Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a déposé une plainte fondée sur l’article 133 du CCT, alléguant avoir été pénalisé par son employeur en violation de l’article 147 du CCT - le plaignant allègue avoir été pénalisé lorsque son employeur l’a retiré d’un lieu de travail connu sous le nom de << Mechanical Test Facility >> (MTF) (installation d’essais mécaniques) et lui a confié des tâches régulières - le plaignant allègue que la mesure a été prise parce qu’il a refusé de travailler - à titre de membre du Comité conjoint de la sécurité et de la santé au travail, le plaignant a déposé un rapport de non-conformité portant sur les mauvaises conditions sanitaires des toilettes - un rapport conjoint patronal-syndical a confirmé que l’inquiétude était justifiée - un des défendeurs, peu de temps après avoir commencé ses nouvelles fonctions à titre de gestionnaire de la division, a visité la zone des toilettes et a convenu qu’une certaine crédibilité pouvait être accordée aux allégations du plaignant - puisque la question n’avait pas été réglée malgré les mesures prises par le plaignant, celui-ci a décidé de refuser de travailler puisqu’il estimait que la situation présentait un danger au sens de l’article 122 du CCT - après avoir refusé de travailler, il a rédigé une note de service dans laquelle il indiquait, entre autres, qu’il refusait de travailler [traduction] << en raison d’une violation fondamentale du processus de règlement interne des plaintes >> - les motifs du refus de travailler ont fait l’objet d’une enquête, et l’agent de santé et de sécurité a conclu que les toilettes ne représentaient aucun danger - l’interruption de services a démontré au gestionnaire défendeur que la MTF, où le plaignant travaillait seul, était vulnérable si l’effectif était insuffisant pour remplacer un employé absent - le gestionnaire défendeur estimait que d’autres employés devaient être formés pour travailler dans la MTF et a donc envoyé une note de service au plaignant pour l’informer qu’il exercerait des tâches générales liées au métier et que d’autres seraient formés pour effectuer le travail à la MTF - le défendeur avait le pouvoir de transférer le personnel, et les personnes transférées avaient des descriptions de poste génériques - le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé la présente plainte - la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) doit d’abord déterminer si le fonctionnaire avait des motifs raisonnables de croire en l’existence d’un danger avant d’interrompre ses services - si ceci était démontré, la disposition sur l’inversion de la charge de preuve s’appliquerait, et l’employeur devrait alors établir que la mesure disciplinaire n’était aucunement liée à l’exercice par le fonctionnaire de son droit à refuser de travailler - la Commission a conclu qu’un refus de travail en raison d’une violation fondamentale du processus de règlement interne des plaintes ne constitue pas un motif raisonnable de croire en l’existence d’un danger - aucune preuve n’a été fournie concernant l’état des toilettes le jour où le plaignant a refusé de travailler ou la disponibilité d’installations de rechange - puisque la Commission a conclu que le plaignant n’avait aucun motif raisonnable d’interrompre ses services, il n’a pas droit à la protection de l’article 147 du CCT - même s’il a tord sur ce point, le plaignant devrait néanmoins montrer que l’employeur lui a imposé une << sanction pécuniaire ou autre >> ou qu’il a pris << des mesures disciplinaires contre lui >> - le plaignant n’a subi aucune perte financière - la mesure prise par l’employeur n’était pas de nature disciplinaire et n’était pas une sanction au sens de l’article 147 - aucune preuve concernant la participation de l’autre défendeur dans les événements en question n’a été produite. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Code canadien du travail

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2005-04-15
  • Dossier:  160-2-103
  • Référence:  2005 CRTFP 35

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique


ENTRE

NORMAN LEARY

plaignant

et

LE CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)
et
Lcdr DAVE RUTHERFORD, CAPITAINE A. SMITH

Partie défenderesse

Répertorié
Leary c. Conseil du Trésor et autres

Concernant une plainte fondée sur l’article 133 du Code canadien du travail

Motifs de décision

Devant : Joseph W. Potter, vice-président

Pour le plaignant : David A. Mombourquette, avocat, Conseil de l’est des métiers et du travail du chantier maritime du gouvernement fédéral

Pour la partie défenderesse : Harvey Newman, avocat


Affaire entendue à Halifax (N.-É.), les 8 et 9 février 2005.
Observations écrites reçues le 10 et le 24 février 2005.


Plainte déposée devant la Commission

[1]   Le 3 mai 2004, Norman Leary, un employé du ministère de la Défense nationale, a déposé une plainte fondée sur l’article 133 du Code canadien du travail ( le Code) alléguant que son employeur l’avait pénalisé contrairement à l’article 147 du Code. M. Leary a envoyé sa plainte au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) qui a, par inadvertance, commencé à traiter la plainte avant de réaliser que ce type de plainte relevait de la compétence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP). Après avoir compris son erreur, le CCRI a transmis la plainte à la CRTFP, le 9 juillet 2004. La présente décision concerne cette plainte.

[2]   Le 1er avril 2005, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la nouvelle Loi) édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, est entrée en vigueur. Conformément à l’article 39 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, la nouvelle Commission des relations de travail dans la fonction publique demeure saisie de la plainte et en dispose selon la nouvelle Loi.

[3]   Le plaignant prétend avoir été pénalisé lorsque son employeur l’a retiré d’un lieu de travail connu sous le nom de « Mechanical Test Facility » (MTF) (installation d’essais mécaniques). Cette mesure a été prise par l’entremise d’une lettre, datée du 24 mars 2004, parce que, selon M. Leary, il avait refusé de travailler en octobre 2003. M. Leary soutient que cette mesure de l’employeur contrevient à l’article 147 du Code.

[4]   Les affaires de cette nature donnent lieu à une inversion de la charge de la preuve conformément au paragraphe 133(6) du Code. Cependant, de l’avis de l’employeur, cette disposition s’appliquait seulement si l’employé pouvait démontrer qu’il avait un motif raisonnable d’invoquer la protection du Code. L’employeur n’était pas d’accord avec l’argument que ce motif raisonnable existait selon le Code. J’ai indiqué que je ne pourrais me prononcer sur la question qu’après avoir entendu l’ensemble de la preuve, et les parties ont convenu de procéder ainsi. Le plaignant a présenté sa preuve en premier.

[5]   D’un commun accord, les parties ont accepté de produire un recueil de documents (pièce G-1) comportant quelque 32 onglets. Dans la présente décision, je renverrai à T-1, T-2, etc., par souci de commodité.

[6]   M. Leary est entré au service du ministère de la Défense nationale en 1986 et a été accrédité comme personne de métier en 1989. En octobre 1994, M. Leary s’est porté volontaire pour travailler dans un lieu de travail appelé « Mechanical Test Facility » (MTF). Après avoir suivi un programme de formation en cours d’emploi, M. Leary a travaillé seul à la MTF. En 1997 environ, M. Leary a formé un autre employé, Jeff Comeau, pour travailler à la MTF. Celui-ci travaillait à la MTF seulement lorsque la charge de travail nécessitait plus d’un employé, c’est-à-dire de façon intermittente.

[7]   En février 2001, M. Leary est devenu membre du comité conjoint de la santé, de la sécurité et des questions environnementales au travail et a participé à ce comité dans la mesure où sa charge de travail le permettait.

[8]   En mai 2003, M. Leary a déposé un rapport de non-conformité indiquant que le nettoyage des toilettes devait être plus fréquent conformément aux spécifications et que les conditions sanitaires étaient insalubres (pièce T-2). Il s’agissait d’un rapport interne traitant d’un problème de longue date concernant ce qu’il conviendrait de décrire comme des toilettes extrêmement sales situées dans l’établissement où travaillait M. Leary. Quelque 200 personnes civiles exerçant divers métiers et assurant le soutien de la flotte maritime du Canada travaillaient dans cet établissement.

[9]   Une équipe conjointe syndicale-patronale s’est penchée sur le problème et a produit un rapport (pièce T-1) qui indiquait notamment ce qui suit :

[Traduction]

« ...ces plaintes sont justifiées compte tenu du fait que les contrats de nettoyage (de l’établissement) sont couramment violés. »

. . .

Le rapport était daté du 23 mai 2003.

[10]   En septembre 2003, le lcdr David Rutherford a été nommé au poste de gestionnaire des services techniques pour la division de la mécanique, où M. Leary travaillait. Même s’il n’était pas le superviseur direct de M. Leary, le lcdr Rutherford était investi des pouvoirs de gestion pour les quelque 200 employés civils de l’emplacement, dont M. Leary.

[11]   Peu après être entré en poste, le lcdr Rutherford a eu vent du mécontentement de M. Leary au sujet du manque de propreté des toilettes et de son refus éventuel de travailler. Le lcdr Rutherford a déclaré avoir accordé de la crédibilité à la plainte de M. Leary après une visite des toilettes en compagnie de celui-ci.

[12]   La situation est devenue critique pour M. Leary, le 8 octobre 2003, lorsqu’il a refusé de travailler en raison de l’absence de solution au problème du nettoyage régulier des toilettes. Il estimait que la situation présentait un danger au sens de l’article 122 du Code.

[13]   Le lcdr Rutherford a demandé à M. Leary de soumettre par écrit ses préoccupations et ses raisons de refuser de travailler. M. Leary a obtempéré (voir pièce T-3). Sa note de service indiquait ce qui suit [sic dans tout le texte] :

[Traduction]

 Je refuse de travailler en raison d’une violation fondamentale du processus de règlement interne des plaintes prévu à l’article 127, partie II du Code canadien du travail . Je suis en attente d’une réponse de mon employeur pour savoir ce qu’il compte faire au sujet du manque d’hygiène dans les toilettes et quand il entend régler la question. En mai 2003, la présente plainte a fait l’objet d’une enquête qui a conclu qu’elle était justifiée.

J’estime que cette violation présente un danger pour l’ensemble des employés. Si les questions de santé et sécurité ne sont pas traitées dans des délais raisonnables (ou si les échéances ne sont pas établies), il ne fait aucun doute que les problèmes s’accumuleront. Lorsque c’est le cas, une certaine complaisance s’installe qui fait dire aux gens que « c’est la manière dont les choses fonctionnent dans cet endroit ». Non seulement les employés cessent-ils de se plaindre (parce qu’ils estiment que cela ne sert à rien de toute façon), mais avec le temps ils en viennent à accepter ces dangers comme faisant partie de leur vie. Ceci mène sans contredit à un nombre accru d’accidents, de blessures et de maladies.

J’espère que nous pourrons régler la situation sans trop d’attaques personnelles.

[14]   Ignorant qu’il devait communiquer avec Développement des ressources humaines Canada (DRHC) lorsqu’un employé refusait de travailler, le lcdr Rutherford a écrit la lettre suivante à M. Leary, le 10 octobre 2003 (pièce T-6) :

[Traduction]

J’ai pris connaissance de votre lettre (pièce jointe A) et j’estime que vous n’avez pas de motifs suffisants pour refuser de travailler à l’IMF Cape Scott. Votre perception quant à la situation actuelle du processus de règlement interne des plaintes ne constitue pas un danger immédiat pour vous-même ou vos collègues de travail. Vos préoccupations au sujet des conditions sanitaires et de l’entretien des toilettes ont été traitées dans la pièce jointe B, ce qui comprend un plan visant à corriger certaines lacunes que l’unité ne peut pas contrôler. Par conséquent, je vous ordonne de reprendre immédiatement le travail.

[15]   Après avoir reçu cette lettre, M. Leary a déposé une plainte auprès du CCRI (croyant qu’il s’agissait de l’instance compétente) alléguant que l’employeur avait menacé de lui imposer une mesure disciplinaire.

[16]   Peu après, l’employeur a réalisé que DRHC devait faire enquête. Un agent de la santé et sécurité a été chargé de mener une enquête. Après avoir visité le lieu de travail, l’agent de la santé et sécurité, Glenn Grandy, a écrit ce qui suit (pièce T-9) :

[Traduction]

. . .

« ...l’agent de la santé et sécurité soussigné estime qu’il n’existe pas de danger.  »

. . .

[17]   M. Grandy a également produit un document intitulé « promesse de conformité volontaire » (pièce T-10) indiquant que le processus de règlement interne des plaintes visé à l’article 127(1) du Code canadien du travail doit être suivi étape par étape. M. Leary prétend que ce document étaye ses allégations selon lesquelles le processus de règlement interne des plaintes énoncé dans le Code n’a pas été respecté.

[18]   Chaque partie a soumis au CCRI une lettre énonçant sa thèse et, le 17 décembre 2003, le capitaine Smith, le commandant de la base, a écrit ceci à M. Leary (pièce T-14) :

[Traduction]

. . .

« ...Il a été établi qu’il n’y avait pas de preuve d’inconduite. Par conséquent, l’enquête est maintenant close et aucune autre mesure n’est envisagée. »

. . .

[19]   M. Leary a alors retiré la plainte déposée auprès du CCRI en espérant que l’affaire était terminée.

[20]   Lors de l’interruption de service, le lcdr Rutherford a constaté que la MTF, où le plaignant travaillait seul, était vulnérable si personne ne pouvait remplacer M. Leary advenant une absence prolongée. Le lcdr Rutherford a déclaré que M. Leary était un excellent employé et que la qualité de son travail n’était nullement en cause. Cependant, il estimait que la MTF n’était pas une installation très occupée, que les compétences de M. Leary pourraient être mieux mises à profit ailleurs et que d’autres employés devraient recevoir la formation nécessaire pour travailler à la MTF.

[21]   Le lcdr Rutherford a alors envoyé une note de service à M. Leary, le 24 mars 2004, afin de l’informer qu’il devrait exercer des tâches générales liées au métier que lui assignerait son superviseur. Cette note de service a également été envoyée à M. Comeau en précisant qu’il assumerait les fonctions d’opérateur de l’installation d’essais mécaniques (pièce T-22).

[22]   Le Lcdr Rutherford a expliqué que M. Comeau devait avoir la possibilité de travailler seul à la MTF afin de démontrer ses compétences dans ce secteur. Cette mesure signifierait que deux employés auraient les compétences nécessaires pour travailler à la MTF, mais le lcdr Rutherford estimait avoir besoin de trois employés qualifiés pour effectuer le travail. Dans sa note de service du 24 mars 2004 (onglet 22), il indiquait ce qui suit :

[Traduction]

« Afin d’assurer une disponibilité maximale, un minimum de trois employés auront la formation nécessaire au fonctionnement de l’installation d’essais mécaniques... la gestion du programme de formation et le roulement des opérateurs relèveront du gestionnaire de l’installation. »

. . .

[23]   Le lcdr Rutherford a soutenu qu’il ne s’agissait pas de représailles. Il avait le pouvoir de transférer le personnel, et les personnes transférées étaient celles ayant des descriptions de poste génériques, non pas celles associées à des postes spécialisés. L’intention était d’avoir un nombre suffisant d’employés qualifiés pour assumer les fonctions de la MTF. Lors du contre-interrogatoire, le lcdr Rutherford a admis ne pas savoir si d’autres secteurs de travail du même établissement étaient dotés de personnel qualifié additionnel.

[24]   M. Leary a déclaré que la note de service lui avait brisé le cœur. Le 21 avril 2004, il a rédigé un document de trois pages intitulé [traduction] « Qu’ai-je fait pour qu’on me retire de la MTF? » (pièce T-26). Dans ce document, il fait état de ses réalisations dans ce secteur au fil des années. Malgré les nombreuses tentatives de M. Leary en vue de faire renverser la décision, le lcdr Rutherford a maintenu sa décision parce qu’il estimait avoir besoin de cette flexibilité opérationnelle. M. Leary a été affecté à des fonctions dans un autre lieu de travail et a été retiré de la MTF.

[25]   Le 3 mai  2004, M. Leary a déposé auprès du CCRI une plainte fondée sur l’article 133 du Code, alléguant que son employeur l’avait pénalisé en violation de l’article 147 dudit Code (pièce T-29).

[26]   Par inadvertance, le CCRI a commencé à traiter la plainte, et l’employeur a soumis sa réponse le 10 mai 2004 (pièce T-30). Dans sa réponse, il indiquait ce qui suit :

[Traduction]

. . .

  1. La plainte a été présentée suite à la décision de la direction d’instaurer un programme de formation destiné aux opérateurs de l’installation d’essais mécaniques (MTF) de l’IMF Cape Scott. Cette décision a été prise après que la direction a constaté qu’un seul opérateur travaillait à temps plein dans cette installation. Il est malheureux que M. Leary considère cette mesure comme une attaque personnelle, ce qui est faux. Grâce au programme de formation, au moins trois employés pourront assurer le fonctionnement de l’installation. Le personnel qualifié sera affecté à l’installation par roulement périodique pour mettre en pratique leurs compétences et fournir à l’unité une capacité constante à l’interne.

[27]   Selon M. Leary, son retrait de la MTF constituait une sanction au sens du Code et la mesure était de nature disciplinaire, ce qui est interdit par le Code. Il a également fait valoir qu’il n’avait pas été inscrit au roulement pour la MTF. Le lcdr Rutherford a déclaré avoir toujours eu l’intention d’inscrire M. Leary au roulement, mais la troisième personne n’avait commencé sa formation à la MTF qu’à l’automne 2004. Le lcdr Rutherford a été réaffecté et n’est plus responsable de ce secteur.

[28]   Après s’être rendu compte que l’affaire ne relevait pas de sa compétence, le CCRI a transmis le dossier complet à la CRTFP, le 9 juillet 2004. La présente décision porte sur cette plainte.

Résumé de la preuve

[29]   Le plaignant allègue qu’il y a eu violation du paragraphe 147c) du Code et estime que la décision de le retirer de ses fonctions à la MTF était reliée à son refus de travailler.

[30]   Le lcdr Rutherford prétend avoir pris la décision d’affecter M. Leary à d’autres fonctions après avoir constaté, lors de l’interruption de service, qu’il manquait de personnel qualifié pour assurer la relève à cette installation.

[31]   Lorsque la décision de retirer M. Leary a été prise, en mars 2004, M. Comeau avait déjà la formation nécessaire pour effectuer le travail. La formation d’un autre opérateur n’était pas une question imminente puisqu’elle n’a commencé qu’à la fin de l’automne 2004. Par conséquent, ce qui s’est réellement passé est qu’un employé qualifié en a remplacé un autre.

[32]   S’agissait-il d’une mesure prise par un gestionnaire diligent pour corriger une lacune? Le plaignant estime que non et ce pour diverses raisons.

[33]   La note de M. Leary (pièce T-26), ainsi que celle envoyée par M. Comeau (pièce T-27), révèlent des détails que lcdr Rutherford aurait pu découvrir au sujet de la qualité du travail de M. Leary s’il avait pris le temps d’en prendre connaissance avant de rendre sa décision. Elles démontrent que le retrait de M. Leary va à l’encontre de raisons opérationnelles patentes.

[34]   Il n’y a pas eu de consultation poussée avec le syndicat, ce qui aurait dû se faire.

[35]   Aucune directive n’a été donnée pour que M. Leary soit inscrit au roulement, contrairement à ce que l’employeur affirmait qu’il ferait (au paragraphe 3 de la pièce T-22).

[36]   Le lcdr Rutherford a pris l’initiative d’agir face à la situation à la MTF; pourtant, aucun effort n’a été fait pour déterminer si des lacunes en personnel existaient dans d’autres unités de travail.

[37]   La preuve a clairement démontré que la réaffectation de M. Leary était reliée à son refus de travailler. Il n’existait aucun besoin opérationnel de procéder à cette réaffectation en mars 2004. Le seul motif était que la direction voulait retirer M. Leary de cette installation d’essais, malgré son excellent service.

[38]   La lettre écrite par un des superviseurs, M. Mirabelli, à Ray Cormier, le responsable du personnel civil au chantier maritime où travaillait M. Leary, résume bien l’affaire (pièce T-28) :

[Traduction]

. . .

« ...il est vraiment dommage de punir, selon ma perception des choses, un homme parce qu’il a agi et s’est soucié des autres au-delà des attentes. Quelle perte. Ray, nous avons besoin d’aide. Si les choses vont dans la direction que je crois qu’on nous demande, ou plutôt qu’on exige de nous, nous courrons à notre perte... »

. . .

[39]   En ce qui concerne les redressements, l’article 134 du Code prévoit le prononcé d’une ordonnance enjoignant l’employeur à rétablir M. Leary dans ses fonctions. Le plaignant demande qu’une telle ordonnance soit rendue.

[40]   L’avocat du plaignant a invoqué les affaires suivantes : Lawrence Warris, (1997) 104 di 62; Kinhnicki c. Agence des douanes et du revenu Canada, 2003 CRTFP 52 et Boivin c. Agence des douanes et du revenu Canada, 2003 CRTFP 94.

Argument de la partie défenderesse

[41]   Cette affaire comporte deux questions. Il faut d’abord trancher la question préliminaire, à savoir s’il existait un fondement authentique au refus de travailler permettant d’invoquer les dispositions du Code. Deuxièmement, si le critère préliminaire a été satisfait, l’employeur s’est-il acquitté de la charge de démontrer que ses mesures ne constituaient pas des représailles?

[42]   La recherche d’une solution à long terme au problème d’insalubrité des toilettes perdurait. M. Leary était frustré de la situation.

[43]   L’employeur connaissait le problème et tentait de le régler, mais M. Leary a refusé de travailler parce qu’aucune mesure n’était prise. Aucun danger immédiat ne menaçait M. Leary et, en réalité, la situation en octobre, au moment de son refus de travailler, n’était pas différente de celle qui existait en mai, lorsque M. Leary avait déposé son rapport de non-conformité. Il n’a pas réagi à ce qui aurait pu être raisonnablement assimilable à un danger, comme le prévoit le Code.

[44]   Pour invoquer un danger au sens du Code, une situation doit menacer la santé et la sécurité de manière assez certaine, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Il n’existait pas de danger en raison d’une violation fondamentale du processus de règlement interne des plaintes, contrairement à ce que prétend M. Leary.

[45]   La direction a déterminé que M. Leary n’avait pas commis d’inconduite et qu’aucune autre mesure n’était envisagée.

[46]   Ce qui s’est cependant produit à ce moment est que le lcdr Rutherford s’est mis à réfléchir à la vulnérabilité de l’installation d’essais advenant une absence prolongée de M. Leary.

[47]   Le lcdr Rutherford savait que M. Leary était visé par une description de travail générique. Il n’existait pas de travail spécialisé à l’installation d’essais, et le lcdr Rutherford a décidé de procéder à un changement organisationnel. Il était en droit de le faire sans consulter quiconque au préalable.

[48]   M. Leary n’avait pas de droits du titulaire à l’égard du travail qu’il effectuait à l’installation d’essais. Il pouvait être affecté à divers endroits dans le cadre de ses compétences.

[49]   Il s’agissait d’une authentique décision de gestion fondée sur des raisons opérationnelles, qu’elles soient bonnes, mauvaises ou indifférentes. Le gestionnaire est payé pour prendre des décisions, c’est ce qu’il a fait.

[50]   La décision n’a pas été prise en guise de représailles. L’interruption du service a mis en relief une lacune, et une décision opérationnelle a été prise en conséquence.

[51]   Aucune mesure disciplinaire n’a été prise contre M. Leary. Il n’a jamais été exclu de l’exécution de ses fonctions à la MTF, mais il ne les assume plus à temps plein. M. Leary n’a pas subi de perte de rémunération et n’a pas fait l’objet de sanction. L’employeur a le droit de procéder à une réorganisation et c’est ce qu’il a fait.

[52]   L’avocat de l’employeur a renvoyé aux affaires suivantes : Boivin (supra) et Massip c. Canada (Conseil du Trésor) (1985), 61 N.R. 114 (CAF).

Réponse du plaignant

[53]   Selon l’employeur, comme le danger existait et était toléré depuis longtemps, l’employé avait renoncé à son droit de refuser de travailler. Cela n’est pas vrai. Les employés ont le droit de se prévaloir des dispositions du Code s’ils estiment qu’il y a violation du Code.

Motifs

[54]   Conformément à l’alinéa 128(1)b) du Code, un employé peut refuser de travailler s’il a des motifs raisonnables de croire qu’il est dangereux pour lui de travailler dans un lieu.

[55]   Le plaignant prétend que l’employeur a violé le paragraphe 147c) du Code qui est libellé comme suit :

147. Il est interdit à l'employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s'il ne s'était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre -- ou menacer de prendre -- des mesures disciplinaires contre lui parce que :

a) ...

b) ...

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

[56]   M. Leary a déposé une plainte fondée sur l’article 133 du Code alléguant cette violation.

[57]   L’employeur a fait valoir qu’il fallait examiner la question préliminaire, à savoir si le refus de travailler prenait appui sur un fondement authentique. Le cas échéant, l’article 147 du Code pourrait être invoqué. Dans la négative, le plaignant ne pourrait pas l’invoquer.

[58]   J’ai traité de cette question dans une décision antérieure, Boivin (supra), aux paragraphes 123 et 124 :

¶123 Comme nous l’avons vu dès le début, la charge de la preuve est inversée dans ce cas-ci, en vertu du paragraphe 133(6) du Code. En d’autres termes, l’allégation de M. Boivin que l’employeur a contrevenu au Code constitue une preuve de la contravention. Dans Kucher, supra, le Conseil canadien des relations du travail (CCRT), (ancien nom), a écrit ce qui suit :

  1. ...Pour se décharger de ce fardeau, il doit démontrer que la mesure disciplinaire n’avait rien à voir avec le fait que l’employé a exercé son droit de refuser de travailler en vertu du Code, après que l’employé aura convaincu le Conseil qu’il avait un motif raisonnable de croire à l’existence d’une situation dangereuse.

¶124 À mon avis, cela signifie que la Commission doit déterminer si l’employé avait un motif raisonnable de croire qu’il existait une situation dangereuse avant de refuser de travailler. Si ce n’est pas le cas, les mesures que l’employeur a prises, qu’elles soient disciplinaires ou pas, ne constituent pas une violation du Code.

[59]   L’employeur soutient qu’il n’y avait aucun fondement authentique de croire qu’un danger existait lorsque M. Leary a refusé de travailler et que ce refus découlait de sa frustration face à l’absence de règlement d’un problème de longue date. Le plaignant affirme que son refus de travailler était directement lié à l’extrême saleté des toilettes, une situation reconnue par une équipe conjointe syndicale-patronale.

[60]   Lorsque le lcdr Rutherford a été informé du refus de travailler, il a demandé à M. Leary de soumettre ses motifs par écrit. Le 8 octobre 2003, M. Leary a écrit ce qui suit (pièce T-3) :

[Traduction]

« Je refuse de travailler en raison d’une violation fondamentale du processus de règlement interne des plaintes prévu à l’article 127, partie II du Code canadien du travail . Je suis en attente d’une réponse de mon employeur pour savoir ce qu’il compte faire au sujet du manque d’hygiène dans les toilettes et quand il entend régler la question. »

[61]   L’article 128(1) permet à un employé de « refuser ... de travailler dans un lieu ... s'il a des motifs raisonnables de croire ... (qu’) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu ».

[62]   M. Leary avait-il des motifs raisonnables de croire qu’il existait un danger, au sens du Code, lui permettant d’invoquer la disposition sur le refus de travail? Le Code donne la définition suivante de « danger » :

[« danger » "danger” ] « danger » Situation, tâche ou risque -- existant ou éventuel -- susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade -- même si ses effets sur l'intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats --, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d'avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

[63]   À mon avis, un refus de travailler en raison d’une violation fondamentale du processus de règlement interne des plaintes ne constitue pas un motif raisonnable de croire en l’existence d’un danger justifiant un refus de travailler.

[64]   Dans Boivin (supra), j’ai écrit, aux paragraphes 127 et 128 :

¶127 L’employeur a déclaré que, si l’employé n’avait pas de motif raisonnable de se prévaloir de son droit de refuser de travailler, il n’avait tout simplement pas droit à la protection de l’article 147 du Code, et je suis d’accord avec lui.

¶128 Dans Kucher, supra, le CCRT a aussi écrit ceci :

  1. Pour jouir de la protection du Code, le refus doit avoir été exercé dans des circonstances où il existe un « motif raisonnable " de le faire (voir Bermiline Jolly (1992), 87 di 202; et 16 CLRBR (2d) 300 (CCRT n o 929)). La notion de motif raisonnable comporte et un élément objectif et un élément subjectif (Francine Tremblay et autres (1985), 59 di 163 (CCRT n o 497)), puisque le Code ne confère pas un droit de refus uniquement parce que l’on « croit sincèrement " qu’il y a danger. Le danger doit être grave et immédiat et ne pas seulement découler du stress que l’on pourrait ressentir à la perspective de rapports avec des collègues de travail (voir Antonio Almeida (1990), 82 di 10 (CCRT n o 819)).

[65]   Je ne crois pas que la violation fondamentale du processus de règlement interne des plaintes, dont faisait état M. Leary dans sa note du 8 octobre 2003, puisse constituer un motif raisonnable de croire en l’existence d’un danger, du moins d’un point de vue objectif. L’employé a pu se sentir frustré face à l’absence d’une solution satisfaisante à long terme, mais il n’y avait pas, à mon avis, de motif raisonnable au sens du Code.

[66]   Même en faisant abstraction des mots utilisés par le plaignant et en concluant que son refus de travailler était lié entièrement aux conditions insalubres des toilettes, cela ne constituerait pas en soi une raison suffisante de dire qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’il était dangereux pour lui de travailler dans ce lieu. Rien dans la preuve soumise ne permet de croire qu’elles étaient les seules toilettes que le plaignant pouvait utiliser, et rien n’a été mentionné au sujet des conditions des autres toilettes (le cas échéant). Le plaignant aurait peut-être pu utiliser d’autre toilettes plus propres. De plus, je n’ai entendu aucune preuve au sujet de la condition des toilettes le 8 octobre 2003, jour où M. Leary a refusé de travailler. La preuve a démontré de manière non équivoque que les toilettes étaient insalubres, certains jours. Cependant, quelle en était la condition le 8 octobre? Je ne le sais pas. Le plaignant doit s’acquitter de la charge de la preuve initiale de démontrer l’existence d’un fondement raisonnable pour l’exercice de son droit de refuser de travailler. À mon avis, il ne s’est pas acquitté de cette charge.

[67]   Compte tenu de l’absence d’un fondement raisonnable justifiant le refus de travailler, je conclus que le plaignant n’a pas droit à la protection de l’article 147 du Code. Cependant, si je faisais erreur à cet égard, le plaignant serait confronté à un deuxième obstacle. Il devrait démontrer que l’employeur lui a imposé une  « sanction pécuniaire ou autre » ou qu’il a pris une mesure disciplinaire à son endroit.

[68]    Le lcdr Rutherford était sans contredit habilité à procéder à un changement organisationnel. Par ailleurs, M. Leary était clairement doté d’une description de travail générique et il n’avait pas de droits du titulaire à l’égard du poste à la MTF.

[69]   M. Leary n’a pas subi de perte financière dont j’aurais été informé en raison de son affectation à l’extérieur de l’installation d’essais. Il a conservé la même classification et la même rémunération. L’avocat du plaignant a convenu qu’aucune sanction pécuniaire n’avait été prise contre le plaignant. La sanction, si l’on peut utiliser ce terme, était d’être retiré de l’installation et affecté ailleurs. L’unité d’accueil n’était pas en cause puisque sa plainte portait sur la sanction que constituait son retrait de l’installation d’essais.

[70]   Je ne crois pas que la mesure prise par l’employeur était de nature disciplinaire, ni qu’il y ait eu sanction au sens de l’article 147 du Code. Cet article est libellé comme suit :

. . .

147. [Interdiction générale à l’employeur] Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre -- ou menacer de prendre -- des mesures disciplinaires contre lui parce que

. . .

[71]   Abstraction faite des mots « ou autre », toutes ces interdictions donneraient lieu à un préjudice financier. À mon avis, le Code vise essentiellement à éviter que l’employeur n’impose une sanction pécuniaire à un employé, dans les cas où celui-ci était en droit de refuser de travailler. Une mesure de nature autre que financière prise par un employeur pourrait être considérée comme une sanction « autre », par exemple, l’imposition de points de démérite qui, après un certain seuil, entraînent un préjudice financier. Les points de démérite pourraient donc être considérés comme une sanction « autre ». Cependant, compte tenu des circonstance en l’espèce, je conclus que le retrait de M. Leary ne constituait pas une sanction au sens du Code.

[72]   M. Leary peut percevoir la décision de la direction comme une sanction, mais pour paraphraser les termes utilisés dans la décision Kucher (supra), le Code n’interdit pas à l’employeur de pénaliser un employé simplement parce que celui-ci a la « conviction intime » que la mesure est une sanction. La mesure prise par l’employeur doit avoir un certain rapport avec l’ensemble du libellé de l’article 147 pour être considérée comme une sanction. À mon avis, ce rapport n’existe pas dans les circonstances.

[73]   Je ne crois pas que la mesure puisse être considérée comme une « sanction », selon mon interprétation de l’article 147 du Code, simplement parce que le plaignant estime avoir été pénalisé. J’irais même jusqu’à dire que, si M. Leary aimait son nouveau travail, il ne percevrait pas le retrait de son poste à la MTF comme une « sanction ». À mon avis, l’objet de l’article 147 ne doit pas être interprété selon les points de vue personnels du plaignant, mais vise plutôt à empêcher l’employeur de prendre certaines mesures qui, considérées de manière objective, seraient contraire au Code. Cet élément est absent en l’espèce.

[74]   Le lcdr Rutherford n’a pas dit que M. Leary serait retiré de manière permanente de l’installation d’essais. La note de service (pièce T-22) remise à M. Leary, le 24 mars 2004, indiquait ce qui suit :

[Traduction]

. . .

 « la gestion du programme de formation et le roulement des opérateurs relèveront du gestionnaire de l’installation.  »

. . .

Le lcdr Rutherford a affirmé avoir toujours eu l’intention d’instaurer un roulement du personnel qualifié à l’installation d’essais. Je crois que cette pratique est logique dans cette situation. Elle permet d’assurer que certains employés ont les compétences nécessaires pour faire le travail et qu’une personne est donc habituellement disponible pour y travailler.

[75]   Toutefois, je crois qu’il serait sage de la part de l’employeur de rencontrer M. Leary et son représentant syndical, s’il le souhaite, pour discuter de la meilleure manière d’instaurer le roulement de personnel souhaité par le lcdr Rutherford. La preuve a démontré que les compétences peuvent se perdre avec le temps si elles ne sont pas utilisées. Les compétences de M. Leary sont excellentes et tous s’entendent pour dire que son travail au sein de l’installation d’essais était exemplaire. L’employeur a soutenu ne pas vouloir perdre ces compétences, ce qui est une raison de plus pour rencontrer M. Leary afin de discuter de sa participation au roulement au sein de l’installation d’essais afin de lui permettre de conserver ses compétences et de poursuivre l’excellent travail qu’il y effectuait.

[76]   Le capitaine A. Smith figure comme partie défenderesse, mais aucune preuve concernant sa participation dans les événements en cause n’a été produite.

Ordonnance

[77]   Par conséquent, pour tous les motifs qui précèdent, la plainte contre l’ensemble des défendeurs doit être rejetée.

Le 15 avril 2005.

Joseph W. Potter,
Vice-président.

Traduction de la C.R.T.F.P.

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