Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté à son employeur un certificat médical l’autorisant à prendre congé par intermittence sur une période de huit semaines à cause du stress -- à la fin de cette période, le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté un deuxième certificat qui a été accepté par l’employeur -- le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté un troisième certificat dont la prescription était identique -- l’employeur a refusé le troisième certificat tant que l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas été confirmé par le médecin retenu par l’employeur -- le fonctionnaire s’estimant lésé s’est fait dire de s’abstenir de se présenter au travail et qu’il cesserait de recevoir son salaire jusqu’à ce que l’évaluation médicale soit terminée -- le fonctionnaire s’estimant lésé a été informé que le défaut de se soumettre à l’évaluation serait considéré comme de l’insubordination et qu’il s’en suivrait une mesure disciplinaire -- le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il n’accepterait pas l’évaluation tant qu’on ne lui fournirait pas des motifs justifiant la demande -- le fonctionnaire s’estimant lésé a été suspendu sans salaire pour une durée de cinq jours (la suspension a été annulée ultérieurement) -- par la suite, le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté à l’employeur un certificat médical attestant qu’il était apte au travail -- il a été refusé par l’employeur -- le fonctionnaire s’estimant lésé a de nouveau été informé qu’il devait subir un examen médical indépendant (EMI) aux termes de la Politique sur la santé et la sécurité au travail (SST) de l’employeur avant de pouvoir revenir au travail -- l’employeur a placé le fonctionnaire s’estimant lésé en congé non rémunéré -- le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief à l’encontre de la cessation de son salaire et de son placement en congé non rémunéré -- l’employeur a prétendu que le non-paiement du salaire du fonctionnaire s’estimant lésé était une question administrative -- le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu qu’il s’agissait d’une mesure de nature disciplinaire -- l’arbitre de grief a statué que les mesures prises par l’employeur étaient de nature disciplinaire et que le fonctionnaire s’estimant lésé avait été suspendu indéfiniment sans salaire; elle avait donc compétence -- l’arbitre de grief a conclu que l’employeur ne possédait pas suffisamment de motifs pour demander un EMI -- aucune preuve n’a été produite selon laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé constituait un << risque sur le plan de la sécurité >> pour lui-même ou pour autrui, comme le prévoit la Politique de SST -- l’employeur ne possédait pas de motifs raisonnables pour remettre en question l’aptitude à travailler du fonctionnaire s’estimant lésé -- l’employeur aurait pu exercer d’autres options avant d’exiger un EMI -- l’arbitre de grief a conclu que la mesure disciplinaire était injustifiée. Griefs accueillis.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2005-10-03
  • Dossier:  166-9-34836 et 34837
  • Référence:  2005 CRTFP 150

Devant un arbitre de grief



ENTRE

CHANDER P. GROVER

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL NATIONAL DE RECHERCHES DU CANADA

employeur

Répertorié
Grover c. Conseil national de recherches du Canada

Affaire concernant des griefs renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985),

ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Sylvie Matteau, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé : Paul Champ, avocat

Pour l'employeur : Ronald M. Snyder, avocat


Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 12 au 14 avril, du 9 au 12 mai et le 24 mai 2005.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Griefs renvoyés à l'arbitrage

[1]   M. Chander P. Grover est le directeur de la Section des normes de rayonnement et d’optiques de l’Institut des étalons nationaux de mesure (IÉNM) du Conseil national de recherches du Canada (CNRC). Il a déposé sur une période d’environ six mois cinq griefs dont l’audience d’arbitrage avait été fixée au 12 avril 2005. Les discussions entre les parties se sont conclues par une entente pour instruire deux des griefs initiaux; deux autres étaient retirés conformément à la procédure habituelle (dossiers de la CRTFP 166-9-34834 et 166-9-34835) et le dernier (dossier de la CRTFP 166-9-34240) était reporté en vue d’être instruit à une date ultérieure. Le premier des deux griefs instruits en l’espèce, daté du 5 août 2004, porte sur l’arrêt de la rémunération pour motif disciplinaire (dossier de la CRTFP 166-09-34836) et le second, daté du 10 septembre 2004, sur la désignation du fonctionnaire s’estimant lésé comme étant en « congé non payé pour d’autres raisons » (dossier de la CRTFP 166-9-34837).

[2]   M. Grover conteste les actions du CNRC, qu’il considère comme des mesures disciplinaires. La décision de son employeur de le réputer en situation « pas de travail, pas de rémunération » à compter du 21 juillet 2004 et de consigner cette absence comme un « congé non payé pour d’autres raisons » résulte de son omission de subir un examen médical par un médecin du choix du CNRC. Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que l’employeur considérait cette omission comme de l’insubordination.

[3]   À son avis, il s’agit de déterminer dans les deux griefs si l’employeur avait des motifs raisonnables d’exiger qu’il se soumette à un examen médical par un autre médecin que le sien et de lui interdire de se présenter au travail tant qu’il ne se serait pas conformé à cette exigence, ou bien s’il lui avait infligé des mesures disciplinaires injustifiées.

[4]   Le fonctionnaire s’estimant lésé soutient qu’il avait le droit de refuser une telle intrusion dans sa vie privée sans justification raisonnable. Il fait valoir en outre que le médecin vers lequel on l’avait dirigé n’était pas indépendant de l’employeur et qu’il était partial, à toutes fins utiles.

[5]   L’employeur soutient qu’il était justifié, dans les circonstances, de faire cette demande administrative et d’insister pour être fixé sur deux points cruciaux : premièrement, la validité du troisième certificat médical présenté par le fonctionnaire s’estimant lésé en juin 2004 et deuxièmement, son aptitude à retourner au travail. L’employeur estimait avoir le devoir de s’assurer que le fonctionnaire s’estimant lésé puisse reprendre ses fonctions sans danger. Il a agi en conséquence, en fondant sa demande sur sa Politique de santé et sécurité au travail. C’est pour cette raison qu’il a refusé le certificat médical ultérieur (daté du 5 août 2004), signé par le médecin du fonctionnaire s’estimant lésé, le déclarant apte à retourner au travail.

[6]   L’employeur était d’avis que le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé se trouvait désormais en situation « pas de travail, pas de rémunération » n’était que la conséquence administrative de son omission de subir l’évaluation médicale. À cet égard, il a soulevé une objection préliminaire relativement à la compétence de la Commission. À son point de vue, les deux mesures faisant l’objet des griefs n’étaient pas de nature disciplinaire, mais plutôt de nature administrative. Cette objection a été prise en délibéré.

[7]   Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l’arbitrage de grief doivent être traités conformément aux dispositions de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35   (l’« ancienne LRTFP »).

Résumé de la preuve

[8]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné pour lui-même et six témoins ont été entendus. Les parties ont déposé en preuve plus de 175 lettres, notes de service et courriels (la plupart figurant aux onglets 1 à 81 de la pièce E-1 ainsi que dans les 273 pages de la pièce G-14), de même que des politiques et d’autres documents. Certains des documents figurent dans les deux recueils produits par les parties. Dans les cas où le document auquel je me reporte figure dans les deux recueils, je ne ferai mention que de celui qui se trouve dans la pièce E-1, pour faciliter la lecture de la présente décision, sans plus. La preuve a été présentée en sept jours d’audience, et les deux parties ont présenté leurs arguments le 24 mai 2005. J’ai ensuite examiné chaque pièce justificative attentivement.

[9]   Le fonctionnaire s’estimant lésé est physicien spécialisé en optique. Après ses études en France, il est brièvement retourné en Inde pour travailler à l’Organisation indienne de recherche spatiale, entre 1975 et 1978, avant de venir s’établir au Canada. Le 3 juillet 1981, il a accepté un poste d’agent de recherche associé au CNRC.

[10]   En 1996, il a été nommé à son poste actuel de directeur, Normes de rayonnement et d’optiques de l’IÉNM, rétroactivement au 21 août 1992, conformément à l’entente de règlement à l’amiable des plaintes qu’il avait portées contre le CNRC devant la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), signée le 21 mai 1996 (pièce E-15). Le niveau de classification et le traitement de M. Grover y sont précisés, tout comme la structure de la section qu’il allait diriger, composée de quatre groupes tous décrits dans l’entente, avec la désignation de tout le personnel ainsi que la description des ressources. M. Grover a trois autres plaintes en instance devant la CCDP; il a aussi entamé, en 2002, une poursuite devant la Cour supérieure de l’Ontario dans laquelle il soulève aussi des questions découlant de la Charte.

[11]   Dans le cadre de ses fonctions actuelles, M. Grover assume les responsabilités de chef de trois des quatre groupes relevant de lui, ainsi que celles du poste vacant d’adjoint administratif. M. Peter A. Hackett, qui était son superviseur immédiat entre août 2003 et le 1er août 2004, a décrit ses fonctions générales comme suit :

1) assurer le leadership technique;
2) participer aux réunions stratégiques;
3) aider les membres du groupe dans leur travail et leur perfectionnement;
4) s’occuper des questions administratives.

[12]   M. Hackett a été nommé directeur général par intérim de l’IÉNM le 1er août 2003.

[13]   Cette nomination a donné lieu à une enquête digne de mention sur une plainte de harcèlement à l’endroit de M. Arthur J. Carty, président du CNRC (rapport de mai 2004, pièce G-7). Dans une lettre datée du 8 septembre 2003, M. Grover allègue que la nomination de M. Hackett avait véritablement pour but de lui régler son compte : [traduction] « [...] Je suis convaincu que cet arrangement a un lien direct avec ma situation et que M. Hackett a été envoyé ici pour me régler mon compte. Je considère qu’il s’agit de harcèlement ». Il termine sa lettre comme suit : [traduction] « La combinaison de tout cela m’a causé énormément de stress ». M. Grover a témoigné que sa lettre ne constituait pas une plainte officielle contre M. Carty; en fait, il avait été extrêmement étonné et attristé de recevoir le rapport d’enquête. Il n’avait d’ailleurs pas participé à l’enquête pour cette raison. Dans son témoignage, M. Hackett a nié avoir reçu instruction de « régler le cas » de M. Grover.

[14]   M. Grover a témoigné qu’il avait conclu une entente avec M. Carty en vertu de laquelle il s’engageait à discuter directement avec lui de tout ce qui le préoccupait, ce qu’il a fait le 8 septembre 2003. Cet accès spécial au président du CNRC existait depuis 1996, lorsque les plaintes du fonctionnaire s’estimant lésé à la CCDP avaient été réglées.

[15]   Il ressort des témoignages qu’à l’époque de la nomination de M. Hackett, le CNRC envisageait de procéder à d’importants changements, notamment instaurer de nouvelles structures de gestion, et, en 2005 au plus tard, restructurer l’IÉNM. C’est dans ce contexte que M. Hackett a pris la décision, en septembre 2003, de modifier la composition du comité de direction de l’IÉNM, pour y inclure les chefs de groupe de chaque section. Cette intention de l’employeur a été confirmée par Mme Mary McLaren, directrice générale des Ressources humaines du CNRC depuis 2001.

[16]   M. Grover trouvait que cette décision de modifier la composition du comité de direction était mal avisée, car cela revenait, à son point de vue, à diluer l’autorité des directeurs de section. Il a fait part de ses réserves à la réunion. Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré dans le cadre de son témoignage que, à son insu, M. Hackett avait dénoncé à M. Carty ce qu’il considérait comme un comportement inacceptable aux réunions de la direction (pièce G-5).

[17]   Au fil des mois, M. Grover a semblé avoir de plus en plus de difficulté à accepter le style de gestion et les décisions de M. Hackett. Ils ont à nouveau croisé le fer lors d’une réunion de la direction qui s’est tenue le 20 janvier 2004. M. Grover a de nouveau écrit directement à M. Carty (pièce E-2) pour lui faire savoir qu’il était « régulièrement victime » de discrimination de la part de M. Hackett. La manière dont MM. Grover et Hackett avaient exprimé leurs opinions aux réunions tenues en septembre 2003 et en janvier 2004 a fait l’objet d’un rapport d’enquête indépendant en mai 2004 (pièce E-3). L’enquête avait été instituée à la suite de la lettre que M. Grover avait envoyée à M. Carty le 20 janvier 2004. Cependant, M. Grover ayant à nouveau confirmé qu’il ne portait pas de plainte officielle de harcèlement contre M. Hackett à ce moment-là, l’enquête s’est déroulée encore une fois sans sa participation.

[18]   À l’issue de la réunion du 20 janvier 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé ne se sentait pas bien; il a pris rendez-vous chez son médecin, qui lui a délivré, le 24 janvier 2004, un certificat médical lui prescrivant [traduction] « un congé de stress de quatre semaines réparti sur huit semaines, selon ses besoins ». M. Hackett a accepté ce certificat médical, et le congé de maladie prescrit a été autorisé.

[19]   La preuve a aussi révélé que M. Hackett avait demandé à M. Grover, au début de 2004, de participer à son appréciation du rendement et du mérite, à l’instar de tous les autres gestionnaires. M. Grover lui a indiqué qu’il en était dispensé depuis la décision de la CCDP, en 1996. Il a écrit à M. Carty pour contester la demande de M. Hackett. Dans une lettre datée du 8 mars 2004, M. Carty lui écrit ce qui suit : [traduction] « comme M. Hackett vous en a informé dans sa lettre datée du 19 février 2004, je m’attends à ce qu’on évalue le rendement et le mérite de tous les gestionnaires du CNRC. [...] J’estime qu’il est crucial de fixer des objectifs clairs et réalistes à tous les gestionnaires, vous compris » (pièce E-5). Mme McLaren a confirmé que, du point de vue de l’employeur, il était important que tous les directeurs soient gérés de la même façon, ce qui englobait leur participation aux appréciations du rendement.

[20]   M. Grover a expliqué qu’il ne considérait pas que la lettre du 8 mars 2004 signifiait que M. Carty avait expressément résilié l’entente qu’ils avaient depuis 1996 et qu’il allait désormais devoir se soumettre à ce processus. Cela lui paraissait impossible à croire.

[21]   Le 30 mars 2004, M. Grover est retourné voir son médecin, qui lui a prescrit le même congé que la première fois, à compter du 2 avril 2004. Il a informé son superviseur, M. Hackett, qu’il avait l’intention de se prévaloir de ce nouveau congé de stress du 12 au 21 mai 2004, en lui rappelant qu’il devait participer à une séance de médiation relativement à son action devant la Cour supérieure, les 10 et 11 mai 2004 (pièce E-1, onglet 6). Même si M. Hackett avait trouvé bizarre que M. Grover lui indique d’avance à quelles dates il comptait prendre son congé de maladie, il a accepté ce deuxième certificat médical.

[22]   Mme Lorna Jacobs, directrice des Ressources humaines de l’IÉNM, a déclaré qu’elle avait eu des contacts réguliers avec M. Grover au cours de cette même période. Ils se rencontraient au moins deux fois par mois pour discuter de questions de ressources humaines concernant sa section, notamment de la possibilité de déléguer certaines tâches administratives au personnel du Groupe de photométrie et de radiométrie, ainsi que de la nomination d’un chef de groupe. Mme Jacobs a mentionné aussi qu’il avait été question d’une plainte de harcèlement qu’un des subordonnés de M. Grover avait déposée contre lui. À l’occasion d’une de leurs rencontres, elle l’avait trouvé très agité. Inquiète de l’effet que cela semblait avoir sur sa santé, elle lui avait dit de prendre soin de lui. Elle avait ensuite signalé cet incident à M. Hackett parce qu’elle se préoccupait de la santé de M. Grover. Ce dernier a nié qu’il avait été agité à cette réunion, c’est plutôt Mme Jacobs qui l’était selon lui.

[23]   Au cours de la même période, le fonctionnaire s’estimant lésé a aussi été prié de faire le nécessaire pour doter un poste de chef de groupe dans sa section. Cette demande a elle aussi provoqué un désaccord, qui s’est soldé par une réprimande le 26 avril 2004, suivie, le 1er juin 2004, d’une mesure disciplinaire, laquelle fait l’objet d’un grief distinct (dossier de la CRTFP 166-09-34840), dont l’instruction a été reportée par les parties.

[24]   Les 10 et 11 mai 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé a participé à une séance de médiation à la Cour supérieure de l’Ontario présidée par un médiateur nommé par le tribunal. Bien qu’elle n’ait pas été témoin des événements, Mme Jacobs, qui était présente, a été informée par le médiateur que M. Grover avait éprouvé un grave malaise durant la séance, vers la fin de la journée, et qu’il avait dû quitter les lieux. Le médiateur semblait très préoccupé par l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé à ce moment-là. Mme Jacobs a immédiatement relayé ses craintes à M. Hackett.

[25]   M. Grover a déclaré qu’il était tout simplement très frustré par le processus, parce qu’il avait l’impression, à la fin de la deuxième journée, de faire du sur-place. Il a nié avoir éprouvé un malaise; la situation était simplement très stressante. Il était sorti prendre l’air, puis il avait bu un peu d’eau et s’était entretenu avec son avocat avant de prendre sa voiture pour rentrer chez lui. On ne lui a jamais dit que ces deux incidents, rapportés par Mme Jacobs à M. Hackett, avaient entré en ligne de compte dans la décision du CNRC d’exiger un examen médical. Il a toutefois admis que son milieu de travail lui causait beaucoup de stress à ce moment-là. Il a mentionné quelques facteurs comme la nomination sans concours de M. Hackett, qu’il considérait comme une tactique pour l’empêcher de briguer le poste, ainsi que les désaccords qu’il avait régulièrement avec son supérieur et qu’il tentait d’éviter. Il a aussi fait état d’une situation difficile, qui semblait s’éterniser, avec un de ses subordonnés. Il avait le sentiment de ne pas avoir tout l’appui de la direction pour gérer cette situation.

[26]   En outre, c’était aussi la période où il préparait les appréciations du rendement de tout son personnel, dont celle de l’employé difficile, qui lui prenait énormément de temps, tout en participant à une enquête sur la plainte de harcèlement que cet employé avait présentée. Il a déclaré que certaines rencontres avec l’enquêteur — en mai et en juin 2004 — avaient duré toute la journée. Cela dit, il a insisté pour dire que ses fonctions comme telles ne lui causaient pas de stress et qu’il s’en acquittait intégralement.

[27]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a produit un troisième certificat médical, daté celui-là du 1er juin 2004, et signé par un collègue de son médecin traitant. Le traitement prescrit étant le même que les deux premières fois, M. Grover a informé M. Hackett, le 3 juin 2004, qu’il serait en congé de stress du 4 au 25 juin 2004   (pièce E-1, onglet 8).

[28]   M. Hackett a communiqué cette information aux Ressources humaines. Il a reçu le jour même un rapport sur l’utilisation des congés de maladie de M. Grover. Il y était indiqué que le fonctionnaire s’estimant lésé avait pris des congés de maladie les lundis et vendredis en février et en mars 2004 et parfois les mercredis et jeudis vers la fin du mois d’avril 2004 (pièce E-1, onglet 9). Il a été établi que les réunions de la direction étaient prévues ces jours-là et que M. Grover s’y faisait remplacer. M. Grover a affirmé n’avoir jamais été informé que ces absences préoccupaient le CNRC.

[29]   Mme Jacobs a déclaré n’avoir jamais douté que M. Grover avait toutes les raisons d’être stressé. À son avis, il insistait pour accomplir beaucoup de travail, et sa charge était trop lourde. En ajoutant les deux incidents dont elle était au courant, on pouvait comprendre qu’elle s’inquiétait de sa santé — en se demandant s’il était assez bien pour accomplir son travail — et de son rendement. Elle n’avait guère été étonnée de le voir présenter un troisième certificat médical.

[30]   M. Hackett a déclaré que, à titre de directeur de l’Institut, il s’inquiétait de plus en plus de la charge de travail du fonctionnaire s’estimant lésé. M. Grover cumulait trois postes de chef de groupe et s’occupait en plus de toutes les tâches administratives. M. Hackett déplorait aussi qu’il n’assiste tout au plus qu’à 30 % des réunions de la direction, même s’il s’agissait de sa principale responsabilité. Il avait modifié le calendrier des réunions pour lui permettre d’y prendre part et pour l’encourager à faire acte de présence. Il avait été consterné d’apprendre que M. Grover avait commencé à prendre des congés de maladie les mercredis et les jeudis, en plus des autres jours où des réunions étaient prévues.

[31]   Lorsqu’il a reçu une copie du troisième certificat médical, M. Hackett est devenu encore plus inquiet. Comme les médecins prescrivaient invariablement le même traitement, il a conclu que l’état de santé de M. Grover ne s’améliorait toujours pas. En outre, le fait qu’un autre médecin prescrive exactement la même chose le rendait perplexe. À son avis, M. Grover concentrait encore davantage son horaire de travail, puisqu’il n’allait désormais être présent que la moitié du temps.

[32]   Selon Mme Jacobs, si le dernier certificat médical a suscité des inquiétudes, c’est que c’était le troisième qui était libellé exactement de la même façon. Comme il avait été rédigé par un autre médecin cette fois-ci, on se demandait sur quoi celui-ci s’était fondé pour le délivrer. Que savait-il des antécédents du patient et quels renseignements ce dernier lui avait-il communiqués?

[33]   Le 10 juin 2004, M. Hackett a écrit au fonctionnaire s’estimant lésé pour lui indiquer qu’il n’était pas disposé à accepter le troisième certificat médical, à moins que son état de santé ne soit confirmé par le [traduction] « médecin du choix du CNRC ». Il lui demandait de ne pas se présenter au travail tant que cet examen n’aurait pas eu lieu et que les résultats ne lui en auraient pas été communiqués. Dans cette lettre, le directeur expliquait expressément que le CNRC voulait à la fois déterminer l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé et savoir s’il était médicalement capable de reprendre ses fonctions et d’assumer à nouveau ses responsabilités (pièce E-1, onglet 10).

[34]   Contrairement à ce qu’ont affirmé certains membres du personnel des Ressources humaines, M. Hackett a déclaré qu’il n’était pas prêt à accepter la conclusion selon laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé abusait de ses congés de maladie. Il n’était toutefois pas disposé à accepter le troisième certificat médical, parce que, selon lui, les trois certificats prescrivaient la même chose et que l’état de santé de M. Grover ne semblait pas s’améliorer. En outre, dans sa correspondance, celui-ci indiquait qu’il entendait s’acquitter de toutes ses fonctions quand il serait au travail. Cela lui semblait contradictoire, n’empêche qu’il a admis n’avoir jamais abordé cette question avec le fonctionnaire s’estimant lésé.

[35]   Compte tenu du stress inhérent à la fonction de directeur et du fait que M. Grover s’acquittait de cinq séries de fonctions en faisant des journées plus longues que la normale quand il était présent au travail et qu’il n’assistait pas aux réunions de la direction, M. Hackett était d’avis qu’il ne pouvait y avoir que deux explications. Ou bien M. Grover abusait du système, ou bien il n’était pas apte à travailler. Pour tirer la situation au clair, M. Hackett a jugé que le mieux à faire était de demander une évaluation médicale par un médecin du choix du CNRC. Il considérait que c’était la façon la plus équitable d’obtenir les renseignements voulus pour déterminer l’état de santé de M. Grover.

[36]   En contre-interrogatoire, Mme Jacobs a confirmé que ce n’était pas la possibilité que M. Grover abuse de ses congés de maladie qui suscitait de vives inquiétudes, mais l’état de santé du fonctionnaire. Le rapport d’absentéisme n’a pas été colligé dans le but de licencier M. Grover, qui était vraiment malade, dans l’esprit de Mme Jacobs. Toutefois, elle a admis qu’elle n’avait jamais fait part de ses craintes à M. Grover sauf le jour où elle lui a demandé de se calmer, au printemps.

[37]   M. Hackett a aussi admis n’avoir jamais soufflé mot de ses craintes à M. Grover au sujet de sa santé. Il a témoigné que la demande d’examen médical était fondée sur la Politique de santé et sécurité au travail du CNRC, où l’on peut lire ce qui suit à l’alinéa 6.13.2b) :

[…]

6.13.2b) Bien que la politique relative à la surveillance de la santé au travail soit volontaire et réponde aux intérêts de l’employé, le CNRC se réserve le droit d’exiger un examen médical si nécessaire aux termes du Code canadien du travail, Partie II, ou aux termes d’autres politiques du CNRC, telles que la Politique sur les appareils de protection respiratoires autonomes. De plus, lorsque la gestion s’inquiète, et avec raison, de la capacité d’un employé à accomplir son travail sans qu’un danger vienne entraver sa sécurité ou celle des autres employés, y compris la possibilité d’endommager la propriété physique, la gestion n’a pas seulement le droit, mais le devoir d’exiger de l’employé un examen médical afin de déterminer si la santé de celui-ci lui permet de poursuivre son travail. On peut interdire à un employé l’accès en milieu de travail jusqu’à ce que la gestion soit rassurée que l’employé puisse remplir ses tâches en toute sécurité.

[…]

[38]   En soi, la démarche de l’employeur était prudente et conforme à son obligation d’assurer un environnement sans danger pour le fonctionnaire s’estimant lésé et pour les autres employés. M. Hackett considérait qu’il s’agissait d’un problème simple qui aurait pu être résolu rapidement avec un peu de coopération. Mme McLaren a confirmé que l’employeur cherchait à savoir exactement quel était l’état de santé de M. Grover, compte tenu des circonstances. Elle n’était pas prête à parler de risque ou de problème de sécurité; mais il s’agissait certainement d’une préoccupation quant à la possibilité que la santé de l’employé en vienne à constituer un risque. Elle a déclaré : [traduction] « Nous ne connaissions pas les causes sous-jacentes ».

[39]   La réaction de M. Grover à cette demande a soulevé d’autres questions, à en juger par les lettres de ses avocats datées du 18 juin et du 7 juillet 2004 (pièce E-1, onglets 12 et 16), alléguant que l’attitude de l’employeur aggravait l’état de santé de M. Grover. Selon M. Hackett, cela confirmait la nécessité d’une évaluation médicale.

[40]   Le 28 juin 2004, M. Grover a fait fi des directives de l’employeur et est retourné au travail. M. Hackett l’a convoqué dans son bureau et l’a prié de quitter les lieux. Il a témoigné que la rencontre s’était déroulée dans le calme. M. Grover a confirmé que cette rencontre avait eu lieu le jour où il avait essayé de retourner au travail, en précisant toutefois qu’elle avait été très pénible. On l’avait prié de quitter les lieux immédiatement, ce qui l’avait humilié et effrayé.

[41]   Le premier rendez-vous de M. Grover pour subir l’examen médical a été fixé au 30 juin 2004 chez Comcare Health Services. M. Grover a informé le CNRC qu’il n’avait pas l’intention de s’y présenter. Dans une lettre datée du 29 juin 2004, M. Hackett concluait en ces termes : [traduction] « J’ai appris que vous aviez refusé de vous présenter à l’examen médical prévu pour le mercredi 30 juin 2004 à 9 h. Veuillez prendre note que l’omission de vous présenter à l’endroit précisé ci-après pour subir l’examen sera aussi considérée comme de l’insubordination et que d’autres mesures disciplinaires pourraient s’ensuivre » (pièce E-1, onglet 14).

[42]   Le 7 juillet 2004, M. Hackett a écrit au fonctionnaire s’estimant lésé pour l’informer que le CNRC ne l’autorisait pas à participer à une conférence internationale comme prévu, en indiquant ceci : [traduction] « Compte tenu du fait que vous avez omis de vous présenter à un examen médical indépendant ayant pour but de déterminer si vous étiez apte, inapte ou partiellement apte à reprendre vos fonctions, je dois vous informer que votre voyage à Tokyo, Japon, est annulé [...] » (pièce E-1, onglet 15). M. Hackett écrivait ensuite qu’il avait demandé qu’un nouveau rendez-vous soit fixé et que [traduction] « [L]’omission de subir cet examen [serait] considérée comme un autre acte d’insubordination ». Il concluait en ces termes : [traduction] « Je dois aussi vous informer que, si vous omettez de vous présenter à cet examen, votre absence du travail vous vaudra le statut “pas de travail, pas de rémunération” et vous ne serez pas rémunéré tant que l’examen médical n’aura pas eu lieu et qu’on ne m’en aura pas communiqué les résultats ».

[43]   Le 19 juillet 2004, M. Hackett a écrit ce qui suit au fonctionnaire s’estimant lésé (pièce E-1, onglet 20) :

[Traduction]

[…]

Selon mes dossiers, vous avez reçu une réprimande écrite le 26 avril 2004 et avez écopé d’une suspension de trois jours pour insubordination le 1er juin 2004 en raison de votre refus persistant de vous conformer à mes directives concernant la dotation du poste de chef de groupe (IRS).

Compte tenu de ce qui précède, je n’ai d’autre choix que de conclure que vous avez une fois de plus délibérément opté pour l’insubordination, en faisant fi de ma directive de vous soumettre à cet examen médical indépendant.

Votre refus persistant de vous conformer aux directives en continuant à n’en faire carrément aucun cas est inacceptable; il ne peut être et ne sera pas toléré. Par conséquent, en vertu des pouvoirs qui me sont délégués, je vous suspends sans traitement pour une période de trois jours, à compter de la date de votre retour au travail.

Vous devez dorénavant vous conformer à mes directives avec diligence et célérité, faute de quoi vous vous exposez à d’autres mesures disciplinaires allant jusqu’au licenciement.

[...]

[44]   Dans une autre lettre datée elle aussi du 19 juillet 2004, M. Hackett informe M. Grover qu’un nouveau rendez-vous lui a été fixé le 21 juillet 2004 chez Comcare Health Services. Il lui rappelle aussi que : [traduction] l’« omission de [se] présenter à ce nouveau rendez-vous pour subir un examen [serait] considérée comme un autre acte d’insubordination et [que] des mesures disciplinaires [pourraient] s’ensuivre ». Il ajoute ensuite ceci : [traduction] « Je vous informe en outre que le refus de vous présenter vous vaudra le statut “pas de travail, pas de rémunération” et que vous ne serez pas rémunéré tant que vous n’aurez pas subi cet examen médical et qu’on ne m’en aura pas communiqué les résultats » (pièce E-1, onglet 22).

[45]   Dans une lettre datée du 20 juillet 2004 (pièce E-1, onglet 23), M. Grover écrit à M. Hackett qu’il n’est pas [traduction] « disposé à consentir à cette évaluation, puisqu’on ne m’a pas donné suffisamment d’information pour comprendre sa raison d’être ou pour déterminer si le médecin que le CNRC a choisi est indépendant. Je serai clair : cette décision est fondée sur mon droit de consentir à une invasion de ma vie privée ou à la divulgation de renseignements personnels qui me concernent et sur le fait que le CNRC ne m’a pas donné suffisamment d’information pour que je puisse déterminer si cet examen est nécessaire ou si les services de Comcare Health Services sont indépendants » (pièce E-1, onglet 23).

[46]   Dans cette lettre, M. Grover proposait de consulter un médecin choisi d’un commun accord par les deux parties, à supposer que ce fut nécessaire. Or, aucune explication supplémentaire ne lui a été fournie; il s’est plutôt retrouvé en situation « pas de travail, pas de rémunération » à compter du 21 juillet 2004, car il avait [traduction] « refusé de [se] présenter au rendez-vous prévu pour subir l’examen médical » (pièce E-1, onglet 26). Dans sa lettre, M. Hackett lui écrit ce qui suit : [traduction] « En outre, en vertu des pouvoirs qui me sont délégués, je vous suspends sans traitement pour une période de cinq jours, à compter de la date de votre retour au travail ». Cette suspension a été annulée et le grief la contestant a été retiré.

[47]   M. Hackett était certain que l’employeur avait pris la bonne mesure. La demande était justifiée dans les circonstances, et on reconnaissait au fonctionnaire s’estimant lésé le droit de refuser de consentir à un examen médical par un médecin qu’il n’avait pas choisi. M. Hackett n’en demeurait pas moins convaincu que M. Grover n’avait pas le droit de déterminer quel médecin lui paraissait acceptable. L’omission de subir l’examen médical demandé devait avoir des conséquences. Le CNRC n’était pas disposé à laisser le fonctionnaire s’estimant lésé retourner au travail avant d’avoir déterminé s’il était apte à le faire. Par contre, le fonctionnaire s’estimant lésé n’était toujours pas convaincu qu’une telle demande était justifiée; l’information qu’on lui donnait à cet égard était toujours la même et restait insuffisante, à son avis.

[48]   M. Hackett a admis que rien ne lui permettait de croire que le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’acquittait pas de toutes ses fonctions, hormis le fait qu’il ne participait pas aux réunions de la direction. Ces réunions portaient sur un important processus de restructuration à l’IÉNM auquel M. Grover n’apportait pas sa contribution. Il s’agissait pourtant d’une de ses principales responsabilités à l’époque, et un remplaçant ne pouvait pas s’en acquitter à sa place. Pourtant, le 17 septembre 2004, quand M. Grover a demandé l’autorisation de retourner au travail afin de contribuer à ce processus (pièce G-14, page 107), l’employeur lui a encore une fois interdit l’accès au lieu de travail. M. Grover a témoigné qu’on ne lui avait jamais souligné l’importance qu’on accordait à sa contribution, ce que l’employeur n’a pas contredit. Le fonctionnaire s’estimant lésé a reconnu qu’il évitait délibérément les réunions de la direction parce qu’elles lui causaient trop de stress.

[49]   En dépit de l’interdiction de se présenter au travail et d’entreprendre de nouvelles tâches, le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il avait continué à travailler chez lui et qu’il se réunissait avec ses subordonnés dans des centres commerciaux. À cet égard, il a indiqué qu’il se conformait aux directives de son supérieur à la lettre, en [traduction] « n’entreprenant pas de nouvelles tâches ». Il poursuivait le travail déjà commencé et continuait à aider ses employés dans leur travail ainsi qu’à répondre aux demandes de renseignements qu’ils lui envoyaient par courriel. Il a déclaré que l’employeur aurait dû informer ses subordonnés de sa situation. Pour sa part, l’employeur tenait pour acquis qu’un gestionnaire du niveau du fonctionnaire s’estimant lésé comprenait clairement qu’il devait s’abstenir d’accomplir du travail et estimait qu’il aurait pu informer lui-même ses subordonnés de sa situation.

[50]   Le 1er août 2004, M. Sherif Barakat a remplacé M. Hackett comme directeur général par intérim de l’IÉNM. M. Grover y a vu là la possibilité de résoudre le problème. Le 5 août 2004, il a écrit à M. Barakat pour lui dire qu’il subissait un stress croissant au travail depuis janvier 2004, mais qu’il était désormais prêt à retourner travailler. À preuve, il joignait un certificat médical en date du jour même, signé par son médecin traitant, attestant qu’il était apte à retourner travailler à temps plein à compter du 5 juillet 2004 (pièce E-1, onglet 29).

[51]   Après avoir pris connaissance de cette lettre, M. Barakat a décidé d’examiner la situation, et Mme Jacobs lui a fourni l’information dont il avait besoin. Il a aussi passé en revue l’échange de correspondance avec le fonctionnaire s’estimant lésé à ce jour. M. Barakat a déclaré qu’il n’était pas disposé à accepter le certificat médical du 5 août 2004, étant donné que M. Grover était absent du travail depuis longtemps et qu’il n’avait travaillé qu’une partie du temps pendant six mois avant cela. En outre, rien n’avait changé dans le milieu de travail, et M. Barakat ne savait pas de quelle information le médecin avait tenu compte dans son diagnostic.

[52]   Le 10 août 2004, M. Barakat a écrit au fonctionnaire s’estimant lésé pour l’informer qu’il n’acceptait pas le dernier certificat. Dans sa lettre, il résumait la situation et la perception qu’il en avait à l’époque : [traduction] « Je sais que vous êtes actuellement en situation “pas de travail, pas de rémunération”, et que cela résulte directement de votre refus de subir un examen médical indépendant (EMI) pour déterminer la validité du certificat médical daté du 3 juin 2004 et votre capacité, sur le plan médical, de reprendre vos fonctions et d’assumer à nouveau vos responsabilités. » (pièce E-1, onglet 30).

[53]   Le 16 août 2004 (pièce E-1, onglet 31), M. Grover a proposé à nouveau de choisir un médecin d’un commun accord, en ajoutant ce qui suit : [traduction] « Dans le cas où le CNRC refuserait de discuter de la désignation d’un médecin indépendant qui nous conviendrait mutuellement, je vous prierais de m’informer par écrit des motifs de sa décision ». Cette lettre est restée sans réponse. M. Grover a ultérieurement proposé à l’employeur de communiquer directement avec son médecin traitant.

[54]   Le 17 août 2004, à sa demande, le fonctionnaire s’estimant lésé a rencontré M. Barakat. Il voulait essentiellement discuter de la situation avec son nouveau supérieur et tenter d’en arriver à une entente. Il lui a demandé quelle était la raison de la demande et pourquoi on lui interdisait de revenir au travail. Il n’a guère obtenu de réponse à ces questions, sauf que mention lui a été faite d’une politique du CNRC dont ont devait lui faire tenir copie dans les jours suivants. M. Grover a témoigné que M. Barakat lui avait dit que la décision avait été prise par M. Hackett et qu’il ne pouvait pas la changer. Il a aussi indiqué que c’est surtout Mme Joanne Lapierre, des Ressources humaines, plutôt que M. Barakat, qui avait pris la parole lors de cette rencontre. Cet aspect du témoignage de M. Grover n’a pas été contredit.

[55]   À son retour à la maison ce jour-là, M. Grover a reçu une lettre datée du 11 août 2004 de la Section de la rémunération et des avantages sociaux l’informant que son [traduction] « congé non payé pour d’autres raisons » avait été autorisé (pièce E-1, onglet 45). Cette tournure des événements l’a beaucoup perturbé; il ne comprenait plus. En effet, à sa connaissance, un congé comme celui-là ne pouvait être accordé qu’à la demande du fonctionnaire. Conformément à la politique applicable, il a alors informé par écrit la Section de la rémunération et des avantages sociaux, le 18 août 2004, qu’il avait décidé de retourner au travail le jour même (pièce E-1, onglet 46). Mme McLaren lui a répondu, le 25 août 2004 (pièce E-1, onglet 47), par une lettre très brève dans laquelle elle indiquait que : [traduction] « pour les fins de la rémunération et des avantages sociaux, le statut “pas de travail, pas de rémunération” est consigné au dossier comme un “congé non payé pour d’autres raisons” », et s’excusait pour le manque de clarté de la lettre du 11 août 2004.

[56]   Le 18 août 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé est retourné au travail comme il l’avait annoncé dans sa lettre à la Section de la rémunération et des avantages sociaux. À l’issue d’une nouvelle discussion sur son statut et sur les raisons de leurs positions respectives, M. Barakat l’a prié de quitter les lieux. M. Grover est à nouveau ressorti insulté et humilié de cette rencontre, qui ne lui avait pas permis d’obtenir plus de précisions sur les raisons de la demande d’EMI. Au contraire, il n’en était que plus confus. Son intention avait été de trouver un terrain d’entente avec M. Barakat, mais celui-ci semblait s’en tenir exclusivement à la décision de M. Hackett. Le 26 août 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé a reçu copie de la Politique de santé et sécurité au travail du CNRC sur laquelle la demande était fondée (pièce E-1, onglet 34).

[57]   Le 16 septembre 2004, le Ottawa Citizen publiait un article (pièce E-1, onglet 41) dans lequel on rapportait que M. Grover [traduction] « soign[ait] des problèmes cardiaques qu’il attribu[ait] au stress ». Bien que ce reportage ait suscité l’inquiétude de l’employeur, Mme McLaren a témoigné que ce n’était pas ce qui avait motivé ses décisions, lesquelles avaient été prises et communiquées à M. Grover bien avant.

[58]   Les parties ont échangé régulièrement des lettres entre le 7 septembre et le 8 novembre 2004 au sujet des documents pertinents, de l’indépendance de CompreMed et de la modification possible du consentement du fonctionnaire s’estimant lésé à subir cet examen. Le 8 novembre 2004 (pièce E-1, onglet 60), le fonctionnaire s’estimant lésé a écrit à Mme McLaren pour lui présenter clairement, en cinq points, des exemples du genre de préoccupations qu’il avait et auxquelles l’employeur n’avait toujours pas répondu.

[59]   M. Grover a témoigné que, plutôt que de mieux comprendre ce que l’employeur attendait de lui, il devenait de plus en plus confus. Pour illustrer son propos, il a cité une lettre datée du 24 septembre 2004 dans laquelle l’employeur l’informe qu’il considère désormais la question du certificat médical présenté en juin comme n’ayant plus d’intérêt pratique (pièce G-14, p. 116). Le fonctionnaire s’estimant lésé a aussi indiqué qu’il avait étudié la politique — surtout l’alinéa 6.13.2b) — et fait des recherches sur le processus d’EMI, sans parvenir à comprendre comment cette Politique de santé et sécurité au travail s’appliquait dans son cas. Il s’était aussi informé auprès de Santé Canada, qui n’est devenu un fournisseur du CNRC que le 1er avril 2005. Enfin, il avait envisagé d’autres possibilités pour tenter de trouver une solution. Ses actions, sa correspondance et son témoignage donnent une idée des moyens qu’il a mis en œuvre durant cette période afin de trouver une solution acceptable pour les deux parties.

[60]   En novembre 2004, il y a eu d’autres échanges de correspondance entre Mme McLaren et M. Grover ainsi qu’entre celui-ci et M. Andrew Woodsworth, vice-président par intérim, Recherche (Sciences de la vie et technologies de l’information), pour tenter d’en arriver à une entente afin que M. Grover consente soit à subir l’examen médical chez CompreMed, soit à autoriser ses propres médecins à communiquer des renseignements. Cette tentative s’est soldée par un échec.

[61]   Même s’il avait le sentiment que rien ne pouvait convaincre M. Grover de coopérer d’une façon ou d’une autre, le 1er décembre 2004, M. Woodsworth a fait une ultime tentative pour lui expliquer les raisons de la demande d’examen médical indépendant, en exposant en 12 points les nombreux facteurs dont le CNRC avait tenu compte pour prendre la décision d’exiger cet EMI (pièce E-1, onglet 64) :

[Traduction]

[…]

1) que, pendant une période de seulement cinq mois, vous avez soumis trois certificats médicaux indiquant tous que vous étiez incapable de travailler pour cause de maladie; la production de certificats en série était devenue un sujet de préoccupation en soi;
2) que ces certificats identiques ont été signés par deux médecins, les deux premiers par le D r M. Reny et le troisième par le D r A. Saeed;
3) que chacun de ces certificats médicaux prescrivait la même chose, à savoir que vous preniez quatre semaines de congé pour cause de stress sur une période de huit semaines, à votre discrétion, ce qui est contestable en soi;
4) que, en ce qui a trait au premier certificat médical, vous avez établi une tendance constante en prenant des congés de maladie le lundi et le vendredi de chaque semaine;
5) que, en ce qui a trait au deuxième certificat, vous avez déterminé à l’avance les jours où vous comptiez prendre un congé de maladie pour cause de stress plutôt que de prendre ces congés au besoin, comme le certificat médical le précisait; par exemple, dans un courriel du 7 mai, vous avez annoncé votre intention de prendre des congés de maladie pour cause de stress le 12 mai ainsi que du 17 au 21 mai;
6) que le troisième certificat, tel que confirmé par votre avocat, vous a été délivré à condition que vous fournissiez à votre médecin une copie du certificat antérieur ainsi que les renseignements que vous seul jugiez pertinents;
7) que vous n’avez fait aucun effort pour apaiser les inquiétudes du CNRC en lui fournissant des explications supplémentaires des médecins ou des justifications des certificats médicaux, comme cela a été confirmé dans notre correspondance du 26 juillet;
8) que vous avez soumis un certificat médical daté du 5 août dans lequel le médecin déclarait — curieusement — que vous étiez apte à travailler un mois avant, le 5 juillet; aucune autre explication de ce certificat n’a été fournie par votre médecin;
9) que, après le troisième certificat, votre avocat a confirmé qu’il [traduction] « n’était pas surprenant que [vous] continuiez à avoir besoin de congés de maladie »;
10) que vous avez récemment déclaré au quotidien le Ottawa Citizen que vous souffriez de troubles cardiaques causés par le stress;
11) que, durant la période de cinq mois qui a précédé votre statut « pas de travail, pas de rémunération », vous avez travaillé à peine plus que la moitié du temps;
12) que le stress fait implicitement partie de la réalité de votre poste de directeur, notamment en raison des changements passés et en cours à l’IÉNM et à l’ISM.

[…]

[62]   En février 2005, M. David Simpson a pris la relève de M. Woodsworth; il a poursuivi l’échange de correspondance avec le fonctionnaire s’estimant lésé dans le but, lui aussi, de trouver une solution au problème et d’apaiser les craintes de l’intéressé. Ses efforts se sont toutefois soldés par un échec.

[63]   Le 24 février 2005, M. Grover a écrit à M. Simpson pour tenter lui-même de dénouer l’impasse. Il a proposé à l’employeur de choisir une des cinq options qu’il avançait (pièce E-1, onglets 76 et 77), mais elles ont toutes été jugées inacceptables, ce dont il a été informé le 22 mars 2005 (pièce E-1, onglet 78). On lui a de nouveau demandé de consentir à ce que le CNRC communique avec son médecin, comme il en avait été question dans les mois précédents. Enfin, le 7 avril 2005, on lui a demandé de consentir à subir une évaluation de son aptitude à travailler par Santé Canada (pièce E-1, onglet 80), qui avait commencé à fournir des services au CNRC le 1er avril 2005. Au moment de l’audience, ce problème n’était toujours pas réglé.

[64]   Lorsqu’elle a été interrogée sur la question de l’indépendance du médecin que M. Grover avait été prié de consulter, Mme Jacobs a expliqué que Comcare Health Services fournissait des services à contrat au CNRC depuis plus de dix ans. Depuis son arrivée au CNRC à Ottawa, il y a de cela huit ans, elle avait été appelée à deux reprises à s’occuper de demandes d’examen médical indépendant. Elle a expliqué qu’elle ne connaissait pas le D r Moran, à qui l’on avait confié le dossier de M. Grover. C’était Comcare qui avait la responsabilité de désigner les médecins, conformément à son contrat avec le CNRC.

[65]   Mme McLaren a confirmé la relation contractuelle qui existait entre CNRC et Comcare Health Services ainsi que la procédure appliquée pour adresser une demande d’examen médical au fournisseur. Elle a insisté sur le fait que le CNRC n’intervenait pas dans le choix du médecin chargé de mener à bien une évaluation. Elle a également précisé avoir référé le fonctionnaire s’estimant lésé au site Internet de CompreMed Canada Inc., le nouveau fournisseur qui a remplacé Comcare (pièce E-1, onglet 57).

[66]   Elle a expliqué comment le CNRC considérait CompreMed comme une entité totalement indépendante lorsque l’entreprise fournissait des services d’évaluation médicale. Elle a offert à M. Grover la possibilité de modifier la formule de consentement fournie par CompreMed et sans laquelle il était impossible de subir l’examen et lui a demandé de la remplir et de la lui retourner au plus tard le 18 octobre 2004 (pièce E-1, onglet 53). Elle lui a également fourni la même explication que celle que le CNRC lui avait déjà donné dans leurs nombreux échanges de correspondance pour justifier la demande d’examen médical. Or, quand M. Grover a proposé de modifier la formule de consentement, le 20 avril 2005 (pièce E-10), Santé Canada a refusé (pièce E-13) en indiquant que : [traduction] « les formules ne peuvent être modifiées car elles sont considérées comme des documents légaux [...] ».

[67]   Mme McLaren a témoigné que le statut « pas de travail, pas de rémunération » avait été attribué à des fins administratives et que nulle mention des événements ne figurait dans le dossier disciplinaire du fonctionnaire s’estimant lésé. Bref, la situation ne pouvait pas être invoquée dans l’avenir pour bâtir un dossier disciplinaire contre lui, et elle ne le serait pas. Le refus de M. Grover de subir l’examen médical exigé et d’y consentir en signant une formule modifiée par lui entraînait des conséquences administratives dont elle l’a informé dans une lettre datée du 1er novembre 2004, tout comme MM. Hackett et Barakat l’avaient fait auparavant. Dans cette même lettre, elle déclarait : [traduction] « Comme vous en avez déjà été informé, la décision de ne pas remplir [la formule de consentement] ne sera pas sans conséquences.[...] Vous avez des choix à faire et nous vous informons pleinement de leurs implications. »

[68]   Mmes Jacobs et McLaren ont confirmé qu’il n’existait aucune politique d’approbation ni de rejet des certificats médicaux présentés par les employés. Chaque certificat est examiné individuellement. La demande de l’employeur afin que le fonctionnaire s’estimant lésé subisse un examen médical indépendant est conforme à la procédure décrite à l’alinéa 6.13.2b) de la Politique de santé et sécurité au travail. Mme Jacobs est d’avis que c’est la direction qui doit prendre la décision envisagée par cette politique et que pour ce faire, elle doit disposer de toute l’information nécessaire. La témoin a toutefois reconnu que l’examen médical indépendant ne constituait qu’une option, l’autre consistant à demander au fonctionnaire d’autoriser la communication de renseignements précis par son propre médecin. Bien que cette dernière option ait été envisagée à l’époque, M. Hackett a décidé d’exiger un examen médical indépendant. Ce n’est qu’en janvier 2005 que le CNRC a offert l’autre option à M. Grover, sans parvenir pour autant à obtenir sa coopération.

[69]    M. Grover a insisté sur le fait que la demande d’examen médical indépendant, le manque de justification et d’information de la part de l’employeur ainsi que son insistance à instituer diverses enquêtes en dépit de l’absence de plainte officielle étaient révélateurs du traitement qu’il recevait depuis son arrivée au CNRC. (Une autre enquête a commencé en janvier 2005 à la suite d’une lettre que le fonctionnaire s’estimant lésé a écrite pour se plaindre que le gestionnaire qui allait être son directeur général à son retour au travail était partial.) Il ne fait aucun doute que la demande d’EMI constituait un moyen de le faire rentrer dans le rang ou de le tenir à l’écart pendant la restructuration de l’IÉNM. M. Grover était d’avis qu’il n’avait jamais reçu de justification raisonnable de cette demande, qui se voulait clairement une sanction et qui était donc de nature disciplinaire.

Résumé de l’argumentation

Pour l’employeur

[70]   L’employeur a indiqué que si je concluais qu’il ne s’agissait pas d’une question de mesures disciplinaires, je devais rejeter carrément l’affaire. À l’appui de cet argument, il m’a renvoyé à l’affaire Dhaliwal c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada — Service correctionnel) 2004 CRTFP 109, dans laquelle sont exposés les principes relatifs à la compétence. La disposition applicable est le paragraphe 92(2) de l’ancienne LRTFP.

[71]   L’employeur estime avoir établi qu’il s’inquiétait à juste titre de la santé du fonctionnaire s’estimant lésé. Il a agi de bonne foi, et ses craintes pour la santé de l’intéressé étaient justifiées. D’après lui, la prépondérance de la preuve confirme que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas démontré que les mesures qu’ils qualifient de disciplinaires avaient été prises de mauvaise foi. Si je devais arriver à la conclusion que M. Hackett a agi en raison de ses craintes légitimes pour la santé de M. Grover, mon rôle aboutirait dans « une impasse soudaine » (Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.), citée dans Dhaliwal , supra). La question de savoir si les mesures étaient justifiées ne serait alors pas de mon ressort.

[72]   L’employeur a soutenu que, dans les circonstances, il était très important d’étudier le contexte dans lequel la décision a été prise. À son avis, les réponses du fonctionnaire s’estimant lésé en contre-interrogatoire donnent une excellente idée de sa façon de penser et sont révélatrices du volumineux échange de correspondance ayant eu cours durant la période en cause. C’est une indication de l’état d’esprit du fonctionnaire s’estimant lésé qui permet de comprendre le contexte dans lequel l’employeur s’efforçait, sans succès, d’obtenir sa coopération afin de déterminer s’il était apte à travailler.

[73]   La théorie qui sous-tend la thèse du fonctionnaire s’estimant lésé — ainsi que son contre-interrogatoire l’a révélé — est que les mesures prises par l’employeur étaient de nature disciplinaire ou constituaient un moyen pour M. Hackett de lui régler son compte. Or, les faits ne confirment pas cette théorie.

[74]   Cette attitude du fonctionnaire s’estimant lésé a rendu la situation très difficile pour l’employeur. C’est dans ce contexte qu’il a maintes fois tenté d’expliquer au fonctionnaire s’estimant lésé les raisons de la demande d’examen médical. À son point de vue, il lui avait donné bien des fois une explication raisonnable, et aucune explication supplémentaire n’arriverait à le satisfaire. Dans sa lettre du 1er décembre 2004 (pièce E-1, onglet 64), l’employeur énumère 12 raisons pour lesquelles il exige un examen médical indépendant. Or, ces explications n’ont guère été jugées satisfaisantes par le fonctionnaire s’estimant lésé, qui n’arrivait pas à comprendre comment la Politique de santé et sécurité au travail pouvait s’appliquer dans son cas. L’employeur ne peut que qualifier un tel comportement de difficile et de non coopératif, la correspondance et les témoignages le confirment. C’est à dessein qu’il a toujours communiqué par écrit avec l’intéressé.

[75]   L’employeur était d’avis qu’il avait le droit de connaître l’état de santé de M. Grover. Il a fondé son évaluation de la situation sur de nombreux facteurs; il n’était pas disposé à courir un risque car les conditions n’avaient pas changé depuis que M. Grover avait commencé à prendre des congés de maladie en février 2004; elles perduraient toujours.

[76]   Si le fonctionnaire s’estimant lésé s’est retrouvé en situation « pas de travail, pas de rémunération » c’est simplement qu’il a fait le choix de ne pas subir l’examen médical. Quant au deuxième grief, contestant le fait que son absence était consignée comme un « congé non payé pour d’autres raisons », il s’agit du code administratif qui s’applique dans ces cas-là.

[77]   Les craintes de l’employeur ont été confirmées à nouveau par la lettre de l’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé datée du 18 juin 2004 (pièce E-1, onglet 12). Même si M. Grover maintenait qu’il était apte à travailler, son avocat s’inquiétait des effets néfastes de la situation pour sa santé. L’article paru quelques mois plus tard — le 16 septembre 2004 — dans le OttawaCitizen (pièce E-1, onglet 41) n’a fait que confirmer les craintes, car il y était écrit que M. Grover [traduction] « soignait des problèmes cardiaques qu’il attribuait au stress ».

[78]   L’employeur a aussi attiré l’attention sur une contradiction dans la lettre à M. Barakat en date du 5 août 2004 (pièce E-1, onglet 29), dans laquelle M. Grover admettait, d’une part, qu’il avait été soumis à un stress accru dans son travail, alors que, d’autre part, il soumettait un certificat médical en date du jour même attestant qu’il était apte à retourner travailler à temps plein. L’employeur a de nouveau insisté sur le fait que rien n’avait changé dans le milieu de travail durant la période pertinente.

[79]   Enfin, l’employeur a observé que le fonctionnaire s’estimant lésé avait constamment refusé de coopérer et de lui donner les renseignements qu’il réclamait pour déterminer son état de santé. En somme, le témoignage du fonctionnaire s’estimant lésé lui-même a confirmé le bien-fondé de la décision de l’employeur, compte tenu du fait qu’il a déclaré qu’il avait eu peur de recevoir des lettres chez lui, qu’il avait constaté l’existence d’un problème systématique au CNRC et qu’il avait conclu que son milieu de travail était extrêmement stressant. L’employeur était donc justifié d’exiger une évaluation de l’état de santé de l’intéressé.

[80]   Plus récemment encore, lorsque l’employeur a tenté d’obtenir de l’information de son médecin traitant, le fonctionnaire s’estimant lésé a persisté dans son refus de coopérer. L’employeur a investi beaucoup d’efforts dans cette solution de rechange, en consultant longuement Santé Canada pour rédiger avec soin les questions destinées aux médecins de M. Grover. Le fonctionnaire s’estimant lésé a alors fait volte-face en demandant en quoi les questions proposées allaient permettre d’obtenir de l’information sur son aptitude à travailler. Il ne trouvait pas acceptable la proposition de l’employeur de poser des questions non médicales à ses médecins. Or, après avoir déclaré qu’il refusait que des renseignements médicaux soient communiqués à l’employeur, voilà qu’il disait en fait le contraire.

[81]   L’employeur a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé était en fait le véritable responsable de la situation actuelle, à cause de son manque de coopération. Une personne sensée ne pourrait que conclure qu’il n’avait jamais eu l’intention de coopérer dans cette affaire. L’employeur a fait tout ce qu’il pouvait pour lui donner une explication satisfaisante de sa demande. Le même message a été répété des mois durant. Il est clair, à la lecture de la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé datée du 8 décembre 2004 (pièce E-1, onglet 65), que rien n’allait réussir à le convaincre.

[82]   L’employeur a tenté de trouver une solution et a proposé de nombreuses formules afin de ramener le fonctionnaire s’estimant lésé au travail. Or, il est demeuré intraitable. Il estimait que l’employeur devait accepter les certificats médicaux tels quels.

[83]   À l’appui de son argument, l’employeur a invoqué la jurisprudence suivante : Ricafort c. Conseil du Trésor (Ministère de la Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-2-17422 (1988); Campbell c. Conseil du Trésor (Conseil de la radiotélévision et des télécommunications canadiennes), dossier de la CRTFP 166-2-25616 (1996) et Masterfeeds and U.F.C.W., Local 1518 (2000), 92 L.A.C. (4th) 341.

[84]   L’employeur a invoqué la décision de la Commission dans Ricafort ,supra, en établissant un parallèle entre les situations décrites dans cette affaire-là et en l’espèce :

[...]

La question de fond ou de fait à régler en l’occurrence est de savoir si l’employeur avait des motifs suffisants pour mettre en doute la capacité de l’employé à retourner au travail, en dépit du fait qu’il ait apparemment demandé de reprendre ses fonctions. À mon avis, même sur la foi des certificats médicaux présentés par l’employé s’estimant lésé, l’employeur avait suffisamment de raison de douter de l’aptitude au travail de l’employé, et de conclure qu’en reprenant ses fonctions il risquait de compromettre sa santé. Compte tenu de ce que M. Ricafort disait lui-même de son état de santé pendant toute la période en question, il était tout à fait raisonnable que l’employeur pèche par excès de prudence en obligeant l’employé à subir un autre examen médical avant qu’il ne puisse retourner au travail. Par ailleurs, il est normal que la direction, à la lumière de la teneur de plusieurs des notes de service rédigées par M. Ricafort pendant la période pertinente, ait été amenée à conclure que celui-ci continuait de souffrir profondément des effets cumulatifs du stress.

Je rejette également toute allégation selon laquelle l’employé en cause aurait été victime d’un complot en vue de le retirer du lieu de travail. Il n’y a tout simplement aucune preuve convaincante à l’appui de cet argument. Je suis convaincu que l’employeur n’était motivé que par un souci de la santé de l’employé et de sa capacité de remplir ses fonctions convenablement.

[...]

Quant à savoir si l’employeur avait le pouvoir d’agir comme il l’a fait, à mon avis, la prépondérance de la jurisprudence en matière d’arbitrage donne raison à l’employeur. En fait, dans presque toutes les décisions d’arbitrage citées par le représentant de l’employé, la Commission reconnaît implicitement ou explicitement que l’employeur avoir le pouvoir, voire l’obligation dans certaines circonstances, d’empêcher un employé inapte au travail à reprendre ses fonctions.

[...]

[85]   Dans Campbell, supra, la Commission a pris bonne note du refus du fonctionnaire s’estimant lésé de coopérer avec son employeur pour trouver une solution acceptable qui lui permettrait de retourner au travail. Dans cette affaire-là, elle a statué que l’employeur avait été extrêmement patient et d’une grande humanité dans ses rapports avec M. Campbell, qui ne voyait de sa part que persécution et mauvais traitement. Voici ses conclusions au paragraphe 61 :

[...]

L’employeur qui a de sérieuses raisons de croire que l’état physique ou mental d’un employé est tel que celui-ci ne peut s’acquitter convenablement des fonctions de son poste ou qui a des raisons de croire que son état risque d’affecter la santé et la sécurité des autres peut obliger l’employé à subir un examen médical physique ou psychiatrique mené par un spécialiste de son choix déterminé par Santé et Bien-être social Canada. En de telles circonstances, l’employé qui refuse de se conformer à la demande de l’employeur le fait à ses risques et périls. Les exigences de la loi en pareil cas sont claires. Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social est tenu par la Loi sur le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social d’assurer la promotion et le maintien de la santé des fonctionnaires et autres employés de l’État.

[…]

[86]   Enfin, dans Masterfeeds ,supra, on expose les principes généraux applicables aux affaires de ce genre. L’employeur était d’avis qu’ils valent autant pour le secteur public que pour le secteur privé, exception faite du choix du médecin. Compte tenu de ces principes, en l’espèce, la présentation des trois certificats médicaux et l’absentéisme croissant du fonctionnaire s’estimant lésé constituaient des motifs suffisants pour contester le troisième certificat. Selon l’employeur, la preuve établit de manière irréfutable qu’il avait de bonnes raisons d’exiger un examen médical indépendant, et la prudence lui dictait l’obligation d’obtenir plus d’information pour confirmer que la santé du fonctionnaire s’estimant lésé ne se détériorerait pas davantage à son retour au travail. C’est seulement lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé a décidé de ne pas coopérer, en restant chez lui, qu’il s’est retrouvé en situation « pas de travail, pas de rémunération », une mesure administrative.

[87]   Rien dans la preuve n’indique que l’employeur était motivé par quoi que ce soit d’autre que le souci d’être fixé sur l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé et de s’assurer qu’il était apte à s’acquitter de ses fonctions comme prévu. L’employeur a invoqué deux autres décisions à l’appui de l’argument selon lequel les mesures prises étaient de nature administrative et non pas disciplinaire : Canadian Imperial Bank of Commerce (Chargex Centre) and Union of Bank Employees (Ontario), Local 2104 (1987), 28 L.A.C. (3d) 134, et Metropolitan Separate School Board andOntario English Catholic Teachers Association (1994), 41 L.A.C. (4th) 353.

[88]   Compte tenu du fait que l’employeur était justifié d’exiger de l’information pour déterminer l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé dans les circonstances, compte tenu des absences de ce dernier et du fait qu’il ne s’acquittait pas de ses principales responsabilités telles que participer à des réunions cruciales de la direction, compte tenu encore de la lettre de l’avocat de M. Grover faisant part de ses craintes pour la santé du fonctionnaire et compte tenu enfin des déclarations de ce dernier à la presse, on ne peut que conclure que la demande de l’employeur était raisonnable. L’employeur a prouvé qu’il avait raison de s’inquiéter de la santé du fonctionnaire s’estimant lésé, qu’il avait agi de bonne foi et que ses craintes pour la santé du fonctionnaire étaient elles aussi de bonne foi, conformément à la Politique de santé et sécurité au travail applicable.

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[89]   En l’espèce, il s’agit de concilier le respect de la vie privée et le droit légitime de l’employeur d’assurer le bon fonctionnement de ses opérations avec efficacité ainsi qu’en toute sécurité. Il s’agit plus précisément de déterminer quand l’employeur a le droit d’exiger qu’un fonctionnaire se soumette à un examen médical par un médecin qu’il n’a pas choisi lui-même.

[90]   Le fonctionnaire s’estimant lésé ne contestait pas le pouvoir de l’employeur d’exiger un examen médical indépendant, mais plutôt les raisons pour lesquelles cet examen était exigé et la procédure qui était appliquée dans ce contexte. À son avis, l’employeur n’a pas prouvé que la demande était justifiée, qu’il avait envisagé des solutions de rechange ou vraisemblablement tenté d’en trouver. L’employeur n’a fait aucun effort pour obtenir le consentement du fonctionnaire s’estimant lésé. Enfin, M. Grover estimait que la demande de l’employeur était prématurée.

[91]   Les principes généraux applicables en l’espèce ont été énoncés en 1963 dans la décision Thompson v. Town of Oakville (1963), 41 D.L.R. (2d) 294, souvent citée, de laquelle il ressort que : [traduction] « Le droit des employeurs d’ordonner à leurs employés de se soumettre à un examen par un médecin du choix de l’employeur doit être fondé soit sur une obligation contractuelle, soit sur une autorité législative », conformément au principe suivant : [traduction] « un praticien médical qui examine quelqu’un contre sa volonté et sans l’autorité voulue se rend coupable d’atteinte à la vie privée. »

[92]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a aussi observé qu’il existait une différence importante entre contester un certificat médical présenté par un employé et mettre en doute l’aptitude de ce même employé à travailler dans l’avenir. Faire les deux semble contradictoire. Dans chaque cas, les règles sont différentes, et le fardeau de la preuve incombe à l’employeur lorsqu’il s’agit d’établir si l’employé est apte à retourner travailler.

[93]   La Cour a établi cette distinction dans Monarch Fine Foods Co. Ltd. v. Milk and Bread Drivers, Dairy Employees, Catering and Allied Employees, Local 647 (1978), 20 L.A.C. (2d) 419 :

[Traduction]

[...]

Il existe une différence évidente entre exiger qu’un employé se soumette à un examen médical pour déterminer s’il est apte à travailler et exiger qu’il subisse cet examen pour confirmer ou infirmer la véracité de son assertion, étayée par ses propres certificats médicaux, que ses absences étaient attribuables à une maladie ou à une blessure. L’entreprise qui a des motifs raisonnables et probables de mettre en doute la validité des certificats médicaux présentés par l’employé peut exiger un complément d’information médicale d’un médecin du choix de l’employé ou d’un médecin choisi d’un commun accord.

[...]

[94]   La Commission a décidé que, dans le cas d’un examen médical ayant strictement pour but de vérifier la validité d’un certificat médical et de confirmer l’existence d’une maladie ou d’une blessure, il n’existait aucun fondement juridique à ce droit implicite de la direction. Lorsqu’un employeur a des motifs raisonnables et probables de mettre en doute la validité d’un certificat médical présenté par un employé, il doit demander un complément d’information à l’employé et à son médecin ou en arriver à une entente sur le choix d’un autre médecin.

[95]   La Commission a aussi déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[...]

Les décisions arbitrales sur cette question portent le plus souvent sur des affaires dans lesquelles un employé retourne au travail après une absence pour raison de maladie et voit son aptitude et sa capacité à reprendre ses fonctions mise en doute. Les conseils d’arbitrage ont uniformément statué que le pouvoir d’exiger que les employés soient physiquement capables de s’acquitter de leurs fonctions de façon efficiente et en toute sécurité fait implicitement partie des droits de la direction. Il a donc été déterminé qu’un employeur peut — lorsqu’il a des motifs raisonnables et probables — exiger que l’employé subisse un examen médical par le médecin de l’entreprise ou par un praticien médical choisi par l’entreprise pour déterminer son aptitude à retourner au travail.

[...]

[96]   C’est une situation de ce genre qui est examinée dans Air Canada v. Canadian Airline Employees Association (1982), 8 L.A.C. (3d) 82. Dans des circonstances virtuellement identiques à celles de la présente affaire, la Commission a statué que l’ordre donné à l’employée de se soumettre à un examen médical par le médecin de l’employeur était injustifié. L’employée avait proposé plusieurs solutions de rechange à l’employeur, notamment de se faire examiner par son propre médecin, en suggérant que le médecin de l’employeur donne des directives détaillées à son médecin sur les mesures à prendre pour établir à sa satisfaction qu’elle était apte à retourner travailler. Elle avait même offert de se faire examiner par un médecin indépendant qui n’était ni le sien, ni celui de la compagnie, mais l’employeur avait refusé toutes ces options.

[97]   La Commission a statué que l’employeur n’avait pas le droit, à ce stade, d’insister pour que l’employée s’estimant lésée soit examinée par son médecin à lui. Les propositions qu’elle avait faites lui semblaient raisonnables, et l’employeur aurait dû les accepter. La Commission estimait que les renseignements qui auraient été fournis à l’employeur auraient suffi et qu’ils auraient mis un terme à l’affaire.

[98]   Cela dit, le fonctionnaire s’estimant lésé a aussi avancé que l’employeur ne pouvait pas simplement déclarer qu’il ne savait pas ce qui se passait pour justifier sa demande d’examen médical indépendant. D’autres raisons sont nécessaires, surtout si l’intéressé s’acquitte de ses fonctions, comme c’est le cas en l’espèce. À l’appui de cet argument, le fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé à l’affaire Riverdale Hospitalv.Canadian Union of Public Employees, Local 79 (1985), 19 L.A.C. (3d) 396. Il se fondait aussi sur la décision de la Commission dans Kolski c. Conseil du Trésor (Agriculture Canada), dossiers de la CRTFP 166-2-25899, 25900 et 26020 (1994), pour faire valoir que la demande de l’employeur était prématurée en l’espèce.

[99]   Pour ce qui est de savoir ce dont l’employeur devrait tenir compte en pareilles circonstances et ce qui devrait être considéré comme un risque pour la sécurité, le fonctionnaire s’estimant lésé m’a renvoyé à la décision rendue dans Inco Limited v. United Steel Workers (1988), 35 L.A.C. (3d) 108. La Commission y a conclu ceci : [traduction] « Pour trancher cette affaire, nous devons tenir compte de la nature du travail, de l’état de santé de l’employé ayant suscité les craintes de la compagnie et, enfin, des renseignements médicaux communiqués à la compagnie à l’appui de la demande de l’employé de retourner au travail pour accomplir à nouveau toutes ses fonctions ». Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que, en l’occurrence, le caractère insatisfaisant du certificat médical n’aurait pas dû constituer un motif suffisant pour justifier la demande de l’employeur, compte tenu de l’absence de maladie grave et de la nature de son travail. L’affaire que je dois trancher ne concerne pas un employé qui pourrait être appelé à gravir jusqu’à six étages en portant un respirateur de 30 livres et un masque dans le cadre d’une mission de recherche et de sauvetage, alors qu’il souffre de quintes de toux.

[100]   Comme il est indiqué dans York County Hospital Corp. v. Service Employees International Union, Local 204 (1992), 25 L.A.C. (4th) 189, il incombe à l’employeur de prouver que l’information est requise à juste titre et que tous les autres moyens de déterminer la validité des prétentions de l’employé s’estimant lésé ont été mis en œuvre. L’employeur aurait pu adresser un certain nombre de demandes de renseignements tant au fonctionnaire s’estimant lésé qu’à ses médecins avant d’exiger un examen médical.

[101]   De même, dans Laurentian Hospital v. C.U.P.E., Local 161 (1990), 20 C.L.A.S. 325, il a été statué qu’un employeur avait le droit d’exiger un complément d’information ou une information plus précise du médecin de l’employé s’estimant lésé, mais que, à moins d’un libellé explicite dans la convention collective ou dans la Loi sur les hôpitaux publics (dans cette affaire-là), l’employeur n’avait pas le droit d’exiger que l’examen médical soit effectué par un médecin de son choix.

[102]   Bref, le fonctionnaire s’estimant lésé a conclu que l’employé devrait avoir le droit d’accorder ou de refuser son consentement après avoir obtenu une explication et une justification appropriées de la demande de l’employeur ainsi que des renseignements détaillés sur ses inquiétudes, conformément aux principes établis dans Thompson ,supra , sur la conciliation des droits de chacune des parties et sur les efforts que les deux doivent déployer afin de trouver une solution mutuellement satisfaisante.

[103]   En ce qui concerne l’obligation implicite d’assurer la sécurité des employés, il a été statué que l’employeur doit nécessairement démontrer qu’il a des motifs raisonnables et probables de n’être pas satisfait d’un certificat médical présenté par un employé, comme déterminé dans Thompson General Hospital v. Thompson Nurses M.O.N.A., Local 6 (1991), 20 L.A.C. (4th) 129, citée dans NelsonsLaundries Ltd. and Retail Wholesale, Local 580 (1997), 64 L.A.C. (4th) 120  :

[Traduction]

[...]

Avant que l’employeur ne puisse imposer d’autres exigences à l’employé, il doit, conformément aux principes d’équité classiques, préciser les raisons pour lesquelles il met en doute le certificat médical présenté par l’employé s’estimant lésé et préciser les conditions auxquelles l’employé doit satisfaire avant d’être autorisé à retourner au travail. « Si le certificat en lui-même n’est pas satisfaisant, l’employé doit en être informé afin de pouvoir soit contester le pertinence de son rejet par la compagnie, soit demander un certificat plus étoffé à son médecin. Si elle veut une autre opinion médicale, la compagnie doit aussi en informer l’employé. ( Re Firestone Tire v. Rober Co. of Canada Limited )  ».

[...]

[...] ce droit est fondé sur le principe que l’employeur a des motifs raisonnables et probables de croire que l’employé est inapte ou qu’il constituerait un danger pour lui-même, pour ses collègues ou pour la propriété de la compagnie.

[...]

Bref, lorsqu’un employé présente un certificat médical déclarant sans équivoque qu’il est apte à retourner au travail, le fardeau de la preuve retombe sur l’employeur, qui doit démontrer que l’intéressé n’est pas apte à retourner travailler. Si l’employeur a des motifs raisonnables, en se fondant sur les faits pertinents, de mettre en doute la validité ou l’exhaustivité de l’opinion avancée dans le certificat médical, il doit expliquer clairement à l’employé la raison pour laquelle le certificat n’est pas acceptable et quels renseignements sont exigés pour que l’employé puisse retourner voir son médecin traitant et obtenir de lui l’information voulue.

[...]

[...] l’employeur ne peut pas refuser d’autoriser un employé à retourner travailler à cause d’une simple possibilité que celui-ci ait des problèmes de santé dans l’avenir, quoique le degré précis de risque que l’employeur doit assumer fasse l’objet de débats entre les arbitres de grief et dépende des faits de chaque affaire.

[...]

[104]   L’employeur n’a pas vraiment justifié sa demande, qui reposait sur des hypothèses, puisque le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’il avait pris très peu de congés de maladie jusque-là. Les véritables intentions de l’employeur sont donc contestables. Il lui appartenait de communiquer clairement avec le fonctionnaire s’estimant lésé. Il a souvent semblé changer d’idée, mais c’est à lui qu’incombait le fardeau de prouver que le rejet des certificats médicaux était justifié.

[105]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu qu’en présentant le certificat médical en date du 5 août 2004 le déclarant apte à retourner travailler, il s’était déchargé du fardeau initial de démontrer qu’il était en mesure de s’acquitter de ses fonctions, conformément à la décision rendue dans Consumers Glass and C.A.W. Local 29, 18 C.P.L.S. 171. Dans cette décision, la Commission fait observer ce qui suit :

[Traduction]

[...]

[...] si l’employeur n’est pas satisfait des renseignements médicaux figurant dans le certificat, il peut exiger que l’employé subisse un examen médical par un médecin qui n’est pas nécessairement du choix de l’employé lui-même. Toutefois, par souci d’équité procédurale et par respect pour la vie privée de l’employé, [...] il doit à tout le moins préciser à l’employé les raisons pour lesquelles il rejette le certificat et ce dont il a besoin afin que l’employé puisse faire les démarches nécessaires pour apaiser ses inquiétudes en obtenant d’autres renseignements de son propre médecin.

[...]

En d’autres termes, l’employeur doit d’abord s’efforcer d’obtenir les renseignements médicaux requis auprès des médecins de l’employé avant d’exiger que celui-ci subisse un examen médical indépendant.

[106]   Cette analyse semble aussi indiquer que la nature du travail de l’employé et la durée de son absence avant son retour au travail constitueraient également des facteurs pertinents. Enfin, le fonctionnaire s’estimant lésé a souligné qu’une des conclusions importantes de cette décision est que l’employeur doit invoquer une raison valable plutôt que de s’appuyer sur une hypothèse quant à l’état de santé de l’employé pour exiger un examen médical indépendant.

[107]   En l’espèce, la preuve démontre que l’employeur croyait que le fonctionnaire s’estimant lésé abusait de ses congés de maladie. En outre, il voulait faire comprendre au fonctionnaire s’estimant lésé — un employé difficile — qu’il devait se conformer à ses directives dans l’avenir. Selon le fonctionnaire s’estimant lésé, l’employeur a fait escalader la situation jusqu’à contester son aptitude à travailler.

[108]   Compte tenu de la situation dans son ensemble, il semble y avoir eu un effort concerté pour régler le cas d’un employé difficile. Il est révélateur que l’employeur n’ait jamais fait part au fonctionnaire s’estimant lésé de ses inquiétudes quant à son état de santé ni de son mécontentement concernant le fait qu’il manquait des réunions de la direction jugées importantes. Cette prétention est étayée à la fois par la preuve documentaire et par les témoignages. La lettre de l’employeur en date du 10 juin 2004 constitue un document crucial à cet égard. D’entrée de jeu, on menace le fonctionnaire s’estimant lésé de sanctions disciplinaires. On l’informe que son troisième certificat médical ne sera pas accepté parce que trois ordonnances identiques lui ont été délivrées par deux médecins différents. Cette lettre ne fait que témoigner du scepticisme de l’employeur quant à l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé. L’employeur se contredit ensuite en exigeant une preuve que le fonctionnaire est apte à retourner au travail, preuve qui ne pourrait se justifier que si l’employeur était convaincu que l’état de santé du fonctionnaire était susceptible de l’empêcher de s’acquitter de ses fonctions.

[109]   La deuxième lettre en ordre d’importance serait celle de l’employeur au fonctionnaire s’estimant lésé en date du 19 juillet 2004. L’employeur y fait mention pour la première fois de ses craintes pour la santé et la sécurité, mais il ne s’agit que d’hypothèses. À ce moment-là, l’employeur n’avait absolument rien sur quoi se fonder pour tirer une telle conclusion. Quand le fonctionnaire s’estimant lésé lui a proposé une solution de compromis, en acceptant d’être examiné par un médecin choisi d’un commun accord par les deux parties, son offre a été carrément refusée. Quelques jours plus tard, il a écopé d’une suspension de cinq jours. Manifestement, c’était une indication qu’on montait un dossier disciplinaire contre lui. Les motifs de l’employeur sont suspects.

[110]   Le fait que l’employeur n’a jamais donné au fonctionnaire s’estimant lésé la possibilité d’épuiser ses crédits de congés de maladie est une autre indication qu’il ne se préoccupait guère de son état de santé. Il lui a même refusé ses congés annuels, et le voyage prévu pour assister à une conférence internationale a été annulé. Le fonctionnaire s’estimant lésé a établi que, depuis le 10 juin 2004, il avait été menacé de sanctions disciplinaires 40 fois, taxé d’insubordination 30 fois et menacé d’être licencié 10 fois.

[111]   Dans leurs témoignages, tous les gestionnaires ont reconnu que la charge de travail de M. Grover était particulièrement lourde, mais rien n’a été fait pour remédier à la situation. Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’il s’était acquitté de toutes ses responsabilités et fonctions de janvier à juin 2004, ce qui n’a jamais été contredit, hormis prendre part aux réunions de la direction. La demande d’examen médical indépendant ne constituait dans son esprit qu’un prétexte pour le faire rentrer dans le rang comme gestionnaire et pour l’écarter du lieu de travail pendant la période de changements et de restructuration.

[112]   Plus d’un témoin a déclaré que l’employeur n’était pas au courant de l’état de santé de M. Grover. C’est une preuve que l’employeur faisait des hypothèses sur son état et qu’il n’avait donc pas de raison d’exiger un examen médical et de le mettre en situation « pas de travail, pas de rémunération ».

[113]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a terminé en disant que les actions de l’employeur constituaient certainement des mesures disciplinaires et que je devais dès lors rejeter l’objection. Il a demandé le remboursement rétroactif de sa rémunération à compter du 21 juillet 2004, ainsi que sa réintégration avec tous les avantages sociaux et les crédits de congés de maladie accumulé. Il m’a aussi demandé de demeurer saisie de l’affaire pour déterminer les autres redressements applicables.

Réplique

[114]   Dans sa réfutation, l’employeur a souligné qu’il avait agi avec franchise et de façon conséquente en informant le fonctionnaire s’estimant lésé des raisons de la demande d’EMI ainsi que des conséquences d’un refus, tout en lui reconnaissant le droit de refuser de consentir à cet examen. En bout de ligne, le fonctionnaire s’estimant lésé s’exposait à un licenciement pour absentéisme involontaire. L’employeur a entretenu un échange de correspondance suivi avec lui et lui a dès lors assuré un traitement équitable. Il a aussi tenté d’obtenir plus d’information du médecin du fonctionnaire s’estimant lésé, mais l’accès lui en a été refusé. En définitive, peu importe les efforts ou les aménagements consentis par l’employeur pour apaiser les craintes du fonctionnaire s’estimant lésé, la situation est demeurée au point mort.

Motifs

Compétence pour statuer sur les aspects de l’affaire relatifs aux droits de la personne

[115]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné sur des questions de droit de la personne sous-jacentes à la situation dans laquelle il se trouve. Les documents qui m’ont été présentés font aussi mention de questions de ce genre. J’ai donc demandé aux parties de me soumettre des observations à cet égard.

[116]   Elles ont toutes deux confirmé qu’elles ne contestaient pas la compétence de la Commission à cet égard. Après avoir analysé la preuve, les observations des parties et la jurisprudence dont je dispose en l’espèce, je conclus que les deux griefs dont je suis saisie ne portent pas essentiellement sur des questions de droits de la personne. Compte tenu de la jurisprudence désormais bien établie de la Commission, l’affaire que je dois trancher porte essentiellement sur des questions de relations de travail relevant entièrement de la compétence de l’arbitre de grief que je suis, sous réserve de l’autre question de compétence sur laquelle je vais me prononcer maintenant.

Objection préliminaire et fond de l’affaire

[117]   Comme je l’ai précisé dans l’introduction, l’employeur a soulevé une objection préliminaire relativement à la compétence de la Commission, en vertu du paragraphe 92(2) de l’ancienne LRTFP. Il a déclaré que les deux mesures faisant l’objet des griefs n’étaient pas de nature disciplinaire, mais plutôt administrative. J’ai pris cette objection en délibéré et je vais maintenant me prononcer sur la question puisque ma décision à cet égard indiquera si je dois me pencher sur l’affaire au fond.

[118]   Après avoir soigneusement analysé les documents et les témoignages, je suis arrivée à la conclusion que je devais rejeter l’objection. Les mesures qui ont été prises par l’employeur pour interrompre le traitement du fonctionnaire s’estimant lésé et l’attribution des statuts « pas de travail, pas de rémunération » et en « congé non payé pour d’autres raisons » constituent incontestablement des mesures disciplinaires dans les circonstances. Je vais exposer les motifs de cette conclusion dans mon analyse au fond de l’affaire.

[119]   La difficulté en l’occurrence — et c’est probablement la source de la confusion du fonctionnaire s’estimant lésé — réside dans le fait que l’employeur semble avoir décidé de prendre et des mesures administratives et des mesures disciplinaires. Pour ajouter à la confusion, il a également décidé de mettre en doute tant le certificat médical présenté en juin 2004 que celui pour l’aptitude du fonctionnaire s’estimant lésé à retourner au travail en vertu de la Politique de santé et sécurité au travail. Or, le fardeau de la preuve est différent dans les deux cas, comme le fonctionnaire s’estimant lésé l’a fait valoir.

[120]   Avant l’audience, l’employeur a annulé les suspensions disciplinaires, et les deux griefs les concernant ont été retirés, sous réserve que les faits pertinents puissent quand même être pris en considération en l’espèce. Les griefs dont je suis saisie portent uniquement sur le statut du fonctionnaire s’estimant lésé, mais le simple fait que l’employeur a qualifié ses actions de mesures administratives en invoquant une politique administrative ou une prérogative de la direction ne les rend pas automatiquement telles. L’analyse des faits et du contexte est déterminante.

[121]   Il s’ensuit que les questions que je dois trancher sont les suivantes : quelle était la nature des actions de l’employeur? Le fonctionnaire s’estimant lésé a-t-il été suspendu indéfiniment par suite de son insubordination et de son refus de subir l’examen médical, ou est-il en situation « pas de travail, pas de rémunération » et en « congé non payé pour d’autres raisons » comme conséquence administrative de son refus de subir un examen médical par un médecin qu’il n’a pas choisi? L’analyse de la correspondance et des événements est révélatrice.

[122]   Le 10 juin 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé a été informé que son certificat médical le plus récent, daté du 1er juin 2004, ne serait pas accepté, et ce, pour deux raisons : premièrement, c’était le troisième certificat médical présenté depuis le 2 février 2004 qui prescrivait le même traitement et deuxièmement, il avait été délivré par un autre médecin. Le fonctionnaire s’estimant lésé a été prié de ne pas se présenter au travail tant qu’il n’aurait pas subi un examen médical par un médecin du choix du CNRC pour établir tant son [traduction] « état de santé que [sa] capacité médicale de reprendre [ses] fonctions et d’assumer à nouveau [ses] responsabilités », et que les résultats n’en auraient pas été communiqués à M. Hackett (pièce E-1, onglet 10).

[123]   Le fonctionnaire s’estimant lésé est retourné au travail le 28 juin 2004; M. Hackett lui a écrit le lendemain (pièce E-1, onglet 14) pour l’informer que l’omission de se conformer à la directive de ne pas se présenter au travail avant d’avoir subi l’examen médical prévu serait considérée comme de l’insubordination et pourrait entraîner des mesures disciplinaires. Ayant aussi appris que le fonctionnaire s’estimant lésé allait refuser de se présenter à l’examen médical prévu pour le 30 juin 2004, M. Hackett ajoutait que l’omission de se présenter au prochain rendez-vous [traduction] « [serait] considérée comme de l’insubordination et que d’autres mesures disciplinaires pourraient s’ensuivre ».

[124]   En fait, M. Hackett indiquait au fonctionnaire s’estimant lésé que le refus de se conformer à une mesure administrative serait considéré comme de l’insubordination, ce qui en faisait une question disciplinaire. C’est seulement plus tard que l’employeur a aussi qualifié ses actions de mesures administratives.

[125]   En réponse à la lettre du 10 juin 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé, le 18 juin 2004 — par l’intermédiaire de ses avocats — (pièce E-1, onglet 12), qu’on lui explique exactement en quoi le certificat médical de juin 2004 n’était pas satisfaisant. Il rappelait que, dans le cas où un aspect du certificat est contesté, l’employeur [traduction] « doit faire état d’un problème flagrant dans le certificat ou dans l’évaluation du médecin pour demander à l’employé de se soumettre à un autre examen ». Il expliquait aussi pourquoi le certificat médical avait été signé par un autre médecin, son médecin traitant n’étant pas disponible ce jour-là. Il ajoutait que cet autre médecin avait obtenu l’information pertinente au cours de l’examen, y compris les certificats médicaux antérieurs.

[126]   Le 7 juillet 2004, M. Hackett a de nouveau rappelé par écrit au fonctionnaire s’estimant lésé (pièce E-1, onglet 15), que l’omission de se présenter au prochain rendez-vous, prévu pour le 8 juillet 2004, serait considérée comme [traduction] « un autre acte d’insubordination ». La lettre contenait toutefois un autre paragraphe et, dans un autre énoncé, le fonctionnaire s’estimant lésé s’est également fait dire que s’il ne se présentait pas au prochain rendez-vous pour subir l’examen, [traduction] « [son] absence du lieu de travail [lui vaudrait] le statut “pas de travail, pas de rémunération” et [qu’il ne serait] pas rémunéré tant que cet examen médical n’[aurait] pas eu lieu » et que les résultats n’en auraient pas été communiqués à M. Hackett.

[127]   N’ayant reçu aucune explication supplémentaire quant aux raisons de la demande, le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’est pas présenté au rendez-vous, ce qui lui a valu une suspension de trois jours le 19 juillet 2004 (pièce E-1, onglet 20). On l’a ensuite informé que, s’il ne se conformait pas aux directives données, il s’exposait à des mesures disciplinaires allant jusqu’au licenciement. Le même jour (pièce E-1, onglet 22), M. Hackett a aussi avisé M. Grover qu’un autre rendez-vous lui avait été fixé pour subir l’examen médical (le 21 juillet 2004), que [traduction] l’« omission de [se] présenter à ce nouveau rendez-vous pour subir un examen [serait] considérée comme un autre acte d’insubordination et [que] des mesures disciplinaires [pourraient] s’ensuivre ».

[128]   On lui sert aussi un avertissement à la phrase suivante : [traduction] « l’omission de vous présenter vous vaudra le statut “pas de travail, pas de rémunération”, et [...] vous ne serez pas rémunéré tant que vous n’aurez pas subi cet examen médical et qu’on ne m’en aura pas communiqué les résultats. » Pour la deuxième fois, l’employeur fait une distinction entre les deux mesures.

[129]   Le 28 juillet 2004 (pièce E-1, onglet 26), le fonctionnaire s’estimant lésé a été avisé par écrit que faute de s’être présenté au dernier rendez-vous, il était en situation « pas de travail, pas de rémunération » depuis le 21 juillet 2004. L’auteur de la lettre poursuivait en ces termes : [traduction] « En outre, en vertu des pouvoirs qui me sont délégués, je vous suspends sans traitement pour une période de cinq jours, à compter de la date de votre retour au travail ». L’employeur semblait encore une fois adopter deux voies différentes, dont celle de la discipline progressive.

[130]   Par la suite, il y a eu un grand nombre de lettres et de tentatives de la part des deux parties pour en arriver à une entente. Le fonctionnaire s’estimant lésé a proposé quelques options, en plus de demander — et d’obtenir — des rencontres. L’employeur lui a fourni copie de la politique sur laquelle il avait fondé sa demande, en plus de lui offrir la possibilité de modifier son consentement à l’examen. Il y a eu de nombreuses discussions sur l’indépendance du médecin, mais j’estime que cette dernière question n’est pas pertinente en l’espèce.

[131]   Puis, le 1er décembre 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé a été informé par M. Woodsworth (pièce E-1, onglet 64) que les mesures disciplinaires qu’on avait prises contre lui avaient été annulées. M. Woodsworth ajoutait que la situation ne pouvait pas se poursuivre indéfiniment et que la direction n’aurait d’autre choix que de le licencier en raison de son absence prolongée du travail. M. Woodsworth a réitéré le même message dans sa lettre du 11 janvier 2004 (pièce E-1, onglet 68). Il semble, à en juger par sa dernière lettre, que le CNRC ne songeait plus désormais qu’à licencier le fonctionnaire s’estimant lésé pour absentéisme.

[132]   Pour sa part, M. Grover continuait de proposer des options à l’employeur pour tenter de résoudre le problème. Le 24 février 2005 (pièce E-1, onglets 76 et 77), il lui a offert — sans succès — les options suivantes :

[Traduction]

[…]

  1. Je suis disposé à autoriser le CNRC à communiquer avec mon médecin conformément au projet de lettre d’accompagnement les questions et le consentement joints à ma lettre du 3 février 2005.
  2. Je suis disposé à fournir au CNRC un certificat médical de mon médecin fondé sur mes consultations récentes, y compris mon examen médical annuel.
  3. Je suis disposé à subir un examen médical par un médecin de mon choix qui n’est pas mon médecin traitant.
  4. Je suis disposé à subir un examen médical par un médecin considéré comme indépendant par moi et par le CNRC, comme je l’ai déjà proposé.
  5. Je suis disposé à subir l’« examen médical indépendant (EMI) », si le CNRC me démontre en quoi l’« EMI » est justifié conformément à l’alinéa 6.13.2.b) de la politique de santé et sécurité au travail du CNRC et me fournit la preuve, s’il y en a une, qu’il prétend avoir en sa possession quant à ma capacité de faire mon travail sans mettre en danger ma sécurité ou celle d’autrui. Je souligne que le CNRC m’a informé que l’alinéa 6.13.2.b) de la politique de santé et sécurité au travail du CNRC régit l’« EMI ».

[...]

[133]   Plus récemment encore, soit le 7 avril 2005 (pièce E-1, onglet 80), M. Simpson a fait savoir au fonctionnaire s’estimant lésé qu’ayant refusé de se présenter à son plus récent rendez-vous pour subir l’EMI, il resterait en situation « pas de travail, pas de rémunération ». Tout en lui reconnaissant le droit de refuser de se soumettre à l’EMI, il confirmait que la situation ne pouvait pas durer indéfiniment et que le fonctionnaire s’estimant lésé s’exposait à un licenciement à cause de son absence prolongée du travail.

[134]   À mon avis, il s’agit incontestablement de mesures disciplinaires, comme il ressort de l’échange de correspondance avec le fonctionnaire s’estimant lésé, du contexte global et de l’attitude de l’employeur. Ajoutons à cela que le fonctionnaire s’estimant lésé a été taxé d’insubordination parce qu’il ne participait pas aux réunions de la direction et aussi parce qu’il refusait de coopérer et s’obstinait à ne pas rédiger sa propre appréciation de rendement. On lui a également reproché son manque de coopération dans le contexte de la restructuration de sa section et de l’Institut lui-même, telle qu’elle avait été mise en œuvre par M. Hackett. Pourtant, lorsque M. Grover a demandé l’autorisation de revenir au travail afin de donner son point de vue sur la restructuration de la Section des normes de rayonnement et d’optiques, le 17 septembre 2004 (pièce G-14, page 107), l’employeur lui a encore refusé l’accès au lieu de travail, voire un moyen de contribuer au processus.

[135]   La confusion des deux questions, en l’occurrence la validité du certificat médical et l’aptitude du fonctionnaire s’estimant lésé à travailler, ne devrait pas faire pencher la balance en faveur d’une conclusion confirmant le caractère administratif des mesures prises par l’employeur. Ces mesures avaient pour but de contraindre le fonctionnaire s’estimant lésé à se conformer aux directives de l’employeur. Le fait que ces directives étaient fondées sur des prérogatives administratives ne devrait pas faire oublier que des sanctions disciplinaires ont été infligées au fonctionnaire s’estimant lésé parce qu’il avait omis de se conformer à la demande administrative. Le fonctionnaire s’estimant lésé a écopé d’une lourde peine pécuniaire, puisque, dans les faits, l’interdiction de se présenter au travail équivalait à une suspension pour une durée indéterminée.

[136]   La preuve m’amène à conclure que l’employeur n’avait pas de raisons suffisantes d’exiger un examen médical. On a admis que l’employeur ne connaissait pas l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé. Il faisait des hypothèses. En outre, sa position était contradictoire puisqu’il mettait en doute la maladie du fonctionnaire s’estimant lésé — et son certificat médical — tout en soupçonnant que son état de santé était à ce point précaire qu’il devait s’abstenir de se présenter au travail tant que son supérieur n’aurait pas obtenu la garantie qu’il était apte à travailler. Les responsabilités du fonctionnaire s’estimant lésé ne justifiaient pas une telle mesure, contrairement à celles d’un employé qu’on soupçonne souffrir de maux de dos et qui doit régulièrement soulever de lourdes charges.

[137]   Qui plus est, l’employeur n’a présenté aucun élément de preuve pour démontrer que la section 13 du chapitre 6 de la Politique de santé et sécurité au travail du CNRC s’appliquait effectivement dans les circonstances. L’employeur n’a pas prouvé qu’il existait des motifs de s’inquiéter « avec raison [...] de la capacité [de M. Grover] d’accomplir son travail sans qu’ un danger vienne entraver sa sécurité ou celle des autres employés [...] » (c’est moi qui souligne). Le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé des éclaircissements à cet égard dès qu’il a reçu copie de la politique. On ne lui a pas fourni d’explications différentes de celles qui lui avaient déjà été communiquées en juillet.

[138]   Il est aussi très révélateur que l’employeur n’ait jamais discuté avec le fonctionnaire s’estimant lésé (tous les gestionnaires ayant témoigné l’ont admis) de ses préoccupations au sujet de sa santé et qu’il n’existe pas la moindre preuve qu’on lui ait jamais offert la possibilité d’épuiser ses crédits de congés de maladie. Sa demande de congés annuels a également été refusée (pièce E-1, onglet 30). Il est aussi révélateur que le fonctionnaire s’estimant lésé n’ait jamais été informé du fait que M. Hackett était très préoccupé par ses absences aux réunions de la direction.

[139]   Enfin, les 12 raisons exposées dans le lettre de M. Woodsworth en date du 1er décembre 2004 — quelque cinq mois plus tard — ne jettent guère plus de lumière sur les inquiétudes de l’employeur, ni ne constituent des raisons plus logiques ou probables de croire que le fonctionnaire s’estimant lésé pourrait être une source de danger pour lui-même ou pour les autres. En fait, ces 12 points ne sont pas fondés sur la politique, ni n’expliquent comment elle s’applique dans cette situation. Les points 1 à 3 reprennent simplement les raisons initialement invoquées par l’employeur dans sa lettre du 10 juin 2004. Le fonctionnaire s’estimant lésé avait répondu à une partie de ces préoccupations, mais il était incapable d’obtenir des éclaircissements sur les raisons pour lesquelles l’employeur n’était toujours pas satisfait de ses réponses. J’estime en outre que ces trois points ne constituent pas des motifs raisonnables de mettre en doute l’aptitude du fonctionnaire s’estimant lésé à retourner au travail, la preuve ayant révélé qu’il s’acquittait de toutes ses fonctions, hormis prendre part aux réunions de la direction.

[140]   Les points 4, 5 et 11 de la même lettre n’ont pas été soulevés à l’époque. Or, M. Hackett a nié que l’abus de congés de maladie ait jamais été un facteur dans sa décision, même s’il savait que le fonctionnaire s’estimant lésé était absent les jours où la direction se réunissait. Dans le cas du point 6, le fonctionnaire s’estimant lésé avait fourni une explication concernant tant la date du rendez-vous, qui semble avoir coïncidé avec la prise d’une mesure disciplinaire le même jour, que la raison pour laquelle il avait consulté le deuxième médecin, y compris les renseignements qui avaient été fournis au praticien à ce moment-là. Le point 7 ne tient pas compte des nombreuses tentatives de M. Grover pour rencontrer la direction afin de résoudre le problème. Les points 8 à 10 constituent des faits postérieurs; les autres gestionnaires ont d’ailleurs nié que la direction en avait partiellement tenu compte dans le processus décisionnel de juillet 2004. Enfin, l’employeur n’avait jamais communiqué les éléments du point 12 à M. Grover avant ce jour-là, ce que les gestionnaires ont confirmé.

[141]   L’employeur disposait de nombreuses options; il s’est en outre abstenu d’appliquer la procédure établie pour contester les certificats médicaux présentés par les employés. M. Grover n’a jamais eu la possibilité de fournir des renseignements complémentaires par l’entremise de ses médecins parce que l’employeur ne lui a jamais indiqué clairement ce dont il avait besoin.

[142]   En outre, une demande d’examen médical indépendant pour déterminer si un employé est apte à travailler est une mesure qui ne devrait être envisagée que dans des circonstances exceptionnelles et claires. La raison de cette mesure devrait aussi être communiquée intégralement au fonctionnaire (Canadian Labour Arbitration, 3rd Edition, 7:6142). Il n’existait aucunes circonstances exceptionnelles en l’espèce. Je le répète, M. Grover s’est acquitté de ses fonctions de façon satisfaisante durant toute la période pertinente. Les inquiétudes de l’employeur n’étaient ni graves, ni justifiées; les gestionnaires ont admis qu’ils faisaient des hypothèses sur l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé. Ce ne sont pas des raisons suffisantes pour justifier la demande de l’employeur, ainsi qu’il a été déclaré dans Campbell , supra  :

[...]

L’employeur qui a de sérieuses raisons de croire que l’état physique ou mental d’un employé est tel que celui-ci ne peut s’acquitter convenablement des fonctions de son poste ou qui a des raisons de croire que son état risque d’affecter la santé et la sécurité des autres peut obliger l’employé à subir un examen médical physique ou psychiatrique mené par un spécialiste de son choix [...]

[...]

[C’est moi qui souligne.]

[143]   Les sanctions disciplinaires n’étaient certainement pas justifiées, compte tenu des principes énoncés dans Shell Canada Products Ltd. and Canadian Association of Industrial Mechanical & Allied Workers, Local 12 (1990), 14 L.A.C. (4th) 75. Dans cette affaire, la Commission a analysé les conséquences d’un refus de subir un examen médical indépendant et a conclu ce qui suit : [traduction] « La raison pour laquelle ce n’est pas de l’insubordination, c’est que l’employeur n’avait pas le droit d’ordonner à l’employé de subir cet examen. En outre, il est difficile de s’imaginer comment on pourrait considérer cela comme un acte de défi à l’autorité de l’employeur, si la principale motivation de l’employé était simplement de préserver sa vie privée. »

[144]   Ayant conclu, en fonction de la preuve et de la jurisprudence, que les actions de l’employeur devaient être considérées comme des mesures disciplinaires et que les sanctions disciplinaires infligées n’étaient pas justifiées étant donné que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas reçu d’explication raisonnable relativement à la demande, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[145]   Les griefs sont accueillis. Le fonctionnaire s’estimant lésé doit être immédiatement réintégré dans ses fonctions et dédommagé des pertes subies au titre du salaire et de tous les avantages sociaux, rétroactivement au 21 juillet 2004.

[146]   Je demeure saisie de l’affaire pour une période de 90 jours à compter de la date de la présente décision afin de me prononcer, le cas échéant, sur toutes les questions concernant son exécution.

Le 3 octobre 2005.

 

Traduction de la C.R.T.F.P.

 

Sylvie Matteau,
arbitre de grief

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