Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La candidature du plaignant n’a pas été retenue dans le cadre d’un concours - bien qu’il ait réussi l’examen écrit et l’entrevue, il a échoué à l’évaluation des qualités personnelles à l’égard du << respect >> -- il a porté en appel la décision du comité de sélection et a obtenu gain de cause et, dans le cadre du redressement, le comité de sélection a interviewé son ancien supérieur et lui a demandé de fournir des exemples précis concernant l’élément du << respect >> -- dans ses commentaires, le supérieur a fait allusion à l’exercice par le plaignant de son droit de refuser d’accomplir un travail dangereux conformément à l’article 128 du Code canadien du travail - à la suite de cette entrevue, le comité de sélection a maintenu sa décision initiale et le deuxième appel du plaignant a été rejeté - le plaignant a ensuite déposé la présente plainte, en soutenant que les allusions de son supérieur à ses plaintes précédentes étaient négatives et de nature disciplinaire, ce qui est contraire à ses droits aux termes du Code - le plaignant a aussi affirmé que les membres du comité de sélection ne possédaient pas la formation nécessaire puisqu’ils ont permis à son ancien supérieur de soulever la question de l’exercice de ses droits par le passé - l’employeur a contesté la compétence de la Commission à entendre la plainte, en faisant valoir qu’aucune mesure disciplinaire n’avait été prise - la Commission a déterminé qu’elle avait compétence - en ce qui a trait à la question de la formation, le plaignant n’a invoqué aucune disposition du Code qui interdirait une telle mesure - le plaignant a respecté l’exigence établie au paragraphe 133(3) de signaler le refus à l’employeur - la disposition du fardeau inversé s’applique donc en l’espèce - le supérieur n’a pas témoigné pour prouver qu’il n’avait pas contrevenu à l’article 147 - la mesure prise par l’employeur ne doit pas être de nature financière - l’employeur a été reconnu coupable d’une contravention au Code, mais peut-être seulement parce que les parties ne se sont pas acquittées du fardeau de la preuve - l’employeur était tenu de produire une preuve démontrant que les commentaires du supérieur n’étaient pas punitifs et il ne l’a pas fait - aucun redressement n’est ordonné. Plainte accueillie.

Contenu de la décision



Code canadien du travail

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2005-05-20
  • Dossier:  160-2-99
  • Référence:  2005 CRTFP 45

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

PAUL CHAVES

plaignant

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Chaves c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant une plainte visée à l’article 147 de la partie II du Code canadien du travail

MOTIFS DE DÉCISION

Devant : D. R. Quigley, commissaire

Pour le plaignant : Philippe G. Trottier, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour le défendeur : Stéphane Hould, avocat


Affaire entendue à Kingston (Ontario),
du 22 au 24 mars 2005
(Traduction de la C.R.T.F.P.)


Plainte devant la Commission

[1]   Dans la plainte qu’il a déposée, Paul Chaves allègue que son ancien superviseur, Frank Ignazzitto, a contrevenu à l’article 147 de la partie II du Code canadien du travail (CCT). À la suite d’un concours auquel M. Chaves a participé, M. Ignazzitto a transmis à un comité de sélection de Service correctionnel Canada (SCC) de l’information concernant des plaintes relatives à la santé et à la sécurité qui avaient été déposées antérieurement par M. Chaves. Ce faisant, M. Ignazzitto a donné des références défavorables et a compromis les chances de progression professionnelle de M. Chaves.

[2]   En guise de mesure de redressement, on demande que le défendeur présente ses excuses et que les gestionnaires de SCC soient formés de façon à prévenir d’autres violations du CCT.

[3]   M. Chaves a témoigné pour son propre compte et dix pièces justificatives ont été déposées. L’avocat du défendeur a appelé un témoin et a produit une pièce justificative. Les parties ont déposé une pièce sur consentement (pièce G-10).

[4]   Dès le début de l’audience, l’avocat du défendeur s’est objecté à ce que j’entende cette plainte, affirmant qu’aucune mesure disciplinaire n’avait été prise à l’endroit de M. Chaves et que, par conséquent, il n’y avait pas eu violation de l’article 147 du CCT. Le fait que M. Ignazzitto ait mentionné les plaintes touchant la santé et la sécurité déposées par M. Chaves ne constitue pas une mesure disciplinaire.

[5]    En réponse, le représentant de M. Chaves a soutenu qu’il y avait eu violation de l’article 147 du CCT, étant donné que les commentaires formulés par M. Ignazzitto devant le comité de sélection ont compromis les chances de progression professionnelle de M. Chaves.

[6]   J’ai décidé de procéder à une audition portant sur le bien­fondé de l’affaire et de traiter de l’objection de l’avocat dans les motifs de ma décision.

[7]   Les parties ont présenté un exposé conjoint des faits (pièce A­1), qui se lit comme suit :

[Traduction]

Exposé des faits

  1. M. Paul Chaves, un employé de SCC (WP-3), a exercé ses droits en vertu de la partie II du Code canadien du travail à plus d’une occasion en 2001.

  2. Service correctionnel du Canada a tenu un concours, en 2002, en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP), en vue de doter un poste d’agent de programme social de groupe et niveau WP­3.

  3. La candidature de M. Chaves n’a pas été retenue dans le cadre de ce concours.

  4. Le 5 juin 2003, un comité d’appel formé en vertu de la LEFP a accueilli l’appel de M. Chaves exposant trois lacunes, y compris le manque d’information de son superviseur, M. Frank Ignazzitto.

  5. Le 29 juillet 2003, dans le cadre de mesures correctives touchant le processus de sélection mentionné ci­haut, le comité de sélection a interrogé le superviseur Frank Ignazzitto qui, à cette occasion, a transmis au comité de sélection des renseignements concernant les plaintes liées à la santé et à la sécurité déposées par M. Chaves.

  6. Les commentaires de M. Ignazzitto ont été notés par écrit par les membres du comité de sélection.

  7. Le 15 juin 2003, un comité d’appel a rendu une décision à la suite d’un deuxième appel présenté par M. Chaves relativement au concours mentionné ci­dessus, après avoir examiné tous les renseignements pertinents déposés, y compris l’information que le comité de sélection a obtenue de M. Ignazzitto lors de la vérification des références professionnelles.

  8. Le comité d’appel a rejeté le deuxième appel de M. Chaves.

  9. Le 18 mars 2004, M. Chaves a déposé la plainte dont la Commission est saisie en vertu de la partie II du Code canadien du travail, alléguant une dérogation à l’article 147.

[8]   Le 1 er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « nouvelle Loi »), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. Conformément à l’article 39 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, la Commission demeure saisie de cette plainte, qui doit être décidée conformément à la nouvelle Loi.

Résumé de la preuve

[9]   Paul Chaves a commencé sa carrière à l’institution Millhaven, une installation à sécurité maximale, en 1991. En 1998, il a obtenu le statut d’employé nommé pour une période indéterminée à un poste d’agent de programme social, au groupe et niveau WP­02. Peu de temps après, il a présenté des demandes de mutation dans diverses institutions à sécurité réduite, où le degré de stress auquel il était sujet pourrait être moindre.

[10]   En 2002, après le processus de négociations collectives, le personnel occupant des postes WP­02 s’est vu assigner des tâches supplémentaires et, par conséquent, les postes ont été reclassifiés au groupe et niveau WP­03. Cette même année, SCC a affiché un concours en vue de doter des postes WP­03 dans la région de Kingston, y compris dans des institutions à sécurité réduite telles que l’institution pour femmes Grand Valley, l’institution Beaver Creek/Fenbrook et l’institution Warkworth.

[11]     M. Chaves a proposé sa candidature pour l’un des postes et a obtenu la note de passage requise lors de l’examen écrit servant à évaluer les connaissances. Il a également réussi l’entrevue d’évaluation de ses aptitudes et de ses compétences. Les qualités personnelles étaient évaluées en fonction des réponses données par les candidats pendant l’entrevue, ainsi qu’à partir des renseignements obtenus lors de la vérification des références des candidats. Le « respect » était l’un des cinq éléments associés aux qualités personnelles évaluées et était considéré comme étant non compensatoire, ce qui signifie que les candidats devaient correspondre à des normes minimales pour être considérés comme étant qualifiés pour les postes à pourvoir.

[12]   M. Chaves a obtenu dix points sur un maximum possible de 25 lors de l’évaluation portant sur l’élément non compensatoire « respect ». La norme minimale étant de 15 points, le comité de sélection conclu qu’il n’était pas suffisamment qualifié et a décidé de rejeter sa candidature. M. Chaves a interjeté appel auprès de la Direction générale des recours de la Commission de la fonction publique (CFP). Dans une décision rendue le 5 juin 2003, Carolyn Brown, la présidente du comité d’appel, a accueilli l’appel (pièce G-1) :

[...]

Décision et motifs :

Après un examen minutieux de la preuve, des arguments présentés et des témoignages fournis, je suis d’avis que mon intervention est justifiée dans le cas des appels de Paul Chaves [...]

[...]

En ce qui concerne ce dernier, je dois exprimer certaines préoccupations quant à la façon dont le jury est parvenu à une décision dans son évaluation de l’élément Respect. Il semble que le superviseur de son poste d’attache, M. Ignazzitto, détienne de l’information au sujet du rendement de l’appelant étant donné la période plutôt longue pendant laquelle il a supervisé son travail, et que cette information soit essentielle à l’évaluation des qualifications de M. Chaves. Je crois que M. Ignazzitto sait beaucoup de choses au sujet du rendement de l’appelant, comme le laisse entendre la plus récente évaluation du rendement de celui-ci, qui couvre la période de juin 2001 à novembre 2002. Le fait que M. Ignazzitto pourrait avoir certaines préoccupations relativement au rendement de l’appelant est une question sur laquelle le jury de sélection devrait s’attarder, et normalement, il devrait tenter d’obtenir auprès de lui des précisions et des exemples qui viennent appuyer ses observations. Selon moi, l’absence d’exemples concrets pour appuyer les observations formulées par la personne avec qui le jury a communiqué représente une erreur dans l’évaluation des qualifications de M. Chaves, une erreur qui devrait être rectifiée dans toute mesure de redressement prise par suite de l’accueil du présent appel. Enfin, je suis aussi d’avis que le jury de sélection a l’obligation de justifier sa décision finale relativement à l’élément obligatoire du Respect, mais rien dans la documentation fournie par le ministère ni dans le témoignage de la présidente du jury de sélection ne vient expliquer le fondement sur lequel il s’est appuyé pour accorder cette note à l’appelant.

[...]

[13]   Pour se conformer à la décision du comité d’appel, le comité de sélection (qui était composé de June Blackburn, directrice adjointe de l’institution Collins Bay, qui siégeait à titre de présidente, et de Greg MacDonald et Angela Reid, qui siégeaient à titre de membres du comité) a repris la partie de l’évaluation des qualités personnelles relative au « respect ». Les précédents superviseurs de M. Chaves, Carol Hughes et M. Ignazzitto, ont été interrogés. On leur a demandé de donner des exemples précis touchant l’élément « respect ». De plus, les questions étaient conçues pour porter sur les éléments suivants : « désir d’apprendre et de changer », « intégrité », « efforts axés sur les résultats » et « esprit d’équipe ».

[14]   Les notes prises par chacun des membres du comité de sélection ont été répertoriées en tant que pièces G­4 à G­6.

[15]   Tel que mentionné précédemment, la plainte porte sur les commentaires formulés par M. Ignazzitto devant un comité de sélection de SCC relativement à des plaintes que M. Chaves avait antérieurement déposées en vertu des paragraphes 127.1 et 128(1) du CCT. Ces paragraphes se lisent comme suit :

127.1 (1)  Avant de pouvoir exercer les recours prévus par la présente partie – à l’exclusion des droits prévus aux articles 128, 129 et 132 –, l’employé qui croit, pour des motifs raisonnables, à l’existence d’une situation constituant une contravention à la présente partie ou dont sont susceptibles de résulter un accident ou une maladie liés à l’occupation d’un emploi doit adresser une plainte à cet égard à son supérieur hiérarchique.

[...]

128. (1)  Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas

  1. l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui­même ou un autre employé;

  2. il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

  3. l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

[16]   M. Chaves soutient que la divulgation, par M. Ignazzitto, des plaintes qu’il avait déposées était un geste de nature disciplinaire dénotant des intentions défavorables qui constitue une violation de ses droits en vertu de l’article 147 du CCT.

[17]   L’article 147 du CCT stipule les faits suivants :

147. Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre – ou menacer de prendre – des mesures disciplinaires contre lui parce que

a) soit il a témoigné – ou est sur le point de le faire – dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

[18]   M. Chaves a reconnu que la direction de l’institution Millhaven n’a jamais pris de mesures disciplinaires directes à son endroit parce qu’il a déposé une plainte en vertu du CCT. Cependant, il est convaincu que les commentaires formulés par M. Ignazzitto devant le comité de sélection étaient de nature disciplinaire.

[19]   M. Chaves a décrit deux incidents qui le portent à croire au bien­fondé de la plainte dont la Commission est saisie.

[20]   Le premier incident s’est produit au début de novembre 2001, après qu’une agression au couteau impliquant deux détenus se soit produite dans l’aire de récréation de l’institution Millhaven. L’institution a isolé les détenus dans leurs cellules et a procédé à des fouilles au cours desquelles plusieurs armes ont été trouvées et saisies par les agents de correction. Après plusieurs semaines sans nouvel incident, l’institution a mis fin à l’isolement des détenus, qui ont de nouveau été autorisés à se déplacer librement dans les installations. Toutefois, une autre agression au couteau est survenue et d’autres armes ont été trouvées. M. Chaves estimait que sa santé et sa sécurité étaient menacées et a donc déposé une plainte en vertu du CCT.

[21]   Birgit Barca, une agente de santé et de sécurité œ uvrant à Développement des ressources humaines Canada (DRHC), a enquêté sur cette affaire et a conclu qu’il n’y avait aucun danger et que, par conséquent, M. Chaves ne pouvait pas continuer de refuser de surveiller les détenus dans l’aire de récréation (pièce G­9). M. Chaves est retourné au travail et, bien que l’employeur n’ait pris aucune mesure pour rendre l’aire de récréation plus sûre, il n’a pas non plus pris de mesures disciplinaires directes à son endroit.

[22]   Le second incident, qui s’est aussi produit à l’institution Millhaven, se rapporte à la tâche de préposé au service de la cantine de M. Chaves (la distribution de tablettes de chocolat, de croustilles, de cigarettes, etc., aux détenus de l’unité d’isolement). M. Chaves devait accomplir cette tâche deux fois par mois, environ. Il a affirmé qu’il avait de la difficulté à respirer lorsqu’il se trouvait dans l’unité de ségrégation, étant donné que les détenus étaient autorisés à fumer dans ce secteur; il a donc déposé une plainte. En guise de réponse, l’employeur a installé un ventilateur portatif et M. Chaves a accepté de travailler dans ces conditions tout en se réservant le droit de prendre d’autres mesures, si nécessaire. M. Chaves a indiqué qu’étant donné le nombre croissant de preuves concluantes des dangers de la fumée secondaire rapportées par les autorités médicales, il avait décidé de déposer une autre plainte. En réponse, l’employeur lui a fourni un appareil respiratoire autonome (ARA) du type de ceux qu’utilisent les pompiers dans l’exécution de leurs tâches. L’ARA comportait une bonbonne d’oxygène et un masque filtrant qui couvrait tout le visage. M. Chaves a accepté d’utiliser l’ARA et a reçu une formation sur la façon de s’en servir en toute sécurité. Il a utilisé l’ARA pendant environ un an et, durant cette période, a subi de la violence verbale de la part des détenus, qui l’appelaient « Darth Vader » et « Jacques Cousteau ». Lorsque l’institution a commencé à manquer de bonbonnes, la direction a décidé que M. Chaves cesserait d’exécuter la tâche de préposé au service de la cantine. M. Ignazzitto était son superviseur pendant cette période.

[23]   M. Chaves a conclu son témoignage en affirmant qu’il estime que M. Ignazzitto a mentionné ses plaintes relatives au CCT en espérant qu’il serait exclu du concours. Il a également souligné qu’à titre de présidente du comité de sélection, MmeBlackburn n’aurait pas dû permettre à M. Ignazzitto de rapporter les plaintes relatives à la santé et à la sécurité déposées antérieurement par M. Chaves. Il estime que les membres du comité de sélection n’avaient pas été sufisamment formés en ce qui concerne les dispositions du CCT. MmeBlackburn aurait dû demander à M. Ignazzitto de s’abstenir de mentionner les plaintes relatives à la santé et à la sécurité déposées par M. Chaves.

[24]   En contre­interrogatoire, M. Chaves a reconnu que M. Ignazzitto n’était investi d’aucun pouvoir délégué en matière de discipline. Il a également admis que M. Ignazzitto ne lui avait jamais adressé de réprimandes orales ou écrites.

[25]   En réinterrogatoire, M. Chaves a soutenu que, même s’il n’avait jamais fait l’objet de mesures disciplinaires directes de la part des gestionnaires supérieurs pour avoir déposé une plainte en vertu du CCT, il était convaincu que les observations formulées par M. Ignazzitto devant le comité de sélection constituaient des références défavorables, ce qui représente une violation de l’article 147 du CCT.

[26]   June Blackburn a occupé le poste de directrice adjointe des programmes de correction de l’institution de Collins Bay pendant environ six ans et demi. On lui a confié le rôle de présidente du comité de sélection pour le concours visant à doter des postes au groupe et niveau WP­03 dans la région de Kingston. La témoin a sélectionné Greg MacDonald, un gestionnaire de la paie par intérim de Kingston, et Angela Reid, une enseignante de Collins Bay, pour siéger au comité.

[27]   MmeBlackburn a témoigné que M. Chaves avait obtenu de bons résultats pendant tout le processus de sélection jusqu’à la vérification des références, et particulièrement jusqu’à ce que sa candidature soit évaluée en fonction de l’élément « respect ». Lorsqu’il a été exclu du concours, M. Chaves a logé un appel devant la CFP. À titre de présidente du comité de sélection, MmeBlackburn a reçu, du comité d’appel de la CFP, une directive lui demandant de justifier les points qui avaient été attribués à M. Chaves.

[28]   Le comité de sélection a interrogé MmeHughes et M. Ignazzitto en personne. Après ces entrevues, en tenant compte des rapports d’évaluation de M. Chaves et des réponses qu’il avait données aux questions qui lui avaient été posées, le comité a maintenu sa décision, selon laquelle il n’avait pas satisfait aux exigences liées aux qualités personnelles (pièce E­1). Une seconde audition de l’appel a mené au maintien de cette décision.

[29]   La témoin a soutenu que M. Chaves n’a pas été exclu parce qu’il avait déposé des plaintes en vertu du CCT, mais plutôt en raison d’une tendance chronique à ne pas essayer de régler les problèmes liés à la santé et à la sécurité en collaborant avec son superviseur immédiat. M. Chaves a omis de consulter son superviseur et s’est adressé à des autorités supérieures sans donner à son superviseur une occasion de régler le problème.

[30]   La témoin a mentionné que les plaintes déposées par M. Chaves en vertu du CCT n’ont été mentionnées que pendant l’évaluation des qualités personnelles. Le manque d’interaction avec son superviseur était l’une des raisons justifiant le petit nombre de points qui lui a été attribué et le rejet subséquent de sa candidature.

[31]   Dans les notes qu’elle a prises pendant l’entrevue avec M. Ignazzitto (pièce G­4, page 1), MmeBlackburn a écrit : [traduction] « S’il est en désaccord avec une règle, il omet de consulter son superviseur et s’adresse à une autre autorité. Le superviseur est le dernier à savoir – exemple – question relative au nombre de détenus – n’a pas consulté son superviseur [...] Frank l’a appris par d’autres – problème chronique. » Elle faisait allusion à l’habitude de M. Chaves de ne pas consulter son superviseur et de s’adresser à d’autres autorités; les exemples ont été notés (pièce G­4, pages 5 et 6). Ces notes tenaient compte de l’évaluation faite par M. Ignazzitto du manque de respect de M. Chaves envers son superviseur et de son comportement chronique.

[32]   La témoin a affirmé que les candidats devaient satisfaire aux exigences relatives à l’élément obligatoire « respect » lors de l’évaluation des qualités personnelles pour demeurer dans le processus de sélection. Selon le comité de sélection, M. Chaves n’a pas satisfait à ces exigences.

[33]   En discutant de la pièce E­1, soit les notes du comité de sélection relatives à l’évaluation des qualités personnelles de M. Chaves, la témoin a soutenu qu’en plus d’omettre de consulter son superviseur au sujet des problèmes de santé et de sécurité, M. Chaves a également omis de le consulter au sujet d’autres questions, tel le dépôt de griefs. Elle a reconnu que, bien que M. Chaves ait eu le droit d’utiliser les mécanismes de redressement existants pour régler un problème, le fait de ne pas consulter son superviseur et de s’adresser à d’autres autorités était inacceptable.

[34]   Enfin, la témoin a indiqué qu’à la suite d’une directive sur le réaménagement des effectifs, aucune nomination n’a été faite pour pourvoir les postes à Kingston après le concours.

[35]   En contre­interrogatoire, MmeBlackburn n’a pu se rappeler si des nominations ont été faites en vue de pourvoir des postes aux institutions de Warkworth, Grand Valley ou Fenbrook/Beaver Creek après le processus de sélection. Elle a cependant réitéré qu’aucun poste n’a été pourvu à Kingston.

[36]   MmeBlackburn a affirmé que M. Ignazzitto a été interrogé par le comité de sélection pendant environ une heure, selon les directives du président du comité d’appel de la CFP. À la suite de l’appel enregistré par M. Chaves, le comité de sélection a évalué de nouveau l’élément « respect », ainsi que les éléments « désir d’apprendre et de changer », « intégrité » et « esprit d’équipe ».

[37]   Lorsque interrogée sur les notes qu’elle a prises au sujet de l’élément « désir d’apprendre et de changer » (pièce G­4, page 6) lors de la vérification des références du candidat, MmeBlackburn a répété que M. Chaves aurait dû discuter de l’incident susmentionné avec son superviseur avant de déposer une plainte en vertu du CCT. Lorsqu’on lui a demandé si M. Ignazzitto avait informé M. Chaves des directives appropriées ou du processus à suivre pour déposer une plainte en vertu du CCT, MmeBlackburn a répondu qu’elle ne le savait pas.

[38]   La témoin a indiqué qu’elle estimait que M. Ignazzitto était une référence objective et crédible. Elle a soutenu que les préoccupations de M. Ignazzitto portaient sur le fait que M. Chaves ne s’adressait pas à lui lorsqu’un problème se présentait ou avant de déposer une plainte en vertu du CCT. Le fait que M. Chaves ait exercé ses droits en vertu du CCT n’était pas un problème en soi; c’est plutôt le fait qu’il ne donnait jamais l’occasion à M. Ignazzitto d’essayer de trouver des solutions qui posait problème.

[39]   La pièce G­10 a été produite sur consentement. Il s’agit d’un courriel qui a été envoyé à M. Ignazzitto par M. Chaves, le 5 novembre 2001. M. Chaves y expose des préoccupations relatives à sa sécurité découlant du fait que les détenus aient été autorisés à travailler dans l’aire de récréation après les agressions au couteau et la saisie d’armes.

Résumé de l’argumentation

Pour le plaignant

[40]   M. Chaves allègue qu’en exerçant ses droits en vertu du CCT, il a été pénalisé, et que même s’il ne s’agit pas d’une sanction pécuniaire, il s’agit néanmoins d’une sanction qui a eu des répercussions négatives sur ses chances de progression professionnelle.

[41]   M. Trottier a soutenu que les pièces présentées démontrent que M. Chaves n’a pas omis de s’adresser à M. Ignazzitto avant de déposer une plainte en vertu du CCT (pièce G­10). Les commentaires négatifs formulés par M. Ignazzitto devant le comité de sélection n’ont jamais été justifiés. En d’autres termes, le comité de sélection n’a pas pris de mesures pour assurer son objectivité lorsqu’il a examiné les propos de M. Ignazzitto. M. Trottier a affirmé que les commentaires défavorables de M. Ignazzitto, qui ont été examinés et acceptés sans vérification préalable par le comité de sélection de SCC, constituent une violation de l’article 147 du CCT qui a fait en sorte que M. Chaves soit considéré comme inapte et soit exclu du concours.

[42]   En guise de conclusion, M. Trottier a soutenu que, bien que la sanction n’ait pas été pécuniaire, le CCT mentionne « d’autres sanctions ». Il y a donc un lien direct avec le fait que M. Chaves a été jugé inapte par le comité de sélection.

Pour le défendeur

[43]   L’avocat a réitéré son objection à ce que j’entende cette plainte, affirmant que la partie II du CCT traite des questions relatives à la santé et à la sécurité et qu’il n’y a donc pas de lien avec un processus de sélection assujetti à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP).

[44]   L’avocat a reconnu que l’article 147 du CCT stipule que l’employeur ne peut imposer une sanction pécuniaire, ou une autre sanction, à un employé, ou refuser de rémunérer un employé. Dans le présent cas, aucune pièce prouvant que l’employeur a pris des mesures disciplinaires à l’endroit de M. Chaves n’a été présentée.

[45]   L’avocat a signalé que c’est la CFP qui a compétence pour traiter les appels concernant les concours ou les processus de sélection; en vertu de la LEFP, les nominations relèvent de la compétence exclusive de la CFP.

[46]   À la suite du premier appel enregistré par M. Chaves, la CFP a déterminé qu’il y avait une faille dans le processus et le comité de sélection a reçu la directive de réévaluer la note attribuée à M. Chaves. Le comité de sélection a interrogé M. Ignazzitto et un deuxième appel logé par M. Chaves a été rejeté. Étant donné que M. Ignazzitto était le superviseur de M. Chaves, il constituait une référence adéquate. L’avocat a souligné que M. Ignazzitto ne détenait aucun pouvoir disciplinaire par rapport à M. Chaves et qu’il ne lui avait jamais adressé de réprimandes orales ou écrites.

[47]   Rien ne prouve que M. Chaves n’a pas satisfait aux exigences liées à l’élément « respect » lors de l’évaluation de ses qualités personnelles parce qu’il a exercé ses droits en déposant des plaintes en vertu du CCT. La faible cote qui lui a été attribuée résulte plutôt de son incapacité à suivre les processus appropriés et du fait qu’il a omis de s’adresser à son superviseur avant de s’adresser à d’autres autorités.

[48]   Pour étayer ses arguments, l’avocat a cité les cas suivants : Société canadienne des postes c. Qureshi, [1994] C.L.C.R.S.O.D. N o 3 (QL); Syndicat des agents correctionnels du Canada c. Costello, 2003 CRTFP 54; Blakely, [2003] C.C.R.I. N°240 (QL); Fedoryk c. Conseil du Trésor (Commission canadienne des transports), dossier de la CRTFP 166-2-15695 (1986) (QL); Foreman c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), 2003 CRTFP 73; et Mark c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossiers de la CRTFP 166-2-21451 à 21455 (1992) (QL).

Réponse

[49]   Le représentant du plaignant a soutenu qu’en exerçant ses droits, M. Chaves a été pénalisé et s’est vu refuser une occasion de progression professionnelle. Les gestes posés étaient donc de nature disciplinaire et, par conséquent, M. Chaves répond au critère relatif aux mesures disciplinaires de l’article 147 du CCT.

[50]   En ce qui a trait aux mesures de redressement, M. Chaves ne souhaite pas revenir en arrière et annuler les nominations qui pourraient avoir été faites, en supposant que des postes aient effectivement été pourvus aux institutions de Warkworth, Grand Valley ou Fenbrook/Beaver Creek. Il demande plutôt qu’il soit ordonné au défendeur de présenter des excuses et de faire en sorte qu’à l’avenir, le fait qu’un employé ait déposé une plainte en vertu du CCT ne soit pas rapporté aux comités de sélection. M. Trottier a affirmé que, soit volontairement, soit par négligence, le comité de sélection a transgressé l’article 147 du CCT en permettant à M. Ignazzitto de mentionner les plaintes déposées en vertu du CCT par M. Chaves. Le défendeur doit donc être tenu responsable.

Motifs

[51]   En ce qui concerne la mention des actions de M. Chaves par M. Ignazzitto, mes conclusions sont exposées ci­dessous.

[52]   Après avoir été exclu du concours, M. Chaves a présenté un appel à la CFP. La décision du comité d’appel contient le passage suivant (pièce G­1, p. 22) :

[Traduction]

[...]

Enfin, je suis aussi d'avis que le jury de sélection a l'obligation de justifier sa décision finale relativement à l'élément obligatoire du Respect, mais rien dans la documentation fournie par le ministère ni dans le témoignage de la présidente du jury de sélection ne vient expliquer le fondement sur lequel il s'est appuyé pour accorder cette note à l'appelant.

[...]

[53]   En conséquence, le comité de sélection a interrogé M. Ignazzitto. Les notes prises par les membres du comité pendant cette entrevue (pièces G­4 à G­6) reprennent les commentaires formulés par M. Ignazzitto au sujet de l’élément « respect ». Le comité de sélection a pris une décision finale selon laquelle M. Chaves n’a pas satisfait à la norme minimale requise relativement à l’élément non compensatoire « respect » et a donc été exclu du concours. M. Chaves a alors logé un deuxième appel, qui a été entendu par J. R. Ojalammi le 5 juin 2003. À la page 23 de sa décision (pièce G-3), M. Ojalammi déclare :

[Traduction]

Analyse

[...]

M. Chaves a prétendu que bien que le jury de sélection ait indiqué que seuls les griefs qu'il avait présentés et son opposition à des conditions de travail non sécuritaires aux termes du Code canadien du travail le préoccupaient du fait qu'il n'avait pas suivi les procédures appropriées, en réalité la mention de ces événements dans son évaluation était un moyen détourné d'exercer de la pression sur lui pour qu'il ne présente plus de griefs ou qu'il ne s'oppose plus à des conditions de travail non sécuritaires dans l'avenir. Cet argument se fondait sur des suppositions. D'autre part, la représentante du ministère a expliqué de façon convaincante et rationnelle pourquoi le jury de sélection était justifié de prendre en considération ces événements pour déterminer si l'appelant avait suivi les procédures appropriées.

Je ne peux reprocher au jury de sélection d'avoir agi de la sorte en me basant simplement sur des suppositions. Toutefois, les preuves présentées à l'audition de l'appel ne peuvent, à mon avis, me permettre de conclure raisonnablement que le jury a tenu compte de ces événements pour exercer de la pression sur l'appelant afin qu'il ne prenne plus ces mesures. Il semble que le jury de sélection n'ait tenu compte de ces renseignements que pour déterminer si l'appelant avait suivi les procédures appropriées. Par conséquent, cet aspect des arguments de l'appelant ne peut être admis tel que formulé, étant donné qu'il se fonde sur une supposition.

[...]

[C’est nous qui soulignons.]

[54]   M. Chaves a ensuite déposé une plainte auprès de la présente Commission en vertu de l’article 147 du CCT.

[55]   Quant à l’objection de l’employeur à l’égard de la compétence de la Commission pour entendre cette plainte, en ce qui concerne le processus du comité de sélection, je reconnais qu’il relève de la compétence de la CFP, en vertu de la LEFP, de nommer ou d’entendre les appels des personnes nommées à des postes, ou de choisir un processus de sélection. Je ne commenterai pas – et il ne serait pas approprié de commenter – les conclusions des personnes concernées. Cependant, j’ai déterminé que la Commission a compétence pour entendre la présente plainte pour les raisons exposées ci­dessous.

[56]   En vue de prendre une décision raisonnable dans la présente affaire, une analyse et une interprétation de l’article 133 du CCT pourraient être utiles.

Analyse et décision

La compétence du Conseil

[57]   Avant l’entrée en vigueur des modifications apportées à la partie II du CCT (projet de loi C­12), le 30 septembre 2000, l’article 133 du CCT se lisait comme suit :

133.(1)  L’employé peut présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’alinéa 147a) parce qu’il s’était prévalu de l’article 128 ou 129.

(2)  La plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours de la date où le plaignant a eu connaissance – ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance – de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu.

(3)  Le droit de porter plainte est subordonné à l’observation des paragraphes 128(6) ou 129(1) en ce qui touche le fait qui a donné lieu à la plainte.

(4)  Malgré toute règle de droit ou toute convention à l’effet contraire, l’employé ne peut déférer sa plainte à l’arbitrage.

(5)  Sur réception de la plainte, le Conseil peut aider les parties à régler le point en litige; s’il décide de ne pas le faire ou si les parties ne sont pas parvenues à régler l’affaire dans le délai qu’il juge raisonnable dans les circonstances, il l’instruit lui-même.

(6)  Dans toute plainte faisant état d’une violation, par l’employeur, de l’alinéa 147a), la présentation même d’une plainte constitue une preuve de la violation; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

[58]   Depuis l’introduction des modifications, l’article se présente comme suit :

133. (1) L’employé – ou la personne qu’il désigne à cette fin – peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

(2)  La plainte est adressée au Conseil dans les quatre­vingt­dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance – ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance – de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu.

(3)  Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa présentation est subordonnée, selon le cas, à l’observation du paragraphe 128(6) par l’employé ou à la notification à l’agent de santé et de sécurité conformément au paragraphe 128(13).

(4)  Malgré toute règle de droit ou toute convention à l’effet contraire, l’employé ne peut déférer sa plainte à l’arbitrage.

(5)  Sur réception de la plainte, le Conseil peut aider les parties à régler le point en litige; s’il décide de ne pas le faire ou si les parties ne sont pas parvenues à régler l’affaire dans le délai qu’il juge raisonnable dans les circonstances, il l’instruit lui-même.

(6)  Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa seule présentation constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

[C’est nous qui soulignons.]

[59]   Dans la présente affaire, M. Chaves allègue que les observations formulées par M. Ignazzitto devant le comité de sélection de SCC au sujet des articles 127 et 128 du CCT constituaient des mesures disciplinaires qui ont porté atteinte à ses droits et ont eu des incidences négatives sur ses aspirations professionnelles. De plus, il allègue que les membres du comité de sélection n’avaient pas été suffisamment formés en ce qui a trait aux questions touchant le CCT; s’ils l’avaient été, ils n’auraient pas accepté que M. Ignazzitto mentionne ses plaintes. Afin de satisfaire aux dispositions de l’article 133, un employé doit d’abord remplir plusieurs conditions : déposer une plainte par écrit, respecter les délais prescrits, se conformer aux dispositions du paragraphe 128(6).

  • 133(1) : Le plaignant a soumis une allégation écrite en vertu de l’article 147. Il a déposé, par erreur, la plainte devant Développement des ressources humaines Canada (DRHC) le 18 février 2004, et ensuite devant la CRTFP, le 18 mars 2004, tel que l’indique l’exposé des faits (pièce A­1).

  • 133(2) : Je conclus que les délais ont été respectés dans le présent cas, étant donné que l’employeur n’a pas présenté de preuves selon lesquelles le plaignant n’a pas respecté le délai de 90 jours.

Avant d’invoquer l’inversion de la charge de la preuve

[60]   Bien que la présente affaire constitue sans nul doute un cas où l’inversion de la charge de la preuve mentionnée au paragraphe 133(6) s’applique, le plaignant doit remplir une première condition pour que la disposition relative à l’inversion de la charge de la preuve puisse être appliquée. Avant que l’on procède à l’évaluation des preuves de l’employeur, le plaignant doit prouver qu’il a rempli les conditions stipulées à l’article 133, ce qui permettra de déterminer si ce dernier avait le droit de déposer une plainte en vertu de l’article 133. Plus précisément, conformément au paragraphe 133(3), le plaignant doit démontrer qu’il a observé les dispositions du paragraphe 128(6), selon lesquelles il incombe à l’employé de signifier son refus à l’employeur. Bien que M. Ignazzitto déplore le fait que M. Chaves ne lui ait pas d’abord communiqué ses préoccupations relatives à la santé et à la sécurité, rien n’indique que M. Chaves n’a pas exposé ses préoccupations à « l’employeur », au sens large.

Article 128

  (6) L’employé qui se prévaut des dispositions du paragraphe (1), ou qui en est empêché en vertu du paragraphe (4) fait sans délai rapport sur la question à son employeur.

[C’est nous qui soulignons.]

[61]   Le plaignant a rapporté deux incidents qui constituent les fondements des commentaires de M. Ignazzitto relatifs à l’élément « respect ». Le premier incident s’est produit en novembre 2001, à la suite d’une agression au couteau impliquant deux détenus, et a donné lieu à un refus de travail de la part de M. Chaves. La pièce G­10 indique clairement que le plaignant, avant d’exercer ses droits en vertu de l’article 128, le 5 novembre 2001, a discuté de cette question avec M. Ignazzitto.

[62]   Le second incident se rapporte aux préoccupations de M. Chaves touchant la fumée secondaire qu’il respirait lorsqu’il accomplissait des tâches de préposé au service de la cantine dans l’unité d’isolement.

[63]   Après un examen minutieux des preuves, il apparaît clairement que M. Chaves a déposé une plainte en vertu de l’article 127; toutefois, je remarque qu’à la page 7 de la pièce G­4 on trouve les remarques suivantes : [traduction] « Paul a déposé un 127 par rapport à la fumée […] Il ne devrait pas avoir à se rendre dans les unités à cause de la fumée qui se dégage dans les locaux [...] changé pour une plainte en vertu de l’article 128 ».

[64]   J’ai conclu que les deux incidents mentionnés par M. Ignazzitto ont donné lieu à des refus de travail de la part de M. Chaves; les dispositions sur l’inversion de la charge de la preuve du paragraphe 133(6) seraient donc applicables, et il incombe à l’employeur de prouver, au delà de la prépondérance des probabilités, qu’il n’a pas transgressé l’article 147 du CCT en mentionnant ces incidents lors de la vérification des références de M. Chaves.

[65]   Malheureusement, l’employeur n’a pas fait témoigner M. Ignazzitto. Il a plutôt choisi de faire témoigner MmeBlackburn, qui était membre du comité de sélection. Bien que MmeBlackburn ait procédé à l’évaluation des candidats en fonction de l’ensemble des facteurs, ce n’est pas elle qui a formulé les commentaires en question. M. Chaves travaille à l’institution Millhaven alors que MmeBlackburn travaille à Collins Bay. Je ne relève aucune allégation du plaignant selon laquelle MmeBlackburn serait coupable d’avoir pris des mesures de représailles constituant une infraction à l’article 147, et MmeBlackburn n’a aucune raison de souhaiter prendre de telles mesures à l’endroit de M. Chaves, étant donné qu’elle ne le connaît probablement pas. La plainte ne fait mention que de M. Ignazzitto.

[66]   M. Chaves allègue que MmeBlackburn a fait erreur en permettant à M. Ignazzitto de mentionner les incidents exposés ci­dessus, mais il n’a pas cité, dans son témoignage, une seule disposition du CCT qui interdit un tel comportement. Je conclus donc que le reproche semble se rapprocher davantage d’un commentaire général que d’une affirmation étroitement liée à une disposition du CCT.

Qu’est-ce qui constitue une « autre sanction » en vertu du CCT?

[67]   Les plaintes telles que celle qu’a déposée M. Chaves sont en fait déposées en vertu de l’article 133 du CCT et comportent une allégation de violation de l’article 147. Je note que le libellé du paragraphe 133(1) est le suivant :

L’employé […] au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147 [...]

[C’est nous qui soulignons.]

[68]   On remarque que le mot « pécuniaire » est absent du libellé de cet article, et que le libellé de l’article 133 est beaucoup plus général que celui de l’article 147, qui semble se limiter aux mesures de nature « disciplinaire ».

[69]   Bien que l’article 147 contienne une liste de mots à connotation nettement « financière », je ne crois pas que l’application de l’article 147 soit limitée aux cas dans lesquels la mesure de représailles est d’ordre strictement financier. Le libellé des passages « sanction pécuniaire ou autre » et « mesures disciplinaires » de l’article 147 peut également être interprété de façon à inclure les mesures prises à l’endroit de l’employé qui ne sont pas nécessairement d’ordre financier.

[70]   Dans une décision du Conseil canadien des relations du travail (CCRT), Lawrence Warris (1997), 104 di 62, le plaignant a prétendu qu’il avait été affecté à un poste différent parce qu’il avait exercé son droit de refuser d’exécuter des tâches dangereuses. Comme l’a noté le Conseil, son taux de rémunération, son lieu de travail et son horaire de travail n’ont pas changé. Le Conseil, dans la partie V de sa décision, affirme ce qui suit :

[Traduction]

La considération la plus importante qui entre en jeu dans les affaires comme celle qui nous occupe est de savoir si la mesure prise par l’employeur, et qui contreviendrait à l’article 133, a été prise, pour reprendre le libellé de l’article 147 […]

Dans la partie VI de sa décision, le CCRT affirme :

[Traduction]

Si l’on fait exception de la propre interprétation que M. Warris donne des effets de sa réaffectation, on ne saurait affirmer que les effets de cette décision ont été punitifs, voire que l’employeur ait voulu qu’ils le soient […] Il n’y a par ailleurs rien dans la preuve qui indique que l’employeur a augmenté le nombre de postes de préposé et qu’il a réaffecté M. Warris à l’un de ces postes en vue de le punir pour avoir refusé de travailler […]

[71]   Cette décision traite de mesures prises par l’employeur ainsi que de représailles et de conséquences punitives, mais n’indique pas la nécessité de conséquences financières réelles ou potentielles découlant des mesures prises par l’employeur. Bien que le Conseil mentionne la perte des privilèges du plaignant en ce qui concerne le stationnement, il ne le fait pas dans le but de prouver que les mesures prises par l’employeur correspondent à la portée de l’article 147. Cette perte de privilèges est plutôt considérée, dans le contexte élargi de la décision, comme étant une preuve ou un indice de mesures disciplinaires ou de mesures de représailles. Enfin, le CCRT formule, dans la partie VI de sa décision, un énoncé concernant l’esprit des articles 133 et 147 :

[Traduction]

La protection garantie par les articles 133 et 147 vise à faire en sorte qu’un employeur ne puisse prendre une décision défavorable à un employé du fait que ce dernier s’est prévalu des droits que lui confère l’article 128 […]

[72]   Je ne relève pas, dans les dispositions du CCT, de limites aux mesures qui entraînent un désavantage financier et, compte tenu de l’esprit généralement large et fonctionnel du CCT et, particulièrement, des dispositions relatives aux représailles, j’estime qu’il serait contraire à l’esprit de la Loi de permettre à un employeur de faire, indirectement, ce que le Parlement interdit directement. L’esprit et l’objectif du CCT visent à assurer un lieu de travail sûr pour les employés, et les dispositions du CCT qui permettent de « donner l’alerte » perdraient tout leur sens si l’employeur était autorisé à prendre des mesures à l’endroit d’un employé tant que ces mesures n’entraînent pas de sanction pécuniaire pour celui­ci.

[73]   L’alinéa 127(1) se lit comme suit :

Processus de règlement interne des plaintes

127.1 (1) Avant de pouvoir exercer les recours prévus par la présente partie – à l’exclusion des droits prévus aux articles 128, 129 et 132 –, l’employé qui croit, pour des motifs raisonnables, à l’existence d’une situation constituant une contravention à la présente partie ou dont sont susceptibles de résulter un accident ou une maladie liés à l’occupation d’un emploi doit adresser une plainte à cet égard à son supérieur hiérarchique.

[74]   Je conclus que, lorsque les parlementaires se sont penchés sur cet alinéa, ils savaient qu’un employé, en exerçant les droits qui lui sont conférés par la partie susmentionnée, serait exempté de l’obligation d’aviser son superviseur lorsqu’il invoque le refus de travail, tel que le définit l’article 128.

[75]   On pourrait présumer qu’un employé qui estime qu’il y a une probabilité d’accident ou de maladie peut avoir été chargé, par son superviseur, de tâches qui pourraient avoir des répercussions sur sa personne.

[76]   Bien qu’il soit préférable qu’un employé soumette une plainte à son superviseur, cela n’est pas obligatoire lorsqu’il exerce ses droits en vertu de l’article 127. Il est toutefois obligatoire de déposer une plainte à l’employeur lorsqu’on exerce ses droits en vertu de l’article 128.

[77]   En conclusion, je déclare l’employeur coupable d’une violation de l’article 147 du CCT, quoique peut­être seulement en vertu du fait que les parties ont fait erreur en ce qui concerne l’établissement du responsable du fardeau de la preuve. Il incombait à l’employeur de présenter des preuves selon lesquelles les commentaires de M. Ignazzitto n’étaient pas punitifs à l’endroit de M. Chaves. Il ne l’a pas fait.

[78]   En ce qui concerne le redressement demandé, je ne vois aucune raison d’ordonner à l’employeur de présenter des excuses à M. Chaves. De plus, aucune preuve n’a été présentée par M. Chaves pour m’inciter à conclure que le comité de sélection a dérogé aux dispositions du CCT.

[79]   Pour toutes les raisons susmentionnées, la Commission rend l’ordonnance suivante :

Ordonnance

[80]   La plainte est accueillie dans la mesure exposée ci­dessus.

Le 20 mai 2005.

Traduction de la C.R.T.F.P.

D. R. Quigley,
commissaire

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