Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été, pendant deux mois en 1999, victime d’un abus de pouvoir de la part de deux de ses supérieurs, comme on le lui a confirmé par écrit après une enquête de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) -- l’enquête résultait du dépôt d’un grief à ce sujet par le fonctionnaire s’estimant lésé -- par suite du harcèlement, le fonctionnaire s’estimant lésé a commencé à avoir des problèmes de sommeil, de motivation et de concentration et avait des crises de panique -- il a demandé l’aide d’un psychologue et a commencé à s’absenter sporadiquement du travail à cause des problèmes de santé qu’il avait -- sur la recommandation de son psychologue, le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé le remboursement de tous les crédits de congé de maladie utilisés depuis 1999 ainsi qu’un congé de six mois en vertu du paragraphe 17.17 de sa convention collective (congé payé ou non pour d’autres motifs), soit un congé à prendre à sa discrétion pour faire face à l’anxiété qu’il éprouvait -- l’employeur a rejeté sa demande -- le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté l’omission de l’employeur de lui offrir une mesure de redressement appropriée pour le harcèlement qu’il avait subi (grief 31394) et a également contesté le fait que l’employeur avait rejeté sa demande de congé ainsi que de remboursement de crédits de congé de maladie selon le paragraphe 17.17 de sa convention collective (grief 31393) -- les griefs ont été rejetés à l’étape de l’arbitrage, mais le fonctionnaire s’estimant lésé a eu gain de cause lors du contrôle judiciaire du grief 31393, et la décision a été renvoyée pour que la question soit tranchée par un autre arbitre de grief -- le contrôle judiciaire du grief 31394 n’a pas été demandé -- l’arbitre de grief a conclu que le congé en cause était pour raisons médicales et qu’un congé pour de telles raisons était visé au paragraphe 16.02 de la convention collective -- la question de savoir qui blâmer pour une maladie ou une blessure n’est pas un facteur à prendre en compte dans l’application des articles 16 et 17 de la convention collective -- la jurisprudence de la Commission confirme le principe selon lequel une clause d’une convention collective qui vise une situation particulière a la priorité sur une clause d’application générale -- même si le paragraphe 17.17 était applicable, l’arbitre de grief a statué que l’employeur avait pris sa décision de bonne foi et mené son enquête sur la situation sérieusement et minutieusement -- le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas prouvé que l’employeur avait violé une disposition d’une loi ou de la convention collective de sorte que le fonctionnaire aurait été en droit d’être indemnisé pour le harcèlement subi -- de plus, l’arbitre de grief a conclu que le remboursement de crédits de congé de maladie n’était pas une mesure de redressement appropriée pour un grief relatif au refus de l’employeur d’accorder un congé en vertu du paragraphe 17.17 -- la question litigieuse de l’obligation de l’employeur de payer des dommages-intérêts au fonctionnaire s’estimant lésé pour cause de harcèlement faisait l’objet du grief 31394, de sorte que le principe de la res judicata s’appliquait à la question du remboursement des congés de maladie utilisés depuis 1999. Le grief est rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2005-10-31
  • Dossiers:  166-34-31393
    166-34-31394
  • Référence:  2005 CRTFP 154

Devant un arbitre de grief



ENTRE

GUY LÉVESQUE

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Lévesque c. Agence des douanes et du revenu du Canada

Affaire concernant des griefs renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Léo-Paul Guindon, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé : Martin Ranger, l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada, et Annie G. Berthiaume, avocate

Pour l'employeur : Stéphane Hould, avocat


Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 5 mai 2005.

Griefs renvoyés à l'arbitrage

[1]   Le 2 mai 2002, Guy Lévesque a déposé un grief auprès de son employeur, contestant sa décision, le 8 avril 2002, de lui refuser une demande de congé effectuée sur la base de la clause 17.17 de la convention collective. Ce grief a été enregistré à l’arbitrage le 19 juillet 2002 par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (« la Commission »), sous le numéro de dossier 166-34-31393.

[2]   Comme mesures correctives, M. Lévesque désire obtenir un congé payé d’une durée de six mois en application de la clause 17.17 de la convention collective, ainsi que le remboursement de tous les congés de maladie utilisés depuis août 1999.

[3]   Le 25 mars 2002, M. Lévesque a déposé un grief auprès de son employeur à l’encontre de l’inaction de son employeur à lui offrir des mesures correctives appropriées suite à une plainte de harcèlement. Ce grief a été enregistré à l’arbitrage le 19 juillet 2002 par la Commission sous le numéro de dossier 166-34-31394. En ce grief, M. Lévesque demandait, au titre des mesures correctives :

Je demande 6 mois de congés avec solde tel que recommandé par mon médecin ainsi que par Santé Canada; je demande également le remboursement de tous congés maladies depuis août 1999.

[4]   Une audience sur les deux griefs a été tenue devant un arbitre assigné par la Commission, les 14 et 15 janvier 2003, et une décision a été rendue le 30 mars 2003 (2003 CRTFP 18).

[5]   Une demande de contrôle judiciaire a été inscrite devant la Cour fédérale et une audience a été tenue le 25 mai 2004. L’honorable juge Shore a rendu une décision le 31 mai 2004 (2004 CF 789). Dans la décision, l’honorable juge Shore précise que :

[…]

[16]     Guy Lévesque ne conteste pas la décision à l’égard du grief 166-34-31394, mais seulement la décision à l’égard du deuxième grief.

[…]

[6]   L’honorable juge Shore a rendu l’ordonnance qui se lit comme suit :

[…]

LA COUR ORDONNE que la décision du Commissaire soit annulée et que l’affaire soit remise à la Commission des relations de travail dans la fonction publique pour que le dossier soit traité par un nouveau tribunal.

[…]

[7]   Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l’arbitrage doivent être statués conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’ « ancienne Loi »).

[8]   Au début de l’audience tenue le 5 mai 2005, la question que le principe de l’autorité de la chose jugée doit recevoir application relativement à la décision portant sur le dossier 166-34-31394 a été soumise aux parties. Les parties ont convenu, en accord avec le soussigné, que la partie de la décision de la Commission portant sur le dossier 166-34-31394, par laquelle le grief inscrit le 25 mai 2002 a été rejeté par l’arbitre (le 30 mars 2003), a autorité de la chose jugée, l’honorable juge Shore ayant noté dans son jugement l’absence de contestation à son égard. Par conséquent, la présente décision ne tranche qu’en regard du dossier 166-34-31393 relatif au grief du 3 mai 2002, portant sur un refus d’octroi d’un congé sur la base de la clause 17.17 de la convention collective. Le grief est libellé comme suit (pièce G-7) :

Je dépose un grief concernant la décision de K. Cochrane daté du 8 avril 2002 refusant ma demande de congé sous l’article 17.17 de la convention collective du groupe CS.

MESURES CORRECTIVES DEMANDÉES

6 mois de congé payé sous l’article 17.17 tel que recommandé par mon médecin et Santé Canada et le remboursement de tout congés maladies depuis août 1999 (sic) .

[9]   Lors du déroulement de l’audience, les parties ont accepté de procéder sans les services de traduction simultanée, malgré que certains documents sont rédigés dans la langue anglaise et que le témoin appelé par l’employeur rendra son témoignage en anglais.

Résumé de la preuve

[10]   La convention collective applicable est intervenue le 10 avril 2001 entre l’Agence des douanes et du revenu du Canada et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, pour le groupe Systèmes d’ordinateurs (code : 90550/2000; date d’expiration : le 30 avril 2002). Les clauses suivantes de la convention collective s’appliquent tout particulièrement au présent grief :

ARTICLE 16

CONGÉ DE MALADIE

[…]

16.02 Attribution des congés de maladie

L’employé bénéficie d’un congé de maladie payé lorsqu’il est incapable d’exécuter ses fonctions en raison d’une maladie ou d’une blessure, à la condition :

a) qu’il puisse convaincre l’Employeur de son état d’une manière et à un moment que ce dernier détermine;
et
b) qu’il ait les crédits de congé de maladie nécessaires.

16.03 À moins d’indication contraire de la part de l’Employeur, une déclaration signée par l’employé indiquant qu’il a été incapable d’exécuter ses fonctions en raison d’une maladie ou d’une blessure est réputée, lorsqu’elle est remise à l’Employeur, satisfaire aux exigences de l’alinéa 16.02a)

[…]

**ARTICLE 17

AUTRES CONGÉS PAYÉS OU NON PAYÉS

17.01 En ce qui concerne les demandes de congé présentées en vertu du présent article, l’employé peut être tenu de fournir une preuve satisfaisante des circonstances motivant ces demandes.

[…]

17.17 Congés payés ou non payés pour d’autres motifs

L’Employeur peut, à sa discrétion, accorder un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention.

[11]   M. Lévesque est à l’emploi de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (« l’Agence ») depuis 1997, au poste d’analyste de banques de données (CS-03). Il n’a présenté aucun problème sérieux de santé avant le mois d’août 1999, et il jouissait d’une vie familiale et sociale active dans laquelle il s’impliquait beaucoup et exerçait de nombreuses activités sportives.

[12]   La situation a basculé en août 1999, provoquée par les objections formulées par un client de l’Agence, relativement au choix de M. Lévesque de prendre deux semaines de vacances annuelles ce mois-là. Malgré le déplacement de ses semaines de vacances, à son retour au travail, M. Lévesque a été retiré du projet auquel il participait auprès de ce client. Il a alors été soumis aux conditions précisées dans une lettre datée du 13 septembre 1999, énonçant les attentes de l’employeur à son endroit. M. Lévesque considère les actions de l’employeur à son endroit, à partir de ce moment, comme du harcèlement.

[13]   Un grief a été logé le 13 octobre 1999 par M. Lévesque, réclamant une enquête sur des allégations d’intimidation et de harcèlement (abus d’autorité) à son endroit,   par deux de ses supérieurs hiérarchiques. Le rapport d’enquête sur la plainte de harcèlement a été complété le 29 mai 2000, et le commissaire adjoint Ken J. Cochrane a informé le plaignant que les allégations d’abus d’autorité ont été retenues dans sa correspondance du 30 juin 2000 (pièce G-2). L’employeur a reconnu, lors de l’audience, que M. Lévesque a été victime d’abus d’autorité sur une période d’environ deux mois, soit en septembre et octobre 1999.

[14]   Le déplacement des personnes impliquées au grief d’harcèlement vers d’autres édifices a fait en sorte que les contacts entre M. Lévesque et les personnes identifiées comme harceleurs ont pu être évités. M. Lévesque n’a pas eu de contact avec ces personnes depuis sa plainte du 13 octobre 1999.

[15]   Suite au harcèlement qu’il a subi, M. Lévesque a présenté des problèmes de manque de concentration, de motivation, des troubles de sommeil, et a eu des crises de panique. Il craignait alors de perdre son emploi. Il s’absente de son travail sporadiquement, depuis le mois d’octobre 1999, pour ses problèmes de santé. Il a été référé au docteur Hendrik J. Bütter, psychologue, par son médecin de famille.

[16]   Le Dr Bütter a rencontré M. Lévesque périodiquement et d’une façon régulière, depuis le 5 octobre 1999. Un diagnostic d’anxiété relié au harcèlement au travail a été établi. Le 23 janvier 2001, le Dr Bütter indique dans sa correspondance que son patient est moins anxieux et dépressif mais qu’il demeure vulnérable (pièce G-3). Il recommande une thérapie psychosociale pour tenter de résoudre ses difficultés anxio-dépressives.

[17]   Le Dr Bütter a précisé, lors de son témoignage, que les symptômes de l’anxiété présentés par M. Lévesque sont toujours présents et qu’il est difficile de prédire si une personne présentant ces symptômes sera complètement rétablie dans un proche avenir. M. Lévesque présente un pronostic prometteur et une thérapie psychosociale pourrait diminuer ses difficultés anxio-dépressives. Au début du traitement, il avait été décidé de privilégier une approche thérapeutique non médicamenteuse. Par la suite, une thérapie médicamenteuse a été ajoutée au traitement.

[18]   Le Dr Bütter discuta avec Martin Ranger, agent des relations de travail pour l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, de l’opportunité de procurer une thérapie psychosociale à M. Lévesque, lors d’un congé sabbatique avec solde pour une année. Selon le Dr Bütter, la thérapie psychosociale appliquée, lorsque M. Lévesque n’est pas soumis à des éléments de stress reliés au travail, pourrait guérir la blessure découlant du harcèlement dont il a été victime. Une demande de compensation est acheminée par M. Ranger à Chantal Butler, conseillère en relations de travail pour l’employeur. M. Ranger s’exprime comme suit, dans sa lettre du 15 février 2001 (pièce G-3) :

[…]

Nous demandons donc une compensation équivalente à une année de congé avec solde; congé que M. Lévesque pourrait prendre à sa guise pour contrer l’anxiété.

[…]

[19]   Le Dr Bütter a discuté de sa recommandation avec Léonard Courchesne, du service des relations de travail de l’employeur, le l er mars 2001. Il a accepté de réduire à six mois la durée du congé sabbatique. Il confirme sa position par écrit, à M. Courchesne, dans les termes suivants (pièce G-11) :

[TRADUCTION]

[…]

      Pour faire suite à notre conversation téléphonique du 1er mars 2001 concernant le recours, par M. Lévesque, à un congé sabbatique de six mois, je propose que l’intéressé poursuive sa thérapie au cours de l’année à venir et que cette période de six mois soit jumelée à une participation thérapeutique, qui lui fournira des activités de gestion du stress et de l’anxiété ainsi que des exercices d’autoperfectionnement et de croissance.

[…]

[20]   L’employeur a demandé à l’Agence d’hygiène et de sécurité au travail de procéder à une évaluation de l’aptitude au travail de M. Lévesque.  La correspondance à cet effet, en date du 23 avril 2001, précise (pièce G-4) :

[TRADUCTION]

[…]

Depuis septembre 1997, M. Lévesque est un employé de la direction générale de la technologie de l’information de l’Agence des douanes et du revenu du Canada. En octobre 1999, M. Lévesque a déposé une plainte de harcèlement : il a porté plainte contre ses deux superviseurs pour intimidation et abus d’autorité. En juin 2000, le rapport final de l’enquêteur concluait que M. Lévesque avait été victime d’abus d’autorité.

Depuis que la plainte a été déposée, M. Lévesque a pris le nombre suivant d’heures de congé :

rendez-vous médicaux : 52 heures
congés de maladie sans certificat médical : 71,25 heures
congés de maladie avec certificat médical : 52,5 heures
vacances 204 heures
unions avec le syndicat : 20,5 heures

M. Lévesque a demandé un congé payé de six mois à prendre au besoin. Veuillez trouver ci-joint des copies de lettres présentées par le Dr Hendrik J. Bütter, Ph.D., C.PP.Q., de l’Université d’Ottawa concernant l’état de santé de M. Lévesque.

La haute direction demande que M. Lévesque soit évalué pour déterminer si cet employé est apte au travail, s’il y a des limitations dont nous devrions être au courant et si le congé de six mois devrait être continu ou intermittent. Il est à noter que M. Lévesque a demandé à être vu par un médecin qui parle couramment le français.

[…]

[21]   Le Dr R.C. Spees a procédé à l’évaluation de M. Lévesque et endosse la recommandation du Dr Bütter. Il expose sa recommandation en conclusion de son rapport du 28 mai 2001 (pièce G-5), tout en suggérant un traitement médicamenteux à faible dose :

[TRADUCTION]

[…]

EXAMEN DE L’ÉTAT MENTAL

[…] Actuellement, je suggère que nous appuyions la demande du psychologue quant à certaines périodes de repos pour les six prochains mois au moins. Ce patient semble atteindre des niveaux de stress impossibles à gérer au bout d’environ une semaine et il a bel et bien besoin d’une journée de congé de temps en temps pour récupérer. Le pronostic est bon et, selon toute probabilité, ce patient se portera très bien d’ici un an.

[…]

[22]   L’employeur est informé des conclusions découlant de l’évaluation médicale par une lettre de la docteure Lisa Taras, de l’Agence d’hygiène et de sécurité au travail, du 10 juillet 2001. La D re Taras s’exprime comme suit (pièce G-5) :

[TRADUCTION]

[…]

À votre demande, M. Lévesque s’est soumis à un examen d’aptitude au travail, ce qui incluait une évaluation effectuée par l’un de nos consultants. Nous sommes conjointement d’avis que M. Lévesque se porte assez bien pour travailler.

Dans votre lettre, vous disiez que M. Lévesque avait demandé un congé de six mois. D’un point de vue médical, rien n’indique qu’il lui serait utile de prendre un congé de six mois continu. Un congé de six mois intermittent peut être pris.

[…]

[23]   Teri Carucci a été nommée directrice adjointe des ressources humaines à la division de l’informatique à la mi-juillet 2001. Elle a assuré le suivi au dossier de M. Lévesque à partir de cette date et elle a conseillé M. Cochrane à cet égard. Elle a pris connaissance de la correspondance de D re Taras du 10 juillet 2001, qui était au dossier, et a discuté avec elle des conclusions y apparaissant.

[24]   Elle a participé à une rencontre avec MM. Cochrane, Lévesque et Ranger le 18 décembre 2001, pour tenter de trouver une solution au dossier de M. Lévesque. La problématique des absences pour cause d’anxiété et de stress a été abordée et l’accessibilité aux bénéfices de la SunLife et de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (C.S.P.A.A.T.) y a été discutée. Suivant le témoignage de Mme Carucci, les parties ont fait référence à la politique de la C.S.P.A.A.T. sans que le texte y soit déposé ou étudié. Le lendemain de cette rencontre, M. Ranger a confirmé par écrit ses doutes à l’employeur relativement à l’accessibilité aux bénéfices de la SunLife et de la C.S.P.A.A.T., sur la base de l’anxiété et du stress à l’origine des absences de M. Lévesque. Il a conclu comme suit (pièce E-1) :

[TRADUCTION]

[…]

Je suis d’avis que la demande de congé payé de M. Lévesque doit être traitée en vertu de la clause 17.17 de la convention collective, où il est question de congé payé ou non payé pour d’autres motifs et où il est dit que, à sa discrétion, l’employeur peut accorder un congé payé ou non pour des fins autres que celles qui sont spécifiées dans la convention.

[…]

[25]   Les vérifications de l’admissibilité de M. Lévesque aux bénéfices de ces organismes, effectuées par téléphone par Mme Carucci, n’ont pas porté fruit. Les conseillers de la SunLife et de la C.S.P.A.A.T. n’ont pas voulu élaborer sur cette question en l’absence d’une demande formelle de M. Lévesque. Après vérification auprès des spécialistes des services des ressources humaines et des relations de travail de l’Agence, Mme Carucci a participé à la rédaction de la réponse donnée à la demande de M. Lévesque par M. Cochrane le 8 avril 2002 (pièce G-6).

[26]   L’employeur a offert à M. Lévesque le remboursement de crédits de congé de maladie (102,75 heures) et est prêt à renoncer à l’exigence de réclamer les absences reliées à des rendez-vous médicaux comme absences pour cause de maladie jusqu’au 31 mars 2002 (104,75 heures). Il a été précisé, lors du témoignage de Mme Carucci, que cette offre ne couvre que la période entre août 1999 et le 31 mars 2001, pour le remboursement des crédits de congé de maladie et jusqu’au 31 mars 2002 relativement aux congés reliés à des rendez-vous médicaux. M. Cochrane précise à cet égard dans sa correspondance :

[TRADUCTION]

[…]

Cela représente un total de 207,5 heures, qui couvrent la période du harcèlement, ainsi que la période qui va du dépôt de la plainte jusqu’à la date du rapport final et une période de neuf mois postérieure au rapport, pour favoriser la réadaptation. Veuillez prendre note que, à partir du 1er avril 2002, les rendez-vous médicaux liés au traitement suivi de l’état de santé devront être considérés comme des congés de maladie.

[…]

[27]   Dans sa réponse du 8 avril 2002, M. Cochrane précise ses conclusions en regard des autres éléments de la demande de M. Lévesque comme suit :

[TRADUCTION]

[…]

La dernière des questions restantes serait la demande de congé payé pour d’autres motifs. M. Lévesque a été évalué par Santé Canada, à notre demande. D’après le résultat de l’évaluation, M. Lévesque était apte au travail; en d’autres termes, il n’avait pas besoin du congé de six mois. Cependant, l’évaluation indiquait aussi qu’un congé intermittent pourrait faire du bien à M. Lévesque. Le type de congé n’était pas précisé dans l’évaluation provenant de Santé Canada.

La clause 17.17 de la convention collective dit que, à sa discrétion, l’employeur peut accorder un congé payé ou non payé pour des fins autres que celles qui sont spécifiées dans la convention. M. Lévesque a demandé un congé pour cause de maladie, ce qui est prévu à l’article 16 de la convention collective. J’ai donc décidé de rejeter la demande de congé payé de six mois pour d’autres motifs présentés par M. Lévesque.

Les absences de M. Lévesque devront continuer d’être considérées comme des congés de maladie en vertu de l’article 16 de la convention collective. Il est également à noter que les rendez-vous médicaux de M. Lévesque devront être assimilés à des congés de maladie, car il s’agit de traitement d’un état continu plutôt que d’examens médicaux annuels. Je n’ai toutefois pas l’intention d’appliquer rétroactivement la présente directive.

[…] Me fondant sur une discussion avec le Dr Taras de Santé Canada, j’ai demandé à Mme Teri Carucci, directrice adjointe des Ressources humaines, de prendre des dispositions avec M. Lévesque en vue d’une réévaluation médicale. Mme Carucci contactera M. Lévesque pour prendre les dispositions nécessaires.

J’estime en outre que M. Lévesque devrait faire valoir sa demande auprès de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT), car l’enquête a déterminé que les allégations de harcèlement étaient fondées, ainsi qu’auprès de la Sun Life, vu le caractère continuel des problèmes médicaux. Ces deux organismes sont les assureurs pour le gouvernement du Canada; M. Lévesque serait donc en droit de faire des demandes à ces deux organisations. La nouvelle évaluation effectuée par Santé Canada pourrait aider à étayer une demande de M. Lévesque à ces organisations.

[…]

[28]   M. Lévesque a inscrit son grief à l’encontre de cette décision de l’employeur, le 2 mai 2002 (pièce G-7). Le sous-commissaire à la Direction générale des ressources humaines, D.G.J. Tucker, a donné la réponse de l’employeur au dernier palier de la procédure de griefs le 5 juillet 2002.  Il s’y exprime comme suit (pièce G-7) :

[…]

Vous demandez des congés payés en raison de votre état de santé et pour des rendez-vous médicaux. Votre convention collective prévoit spécifiquement à l’article 16 des congés de maladie lorsqu’un employé ne peut exercer ses fonctions pour des raisons liées à une maladie ou une blessure. Par conséquent, ce sont des dispositions spécifiques plutôt que des dispositions générales telles que celles prévues au paragraphe 17.17 qui doivent s’appliquer.

Concernant votre demande relative à vos absences régulières pour suivre des traitements, la politique concernant les congés payés prévoit que ces absences doivent être imputées aux   crédits de congés de maladie.

La gestion vous a permis de prendre des congés tel que recommandé par les médecins et en conformité avec les dispositions de votre convention collective.   Il n’y a donc pas lieu de vous rembourser des congés de maladie depuis août 1999.

Également, suite à ma revue des faits, je suis satisfait des mesures prises par la gestion concernant votre plainte de harcèlement et je suis d’avis que la gestion s’est conformée aux dispositions de la Politique contre le harcèlement en milieu de travail.

[…]

[29]   Le Dr Bütter a précisé que M. Lévesque continue de présenter, au moment de l’audience, un désordre de stress chronique et qu’il manifeste une symptomatologie modérée anxio-dépressive. La situation de santé de M. Lévesque est stable depuis mai 2002, alors que le Dr Bütter a écrit au député fédéral pour tenter de dénouer l’impasse entre son client et son employeur. M. Lévesque considère que l’employeur demeure inflexible alors qu’il continue d’exiger un billet médical pour chacune des absences pour maladie et de rendez-vous médicaux (pièce G-8; le 4 juillet 2002). M. Lévesque précise que l’employeur met en doute que ses absences sont causées par l’anxiété et que l’employeur démontre son inflexibilité en refusant de lui octroyer une avance de crédits pour des congés de maladie (pièce G-9; le 16 décembre 2002).

Résumé de l’argumentation

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[30]   M. Lévesque a été victime de harcèlement et sa santé en a été affectée. Il présente encore des séquelles d’un désordre de stress chronique et présente une symptomatologie modérée anxio-dépressive, selon le Dr Bütter. L’employeur est responsable du tort causé à M. Lévesque et l’arbitre a le pouvoir d’intervenir pour imposer un redressement.

[31]   M. Lévesque a utilisé les crédits de sa caisse de congés de maladie pour ses absences causées par son incapacité à exercer ses fonctions pour cause d’anxiété, à raison d’environ une journée par semaine depuis septembre 1999 jusqu’à la date du grief. Il a épuisé les crédits à sa banque de congés de maladie et il a dû utiliser ses autres bénéfices pour gérer les conséquences du harcèlement subi.

[32]   M. Lévesque réclame deux mesures correctives en son grief :

1)
Le remboursement des crédits de journées maladie qu’il a utilisées de septembre 1999 jusqu’en date du grief;
2)
Il demande de créditer, à sa banque de congés de maladie, l’équivalent de six mois de crédits de journées d’absences sur la base de la clause 17.17 de la convention collective.

[33]   Le remboursement des crédits de journées de maladie est réclamé du fait que c’est le harcèlement qui a provoqué l’inaptitude au travail. L’employeur est responsable de la situation, car il doit assurer un milieu de travail exempt de harcèlement et il doit réparer le tort causé à M. Lévesque. Au présent dossier, cette preuve a été effectuée et l’employeur doit être tenu responsable de l’impact négatif du harcèlement sur M. Lévesque. À la décision Re Toronto Transit Commission and A.T.U., 78 C.L.A.S. 435 (2004) (QL), l’arbitre a conclu que l’employeur est responsable de l’impact négatif de harcèlement envers un employé et il lui a ordonné de rembourser les crédits de congés de maladie utilisés.

[34]   Dans le cas d’absence pour maladie (stress découlant d’harcèlement sexuel en milieu de travail), la décision Re Her Majesty in Right of Province of Manitoba and Manitoba Government Employees’ Association (1993), 32. L.A.C. (4th) 190, précise qu’un arbitre concluant qu’un dommage a été causé à l’employé suite à une violation de la loi ou de la convention collective doit objectivement pouvoir rétablir l’employé lésé dans la position où il aurait été si la convention collective n’avait pas été violée. L’arbitre a ordonné le remboursement des crédits de congés de maladie utilisés pour la période en cours. Une réparation de même nature a été octroyée par la Commission dans un cas de harcèlement sexuel dans la décision Gendron c. le Conseil du Trésor (Défense nationale), dossiers de la CRTFP 166-2-22152 à 22164 (1994) (QL). Le remboursement des crédits de congés de maladie et de congés annuels utilisés par le fonctionnaire s’estimant lésé a été ordonné à la décision Lavigne c. le Conseil du Trésor (Travaux publics), dossiers de la CRTFP 166-2-16452 et al. (1988) (QL). Le remboursement des crédits de congés de maladie à l’employé victime de harcèlement sexuel est considéré comme une compensation raisonnable dans la décision Re The Queen in Right of Newfoundland (Newfoundland Farm Products Corp.) and Newfoundland Association of Public Employees (1988), 35 L.A.C. (3d) 165.

[35]   Relativement à la demande de la valeur de six mois de journées d’absence à être créditée sur la base de la clause 17.17 de la convention collective, M. Lévesque soumet qu’il n’y a aucun endroit à la convention collective prévoyant des mesures de redressement quand l’employeur est responsable du tort causé à un employé. La clause 17.17 vient résoudre les situations non couvertes par la convention collective et doit recevoir application au présent dossier.

[36]   Bien que l’application de la clause relève de la discrétion de l’employeur, il doit l’exercer d’une façon non arbitraire, ni de mauvaise foi ni d’une manière capricieuse. Au présent dossier, l’employeur a exercé sa discrétion arbitrairement en s’abstenant de procéder à une enquête approfondie et en ne tenant pas compte de toutes les données. L’employeur a refusé de considérer les raisons à la base des absences de M. Lévesque. Cette donnée reliée à la nature de l’invalidité doit être considérée par l’employeur pour que son enquête puisse être complète selon le principe établi à la décision Re Meadow Park Nursing Home and Service Employees International Union, Local 220 (1983), 9 L.A.C. (3d) 137.

[37]   L’employeur doit effectuer une enquête sérieuse et diligente sur les raisons motivant les absences d’un employé avant de prendre sa décision. Le défaut de le faire est suffisant pour établir que l’employeur s’est montré déraisonnable. Ce principe précisé à la décision Critch c. le Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-2-13526 (1983) (QL), n’a pas été respecté au présent dossier, l’employeur ayant omis de vérifier les politiques, les questions de prescription et les définitions applicables pour des réclamations devant la SunLife et la C.S.P.A.A.T. En agissant en l’absence de ces informations, l’employeur a refusé d’accorder le congé sans en savoir l’impact potentiel pour le fonctionnaire s’estimant lésé.

[38]   L’arbitre au présent dossier doit intervenir face à la mauvaise foi de l’employeur quant à son refus de la demande de congé basée sur la clause 17.17 de la convention collective. Le remède demandé n’est pas un accommodement à l’incapacité de M. Lévesque, mais un redressement pour corriger le dommage qu’il a subi.

Pour l’employeur

[39]   M. Lévesque a été déclaré apte au travail à l’évaluation du 10 juillet 2001, faisant suite à l’expertise du Dr Spees (pièce G-5). Selon le Dr Taras, de l’Agence d’hygiène, il n’y a pas d’indication médicale qui démontre qu’il serait bénéfique à M. Lévesque de prendre un congé continu de six mois. Le Dr Spees reconnaît que le patient semble accumuler un niveau de stress qui devient incontrôlable sur une période d’une semaine ou plus et qu’un jour de repos de temps à autre lui est nécessaire pour récupérer.

[40]   La demande initiale de M. Lévesque pour un an de congé avec solde (pièce G-3) a été ramenée à six mois après que le Dr Bütter en ait discuté avec M. Courchesne, du service des relations de travail, en mars 2001. Cette demande a été évaluée par Mme Carucci, qui devait compléter le dossier pour le commissaire adjoint (M. Cochrane). Les questions reliées à cette demande ont été débattues entre l’employeur et M. Lévesque, représenté par M. Ranger, à la rencontre du 18 décembre 2001. La demande de M. Lévesque soulevait alors des questions relativement à l’applicabilité de la clause 17.17 alors que l’article 16 spécifie un régime de congés de maladie. Le débat touchait aussi aux bénéfices auxquels M. Lévesque pourrait être admissible auprès de la SunLife et de la C.S.P.A.A.T.

[41]   Suite aux interrogations de M. Ranger, relativement aux régimes de la SunLife et de la C.S.P.A.A.T., soumises à l’employeur le 19 décembre 2001, Mme Carucci a consulté les deux organismes ainsi que les ressources disponibles aux services des relations de travail et des ressources humaines de l’employeur. Elle a recommandé que M. Lévesque présente des demandes auprès de ces deux organismes afin de faire évaluer son admissibilité à ces régimes à partir de demandes formelles. Selon les communications de Mme Carucci avec les conseillers de la SunLife et de la C.S.P.A.A.T., il demeurait possible que M. Lévesque soit admissible à des prestations et cette possibilité valait la peine d’être vérifiée par le dépôt de demandes auprès de ces organismes. Cette recommandation a été reprise par M. Cochrane dans son offre du 8 avril 2002 ( pièce G -6).

[42]   Le grief inscrit par M. Lévesque conteste la décision de M. Cochrane de lui refuser un congé suivant la clause 17.17 de la convention collective (pièce G-7). L’arbitre n’est pas saisi d’une action en dommages suite au harcèlement subi par M. Lévesque, ni d’un grief de harcèlement. La seule question qui est soumise à la compétence de l’arbitre est reliée à l’application de la clause 17.17 de la convention collective, et selon le principe établi par la décision Burchill c. le Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109, l’arbitre ne peut pas modifier la nature du grief dont il est saisi.

[43]   Le congé demandé par M. Lévesque vise à permettre un traitement pour tenter de guérir la blessure psychologique dont il est affligé ou pour lui permettre de récupérer lorsque son niveau de stress devient trop élevé. La nature du congé est nécessairement celle d’un congé maladie prévu à la clause 16.02 de la convention collective.

[44]   Lorsque le motif des absences est inclus dans la définition de congé de maladie, les décisions précisent que se sont les clauses spécifiques aux congés de maladie qui doivent recevoir application. Les clauses résiduelles ou de portée générale ne sont pas destinées à s’appliquer à l’encontre de la clause particulière des congés de maladie. Les congés de maladie qui sont couverts par des clauses particulières doivent s’appliquer de façon prioritaire sur les clauses concernant les congés discrétionnaires. Les décisions suivantes ont précisé ces principes :

  • St-Jacques c. le Conseil du Trésor (Commission de la Fonction publique) , dossier de la CRTFP 166-2-13467 (1983);
  • Nandy c. le Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada) , dossier de la CRTFP 166-2-15442 (1987) (QL); 
  • Clark c. le Conseil du Trésor (Transports Canada) , dossier de la CRTFP 166-2-23892 (1994) (QL);
  • Griffith c. le Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes et Accise) , dossier de la CRTFP 166-2-25986 (1995) (QL);
  • Damer c. le Conseil du Trésor (Transports Canada) , dossier de la CRTFP 166-2-25623 (1995) (QL);
  • Tremblay c. le Conseil du Trésor (Agriculture Canada) , dossier de la CRTFP 166-2-16894 (1988) (QL);
  • Bouchard c. le Conseil du Trésor (Anciens combattants Canada) , dossier de la CRTFP 166-2-28640 (1999) (QL).

[45]   Lorsque l’arbitre a conclu que la nature du congé est reliée au congé pour maladie, il doit appliquer cette clause spécifique à l’encontre de la clause générale des congés discrétionnaires. À ce moment, il n’a pas à se demander si l’employeur avait exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi, car la clause traitant des congés pour autres motifs ne peut pas recevoir application. Au présent dossier, l’arbitre n’a pas à évaluer si le refus d’accorder le congé sur la base de la clause 17.17 découlait de l’exercice de bonne foi du pouvoir discrétionnaire, car le congé relève clairement du congé de maladie.

[46]   Subsidiairement, advenant que l’arbitre vienne à la conclusion que le congé pour autres motifs puisse recevoir application, l’employeur a exercé sa discrétion de bonne foi ayant procédé à une enquête sérieuse auprès de ses propres conseillers en ressources humaines et en relations de travail et en tentant de vérifier l’admissibilité de M. Lévesque aux bénéfices couverts par la SunLife et la C.S.P.A.A.T.

[47]   Les décisions soumises par M. Lévesque ne peuvent recevoir application au présent dossier, car elles sont rendues relativement à des griefs dénonçant le harcèlement ou alors que les circonstances sont différentes du présent grief.

Réplique

[48]   La nature du grief doit être interprétée de façon libérale et la mesure corrective demandée (congé suivant la clause 17.17) est de la nature d’une demande de dommages. La compensation fondée sur la clause 17.17 est la seule qui rend l’employeur imputable de ce qui est arrivé à M. Lévesque.

[49]   Au présent dossier, l’employeur est responsable des problèmes de santé de M. Lévesque et en de telles circonstances, les arbitres ordonnent à l’employeur de rembourser au fonctionnaire les congés de maladie. Les décisions suivantes appuient ce principe :

  • Grignon c. le Conseil du Trésor (Anciens combattants Canada) , dossier de la CRTFP 166-2-27602 (1997) (QL);
  • Black c. le Conseil du Trésor (Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada) , dossiers de la CRTFP 166-2-17248 et 166-2-17249 (1988) (QL);
  • Labrèche c. le Conseil du Trésor (Ministère des Affaires extérieures) , dossiers de la CRTFP 166-2-19920 et 166-2-19986 (1990) (QL).

Motifs

[50]   La preuve démontre que M. Lévesque a souffert de problèmes de santé qui lui ont été causés par le harcèlement dont il a été victime en septembre et octobre 1999. Il a du s’absenter, car sa symptomatologie anxio-dépressive entraîne un désordre de stress chronique. M. Lévesque doit prendre des journées de congé lorsque son niveau de stress devient trop élevé après une période de travail d’une semaine ou plus. Comme cette situation persiste depuis 1999, M. Lévesque a épuisé ses crédits à sa banque de congés de maladie.

[51]   Le 15 février 2001, l’agent négociateur demande une compensation équivalente à une année de congé avec solde que M. Lévesque pourrait prendre à sa guise pour contrer l’anxiété et le remboursement des crédits de congés de maladie utilisés depuis août 1999 (pièce G-3). La nature de ces journées de congé est pour raison de maladie, pour permettre à M. Lévesque de contrôler son anxiété lorsque son niveau le rend incapable d’exécuter ses fonctions. Cette compréhension de la demande de l’équivalent de six mois de congé (la demande ayant été réduite d’un an à six mois par le Dr Bütter) est partagée par le Dr Spees, qui précise que ces crédits pourront être utilisés pour que M. Lévesque puisse contrôler son niveau de stress lorsqu’il a besoin d’un jour de repos de temps à autre pour récupérer (pièce G-5). Le Dr Taras endosse cette position en précisant qu’aucune indication n’indique, d’un point de vue médical, qu’un congé sur une période continue puisse être bénéfique à M. Lévesque et que le congé pourrait être pris d’une façon intermittente (pièce G-5).

[52]   D’autre part, le témoignage du Dr Bütter exprime que la raison du congé de M. Lévesque est pour permettre une thérapie psychosociale pour tenter de faire disparaître la blessure psychologique pendant une période où il n’est pas soumis au stress venant du milieu du travail. La symptomatologie anxio-dépressive fait en sorte que M. Lévesque ne performe pas à 100 % au travail, tout en étant apte au travail, sauf les journées où son niveau de stress est hors contrôle. Le congé serait donc pour créer un environnement exempt de stress causé par le travail et plus favorable à la réussite de la thérapie psychosociale. Le Dr Bütter privilégie un congé pour une période continue (pièce G-11) mais ne semble pas fermé à un congé intermittent (pièce G-12).

[53]   La nature de ces congés est clairement pour raisons médicales, soit pour récupérer lorsque le niveau de stress rend M. Lévesque incapable d’exécuter ses fonctions, soit pour suivre une thérapie pour guérir sa blessure psychologique. Les congés pour raison de maladie sont couverts par la clause 16.02 de la convention collective, qui en traite de façon spécifique. L’origine de la maladie ou de la blessure n’est pas un élément à considérer pour que la clause 16.02 puisse recevoir application et le fait que l’employeur puisse en être tenu ou non responsable ne peut avoir d’impact sur l’interprétation ou l’application de l’article 16 de la convention collective.

[54]   La clause 16.02 se lie comme suit :

ARTICLE 16

CONGÉ DE MALADIE

[…]

16.03 Attribution des congés de maladie

L’employé bénéficie d’un congé de maladie payé lorsqu’il est incapable d’exécuter ses fonctions en raison d’une maladie ou d’une blessure, à la condition :

c)
qu’il puisse convaincre l’Employeur de son état d’une manière et à un moment que ce dernier détermine;
et
d)
qu’il ait les crédits de congé de maladie nécessaires.

[55]   Ainsi, le fait que la symptomatologie modérée anxio-dépressive dont est affligée M. Lévesque découle du harcèlement qu’il a subi au travail n’empêche pas que les absences au travail qui en découlent sont couvertes par la clause 16.02 de la convention collective. Cette conclusion empêche que les congés pour ces absences puissent être considérés en vertu de la clause 17.17 visant les congés pour d’autres motifs.

[56]   Les décisions de la Commission précisent que les clauses résiduelles portant sur des congés pour « autres motifs » ne peuvent pas avoir préséance sur la clause spécifique portant sur des congés de maladie. Les décisions suivantes de la Commission se basent toutes sur le principe qu’une clause de la convention collective couvrant une situation spécifique a préséance sur une clause de portée générale : St-Jacques c. le Conseil du Trésor (Commission de la Fonction publique) (supra); Nandy c. le Conseil du Trésor(Gendarmerie royale du Canada) (supra); Griffith c. le Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes et Accise) (supra); Damer c. le Conseil du Trésor (Transports Canada) (supra); Tremblay c. le Conseil du Trésor (Agriculture Canada) (supra); et Bouchard c. le Conseil du Trésor (Anciens combattants Canada) (supra).

[57]   Dans la décision Clark c. le Conseil du Trésor (Transports Canada) (supra), le fonctionnaire s’estimant lésé avait demandé un congé payé pour d’autres motifs parce que, à son avis, les   circonstances de sa fatigue étaient attribuables à l’employeur. Cette situation est similaire à celle du présent dossier, où M. Lévesque soumet que l’employer est responsable de la détérioration de son état de santé. Dans la décision rendue au dossier Clark (supra), l’arbitre exprime sa conclusion comme suit :

[…]

          J’estime que les décisions rendues dans Parks (supra) et Nandy (supra) sont plus étroitement liées aux questions qui entrent en cause dans la présente affaire. Dans l’une et l’autre affaire, l’arbitre a conclu que la convention collective comporte une disposition précise qui s’applique à la demande du fonctionnaire s’estimant lésé et que la disposition en matière de « congé spécial » appelée aussi disposition « passe-partout » ou « résiduelle », ne s’appliquait tout simplement pas […]

[…]

[58]   Je suis en accord avec cette conclusion et, en l’appliquant au présent dossier, j’arrive à la conclusion que la clause 17.17 de la convention collective, dont M. Lévesque recherche l’application, ne peut pas s’appliquer aux faits de l’affaire qui démontrent que le congé recherché est de la nature propre au congé de maladie qui est couvert par la clause 16.02 de la convention collective. Ainsi, la clause 17.17 ne peut pas recevoir application au présent dossier, car la discrétion de l’employeur à accorder ce congé ne peut s’exercer qu’à des fins autres que celles indiquées aux autres clauses de la convention collective.

[59]   Subsidiairement, même si j’avais conclu que la clause 17.17 pouvait recevoir application au présent dossier, je trancherais que l’enquête menée par l’employeur pour déterminer si le congé demandé pouvait être octroyé sur la base de la clause 17.17 m’appert effectuée de bonne foi d’une manière non arbitraire ou capricieuse. L’enquête de l’employeur sur cette question a été sérieuse et diligente. Le fait qu’il ait étendu son enquête à des éléments autres, à savoir si d’autres alternatives, hors la convention collective, étaient accessibles à M. Lévesque auprès de la SunLife et de la C.S.P.A.A.T. ne démontre pas de la mauvaise foi dans l’exercice de pouvoir discrétionnaire précisé à la clause 17.17 de la convention collective ni qu’il ait agit d’une manière capricieuse or arbitraire. Ainsi, même si cette enquête de l’employeur sur les autres alternatives aurait pu être plus complète en vérifiant plus en détail les droits, politiques d’admissibilité et autres éléments relatifs aux bénéfices offerts par la SunLife et la C.S.P.A.A.T., je n’y vois aucune preuve supportant les allégations du fonctionnaire s’estimant lésé.

[60]   Ainsi, M. Lévesque ne m’a pas démontré en quoi l’employeur aurait fait preuve de mauvaise foi ou qu’il aurait agit d’une manière capricieuse ou arbitraire en déterminant que la clause 17.17 de la convention collective ne pouvait pas recevoir application dans son dossier ou lors de l’enquête précédant cette décision.

[61]   Une grande partie des soumissions effectuées par l’agent négociateur pour le compte de M. Lévesque avaient pour objectif de me convaincre que l’employeur a une obligation de corriger les dommages que le harcèlement aurait causé à l’employé. Suivant la décision Re Her Majesty in Right of Province of Manitoba and Manitoba Government Employees Association (supra), le pouvoir de l’arbitre à rétablir le fonctionnaire s’estimant lésé dans la position où il aurait été, découle d’un constat de violation de la loi ou de la convention collective. Au présent dossier, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas démontré que le harcèlement par abus d’autorité dont il a été victime contrevenait à une clause de la loi ou de la convention collective, et il n’a soumis aucune précision à cet égard en ses représentations. En l’absence de preuve à cet effet, je suis sans juridiction pour rétablir le fonctionnaire s’estimant lésé dans la position où il était avant qu’il soit victime de harcèlement par abus d’autorité. De plus, je ne peux pas voir en quoi le remboursement des crédits de congés utilisés depuis août 1999 pourrait constituer un redressement en regard de l’application erronée de la clause 17.17, qui est alléguée à l’énoncé du grief. La « perte » des crédits de congés de maladie ne pourrait pas être une « conséquence » ou un « dommage » découlant de la mauvaise application alléguée de cette clause, mais découle plutôt du harcèlement dont a été victime le fonctionnaire s’estimant lésé, tel qu’il m’a été présenté par les parties en leurs arguments.

[62]   Subsidiairement, la question de l’obligation de l’employeur à dédommager M. Lévesque pour les dommages qui lui ont été causés par le harcèlement dont il a été victime a été soumise au grief inscrit le 25 mai 2002, et qui a été renvoyé à l’arbitrage au dossier de la CRTFP 166-34-31394. Or, ce grief a l’autorité de la chose jugée, ayant été rejeté par l’arbitre le 3 mars 2003 (2003 CRTFP 18). La Cour fédérale a précisé dans son jugement du 31 mai 2004 que M. Lévesque ne conteste pas la décision à cet égard. Ainsi, je n’ai aucune compétence pour décider en regard de l’inaction alléguée de l’employeur à offrir des mesures correctives appropriées à M. Lévesque suite au harcèlement dont il a été victime, qui est objet du grief au dossier de la CRTFP 166-34-31394.

[63]   Cette doctrine de l’autorité de la chose jugée ne peut pas s’appliquer au refus de l’employeur d’accorder un congé sur la base de la clause 17.17 de la convention collective qui n’a pas été soulevée au grief considéré au dossier
166-34-31394.

[64]   Il en est autrement pour le remboursement des crédits de congés de maladie utilisés depuis le mois d’août 1999, qui est énoncé comme mesure corrective demandée dans les griefs considérés dans les deux dossiers (166-34-31393 et 166-34-31394). Comme l’autorité de la chose jugée s’applique à cette question (la substance de cette mesure corrective étant identique; les parties au litige étant les mêmes; les demandes découlant des mêmes événements), M. Lévesque ne peut pas soumettre cette question à un autre arbitre. En conséquence, la doctrine de la chose jugée doit recevoir application sur cette question, m’empêchant de trancher dans le dossier 166-34-31393.

[65]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[66]   Je suis sans compétence en ce qui a trait au grief soumis au dossier de la CRTFP 166-34-31394, ce grief ayant l’autorité de la chose jugée.

[67]   Le grief au dossier de la CRTFP 166-34-31393 est rejeté.

Le 31 octobre 2005

 

Léo-Paul Guindon,
arbitre de grief

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