Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a présenté une plainte en vertu de l’article 23 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), alléguant que son superviseur n’avait pas retenu sa candidature en vue d’une nomination intérimaire au seul motif qu’il n’était pas disponible parce qu’il occupait un poste national au syndicat -- une audience s’est tenue devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’ancienne Commission) à l’issue de laquelle la plainte a été rejetée dans la décision 2004 CRTFP 29 -- le plaignant a demandé le contrôle judiciaire de cette décision et obtenu gain de cause; la Cour d’appel fédérale a ordonné la tenue d’une nouvelle audience -- le 1er avril 2005, à l’issue de la décision de la Cour mais avant la tenue de la nouvelle audience, l’ancienne LRTFP a été abrogée et la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique (LMFP), est entrée en vigueur -- avant l’audition de la preuve comme telle, les parties ont été appelées à présenter des observations verbales et écrites au sujet de l’effet de l’entrée en vigueur des dispositions transitoires de la LMFP ainsi que d’une décision récente de la nouvelle Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) sur la même question -- la Commission a attiré l’attention sur quelques-unes des différences fondamentales qui existaient entre l’ancienne LRTFP et la nouvelle LRTFP pour ce qui touche les plaintes de pratique déloyale de travail -- la Commission a notamment observé que la nouvelle LRTFP imposait un délai pour la présentation de plaintes alors qu’il n’en existait pas dans l’ancienne LRTFP et qu’en vertu de la nouvelle LRTFP, le fardeau de la preuve passait du plaignant au défendeur -- la Commission a conclu que les parties possédaient des droits acquis vu que la plainte avait été présentée à l’ancienne Commission et que tant cette dernière que la Cour d’appel fédérale avaient statué sur l’affaire sous le régime de l’ancienne LRTFP -- l’arrêt de la Cour d’appel fédérale avait pour effet de replacer les parties dans la position dans laquelle elles se seraient trouvées avant la tenue de l’audience devant l’ancienne Commission et non pas de créer une toute nouvelle plainte -- le déplacement du fardeau de la preuve et l’inclusion de délais pour la présentation d’une plainte en vertu de la nouvelle LRTFP ont une incidence sur les droits fondamentaux et ne constituent pas simplement des changements de procédures -- les obligations, responsabilités et droits fondamentaux des parties ont été modifiés -- les droits des parties ne devraient pas être compromis en l’absence d’intention claire du législateur -- la plainte doit être tranchée sous le régime de l’ancienne LRTFP. Décision interlocutoire émise.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction
publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la
modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2005-10-28
  • Dossier:  561-34-29
  • Référence:  2005 CRTFP 153

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

RÉAL LAMARCHE

plaignant

et

YVAN MARCEAU

défendeur

Répertorié
Lamarche c. Marceau

Affaire concernant une plainte logée en vertu de l’article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P–35

MOTIFS DE DÉCISION INTERLOCUTOIRE

Devant : Léo–Paul Guindon, commissaire

Pour le plaignant : Pierrette Gosselin et Frédéric Durso, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour le défendeur : Stéphane Hould, avocat


Affaire entendue à Sherbrooke, (Québec),
le 30 mai 2005 .
(Soumissions écrites produites les 13, 23 et 28 juin 2005.)

Plainte devant la Commission

[1]   Le plaignant, Réal Lamarche, a inscrit une plainte devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’ancienne Commission) le 10 septembre 2002. Le plaignant allègue que :

M. Yvan Marceau, chef des Appels BSF de Québec, a procédé à la nomination intérimaire de Mme Danielle Rouleau au titre de chef des Appels L.I.R. Sherbrooke sans tenir compte de ma candidature sous le seul prétexte que j’occupe un poste de nature syndicale.

[2]   Suite à la demande de l’ancienne Commission, le plaignant a déposé des informations additionnelles le 4 octobre 2002. Il y précise que sa plainte est fondée sur les alinéas 23(1)a) et 8(2)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P–35 (l’ancienne Loi).   Il y précise que : « Les gestionnaires impliqués dans le processus de nomination n’ont pas retenu ma candidature sous le seul prétexte « de ne pas être disponible, compte tenu que j’occupe un poste national au syndicat. »»

[3]   Le paragraphe 2 de la décision rendue par la Commission, en date du 26 avril 2004 (2004 CRTFP 29) précise que, en fait, deux plaintes ont été déposées, l’une datant du 10 septembre 2002 et l’autre du 4 octobre 2002, mais que, suite à des discussions entre les parties, ils ont convenu de procéder uniquement sur la plainte du 10 septembre 2002.

[4]   Une audience a été tenue les 19 et 20 janvier 2004 devant l’ancienne Commission et une décision a été rendue le 26 avril 2004 rejetant la plainte (2004 CRTFP 29).

[5]   Une demande de contrôle judiciaire a été inscrite devant la Cour d’appel fédérale par le plaignant (dossier no. A–281–04). Une décision accueillant cette demande a été rendue le 8 mars 2005 (2005 CAF 92). La Cour a rendu l’ordonnance suivante :

La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie avec dépenses, la décision de la Commission sera annulée et l’affaire lui sera retournée pour une nouvelle audition devant un tribunal autrement constitué.

[6]   Le 31 mars 2005, l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonctionpublique (L.R.C. (1985, ch. P–35) a été abrogée par décret (TR/2005–21). Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « nouvelle Loi »), édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique (LMFP), L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur par décret (TR/2005–22 à 24). Le paragraphe 39(1) de la partie 5 (dispositions transitoires) de la LMFP stipule que :

Sous réserve des autres dispositions de la présente section, les affaires dont l’ancienne Commission était saisie à l’entrée en vigueur de l’article 12 de la nouvelle loi se poursuivent devant la nouvelle Commission qui en décide conformément à la nouvelle loi.

[7]   La nouvelle Commission a informé les parties, le 13 mai 2005, que la plainte procéderait en vertu de la nouvelle Loi sous le numéro de dossier de la CRTFP 561–34–29. La Commission a invité les parties à soumettre leurs représentations écrites sur les effets de l’entrée en vigueur des dispositions transitoires des articles 36 à 66 de la LMFP, et plus particulièrement de l’article 39. Les parties ont aussi été invitées à fournir leurs commentaires relativement aux paragraphes 190(2) et 191(3) et à l’alinéa 186(2)b) de la nouvelle Loi, ainsi qu’en regard de la décision rendue par la nouvelle Commission dans le dossier 2005 CRTFP 50.

[8]   Les parties ont été en mesure de soumettre quelques commentaires sur ces questions avant la date prévue pour l’audience (le 30 mai 2005).

[9]   Le plaignant a répondu comme suit aux interrogations de la Commission :

1)   Quel est l’impact de l’entrée en vigueur du paragraphe 186(2)(b) de la nouvelle Loi relativement à ce dossier?

Le paragraphe 186(2)(b) de la nouvelle Loi reprend l’essentiel des termes du paragraphe 8(2)(b) de l’ancienne Loi. Les légers changements apportés au libellé de ce paragraphe en affecte aucunement le sens. Par conséquent, la disposition de la nouvelle Loi n’a aucun effet sur le bien fondé de l’exercice du recours par le plaignant dans ce dossier. Le même commentaire s’applique à l’article 186(2)(a) sur lequel est fondé la plainte de M. Réal Lamarche.

2)   Quel est l’effet de l’entrée en vigueur du paragraphe 190(2) de la nouvelle Loi relativement à tout délai de présentation applicable à la plainte en rubrique, compte tenu des dispositions transitoires des articles 36 à 66 de la LMFP et, plus particulièrement, de celles de l’article 39?

L’Article 190(2) de la nouvelle Loi prévoit qu’une plainte doit être présentée dans les quatre–vingt–dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu connaissance des mesures ou circonstances y ayant donné lieu. L’ancienne Loi ne prévoyait pas de délai.

En supposant que le délai de quatre–vingt–dix jours s’applique rétroactivement nous sommes d’avis que ce délai a été respecté par M. Lamarche. La première plainte de M. Lamarche a été logée le 18 juillet 2002 (voir annexe 1). Vous remarquerez que cette première plainte avait été adressée à la Commission de la fonction publique du Canada même si l’adresse indiquée était celle de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Elle n’a pas été retenue par la CRTFP qui l’a renvoyée à la CFP. Le 31 juillet 2002 la CFP a déclinée juridiction (voir annexe 2).

La plainte a été renvoyée à la Commission des relations de travail le 10 septembre 2002 (voir annexe 3) par M. Lamarche. Comme elle était incomplète, la Commission a demandé des précisions à M. Lamarche dans une lettre qu’elle lui a adressé le 23 septembre 2002 (voir annexe 4).  Les précisions parviendront à la Commission le 4 octobre 2002 (voir annexe 5), date qui a été retenue par la Commission.

Cette plainte visait à dénoncer le fait que la candidature de M. Lamarche n’avait pas été considérée à un poste à cause de ses activités syndicales. La nomination de Mme Danielle Rouleau à ce poste a été faite le 6 juin 2002 par M. Yvan Marceau, le gestionnaire visé par cette plainte. Nous estimons donc que le délai de quatre–vingt–dix jours a été respecté si toute fois la Commission en venait à la conclusion que le délai de quatre–vingt–dix jours s’applique.

Mais comme il s’agit d’une disposition de droit nouveau et qu’aucune disposition semblable ne figurait dans l’ancienne Loi, nous sommes d’avis que ce paragraphe ne peut trouver application dans ce dossier puisque la plainte a été déposée bien avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi. L’application de cette nouvelle disposition risquerait de faire perdre le recours au plaignant s’il s’avérait que la plainte a été déposée plus de quatre–vingt–dix jours après avoir eu connaissances des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu. Nous rappelons qu’aucun délai précis n’était mentionné à l’ancienne Loi.

Nous sommes également d’avis que de conclure à l’application du paragraphe 190(2) dans ce dossier aurait pour conséquence de donner un effet rétroactif à cette disposition et ce, sans que le Législateur l’ait lui–même stipulé.

3)   Quel est l’effet de l’entrée en vigueur du paragraphe 191(3) de la nouvelle Loi relativement au fardeau de la preuve que les parties doivent rencontrer relativement à la plainte en rubrique, compte tenu des dispositions transitoires des articles 36 à 66 de la L.M.F.P. et plus particulièrement, de celles de l’article 39?

Quant au paragraphe 191(3), nous concluons que celui–ci doit s’appliquer à la présente affaire puisque la plainte logée par le plaignant est précisément visée par le paragraphe 190(1)(g) de la nouvelle Loi. Ce paragraphe reprend les termes et le sens du paragraphe 23(1)(a) de l’ancienne Loi.  De plus, l’article 39 de la L.M.F.P. stipule clairement que la nouvelle Commission devra décider de cette affaire conformément à la nouvelle Loi.

[ Sic pour l’ensemble de la citation.]

[10]   Pour sa part, le défendeur a soumis les commentaires suivants:

Suite à votre lettre du 13 mai dernier, veuillez trouver, ci–bas, les représentations du défendeur quant aux questions soulevées par la Commission au sujet de l’application des dispositions de la « nouvelle » Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

Il s’agit en l’espèce d’une plainte déposée en 2002 aux termes du paragraphe 23(1)(a) de l’ancienne Loi alléguant contravention au paragraphe 8(2)(a) de cette Loi.  L’ancienne Commission a instruit l’affaire et rendu décision en avril 2004, laquelle fut cassée par la Cour d’appel fédérale le 8 mars 2005. La Cour a ordonné une audition de novo devant un nouveau membre de la Commission.

Aucune disposition transitoire spécifique n’apparaît dans la Loi sur la modernisation de la fonction publique en ce qui a trait aux plaintes déposées aux termes du paragraphe 23(1)(a) de l’ancienne Loi, contrairement à ce que le législateur a pris le soin de spécifier, notamment, en ce qui a trait aux plaintes déposées en vertu du paragraphe 23(1)(b) (voir l’article 59 LMFP ). La loi est présumée ne pas avoir d’effet rétroactif sur le droit substantif. Cependant, les nouvelles dispositions « procédurales » s’appliquent dès leur entrée en vigueur (voir Driedger on the Construction of Statutes , 3 rd ed., pp 508–549, et l’article 43 de la Loi d’interprétation, S.R. ch. I–23, art. 1).

L’article 39 LMFP précise simplement que les affaires dont l’ancienne Commission était saisie « se poursuivent devant la nouvelle Commission qui en décide conformément à la nouvelle loi ».  Cette disposition n’a pas pour effet de changer le régime de droit substantif applicable au moment où l’ancienne Commission a été saisie de l’affaire. Elle ne fait que donner compétence à la nouvelle Commission pour en disposer.

Les sections 12 et 13 de la nouvelle Loi établissent un nouveau régime de droit en ce qui a trait aux pratiques déloyales et à l’instruction des plaintes alléguant, entre autres, de telles pratiques. Ainsi, en vertu des principes d’interprétation mentionnés ci–haut, ces nouvelles dispositions de droits substantifs ne s’appliquent pas aux affaires dont l’ancienne Commission était saisie, en l’occurrence, une allégation de contravention au paragraphe 8(2)(a) de l’ancienne Loi, et qui se poursuivent devant la nouvelle Commission.

De plus, à la lecture même du libellé du paragraphe 190(1)(g) de la nouvelle Loi, la nouvelle Commission instruit une plainte alléguant qu’une personne s’est livrée à une pratique déloyale au sens de l’article 185. Puisque aucune disposition transitoire ne reconnaît de jure une plainte déposée aux termes des paragraphes 23(1)(a) et 8(2)(a) de l’ancienne Loi comme étant réputée une pratique déloyale au sens des articles 185 et suivants de la nouvelle Loi, la plainte qui se poursuit devant la nouvelle Commission ne peut viser une plainte au sens des articles 190(1)(g) et 185. Cette plainte vise plutôt les dispositions applicables au moment des événements en cause, à savoir les paragraphes 23(1)(a) et 8(2) de l’ancienne Loi.

Sous réserve des représentations orales que la Commission aura le loisir de permettre lors de l’audition, le défendeur soumet que les paragraphes 186(2)(b), 190(2) et 191 (3) de la nouvelle Loi, qui prévoient entre autres un renversement du fardeau de la preuve, sont des dispositions de droit substantif et ne s’appliquent pas à la présente affaire.

[ Sic pour l’ensemble de la citation.]

[11]   Une audience a été tenue le 30 mai 2005 et les parties ont eu l’opportunité de faire des représentations orales en ce qui a trait aux questions relatives aux mesures transitoires et de répondre aux arguments de l’autre partie.

Résumé de l’argumentation

[12]   Pour le plaignant, le fondement de la plainte déposée par M. Lamarche, en septembre 2002, était précisé au paragraphe 23(1) de l’ancienne Loi et se retrouve à l’alinéa 190(1)g) de la nouvelle Loi. Les pratiques déloyales, interdites par le paragraphe 8(1) de l’ancienne Loi, sont plus élaborées à l’article 186 de la nouvelle Loi, tout en demeurant les mêmes interdictions de fond.

[13]   Relativement à la question du délai de prescription prévu au paragraphe 190(2), le plaignant a soumis que cet élément est une question de procédure qui ne peut recevoir application que lorsque les textes sont compatibles. Selon le plaignant, l’ajout à la nouvelle Loi d’un délai de prescription de 90 jours n’est pas compatible avec le fait qu’aucun délai n’était prévu à l’ancienne Loi. En ce cas, le paragraphe 44c) de la Loi d’interprétation nous dicte que ce nouvel élément ne peut pas recevoir application. Dans l’éventualité où le délai de prescription serait un élément de fond, il ne pourrait non plus s’appliquer à la plainte de M. Lamarche, sur la base du paragraphe 43c) de la Loi d’interprétation, garantissant les droits acquis des parties.

[14]   Relativement au renversement du fardeau de la preuve prévu au paragraphe 191(3) de la nouvelle Loi, le plaignant soumet que ce n’est qu’une question de procédure pouvant recevoir application au présent dossier. La question du fardeau de la preuve ne touche que la manière dont la preuve est présentée lors de l’audience et ne touche pas le fond des questions soumises. Ce n’est qu’un critère d’appréciation de la preuve utilisé par l’arbitre lorsqu’il doit trancher la question qui lui est soumise et cet élément est essentiellement de nature procédurale. La décision rendue par la Cour suprême du Canada dans R. c. Ali, [1980] 1 R.C.S. 221, précise le principe que la nouvelle procédure ne s’appliquera pas rétroactivement à des choses survenues avant l’entrée en vigueur des nouvelles règles de preuve lorsque ces nouvelles règles ne sont pas compatibles ou adaptables aux anciennes. Dans cette affaire, le dossier était relatif à une nouvelle règle de preuve exigeant « des échantillons » d’haleine plutôt qu’un seul. Comme le renversement du fardeau de la preuve est une disposition de procédure, le principe élaboré au jugement R. c. Ali (supra) doit recevoir application dans la présente cause.

[15]   Pour sa part, le défendeur a soumis que le principe de non rétroactivité des lois est reconnu en common law, tel que le souligne le professeur Ruth Sullivan dans le volume Driedger on the Construction of Statutes (Third Edition, Butterworths). Ce principe de présomption de non rétroactivité est précisé à la page 513 de cet ouvrage. La professeur Sullivan souligne, à la page 526, qu’en l’absence de dispositions transitoires spécifiques, les règles générales, spécifiées à la Loi d’interprétation (S.R. 1985, ch. I–21), doivent recevoir application.

[16]   Selon le défendeur, les nouvelles dispositions relatives à la présomption de culpabilité du défendeur et au fardeau de la preuve, ainsi que le nouveau délai de prescription, sont des questions de fond et non pas de procédure. Selon l’ancienne Loi, le plaignant doit démontrer que le défendeur a violé les interdictions précisées à la loi, alors que le défendeur est présumé coupable sur dépôt de la plainte dans la nouvelle Loi. Ceci crée une nouvelle obligation pour le défendeur. Il en est de même pour le fardeau de prouver le contraire qui lui est imposé au paragraphe 191(3) de la nouvelle Loi.

[17]   L’article 39, qui prévoit que la nouvelle Commission est saisie de l’ensemble des dossiers de l’ancienne Commission, ne prévoit rien de spécifique relativement à une plainte inscrite selon l’alinéa 23(1)a) de l’ancienne Loi. Le législateur a prévu, aux articles 59 et 60 des dispositions transitoires, un traitement spécifique pour les plaintes inscrites sur la base des alinéas 23(1)b) et 23(1)c) de l’ancienne Loi.

[18]   Le principe de common law, relativement à la présomption de non rétroactivité des lois, est reconnu et précisé à la publication Interprétation des Lois (3 e édition), par Pierre–André Côté. Ce principe est qu’il n’y a pas d’application rétroactive des lois en l’absence de stipulations spécifiques en ce sens à la loi. Il ne peut y avoir d’application rétroactive des stipulations modifiant les droits des parties en regard de la présomption de culpabilité et du fardeau de la preuve ainsi que du délai de prescription. Les parties ont acquis leurs droits au moment de l’inscription de la plainte de M. Lamarche auprès de l’ancienne Commission en septembre 2002. Même si on considère que la nouvelle Commission est saisie « de nouveau » de la plainte à la date de la décision de la Cour d’appel fédérale le 8 mars 2005, l’ancienne Loi doit recevoir application, car la nouvelle Loi ne peut pas recevoir application avant le 1er avril 2005.

[19]   En réplique, le plaignant soumet que l’article 39 est clair et précise que la nouvelle Commission doit décider des dossiers dont était saisie l’ancienne Commission conformément à la nouvelle Loi. L’obligation qui est prévue dans l’ancienne Loi est celle qui interdit au défendeur de poser des gestes de « pratiques déloyales » envers un employé. Cette obligation a été maintenue dans la nouvelle Loi, même si la façon de procéder à la preuve a été modifiée.

[20]   La nouvelle Commission doit traiter de la plainte de M. Lamarche comme toute autre plainte dont elle est saisie. Les nouvelles règles relatives à la preuve doivent recevoir application, l’audience ayant débuté après l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi.

[21]   Comme chacune des parties a demandé l’opportunité de compléter par écrit ses argumentations sur la question de l’application de la nouvelle Loi, elles ont été dirigées à ce faire. Comme il n’est pas possible de gérer l’audience et le déroulement de la preuve alors que les parties soumettent à la Commission des positions non conciliables, j’ai décidé qu’une décision interlocutoire sera rédigée, suite au dépôt des arguments complémentaires sur les questions débattues.

[22]   Le 13 juin 2005, le plaignant a déposé à la nouvelle Commission son complément à l’argumentation sur la question préliminaire et en a envoyé copie à l’autre partie. Les arguments sont comme suit :

La présente affaire concerne une plainte déposée en vertu de l’article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (l’ancienne Loi) et par laquelle le plaignant, M. Lamarche, reproche à l’employeur et/ou son représentant d’avoir contrevenu à la loi en adoptant des pratiques interdites par l’article 8 de cette même loi, soit de refuser de considérer sa candidature à un poste pour le seul motif que celui–ci occupe un poste de niveau national au sein de son syndicat. La plainte a été définitivement reçue par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) le 10 septembre 2002.

La CRTFP a convoqué les parties pour enquête et audition une première fois le 30 octobre 2003 devant l’arbitre J.P. Tessier. Après que le premier témoin du plaignant eut été entendu, l’arbitre a déclaré connaître le défendeur personnellement et de ce fait, se sentait dans l’obligation de se récuser.  L’affaire a donc été retournée au greffe de la CRTFP pour qu’un nouvel arbitre soit nommé. Les 19 et 20 janvier 2004, l’affaire est instruite de nouveau devant la Vice–présidente de la CRTFP, Me Sylvie Matteau, qui a rejeté la plainte par une décision écrite rendue le 26 avril 2004. Considérant que les règles de justice naturelle n’avaient pas été respectées, le plaignant porte la décision devant la Cour d’appel fédérale pour révision judiciaire.

Dans un jugement rendu séance tenante, la Cour d’appel fédérale a fait droit à la demande de M. Lamarche, a annulé la décision de la CRTFP rendue le 26 avril 2004 et a ordonné que l’affaire lui soit retournée pour une nouvelle audition devant un tribunal autrement constitué. Les parties ont donc été convoquées de nouveau par la CRTFP les 30 et 31 mai et le 1 juin 2005 afin de reprendre en entier l’audition de cette affaire.

Les parties ont donc comparu devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique le 30 mai dernier afin d’instruire la présente affaire. D’entrée de jeu, la Commission a soulevé une question préliminaire relativement à l’application de certaines dispositions de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, entrée en vigueur le 1er avril 2005 (ci–après : la nouvelle Loi). Bien que les parties aient eu la chance de faire valoir sommairement leurs arguments, la Commission a accepté de permettre aux parties de présenter des notes écrites complémentaires.

À l’origine, les questions soulevées visaient à déterminer si la Commission devait appliquer les articles 186, 190 et 191 de la nouvelle Loi lors de l’audience initialement prévue les 30, 31 mai et 1er juin 2005. Compte tenu de la nature de ces dispositions, il a été décidé par la Commission qu’une décision préliminaire quant à l’application de ces dispositions était nécessaire avant de procéder à l’enquête sur le fond, particulièrement en raison du paragraphe 191(3) qui impose dorénavant un renversement du fardeau de la preuve dans le cas des plaintes déposées au titre du paragraphe 190(1) de la nouvelle Loi. Tel que démontré lors de l’audience du 30 mai dernier, l’article 190 constitue le pendant de l’article 23 de l’ancienne Loi. La plainte déposée par le plaignant vise à dénoncer le défaut du défendeur de respecter une interdiction prévue à l’article 8 de l’ancienne Loi.  Or, l’article 186 de la nouvelle Loi protège les mêmes  droits bien que le Législateur les qualifient dorénavant de pratiques déloyales.  Si la dénomination s’en trouve modifiée, le fondement demeure le même. Par conséquent, doit–on établir une limite à l’application des dispositions contenues à la nouvelle Loi relativement à l’affaire en l’espèce?

Par ailleurs, les argumentations fournies par les parties à l’audience ont eu pour conséquences de soulever des questions additionnelles. Ces questions pourraient se résumer ainsi :

  • Les dispositions relatives au fardeau de la preuve et au dLes dispositions relatives au fardeau de la preuve et au délai prévu pour le dépôt d’une plainte, constituent–elles des questions de droit ou de procé
  • Comme la plainte a Comme la plainte a été déposée avant l’entrée en vigueur de la nouvelle disposition de l’article 191(3), peut–on conclure que le défendeur Marceau avait, au moment même du dépôt de la plainte, un droit acquis à l’é
  • L’ordonnance de la Cour d’appel fédérale retournant cette affaire devant la CRTFP pour une nouvelle audition doit–elle être interprétée comme s’il s’agissait d’une toute nouvelle affaire pour la CRTFP ou plutôt comme la poursuite d’une affaire dont elle était déjà

L’application de la nouvelle Loi

Bien que la plainte soumise à la Commission ait été déposée avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi, nous sommes d’avis qu’il est du devoir de la Commission d’appliquer ces nouvelles dispositions. En effet, le Législateur a clairement manifesté son désir de l’appliquer aux affaires en cours dès son entrée en vigueur le 1er avril 2005. À cet égard, l’article 39 des dispositions transitoires est clair.  Comme cette affaire n’était pas en cours d’instruction au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi, seul le paragraphe 39(1) peut être appliqué :

   39. (1)
Sous réserve des autres dispositions de la présente section, les affaires dont l’ancienne commission était saisie à l’entrée en vigueur de l’article 12 de la nouvelle Loi se poursuivent devant la nouvelle commission qui en décide conformément à la nouvelle Loi.

Lors de l’audience du 30 mai dernier, le défendeur a souligné que le Législateur avait choisi de n’inclure aucune disposition transitoire particulière relativement à l’instruction des plaintes de même nature que celle déposée par le plaignant dans la présente affaire. Nous sommes donc d’avis que le paragraphe 39(1) doit s’appliquer à la lumière des règles générales d’interprétation. À cet égard, il faut s’en remettre aux articles 43 et 44 de la Loi d’interprétation , L.R.C. 1985, ch. I–21. L’article 43 énonce notamment que l’abrogation d’une loi ne peut porter atteinte aux droits ou avantages acquis, alors que l’article 44 mentionne clairement qu’une règle de procédure établie par le nouveau texte doit être suivie, dans la mesure où l’adaptation en est possible.  Or, ces principes ont vite fait de soulever le débat à savoir si la question du fardeau de la preuve doit être considérée comme une règle de procédure ou de droit substantif, et dans un deuxième temps, s’il s’agit d’un droit attribué au défendeur, ce droit lui est–il acquis.

Application rétroactive des Lois

La nécessité de déterminer si le renversement du fardeau de la preuve prévu au paragraphe 191(3) de même que la question du délai prévu au paragraphe 190(2) sont des questions de droit ou de procédure relève essentiellement du principe selon lequel une loi ne peut être appliquée rétroactivement à moins que le texte ne le décrète expressément ou n’exige implicitement une telle interprétation. Or, dans l’affaire en l’espèce, le Législateur n’a prévu aucune règle de cette nature relativement à l’application des articles 190 et 191 de la nouvelle Loi. Par conséquent, la loi doit s’appliquer dès son entrée en vigueur et il revient à la Commission de déterminer s’il s’agit de droits de fond préalablement acquis aux parties avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi ou s’il s’agit d’une question de procédure, auquel cas ces dispositions doivent être appliquées in extenso dès leur entrée en vigueur. (À cet effet, voir Gustavson Drilling (1964) Ltd . C . Canada (ministre du Revenu national M.R.N. ), [1977] 1 R.C.S. 271 et Québec (Procureur général) c. Québec (Tribunal de l’expropriation ), [1986] 1 R.C.S. 732).

Concernant l’effet immédiat ou rétroactif des lois, l’auteur Pierre–André Côté s’exprime ainsi dans son ouvrage Interprétation de Lois, 3 e édition, Les éditions Thémis, p. 225 et 226.

[…] l’application immédiate des lois de procédure n’implique en soi aucun effet rétroactif. La règle est simplement qu’il n’y a pas de droit acquis en matière procédurale. Il n’y a donc pas de survie de la loi ancienne et la nouvelle, intervenant même en cours d’instance, s’appliquera dès son entrée en vigueur de manière à régir uniquement le déroulement futur de celle–ci.

[…]

Les lois de procédure s’appliquant aussi aux instances en cours, on a appelé ce phénomène « rétroactivité » par analogie avec l’effet des lois concernant le fond. Or, les lois de procédure en régissent pas le droit dont le juge déclare l’existence : elles concernent les procédés qui servent à faire valoir le droit, elles traitent du déroulement du procès. Il est donc normal qu’une loi touchant le déroulement du procès s’applique aux procès en cours pour ce qui concerne leur déroulement futur. Il n’y a pas là de rétroactivité, simplement un effet immédiat.

Le délai de l’article 190(2) de la nouvelle Loi

Lors de l’audience du 30 mai dernier, le plaignant a prétendu que le paragraphe 190(2) était une question de procédure et qu’elle ne pouvait par conséquent être appliquée a posteriori en raison de l’incompatibilité avec le texte antérieur qui n’imposait aucun délai précis au plaignant pour déposer une telle plainte. En supposant que le plaignant ait déposé sa plainte dans un délai supérieur à 90 jours, ce que nous nions, l’application du paragraphe 190(2) permettrait au défendeur d’invoquer la prescription du recours comme moyen de défense, moyen dont il ne disposait pas au moment du dépôt de la plainte. Non seulement ceci aurait pour effet de procurer un moyen de défense supplémentaire au défendeur mais également de priver rétroactivement le plaignant d’un droit qui lui était acquis, soit de déposer une plainte.

Le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Martin c. Perrie, [1986] 1 R.C.S. 41 présente un exposé clair de l’approche que doivent adopter les tribunaux lorsqu’un texte abrogé affecte les délais de prescriptions. Les faits de l’affaire avaient trait à une action en dommages pour négligence médicale. Plus de dix ans après une intervention chirurgicale ayant eu lieu en 1969, la demanderesse a pris connaissance de la négligence dont elle avait été victime de la part du chirurgien qui l’avait opérée. Cependant, au moment de l’intervention, la loi en vigueur prévoyait un délai de prescription d’un an après la fin des traitements pour intenter une poursuite de cette nature. Or, au moment où elle prend connaissance de la négligence, la loi, abrogée entre temps, prévoyait maintenant un délai de prescription d’une année à partir du moment où elle a connu ou aurait dû connaître les faits sur lesquels elle appuie sa demande. Or, au paragraphe 17 de son jugement, la Cour suprême s’approprie les propos émis par La Haute Cour de l’Australie dans une affaire similaire :

[17] Aux pages 277 et 278, le juge Williams dit :

[TRADUCTION]  Les lois de prescription sont souvent qualifiées de procédure. Mais il serait peu sage d’attribuer en principe un effet rétroactif à toutes lois de prescription. Deux genres de cas peuvent se poser. Une loi de prescription en vigueur peut être modifiée soit en allongeant, soit en réduisant le délai dans lequel la procédure doit être engagée. Si le délai est allongé alors qu’un justiciable est toujours dans le délai où il peut intenter son action, le délai plus court peut, encore une fois, être qualifié de procédural. Mais si le délai est allongé alors que le justiciable est hors délai pour engager l’action, de sorte que celle–ci pourra alors être intentée dans le nouveau délai, ou s’il est réduit, de sorte que le justiciable ne se trouve plus dans le délai lui permettant d’intenter l’action, alors qu’il était toujours dans le délai pour le faire, des questions fort différentes surgissent alors. Le droit d’action qu’on peut exercer diffère fort du droit dont le recours est prescrit parce que tardif. Les lois qui permettent au justiciable d’exercer un droit d’action auparavant prescrit, ou qui interdisent de l’exercer, en réduisant le délai pour agir, ne sauraient être considérées que difficilement comme de simples lois de procédure. Elles affectent des droits matériels.

Contrairement aux faits de l’affaire Martin c. Perrie , la plainte de M. Lamarche avait été déposée bien avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi. Or, dans le cas présent, comme l’application du délai risquerait d’entraîner le rejet de la plainte en raison d’un moyen de défense nouvellement créé, nous considérons qu’en toute cohérence avec les propos de la Cour suprême et des principes généraux d’interprétation, qu’il s’agit ici d’une question de procédure dont l’application contemporaine est incompatible avec les faits de l’affaire.

Par ailleurs, dans son ouvrage Interprétation des lois , 3 e édition, Les éditions Thémis, p.233–234, l’auteur Pierre–André Côté mentionne que la jurisprudence est très partagée quant à la qualification à donner aux lois qui modifient les délais. Il mentionne notamment :

Sous toute réserve, il semblerait que les lois qui modifient les délais sont considérées comme des lois de pure procédure si leur application à une espèce a pour seul effet d’abréger ou de prolonger un délai. Si, par contre, l’application de la loi nouvelle en matière de délai implique soit l’abrogation rétroactive d’un droit qui existait, soit la résurrection d’un droit qui n’existait plus, alors le tribunal sera plutôt porté à considérer que la loi en question n’a pas, dans les circonstances, le caractère d’une loi de pure procédure. Il faut donc, dans chaque cas, se demander quel serait l’effet pratique de l’application de la nouvelle règle. 

Comme la plainte de M. Lamarche a été déposée à l’intérieur du délai de 90 jours inclus dans la nouvelle Loi, nous considérons qu’il n’y a pas lieu de poursuivre plus loin l’étude de cette question.

Le renversement du fardeau de la preuve

Tel que mentionné lors de l’audience du 30 mai dernier, nous sommes d’avis que le renversement du fardeau de la preuve représente une question de procédure et doit par conséquent être appliqué à la présente affaire. Le fardeau de preuve n’affecte aucunement les droits des parties à l’origine de l’exercice du recours entrepris par le plaignant, de la même façon qu’il ne limite ou n’affecte aucunement les moyens de défense que les parties feront valoir lors de l’enquête sur le fond de cette affaire.

À cet égard, l’auteur Pierre–André Côté affirme ceci à la p.235 de son ouvrage Interprétation des lois  :

Les lois relatives à la preuve ne concernent pas directement l’existence même d’un droit : elles ont plutôt trait aux divers éléments susceptibles d’influer sur la conviction d’un juge quant à l’existence d’un droit. Elles déterminent donc la mise en oeuvre judiciaire du droit plutôt que son existence même. Ayant pour objet l’activité du juge ainsi que celles des parties à un procès, il paraît normal que les lois de preuve applicables soient en principe celles qui sont en vigueur au moment où l’activité qu’elles visent s’exerce, c’est–à–dire au moment où la preuve est présentée.

Dans l’affaire Angus c. Sun Alliance Cie d’assurance , [1988] 2 R.C.S. 256, la Cour suprême du Canada devait décider si le texte abrogé avant la prise d’action s’appliquait malgré que les faits à l’origine du recours étaient antérieurs à l’abrogation. Victime d’un accident alors qu’elle était passagère de l’automobile conduite par son mari, Mme Angus a entrepris une action en dommages et intérêts contre celui–ci en raison de sa négligence. Or, au moment de l’accident, la loi interdisait aux époux d’entreprendre une action en dommages et intérêts l’un contre l’autre. Entre le moment de l’accident et le moment où Mme Angus a intenté son action, les dispositions relatives à l’immunité entre les époux furent abrogées. Afin de déterminer si la demanderesse pouvait intenter une action conformément à la loi abrogée, la Cour a d’abord dû déterminer s’il s’agissait d’une question de procédure ou de droit substantif. Aux paragraphes 19 et suivants, la Cour mentionne :

(19) … Une disposition est considérée de nature procédurale ou de fond aux fins de l’application rétroactive non parce qu’elle est sur des droits matériels. P.–A. Côté, dans interprétation des lois (1982), a dit aux pages 149 et 150 :

Lorsqu’il est question de l’application des lois dans le temps, le terme « procédure » est employé dans un sens tout à fait particulier : pour savoir si une disposition est d’application immédiate [c.–à–d. aux affaires en cours] « … il faut décider non seulement si le texte touche la procédure, mais aussi qu’il ne touche que la procédure sans toucher le fond du droit des parties ». [Citant De Roussy c. Nesbitt (1920), 53 D.L.R. 514, 516 (traduction).]

(20) En l’espèce, il est difficile de voir de quelle façon la procédure est touchée. La disposition en question offre un moyen de défense complet. Quelles que puissent en être les raisons et qu’on les approuve ou non, une disposition offrant un moyen de défense complet, tout autant que la créationd’une cause d’action elle–même, est un élément de fond.

(21) Même si l’on présume que la disposition en question est de nature procédurale dans un certain sens, les tribunaux qui ont créé des présomptions concernant l’effet rétroactif des règles de procédure n’avaient pas ce genre de distinction à l’esprit. Normalement, les règles de procédure n’ont pas d’effet sur le contenu ou sur l’existence d’une action ou d’un moyen de défense (ou d’un droit, d’une obligation ou de quelque autre objet de la loi), mais seulement sur la manière de l’appliquer [page 226] ou de l’utiliser. Dans Maxwell on Statutory Interpretation (12th ed. 1969), à la p. 222, P. St. J. Langan dit à ce sujet :

[TRADUCTION] La présomption d’interprétation non rétroactive ne s’applique pas aux dispositions qui n’ont seulement d’effet que sur la procédure et la pratique des tribunaux. Nul n’a de droit acquis sur une procédure particulière; une personne a seulement le droit de poursuivre ou de se défendre de la manière prescrite à ce moment–là par ou pour les tribunaux devant lesquels elle poursuit et, si une loi du Parlement modifie ce mode de procédure, elle ne peut agir que selon ce nouveau mode.

Le changement d’un « mode » de procédure dans la production d’une défense est une chose très différente du retrait complet du moyen de défense. Ce dernier est essentiellement une atteinte à un droit acquis.

(22) C’est ce qui explique l’exception créée par les tribunaux pour les lois relatives à la prescription. Bien que dans un certain sens elles soient « procédurales », on ne présumera pas qu’elles ont un effet rétroactif étant donné qu’elles peuvent priver un demandeur du droit d’action qu’il avait au moment de l’adoption de la loi; (…)

Cette opinion émise par la Cour suprême cadre parfaitement avec la présente affaire. En effet le renversement du fardeau de la preuve n’affecte aucunement les moyens de défense que pourrait faire valoir le défendeur Marceau lors de l’enquête au fond. La seule différence sera dans la façon dont les moyens de preuve seront présentés et analysés par la Commission. Il faut retenir que le renversement du fardeau de la preuve a pour seule conséquence de changer le « mode » de procédure dans la production de la défense.

Or, comme il s’agit d’une question de procédure, il serait erroné de prétendre que le défendeur Marceau dispose d’un droit acquis relativement au fardeau de la preuve. Par ailleurs, même si la Commission concluait qu’il s’agit d’une question de droit, ce que nous contestons, on ne saurait prétendre qu’un tel droit était acquis au défendeur. La jurisprudence de la Cour suprême sur le sujet est on ne peut plus claire. Un droit est considéré acquis que lorsque son titulaire peut vraiment l’exercer de façon certaine et non tributaire d’événements futurs. Dans le cas en l’espèce, l’attribution du fardeau de la preuve n’a lieu qu’au moment ou l’affaire est instruite devant un tribunal, soit au moment où l’enquête sur le fond s’amorce. Le fait pour le défendeur Marceau d’être déchargé du fardeau de la preuve par l’ancienne Loi ne peut être considéré comme un droit qui lui était acquis. Si la commission en venait à la conclusion qu’il s’agit d’un droit de fond, ce que nous contestons, celui–ci pourrait être considéré tout au plus, de simple expectative.  ( Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national M.R.N.) , [1977] 1 R.C.S. 271, Québec (Procureur général) c. Québec (Tribunal de l’expropriation) , [1986] 1 R.C.S. 732, R. c. Puskas , [1998]  1 R.C.S. 1207).

Précédents

Bien que le renversement du fardeau de la preuve prévu au paragraphe 191(3) soit de droit nouveau dans la nouvelle Loi, une disposition de ce type n’est pas étrangère aux lois du travail au Canada. En effet, le Code canadien du travail dispose notamment de dispositions semblables relativement à la charge de la preuve. Des questions similaires à celles soulevées dans l’affaire en l’espèce ont donc déjà été étudiées lors de l’entrée en vigueur des dispositions de même nature.

Le 6 juillet 1979, le Conseil canadien des relations de travail (ci–après : CCRT) rendait une décision dans l’affaire Union Nationale des employés de commerce et Banque Canadienne Nationale , 35 di 39 ; [1980] 1 Can LRBR 470 relativement à des plaintes pour pratiques déloyales déposées par le syndicat. Dans sa décision, le CCRT apporte des réponses à la question de l’application d’une disposition qui introduisait un renversement du fardeau de la preuve dans les cas de plaintes pour pratiques déloyales. Comme en l’espèce, la disposition prévoyant le renversement du fardeau de la preuve était entrée en vigueur après les événements à l’origine des plaintes et avant le début de l’instruction de l’affaire devant le CCRT.

Dans sa décision, le CCRT a statué clairement que le changement relatif au renversement du fardeau de la preuve était un changement dit de procédure et qu’il avait pour effet de s’appliquer à toutes causes venant à audition après l’entrée en vigueur d’une telle disposition. La décision rendue par le CCRT à l’égard de cette question préliminaire est inspirée d’une décision rendue quelques années auparavant par le Conseil des relations du travail de l’Ontario dans l’affaire Barrie Typographical Union number 873 and The Barrie Examiner , [1976] 1 Can LRBR 291. Les faits de cette affaire sont également similaires au cas en l’espèce en ce qui concerne l’entrée en vigueur d’une disposition introduisant un renversement du fardeau de la preuve.

Dans sa décision, le CCRT énonce ceci :

Sur le premier point soulevé, c’est–à–dire l’applicabilité du nouvel article 188(3) aux plaintes que nous avons à traiter, nous avons rendu, au début de l’audition, une décision à l’effet que le changement envisagé à l’article 188(3) était un changement dit de procédures et qu’il avait pour effet de s’appliquer à toutes causes venant pour audition devant nous après le 1er juin 1978. Nous avons fondé cette décision en nous référant à la décision du Conseil des relations du travail de l’Ontario dans l’affaire Barrie Typographical Union number 873 and The Barrie Examiner , [1976] 1 Can LRBR 291, et où le Conseil de l’Ontario avait  considéré une situation similaire. Voici ce qu’il disait aux pages 295 et 296 :

« Les règles servant à déterminer à quelle partie incombe le fardeau de la preuve sont incontestablement des règles de procédure. La question du fardeau de la preuve ne se pose qu’après que celui qui juge au fond a conclu que les preuves se contrebalancent à un point tel qu’il est impossible de tirer une conclusion quelconque. Voir l’affaire Robins v. National Trust Ltd . [1972] 2 D.L.R. 98 (J.C.P.C.). Dans une situation de ce genre, celui qui juge au fond doit alors se rabattre sur ladite règle et tirer une conclusion fondée sur la preuve contre la partie à laquelle incombe le fardeau de la preuve. Des règles comme celle du fardeau de la preuve, sont par conséquent des règles de preuve qui établissement la procédure à suivre lorsque les preuves des deux parties qui s’opposent se contrebalancent. À l’appui de cette conclusion, voir l’affaire R. v. Krimps [1931] 3 D.L.R. 767 (cour d’appel du Man.). Des déclarations dans le même sens se retrouvent dans les causes Attorney General v. Halliday [1866–1867] U.C.Q.B. 367 et Sanders v. Malsbury (1882) 1 O.R. 178. À la lumière de cette jurisprudence, nous ne doutons pas que la modification apportée à l’article 79 de la Loi sur les relations de travail, renversant le fardeau de la preuve, soit une règle de procédure.

Parce qu’il s’agit d’une question de procédure, le fardeau renversé de la preuve peut être interprété comme s’appliquant à toutes les auditions tenues après qu’il y a été légiféré. Cette interprétation ne confère pas d’effet rétroactif à cette règle. Comme celle–ci sert à l’évaluation de la preuve au cours de l’audition, le moment pertinent à l’audition même et non à l’époque où se sont produits les faits qui entrent en preuve. Comme l’audition est tenue après que la règle est entrée en vigueur, on ne peut donc dire que la règle est rétroactive. Il convient à ce stade–ci de faire une distinction entre le début des procédures et la tenue d’une audition. Comme le fardeau renversé de la preuve n’entre en jeu qu’après que les preuves ont été entendues à l’audition, le simple fait qu’en l’espèce, les procédures aient débuté avant que les modifications à la loi n’entrent en vigueur n’appelle pas rétroactivité. Comme il a été mentionné dans l’affaire Wicks v. Armstrong , les modifications aux règles de la preuve s’appliquent immédiatement, sans égard au moment où les procédures ont débuté.» (Traduction de nous)

L’ordonnance de la Cour d’appel fédérale

En ce qui concerne la décision de la Cour d’appel fédérale, nous sommes d’avis que celle–ci n’a aucune influence sur l’application des dispositions de la nouvelle loi. En ordonnant que l’affaire soit retournée pour une toute nouvelle audition, la Cour se trouve à saisir la CRTFP comme s’il s’agissait d’une toute nouvelle affaire. En rendant sa décision le 6 avril 2004, la CRTF s’est définitivement dessaisie de cette affaire et seule la Cour d’appel fédérale avait le pouvoir de lui retourner.

Par ailleurs, les conclusions auraient pu être différentes si la Cour avait ordonné une simple réouverture d’enquête afin de permettre que des éléments de preuve supplémentaires soient présentés. Dans un tel cas, il aurait fallu se questionner sur l’application de la nouvelle loi dans le cas d’une affaire dont l’instruction a débuté avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions. Or, dans le cas qui nous occupe, comme l’instruction de l’affaire n’est pas encore amorcée, on ne peut conclure autrement que par l’application des nouvelles dispositions, le tout conformément aux arguments et autorités ci–haut mentionnés.

International Association of Machinist and Aerospace workers and District lodge 147, National Association of Federal Correctional Workers, complainants,

AND

Correctional Service Canada, Treasury Board and Don Graham, respondents,

P.S.L.R.B., 561–2–49, 6 juin 2005.

Le 9 juin 2005, la CRTFP acheminait aux parties une décision rendue le 6 juin 2005 par la nouvelle Commission des relations de travail dans la fonction publique, en demandant aux parties d’en commenter le passage traitant des dispositions transitoires relative à l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi le 1er avril 2005.

La décision traite également d’une plainte déposée en vertu de l’article 23 de l’ancienne Loi et reproche à l’employeur des manquements aux interdictions prévues aux articles 8, 9 et 10. L’audience a été tenue les 21 et 22 février 2005, soit quelques semaines avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi. Comme la décision n’était pas rendue au moment de l’entrée en vigueur de la loi, la CRTFP s’est penchée sur la question de l’application des dispositions de la nouvelle Loi. Après avoir donné aux parties la chance de faire valoir leur point de vue, la CRTFP a statué que les nouvelles dispositions ne pouvaient s’appliquer pour les raisons suivantes :

  [TRADUCTION]

[81]  Cette plainte, toutefois, a été présentée sous l’ancienne LRTFP. Une fois la plainte déposée, les droits de parties se sont cristallisés, notamment en ce qui a trait à qui peut être une partie et à qui incombe le fardeau de la preuve. Sans une indication claire de la part du Parlement, on ne doit pas faire obstacle à ces droits (Voir Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes , 4 th ed., à la page 568, ainsi que l’article 43 de la Loi d’interprétation .)

Nous sommes d’accord avec la CRTFP de ne pas avoir appliqué les dispositions de la nouvelle Loi sans par ailleurs acquiescer aux motifs retenus au soutien de sa décision. Tout d’abord, nous soumettons respectueusement que la CRTFP a erré en décidant que le fardeau de la preuve constituait un droit. Tel que mentionné précédemment, nous maintenons que l’attribution du fardeau de la preuve est une question de procédure. Cependant, nous croyons qu’il serait erroné que d’appliquer une telle disposition considérant que l’ensemble de la preuve avait été entendu avant l’entrée en vigueur de la loi. Appliquer un renversement du fardeau de la preuve alors qu’une affaire est déjà prise en délibéré serait tout simplement incompatible et par conséquent contraire aux règles d’interprétation.

Compte tenu des arguments ci–dessus et du fait que l’instruction de la plainte de M. Lamarche devant la nouvelle commission débutera qu’après l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi, cet aspect de la décision ne peut trouver ici application.

En conséquence de ce qui précède, nous demandons à Commission des relations de travail dans la fonction publique de faire droit aux arguments du plaignant et d’appliquer les dispositions de la nouvelle loi lors de l’audition sur le fond de cette affaire.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[23]   Le défendeur a déposé ses représentations supplémentaires à la nouvelle Commission le 13 juin 2005 et en a fait parvenir copie à l’autre partie. Ses arguments se lisent comme suit :

Objet : Plainte selon l’article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique
Plaignant : Réal Lamarche  561–34–29

Suite à votre lettre du 1 juin dernier, veuillez trouver, ci–bas, les représentations supplémentaires du défendeur quant aux questions soulevées par la Commission au sujet de l’application des dispositions de la « nouvelle  » Loi sur les relations de travail dans la fonction publique à la lumière des dispositions transitoires, et plus particulièrement l’article 39 LMFP . Le défendeur a déjà pris la position que le paragraphe 191(3) de la nouvelle loi, opérant la présomption de culpabilité du défendeur et lui imposant le fardeau de prouver le contraire, ne s’applique pas en l’espèce.

En ce qui a trait à la protection des droits acquis, le défendeur soumet que le dépôt de la plainte en octobre 2002, aux termes du graphe 23(1)(a) de la loi applicable à l’époque, a eu pour effet de cristalliser la situation juridique entre les parties de sorte les dispositions de droit substantif en vigueur à l’époque doivent s’appliquer (voir paragraphe 81 de la décision récente IAMAW and Correctional Service 2005 PSLRB 50), à moins d’indication contraire du législateur.

Le libellé même du paragraphe 191(3) de la nouvelle loi démontre l’intention du législateur de protéger la situation juridique applicable au moment du dépôt de la plainte.

191(3)

La présentation par écrit, au titre du paragraphe 190(1), de toute plainte faisant état d’une contravention, par l’employeur ou la personne agissant pour son compte, du paragraphe 186(2), constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle–ci de prouver le contraire.

C’est donc lors de la présentation par écrit, au titre du paragraphe 190(1) [de la nouvelle loi], que la présomption de culpabilité du défendeur et le renversement du fardeau de preuve s’opèrent.

Par conséquent, tel que soumis par le défendeur, le paragraphe 191(3) de la nouvelle loi ne peut trouver application à la plainte en l’espèce puisque celle–ci fut déposée aux termes du paragraphe 23(1)(a) de l’ancienne loi.

[ Sic pour l’ensemble de la citation.]

[24]   La réplique du plaignant, relativement à l’argumentation du défendeur, déposée à la nouvelle Commission et expédiée à l’autre partie le 23 juin 2005, se lit comme suit :

Dans son argumentation, le défendeur prétend que le fardeau de la preuve est une question de droit et que ce droit était acquis au défendeur dès l’instant où la plainte a été déposée, soit avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Pour les motifs invoqués dans notre argumentation écrite, nous contestons une telle interprétation qui, par ailleurs, n’est appuyée d’autre autorité autre que la décision rendue récemment par la Commission des relations de travail dans la fonction publique ( CRTFP ) dans l’affaire IAMAW and  Correctional Service 2005 PSLRB 50. À l’égard de cette décision, nous soumettons respectueusement que de qualifier le fardeau de la preuve de droit substantif est une conclusion erronée allant à l’encontre de la doctrine et d’une abondante jurisprudence, le tout tel que démontré dans l’argumentation soumise par le plaignant.

Au soutien de sa décision dans l’affaire IAMAW v. « sic » Correctional Service 2005, CRTFP s’en remet à un passage de l’ouvrage Ruth Sullivan, ( Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes , 4th édition, p. 568) traitant exclusivement de la notion de droits substantifs et de droits acquis. Or à cet égard, on ne peut nier le bien fondé des explications fournies par l’auteure mais force est de conclure qu’il est cité dans un tout autre contexte. En effet, tout comme dans l’affaire en l’espèce, la CRTFP était en présence d’une question de procédure et non de droit substantif. À la page 236 de son ouvrage Interprétations des lois , Pierre–André Côté affirme ceci à l’égard des lois relatives à la preuve :

La jurisprudence offre des exemples nombreux de lois concernant la preuve qui ont été jugées de pure procédure et donc d’application immédiate: une loi qui rend admissible en preuve un document qui ne l’était pas auparavant; une loi qui opère un renversement du fardeau de la preuve; une loi qui confère une valeur probante à un document ou à un fait; une loi qui modifie les règles relatives à l’exigence de corroboration; une loi relative à la protection des témoins.

Comme il n’y a pas de notion de droit acquis à l’égard des questions de procédure, il est donc erroné de prétendre qu’il était acquis au défendeur, dès le dépôt de la plainte écrite, que le fardeau ne lui incombait pas. L’imputation du fardeau de la preuve prend tout son sens au moment même où la preuve est soumise au tribunal qui est lui–même chargé d’administrer les règles de preuve dans le cadre des affaires qu’il est appelé à juger.

Pour ces motifs et ceux soumis lors de la présentation de l’argumentation écrite, nous demandons à la Commission de rejeter les prétentions du défendeur et d’ordonner l’application de l’article 191(3) de la nouvelle loi lors de l’audition sur le fond.

[ Sic pour l’ensemble de la citation]

[25]   La réponse du défendeur aux arguments soumis par le plaignant a été déposée à la nouvelle Commission et expédiée à l’autre partie le 28 juin 2005. Cette réponse est rédigée comme suit :

La présente se veut une réponse aux arguments déposés par le plaignant le 13 juin dernier.

Les arguments du plaignant portent surtout sur la distinction entre les notions de droit substantif et procédural. Le défendeur réitère sa position à l’effet que la modification au sein de la nouvelle loi en ce qui a trait à la présomption de culpabilité du défendeur prévu au paragraphe 191(3) est bien de droit substantif et non procédural. Le défendeur s’en remet à ses arguments initiaux mais désire préciser ce qui suit.

Le droit de déposer une plainte de pratique déloyale et d’obtenir réparation est de nature substantive. Ce droit n’existe que parce qu’un mécanisme législatif le prévoit. Or, sous le régime de l’ancienne loi, le mécanisme pour se plaindre se trouvait à l’article 23. En ce qui a trait au mécanisme prévu par la nouvelle loi, il se retrouve aux articles 190 et suivants. Entre autres, un délai de prescription y est prévu, ainsi que la présomption de culpabilité du défendeur (190 (2) et 191(3)), lesquels n’existaient pas sous l’ancien régime. Cette présomption ne peut s’opérer qu’à la naissance de la plainte déposée au titre de l’article 190, tel qu’en témoigne le libellé du paragraphe 191(3). Il est donc erroné de prétendre qu’il s’agit ici d’une simple procédure aux fins de l’appréciation de la preuve.

De plus, contrairement aux prétentions du plaignant, la constitution de la preuve contre le défendeur par le dépôt d’une plainte ne commande aucune appréciation de la part du Tribunal lors de l’audition. Il s’agit d’une présomption légale établie par l’effet de la loi, au moment du dépôt de plainte, et ne fait pas appel à l’appréciation de la preuve par le Tribunal au moment de l’audition. La plainte de M. Lamarche a été déposée sous le régime de l’article 23 de l’ancienne loi, prévenant ainsi la naissance de la présomption légale de culpabilité contre le défendeur tel que prévu sous le régime de la nouvelle loi.

[ Sic pour l’ensemble de la citation]

Motifs de la décision

[26]   Le paragraphe 39(1) des dispositions transitoires apparaissant à la partie 5 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique indique que les affaires dont l’ancienne Commission était saisie au 31 mars 2005 se poursuivent devant la nouvelle Commission. Cet élément ne crée pas de problème d’interprétation, contrairement à la dernière partie du paragraphe où il est stipulé que la nouvelle Commission en décide conformément à la nouvelle Loi.

[27]   La plainte en l’instance est fondée sur l’alinéa 23(1)a) de l’ancienne Loi et dénonce le non respect des interdictions prévues à l’alinéa 8(2)a). Elle allègue que le défendeur a fait preuve de discrimination envers le plaignant sur la base de sa participation à des activités syndicales, lors d’un processus de nomination.

[28]   Les plaintes de cette nature sont considérées, à la nouvelle Loi, au titre de « pratiques déloyales » définies à l’article 185 de la section 12 de la nouvelle Loi. Une plainte peut être logée à l’encontre de pratiques déloyales de la part d’un défendeur sur la base de l’alinéa 190(1)g) de la nouvelle Loi. L’interdiction de faire des distinctions illicites en matière d’emploi ou d’autres conditions d’emploi envers un employé, pour le motif qu’il adhère à ou est un dirigeant ou un représentant d’une organisation syndicale, est précisée au sous–alinéa 186(2)a)(i). L’interdiction d’imposer, à l’occasion d’une nomination, des conditions visant à empêcher un fonctionnaire d’adhérer à une organisation syndicale ou d’exercer un droit prévu à la Loi est prévue à l’alinéa 186(2)b) de la nouvelle Loi.

[29]   Une plainte déposée selon l’article 190 de la nouvelle Loi doit être présentée dans les 90 jours de la date à laquelle le plaignant a eu (ou aurait dû avoir) connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu, tel que précisé au paragraphe 190(2). Ce délai d’échéance n’existait pas sous l’ancienne Loi.

[30]   D’autre part, le paragraphe 191(3) de la nouvelle Loi stipule :

191(3) La présentation par écrit, au titre du paragraphe 190(1), de toute plainte faisant état d’une contravention, par l’employeur ou la personne agissant pour son compte, du paragraphe 186(2), constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle–ci de prouver le contraire.

[31]   Ces stipulations impliquent que le défendeur est présumé coupable de pratiques déloyales sur présentation d’une plainte écrite alléguant une telle contravention. Il lui incombe alors de prouver que cette contravention n’a pas eu lieu. Ces éléments sont des droits nouveaux de par la nouvelle Loi.

[32]   Ainsi, la nouvelle Loi précise de nouveaux éléments rattachés à une plainte de pratiques déloyales, soit un délai de prescription du recours de 90 jours; une présomption que le défendeur a contrevenu à l’interdiction, et qu’il supporte le fardeau de démontrer le contraire. La question à trancher est donc à savoir si ces nouvelles dispositions doivent être mises en application dans la présente plainte et si le régime de la nouvelle Loi a une portée rétroactive sur la plainte en l’instance.

Les mesures transitoires

[33]   Aucune stipulation des mesures transitoires ne précise spécifiquement comment des plaintes inscrites suivant l’alinéa 23(1)a) de l’ancienne Loi doivent être traitées, sauf dans l’énoncé général du paragraphe 39(1), qui dicte que les affaires qui se poursuivent devant la nouvelle Commission sont décidées conformément à la nouvelle Loi. Le législateur a clairement prévu, aux articles 59 et 60 des mesures provisoires, comment les plaintes visées à l’alinéa 23(1)b) de l’ancienne Loi sont réputées des griefs de principes et celles inscrites en vertu de l’alinéa 23(1)c) sont réputées avoir été retirées au 1er avril 2005. Ces éléments démontrent que la volonté du législateur est bien d’appliquer aux plaintes inscrites en vertu des alinéas 23(1)b) et 23(1)c) de l’ancienne Loi le nouvel régime des droits et obligations des parties à compter du 1er avril 2005. Je ne crois pas que l’énoncé général du paragraphe 39(1) des dispositions transitoires (selon lequel les affaires dont était saisie l’ancienne Commission le 31 mars 2005 doivent être décidées conformément à la nouvelle Loi), démontre la volonté du législateur de modifier rétroactivement les droits et obligations des parties, en regard des plaintes déposées à l’ancienne Commission en vertu de l’alinéa 23(1)a) de l’ancienne Loi.

[34]   Considérant que le législateur n’a pas spécifiquement précisé comment le nouveau régime de droits et obligations des parties pour des plaintes relatives à des pratiques déloyales pourrait recevoir application aux plaintes dont l’ancienne Commission était saisie en vertu de l’alinéa 23(1)a), il faut déterminer si l’intention du législateur était de modifier rétroactivement les droits et obligations des parties. Dans ces circonstances, je dois donc déterminer si le principe de non rétroactivité des lois peut recevoir application au présent dossier relativement au renversement du fardeau de preuve et au délai de présentations précisés en la nouvelle Loi.

[35]   Le principe de non rétroactivité des lois est précisé à la Loi concernant l’interprétation des lois et des règlements, S.R., chap. I–21 (Loi d’interprétation) qui prévoit dans le cas ou la Loi a été abrogée :

ABROGATION ET MODIFICATION

42. (1)  Il est entendu que le Parlement peut toujours abroger ou modifier toute loi et annuler ou modifier tous pouvoirs, droits ou avantages attribués par cette loi.

43.  L’abrogation, en tout ou en partie, n’a pas pour conséquence :

a)  de rétablir des textes ou autres règles de droit non en vigueur lors de sa prise d’effet ;

b) de porter atteinte à l’application antérieure du texte abrogé ou aux mesures régulièrement prises sous son régime;

c) de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé;

(d) d’empêcher la poursuite des infractions au texte abrogé ou l’application des sanctions – peines, pénalités ou confiscations – encourues aux termes de celui–ci ;

(e) d’influer sur les enquêtes, procédures judiciaires ou recours relatifs aux droits, obligations, avantages, responsabilités ou sanctions mentionnés aux alinéas c) et d).

Les enquêtes, procédures ou recours visés à l’alinéa e) peuvent être engagés et se poursuivre, et les sanctions infligées, comme si le texte n’avait pas été abrogé.

* * *

Relativement au fardeau de la preuve

[36]   Dans la présente plainte, il appert qu’elle a été logée sur la base du texte antérieur (alinéa 23(1)a)) et que les parties ont assumé les obligations et responsabilités qui en découlaient lors de l’audience tenue devant l’ancienne Commission. Une décision a été rendue par l’ancienne Commission le 26 avril 2004 (2004 CRTFP 29). Cette décision fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale qui l’a accueillie le 8 mars 2005 (2005 CAF 92). La Cour a annulé la décision de l’ancienne Commission et lui a retourné l’affaire pour une nouvelle audition devant un tribunal autrement constitué. Il s’agit de déterminer si, dans ces circonstances, la nouvelle Commission doit appliquer le nouveau régime de droits et obligations à la présente plainte lors de l’audience qui est tenue après la date d’entrée en vigueur de la nouvelle Loi ou si les parties peuvent se prévaloir du principe de non rétroactivité des lois et obtenir une décision de la nouvelle Commission sur la base du texte abrogé.

[37]   La doctrine et la jurisprudence ont mis de l’avant certains critères pouvant distinguer le droit acquis des simples attentes. L’ouvrage Interprétation des lois, 3 e édition, publié aux Éditions Thémis, de Pierre–André Côté, précise deux points qui méritent d’être étudiés plus attentivement (page 201) :

[…]

Pour reconnaître des droits acquis, les tribunaux exigent du justiciable qu’il puisse démontrer :

1)  que sa situation juridique est individualisée et concrète, et non générale et abstraite, et

2)  que sa situation juridique était constituée au moment de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.

[…]

[38]   Il précise, à la page 209 du même ouvrage, en se référant à la décision rendue par la division d’appel de la Cour fédérale dans l’affaire Picard c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, [1978] 2 C.F. 296 (C.A.), ce qui suit:

[…]

En droit du travail, le renvoi d’une question à un arbitre et le dépôt d’une plainte en matière de discrimination dans l’emploi ont suffi pour assurer la survie de la loi ancienne.

[…]

[39]   Comme la présente plainte a été déposée auprès de l’ancienne Commission et qu’un commissaire a procédé à l’audience avant le 1er avril 2005, cela fait en sorte que la situation des parties était constituée avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi, selon le principe établi dans la décision Picard (supra). Il semble évident que la situation juridique des parties dans la présente plainte a été individualisée et concrétisée de par leur statut de partie qu’elles ont assumé à la suite du dépôt de la plainte, ainsi que lors de l’audience devant l’ancienne Commission.

[40]   Le fait que la décision de l’ancienne Commission a fait l’objet d’une révision judiciaire, devant la Cour d’appel fédérale, a concrétisé davantage les droits, obligations et responsabilités des parties, relativement à la plainte inscrite par M. Lamarche sur la base de l’alinéa 23(1)a) de l’ancienne Loi. Les deux instances ont tranché les questions que les parties leur ont soumises dans le cadre des droits, obligations et responsabilités découlant des stipulations de l’ancienne Loi, déterminant ainsi la situation juridique existant entre les parties. Ces faits rencontrent le premier critère pour reconnaître des droits acquis selon Pierre–André Côté.

[41]   Cette situation juridique était constituée, au plus tard, à la date du jugement rendu par la Cour d’appel fédérale en révision judiciaire, le 8 mars 2005, soit antérieurement à la date d’entrée en vigueur de la nouvelle Loi. Cet élément rencontre le deuxième critère précisé à la doctrine pouvant servir à distinguer entre le droit acquis et les simples attentes, à savoir que la situation juridique entre les parties était constituée au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi.

[42]   Il est tout particulièrement intéressant de souligner que la Cour d’appel fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire sur la base d’une erreur de droit relativement au refus d’accepter certains faits en preuve. La Cour précise que le refus de l’ancienne Commission de considérer la preuve d’événements passés dans le but possiblement de démontrer un animus anti–syndical de la part du défendeur envers le plaignant constituait un déni de justice naturelle. La Cour a précisé « que cette preuve est, sans aucun doute, hautement pertinente sinon cruciale, à la question que devait déterminer la Commission, à savoir un animus anti–syndical à l’égard du demandeur ».

[43]   Ainsi, les faits précités font en sorte que la situation juridique des parties relativement au régime de preuve applicable constitue un droit acquis au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi, tout particulièrement relativement à la question de la preuve d’événements pouvant démontrer un animus anti–syndical qui est considérée cruciale par la Cour d’appel fédérale. Ce fardeau de la preuve devait être assumé par le plaignant, selon l’ancienne Loi et doit clairement être considéré pour les parties au titre des avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime de l’ancienne Loi énumérés au paragraphe 43(c) de la Loi d’interprétation.

[44]   La nouvelle Commission doit procéder à une audience de novo de la plainte de M. Lamarche pour  lui permettre de procéder à la preuve d’événements passés dans le but de possiblement démontrer un animus anti–syndical du défendeur à son endroit. La conséquence de l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale est de remettre les parties dans l’état où elles étaient avant l’audience devant l’ancienne Commission, le 19 janvier 2004. L’ordonnance de la Cour de procéder à une audience de novo n’a pas comme conséquence de constituer une nouvelle plainte devant la nouvelle Commission sur des bases de droit différentes de la plainte initiale du 10 septembre 2002.

[45]   Le nouveau paragraphe 191(3) de la nouvelle Loi apporte deux éléments de droit nouveaux qui ne se trouvaient pas dans l’ancienne Loi. Le premier élément crée une présomption de culpabilité du défendeur par la stipulation que la présentation écrite de toute plainte faisant état d’une contravention par le défendeur constitue une preuve de la contravention. Le second élément est qu’il incombe à la partie qui nie qu’il y ait contravention de le prouver, ce qui représente un renversement du fardeau de la preuve vers le défendeur. Selon les dispositions de la nouvelle Loi, le plaignant se prévoit d’une présomption que le défendeur à posé les gestes frappés d’interdictions et n’a plus à en faire la preuve. Ainsi, la nouvelle Loi modifie aussi, pour le plaignant, des obligations qui lui étaient imposées par l’ancienne Loi relativement au régime de preuve.

[46]   L’inclusion de la présomption de culpabilité du défendeur à la nouvelle Loi modifie fondamentalement les droits, obligations et responsabilités des parties lorsqu’une violation des interdictions est alléguée. Cet élément, précisé au paragraphe 191(3), établit un moyen de défense complet, ce qui est considéré par la jurisprudence comme un élément de fond et non pas une simple procédure qui a pour objectif de déterminer de quelle façon la défense (ou la demande) doit être présentée. La Cour suprême du Canada a précisé la distinction entre une question de procédure ou de fond en son jugement dans l’affaire Angus (supra). La Cour s’exprime comme suit :

19.

[…]

Une disposition est considérée de nature procédurale ou de fond aux fins de l’application rétroactive non parce qu’elle est ou non fondée sur une fiction juridique mais parce qu’elle a ou non un effet sur des droits matériels, P.–A. Côté, dans Interprétation des lois (1982), a dit aux pages 149 et 150 :

Lorsqu’il est question de l’application des lois dans le temps, le terme « procédure » est employé dans un sens tout à fait particulier : pour savoir si une disposition est d’application immédiate [c.–à–d. aux affaires en cours] «… il faut décider non seulement si le texte touche la procédure, mais aussi s’il ne touche que la procédure sans toucher le fond du droit des parties ». [Citant De Roussy c. Nesbitt (1920), 53 D.L.R. 514, 516 (traduction).]

20. En l’espèce, il est difficile de voir de quelle façon la procédure est touchée. La disposition en question offre un moyen de défense complet. Quelles que puissent en être les raisons et qu’on les approuve ou non, une disposition offrant un moyen de défense complet, tout autant que la création d’une cause d’action elle–même, est un élément de fond.

21. Même si l’on présume que la disposition en question est de nature procédurale dans un certain sens, les tribunaux qui ont créé des présomptions concernant l’effet rétroactif des règles de procédure n’avaient pas ce genre de distinction à l’esprit. Normalement, les règles de procédure n’ont pas d’effet sur le contenu ou sur l’existence d’une action ou d’un moyen de défense (ou d’un droit, d’une obligation ou de quelque autre objet de la loi), mais seulement sur la manière de l’appliquer [page 226] ou de l’utiliser. Dans Maxwell on Statutory Interprétation (12th ed. 1969), à la p. 222, P. St. J. Langan dit à ce sujet :

[TRADUCTION] La présomption d’interprétation non–rétroactive ne s’applique pas aux dispositions qui n’ont seulement d’effet que sur la procédure et la pratique des tribunaux.  Nul n’a de droit acquis sur une procédure particulière; une personne a seulement le droit de poursuivre ou de se défendre de la manière prescrite à ce moment–là par ou pour les tribunaux devant lesquels elle poursuit et, si une loi du Parlement modifie ce mode de procédure, elle ne peut agir que selon ce nouveau mode.

Le changement d’un « mode » de procédure dans la production d’une défense est une chose très différente du retrait complet du moyen de défense.  Ce dernier est essentiellement une atteinte à un droit acquis.

22. C’est ce qui explique l’exception créée par les tribunaux pour les lois relatives à la prescription. Bien que dans un certain sens elles soient « procédurales   », on ne présumera pas qu’elles ont un effet rétroactif étant donné qu’elles peuvent priver un demandeur du droit d’action qu’il avait au moment de l’adoption de la loi; (…)

[47]   Le paragraphe 191(3) de la nouvelle Loi établit une présomption de culpabilité envers le défendeur qui n’existait pas antérieurement. Cet élément nouveau modifie fondamentalement les droits, obligations et responsabilités des parties qui étaient précisés dans l’ancienne Loi ou énoncés par la jurisprudence. Cette question ne traite pas du déroulement de l’audience mais impute une présomption de droit envers le défendeur qui affecte ses moyens de défense.

[48]   Les précédents du Conseil canadien des relations de travail cités par le défendeur ne peuvent recevoir application au présent dossier; la modification apportée au paragraphe 188(3) du Code canadien du travail, le 1er juin 1978, ne change en rien la présomption de culpabilité qui était déjà précisée au texte de la Loi de 1972. L’ancien et le nouveau texte se lisent comme suit :

Dans la loi de 1972  :

188.(3)  Une plainte déposée par écrit en application de l’article 187 et portant qu’un défendeur ou une personne agissant pour le compte d’un défendeur ne se serait pas conformé à l’alinéa 184.(3)a) constitue une preuve que ce défendeur ou cette personne ne s’est pas conformée à cet alinéa.

Dans la loi de juin 1978  :

188.(3) Lorsqu’une plainte a été déposée par écrit en application de l’article 187 et portant qu’un défendeur ou une personne agissant pour le compte d’un défendeur ne se serait pas conformé au paragraphe 184(3), la plainte écrite constitue une preuve de l’inobservation de ladite disposition et, le fardeau de la preuve incombe à celle des parties au litige qui allègue le contraire.

[49]   La présomption de culpabilité envers le défendeur est présente dans les deux paragraphes précités. Même si la formulation est différente dans le texte de 1978, la présomption de culpabilité précisée dans le texte de 1972 y est maintenue. L’ajout que le fardeau de la preuve est porté par la partie qui nie que les contraventions ont eu lieu ne fait que clarifier ce qui était implicite dans le texte antérieur, car c’est à celui qui est présumé coupable de renverser cette présomption afin de se disculper. Les deux textes font en sorte que le plaignant n’a pas à démontrer que ses allégations sont fondées.

[50]   Cette situation est différente de la présente affaire, car la présomption de culpabilité est un élément nouveau de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique en vigueur au 1er avril 2005.

Le délai du paragraphe 190(2) de la nouvelle Loi

[51]   Le délai de 90 jours précisé au paragraphe 190(2) est de droit nouveau, l’ancienne Loi ne précisant aucun délai pour déposer une plainte de pratique déloyale. La jurisprudence avait établi que les plaintes doivent être déposées à l’intérieur d’un délai raisonnable, se situant, selon les circonstances, autour de six mois de la connaissance des événements à la base de la plainte.

[52]   Tant la doctrine que la jurisprudence ont précisé qu’il faut évaluer l’effet de l’application de la nouvelle règle sur le cas à l’étude afin de déterminer s’il s’agit d’une simple question de procédure ou si elle affecte les droits des parties. Le principe élaboré par la Cour suprême du Canada, dans le jugement Martin (supra), et qui a été repris à l’ouvrage Interprétation des lois de l’auteur Pierre–André Côté (supra) est au sens que si l’application du nouveau délai fait perdre un droit qui existait sur l’ancienne Loi ou ressuscite un droit qui n’existait plus alors, elle n’est pas une simple question de procédure. Appliquer ce principe aux plaintes inscrites sous l’ancienne Loi implique que le délai de 90 jours doit être considéré comme touchant aux droits des parties s’il fait perdre le droit acquis de déposer une plainte ou s’il redonne le droit de déposer une plainte qui était prescrite.

[53]   Ainsi, le principe de non rétroactivité des lois doit recevoir application lorsque le nouveau délai modifie les droits acquis des parties de déposer une plainte au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi. En pratique, le délai de 90 jours ne pourrait être considéré purement de procédure, donc d’application immédiate, que s’il a pour effet uniquement d’allonger ou diminuer la longueur de la période à l’intérieur de laquelle une plainte peut être déposée, sans pour autant pouvoir faire perdre ce droit ou le ressusciter.

[54]   Au présent dossier, le nouveau délai de 90 jours ne peut pas être appliqué s’il a pour effet de faire perdre le droit acquis de M. Lamarche de déposer sa plainte. Ce droit lui est acquis depuis le 10 septembre 2002 et il n’a été contesté à aucune étape des procédures jusqu’à ce jour.

[55]   La décision de la Cour d’appel fédérale du 8 mars 2005 a « retourné » l’affaire à l’ancienne Commission pour une audience de novo devant un tribunal autrement constitué.  Cette décision remet les parties dans la situation où elles étaient avant l’audience tenue par l’ancienne Commission en janvier 2004 et n’a pas pour effet de créer une nouvelle plainte à la date du jugement. Même s’il en était ainsi, cette « nouvelle plainte » serait en date du 8 mars 2005. Le jugement de la Cour d’appel fédérale ne crée donc pas une nouvelle plainte, qui serait fondée sur la loi en vigueur au 1er avril 2005, mais ne fait que retourner, pour une nouvelle audience, la plainte inscrite sous l’ancienne Loi devant l’ancienne Commission qui était toujours en place le 8 mars 2005.

[56]   Appliquer le nouveau texte de loi à la présente plainte, et particulièrement les dispositions des paragraphes 190(2) et 191(3), irait à l’encontre du principe d’interprétation qui affirme que les lois n’ont pas d’effets rétroactifs, à moins d’une stipulation claire du législateur. Si le législateur avait voulu modifier rétroactivement les droits et obligations des parties, relativement aux plaintes inscrites en vertu de l’alinéa 23(1)a) de l’ancienne Loi, il l’aurait clairement précisé, comme il l’a fait pour les plaintes ayant été inscrites en vertu des alinéas 23(1)b) et 23(1)c).

[57]   De plus, la règle d’interprétation des lois stipule clairement que l’abrogation d’une loi n’a pas pour conséquence d’influer sur les enquêtes, procédures judiciaires ou recours relatifs à des droits, avantages, obligations ou responsabilités acquis ou encourus par les parties (paragraphe 43(e)). L’article 43 de la Loi d’interprétation précise clairement que les enquêtes, procédures et recours peuvent être engagés et se poursuivre comme si le texte n’avait pas été abrogé.

[58]   L’article 39 des mesures provisoires laisse subsister un doute sur sa portée, telle que précisé précédemment. Dans ces circonstances, on doit l’interpréter restrictivement. Ce principe, souligné à la publication Interprétation des lois, (supra) y est exprimé comme suit :

On ne s’étonnera pas de ce que les tribunaux, qui ont montré une certaine résistance aux changements législatifs, appliquent restrictivement les modifications qui ont un effet rétroactif. Le principe général est que la loi rétroactive est d’interprétation restrictive, c’est–à–dire que, dans le doute, on est justifié de choisir le sens qui limite le plus les effets rétroactifs d’une loi : « il ne faut pas donner à un article une portée rétroactive plus considérable que celle que la législature a manifestement voulu lui donner ».

Ce principe a trouvé à s’appliquer à quelques reprises devant nos tribunaux. Dans Kent c. The King , où la Cour devait interpréter une loi fiscale rétroactive, il a été exprimé comme suit par le juge Duff :

« [L]orsqu’une disposition, reconnue comme rétroactive, est rédigée en des termes qui laissent subsister un doute sur sa portée et que,  selon une interprétation, elle impose rétroactivement une obligation nouvelle tandis que, selon une autre interprétation également acceptable, elle n’impose pas un pareil fardeau, c’est cette dernière interprétation qu’il faut préférer. »

[59]   Dans les présentes circonstances, le délai de prescription et la présomption de culpabilité envers le défendeur sont des règles de fond créant des droits et obligations de nature substantive, et qui ne peuvent pas recevoir application dans la présente plainte. En conséquence, la présente plainte sera décidée sur la base des droits et obligations découlant du texte de l’ancienne Loi (L.R.C. (1985), ch. P–35), comme si elle n’avait pas été abrogée.

[60]   Pour les motifs précités, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[61]   La plainte inscrite par M. Lamarche sera décidée sur la base des droits et obligations découlant de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P–35, comme si elle n’avait pas été abrogée.

[62]   La Commission devra fixer une date d’audience pour la continuation de la présente affaire devant moi, dans les meilleurs délais possibles.

Le 28 octobre 2005.

Léo–Paul Guindon,
commissaire

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.