement rompu. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2002-08-15
  • Dossier:  166-02-30893 et 30894
  • Référence:  2002 CRTFP 74

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

BRIAN WILLIAM KELLY

fonctionnaire s'estimant lésé

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel Canada)

employeur

Devant :  Joseph W. Potter, vice-président

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :  Jacques Bazinet, avocat, UCCO-SACC-CSN

Pour l'employeur :  Richard E. Fader, avocat


Affaire entendue à Kingston (Ontario),
du 15 au 19 juillet 2002.

[1]   Le 1er mars 2001, Brian Kelly, un agent de correction (CX–01) au pénitencier de Kingston (PK) a été suspendu sans traitement en attendant les résultats d'une enquête sur des allégations d'inconduite (pièce E–21). À la suite de cette enquête, M. Kelly a été congédié; il en a été informé dans une lettre qui lui était adressée sous la signature du directeur de l'établissement, Monty Bourke (pièce E–23).

[2]   La lettre de congédiement, datée du 20 mars 2001, se lit comme il suit :

[Traduction]

La présente lettre fait suite à l'enquête disciplinaire sur des allégations d'infraction aux Normes de conduite professionnelle et au Code de discipline du Service correctionnel du Canada. Après l'analyse des faits, le rapport final des enquêteurs vous a été communiqué le 14 mars 2001. Vous avez eu la possibilité d'en prendre connaissance avant l'entrevue disciplinaire du 16 mars 2001 au cours de laquelle vous avez de nouveau nié toutes les allégations d'inconduite.

Les preuves que nous avons réunies ont démontré que vous vous êtes rendu coupable de plusieurs actes d'inconduite très graves. Vous avez eu des relations inacceptables avec un détenu. Vous avez demandé à un détenu de vous prêter de l'argent pour financer l'achat d'une propriété. Vous avez rencontré un ami du détenu pour parler des détails de votre entente de financement et pour visiter des propriétés. Vous saviez que l'entente de financement envisagée impliquait votre participation à des activités de blanchiment d'argent avec un détenu. En outre, le détenu vous a fait des appels personnels et a reçu des appels personnels de vous sur un téléphone cellulaire. Vous n'avez pas déclaré à vos supérieurs que le détenu avait accès à un téléphone cellulaire sans y être autorisé.

J'ai soigneusement pesé tous les faits et toutes les circonstances; sur la foi de la totalité des renseignements disponibles, j'ai conclu que vous avez contrevenu au Code de discipline et aux Normes de conduite professionnelle du Service correctionnel du Canada. Vous ne vous êtes pas acquitté de vos fonctions de façon digne de confiance; vous avez eu une relation inacceptable avec un détenu et vous avez tenté de vous servir de votre poste au Service correctionnel du Canada dans votre intérêt personnel.

Avant de prendre ma décision, j'ai tenu dûment compte de votre dossier professionnel et du fait que vous avez nié toutes les allégations d'inconduite qu'on vous reproche. Compte tenu de la nature et de la gravité de votre inconduite, je suis forcé de conclure que le lien de confiance fondamental dans la relation d'emploi a été irrévocablement rompu. Qui plus est, le comportement dont vous avez fait preuve est entièrement incompatible avec la conduite attendue d'un agent de correction du Service correctionnel du Canada.

Par conséquent, en vertu des pouvoirs qui me sont confiés aux termes du paragraphe 11(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, ainsi que de l'autorité qui m'est déléguée par le Commissaire, je vous informe que votre emploi au Service correctionnel du Canada a pris fin le 1er mars 2001 à 16 heures.

Vous avez le droit de présenter un grief pour contester cette mesure, conformément à votre convention collective.

[3]   Le fonctionnaire a présenté un grief afin de contester sa suspension pour une période indéterminée et un autre grief afin de contester son licenciement. Les deux ont été portés à l'arbitrage le 12 septembre 2001. J'ai entendu six témoins. L'employeur a produit 23 pièces, et le fonctionnaire s'estimant lésé, quatre. On a demandé l'exclusion des témoins, et j'y ai consenti.

[4]   Jusqu'au début de l'audience, M. Kelly avait continuellement nié son implication dans les événements décrits par l'employeur. Tout cela a changé quand son avocat a déclaré d'emblée que les faits allégués par l'employeur ne seraient pas niés. Toutefois, le fonctionnaire s'estimant lésé allait expliquer pourquoi il avait agi de cette façon et pourquoi il avait nié les allégations jusqu'à ce moment–là.

Contexte

[5]   En décembre 1997, Monty Bourke était devenu directeur du PK. Peu après son entrée en fonctions, il a été informé d'allégations de corruption d'agents de correction du PK. On a donc demandé à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de mener une opération secrète, le « Project O Correct », pour déterminer la véracité de ces allégations. Les parties à l'audience ont convenu que l'information présentée dans une décision que j'ai rendue antérieurement dans l'affaire Chénier 2002 CRTFP 40 (dossiers de la Commission 166–2–30887 et 30888) au sujet du « Project O Correct » s'appliquerait à la présente décision.

[6]   Le « Project O Correct » commençait à peine quand les policiers ont eu la conviction qu'il leur fallait une source à l'intérieur du PK pour obtenir de l'information sur les agents de correction qu'on disait corrompus. L'agent de la sécurité préventive de l'établissement (ASPE), Rick Rogers, s'est donc vu demander d'identifier quelqu'un qui pourrait servir d'informateur de la police; à la fin, un détenu a été choisi. Cet agent détenu était appelé l'agent 2 dans la décision Chénier, supra; je vais continuer à l'appeler ainsi. Le 31 mars 2000, une « lettre d'entente » a été préparée pour préciser que l'agent 2 allait aider la police dans son enquête (pièce E–7).

[7]   L'agent 2 était un détenu vraiment notoire. Il est certain que des mesures de sécurité extraordinaires ont été prises pour assurer sa sécurité, notamment parce qu'il était sur le point de témoigner pour la Couronne dans un procès intenté à des prévenus soupçonnés de faire partie de la pègre. On a aussi dit que l'agent 2 était incarcéré pour trois meurtres.

[8]   C'est dans le cadre du « Project O Correct » que M. Bourke a autorisé l'introduction d'un téléphone cellulaire au PK. Normalement, cet appareil aurait été considéré comme de la « contrebande », parce que son utilisation risquait de saper la sécurité de l'établissement. Néanmoins, dans ce cas–là, les services de police en cause dans l'opération secrète travaillaient de concert avec l'agent 2 et jugeaient souhaitable de l'équiper d'un cellulaire.

[9]   Jeff McCann, un sergent de la Police provinciale de l'Ontario, était le principal enquêteur du « Project O Correct »; il était responsable des relations avec l'agent 2, ce qui signifiait que tous les renseignements fournis par ce dernier finissaient par être communiqués directement ou indirectement au sergent McCann.

[10]   Le 6 avril 2000, l'agent 2 a contacté le sergent McCann pour lui dire qu'un agent de correction nommé Dave Perkins allait se rendre à Montréal pour acheter de la cocaïne. M. Perkins était un des agents ciblés dès le début de l'opération secrète; il est décédé depuis. Le sergent McCann a ordonné que M. Perkins soit étroitement surveillé; la tâche a été confiée à une dizaine de policiers des opérations spéciales, qui ont suivi M. Perkins jusqu'à Montréal; lors de son retour à Kingston, on l'a vu s'arrêter à la résidence de M. Kelly, à Brockville.

[11]   M. Kelly a déclaré avoir été étonné de voir M. Perkins arriver chez lui, puisqu'il ne le connaissait pas très bien à ce moment–là. La maison dans laquelle M. Kelly vivait était chère, mais il n'en était que locataire (avec un bail d'un an, du 1er mars 2000 au 1er mars 2001). M. Kelly a déclaré que M. Perkins s'était arrêté chez lui pour voir la maison; il a dit que son collègue était resté là tout au plus 15 à 30 minutes, quoique le sergent McCann ait déclaré que la visite avait duré environ deux heures.

[12]   Au cours des deux semaines qui ont suivi, M. Kelly a de nouveau rencontré M. Perkins, cette fois dans le stationnement du PK; M. Perkins lui a dit avoir entendu dire qu'il aimerait acheter une maison. Comme M. Perkins était en train d'obtenir lui-même une hypothèque à l'époque, il avait dit à M. Kelly de communiquer avec lui pour obtenir le financement nécessaire, au besoin.

[13]   M. Kelly ignorait que M. Perkins s'était arrangé pour faire financer l'achat de sa maison par l'agent 2. La police avait réussi à faire en sorte que celui–ci donne l'impression d'avoir fait beaucoup d'argent en vendant de la cocaïne et laisse entendre qu'il voulait blanchir ses gains.

[14]   M. Kelly a déclaré que M. Perkins était venu le voir trois ou quatre fois au cours des deux semaines suivantes, en lui posant constamment des questions sur ses arrangements de financement de l'achat d'une maison. Il a déclaré avoir dit à M. Perkins qu'il ne voulait pas acheter une maison à ce moment–là, mais M. Perkins a continué à insister sur les modalités de financement. À la fin, dans une de leurs conversations, M. Perkins a informé M. Kelly qu'il avait obtenu le financement nécessaire par l'intermédiaire d'un détenu, à un point de moins que le taux préférentiel. M. Kelly lui a demandé de quel détenu il s'agissait, mais M. Perkins a refusé de le dire. Toutefois, il a déclaré à M. Kelly que quatre autres membres du personnel allaient obtenir des hypothèques par l'intermédiaire de ce détenu–là.

[15]   M. Kelly a demandé quels membres du personnel avaient obtenu des hypothèques de cette façon, et M. Perkins lui a répondu qu'il ne savait pas leurs noms. M. Kelly a témoigné avoir dit à M. Perkins qu'il aimerait obtenir du financement. Quand son avocat lui a demandé pourquoi il avait dit que cela l'intéressait, M. Kelly a répondu : « Je voulais savoir qui était le détenu qui offrait ces hypothèques. »

[16]   Le prochain événement important dans cette affaire a eu lieu le 13 juillet 2000, quand M. Kelly s'est fait demander d'escorter l'agent 2 à l'extérieur de l'infirmerie, où il était détenu, pour qu'il puisse fumer une cigarette. À cette occasion, selon M. Kelly, l'agent 2 a soulevé la question du financement d'une hypothèque; M. Kelly lui a dit que cela l'intéressait.

[17]   Quand son avocat lui a demandé pourquoi il avait dit à l'agent 2 qu'il aimerait obtenir une hypothèque, M. Kelly a répondu qu'il essayait de découvrir quel détenu offrait ce genre de financement, de façon à pouvoir le dénoncer à ses supérieurs. Dans son témoignage, il a déclaré : « À ce moment–là, je recueillais de l'information ». M. Kelly a aussi dit qu'il essayait d'obtenir les noms des autres membres du personnel impliqués.

[18]   Après que l'agent 2 et M. Kelly se furent rencontrés le 13 juillet 2000, l'agent 2 a informé le sergent McCann que M. Kelly l'avait sollicité, en lui disant qu'il aimerait acheter une maison et qu'il aurait besoin de financement; d'après l'agent 2, c'est M. Kelly qui lui aurait demandé si cela l'intéressait. Le sergent McCann a déclaré qu'on n'avait pas demandé à l'agent 2 de cibler M. Kelly.

[19]   Le sergent McCann a ordonné à l'agent 2 de dire à M. Kelly de lui apporter des offres de maisons à vendre si la question du financement d'une hypothèque revenait sur le tapis.

[20]   Le 24 juillet 2000, M. Kelly a reçu un appel téléphonique chez lui; il a reconnu son interlocuteur, l'agent 2. Au cours de la conversation, il pouvait entendre la voix de M. Perkins en bruit de fond; il avait eu l'impression que l'agent 2 l'appelait sur le cellulaire de M. Perkins. La conversation a été courte; M. Kelly a témoigné qu'il pensait qu'elle était liée à l'intérêt qu'il avait exprimé pour une hypothèque.

[21]   Le sergent McCann a déclaré que l'agent 2 avait communiqué avec lui le 27 juillet 2000 pour lui dire que M. Perkins était allé le voir dans sa cellule et lui avait donné le numéro de téléphone personnel de M. Kelly, en lui disant que celui–ci avait demandé que l'agent 2 le contacte. L'agent 2 a donc appelé M. Kelly, comme je viens de le décrire, pour parler de l'achat d'une maison. Il a déclaré que M. Kelly lui avait dit qu'il y réfléchissait encore et qu'il avait des réticences.

[22]   Le sergent McCann a identifié les pièces E–9 et E–10, des relevés des appels reçus et faits sur le téléphone cellulaire de l'agent 2. La pièce E–8 est une liste des numéros de téléphone de l'agent 2, de M. Kelly et des autre personnes impliquées. Ces pièces confirment qu'un appel à la résidence de M. Kelly a été fait le 27 juillet avec le téléphone cellulaire de l'agent 2 et qu'il a duré environ six minutes.

[23]   M. Kelly a témoigné que, à la fin de juillet 2000, il savait que M. Perkins était « sale » et que l'agent 2 était impliqué. Il ne connaissait pas les noms des autres agents impliqués, et c'est pourquoi il a décidé d'aller voir l'agent 2 dans sa cellule pour tenter d'obtenir des renseignements sur ces autres agents de correction. C'est le 27 ou le 28 juillet 2000 qu'il s'est rendu à l'infirmerie, où l'agent 2 était détenu, pour lui poser des questions sur les autres agents de correction impliqués.

[24]   L'agent 2 s'est montré évasif; M. Kelly lui a donc dit qu'il allait le dénoncer à l'ASPE ou à son superviseur correctionnel. Il a dit que l'agent 2 avait « perdu les pédales », l'avait injurié, puis avait menacé sa femme et son fils, en lui donnant le nom de la ville où son fils habitait. (Le fils de M. Kelly n'habitait pas avec lui à ce moment–là.) L'agent 2 a aussi déclaré à M. Kelly qu'il avait le directeur de l'établissement, l'ASPE et la police dans sa poche. En contre-interrogatoire, M. Kelly a dit que cette conversation n'a pas été à voix assez haute pour que les autres agents qui travaillaient tout près puissent l'entendre.

[25]   Quand son avocat lui a demandé comment il avait réagi à cette altercation, M. Kelly a dit qu'il avait été perturbé, fâché et effrayé. Il est rentré chez lui ce soir–là en réfléchissant à ce qui s'était passé; il en a parlé à son épouse, en omettant toutefois de mentionner les menaces du détenu.

[26]   M. Kelly pensait qu'il était possible que le directeur de l'établissement et l'ASPE soient mêlés à quelque chose avec l'agent 2; il savait aussi que l'agent 2 n'aurait pas pu mettre lui-même ses menaces à exécution, puisqu'il était incarcéré. Il allait avoir besoin de quelqu'un de l'extérieur pour le faire, et M. Kelly savait que ce détenu avait des relations dans la pègre.

[27]   Il a fallu quelques jours à M. Kelly pour décider quoi faire, mais quand l'agent 2 lui a téléphoné chez lui pour lui demander de rencontrer un ami de l'extérieur, un ami que l'agent 2 décrivait comme son bras droit, un nommé John, M. Kelly a décidé de rencontrer cet individu.

[28]   La rencontre avait été planifiée par le sergent McCann. Elle devait avoir lieu le 19 août 2000; l'agent secret de la GRC Doug Casey devait jouer le rôle de John Hollis, un ami de l'agent 2.

[29]   L'agent 2 a dit à M. Kelly qu'il allait organiser la rencontre; M. Kelly a déclaré qu'il avait accepté de rencontrer le dénommé John afin de tenter d'obtenir plus d'information sur lui. (Ces renseignements supplémentaires, il aurait pu les tirer d'un rapport sur les visiteurs.)

[30]   Le 17 août 2000, l'agent 2 a reçu l'ordre d'appeler M. Kelly chez lui pour confirmer la rencontre du 19 août 2000. L'agent 2 a laissé un message sur le répondeur de M. Kelly, qui a communiqué avec lui par téléphone plus tard ce jour–là (voir la pièce E–10) en disant que la maison qui l'intéressait avait été vendue, mais qu'il y en avait d'autres à vendre et qu'il donnerait les offres de vente à l'agent 2.

[31]   Le lendemain, M. Kelly a remis à l'agent 2 une copie de l'offre de vente d'une maison qui l'intéressait (pièce E–1). La rencontre prévue pour le 19 août 2000 avec « John » a été confirmée.

[32]   M. Casey a témoigné s'être rendu au PK le 19 août 2000, comme prévu, en signant John Hollis dans le registre. Il a été accueilli par l'ASPE, Rick Rogers, et escorté jusqu'à une salle de conférence située à côté du bureau de ce dernier. Il a attendu là l'agent 2 et M. Kelly.

[33]   M. Rogers a appelé M. Kelly pour lui dire que l'agent 2 avait un visiteur; il fallait donc l'escorter jusqu'à la salle de conférence. M. Kelly a offert de le faire, et c'est lui qui a conduit l'agent 2 à la rencontre.

[34]   M. Rogers a demandé à M. Kelly de « suivre » la rencontre, ce qui signifiait qu'il devait rester dans un bureau de l'autre côté du couloir, face à la salle de conférence, sans perdre de vue les deux personnes qui s'y trouvaient.

[35]   On a fait un enregistrement sonore et vidéo de la rencontre; la transcription de l'enregistrement sonore a été produite en preuve, avec le consentement de l'intéressé (pièce E–3).

[36]   M. Kelly a témoigné qu'il tentait encore d'obtenir de l'information sur « John Hollis », et que c'est pour cette raison qu'il est entré dans la salle de conférence où l'agent 2 et M. Casey se trouvaient.

[37]   Lors de cette rencontre, l'agent 2 a montré trois feuilles de papier, contenant les offres de vente de deux maisons, qu'il avait reçues de M. Kelly (pièce E–1). MM. Casey et Kelly ont témoigné qu'il y avait eu une discussion sur l'argent du prêt, qui était « sale » puisqu'il provenait de la vente de cocaïne. Cet argent allait être prêté à M. Kelly à un taux d'intérêt de 1 %, soit bien plus avantageux que celui que l'agent de correction Perkins avait cité.

[38]   M. Casey a déclaré avoir dit à M. Kelly qu'il lui faudrait un certain temps pour réunir l'argent nécessaire - il s'agissait d'un emprunt de quelque 180 000 $ -, en ajoutant qu'en attendant, il irait visiter les maisons à vendre avec M. Kelly, quand le quart de travail de ce dernier se terminerait.

[39]   M. Kelly a donné rendez-vous à M. Casey à une station-service locale, plus tard dans la journée. La rencontre s'est terminée et M. Kelly a escorté M. Casey jusqu'à la sortie du PK.

[40]   À sa sortie du pénitencier, M. Casey a informé le sergent McCann de ce qui se passait; on l'a mis sous surveillance pour sa sécurité.

[41]   Peu après midi le 19 août, M. Kelly s'est présenté à la station-service comme prévu, en disant à M. Casey de le suivre jusque chez lui dans son véhicule puisqu'il voulait enfiler des vêtements civils et prendre les arrangements nécessaires pour visiter les maisons. La conversation entre MM. Kelly et Casey a été enregistrée; sa transcription figure à la pièce E–3; elle commence à la page 9. M. Casey a déclaré que la transcription était fidèle; elle confirme que M. Kelly lui avait dit qu'il pouvait le suivre jusque chez lui.

[42]   À la résidence de M. Kelly, M. Casey a attendu dans son véhicule pendant que l'intéressé se changeait. Ils sont ensuite partis ensemble dans le véhicule de M. Casey pour visiter les maisons en question. Quand ils sont arrivés à la première, ils n'ont pas pu entrer et ils ont dû se contenter de voir l'extérieur. Ils sont ensuite allés à la deuxième; là aussi, ils n'ont pas pu entrer. M. Kelly a dit qu'il s'arrangerait pour visiter.

[43]   Ensuite, les deux hommes sont revenus en voiture jusqu'à la résidence de M. Kelly; M. Casey a déclaré que, pendant le trajet, M. Kelly avait parlé de son fils; ils avaient eu une conversation d'ordre général sur sa famille.

[44]   M. Casey a reparlé à M. Kelly, le 20 septembre 2000; M. Kelly lui a alors dit qu'il avait trouvé la maison qu'il souhaitait acheter et lui a proposé d'aller la visiter. M. Casey lui a répondu qu'il aurait l'argent la semaine suivante, et la conversation s'est arrêtée là.

[45]   Le sergent McCann a témoigné qu'il voulait que M. Casey gagne du temps, et c'est ce qu'il faisait. À la fin, la police a décidé de ne pas faire remettre l'argent à M. Kelly par M. Casey. Le 30 octobre 2000, l'agent 2 a remis au sergent McCann une offre de vente d'une maison (pièce E–15) en disant l'avoir reçue de M. Kelly.

[46]   En décembre 2000, l'agent 2 a été transféré hors du PK; tous les documents concernant le « Project O Correct » qui se trouvaient dans sa cellule en ont été retirés pour être conservés. L'un de ces documents était une entente d'achat et de vente concernant l'achat par M. Kelly de la maison décrite dans la pièce E–15. La date d'achat était le 27 novembre 2000 (pièce E–16). M. Kelly avait obtenu le financement nécessaire ailleurs.

[47]   M. Kelly a déclaré qu'il avait dû mettre à exécution son plan de feindre vouloir acheter une maison afin d'obtenir des renseignements sur les autres agents dont on disait qu'ils avaient obtenu une hypothèque de l'agent 2.

[48]   En septembre ou octobre 2000, M. Kelly avait entendu dire par son collègue Dave Perkins que les hypothèques de ce dernier et des autres agents de correction devaient être conclues en décembre 2000 ou en janvier 2001. Elles allaient l'être par l'intermédiaire d'un avocat de Toronto dont M. Perkins lui avait donné le nom et le numéro de téléphone. Le plan que M. Kelly avait conçu consistait à demander à son propre avocat d'obtenir par assignation les noms des agents impliqués dans ces activités avec l'avocat torontois. À cette fin, M. Kelly estimait qu'il devait acheter lui-même une maison, ce qu'il a fait en novembre 2000.

[49]   Tous ces plans ont brutalement avorté vers le 1er janvier 2001, quand M. Kelly a entendu dire que M. Perkins s'était suicidé. Au PK, la rumeur courait que c'était peut-être un meurtre plutôt qu'un suicide. M. Kelly a décidé à ce moment–là de ne rien dire à qui que ce soit sur ces questions de financement, par peur pour sa famille et pour lui-même.

[50]   Le 1er mars 2001, le sergent McCann a interrogé M. Kelly dans le cadre du « Project O Correct ». L'entrevue a été enregistrée et sa transcription a été produite en preuve (pièce E–17). Le sergent McCann a déclaré à M. Kelly qu'il pourrait être accusé d'abus de confiance en vertu du Code criminel ainsi que de blanchiment d'argent. Pendant son interrogatoire, M. Kelly a continuellement nié avoir eu le moindre rapport avec l'agent 2; il a aussi nié avoir visité des propriétés avec l'agent secret.

[51]   Le directeur du PK, M. Bourke, avait été informé dès juillet 2000 que M. Kelly faisait l'objet d'une enquête parce qu'il avait tenté d'obtenir un prêt d'un détenu; il savait aussi qu'un agent secret était intervenu. En février 2001, la GRC a déclaré à M. Bourke qu'elle avait des preuves que M. Kelly avait tenté d'obtenir un prêt d'un détenu.

[52]   En plus de ces renseignements sur M. Kelly, M. Bourke a reçu de l'information sur les autres agissements répréhensibles qu'on reprochait à d'autres agents de correction; il a pris le temps d'analyser le tout avant de décider quelles mesures prendre.

[53]   Le 1er mars 2001, M. Bourke a suspendu M. Kelly sans traitement en attendant les résultats d'une enquête sur les allégations à son endroit (pièce E–21).

[54]   Le 6 mars 2001, les enquêteurs du Service correctionnel ont interrogé M. Kelly sur le rôle qu'il avait joué dans sa tentative d'obtenir le financement nécessaire à l'achat d'une propriété par l'intermédiaire d'un détenu. M. Kelly était accompagné à cette occasion par son avocat, Me Mancini. Il a encore nié avoir demandé à un détenu de lui prêter de l'argent ou avoir téléphoné à un détenu sur son cellulaire. Il a aussi nié avoir rencontré un détenu et un de ses amis dans une salle de conférence du PK (voir la pièce E–22).

[55]   M. Kelly a été convoqué à une entrevue disciplinaire le 16 mars 2001; Me Mancini l'accompagnait encore cette fois–là. M. Kelly a continué à nier les allégations, en disant que, dans sa déclaration lors de l'enquête sur les faits (pièce E–22), il avait nié être au courant de quoi que ce soit à ce sujet.

[56]   M. Bourke a tenu compte de toute l'information, y compris le dossier professionnel du fonctionnaire s'estimant lésé, qui n'avait jamais écopé d'une sanction disciplinaire, ses cinq années de service, la gravité des allégations - incluant le fait que les actes reprochés à M. Kelly étaient contraires au Code de discipline (pièce E–18) et aux Normes de conduite professionnelle (pièce E–19); il a conclu que le licenciement était la seule mesure possible. Le 20 mars 2001, M. Kelly s'est vu remettre sa lettre de licenciement (pièce E–23).

[57]   Avec le recul, M. Kelly a témoigné devant moi que, si c'était à refaire, il agirait autrement. Il déclarerait tout à ses supérieurs plutôt que d'essayer d'obtenir l'information par ses propres moyens. Il pensait qu'enquêter sur la question lui-même améliorerait ses chances d'accéder éventuellement à un poste d'ASPE, alors qu'il se rend compte maintenant que son manque de jugement devrait lui faire subir des sanctions, mais pas un congédiement.

[58]   En contre-interrogatoire, M. Kelly a dit qu'obtenir un prêt d'un détenu est « très grave », et il a aussi déclaré qu'il ne se sentirait pas à l'aise pour travailler avec quelqu'un qui aurait tenté d'en obtenir un, parce que l'agent qui aurait fait ça serait « sale ». Toutefois, dans son cas, il tentait d'obtenir de l'information.

[59]   Gary Sauvé, un témoin de moralité, a comparu pour parler de sa relation avec son beau-frère Brian Kelly. M. Sauvé, un enquêteur de la GRC, connaît le fonctionnaire s'estimant lésé depuis environ trois ans. Il a déclaré qu'ils se rencontraient à peu près tous les 15 jours dans des réunions familiales, en disant n'avoir été informé du licenciement de son beau-frère que la semaine avant l'audience. Il a dit n'avoir aucune raison de ne pas croire M. Kelly.

[60]   M. Kelly n'avait pas parlé à son beau-frère de l'enquête qu'il menait parce qu'il voulait recueillir de l'information et qu'on avait fait des menaces contre sa famille.

Plaidoiries

Pour l'employeur

[61]   Il s'agit d'un grief contestant le licenciement d'un fonctionnaire s'estimant lésé de 39 ans qui avait cinq années de service et un dossier disciplinaire vierge. L'employeur a le fardeau de prouver ses allégations en produisant une preuve claire, cohérente et convaincante.

[62]   M. Kelly a été licencié en raison de la relation inacceptable qu'il avait avec un détenu. Il avait demandé un prêt à celui–ci pour financer l'achat d'une propriété. Il a eu une rencontre avec le détenu et un agent secret (sous la guise d'un ami du détenu), en discutant d'un prêt à un taux d'intérêt de 1 %. Il savait que c'était du blanchiment d'argent.

[63]   À ces allégations s'ajoute le fait que M. Kelly n'a pas saisi le cellulaire de l'agent 2 alors qu'il aurait dû le faire, car il savait qu'un tel appareil était considéré comme de la contrebande.

[64]   L'affaire est inhabituelle parce que le fonctionnaire s'estimant lésé a nié toutes les allégations chaque fois qu'il en a eu l'occasion avant l'audience, notamment les deux fois qu'il s'est présenté en compagnie de son conseiller juridique, Me Mancini. Ce n'est qu'à l'audience qu'il a admis les allégations. Le fait qu'il a menti chaque fois qu'il a eu l'occasion de le faire étaye la conviction du directeur de l'établissement que le lien de confiance est rompu.

[65]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a produit ce qu'on appelle une « défense positive »; par conséquent, le fardeau de prouver ce qu'il avance lui incombe (voir Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration, de MM. Gorsky et autres, p. 9 à 25). Cela dit, sa défense est truffée de contradictions au point d'être fallacieuse.

[66]   La prépondérance des probabilités fait qu'on ne peut tout simplement pas croire la version du fonctionnaire s'estimant lésé. Il s'est converti au tribunal. À trois reprises, même accompagné d'un avocat, il n'avait pas admis ce qu'il avait fait. Il a déclaré devant moi qu'il continuait à craindre l'agent 2, mais il est évident que, si ce qu'il a dit pour se défendre était vrai, il l'aurait dit avant l'audience d'arbitrage.

[67]   M. Kelly a rencontré l'agent secret en pensant que c'était un ami de l'agent 2; il lui a demandé de le suivre chez lui, ce qui est inexplicable, car l'agent 2 avait déjà proféré des menaces contre M. Kelly et sa famille : pourtant, M. Kelly a invité son ami à le suivre chez lui pendant qu'il enlevait son uniforme pour s'habiller en civil. S'il avait vraiment peur de lui, était-il vraisemblable qu'il invite cet homme à l'accompagner à la maison?

[68]   Lors de son interrogatoire par le sergent McCann, M. Kelly s'est vu offrir de nombreuses occasions de dire la vérité; pourtant, il a continuellement menti à la police (voir la pièce E–17).

[69]   Le fait que M. Kelly a acheté une maison en novembre montre bien qu'il voulait effectivement en acheter une. Il a prétendu vouloir recueillir de l'information, mais cela prouve autre chose.

[70]   Après que M. Kelly eut dit à l'agent 2 qu'il le dénoncerait, il a déclaré que le détenu l'avait menacé. Ç'aurait alors été la peur qui le motivait, et pourtant, il n'a pas dit aux autres agents qui étaient en service qu'on venait de le menacer. Il ne l'a pas dit au directeur de l'établissement ni à l'ASPE, parce qu'il craignait qu'ils ne soient « sales ». Il ne l'a pas non plus dit à la police, parce qu'il ne savait pas à qui se fier. Il ne l'a même pas dit à son beau-frère, qu'il a pourtant fait comparaître comme témoin de moralité. Tout cela est fort peu probable.

[71]   M. Kelly avait très peur, et pourtant, il a demandé à l'ami de l'agent 2 de le suivre jusque chez lui! S'il avait vraiment pensé que lui et sa famille étaient en danger, il aurait pris des mesures pour se protéger.

[72]   L'avocat de l'employeur invoque les décisions suivantes à l'appui de son raisonnement : Faryna c. Chorny [1952] 2 D.L.R. 354; Fauteux c. Le Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel) (dossier de la Commission 166–2–26211); Francis c. Le Conseil du Trésor (Solliciteur général - Service correctionnel Canada) (dossier de la Commission 166–2–24111); Matthews c. Le Conseil du Trésor (Revenu Canada - Douanes et Accise) (dossier de la Commission 166–2–20753).

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

[73]   Dans cette affaire, on a tenté de mener une enquête criminelle secrète que l'employeur a transformée en différend relevant du droit du travail. Cela cause bien des difficultés. Si l'employeur pense qu'un employé s'est rendu coupable d'inconduite criminelle, il ne peut pas le poursuivre au pénal, mais le punir pour son inconduite conformément au Code de discipline.

[74]   L'employeur a le fardeau de démontrer qu'il a prouvé ses allégations. En l'espèce, ce sont des actes criminels qu'on reproche au fonctionnaire s'estimant lésé, de sorte que l'employeur doit aussi prouver que l'intéressé avait une intention coupable et relier son intention aux actes qui lui sont reprochés.

[75]   L'employeur a décidé de suspendre et de licencier M. Kelly parce qu'il l'accusait d'avoir été impliqué dans une activité de blanchiment d'argent (voir la pièce E–23). Le sergent McCann a fait la même allégation quand il a interrogé M. Kelly le 1er mars 2001, et elle aurait pu mener une accusation criminelle (voir la pièce E–17, page 2).

[76]   Le directeur Bourke a témoigné que la seule preuve dont l'employeur disposait pour justifier sa décision lui avait été fournie par le « Project O Correct ». Par conséquent, pour s'acquitter de la charge de la preuve, l'employeur doit prouver l'intention coupable du fonctionnaire s'estimant lésé. Au criminel, il faut prouver cette intention. Comme les allégations dans cette affaire sont de nature criminelle, l'intention criminelle doit être prouvée.

[77]   La question fondamentale est la crédibilité de M. Kelly. S'il n'est pas crédible, la décision lui sera de toute évidence défavorable. Toutefois, l'employeur doit établir quel était l'état d'esprit du fonctionnaire s'estimant lésé, et tous les doutes devraient pencher en sa faveur.

[78]   Bien peu de faits sont contredits dans cette affaire. Pourtant, l'ironie du sort, c'est que M. Kelly a témoigné avoir été convaincu que les menaces de l'agent 2 étaient réelles. L'employeur, lui, se fiait à l'agent 2 pour obtenir des renseignements véridiques; il s'est basé sur ces renseignements dans sa décision. Maintenant que M. Kelly déclare avoir cru l'agent 2, l'employeur répond que ça n'a pas de sens.

[79]   M. Kelly a déclaré que M. Perkins était venu lui parler de possibilités de financement. Selon la thèse de l'employeur, la version de l'agent 2 était différente, et l'employeur a cru l'agent 2. Comme ce détenu n'a pas témoigné, l'employeur se fonde sur du ouï-dire.

[80]   Dans cette affaire, il faut tenir compte de la conduite de l'employeur lui-même et particulièrement de sa tactique de provocation. Les principes établis par les tribunaux sur la procédure à suivre en cas de provocation policière devraient être respectés. Dans Mack c. La Reine ([1988] 2 R.C.S., page 903) la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit, à la page 904 :

On peut tenir compte des facteurs suivants pour déterminer si la police a fait autre chose que d'offrir une occasion :

[...]

  1. l'existence de menaces, tacites ou expresses, proférées envers l'inculpé par la police ou ses agents.

[81]   M. Kelly a témoigné avoir été menacé par un agent de la police (l'agent 2) et son témoignage n'a pas été contredit, de sorte qu'il doit être accepté comme un fait avéré.

[82]   On n'a pas contesté non plus ce qui est arrivé à la rencontre du 19 août 2000. Le témoignage de l'agent secret Casey est véridique.

[83]   C'est l'ASPE, M. Rogers, qui a décidé que M. Kelly allait accompagner l'agent 2 de la cellule où il était détenu jusqu'à la salle de conférence de la rencontre. Les faits démontrent clairement que M. Rogers et l'agent 2 avaient une relation particulière; il n'est donc pas déraisonnable de conclure que M. Rogers était impliqué dans le complot. Quand M. Kelly s'est fait dire par l'agent 2 qu'il avait l'ASPE dans sa poche, cela lui a semblé logique.

[84]   En ce qui concerne le téléphone cellulaire, personne n'avait signalé que l'agent 2 se servait d'un tel appareil; par conséquent, cette accusation devrait être rejetée par simple souci d'équité.

[85]   L'acte de vente de la maison que M. Kelly a fini par acheter ne devrait pas lui être reproché, parce qu'il avait l'impression que toute l'affaire serait annulée puisque l'argent était « sale ». Il croyait à tort que, comme l'argent provenait d'une activité criminelle, tout allait être annulé.

[86]   L'acte de vente était censé être finalisé en décembre 2000 ou janvier 2001; M. Kelly comptait faire obtenir les documents nécessaires par son avocat. Ce n'était peut-être pas génial comme stratégie, mais ce n'est pas la question.

[87]   M. Kelly a témoigné qu'il tentait d'enquêter sur des agissements criminels. C'est dans ce contexte qu'il s'est fait menacer, et il savait que ces menaces auraient pu se concrétiser. L'agent 2 lui avait dit qu'il avait le directeur de l'établissement, l'ASPE et la police dans sa poche. M. Kelly ne pouvait pas le déclarer à la police, parce qu'il ne savait pas qui était complice de l'agent 2.

[88]   L'événement marquant qui a suivi fut le décès de M. Perkins. Tout le monde savait que M. Perkins avait une relation particulière avec l'agent 2 et, selon la rumeur qui circulait au PK, M. Perkins avait été assassiné. C'est probablement à ce moment–là que M. Kelly a eu le plus peur.

[89]   Le fardeau de la preuve que l'employeur doit assumer est intrinsèquement lié à l'intention du fonctionnaire s'estimant lésé, qui n'était pas criminelle.

[90]   M. Bourke a reconnu que, avant le printemps 2000, il n'y avait pas l'ombre d'un soupçon contre M. Kelly. Son dossier disciplinaire était vierge puisqu'il n'avait jamais écopé d'une sanction avant cet incident; on n'a pas non plus porté d'accusations criminelles contre lui.

[91]   Si une mesure disciplinaire quelconque est justifiée, il faudrait tenir compte des facteurs atténuants pour mitiger la sanction.

[92]   L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé a invoqué les textes suivants à l'appui de sa thèse : Canadian Criminal Law, Carswell Editions, 4e édition; Mack c. La Reine, supra; Labour Arbitration Yearbook: Kaplan, Jack and Gunderson; Leadbetter c. Le Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel) (dossier de la Commission 166–2–28705)

Réplique

[93]   La norme à respecter en l'occurrence est la production d'une preuve claire et cohérente. L'employeur n'est pas tenu de prouver l'intention coupable du fonctionnaire s'estimant lésé. C'est plutôt à lui de prouver sa défense positive.

[94]   Il n'y a pas eu de provocation policière de M. Kelly. En fait, c'est M. Kelly qui a tenté de provoquer d'autres personnes. Il a dit avoir reçu ses renseignements de M. Perkins et être allé voir l'agent 2 de lui-même. En l'occurrence, M. Perkins ne représentait pas l'employeur. De toute manière, il s'agit ici d'un agent de correction qui a tenté de négocier un prêt à 1 % d'intérêt et de blanchir de l'argent.

[95]   Le fait qu'on n'a pas porté d'accusations criminelles n'est pas pertinent.

Motifs de la décision

[96]   M. Kelly a été licencié pour les raisons expliquées dans la lettre datée du 20 mars 2001 qui lui était adressée et qui est citée au début de la présente décision (pièce E–23).

[97]   L'employeur a le fardeau de prouver que ses allégations étaient fondées en produisant une preuve claire, cohérente et convaincante. Jusqu'à l'audience d'arbitrage, M. Kelly a nié de façon répétée ces allégations, notamment plus d'une fois en présence de son avocat, Me Mancini.

[98]   À l'audience d'arbitrage, M. Kelly a donné une nouvelle version, en admettant les faits essentiels tels qu'allégués par l'employeur. À mon avis, cela suffit pour m'amener à conclure que l'employeur s'est acquitté du fardeau de prouver ses allégations. L'agent secret, M. Casey, a déclaré qu'il y avait eu une rencontre entre l'agent 2, M. Kelly et lui-même le 19 août 2000 et qu'ils avaient alors eu une discussion au sujet du financement d'un prêt à 1 % d'intérêt à M. Kelly et de blanchiment d'argent. M. Kelly a admis ces faits. Selon moi, la seule question qui reste consiste à me demander si je crois la version de M. Kelly sur les raisons de ce qui s'est produit.

[99]   Comme l'avocat de l'employeur l'a souligné à juste titre, je pense, M. Kelly a fini par opter pour ce qu'on appelle une « défense positive ». Or, comme les auteurs d'Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration, supra, le précisent à la page 925 de cette ouvrage :

[Traduction]

La partie qui présente une défense positive a le fardeau de la preuve.

[100]   Le simple fait que le fonctionnaire s'estimant lésé avait nié les allégations de l'employeur jusqu'au moment de l'audience, puis avancé une « défense positive » ne suffit pas à mon avis pour m'obliger à rejeter cette défense. Je dois plutôt analyser ce que le fonctionnaire s'estimant lésé prétend et déterminer la véracité de ses dires selon la prépondérance des probabilités, compte tenu de toute la preuve qui m'a été soumise.

[101]   L'un des arrêts marquants en matière de crédibilité a été rendu par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans Faryna c. Chorny, supra. À la page 357 de sa décision, le juge O'Halloran a écrit ce qui suit :

[Traduction]

Bref, le facteur déterminant de la véracité des dires d'un témoin dans ce genre d'affaire doit être sa concordance avec la prépondérance des probabilités qu'une personne pratique et bien informée les reconnaîtrait facilement comme raisonnables à cet endroit et dans ces conditions.

[102]   M. Kelly a déclaré s'être fait dire par un collègue, Dave Perkins, que l'agent 2 prêtait de l'argent à d'autres agents de correction. Dans son interrogatoire principal, il a dit qu'il ne voudrait pas travailler avec un agent qui aurait accepté un prêt d'un détenu, parce que cet agent aurait été « sale ». M. Kelly reconnaît clairement le caractère répréhensible d'un tel comportement et c'est précisément ses réserves à cet égard qui l'auraient incité, selon lui, à se lancer dans ce que je décrirais comme une opération clandestine individuelle. Il allait éradiquer les actions répréhensibles de certains autres agents de correction.

[103]   Comment s'y est-il pris? Il dit avoir confronté l'agent 2 vers la fin de juillet 2000 en lui demandant qui étaient les autres agents de correction impliqués dans ses activités de financement d'hypothèques. Il a dit que l'agent 2 avait été évasif, en refusant de lui répondre, et qu'il lui avait donc déclaré qu'il le dénoncerait. L'agent 2 l'aurait alors injurié et aurait menacé sa femme et son fils. C'est à ce moment–là que M. Kelly dit qu'il a eu peur.

[104]   Pourquoi M. Kelly n'est-il pas simplement parti de l'infirmerie pour aller déclarer à ses supérieurs que l'agent 2 finançait les hypothèques d'autres agents de correction? Il a tenté d'obtenir les noms de ces agents, mais sans succès, et c'est alors qu'il a déclaré à l'agent 2 qu'il allait le dénoncer.

[105]   M. Kelly dit qu'il a eu particulièrement peur quand l'agent 2 lui a donné le nom de la ville où son petit garçon habitait. Ensuite, quand l'agent 2 a ajouté qu'il avait le directeur, l'ASPE et la police dans sa poche, M. Kelly a déclaré qu'il ne savait plus quoi faire. Après avoir réfléchi pendant quelques jours, il a décidé de poursuivre son opération clandestine. Quand l'agent 2 l'a appelé chez lui pour lui demander de rencontrer quelqu'un qu'il appelait son « bras droit », M. Kelly a accepté de le faire.

[106]   M. Kelly a témoigné qu'il avait peur. Il craignait pour la sécurité de sa famille, mais il n'a pas contacté la police parce que l'agent 2 disait qu'il l'avait dans sa poche. Cela dit, je n'arrive pas à croire que M. Kelly n'aurait rien dit sur ces menaces à son beau-frère Gary Sauvé. M. Sauvé a comparu comme témoin de moralité pour M. Kelly. Il est dans la GRC depuis 17 ans et il connaissait M. Kelly depuis trois ans, ce qui signifie qu'ils se connaissaient bien avant les menaces de l'agent 2.

[107]   Si M. Kelly craignait pour sa famille et ne savait pas avec qui communiquer dans la police locale, il est certain qu'il aurait pu se confier à M. Sauvé. Or, celui–ci a témoigné qu'il rencontrait M. Kelly à peu près tous les 15 jours dans des réunions familiales. M. Kelly aurait donc eu de nombreuses possibilités de le prendre à part et de se confier à lui. Il ne l'a pas fait.

[108]   À cela s'ajoute la rencontre de M. Kelly avec l'agent secret et l'agent 2 au PK, le 19 août 2000. M. Kelly a dit qu'il voulait obtenir de l'information sur ce bras droit de l'agent 2 parce que toutes les menaces que l'agent 2 lui avait faites auraient dû être planifiées ou exécutées par quelqu'un de l'extérieur. M. Kelly a donc témoigné qu'il avait décidé de recueillir des renseignements sur quelqu'un qui aurait pu faire du mal à sa famille.

[109]   À la fin de la rencontre, M. Kelly a accepté de rencontrer M. Casey (l'agent secret) à une station-service locale. La conversation dans le véhicule de M. Casey a été enregistrée à l'insu de M. Kelly. Sa transcription révèle que c'est M. Kelly qui a proposé à M. Casey de le suivre jusque chez lui (pièce E–3, page 9).

[110]   M. Kelly invitait quelqu'un qu'il croyait être le bras droit de l'agent 2, la personne qui aurait pu faire du mal à sa famille, à le suivre chez lui. L'avocat de l'employeur dit que c'est difficile à croire, et je dois convenir que je suis d'accord avec lui.

[111]   Toutefois, l'affaire ne s'arrête pas là. Pendant qu'ils se rendaient en voiture visiter des maisons, M. Kelly a parlé à M. Casey du garage de son père (pièce E–3, page 33). Quand M. Casey lui a demandé où son père vivait, M. Kelly a répondu « entre Belleville et Tweed » (pièce E–3, page 44). Il me semble vraiment étrange que M. Kelly ait révélé cela alors qu'il dit avoir craint pour la sécurité de sa famille.

[112]   Ce qui est encore plus bizarre, à mon avis, c'est que M. Kelly ait parlé de son petit garçon de six ans (pièce E–3, pages 33 et 34). M. Kelly a témoigné qu'il avait eu peur quand l'agent 2 lui avait donné le nom de la ville où son fils se trouvait, car ce n'était pas là qu'il habitait lui-même, et pourtant, il a parlé de son garçon de six ans avec quelqu'un qu'il croyait être le bras droit de l'agent 2. Je reconnais, comme l'avocat de l'employeur l'a dit, qu'il semble très peu probable que quelqu'un qui craint pour la sécurité de son petit garçon de six ans se lance dans une discussion assez longue à son sujet avec la personne qui pourrait lui faire du mal.

[113]   Enfin, il y a l'interrogatoire de M. Kelly par le sergent McCann. Dans les 71 pages de sa transcription (pièce E–17), M. Kelly n'a jamais parlé de son opération clandestine. On aurait pourtant cru que, quand la police lui a dit qu'il pourrait être accusé d'abus de confiance, « contrairement à l'article 122 du Code criminel, ainsi que de blanchiment d'argent, contrairement à l'article 462.31 du Code criminel » (page 2), le moment aurait été bien choisi pour parler de cette opération. M. Kelly a plutôt nié toute implication. Manifestement, en tant qu'agent de la paix, il aurait été très conscient de l'extrême gravité des allégations, et pourtant, il n'a pas admis avoir fait quoi que ce soit de mal.

[114]   Quand le directeur Bourke lui a imposé une suspension, M. Kelly a continué à nier avoir mal agi. Il a persisté durant l'enquête sur les faits, où il a déclaré par écrit (pièce E–22) : [traduction] « Je n'ai jamais demandé à un détenu de m'accorder un prêt pour acheter une maison ». Quand on risque de perdre son emploi, mentir sciemment dans des circonstances comme celles–là est pour le moins téméraire.

[115]   Pourquoi M. Kelly a–t–il continuellement menti sur ce qui s'était passé? Il a dit avoir eu trop peur pour donner sa version, mais cela n'explique pas pourquoi il croyait devoir mentir. Pourquoi n'aurait-il pas simplement dit qu'il ne pouvait pas révéler pourquoi il avait agi ainsi? Pourquoi n'a–t–il pas gardé le silence? Pourquoi a–t–il menti? À mon avis, M. Kelly n'a avancé aucune raison crédible pour justifier d'avoir nié toute implication dans cette manigance de financement.

[116]   L'employeur a aussi allégué que M. Kelly n'avait pas dénoncé l'utilisation d'un téléphone cellulaire par l'agent 2. La preuve (pièce E–10) a révélé que M. Kelly a téléphoné le 17 août 2000 à l'agent 2 au numéro du téléphone cellulaire qu'on avait fourni à ce dernier. Son avocat a dit que cette allégation devrait être rejetée par simple souci d'équité, puisque personne d'autre n'a dénoncé l'utilisation d'un téléphone cellulaire par l'agent 2. On ne m'a signalé aucun cas où un autre agent de correction aurait téléphoné à l'agent 2 sur son téléphone cellulaire, de sorte qu'il s'agit ici d'un cas unique. M. Kelly aurait dû déclarer cela à ses supérieurs, et il ne l'a pas fait. À mon avis, l'allégation de l'employeur a été prouvée.

[117]   Lorsqu'on tient compte de tous les faits, il est très difficile d'ajouter foi aux propos de M. Kelly. L'employeur s'est acquitté de son fardeau de la preuve en ce qui concerne l'allégation selon laquelle M. Kelly aurait demandé à un détenu de lui prêter de l'argent, de même que celle qui lui reproche d'avoir rencontré un ami du détenu pour discuter des détails du financement nécessaire, ce qui avait amené l'intéressé à participer à une opération de blanchiment d'argent. Il s'agit donc clairement d'une relation inacceptable d'un agent de correction avec un détenu. Selon moi, le fonctionnaire s'estimant lésé ne s'est pas acquitté de son fardeau de la preuve en présentant une défense positive.

[118]   L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré que, puisque les allégations sont de nature criminelle, l'intention criminelle du fonctionnaire s'estimant lésé doit être prouvée. Je ne pense pas que, dans une audience sur une affaire de relations de travail, la preuve doive être aussi rigoureuse qu'au pénal. Toutefois, dans cette affaire, je pense que la preuve démontre que le fonctionnaire s'estimant lésé voulait obtenir un prêt personnel de l'agent 2, et il a admis savoir que cela impliquait du blanchiment d'argent.

[119]   L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé a aussi déclaré que M. Kelly avait été provoqué par l'agent 2 et que je devrais en tenir compte dans mes délibérations. D'après le témoignage de M. Kelly lui-même, il aurait été approché par M. Perkins, et c'est pourquoi je ne pense pas que la défense de provocation policière a été prouvée, même si je devais croire cette partie du témoignage de M. Kelly.

[120]   Le licenciement du fonctionnaire s'estimant lésé était-il justifié dans les circonstances? Ce qui est déterminant ici, à mon sens, c'est le témoignage de M. Kelly lui-même quand il a dit qu'il ne travaillerait pas avec un agent de correction qui essayait d'obtenir un prêt d'un détenu, parce que cet agent aurait été « sale ». Compte tenu de l'ancienneté relativement limitée de M. Kelly, je conclus que son licenciement est justifié, même si son dossier disciplinaire était vierge. Son inconduite était grave, voire incompatible avec ses fonctions d'agent de correction. Je suis convaincu que le lien de confiance entre lui et son employeur a été irréparablement rompu.

[121]   Pour tous ces motifs, les griefs sont rejetés.

Joseph W. Potter,
vice-président

OTTAWA, le 15 août 2002.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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