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Résumé :

Licenciement(motif disciplinaire) - Accès non autorisé aux dossiers de l'employeur -Harcèlement d'une superviseure - Crédibilité - le fonctionnaire s'estimant lésé était unagent de probation comptant 18 ans de service - il avait consulté desdossiers de délinquants qui ne lui étaient pas confiés - de plus, il avait unerelation difficile avec une superviseure - il avait demandé à une secrétaire dedactylographier pour lui des étiquettes d'adresses tirées du bottintéléphonique de l'employeur - il lui avait aussi demandé d'imprimer un documentoù la superviseure était identifiée par ses initiales - la secrétaire avait puconstater que le document déclarait que la superviseure n'était pas titulaired'un diplôme universitaire, alors que c'était une exigence de son poste - parla suite, des gestionnaires et des fonctionnaires ont reçu des lettres anonymesdéclarant que la superviseure n'était pas titulaire du diplôme universitaireexigé pour son poste - le fonctionnaire s'estimant lésé s'était rendu au bureaudes dossiers de l'Université pour se renseigner sur le diplôme de lasuperviseure et avait fait des recherches dans les registres des diplômés à labibliothèque de l'Université - comme l'employeur n'avait ostensiblement prisaucune mesure après avoir reçu les premières lettres, une deuxième série delettres analogues avaient été envoyées à un plus grand nombre de fonctionnaires- l'employeur avait conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé avait consultédes dossiers de délinquants sans autorisation et qu'il avait harcelé lasuperviseure - il avait licencié le fonctionnaire s'estimant lésé - lefonctionnaire s'estimant lésé a présenté un grief contestant son licenciement -l'employeur a fait valoir que le fonctionnaire s'estimant lésé avait admisavoir consulté 12 dossiers de délinquants - ces dossiers ne lui avaientpas été confiés - il n'était pas autorisé à les consulter et n'avait pas nonplus besoin de le faire - le fonctionnaire s'estimant lésé a répondu qu'ilavait besoin de les consulter pour écrire ses rapports - il a déclaré que sonsuperviseur avait accepté qu'il le fasse - il a ajouté que d'autres agents deprobation de son bureau consultaient des dossiers de délinquants de la mêmefaçon - l'employeur a soutenu que la preuve était suffisante pour lui permettrede conclure que le fonctionnaire s'estimant lésé avait harcelé une superviseure- le fonctionnaire s'estimant lésé a répliqué que la preuve de l'employeurselon lequel il aurait harcelé la superviseure n'était pas concluante - il aajouté que la sanction était trop dure dans les circonstances - l'arbitre ajugé la preuve de l'employeur plus crédible que celle du fonctionnaires'estimant lésé et conclu que les allégations d'accès sans autorisation auxdossiers de délinquants et de harcèlement d'une superviseure étaient prouvées -en outre, il a jugé que les actions du fonctionnaire s'estimant lésé avaientempoisonné le climat de travail à un point tel que les mesures de l'employeurétaient justifiées - toutefois, compte tenu des 18 années de service dufonctionnaire s'estimant lésé, il lui a accordé une indemnité de six mois de traitement. Grief accueilli en partie. Tipple c.Canada (Conseil du Trésor) (26 septembre 1985), A-66-85(C.A.F.); Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A. C.-B.).

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2002-06-07
  • Dossier:  166-02-30989
  • Référence:  2002 CRTFP 57

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

MEL E. DE LISA

fonctionnaire s'estimant lésé

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR
(Solliciteur général du Canada - Service correctionnel)

employeur

Devant :  D.R. Quigley, commissaire

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :  Sherrill Robinson-Wilson, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur :  Jennifer Champagne, avocate


Affaire entendue à Kingston (Ontario),
du 25 au 28 mars 2002.

[1]   Le fonctionnaire s'estimant lésé, Mel E. De Lisa, un agent de libération conditionnelle, proteste contre son licenciement fondé sur le paragraphe 11(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, à compter de 16 h, le mercredi 11 avril 2001, parce qu'il aurait consulté sans autorisation des dossiers de délinquants du Centre correctionnel communautaire Keele (CCC Keele) et harcelé une surveillante. Il réclame comme réparation d'être réintégré et dédommagé complètement ou toute autre mesure corrective jugée raisonnable et justifiée.

[2]   La lettre de licenciement adressée au fonctionnaire s'estimant lésé est datée du 10 avril 2001 et signée par Louis Kelly, sous-commissaire adjoint de la Région de l'Ontario du Service correctionnel du Canada; elle se lit comme il suit :

[Traduction]

[. . .]

Je viens de terminer mon examen exhaustif de la preuve relative aux allégations d'accès sans autorisation au bureau de Corcan et aux dossiers de délinquants du CCC Keele ainsi qu'au harcèlement d'une surveillante de liberté conditionnelle. J'ai tenu compte de votre réponse écrite au rapport d'enquête sur les faits et des arguments de vos représentants.

Premièrement, j'accepte votre argument qu'on ne vous a pas donné l'instruction expresse de ne pas entrer dans les bureaux de Corcan après que votre affectation y ait pris fin. Par conséquent, je ne prendrai pas d'autres mesures à cet égard.

En ce qui concerne votre consultation de dossiers de délinquants à partir du CCC Keele, je prends note que vous n'avez pas contesté avoir effectivement consulté ces dossiers. J'ai conclu que vous n'étiez pas autorisé à consulter des dossiers du SGD [Système de gestion des délinquants] qui ne vous avaient pas été confiés et que vous n'aviez pas eu l'ordre de le faire. Je conclus aussi que vous n'aviez pas besoin de consulter ces dossiers à partir d'un autre bureau et que vous n'avez pas donné d'explication raisonnable de vos actes. Vous n'avez donc pas respecté le principe du « besoin de savoir » précisé dans le Manuel des procédures de sécurité ministérielle.

En ce qui concerne les allégations selon lesquelles vous avez harcelé une surveillante de liberté conditionnelle, je conclus que vous avez envoyé des lettres anonymes contenant des renseignements mensongers sur l'intéressée. J'estime que ce harcèlement était particulièrement malveillant.

Ces actes sont considérés comme des cas d'inconduite grave. Ils nous font douter que vous êtes digne de confiance à titre de fonctionnaire du SCC [Service correctionnel du Canada]. Nous tenons à ce que le personnel respecte la vie privée des délinquants et ne se livre à aucune forme de harcèlement de collègues. Par conséquent, j'ai conclu que je dois vous licencier. Votre conduite a donné lieu à une situation dans laquelle ni moi, ni vos autres supérieurs ne peuvent plus vous confier des renseignements confidentiels, ni compter sur votre capacité de maintenir des relations professionnelles et respectueuses avec les autres membres du personnel.

Je dois donc vous informer, en vertu des pouvoirs qui me sont délégués conformément au paragraphe 11(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, que je mets fin à votre emploi au Service correctionnel du Canada à compter de 16 h, le mercredi 11 avril 2001.

Votre convention collective vous donne le droit de présenter un grief pour contester cette décision, directement au dernier palier de la procédure.

[. . .]

[3]   Cinq témoins ont comparu pour l'employeur; son avocate a déposé 23 pièces. Le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné pour lui-même avec deux autres témoins; sa représentante a déposé sept pièces.

[4]   La représentante du fonctionnaire s'estimant lésé a présenté deux objections, dont une s'est réglée à la satisfaction des deux parties. L'autre objection portait sur l'introduction d'éléments de preuve relatifs à des actes d'inconduite antérieure. J'ai admis ces éléments de preuve et déclaré que le poids que j'y accorderais dans ma décision, le cas échéant, serait fondé sur la clause applicable de la convention collective et leur pertinence en l'espèce.

Contexte

[5]   La carrière d'agent de correction du fonctionnaire s'estimant lésé a commencé en 1980 dans l'administration provinciale. C'est en 1983 qu'il s'est joint à la fonction publique fédérale; il a alors été affecté à Niagara Falls, en Ontario. En 1987, il s'est réinstallé au bureau central de district de Toronto (au centre-ville). À la suite d'une réorganisation du Service correctionnel du Canada (SCC), en 1990, il travaillait de sa résidence, à Oshawa, en Ontario, même s'il supervisait le bureau de York/Durham. En 1997, après une autre réorganisation du Service, il s'est réinstallé au CCC Keele, à l'Unité postsentencielle, où il est devenu agent de libération conditionnelle. En 1999, il était directeur à Corcan; le 25 septembre 2000, il a débuté comme agent de libération conditionnelle au bureau du centre-ville de Toronto. Ce bureau peut être décrit comme un service qui enseigne la préparation au travail, la rédaction de curriculum vitæ et les techniques d'entrevue de sélection aux délinquants afin de les préparer à l'emploi. Les délinquants-clients sont considérés comme à faible risque/à risque moyen.

[6]   Ce fut là le point de départ des événements qui ont mené au licenciement du fonctionnaire. Les deux parties ont présenté séparément leur preuve au sujet des deux allégations invoquées pour justifier le licenciement : (1) l'accès sans autorisation à des dossiers du Système de gestion des délinquants (SGD) et (2) le harcèlement d'une surveillante. Bien que les faits se recoupent dans le temps, je vais les présenter séparément, en ordre chronologique.

Allégation (1) - Accès sans autorisation à des dossiers du SGD

Pour l'employeur

[7]   Le fonctionnaire s'estimant lésé devait relever d'une surveillante, Joanne Miller, qui travaillait à l'Unité postsentencielle du centre-ville depuis six ans et demi et comptait 26 années de service au Service. Comme Mme Miller était en affectation spéciale, toutefois, il relevait d'Anne-Marie Gravel, la superviseure de cette dernière.

[8]   À sa rencontre avec Mme Gravel, le fonctionnaire s'estimant lésé lui a expliqué qu'il n'avait pas été responsable de dossiers de libérés conditionnels depuis trois ans, que les choses avaient changé, que la formation dans le contexte de l'Opération Retour à l'essentiel (un des éléments du Système de gestion des délinquants, le SGD) était nouvelle et qu'il n'avait pas reçu la formation nécessaire.

[9]   Louis Kelly est le sous-commissaire adjoint au Opérations de la Région de l'Ontario depuis février 2001. Auparavant, il a été pendant quatre ans directeur du pénitencier de Millhaven. Il travaille depuis 29 ans pour le Service. Dans son témoignage, il a indiqué que le SGD est un système informatique relativement nouveau qui contient de l'information sur les délinquants de tout le pays; en fait, on peut le consulter pour obtenir de l'information sur tous les délinquants libérés conditionnellement ou dans des établissements fédéraux. Le système contient des données de base sur tous les délinquants (taille, poids, couleur des cheveux, date de naissance, etc.) ainsi que des rapports de suivi, des données sur les évaluations communautaires, des profils psychologiques, des analyses d'urine (précisant leur fréquence), des données sur les antécédents de violence familiale, les programmes de renvoi, les permis de voyage, les décisions de la Commission nationale des libérations conditionnelles, les plans correctionnels des délinquants et une foule d'autres renseignements à caractère privé comprenant aussi les suspensions des délinquants, les enquêtes à cet égard, les recommandations de libération ou de révocation des libérations conditionnelles, et ainsi de suite. Tout cela a été dit et corroboré par les témoins du fonctionnaire s'estimant lésé, Alec Browne et Ken Boone, qui ont déclaré que le SGD contient une impressionnante masse de renseignements. Toutefois, le public ne peut avoir accès qu'à des données très limitées du système (nom et peine fédérale), puisque la Loi sur la protection des renseignements personnels interdit de communiquer quelque renseignement personnel que ce soit au public, particulièrement à la suite des incidents survenus dans le contexte du procès de Paul Bernardo/Karla Homolka.

[10]   Le 22 novembre 2000, un article a été publié dans le Toronto Sun au sujet de délinquants sexuels résidant au CCC Keele, lequel peut être qualifié de centre conçu pour les délinquants à risque élevé qui travaillent dans la communauté pendant le jour et résident là le soir. Ces délinquants exigent une surveillance étroite.

[11]   Le titre de l'article (pièce E-1) était [traduction] Des pervers à risque élevé vont être libérés. Son auteur employait plusieurs expressions et se fondait sur de l'information révélant manifestement que le SGD avait été consulté, au moins dans une certaine mesure. L'article faisait état des cas de six délinquants sexuels.

[12]   Les retombées de l'article dans la population de Toronto ainsi que les craintes des délinquants qu'avait causées ce manquement aux règles de protection des renseignements confidentiels privés ont entraîné une enquête.

[13]   Le 4 janvier 2001, Ross Toller - le prédécesseur de M. Kelly qui a pris sa retraite depuis - a ordonné à Karl Niemann, un agent régional de projet à la Sécurité de l'Administration régionale de l'Ontario, de faire enquête sur les faits (pièce E-17) relatifs à trois allégations d'inconduite du fonctionnaire s'estimant lésé. M. Niemann devait produire un rapport pour le 1er février 2001. Les allégations concernaient :

  1. une infraction à la Loi sur la protection des renseignements personnels;

  2. le harcèlement d'une surveillante;

  3. l'accès sans autorisation aux locaux de l'employeur et l'utilisation abusive de son équipement.

[14]   Le rapport d'enquête de M. Niemann sur les allégations d'inconduite du fonctionnaire s'estimant lésé a été déposé en preuve (pièce E-18); l'enquêteur a témoigné que, pour l'allégation (1), il avait interrogé plusieurs fonctionnaires du Service, dont M. De Lisa lui-même.

[15]   L'enquête a commencé avec le SGD. En procédant par renvois avec des vérifications croisées, une personne qualifiée a identifié qui a consulté quels dossiers et à quelles dates. À la fin du processus, on a pu prouver que, le 15 novembre 2000, le fonctionnaire s'estimant lésé avait consulté 12 dossiers de délinquants, donc 5 nommés dans l'article du Toronto Sun.

[16]   M. Niemann a reconnu que d'autres personnes avaient consulté certains de ces dossiers, mais il s'agissait de gens qui travaillaient au CCC Keele, où ces dossiers leur avaient été confiés, ou qui avaient un « besoin de savoir » raisonnable justifiant leur consultation du SGD au sujet d'un délinquant donné.

[17]   L'enquête a aussi révélé que, dans le passé, la façon du fonctionnaire s'estimant lésé de consulter le SGD était passablement prévisible; en d'autres termes, il le consultait habituellement au sujet d'individus qui allaient être des clients du programme ou au sujet de délinquants dont on lui avait confié le dossier. Quand il a consulté ces 12 dossiers le 15 novembre 2000, c'était le plus grand nombre de dossiers qu'il ait consultés en une seule journée jusque-là ou après cette date. Et l'article du Toronto Sun a paru une semaine après qu'il eut consulté les dossiers.

[18]   Un délinquant a admis avoir parlé à l'auteur de l'article, et la directrice du district, Shelly Howard, l'a interrogé à trois reprises. Toutefois, après avoir obtenu trois versions différentes de l'incident, et compte tenu du fait que le délinquant n'était pas en mesure de divulguer l'information figurant dans l'article du journal, on a conclu que ses aveux n'étaient pas crédibles.

[19]   En contre-interrogatoire, la représentante du fonctionnaire s'estimant lésé a demandé à M. Niemann s'il avait interrogé ce délinquant; M. Niemann a répondu que non.

[20]   Quand il a été interrogé par M. Niemann, le fonctionnaire s'estimant lésé a admis avoir consulté les 12 dossiers de délinquants en question le 15 novembre 2000. Dans son rapport, M. Niemann a conclu que l'explication que le fonctionnaire s'estimant lésé lui avait donnée pour justifier sa consultation des 12 dossiers n'était pas plausible, et que sa conduite contrevenait au principe du « besoin de savoir » défini dans le Manuel des procédures de sécurité du SCC (Chapitre 3.1).

[21]   M. Niemann a déclaré que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas fait preuve de remords pour ses actes et n'avait pas non plus admis qu'il ne consulterait plus ce genre de dossiers du SGD. L'enquêteur a présenté son rapport à M. Kelly le 8 février 2001; le fonctionnaire s'estimant lésé en a reçu copie le 8 mars 2001.

[22]   Le 15 mars 2001, après avoir pris connaissance du rapport, le fonctionnaire s'estimant lésé a écrit à M. Kelly (pièce E-2) pour répondre aux trois allégations d'inconduite. Une rencontre a été organisée le 29 mars 2001 au bureau central de district, à Toronto. D'après M. Kelly, cette rencontre avait pour but de lui permettre de confirmer que le rapport de l'enquête était fondé et que les faits qui y sont décrits étaient véridiques. Dans son témoignage, il a dit : [traduction] « Après tout, j'étais le décideur; je voulais donner à M. De Lisa la possibilité d'expliquer sa lettre du 15 mars 2001. »

[23]   Les personnes présentes à cette rencontre du 29 mars 2001 étaient Derek Orr, le directeur du district à Toronto, Ken Boone, le président de la section locale 00079 de l'Alliance, Alec Browne, un agent de libération conditionnelle, et M. Kelly; le fonctionnaire s'estimant lésé était aussi invité. Toutefois, au moment où la rencontre allait commencer, il a remis à M. Kelly une lettre d'un médecin, le Dr Christopher Garrange, dans laquelle il était notamment écrit : [traduction] « Le patient est incapable d'assister à une rencontre avec M. Orr. »

[24]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné sous serment avoir reçu le rapport de l'enquête le 8 mars 2001, par l'intermédiaire de M. Browne. Il a alors téléphoné à M. Kelly pour l'informer que, dans l'éventualité d'une rencontre à ce sujet, il n'y assisterait pas si M. Orr était présent, pour des raisons médicales. M. Kelly lui aurait alors dit : [traduction] « Dans ce cas-là, apportez-moi un certificat médical. »

[25]   En contre-interrogatoire, M. Kelly a déclaré n'avoir jamais demandé au fonctionnaire s'estimant lésé de produire un certificat médical. Dans leurs témoignages, MM. Browne et Boone n'ont ni reconnu, ni nié que cette conversation avait eu lieu.

[26]   M. Kelly a déclaré au fonctionnaire s'estimant lésé que, comme il ne lui avait pas demandé de produire un certificat médical, la rencontre allait commencer et qu'il n'était pas disposé à demander à M. Orr de partir. Il a ensuite demandé au fonctionnaire s'estimant lésé si celui-ci voulait participer à la rencontre, mais ce dernier a préféré ne pas le faire : il est parti tout de suite. La rencontre s'est poursuivie; MM. Browne et Boone ont confirmé qu'ils étaient effectivement les représentants du fonctionnaire s'estimant lésé. Au cours de la rencontre, ils ont soulevé six points du rapport d'enquête contestés par le fonctionnaire s'estimant lésé.

[27]   À la suite de la rencontre du 29 mars 2001, M. Kelly a écrit au fonctionnaire s'estimant lésé, le 3 avril 2001 (pièce E-3), comme il s'y était engagé auprès de ses représentants, à qui il avait dit qu'il leur fournirait par écrit les renseignements recueillis au sujet des six points que le fonctionnaire contestait.

[28]   M. Kelly a témoigné que, entre sa lettre du 3 avril 2001 et la lettre de licenciement, datée du 10 avril 2001, le syndicat ne lui a fait aucune représentation. Toutefois, il a consulté M. Don Graham, le chef régional des Relations de travail, au sujet de cette lettre.

[29]   La décision de M. Kelly de licencier le fonctionnaire s'estimant lésé était fondée, comme nous l'avons déjà vu, sur deux allégations. En ce qui concerne l'accès non autorisé de M. De Lisa à des dossiers du SGD, il a expliqué que ce dernier savait parfaitement qu'il n'avait pas de « besoin de savoir » qui aurait justifié son accès à ces dossiers du CCC Keele. Il a déclaré qu'un agent de libération conditionnelle doit satisfaire à deux conditions pour consulter le SGD : il lui faut un mot de passe et un « besoin de savoir/de consulter » le système. L'agent de libération conditionnelle ne doit pas consulter les dossiers d'un autre agent de libération conditionnelle affecté à un autre établissement. En outre, pour obtenir le mot de passe nécessaire afin de consulter le SGD, tous les agents de libération conditionnelle reçoivent une formation sur le système et sont informés des principes du « besoin de savoir » avant d'avoir cette clé qui leur donne accès aux dossiers. Avant qu'ils puissent entrer dans le SGD, l'écran leur précise qu'ils doivent se conformer aux politiques sur la sécurité du gouvernement du Canada et du Service. La pièce E-4, l'écran d'entrée dans le SGD, précise en effet ce qui suit :

Accès non autorisé interdit / ...

Username:  [...]

Password:

   [...]

WARNING - […]

Afin de tenir compte des politiques sur la sécurité du gouvernement du Canada et du Service correctionnel, cet organisateur est surveillé en permanence. Toute personne trouvée coupable d'infraction à la sécurité du système sera privée d'accès à l'ordinateur, tant et aussi longtemps qu'une enquête de sécurité n'aura pas été effectuée.

Taper < ENTER> pour continuer :

[30]   L'avocate de l'employeur a déposé la pièce E-5, un document intitulé Échange et divulgation de renseignements, dont le paragraphe 51 (page 13) contient une définition des renseignements pouvant être communiqués au public lorsqu'il présente une demande d'information sur le dossier d'un délinquant, la pièce E-6, intitulée Règles de conduite professionnelle au Service correctionnel du Canada, dont le paragraphe 6 (page 7) porte sur la protection et l'échange de l'information et la pièce E-7, un accusé de réception signé en date du 20 mai 1983 par le fonctionnaire s'estimant lésé pour attester qu'il avait reçu la Trousse d'information du Solliciteur général, contenant notamment le Code de conduite, les Politiques opérationnelles, une politique sur la protection des renseignements personnels, la Loi canadienne sur les droits de la personne et les Droits et responsabilités des fonctionnaires.

[31]   M. Kelly a présenté la pièce E-8, concernant le dossier de formation du fonctionnaire s'estimant lésé et le programme d'orientation dont il avait bénéficié, avec sa signature le confirmant en date du 16 août 1983. Il a souligné, à la page 4, les alinéas 2)b), sur la nécessité de la confidentialité, l'alinéa 2)e), faisant état des règles applicables au traitement, à la transmission, à la conservation, à la destruction/au déchiquetage des renseignements protégés et enfin l'alinéa 2)d) expliquant la classification de sécurité des renseignements, y compris la notion du « besoin de savoir ». Chaque agent de libération conditionnelle reçoit environ 12 semaines de formation.

[32]   En outre, chaque agent de libération conditionnelle reçoit une formation sur l'ensemble de règles contenues dans le Code de discipline du service correctionnel du Canada (pièce E-9). M. Kelly a souligné à cet égard la Règle 6, sur la protection et l'échange de l'information, particulièrement sous l'aspect des « Infractions », où il est précisé ce qui suit :

L'employé(e) a commis une infraction s'il (elle) :

  • ne protège pas comme il se doit tous les documents, rapports, directives, manuels ou autres renseignements du Service;

  • ne se conforme pas aux dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur l'accès à l'information;

  • contrevient la Politique de sécurité du gouvernement du Canada ou y fait entorse.

[. . .]

[33]   Enfin, M. Kelly a expliqué la pièce E-19, intitulée Sécurité des renseignements et des biens, en soulignant particulièrement qu'on peut y lire ce qui suit :

[. . .]

  • réserver l'accès aux renseignements à ceux qui détiennent des cotes appropriées de sécurité et de fiabilité;

  • ne donner accès qu'aux renseignements dont on a besoin dans l'exercice de ses fonctions.

[. . .]

[34]   En somme, M. Kelly a confirmé que le fonctionnaire s'estimant lésé ne s'était effectivement pas conformé aux politiques sur le « besoin de savoir » du Service en consultant des dossiers du SGD au CCC Keele.

[35]   En contre-interrogatoire, la représentante du fonctionnaire s'estimant lésé a demandé à M. Kelly si le SGD existait en 1983; il a répondu que non, mais ajouté : [traduction] « En réalité, c'est sans importance : le SGD est simplement le résultat du passage technologique du support papier au support électronique. L'accessibilité est accrue, mais l'autorisation nécessaire pour avoir accès est restée la même. »

[36]   Joanne Miller a dit avoir rencontré le fonctionnaire s'estimant lésé le 20 octobre 2000 pour parler des procédures de bureau, du registre de pointage ainsi que de la politique du journal des véhicules de l'État qu'utilisent les agents de libération conditionnelle. Elle a expliqué que c'est au cours de cette conversation que le fonctionnaire s'estimant lésé a « explosé » et quitté son bureau pour aller parler à sa superviseure, Anne-Marie Gravel. Mme Gravel a convoqué une réunion en présence de Mme Miller pour informer le fonctionnaire s'estimant lésé des politiques de bureau, et les problèmes ont semblé réglés.

[37]   Quand ils sont partis du bureau de Mme Gravel, le fonctionnaire s'estimant lésé et Mme Miller se sont dirigés vers une zone pour les commis où se trouve un tableau sur lequel sont inscrites les mentions au journal des véhicules de l'État. Le fonctionnaire s'estimant lésé était encore agité; il a déclaré à Mme Miller : [traduction] « Tu aurais intérêt à faire attention, à te tenir sur tes gardes, parce que je sais des choses sur ton compte. »

[38]   Mme Miller est alors retournée au bureau de Mme Gravel pour lui faire part de cette déclaration du fonctionnaire s'estimant lésé. En dépit du fait qu'elle a demandé à sa superviseure de la relever de ses tâches de surveillante du fonctionnaire, elle a continué à les assumer et à lui confier des dossiers, bien que leurs communications aient été réduites au minimum, habituellement par courriel.

[39]   Le 4 décembre 2000, Mme Gravel a officiellement confié à Rob Campney la surveillance du fonctionnaire s'estimant lésé (pièce E-13). Ce n'était pas un grand changement puisque M. De Lisa remettait son travail à M. Campney depuis le début de novembre, sur une base provisoire.

[40]   M. Campney est actuellement affecté à Kingston, mais il a été surveillant de liberté conditionnelle au bureau du centre-ville de Toronto de 1997 jusqu'au mois de juillet 2001. Il travaille au Service depuis 13 ans.

[41]   Dans son témoignage, M. Campney a déclaré que le fonctionnaire s'estimant lésé et lui-même n'étaient pas les meilleurs amis du monde. À l'occasion d'une audience d'arbitrage d'un grief présenté par Brian Welsh (2001 CRTFP 29 (166-2-29492)), ils s'étaient retrouvés dans des camps opposés.

[42]   M. Campney a déclaré que le travail que le fonctionnaire s'estimant lésé lui remettait n'était pas satisfaisant et qu'il l'avait rencontré pour discuter avec lui des dossiers qu'il lui avait renvoyés pour révision. Il lui a remis un exemplaire des Instructions permanentes (IP) 700-03 (pièce E-16) en lui expliquant les lignes directrices à suivre.

[43]   M. Campney a informé Mme Gravel de ces faits dans un courriel (pièce E-15), où il précisait avoir donné au fonctionnaire s'estimant lésé un complément d'information pour l'aider à préparer ses rapports. Il a aussi précisé avoir déclaré au fonctionnaire que, s'il avait des difficultés ou des questions à lui poser pour préparer ses rapports, il devrait venir le voir. Les courriels en question sont tous deux datés du 8 novembre 2000 (pièce E-14).

[44]   L'avocate de l'employeur a cité l'extrait suivant de la pièce E-2, la lettre que le fonctionnaire s'estimant lésé avait adressée le 15 mars 2001 à M. Kelly :

[Traduction]

[. . .]

. M. Campney a passé quelque temps avec moi pour m'expliquer certains des changements du processus de gestion des dossiers depuis l'Opération Retour à l'essentiel. Je lui ai dit à ce moment-là que, pour faire une partie de mon travail durant son absence, au cours des prochaines semaines, j'allais naviguer dans le réseau du SGD et consulter des dossiers relatifs à ceux qu'on m'avait confiés [...] Un examen du registre confirmera que plusieurs des dossiers qu'on m'avait confiés concernaient des délinquants à risque élevé et ayant de grands besoins qu'il fallait envoyer soit à un équipe de surveillance, soit au CCC Keele [...]

[C'est nous qui soulignons.]

[45]   M. Campney a témoigné qu'il n'était absolument pas d'accord pour que le fonctionnaire s'estimant lésé navigue dans le SGD, et qu'il ne l'aurait pas toléré. Il a témoigné que, s'il avait dit quelque chose à cet effet, il en aurait pris note comme il le faisait pour toutes ses rencontres avec le fonctionnaire s'estimant lésé. Il a ajouté avoir expliqué à l'intéressé les procédures pratiques que celui-ci devait suivre. De plus, il a déclaré lui avoir dit qu'il pourrait parler avec des agents de libération conditionnelle expérimentés, en l'encourageant à prendre connaissance de cas analogues dans des dossiers conservés sur support papier au bureau. Dans sa charge de travail, le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas de délinquants à risque élevé.

[46]   Puisque le fonctionnaire s'estimant lésé était un nouveau au bureau du centre-ville, les dossiers qu'on lui confiait concernaient des délinquants allant d'à faible risque à risque moyen. Mme Miller lui avait confié ces dossiers-là pour ne pas le surcharger de travail. Pour sa part, M. Campney a témoigné qu'on attribue normalement 20 à 25 dossiers à un agent de libération conditionnelle du bureau du centre-ville. Les 11 dossiers qui avaient été confiés au fonctionnaire s'estimant lésé étaient les seuls qu'il aurait dû consulter dans le SGD. Or, les 12 dossiers du SGD qu'il a consultés le 15 novembre 2000 étaient conservés dans un autre bureau, le CCC Keele, et expressément confiés à des agents de libération conditionnelle de ce bureau-là, dont les dossiers concernaient des délinquants à risque élevé, contrairement à ceux du fonctionnaire s'estimant lésé.

[47]   En contre-interrogatoire, la représentante du fonctionnaire s'estimant lésé a demandé à M. Campney s'il était sûr que ce dernier ne lui avait jamais dit qu'il comptait naviguer dans le SGD. M. Campney a de nouveau répondu que ce n'était absolument pas le cas, puisque cela aurait « sonné l'alarme pour lui », et ce non seulement si le fonctionnaire s'estimant lésé avait tenu de tels propos, mais si n'importe qui d'autre l'avait fait, en réalité.

[48]   M. Orr a témoigné que c'est lui qui affectait le personnel à des postes dans les bureaux. Dans le cas du fonctionnaire s'estimant lésé, en raison d'un conflit majeur au bureau de l'est de Toronto (des allégations de harcèlement de sa part), il avait décidé de l'affecter à l'Unité postsentencielle, puis au CCC Keele. C'est là que le fonctionnaire s'estimant lésé a été inscrit à un programme d'apprentissage cognitif des compétences, commandité par le Service, sous les auspices de deux physiologues, sans toutefois être agréé à la fin du cours. M. Orr a décidé alors de l'affecter au bureau de Corcan, puisque le fonctionnaire se séparait de sa femme : il craignait de le brûler en le réaffectant à des tâches d'agent de libération conditionnelle. Cette affectation au bureau de Corcan était un nouveau défi et une nouvelle chance pour le fonctionnaire s'estimant lésé, qui allait être le gestionnaire responsable des conseillers pendant une période de deux ans, dans le cadre d'une initiative de programme.

[49]   Dans son témoignage, M. Orr a décrit une conversation téléphonique qu'il avait eue avec M. Van Rosen, le gestionnaire responsable du bureau de Corcan, qui éprouvait des difficultés quant à la gestion du programme et d'autres problèmes en milieu de travail mettant en cause le fonctionnaire s'estimant lésé. M. Orr a recommandé à M. Van Rosen de préparer un « rapport d'évaluation du rendement » (RER). Le RER en question (pièce E-23) concluait que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas atteint plusieurs de ses objectifs, notamment en matière d'attitude, de travail d'équipe, de bonnes relations professionnelles avec les membres du personnel, de recrutement, de perfectionnement et de déploiement du personnel ainsi que d'encouragement d'un milieu de travail positif et productif, de même qu'en matière de contrôle des programmes et de formulation de politiques. Le fonctionnaire s'estimant lésé ne souscrivait pas à ce RER; il a refusé de le signer. Son affectation au bureau de Corcan a pris fin après un an et, comme on avait besoin d'un agent de libération conditionnelle au bureau du centre-ville, il a été affecté là. M. Orr a déclaré que la lettre de suspension pendant l'enquête disciplinaire n'avait pas pu être remise au fonctionnaire s'estimant lésé puisqu'il n'avait toujours pas signé le registre de pointage (le registre) indiquant ses allées et venues. Cela posait un problème de sécurité, et quand Mme Gravel a communiqué avec le fonctionnaire s'estimant lésé pour qu'il revienne à son lieu de travail, il s'était blessé au dos; la lettre lui a donc été envoyée par courrier recommandé, mais elle a été retournée à l'expéditeur, parce que le fonctionnaire avait déménagé.

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

[50]   Ken Boone travaille au Service depuis juillet 1974, à titre d'agent de libération conditionnelle. Son affectation la plus récente était au bureau de l'est de Toronto, où il était chargé de 20 à 29 dossiers à la fois. Depuis novembre 2000, il est affecté à d'autres tâches.

[51]   En sa qualité d'agent de libération conditionnelle, M. Boone est responsable de la supervision dans la communauté, de l'évaluation des plans de libération, des entrevues, de la collecte de renseignements pour les évaluations communautaires, etc. La région ou l'établissement où le délinquant souhaite être réinstallé exigent ces évaluations, qui pourraient avoir pour résultat ultime :

  1. une conclusion que le délinquant ne peut pas être libéré;

  2. une conclusion que la destination que le délinquant préférerait n'est pas acceptable;

  3. une recommandation de l'envoyer dans une maison de transition ou au CCC Keele;

  4. une recommandation à la Commission nationale des libérations conditionnelles de ramener le risque à un niveau acceptable.

[52]   Les évaluations communautaires sont présentées dans des rapports comme la « Stratégie communautaire » ou le « Suivi du plan correctionnel », qui sont introduits dans le SGD. La tâche de les effectuer est confiée aux agents de libération conditionnelle par leurs surveillants.

[53]   Le Service a eu recours à l'Opération Retour à l'essentiel pour tenter de simplifier le travail de préparation et de gestion des dossiers; c'était au printemps de 1999.

[54]   M. Boone a déclaré que les agents de libération conditionnelle avaient été formés en deux ou trois séries de cours exhaustifs, mais que, en raison de son âge, il n'avait pas vraiment embarqué dans le processus. Néanmoins, il avait accepté d'y participer. Le processus a eu des répercussions dans le milieu de travail en raison du caractère rigide des rapports, mais il a cependant aidé les agents à « mettre les points sur les i ». Quand les agents ont fini leurs rapports, le surveillant en prend connaissance et les « verrouille », ce qui signifie qu'il les introduit en version finale dans le SGD. Cela dit, tant que les rapports n'ont pas été verrouillés par un surveillant, n'importe quel agent de libération conditionnelle peut y avoir accès.

[55]   Le témoin a déclaré avoir reçu une formation sur le SGD dans les années 90; il a précisé qu'il passe 80 p. 100 de son temps à travailler avec ce système. Par exemple, quand un collègue est absent en congé de maladie, il peut le consulter pour lui. De même, à quelques rares occasions, après avoir reçu un appel de la police au sujet d'un délinquant dans le secteur, il lui est arrivé de consulter le SGD pour vérifier si le délinquant était autorisé à être là. De même, lorsqu'un délinquant à risque élevé est libéré, il peut arriver que M. Boone communique avec le CCC Keele pour vérifier s'il correspond au profil. Il lui arrive aussi à l'occasion de consulter des dossiers sur support papier au Service des dossiers, en demandant les rapports au commis et en signant sur la chemise pour attester qu'il a sorti les dossiers. Enfin, s'il a un trou de mémoire, il est possible qu'on lui dise de demander l'aide d'un autre agent de libération conditionnelle.

[56]   En ce qui concerne la pièce E-8, sur le programme de formation du Service, M. Boone a témoigné se souvenir d'avoir participé au programme, sans toutefois pouvoir dire à quelle date. Il se rappelait avoir entendu l'expression « besoin de savoir » au printemps 2000, quand un gestionnaire de secteur l'avait accusé d'avoir consulté un dossier, en exigeant qu'il dise pour quelle raison. M. Boone lui avait prouvé qu'il avait supervisé le délinquant en question; c'est la première fois qu'il se rappelle avoir entendu parler du « besoin de savoir ». Il pensait que c'était une règle locale du bureau de l'est de Toronto et n'était pas convaincu qu'elle s'appliquait dans l'ensemble du Service.

[57]   M. Boone a déclaré que la pièce E-19, intitulée Sécurité des renseignements et des biens, ne lui a été signalée qu'une semaine avant le début de l'audience.

[58]   Dans son témoignage, M. Boone a déclaré avoir assisté le 25 janvier 2001, avec M. Niemann et le fonctionnaire s'estimant lésé, à une rencontre au cours de laquelle ce dernier a été interrogé au sujet des 12 dossiers consultés le 15 novembre 2000. M. De Lisa avait alors admis avoir consulté ces dossiers. On avait organisé une autre rencontre à laquelle M. Boone devait assister avec MM. Orr, Kelly et Browne ainsi que le fonctionnaire s'estimant lésé, mais celui-ci a présenté un certificat médical déclarant que, pour des raisons médicales, il ne pouvait pas rencontrer M. Orr. Néanmoins, M. Kelly a entamé la discussion en présence de M. Orr. M. Boone a ensuite témoigné que Mme Miller avait refusé par deux fois de rencontrer le fonctionnaire s'estimant lésé.

[59]   M. Boone n'a pas été contre-interrogé par l'avocate de l'employeur.

[60]   Alec Browne travaille depuis 29 ans au Service. D'avril à décembre 2000, il était affecté au bureau du centre-ville, après quoi, de décembre 2000 à juillet 2001, il était au CCC Keele; à la fin de juillet 2001, il est retourné au bureau du centre-ville.

[61]   M. Browne a témoigné qu'il gérait environ 25 dossiers, mais que la norme au CCC Keele serait d'une dizaine de dossiers, alors que les agents de libération conditionnelle du bureau du centre-ville en ont typiquement à peu près 18. Au CCC Keele, les agents travaillent avec des délinquants à risque élevé qu'ils devraient voir au moins une fois par semaine, voire une fois par jour. Par contre, au bureau du centre-ville, les agents ont affaire à toute la gamme des délinquants, dont certains à risque élevé, quoiqu'ils soient en général à faible risque.

[62]   Au sujet du SGD, M. Browne a déclaré avoir reçu de la formation, mais essentiellement de la formation sur le tas, dispensée par le collègue avec qui il faisait équipe; il a un mot de passe. À son avis, l'Opération Retour à l'essentiel a pour effet de traiter la preuve exactement comme avant, mais le processus est plus laborieux, puisqu'il change constamment. Dans le passé, il a demandé à d'autres agents de libération conditionnelle de l'aider au besoin; les collègues lui donnaient alors le nom d'un délinquant, après quoi il pouvait consulter son dossier dans le SGD ou signer pour en sortir une version sur support papier du Service des dossiers.

[63]   M. Browne a témoigné qu'il aurait aucune difficulté à travailler de nouveau avec le fonctionnaire s'estimant lésé, puisqu'ils avaient bien fonctionné ensemble dans le passé.

[64]   Ce témoin n'a pas été contre-interrogé.

[65]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné en disant que, le 8 janvier 2001, il a reçu une lettre de suspension par courrier recommandé.

[66]   Le fonctionnaire s'estimant lésé avait dit à Mme Gravel qu'il était surchargé de travail, en lui expliquant comment les choses avaient changé depuis qu'on lui avait confié des dossiers de délinquants et qu'il avait besoin de formation pour se reporter aux IP afin de les interpréter dans le contexte de son travail.

[67]   Au sujet de sa surveillante, le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré n'avoir jamais eu de problèmes avec Mme Miller. Il l'a connue dans les années 80, alors qu'il était le président de la section locale du syndicat et qu'elle en était membre. Il a témoigné que Mme Miller lui paraissait amicale au début de son affectation au bureau du centre-ville, mais qu'elle a commencé peu de temps après à lui retourner ses rapports en exigeant des explications. Elle lui disait : [traduction] « Tu feras les modifications avant que je les verrouille. »

[68]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré avoir eu d'autres démêlés avec Mme Miller, notamment en ce qui concerne la signature du registre de pointage, l'utilisation d'un téléphone cellulaire et les procédures de bureau. Il a raconté que, le 20 octobre, il avait rencontré Mme Miller dans le bureau de celle-ci en soulevant certaines questions qu'il croyait légitimes, par exemple comment le fait de signer un registre de pointage allait le protéger en cas de danger. En d'autres termes, même si la direction était au courant de ses allées et venues, cela ne le protégeait nullement. En outre, il a dit qu'il n'avait pas de téléphone cellulaire alors que d'autres agents de libération conditionnelle en avaient un, en concluant que cela ne lui semblait pas équitable et posait des problèmes de sécurité. Il a discuté d'autres questions avec Mme Miller, comme d'un horaire hebdomadaire variable, ce qu'elle a approuvé, et leur rencontre a pris fin. Il a déclaré que, comme il quittait la pièce, Mme Miller lui a semblé perturbée. Il lui a dit : [traduction] « Allons-nous avoir un problème? » Elle a répondu : [traduction] « Me fais-tu des menaces? » et Mme Miller est alors partie voir Mme Gravel.

[69]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré que, comme il n'avait jamais travaillé auparavant pour Mme Miller, il pensait que c'était peut-être son comportement normal.

[70]   Le 26 octobre et le 2 novembre, des rencontres ont été organisées entre M. Boone, Mme Gravel et le fonctionnaire s'estimant lésé, mais Mme Miller n'y a pas assisté. Le fonctionnaire s'estimant lésé a demandé alors à Mme Gravel s'il pourrait relever d'un autre surveillant; elle lui a répondu qu'elle allait y réfléchir, en lui disant aussi qu'il était censé recevoir de la formation dans le cadre de l'Opération Retour à l'essentiel le 8 janvier 2001.

[71]   Rob Campney est devenu, temporairement, le surveillant du fonctionnaire s'estimant lésé. M. De Lisa connaissait M. Campney et il n'avait pas de problèmes avec lui; en fait, il l'avait trouvé serviable. Il a déclaré avoir informé M. Campney qu'il allait naviguer dans le SGD pour préparer plus facilement ses évaluations communautaires; M. Campney a simplement haussé les épaules, puis il est parti.

[72]   M. De Lisa a admis avoir consulté les 12 dossiers du SGD le 15 novembre 2000, en disant qu'il ne pouvait pas se rappeler le nom des délinquants en question. Il a déclaré qu'une des évaluations communautaires qu'on lui avait confiée concernait un délinquant qui devait être envoyé au CCC Keele et qu'il avait déjà consulté des dossiers du SGD qui ne lui avaient pas toujours été confiés, parce que le SGD n'est pas simplement un [traduction] « outil de consultation, mais aussi un outil de recherche. »

[73]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné que, puisqu'il devait envoyer son évaluation communautaire à la Commission nationale des libérations conditionnelles, il devait présenter des arguments logiques, en affirmant qu'il s'était servi des dossiers en question comme documents de référence. En fait, pendant qu'il travaillait au bureau de Corcan, il avait consulté des centaines de dossiers dans le SGD et même s'il n'était pas chargé de dossiers de délinquants là, la consultation des dossiers était liée à son travail.

[74]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a admis avoir signé la pièce E-7, attestant qu'il avait reçu la Trousse d'information sur la formation, en mai 1983. Toutefois, en ce qui concerne le principe du « besoin de savoir » (pièce E-8), il a dit que personne ne lui avait jamais précisé, que ce soit oralement ou par écrit, qu'il était inacceptable de consulter le SGD. Il a déclaré qu'il pensait que le SGD avait été introduit au début des années 90, en précisant qu'il avait reçu une certaine formation et qu'il avait donc pu obtenir un mot de passe et les instructions nécessaires pour y accéder, mais que ça s'arrêtait là.

[75]   Quand il a consulté les 12 dossiers en question du SGD, le fonctionnaire s'estimant lésé s'est concentré sur ce qui était pertinent à son dossier, autrement dit les arguments et l'analyse. Dans certains cas, il y souscrivait, mais il a aussi ouvert d'autres dossiers dont les arguments et l'analyse ne lui convenaient pas. La façon la plus efficace de consulter ces dossiers-là consistait pour lui à se rendre en voiture au CCC Keele, puisqu'il y avait déjà travaillé et qu'il connaissait ce type de dossiers. D'autres fois, il discutait avec des collègues agents de libération conditionnelle qui lui donnaient des noms de délinquants, après quoi il pouvait consulter leurs dossiers dans le SGD. En d'autres termes, il avait bel et bien « besoin de savoir » pour faire son travail.

[76]   En contre-interrogatoire, le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré qu'il était absolument faux que son affectation au bureau de Corcan a pris fin pour des problèmes de rendement. Il a nié avoir signé, voire même vu le RER préparé par M. Van Rosen.

[77]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré ne pas se rappeler être allé au tableau du journal des véhicules de l'État avec Mme Miller, le 20 octobre 2000. Quand on l'a interrogé à ce sujet, il a répondu qu'il ne se rappelait pas et que, à moins qu'on puisse prouver le contraire, qu'il y avait seulement deux courriels (datés respectivement du 20 et du 24 octobre) déclarant que sa surveillante n'était pas au courant de ses allées et venues.

[78]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné qu'on ne lui avait pas confié une charge de travail facile : en fait, il avait de nombreux dossiers de délinquants à faible risque, quelques dossiers de délinquants à risque moyen et deux dossiers de délinquants à risque élevé, soit en tout de 15 à 25 dossiers, qui lui avaient été confiés par Mme Gravel.

[79]   Le fonctionnaire s'estimant lésé allègue que M. Campney a menti dans son témoignage en niant avoir été informé par lui qu'il allait naviguer dans le SGD, sur quoi M. Campney avait simplement haussé les épaules.

[80]   Quand le fonctionnaire s'estimant lésé a été invité à commenter la pièce E-19, intitulée Sécurité des renseignements et des biens, ainsi que le principe du « besoin de savoir », il a répondu qu'il en avait une idée, mais que, en 18 ans de service au Service, on ne les lui avait jamais expliqués. Il a aussi confirmé, en réponse à une question de l'avocate de l'employeur, qu'il comprenait ses responsabilités et qu'il savait quoi faire et ne pas faire dans le contexte de son travail.

[81]   Quand on l'a interrogé sur la lettre du 15 mars 2001 à M. Kelly (pièce E-2) dans laquelle il avait écrit [traduction] « Si c'était à refaire, je consulterais les mêmes dossiers pour pouvoir rédiger mes rapports », le fonctionnaire s'estimant lésé a confirmé que, même maintenant, il consulterait ces dossiers à moins qu'on le lui interdise. Quand on lui a demandé s'il regrettait ses actes, il a répondu : [traduction] « Non, mais je suis très frustré parce que je n'ai rien fait de mal en consultant ces dossiers. »

[82]   En réplique, le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné n'avoir jamais vu le RER (pièce E-23) et affirmé que personne ne lui a dit qu'il ne pouvait pas « fureter ». Il a expliqué qu'il ne naviguait pas dans le système, mais qu'il consultait des dossiers du SGD pour préparer ses évaluations et ses stratégies communautaires. En fait, quand il a consulté les dossiers au CCC Keele, de 30 à 40 dossiers sont apparus à l'écran avec la mention Système d'empreintes digitales (SED), avec le nom de famille et le prénom des délinquants. Il a alors précisé ses critères de recherche; les 12 dossiers sont apparus et il les a consultés parce qu'il avait un « besoin de savoir » justifiable, compte tenu des dossiers dont il était chargé au bureau du centre-ville.

[83]   Mme Miller a témoigné que, depuis sept ans, Rob Campney et elle-même étaient les seuls surveillants à confier des dossiers de délinquants aux agents de libération conditionnelle; ces dossiers n'ont jamais été confiés par un commis ou par Mme Gravel. Elle a été catégorique quant aux dossiers qu'elle confie au fonctionnaire s'estimant lésé, des dossiers de délinquants à faible risque qui avaient au départ été confiés à M. Browne; il y en avait 11. Elle n'a jamais confié au fonctionnaire s'estimant lésé des dossiers commerciaux, car ils étaient toujours traités par le CCC Keele; l'explication que le fonctionnaire s'estimant lésé a donnée pour justifier la consultation des arguments afin de s'en servir comme référence est illégale, puisqu'elle enfreint la Charte canadienne des droits et libertés. Mme Miller a aussi déclaré que, depuis le procès de Paul Bernardo/Karla Homolka, tous les agents de libération conditionnelle du Service ont reçu une lettre leur rappelant le principe du « besoin de savoir ».

Allégation (2) - Harcèlement d'une surveillante

Pour l'employeur

[84]   M. Kelly a témoigné que le fonctionnaire s'estimant lésé avait reçu une formation sur la conduite professionnelle et sur les relations avec les autres membres du personnel (pièce E-6), ainsi que sur le code de conduite applicable aux infractions dans le contexte des relations avec les autres membres du personnel (pièce E-9).

[85]   Comme nous l'avons vu dans l'allégation (1), à leur rencontre du 20 octobre 2000, le fonctionnaire s'estimant lésé et Mme Miller ont eu un affrontement (réel ou perçu) sur des questions professionnelles.

[86]   Dans une lettre datée du 31 octobre 200 (pièce E-20), Anna Foshay, registraire adjointe aux Services aux étudiants et à l'information de l'Université York, a déclaré avoir reçu le 26 octobre 2000 un appel téléphonique d'une personne qui voulait savoir si une dénommée Joanne Miller ou Joanne Fox avait obtenu un diplôme de l'Université. Le correspondant pensait que le deuxième prénom de l'intéressée commençait par la lettre G et savait qu'elle était mariée, mais ignorait sous quel nom elle aurait été inscrite dans les registres de l'Université. Comme le dossier de Mme Miller datait d'avant 1982, il n'était pas informatisé. Mme Foshay a déclaré à son interlocuteur qu'elle allait faire une recherche pour trouver les renseignements et qu'elle le rappellerait. Dans sa recherche, elle n'a rien trouvé sous « Fox », mais elle a trouvé une Joanne G. Miller qui avait fréquenté l'Université York sans avoir obtenu de diplôme. Elle en a informé son interlocuteur sans toutefois pouvoir se rappeler s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme, puisqu'elle ne conserve pas de notes sur les gens qui l'appellent pour obtenir confirmation des diplômes décernés par l'Université.

[87]   Toutefois, les renseignements que Mme Foshay avait communiqués à son interlocuteur étaient erronés. Quand Mme Miller a communiqué avec Pat Foulkes, le registraire adjoint aux Dossiers et au calendrier, Mme Foshay s'est fait demander de contre-vérifier les renseignements qu'elle avait donnés, et c'est à ce moment-là qu'elle s'est rendu compte qu'un certain nombre de dossiers d'étudiants dont le nom de famille commençait par « FO » avaient été mal classés aux archives et que le dossier de Joanne Fox était l'un d'eux. Elle a alors communiqué avec Mme Miller pour lui expliquer la situation et pour lui présenter des excuses.

[88]   Sheri Machan travaille pour les services d'emploi de Corcan depuis le 1er avril 2000, à titre d'administratrice du bureau. Corcan a notamment pour obligation d'encourager l'emploi de délinquants dans la communauté aussi bien que dans ses bureaux; en tant qu'administratrice du bureau, Mme Machan était responsable de son fonctionnement.

[89]   Mme Machan a témoigné avoir été reconnue coupable de meurtre au deuxième degré en 1984; elle a été condamnée à l'emprisonnement à perpétuité plus une période de dix ans. Elle a été remise en liberté après neuf ans, mais sera toujours en liberté conditionnelle. Dans le cadre de sa réhabilitation, elle a obtenu 11,5 crédits en psychologie de l'Université Queen's et quelques crédits en criminologie de l'Université de Waterloo.

[90]   Mme Machan a déclaré travailler de 9 h à 17 h et adorer son travail. Elle aime travailler avec les clients de Corcan parce qu'elle peut retourner l'ascenseur et qu'il est agréable d'aider quelqu'un. Elle travaille dans la communauté avec les Chevaliers de Colomb, Martha's Table, une organisation qui nourrit les démunis, et elle a un cercle à l'organisme de transition Diane Bulbous, qui réunit des délinquants pour les aider à se réintégrer dans la société. Elle assiste à de nombreuses conférences où elle prend la parole pour aider les femmes à trouver des emplois et elle est devenue active dans la communauté.

[91]   Mme Machan a témoigné que, en janvier 2000, après avoir été libérée de la maison de transition de Brampton, elle a rencontré le fonctionnaire s'estimant lésé pour postuler un emploi au bureau de Corcan. Après une entrevue avec M. Van Rosen et le fonctionnaire, elle a été embauchée. D'avril à septembre 2000, elle a eu une excellente relation professionnelle avec le fonctionnaire s'estimant lésé, disant qu'il savait écouter, qu'elle avait confiance en lui et qu'elle le respectait.

[92]   Mme Machan a déclaré que c'est vers la fin d'octobre 2000 que le fonctionnaire s'estimant lésé est venu la voir avec un répertoire téléphonique du SCC, en lui demandant si elle pouvait dactylographier quelques étiquettes pour lui. Elle a fait ce qu'il lui demandait. M. De Lisa avait aussi un disque compact et voulait se servir d'un des ordinateurs du bureau, mais aucun n'était libre à ce moment-là. Il a donc demandé à Mme Machan s'il pouvait se servir de l'ordinateur qui était dans son ancien bureau, mais elle lui a dit que cet ordinateur n'était plus là.

[93]   Mme Machan a déclaré avoir dit au fonctionnaire s'estimant lésé de lui remettre le disque compact afin qu'elle imprime le document pour lui. Elle a précisé que, comme elle ouvrait le fichier, le fonctionnaire s'estimant lésé lui a demandé de le prévenir avant qu'elle appuie sur la touche impression. (Comme l'imprimante est à l'extérieur du bureau de Mme Machan, il voulait y être quand le document en sortirait.) La témoin a pressé la touche d'impression; comme elle était sur le point de fermer le fichier, une lettre est apparue à l'écran : on pouvait y lire que Joanne Miller n'avait pas de diplôme universitaire, et Mme Machan a cru voir qu'on y donnait aussi un numéro 1-800. Elle a constaté que la lettre n'était pas signée et que le nom figurant sur le fichier était « j.m. ». Le fonctionnaire s'estimant lésé a repris le disque compact et il est parti.

[94]   Mme Machan est alors allée voir M. Elias Contantatos, un conseiller en emploi, parce qu'elle était très perturbée. Plus tard, M. Van Rosen a demandé à l'un de ses subordonnés, Bob Small, de vérifier sur le disque rigide pour trouver la lettre, mais sans succès.

[95]   Cet incident a rappelé à Mme Machan une rencontre qu'elle avait eue chez Druxy's avec le fonctionnaire s'estimant lésé avant que les lettres commencent à être livrées. À cette occasion, M. De Lisa avait déclaré avoir obtenu de M. Welsh, qui avait fréquenté Mme Miller, des renseignements permettant de douter qu'elle était titulaire d'un diplôme universitaire. Comme Mme Miller contestait ses rapports et les lui retournait, le fonctionnaire s'estimant lésé avait déclaré qu'il aurait peut-être à se servir de ces renseignements en temps opportun.

[96]   Mme Machan a témoigné qu'elle était très émotive à ce sujet et qu'elle a dû consulter un psychologue. Elle a aussi rencontré Mme Gravel, qui l'a informée de ne plus avoir de rapports avec le fonctionnaire s'estimant lésé en tant qu'agent de libération conditionnelle, puisque cela pourrait constituer un conflit d'intérêts.

[97]   Le 30 octobre 2000, la première lettre recommandée (portant le cachet postal du 27 octobre 2000) sur le fait que Mme Miller ne détenait pas de diplôme universitaire a été reçue au bureau du district central ainsi qu'à d'autres endroits (pièce E-10). Elle se lit comme il suit :

[Traduction]

[. . .]

Le Bureau du registraire de l'Université York a confirmé que Joanne Miller, née Fox, n'a jamais obtenu de diplôme universitaire, alors qu'il s'agit d'une exigence pour occuper le poste de surveillante de liberté conditionnelle.

C'est un comportement frauduleux de la part de Mme Miller. On s'attend à ce que le SCC prenne les mesures qui s'imposent.

Anonyme

[. . .]

[98]   La pièce E-22 est une photocopie d'une étiquette d'adresse apposée sur une enveloppe adressée à M. Orr. Mme Machan l'a identifiée comme l'une des étiquettes qu'elle avait dactylographiées pour le fonctionnaire s'estimant lésé. Elle porte les inscriptions suivantes :

[Traduction]

Service correctionnel du Canada
District du centre de l'Ontario
A/S : Derek Orr
180, rue Dundas Ouest
2e étage, bureau 215
TORONTO (Ont)
M5G 1Z8

[99]   Mme Machan a témoigné qu'elle était absolument certaine d'avoir dactylographié cette étiquette, d'abord parce qu'elle était de format 2 po sur 4 po, puis qu'elle tape A/S en lettres majuscules et enfin qu'elle ne se conforme pas aux lignes directrices de Postes Canada pour l'inscription du code postal, qu'elle met sous le nom de la ville. Elle a déclaré que ce n'est pas conforme aux règles, mais qu'elle continue à le faire de cette façon par habitude (le code postal devrait figurer deux espaces à droite du nom de la province, avec un espace entre les trois premiers et les trois derniers caractères).

[100]   L'avocate de l'employeur a demandé à Mme Machan si la pièce E-11 était identique à la lettre (pièce E-10) qu'elle avait imprimée pour le fonctionnaire s'estimant lésé. La témoin a confirmé que la lettre était la même, parce qu'elle se souvenait particulièrement bien du troisième paragraphe; elle avait l'impression que la lettre contenait un numéro 1-800, mais c'était en fait un numéro précédé de l'indicatif régional 416, et la lettre n'était pas signée. La pièce E-11 se lit comme il suit :

[Traduction]

Cette lettre a tout simplement pour but de réparer une injustice. Le Bureau du registraire de l'Université York a confirmé que Joanne Miller, née Fox, n'a jamais obtenu de diplôme universitaire, alors que c'est une exigence fondamentale pour occuper un poste de surveillant de liberté conditionnelle. Jusqu'à ces derniers temps, le SCC n'obligeait pas les postulants à produire leur diplôme. Ce comportement de Mme Miller est donc frauduleux.

Le SCC, et particulièrement le sous-commissaire, le directeur de district, le directeur de secteur et la Gestion des ressources humaines ont été informés de la situation il y a plusieurs jours. On s'attend à ce que les mesures qui s'imposent soient prises. Jusqu'à présent, rien n'est arrivé. Le SCC n'a qu'à faire enquête pour découvrir la vérité.

Quiconque souhaite vérifier si ce qui précède est vrai peut communiquer avec l'Université York en composant le numéro de la ligne d'information du public, le (416) 736-2100.

Ces renseignements sont communiqués afin que des pressions soient faites pour dénoncer la malhonnêteté de Mme Miller.

Anonyme

[101]   Mme Machan a témoigné que, par suite de ces événements mettant en cause le fonctionnaire s'estimant lésé, elle a dû consulter un psychologue pendant six mois pour maîtriser ses émotions.

[102]   En contre-interrogatoire, Mme Machan a reconnu que la pièce E-11 ressemblait à la lettre qu'elle avait vue à son écran d'ordinateur, sans toutefois pouvoir affirmer qu'elle était exactement identique. Quand les questions sont devenues plus insistantes, elle a confirmé qu'elle n'était pas sûre que c'était le fonctionnaire s'estimant lésé qui avait envoyé cette lettre.

[103]   En réplique, Mme Machan a reconnu que c'était le fonctionnaire s'estimant lésé qui lui avait demandé d'imprimer une lettre déclarant que Mme Miller n'avait pas de diplôme universitaire, ainsi que les étiquettes des enveloppes.

[104]   Mme Miller a témoigné avoir d'abord entendu parler de la lettre qui la discréditait en contestant son diplôme (pièce E-10) par Mme Gravel, qui l'avait convoquée dans son bureau pour lui demander si elle avait un diplôme universitaire. Mme Miller est alors allée dans son bureau pour chercher son diplôme, un baccalauréat en psychologie qu'elle a obtenu en 1975 à l'Université York. Ensuite, elle est allée voir M. Orr, qui avait reçu la lettre anonyme et qui a été soulagé d'apprendre que Mme Miller était bel et bien titulaire d'un diplôme.

[105]   Mme Miller a déclaré avoir d'abord voulu en rire, mais s'être sentie ensuite offensée que quelqu'un tente de salir sa réputation. Elle a téléphoné à Mme Foshay, qui lui a expliqué que quelqu'un avait téléphoné pour s'informer de ses diplômes, en lui expliquant le malentendu.

[106]   Mme Miller a déclaré que, après avoir téléphoné à Mme Foshay, elle a constaté que le cachet postal de l'enveloppe était celui du bureau de poste de l'Atrium at Bay, tout près de son bureau. Elle s'est rendue au bureau de poste avec deux collègues (Steve McIntyre et Doug Ducharme), dans l'espoir que l'expéditeur aurait été filmé ou qu'elle pourrait en obtenir une description du préposé au comptoir. Elle a été déçue à ces deux égards.

[107]   La pièce E-21 est un courriel daté du 7 novembre 2000 que Catherine St. Aubin a envoyé à Mme Miller pour l'informer qu'une lettre (pièce E-11) avait été reçue par un agent de libération conditionnelle à Hamilton. Cet agent n'avait aucune idée de la raison pour laquelle on lui avait envoyé la lettre. C'est à peu près à ce moment-là que d'autres lettres anonymes ont été reçues à Hamilton et au bureau du centre-ville de Toronto. M. Campney a commencé à intercepter les enveloppes en les recueillant chez le commis responsable du courrier avant qu'elles ne soient livrées.

[108]   Mme Miller a témoigné que tous ceux que M. Campney et elle-même surveillaient avaient reçu une lettre, sauf le fonctionnaire s'estimant lésé. Elle a déclaré qu'elle commençait à s'inquiéter énormément, puisqu'il y avait maintenant deux lettres et que leur ton - et les menaces implicites qu'elles véhiculaient - avaient de quoi la troubler.

[109]   Dans son témoignage, Mme Miller a précisé que, en compagnie de M. Orr, elle avait rencontré l'inspecteur Mike Fedeninco, qui lui avait recommandé de s'adresser à l'Unité des agressions sexuelles et d'évaluation des risques de Metro Toronto. Les deux détectives qui ont interrogé Mme Miller dans ce contexte lui ont dit qu'il y avait des risques, et qu'elle pouvait porter une accusation contre le fonctionnaire s'estimant lésé, ou le dénoncer. Les enveloppes récupérées ont été examinées, pour voir si l'on pourrait y trouver des empreintes digitales permettant d'identifier l'expéditeur, mais cela s'est révélé impossible.

[110]   Mme Miller a témoigné qu'il n'y avait pas eu d'autres lettres de menaces ou d'excuses.

[111]   Le 9 novembre 2000, M. Boone a envoyé un courriel aux membres de la section locale 00079 (pièce G-1) dans lequel il déclarait condamner l'envoi de lettres anonymes, en se disant décidé à faire en sorte que le milieu de travail devienne et reste sans harcèlement.

[112]   M. Niemann a témoigné que, pendant son enquête, il avait interrogé Mme Machan, M. Elias Contantatos, Mme Miller, Mme Foshay, Mme Gravel et le fonctionnaire s'estimant lésé. Il a confirmé que, après l'incident au sujet duquel Mme Machan a témoigné notamment sur les étiquettes qu'elle avait dactylographiées et la lettre qu'elle avait imprimée, il avait interrogé M. Contantatos, qui avait corroboré le témoignage de Mme Machan en disant qu'elle lui avait parlé de l'incident et qu'elle était très perturbée. Quand M. Niemann a interrogé Mme Foshay, elle lui a dit qu'il n'y avait eu qu'un appel à l'Université York au sujet du diplôme de Mme Miller et que, après qu'elle eut communiqué les renseignements erronés, tous les appels concernant Mme Miller lui ont été acheminés. Après avoir reçu les lettres anonymes, plusieurs agents de libération conditionnelle ont téléphoné pour vérifier si Mme Miller était bien titulaire d'un diplôme. Un interlocuteur masculin a dit se nommer Jeff Smith. (Pourtant, c'est le numéro de téléphone du fonctionnaire s'estimant lésé qui avait paru à l'afficheur.)

[113]   L'enquête de M. Niemann a révélé que M. Welsh, l'ancien collègue du fonctionnaire s'estimant lésé, avait lui aussi téléphoné plusieurs fois pour essayer d'obtenir de l'information; au début de janvier, M. Welsh et le fonctionnaire s'estimant lésé étaient allés à l'Université York pour vérifier si Mme Miller avait un diplôme. Quand la préposée a refusé de collaborer avec eux, M. De Lisa a menacé de l'assigner pour obtenir l'information qu'il voulait. Il était certain d'avoir obtenu les bons renseignements et disait qu'il allait se faire aider dans son enquête par un policier dont il refusait de donner le nom. Comme il n'avait pas pu avoir accès à l'information qu'il voulait, il s'est rendu à la Bibliothèque Scott pour faire des recherches dans les registres de collation des grades. Il n'a toutefois jamais trouvé de mention d'un diplôme d'études supérieures de Mme Miller, puisqu'il cherchait un diplôme décerné à Joanne Miller plutôt qu'à Joanne Fox, le nom de jeune fille de cette dernière.

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

[114]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné avoir embauché Mme Machan, en disant que son entrevue de sélection s'était bien déroulée même s'il avait des réserves quant à son dossier. C'était une bonne travailleuse, mais, dans certaines relations, il pouvait arriver des problèmes, puisque la dynamique était complexe.

[115]   M. De Lisa a déclaré avoir eu des rencontres avec des employés dans des circonstances spéciales, mais que, en sa qualité d'agent de libération conditionnelle, il se conduisait de façon professionnelle, en se rappelant d'abord et avant tout que l'employée était une délinquante. En ce qui concerne la rencontre chez Druxy's avec Mme Machan, il a dit n'avoir jamais discuté de quoi que ce soit.

[116]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré que Mme Machan se trompait en témoignant qu'elle avait dactylographié des étiquettes pour lui. Au sujet du disque compact qu'il lui aurait remis, d'après elle, il a déclaré lui avoir effectivement remis un disque, mais pas au moment où elle l'avait dit. Si Mme Machan avait vu une lettre mentionnant le nom de Mme Miller, c'est probablement parce que Miller est un nom très répandu et aussi parce que le nom de Mme Miller figure dans bien des documents.

[117]   En ce qui concerne la pièce E-11, la lettre anonyme, le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré savoir de quoi il s'agissait même s'il n'en avait jamais reçu de copie, pas plus que son voisin immédiat, Joe Daoust, un autre agent de libération conditionnelle, ni d'ailleurs que M. Browne. Il a poursuivi en disant : [traduction] « Je n'étais pas offusqué de n'en avoir jamais reçu de copie. Franchement, je m'en fichais complètement, parce que c'était une lettre anonyme et que, à ce moment-là, je relevais de M. Campney plutôt que d'elle. »

[118]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré que, en rétrospective, ce n'était pas une bonne idée de se présenter à l'Université York. Il a toutefois déclaré que la direction cherchait un bouc émissaire et que c'était comme si quelqu'un avait laissé tomber un coffre-fort sur sa tête. Il était confus et perturbé. Il a ajouté qu'il avait décidé de trouver des réponses et nié avoir téléphoné à l'Université York en octobre.

[119]   M. De Lisa a aussi déclaré qu'il n'avait absolument rien à voir avec la préparation ou l'envoi de l'une ou l'autre des lettres anonymes (pièces E-10 et E-11).

[120]   Il a terminé son témoignage en disant qu'au cours de ses 18 ans au Service, il avait reçu plusieurs prix et citations pour son travail exceptionnel (pièces G-4 à G-7). Il a déclaré qu'il aimerait absolument retourner au travail, parce qu'il aime son travail et apprécie ses collègues.

[121]   En contre-interrogatoire, l'avocate de l'employeur a demandé au fonctionnaire s'estimant lésé si son affectation au bureau de Corcan avait pris fin à cause de son rendement. Il a répondu que non et a même nié avoir lu ou signé son RER.

[122]   Toujours en contre-interrogatoire, le fonctionnaire s'estimant lésé a admis s'être rendu à l'Université York ainsi qu'à la Bibliothèque Scott pour consulter les registres de collation des grades. Il a admis aussi avoir téléphoné une fois à l'Université, mais pas plusieurs fois, comme l'avocate de l'employeur l'a laissé entendre. Il a dit avoir téléphoné à l'Université simplement par curiosité, puisque des amis à lui relevaient de Mme Miller.

[123]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a admis avoir témoigné pour M. Welsh dans une audience d'arbitrage de grief. Bien qu'il ait été question à cette occasion du fait que M. Welsh n'avait pas de diplôme universitaire, le fonctionnaire n'était à l'audience que pour témoigner sur la question des vérifications.

[124]   Quand on lui a demandé s'il avait déjà écopé de mesures disciplinaires, le fonctionnaire s'estimant lésé a répondu que non. L'avocate de l'employeur lui a alors rappelé un incident concernant l'envoi de courriels menaçants à un superviseur (Tony Lombardo), ce à quoi M. De Lisa a répliqué que l'incident était arrivé en 1996, et que la mesure disciplinaire avait été annulée au quatrième palier de la procédure de règlement des griefs. L'avocate de l'employeur a souligné que M. Orr avait signé la lettre disciplinaire, puisque le Service avait conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé s'était rendu coupable de harcèlement.

[125]   L'avocate de l'employeur a aussi rafraîchi la mémoire du fonctionnaire s'estimant lésé quand il a dit ne pas se rappeler s'être servi sans autorisation du téléphone du gouvernement au bureau de Corcan, en 1999, pour avoir accès à des numéros 1-900. Il a alors répondu qu'il s'agissait d'une erreur de Bell Canada, qu'il avait payé les frais exigés et qu'on ne lui avait pas imposé de sanction.

[126]   La représentante du fonctionnaire s'estimant lésé s'est objectée à la mention du grief de 1996 sur l'affaire de harcèlement, puisqu'en parler contrevenait à la clause 17.05 de la convention collective du groupe Service des programmes et de l'administration.

Plaidoiries

Allégation (1) - Accès non autorisé à des dossiers du SGD

Pour l'employeur

[127]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a admis avoir consulté 12 dossiers de délinquants à risque élevé au CCC Keele pendant qu'il travaillait au bureau du centre-ville, où il était chargé de dossiers à faible risque. Les dossiers consultés ne faisaient pas partie de sa charge de travail.

[128]   Mme Miller a témoigné qu'elle avait confié au fonctionnaire s'estimant lésé une charge de travail moins lourde et plus facile que celle des autres agents de libération conditionnelle, en raison de la courbe d'apprentissage. M. Campney, pour sa part, a témoigné que les dossiers que le fonctionnaire s'estimant lésé avait consultés sans autorisation n'étaient pas liés à sa charge de travail, qu'il lui avait donné des IP, lui avait prodigué son aide et l'avait même aiguillé vers d'autres agents de libération conditionnelle d'expérience pour qu'ils puissent l'aider, ou lui avait recommandé de se servir des copies des dossiers sur support papier conservés aux archives. Mme Miller a aussi déclaré qu'elle avait été la seule personne à confier des dossiers aux agents de libération conditionnelle au cours des sept dernières années, et que les dossiers confiés au fonctionnaire s'estimant lésé n'étaient pas du CCC Keele.

[129]   L'avocate de l'employeur déclare que la seule explication que le fonctionnaire s'estimant lésé a donnée à M. Niemann au cours de l'enquête (ainsi que dans sa lettre du 15 mars 2001 à M. Kelly) revient à déclarer qu'il était autorisé à consulter les dossiers en question, puisque M. Campney avait simplement haussé les épaules quand il lui avait dit qu'il allait naviguer dans le SGD. Elle souligne que ce n'est pas avant que M. Campney eut nié ses dires à l'audience que le fonctionnaire s'estimant lésé a changé sa version pour maintenir qu'il avait consulté les dossiers afin de prendre connaissance des rapports d'évaluation communautaire. Si c'était la véritable raison de son comportement, pourquoi ne l'a-t-il pas expliqué au moment de l'enquête?

[130]   Me Champagne déclare aussi que la consultation des 12 dossiers dans le SGD constitue une infraction évidente de toutes les IP, du Code de conduite professionnelle, du Code de discipline et des politiques sur la sécurité du Service. Elle affirme de plus que le fonctionnaire s'estimant lésé a reconnu avoir reçu une formation (pièce E-8) et signé pour attester qu'il avait reçu les politiques sur le « besoin de savoir », qui n'ont pas changé depuis 1983.

[131]   L'avocate précise en outre que le principe du « besoin de savoir » est essentiel pour le Service en raison du caractère délicat de ses dossiers du point de vue tant du public que des délinquants, et que les problèmes de sécurité que cela implique sont énormes. L'employeur a le droit de s'attendre à ce qu'un fonctionnaire comptant 18 ans au Service se conforme aux principes du « besoin de savoir ».

[132]   La mise en ouvre du SGD n'a rien changé en ce qui concerne les politiques du Service ou ses attentes d'intégrité et de professionnalisme à l'égard de son personnel. Le SGD n'est qu'un outil technique pour faire le travail. Mme Miller et M. Kelly ont tous deux témoigné que la politique de sécurité et le principe du « besoin de savoir » ont toujours été les mêmes dans le SGD. C'est pour cette raison que le Service consacre tant de temps à la formation de son personnel. Le Service a envoyé des lettres à chacun de ses fonctionnaires à la suite du procès de Paul Bernardo, pour leur rappeler sa politique sur la consultation des dossiers et sur le « besoin de savoir ».

[133]   L'employeur ne peut suivre son personnel pas à pas à chaque minute; il s'attend à ce que les fonctionnaires aient du bon sens et se conforment aux procédures et aux politiques de travail, en tenant compte des avertissements qu'on leur fait avant d'entrer dans le SGD.

[134]   Me Champagne précise que de nombreux éléments de preuve ont été déposés et que M. Campney a témoigné qu'il n'avait pas autorisé le fonctionnaire s'estimant lésé à consulter les dossiers en question ni à naviguer dans le SGD, en haussant les épaules ou en ne disant rien sur ce point.

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

[135]   La représentante du fonctionnaire s'estimant lésé déclare que l'employeur n'a pas prouvé sa thèse et que le licenciement n'est pas justifié. L'employeur n'a pas licencié le fonctionnaire s'estimant lésé parce qu'il avait divulgué des renseignements à une source de l'extérieur (pièce E-6, règle 6, « Échange de renseignements ») parce qu'il ne pouvait pas le faire et qu'il n'a pas démontré que M. De Lisa avait été en rapport avec l'auteur de l'article du Toronto Sun. En fait, l'employeur a clairement établi que l'article paru dans le Toronto Sun (pièce E-1) a déclenché le processus relatif à l'accès aux dossiers du SGD, mais le Service a élargi la question, en faisant trois allégations dont une qui ne m'a pas été soumise.

[136]   Mme Robinson-Wilson maintient que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a jamais nié avoir consulté 12 dossiers du SGD le 15 novembre 2000. Il ne se rappelait pas les noms des délinquants et, comme il avait un mot de passe, il avait consulté de 30 à 40 dossiers au CCC Keele, après quoi il avait précisé ses critères de recherche afin de se servir des dossiers en question comme références pour préparer ses évaluations communautaires. La consultation des dossiers était donc justifiée puisque, dans son témoignage, le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré qu'il avait « besoin de savoir » pour son travail.

[137]   Mme Miller a témoigné qu'elle était responsable de la répartition de tous les dossiers avant de les confier aux agents de libération conditionnelle. Comme elle n'était pas officiellement la surveillante du fonctionnaire s'estimant lésé, il est possible qu'on lui ait confié un dossier de délinquant à risque élevé en son absence. L'employeur n'a pas produit de liste des dossiers sur lesquels le fonctionnaire s'estimant lésé travaillait.

[138]   La représentante du fonctionnaire s'estimant lésé déclare en outre que la charge de travail du fonctionnaire était écrasante, après trois ans d'affectation puis un retour au travail, et que les problèmes qu'il éprouvait avec Mme Miller n'avaient fait qu'exacerber la difficulté de la transition. Sa relation avec M. Campney était plus aidante; M. De Lisa avait parlé avec d'autres agents de libération conditionnelle qui lui avaient donné des noms de délinquants pour qu'il puisse consulter des dossiers dans le SGD afin de se faciliter la tâche.

[139]   Mme Robinson-Wilson souligne que MM. Boone et Browne ont tous deux témoigné qu'ils consultaient des dossiers du SGD dans l'exercice de leurs fonctions et qu'ils parlaient aussi à d'autres agents de libération conditionnelle qui leur donnaient les noms dont ils pouvaient avoir besoin pour préparer leurs évaluations communautaires, et ainsi de suite. Elle affirme aussi que M. Campney a reconnu que consulter le SGD était légitime, à condition que le surveillant le sache et qu'il y a consente. Le 15 novembre 2000, le fonctionnaire s'estimant lésé se conformait à cette pratique quand il est entré dans le SGD pour préparer ses rapports. Pendant son enquête, M. Niemann a parlé à tout le monde de ces accès au SGD, en précisant dans son rapport que d'autre membres du personnel y avaient consulté des dossiers eux aussi, mais en concluant qu'ils avaient le droit de le faire puisqu'ils travaillaient au CCC Keele; l'enquête sur ces personnes n'est pas allée plus loin.

[140]   Mme Robinson-Wilson maintient que, si nous acceptons la preuve, la seule chose répréhensible que le fonctionnaire s'estimant lésé a faite, c'est de consulter des dossiers à un autre endroit qu'à son bureau du centre-ville. Il ne furetait pas, ne naviguait pas et ne portait pas atteinte à la vie privée de qui que ce soit, puisqu'il consultait des dossiers parce qu'il avait besoin de savoir ce qu'ils contenaient pour préparer ses rapports. Consulter des dossiers de cette façon ne diffère pas du fait de demander à un collègue d'expérience le nom d'un délinquant qui pourrait être pertinent pour le cas traité, pour ensuite consulter son dossier dans le SGD ou prendre connaissance des versions sur support papier des rapports.

[141]   La représentante du fonctionnaire s'estimant lésé soutient en outre que le fonctionnaire n'a pas enfreint la règle 6 (pièce E-6), parce qu'elle s'applique implicitement à la divulgation de renseignements, alors qu'il ne s'agit pas de cela en l'espèce. Il n'a pas non plus enfreint la règle 6 de la pièce E-9, le Code de discipline. À la page 11 de la pièce E-19, intitulée Sécurité des renseignements et des biens, on peut lire qu'il s'agit de renseignements communiqués par le personnel du Service des dossiers, et il ne s'agit pas de cela ici. Par conséquent, le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé a consulté des dossiers de délinquants ne justifie pas son licenciement.

Allégation (2) - Harcèlement d'une surveillante

Pour l'employeur

[142]   L'avocate de l'employeur déclare qu'on a commencé à recevoir des copies de la lettre anonyme (pièce E-10) le 30 octobre 2000, par courrier recommandé, et que les éléments de preuve incriminants qu'a introduits Mme Miller n'ont pas été contredits. La preuve du fonctionnaire s'estimant lésé se limite à nier tout harcèlement; il n'a pas donné d'explication ou d'éléments de preuve pour contredire Mme Miller.

[143]   Me Champagne maintient que le témoignage de Mme Machan est troublant puisque c'était une délinquante/employée et qu'elle faisait vraiment confiance au fonctionnaire s'estimant lésé. La preuve est limpide : à la fin d'octobre, le fonctionnaire s'estimant lésé est allé voir Mme Machan avec un répertoire téléphonique du Service dans lequel il avait encerclé certains noms, en lui demandant de dactylographier des étiquettes d'adresses. De plus, comme aucun ordinateur n'était disponible, il lui a demandé d'imprimer un document. Il s'est rué jusqu'à l'imprimante pour être sûr d'être le seul à voir le document imprimé; comme Mme Machan l'a déclaré dans son témoignage, le titre du fichier était « j.m. ».

[144]   Me Champagne déclare que le témoignage de Mme Machan confirme qu'elle avait bel et bien vu une lettre contenant des allégations que Mme Miller n'était pas titulaire d'un diplôme universitaire, avec un numéro de téléphone à composer pour plus d'information. Après cet incident, Mme Machan a parlé à M. Contantatos; elle était visiblement perturbée par ce qui s'était passé. Elle a aussi admis les mêmes faits à MM. Van Rosen et Niemann.

[145]   En ce qui concerne les rencontres chez Druxy's, Me Champagne souligne que Mme Machan a témoigné y avoir rencontré le fonctionnaire s'estimant lésé deux fois. À leur première rencontre, il lui a dit savoir que Mme Miller n'était pas titulaire d'un diplôme universitaire, et cela a été confirmé par M. Welsh, qui avait fréquenté Mme Miller.

[146]   L'avocate précise qu'il est intéressant que le fonctionnaire s'estimant lésé ait admis à M. Niemann, pendant son enquête, et admis aussi dans sa lettre du 15 mars 2001 à M. Kelly (pièce E-2) qu'il avait communiqué avec l'Université York au sujet du diplôme de Mme Miller et qu'il était allé au bureau des archives de l'Université. M. Niemann a témoigné que, le 25 janvier 2001, le fonctionnaire s'estimant lésé était prêt à assigner la préposée aux dossiers à comparaître, et qu'il s'était ensuite rendu à la Bibliothèque Scott pour faire des recherches dans les registres de collation des grades. Il est très long de consulter ces registres, et, à moins d'avoir une raison impérieuse de le faire, pourquoi prendrait-on le temps et l'énergie qu'il faut pour chercher des renseignements sur une collègue? L'avocate ajoute qu'aucune personne raisonnable ne se donnerait tout ce mal.

[147]   En ce qui concerne le diplôme de Mme Miller, le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré dans sa lettre du 15 mars 2001 (pièce E-2) qu'il s'en fichait. Néanmoins, Me Champagne affirme que la preuve révèle le contraire. Ou bien M. De Lisa avait un intérêt particulier pour la question, ou bien il avait quelque chose en tête. M. Niemann a dit clairement, à la suite de son interrogatoire du fonctionnaire s'estimant lésé, que ce dernier était absolument convaincu d'avoir la preuve que Mme Miller n'était pas titulaire d'un diplôme universitaire.

[148]   Me Champagne souligne que, dans sa lettre du 15 mars 2001 à M. Kelly (pièce E-2), le fonctionnaire s'estimant lésé a écrit que c'était M. Welsh qui était vraiment persistant dans ses efforts pour savoir si Mme Miller avait un diplôme universitaire ou pas. Elle se demande donc pourquoi il n'a pas fait témoigner M. Welsh. En outre, elle rappelle que, dans le rapport d'enquête de M. Niemann (pièce E-18), il est précisé que le fonctionnaire s'estimant lésé avait été aidé par un agent de libération conditionnelle resté anonyme dans son enquête sur Mme Miller. Néanmoins, cet agent de libération conditionnelle n'a pas été appelé à témoigner pour le fonctionnaire s'estimant lésé. L'avocate souligne aussi que le fonctionnaire s'estimant lésé avait déjà écopé d'une mesure disciplinaire pour avoir envoyé des courriels harcelants à un superviseur (Tony Lombardo).

[149]   Me Champagne insiste sur le fait que, dans son témoignage et dans sa lettre du 15 mars 2001 à M. Kelly (pièce E-2), le fonctionnaire s'estimant lésé était prêt à contester la crédibilité de Mme Machan, à la discréditer et à ne pas lui reconnaître le mérite de ses réalisations. Ce comportement est compatible avec son désir d'attaquer la crédibilité de sa surveillante, faire fi des politiques du Service et fureter dans les dossiers; elle est probablement compatible aussi avec la divulgation de renseignements aux médias, plus particulièrement au Toronto Sun.

[150]   Me Champagne soutient qu'il faut tenir compte de toutes les circonstances, comme des menaces du fonctionnaire s'estimant lésé à Mme Miller, quand il lui a dit qu'elle avait intérêt à faire attention et à rester sur ses gardes. Selon elle, le fonctionnaire s'estimant lésé se rappelait sa rencontre du 20 octobre avec Mme Miller et se souvenait aussi qu'il avait été question de signer le journal des véhicules de l'État, mais il a nié s'être rendu à l'endroit où l'on conservait le tableau et où il aurait tenu ces propos. Selon Me Champagne, cela fait son affaire encore une fois.

[151]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a aussi nié avoir jamais vu ou signé son RER (pièce E-23), en niant aussi avoir parlé chez Druxy's de questions concernant Mme Miller avec Mme Machan. Il est significatif, selon l'avocate, que tout le monde ait reçu copie de la lettre anonyme, sauf le fonctionnaire s'estimant lésé.

[152]   Me Champagne déclare que je devrais soupeser la preuve en fonction de la prépondérance des probabilités. Le fonctionnaire s'estimant lésé s'est rendu coupable d'inconduite grave en faisant fi de toutes les politiques, et il a harcelé une surveillante. Il a attaqué Mme Miller à dessein, et ce qui est plus troublant encore, d'après l'avocate, c'est qu'il n'a fait preuve d'aucun remords. Il refuse d'admettre avoir fait quoi que ce soit de mal; ce qui sape encore plus le lien de confiance, et l'employeur ne pourra plus jamais lui faire confiance.

[153]   L'avocate de l'employeur me renvoie à Canadian Labour Arbitration de Brown et Beatty, au paragraphe 7:4422, sur la réhabilitation, ainsi qu'à l'arrêt Faryna v. Chorny, [1952] D.L.R. 354, sur la crédibilité. Elle m'invite aussi à me reporter aux affaires suivantes : Deigan (dossiers de la Commission 166-2-25992, 25993 et 161-2-743); Deigan c. Canada (Industrie), Cour fédérale du Canada, Section de première instance, dossier T-1365-95, 12 novembre 1997; Deigan c. Canada (Procureur général), Cour fédérale du Canada, Section de première instance, dossier T-1056-98, 20 mars 2001; Trevena (dossier de la Commission 166-2-28562); Trevena (dossier de la Commission 166-2-27769); Trevena c. Canada (Procureur général), Cour fédérale du Canada, Section de première instance, dossiers T-956-98 et T-862-99, 15 août 2001; et Ward (dossiers de la Commission 166-2-16121 et 16122).

[154]   Enfin, l'avocate déclare que la preuve est suffisante pour que le licenciement soit maintenu. Toutefois, elle soutient subsidiairement que je devrais envisager une indemnisation plutôt qu'une réintégration.

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

[155]   La représentante du fonctionnaire s'estimant lésé déclare que, en ce qui concerne les lettres anonymes (pièces E-10 et E-11), le fonctionnaire nie toute participation; elle déclaré aussi qu'on n'a pas prouvé qu'il ait téléphoné à l'Université York. Dans sa lettre du 31 octobre 2000 (pièce E-20), Mme Foshay ne confirme pas si son interlocuteur était un homme ou une femme.

[156]   Quand Mme Miller a été informée de la lettre, elle a mené sa propre enquête, mais n'a pas obtenu de résultats concrets. Elle a sauté aux conclusions en se disant que le fonctionnaire s'estimant lésé était responsable de l'envoi des lettres. C'est elle qui a déclaré que tout le monde avait reçu une lettre anonyme, sauf le fonctionnaire s'estimant lésé. Toutefois, celui-ci a témoigné que MM. Daoust et Browne n'en ont pas reçu de copie eux non plus. Le seul fait que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas reçu de copie de la lettre ne suffit pas à prouver qu'il l'ait rédigée ou diffusée, car on pourrait aussi aboutir à la même conclusion vu sa mauvaise relation professionnelle avec Mme Miller. M. De Lisa a entendu parler de la lettre par un autre agent de libération conditionnelle; il a déclaré qu'il s'en fichait. Néanmoins, quand il a été suspendu, le 8 janvier 2001, il a bel et bien téléphoné à l'Université York, parce qu'il était secoué; il a reconnu que ce n'était pas agir intelligemment.

[157]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a effectivement témoigné à l'audience d'arbitrage du grief de M. Welsh, mais c'était après sa visite à l'Université York, et il n'a témoigné alors qu'à propos des vérifications.

[158]   La représentante du fonctionnaire s'estimant lésé déclare qu'il nie catégoriquement avoir eu une conversation avec Mme Machan au bureau de Corcan - ou chez Druxy's - au sujet du diplôme universitaire de Mme Miller. Il n'aurait jamais échangé de renseignements à ce sujet avec une délinquante ou un délinquant et, de toute manière, il n'avait pas l'information nécessaire. Sa représentante souligne aussi que, en contre-interrogatoire, Mme Machan avait oublié ces conversations et que c'est pour cette raison qu'il n'en est pas fait état dans le rapport de M. Niemann.

[159]   Mme Machan avait déjà imprimé des étiquettes pour le fonctionnaire s'estimant lésé dans le passé; peut-être se trompe-t-elle sur les dates. Elle n'a pas de copie de la lettre concernant Mme Miller et quelqu'un d'autre aurait pu produire l'étiquette qu'elle dit avoir imprimée et qu'elle a identifiée. Mme Robinson-Wilson déclare que, en toute déférence, il faut bien dire que Mme Machan est en liberté conditionnelle pour le reste de ses jours, et que son emploi est dans la balance au Service.

[160]   La représentante du fonctionnaire s'estimant lésé soutient en outre que, en ce qui concerne cette allégation, l'employeur n'a pas prouvé de façon concluante que le fonctionnaire a préparé ou diffusé les lettres anonymes, de sorte que les deux allégations ne justifient pas son licenciement; elle réclame donc une ordonnance de réintégration immédiate du fonctionnaire s'estimant lésé. La sanction est punitive et trop dure puisque M. De Lisa compte 18 ans de service et que son dossier disciplinaire est vierge depuis les deux dernières années. Son rendement n'a pas influé sur son licenciement et d'ailleurs, s'il avait été contestable, l'employeur ne le lui a pas reproché. Il n'y a aucune raison de croire que le fonctionnaire s'estimant lésé ne pourrait plus travailler comme agent de libération conditionnelle et que la relation de confiance est irréparablement rompue. Il faudrait à tout le moins lui donner une chance de regagner cette confiance.

[161]   La représentante du fonctionnaire s'estimant lésé conclut en invoquant les affaires Samra (dossier de la Commission 166-2-26543), Nolan (dossier de la Commission 166-2-17111) et Seager (dossier de la Commission 166-2-28549).

Réplique

[162]   L'avocate de l'employeur déclare que la divulgation n'est pas déterminante pour l'employeur, car ce n'est qu'un facteur qui a déclenché l'enquête initiale.

[163]   Si un agent de libération conditionnelle à qui l'on donne un mot de passe pour avoir accès au SGD après lui avoir inculqué la formation nécessaire a raison de penser que c'est une sorte de comptoir d'information libre-service, pourquoi l'employeur aurait-il des politiques? Il donne un mot de passe à ses fonctionnaires pour pouvoir vérifier qui a consulté le SGD, quand, où et pour quels dossiers. Le fonctionnaire s'estimant lésé a admis avoir signé les politiques et le document définissant les principes du « besoin de savoir ».

[164]   Me Champagne déclare que le témoignage de M. Campney, à savoir que consulter d'autres dossiers est acceptable si la personne qui les consulte y est autorisée par son surveillant, a été pris hors contexte. M. Campney voulait parler de dossiers du même bureau, correspondant à la même charge de travail.

[165]   En ce qui concerne le rapport d'enquête de M. Niemann dans lequel il est précisé que d'autres membres du personnel avaient consulté les 12 dossiers du SGD en question, il convient de souligner qu'il s'agissait d'agents de libération conditionnelle du CCC Keele pour lesquels ces dossiers étaient pertinents, contrairement au fonctionnaire s'estimant lésé.

[166]   L'avocate demande aussi quelle est la crédibilité du fonctionnaire s'estimant lésé, quand il a tenté de saper celle de Mme Machan, qui a raconté son histoire parce qu'elle lui faisait confiance et le respectait. Les événements qu'elle a vécus l'ont troublée énormément, au point qu'elle a dû par la suite consulter un psychologue pendant six mois. Le fait qu'elle est une délinquante révèle tout le courage dont elle a fait preuve pour témoigner contre un agent de libération conditionnelle. Ce n'était pas facile, puisque ces agents ont beaucoup d'influence dans le système.

[167]   Mme Machan a tout simplement dit la vérité sur les étiquettes et sur le disque compact. L'avocate reconnaît que Mme Machan était confuse quant à la date, mais affirme qu'elle était très sûre du contenu. Elle maintient que si je n'ai pas de preuve suffisante pour une affaire pénale, en droit administratif, c'est la prépondérance des probabilités et la crédibilité des témoins qui comptent pour des preuves claires, convaincantes et logiques.

[168]   Enfin, c'est l'employeur qui détermine si la relation de confiance peut être rétablie. Dans ce cas-ci, c'est impossible.

Motifs de la décision

[169]   Le licenciement du fonctionnaire s'estimant lésé est fondé sur deux allégations : (1) accès non autorisé à des dossiers du SGD et (2) harcèlement d'une surveillante.

[170]   Dans toute la preuve produite à l'audience, on pourrait conclure, d'après la représentante du fonctionnaire s'estimant lésé, que celui-ci n'a pas été traité conformément aux règles de la justice naturelle. On m'a laissé entendre que la présence de M. Orr à la rencontre du 29 mars 2001 et la rencontre organisée sans que Mme Miller n'y assiste faisaient entorse au principe de l'équité procédurale. Je suis toutefois convaincu que le fonctionnaire était assisté par ses représentants syndicaux le 29 mars 2001 et que la présence de Mme Miller aux rencontres aurait à toutes fins utiles exacerbé la discussion sur l'allégation (2). Je dois aussi souligner que, en l'espèce, le fonctionnaire s'estimant lésé s'est vu offrir la possibilité de réfuter les allégations (voir Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), Cour d'appel fédérale, dossier A-66-85, 26 septembre 1985).

Allégation (1) - Accès non autorisé à des dossiers du SGD

[171]   La position de l'avocate de l'employeur sur l'allégation (1) est très claire : le 15 novembre 2000, le fonctionnaire s'estimant lésé a consulté 12 dossiers du SGD à partir du CCC Keele sans avoir le « besoin de savoir », ce qui contrevient aux politiques de sécurité du Service, puisqu'il n'était pas autorisé à consulter ces dossiers et n'avait pas eu l'ordre de le faire. À l'appui de son argument, Me Champagne a produit plusieurs documents, comme les IP, le Code de conduite, la politique sur l'échange et la divulgation de renseignements, la conduite professionnelle, le Code de discipline de même que la politique sur la Sécurité des renseignements et des biens. Le fonctionnaire s'estimant lésé avait signé une « attestation » qu'il avait effectivement reçu de la formation sur ces directives, en 1983, et ce document aussi a été déposé en preuve (pièce E-8).

[172]   La position du fonctionnaire s'estimant lésé est qu'il avait le droit de consulter le SGD dans le cadre de ses fonctions pour préparer des évaluations communautaires ou des stratégies communautaires de qualité.

[173]   Le témoignage de M. Kelly démontre que le SGD, bien qu'il soit un produit technologique, n'a fait que changer l'accessibilité de l'information; l'obligation d'obtenir l'autorisation pour y avoir accès n'a toutefois pas changé. Dans son témoignage, M. Browne a reconnu que le SGD avait changé l'accessibilité, mais a déclaré avoir bénéficié dans le passé du concours d'agents de libération conditionnelle à qui il avait demandé de l'aider; ils lui fournissaient le nom d'un délinquant dont il pouvait ensuite consulter le dossier dans le SGD ou sur support papier. M. Browne a déclaré que, si un collègue était en congé de maladie, il pouvait lui arriver de consulter le SGD pour lui. Dans de rares occasions, à la demande de policiers ou lorsqu'un délinquant à risque élevé était libéré du CCC Keele, il pouvait communiquer avec lui pour voir si le délinquant correspondait au profil. Il a aussi déclaré qu'on pouvait à l'occasion l'aiguiller vers un autre agent de libération conditionnelle pour de l'aide, et qu'il lui arrivait aussi de signer la chemise d'un dossier sur support papier pour le sortir.

[174]   La preuve fournie par les témoins du fonctionnaire s'estimant lésé est compatible avec le témoignage de M. Campney, qui lui a donné des IP et l'a rencontré pour l'aider à traiter ses dossiers, en lui disant que, s'il avait besoin d'aide, il pouvait communiquer avec lui, s'adresser à un autre agent de libération conditionnelle expérimenté ou consulter les dossiers sur support papier.

[175]   Je juge M. Campney crédible. Dans son témoignage, il a non seulement admis que le fonctionnaire s'estimant lésé et lui-même n'étaient pas les meilleurs amis du monde, mais pris des notes sur les rencontres qu'il avait eues avec le fonctionnaire pour lui donner des IP et des modèles afin de l'aider à s'acquitter de sa charge de travail, dans les pièces E-14 et E-15. Je suis convaincu que M. Campney est de ceux qui respectent les règles, comme son témoignage le montre, et qu'il n'aurait jamais toléré que le fonctionnaire s'estimant lésé navigue dans le SGD, ni haussé les épaules si cela lui avait été dit.

[176]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré qu'il n'avait pas été chargé de dossiers de délinquants pendant plusieurs années, qu'il n'avait pas la formation nécessaire et que Mme Miller ne l'avait pas aidé. Il a soutenu qu'il était chargé de dossiers de délinquants à risque élevé et que le SGD était pour lui un moyen de consulter des dossiers de ce genre afin de s'en inspirer dans son travail. Selon lui, il y avait au moins deux dossiers de délinquants à risque élevé dans les 15 à 25 dossiers qui lui avaient été confiés par Mme Gravel.

[177]   Mme Miller et M. Campney ont tous deux témoigné que le fonctionnaire s'estimant lésé avait 11 dossiers à traiter et qu'aucun des délinquants dont il était responsable n'était à risque élevé. En fait, selon le témoignage de Mme Miller, qui n'a jamais été contredit en contre-interrogatoire, seuls M. Campney et elle-même confiaient des dossiers et qu'aucun dossier de délinquant à risque élevé n'avait été remis au fonctionnaire s'estimant lésé.

[178]   De toute façon, il ne s'agit pas de savoir si les dossiers qui étaient confiés à M. De Lisa concernaient des détenus à faible risque, à risque moyen ou à risque élevé, mais plutôt s'il a consulté le SGD sans autorisation.

[179]   Pour le soussigné, les politiques et les directives de l'employeur sont très claires et concises. Il vaut la peine de souligner que le fonctionnaire s'estimant lésé a reçu sa formation de départ en 1983, mais que c'est beaucoup plus tard dans sa carrière qu'il a reçu une formation au sujet du SGD, dans lequel on ne peut entrer qu'avec un mot de passe. En outre, par suite du procès de Paul Bernardo/Karla Homolka, le Service a écrit à tous ses fonctionnaires pour leur rappeler le principe du « besoin de savoir ».

[180]   Je ne suis pas convaincu que les fonctionnaires ne consultent pas à l'occasion le SGD pour entrer dans des dossiers de délinquants confiés à des collègues; MM. Browne et Boone ont bien dit qu'ils le faisaient. Toutefois, ils le font avec l'accord d'un autre agent de libération conditionnelle ou de leur surveillant, ou quand une demande justifie l'accès au système.

[181]   On peut déduire de l'article paru dans le Toronto Sun (pièce E-1), où cinq des 12 délinquants dont le fonctionnaire s'estimant lésé avait consulté les dossiers une semaine avant la publication, le 15 novembre 2001, que c'est lui qui avait parlé aux journalistes. L'employeur aurait pu arriver à cette conclusion. Toutefois, on ne m'a présenté aucun motif ni aucune preuve que le fonctionnaire s'estimant lésé ait commis un tel acte, même si l'avocate de l'employeur l'a mentionné dans sa plaidoirie.

[182]   En toute justice pour l'employeur, le fond de l'affaire ne repose pas sur le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé aurait divulgué les renseignements en question au journaliste, mais plutôt sur celui qu'il a enfreint les politiques du Service en consultant des dossiers de délinquants sans avoir le « besoin de savoir ». L'employeur devrait pouvoir s'attendre à ce qu'un employé fasse preuve de bon sens en consultant des dossiers délicats et qu'il le fasse conformément aux politiques, aux procédures et à la formation conçues à cet égard.

[183]   Pour tous ces motifs, je suis d'accord avec l'avocate de l'employeur : le fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas autorisé à consulter les 12 dossiers en question dans le SGD.

Allégation (2) - Harcèlement d'une surveillante

[184]   Le principal témoin de l'employeur, Mme Machan, que j'ai trouvée extrêmement crédible, a admis qu'elle est une délinquante et qu'elle restera toute sa vie en liberté conditionnelle. Elle a démontré, dans un témoignage non contesté, qu'elle joue un rôle important dans la communauté et qu'elle a décidé de parfaire son éducation en s'inscrivant à des cours offerts par l'Université de Waterloo et par l'Université Queen's.

[185]   Mme Machan a témoigné que les étiquettes figurant sur les lettres anonymes envoyées au bureau (pièce E-22) avaient été dactylographiées par elle, parce qu'elle a son propre style de présentation. Elle a aussi déclaré que c'est le fonctionnaire s'estimant lésé qui lui avait demandé d'imprimer plusieurs étiquettes d'adresses tirées d'un répertoire du Service qu'il lui avait remis après y avoir encerclé les noms de certaines personnes.

[186]   Mme Machan a aussi affirmé que la pièce E-11 était la lettre qu'elle avait imprimée à partir du disque contenant le fichier « j.m. ». En contre-interrogatoire, elle a admis que ce n'était peut-être pas exactement cette lettre-là, mais plutôt une lettre semblable qu'elle avait vue à l'écran de son ordinateur. La lettre qu'elle avait vue à l'écran visait à discréditer Mme Miller au sujet de son diplôme universitaire; elle n'était pas signée et donnait un numéro de téléphone à composer; Mme Machan pensait que c'était un numéro 1-800, alors qu'il était précédé de l'indicatif régional 416. Il n'est pas déraisonnable de présumer que, comme le fonctionnaire s'estimant lésé voulait que personne ne voie la lettre à ce moment-là, il allait revenir de l'imprimante le plus vite possible pour récupérer son disque.

[187]   Quel motif Mme Machan aurait-elle eu pour mentir sur cet incident? Dans son témoignage, elle a dit qu'elle respectait le fonctionnaire s'estimant lésé et avait confiance en lui, parce que c'était lui qui l'avait embauchée. C'est seulement quand elle a vu à l'écran la lettre qu'elle avait imprimée pour lui qu'elle a cessé de respecter son agent de libération conditionnelle et ancien patron. M. Niemann a témoigné que ses interrogatoires de MM. Constantatos et Van Rosen ont confirmé que Mme Machan avait communiqué avec eux immédiatement après avoir imprimé la lettre (tout de suite après le départ du fonctionnaire s'estimant lésé), parce qu'elle était très perturbée par ces événements. Elle doit encore vivre avec le souvenir de cette expérience désagréable; pendant six mois, elle a dû consulter un psychologue.

[188]   À mon avis, le témoignage du fonctionnaire s'estimant lésé est particulièrement dénué de crédibilité sur ce point. En effet, il nie avoir jamais demandé à Mme Machan d'imprimer les étiquettes en question. Même s'il lui a donné un disque pour en faire imprimer le contenu, à l'en croire, ce n'était pas au moment précisé par Mme Machan dans son témoignage. Selon lui, elle est d'abord et avant tout une délinquante et ne peut donc pas être vraiment crédible. Je ne souscris pas à ce raisonnement.

[189]   Le fonctionnaire s'estimant lésé a admis avoir parlé de questions de travail avec Mme Miller et reconnu qu'ils avaient eu une altercation sans gravité. La version de Mme Miller est plus proche du témoignage de Mme Machan sur ce qu'elle avait entendu chez Druxy's. Mme Machan a témoigné que le fonctionnaire s'estimant lésé lui avait déclaré avoir entendu dire par M. Welsh que Mme Miller n'avait pas de diplôme et qu'il pourrait devoir se servir de ce renseignement contre elle. Mme Miller a témoigné que le fonctionnaire s'estimant lésé lui vait dit : [traduction] « Tu aurais intérêt à faire attention, à te tenir sur tes gardes, parce que je sais des choses sur ton compte. »

[190]   Tant dans son témoignage que dans sa lettre du 15 mars 2001 à M. Kelly (pièce E-2), le fonctionnaire s'estimant lésé a affirmé que le diplôme de Mme Miller ne voulait rien dire pour lui et qu'il s'en fichait complètement.

[191]   Il est clair que quelqu'un a téléphoné à l'Université York le 26 octobre (pièce E-20) pour se faire confirmer si une Mme Miller (ou Fox) avait obtenu un diplôme. Comme le dossier avait été mal classé, le bureau du registraire lui a donné un renseignement erroné, en disant que Mme Miller n'avait pas obtenu de diplôme. C'est quatre jours après cet appel téléphonique que les premières lettres recommandées ont commencé à arriver au bureau du centre-ville.

[192]   Dans son interrogatoire principal, le fonctionnaire s'estimant lésé a nié avoir téléphoné à l'Université York pour vérifier si Mme Miller avait un diplôme. Toutefois, en contre-interrogatoire, il a admis avoir téléphoné une fois à l'Université - après que les lettres eurent été reçues -, mais nié avoir fait plusieurs appels, comme l'avocate de l'employeur le laissait entendre.

[193]   Le témoignage de M. Niemann selon lequel le nom du fonctionnaire s'estimant lésé a apparu à l'afficheur même si son interlocuteur avait dit se nommer « Jeff Smith » n'a pas été contredit par le fonctionnaire s'estimant lésé. En fait, ce dernier a admis s'être rendu à l'Université York avec M. Welsh pour parler à la préposée aux dossiers, en déclarant toutefois que c'était seulement dans le but de vérifier si Mme Miller avait un diplôme par simple curiosité, puisqu'il avait des amis qui relevaient d'elle. M. Niemann a aussi témoigné que, quand il a interrogé la préposée aux dossiers de l'Université York, elle lui a répondu que le fonctionnaire s'estimant lésé avait menacé de l'assigner à comparaître quand elle avait refusé de divulguer les renseignements relatifs au diplôme de Mme Miller. Lorsque sa démarche à l'Université York a échoué, le fonctionnaire s'estimant lésé est allé à la Bibliothèque Scott pour faire une recherche dans les dossiers de collation des grades.

[194]   Dans sa lettre du 15 mars 2001 à M. Kelly (pièce E-2), le fonctionnaire s'estimant lésé a écrit qu'il ne servirait à rien de donner le nom du policier qui avait fait enquête pour déterminer si Mme Miller avait un diplôme, d'après ce qu'on lui avait dit. N'aurait-il pas été plus judicieux qu'il fasse comparaître ce policier afin d'expliquer pour quelle raison il s'intéressait à savoir si Mme Miller avait un diplôme, afin de corroborer sa version? Je le répète, dans sa lettre, (pièce E-2), le fonctionnaire s'estimant lésé a écrit qu'il ne s'intéressait pas vraiment à cela et que c'était plutôt M. Welsh qui persistait à tenter d'obtenir de l'information au sujet du diplôme - ou de l'absence de diplôme - de Mme Miller. À mon avis, la crédibilité de M. De Lisa est à tout le moins suspecte.

[195]   Pour trancher les questions de crédibilité, les arbitres se fondent souvent sur le jugement de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, où l'on peut lire ce qui suit, à la page 357, sous la plume du juge O'Halloran :

[Traduction]

[. . .]

En bref, ce qui permet de vérifier réellement si le témoin dit la vérité en pareil cas, c'est la compatibilité de sa version avec la prépondérance des probabilités que reconnaîtrait d'emblée une personne pratique et informée qui se trouverait dans ce lieu et dans ces conditions.

[. . .]

[196]   En l'espèce, je conclus que le témoignage de Mme Machan concorde davantage avec la prépondérance des probabilités. Je ne crois pas qu'elle ait eu quelque chose à gagner en déclarant que le fonctionnaire s'estimant lésé lui avait remis un disque contenant un fichier « j.m. » et en identifiant les étiquettes qu'elle avait imprimées pour lui. Ce seul fait aurait pu la perturber et lui faire craindre des représailles. Je suis convaincu qu'il lui a fallu beaucoup de courage pour dénoncer l'inconduite du fonctionnaire s'estimant lésé. Par contre, quand ce dernier a nié les événements, puis éludé la question en répondant : [traduction] « Oui, je lui ai remis un disque, mais pas quand elle l'a dit », sa crédibilité est encore douteuse.

[197]   On n'a pas pu prouver que le fonctionnaire s'estimant lésé avait effectivement envoyé des lettres anonymes à des agents de libération conditionnelle du bureau du centre-ville et de la Région. Néanmoins, en tant que personne raisonnable, je conclus soit qu'il a conçu et envoyé ces lettres de son propre chef, soit qu'il l'a fait pour quelqu'un d'autre.

[198]   Je suis convaincu que le fonctionnaire s'estimant lésé a fait imprimer les étiquettes d'adresses des lettres anonymes par Mme Machan, à qui il a aussi fait imprimer le contenu du fichier « j.m. »; cela suffit à prouver qu'il s'est rendu coupable de harcèlement de sa surveillante. Or, la Politique relative au harcèlement en milieu de travail du Conseil du Trésor précise ce qui suit :

[. . .]

Objectif de la politique

Créer un milieu de travail qui stimule la productivité et soit propice à la dignité et à l'estime de tous les employés et leur permette de poursuivre leurs objectifs personnels.

Énoncé de politique

Chaque employé de la fonction publique du Canada doit être traité équitablement au travail dans un milieu exempt de harcèlement. Le harcèlement de tout employé par un autre employé constitue une infraction à la discipline qui fera l'objet de sanctions pouvant aller jusqu'au congédiement.

[. . .]

Appendice A

Définitions

On entend par harcèlement tout comportement malséant et blessant d'un employé de la fonction publique envers un autre employé de la fonction publique dont l'importunité était connue de l'auteur ou n'aurait pas dû lui échapper. Tout propos, action ou exhibition répréhensible qui humilie, rabaisse ou embarrasse un employé, que ce soit une fois ou continuellement, est une manifestation de harcèlement.

Le harcèlement comprend le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, c'est-à-dire le harcèlement fondé sur un des motifs de discrimination illicite suivants : la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

Le harcèlement sexuel, s'entend de tout comportement, propos, geste, ou contact d'ordre sexuel, qu'il s'agisse d'un incident unique ou d'une série continuelle d'incidents;

  1. dont il est raisonnable de penser qu'ils puissent choquer ou humilier un employé;

  2. ou

  3. que l'employé peut raisonnablement interpréter comme l'assujettissement d'ordre sexuel par rapport à un emploi ou des possibilités de formation ou de promotion;

L'abus d'autorité est une forme de harcèlement et se produit lorsqu'une personne exerce de façon indue l'autorité ou le pouvoir inhérent à son poste dans le dessein de compromettre l'emploi d'un employé, de nuire à son rendement au travail, de mettre son moyen de subsistance en danger ou de s'ingérer de toute autre façon dans sa carrière. Il comprend l'intimidation, la menace, le chantage ou la coercition.

[. . .]

[199]   Je suis convaincu que le fonctionnaire s'estimant lésé a harcelé sa surveillante, Mme Miller.

Le licenciement était-il justifié dans les circonstances?

[200]   Les lettres anonymes sont des armes de lâches employées par des personnes sans honneur et elles peuvent être utilisées à bien des fins. L'expéditeur des lettres anonymes dans cette affaire n'avait qu'un but en tête, discréditer Mme Miller en s'attaquant à son honnêteté, à son intégrité et à ses titres afin de forcer le Service à la licencier parce qu'elle ne répondait pas à l'énoncé des qualités de son poste. Je juge qu'il s'agit en l'occurrence d'une inconduite malveillante éhontée.

[201]   Je suis arrivé à cette conclusion en sachant pertinemment ce que prévoit la clause 17.05 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l'Alliance de la Fonction publique du Canada à l'égard du groupe Services des programmes et de l'administration (tous les employé-e-s), dont la date d'expiration est le 20 juin 2003 et qui précise ce qui suit :

17.05  Tout document ou toute déclaration écrite concernant une mesure disciplinaire qui peut avoir été versé au dossier personnel de l'employé-e doit être détruit au terme de la période de deux (2) ans qui suit la date à laquelle la mesure disciplinaire a été prise, pourvu qu'aucune autre mesure disciplinaire n'ait été portée au dossier dans l'intervalle.

[202]   J'ai tenu compte de l'objection soulevée par la représentante du fonctionnaire s'estimant lésé et je reconnais que son dossier disciplinaire antérieur ne devrait pas influer sur ma décision; le fait est d'ailleurs qu'il n'a pas influé sur elle. En fait, je dois souligner que le libellé de cette clause de la convention collective est très clair et concis. À mon avis, l'avocate de l'employeur aurait intérêt à l'appliquer telle qu'elle a été négociée. Selon moi, introduire par la bande un dossier disciplinaire antérieur expurgé est à la fois troublant et offensant et me donne l'impression que l'employeur devrait repenser son approche. L'ancien dossier disciplinaire du fonctionnaire s'estimant lésé ne devrait pas être invoqué, pourvu qu'il satisfasse au critère de la clause 17.05, et c'est le cas en l'espèce.

[203]   L'avocate de l'employeur m'a renvoyé au passage de Canadian Labour Arbitration (supra), sur les mesures disciplinaires à prendre contre les employés compte tenu de leur potentiel de réhabilitation. Voici ce qu'on peut lire au paragraphe 7:4422 de cet ouvrage :

[Traduction]

7:4422 Potentiel de réhabilitation. La théorie de la discipline progressive procède du devoir de l'employeur de prévenir un employé du sérieux avec lequel l'employeur envisage ses antécédents professionnels et n'est qu'une manifestation de la reconnaissance récente par les arbitres de l'aspect correctif sous-jacent aux mesures disciplinaires dans le secteur privé. Cela signifie tout simplement que l'augmentation graduelle de la gravité des sanctions disciplinaires imposées à un employé pour une inconduite persistante devrait l'inciter à changer son comportement. Un arbitre a exprimé le concept en ces termes :

L'un des avantages de l'adoption d'une approche disciplinaire corrective, c'est qu'elle permet aux parties de savoir où elles se situent l'une vis-à-vis de l'autre. L'employé qui écope d'une mesure disciplinaire corrective sait que, après avoir reçu un avertissement, il peut avoir une suspension et qu'il peut être licencié s'il récidive après une suspension.

[…]

De plus en plus d'arbitres se sont interrogés et en définitive fondés, dans plusieurs contextes différents, sur la capacité du fonctionnaire s'estimant lésé de se conformer à des normes de comportement acceptables et attendues, comme principe de mitigation d'une sanction disciplinaire. Pour ces arbitres, les listes de vérification courantes des circonstances atténuantes « ne sont que des cas particuliers de considérations générales qui influent sur les possibilités que l'employé ait un comportement acceptable », ce qui constitue pour eux « l'essence de toute l'approche corrective des mesures disciplinaires ». Un élément fondamental de cette approche générale est l'évaluation de la capacité du fonctionnaire s'estimant lésé à changer de comportement ou à se réhabiliter et de la mesure dans laquelle il est disposé à le faire afin qu'une relation d'emploi satisfaisante puisse être rétablie, ainsi que de la mesure dans laquelle le fonctionnaire s'estimant lésé est « récupérable ». Il incombe au syndicat de produire des preuves de facteurs de mitigation pertinents particulièrement dans le cas des facteurs de mitigation dont l'employeur n'était pas conscient au moment où il a pris la décision de licencier l'employé. Bien que l'opinion soit divisée sur cette question, plusieurs arbitres ont maintenu qu'une telle évaluation peut comprendre l'analyse du comportement d'un employé au cours de la période écoulée entre la date du licenciement et l'audience d'arbitrage. De nombreux arbitres ont donc explicitement étudié le potentiel de réhabilitation de personnes qui avaient par exemple gravement menacé, voire physiquement agressé des membres de la direction, qui avaient commis un vol ou même des actes de sabotage ou qui étaient des parieurs invétérés et ils se sont fondés sur ce potentiel pour substituer une suspension au congédiement initialement décidé par l'employeur. De même, un pronostic positif quant au potentiel de réhabilitation d'un employé qui admet immédiatement ses torts et (ou) fait des excuses à la suite de son inconduite et reconnaît par conséquent que son comportement était inacceptable - de sorte qu'il serait désormais plus susceptible de pouvoir se conformer aux normes attendues - permet à l'arbitre de se fonder sur ce constat pour réduire la sanction disciplinaire imposée. Cette importance accordée au potentiel de réhabilitation du fonctionnaire s'estimant lésé semble particulièrement valable dans les cas où l'arbitre est convaincu que l'intérêt qu'a l'employeur à protéger l'intégrité de son service peut s'accommoder d'une autre sanction que le congédiement de l'employé. À l'inverse, quand les arbitres peuvent conclure à ce qu'ils considèrent comme un manque de potentiel de réhabilitation en raison du refus du fonctionnaire s'estimant lésé d'admettre la véracité de la description des faits ou de son refus de reconnaître que sa conduite était mauvaise, de prendre des mesures positives d'importance pour corriger la cause de son rendement insatisfaisant, de respecter les règles de l'entreprise en cessant d'occuper un autre emploi en même temps et d'identifier un complice ou du fait que la solution des problèmes conjugaux qui sont la cause de son absentéisme coupable et non coupable semble peu probable, que le risque de récidive paraît élevé ou que la conduite du fonctionnaire s'estimant lésé a empoisonné le milieu de travail, ils se sont fondés sur cette absence de potentiel pour décider de ne pas se prévaloir de leur pouvoir discrétionnaire de modifier la sanction imposée.

[Les renvois ne sont pas cités et les soulignés sont de nous]

[204]   En l'espèce, je conclus que les faits entourant la consultation non autorisée du SGD par le fonctionnaire s'estimant lésé et son manque de respect envers les règles du Service ne me permettent pas de conclure à l'inexistence d'un potentiel de réhabilitation. Toutefois, le comportement de M. De Lisa dans le contexte du harcèlement de sa surveillante, Mme Miller, a empoisonné le milieu de travail à un point tel que j'estime que la combinaison des deux allégations justifie la décision de l'employeur.

[205]   En théorie, si je jugeais que le licenciement n'était pas justifié, je devrais quand même conclure que le fonctionnaire s'estimant lésé serait incapable de travailler avec ses gestionnaires, ses superviseurs et les autres fonctionnaires dans un milieu de travail positif et sans harcèlement où l'on pourrait lui faire confiance. En outre, je n'ai pas compétence pour ordonner à l'employeur de réintégrer M. De Lisa dans un autre poste ou à un autre lieu de travail.

[206]   Je sais que M. De Lisa a passé 18 ans au Service et que, pendant une partie de sa carrière, particulièrement entre 1988 et 1996, comme en témoignent les pièces G-4 à G-7, il a eu avec l'employeur une relation professionnelle harmonieuse et productive. En dépit de la gravité de son inconduite, j'ai décidé qu'il est justifié de lui accorder six mois de traitement au taux qu'il touchait à la date de son congédiement plutôt que d'ordonner sa réintégration dans ses fonctions.

[207]   Pour tous ces motifs, le grief est rejeté dans la mesure que je viens de préciser.

D.R. Quigley,
commissaire

OTTAWA, le 7 juin 2002.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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