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Informations sur la décision

Résumé :

Lorsqu’elles se sont présentées au travail, l’employeur a demandé aux fonctionnaires s’estimant lésées de se rendre à un autre lieu de travail - l’horaire de travail à cet autre lieu de travail étant différent, la pause-repas des fonctionnaaires s’estimant lésées a été retardée de 45 minutes - les fonctionnaires s’estimant lésées demandent le paiement de la prime de 20 $ prévue à la convention collective lorsque <<la pause repas à l’horaire>> est modifiée de plus d’une demi-heure avec un préavis de moins d’une journée de travail - l’arbitre de grief a conclu qu’une lecture contextuelle de la disposition de la convention collective sur laquelle se fondaient les fonctionnaires s’estimant lésées révélait le besoin d’assurer la stabilité et la prévisibilité de la pause-repas prévue à l’horaire de travail personnel de chaque employé.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2005-04-22
  • Dossier:  166-32-32839 et 32842
  • Référence:  2005 CRTFP 38

Devant un arbitre de grief



ENTRE

SUZANNE BRISSON ET HÉLÈNE DUBEAU

fonctionnaires s’estimant lésées

et

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

employeur

Répertorié
Brisson et Dubeau c. Agence canadienne d’inspection des aliments

Affaire concernant des griefs renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant : Sylvie Matteau, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s’estimant lésées : Glen Chochla, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Simon Kamel, avocat


Affaire entendue à Montréal (Québec),
le 30 mars 2005.


Grief s renvoyé s à l’arbitrage

[1]   Les deux fonctionnaires s’estimant lésées, Mmes Suzanne Brisson et Hélène Dubeau, sont des employées de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’Agence) dans la région de Montréal. Elles ont déposé un grief chacune au premier palier de la procédure applicable aux griefs le 13 janvier 2003. Elles reprochent à l’employeur d’avoir refusé de leur verser la prime de 20 $, qui leur serait due en vertu de la convention collective conclue entre l’Agence et l’Alliance de la Fonction publique du Canada le 6 juillet 2001, lorsque la pause-repas prévue à l’horaire est modifiée de plus d’une demi-heure par l’employeur, sans préavis.

[2]   La convention collective a été déposée (pièce G-1). Un énoncé conjoint des faits (pièce G-3) a également été déposé par les parties en début d’audience. Les fonctionnaires s’estimant lésées s’en sont tenues à cette preuve. L’employeur a fait entendre un témoin.

[3]   Il a été entendu que, malgré la référence à la sous-clause 24.05d) indiquée dans le texte des deux griefs, c’est bien de l’alinéa 24.04b)(v) de la convention collective dont il est question dans les présentes circonstances (paragraphe 2 de l’énoncé conjoint des faits).

[4]   Le 1 er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, je demeure saisie de ces renvois à l’arbitrage de grief, sur lesquels je dois statuer conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35.

Résumé de la preuve

[5]   L’énoncé conjoint des faits relate ce qui suit :

[…]

Les parties conviennent aux faits qui suivent.

  1. Au moment du dépôt de chaque grief, les plaignantes travaillaient en tant qu’Inspecteur dans les classifications qui suivent :

    1. Suzanne Brisson : EG-02; et

    2. Hélène Dubeau : EG-02.

  2. L’article 24.04 b) v) s’applique aux plaignantes.

  3. La convention collective applicable est celle signée par l’Agence canadienne d’inspection des aliments et l’Alliance de la fonction publique le 6 juillet 2001 avec date d’expiration du 31 décembre 2002.

  4. Le nom de chaque plaignante est sur une liste des employés qui ont volontairement accepté de remplacer les inspecteurs qui sont absents aux autres établissements. L’employeur peut affecter un employé dans le cas où aucun volontaire n’accepterait l’affectation.

  5. Les employés travaillent dans des établissements qui sont réglementés par l’ACIA, et les horaires de travails sont établis afin de respecter les besoins de l’industrie.

Suzanne Brisson

  1. Le lieu de travail habituel de Mme Brisson est l’établissement #89, et ses heures de travail à l’horaire sont de 7h à 15h30 avec pause-repas de 11h30 à 12h30.

  2. Le 19 novembre 2002, Mme Brisson s’est rendue à son établissement (établissement #89), Volailles Giannonne inc. à St-Cuthbert, à son heure normale.

  1. Vers le début de sa journée de travail du 19 novembre 2002, l’employeur a demandé à Mme Brisson de travailler à l’établissement #80 à Traham. Elle en a acceptée et l’employeur l’a autorisée de se rendre à #80. La pause-repas à l’horaire de l’établissement #80 est de 12h15 à 13h.

Hélène Dubeau

  1. Le lieu de travail habituel de Mme Dubeau est l’établissement #89, et ses heures de travail à l’horaire sont de 7h à 15h30 avec pause-repas de 11h30 à 12h30.

  2. Le 8 novembre 2002, Mme Dubeau s’est rendue à l’établissement #89 à Volailles Giannonne inc. à St-Cuthbert, à son heure normale de travail.

  3. Vers le début de sa journée de travail du 8 novembre 2002, l’employeur a demandé à Mme Dubeau de travailler à l’établissement #80 à Traham. Elle l’a accepté et l’employeur l’a autorisée de se rendre à #80. La pause-repas à l’horaire de l’établissement #80 est de 12h15 à 13h.

  4. Le 22 novembre 2002, Mme Dubeau s’est rendue à l’établissement #89. Vers le début de sa journée de travail, l’employeur lui a demandé de travailler à l’établissement #468 à Lucy Porc. Elle en a accepté et l’employeur l’a autorisée de se rendre à #468. La pause-repas à l’horaire de l’établissement #468 est de 12h15 à 12h45.

  5. Étant donné que chaque plaignante se déplaçait à l’extérieur de sa zone d’affectation en service commandé à chacune des dates ci-haut mentionnées, elle avait droit à l’indemnité de repas et au kilométrage stipulé dans la Directive sur les voyages, ainsi qu’à la rémunération pour le temps de déplacement stipulée à l’article 33 de la convention collective. Les plaignantes acceptent qu’elles ont reçues les indemnités qui s’appliquaient tel que prévu par la Directive sur les voyages et pour le temps de déplacement.

  6. Les plaignantes allèguent que l’employeur a modifié la pause-repas à l’horaire de plus d’une demi-heure et, en refusant de leur verser une prime en espèces de 20 $ pour chaque jour de travail ci-haut mentionné, a violé l’article 24.04 b) v) de la convention collective.

[…]

[ Sic pour l’ensemble de la citation]

[6]   La clause 24.04 de la convention collective se lit comme suit :

  1. […] la semaine de travail normale est de trente-sept heures et demie (37 1/2), à l’exclusion des périodes de repas, réparties sur cinq (5) jours de sept heures et demie (7 1/2) chacun, du lundi au vendredi. La journée de travail est prévue à l’horaire au cours d’une période de huit (8) heures si la période de repas est d’une demi-heure (1/2) ou au cours d’une période de huit heures et demie (8 1/2) si la période de repas dure plus d’une demi-heure (1/2) sans dépasser une (1) heure. Ces périodes de travail prévues à l’horaire se situent entre six (6) heures et dix-huit (18) heures, à moins qu’il n’en ait été convenu autrement au cours de consultations au niveau approprié entre l’Alliance et l’Employeur.

  2. Dans le cas des employés assujettis à l’alinéa 24.04a) et qui effectuent des tâches d’inspection de l’abattage, l’Employeur fait tout effort raisonnable pour :

    1. éviter les fluctuations excessives des heures de travail;

    2. afficher les horaires de travail sept (7) jours à l’avance;

    3. informer les employés par écrit des modifications apportées, s’il y a lieu, à leur horaire de travail;

    4. lorsque les heures de travail à l’horaire de l’employé(e) sont modifiées par l’Employeur après le point milieu de la journée de travail précédente de l’employé(e) ou après le début de la pause-repas du jour de travail précédent de l’employé(e), celui des deux moments qui survient en premier étant retenu, l’employé(e) a droit à une prime en espèces de vingt dollars (20$) en plus de la rémunération journalière normale.

    5. lorsque la pause-repas à l’horaire est modifiée par l’Employeur de plus d’une demi-heure (1/2) après le point milieu de la journée de travail précédente de l’employé(e) ou après le début de la pause-repas du jour de travail précédent de l’employé(e), celui des deux moments qui survient en premier étant retenu, l’employé(e) a droit à une prime en espèces de vingt dollars (20$) en plus de la rémunération journalière normale.

    6. le montant de la prime en espèces versée en vertu des alinéas 24.04(iv) et (v) ne doit pas dépasser vingt dollars (20$) par jour de travail.

[7]   Monsieur Bernard Vanier, gestionnaire d’inspection pour la région de Montréal-Est depuis 1998, a témoigné. Il explique que ses fonctions visent à assurer la présence du personnel d’inspection dans tous les établissements d’abattage de son secteur. Le travail d’inspection se divise en deux sphères d’activités, soit l’inspection ante-mortem et l’inspection post-mortem.

[8]   Il explique également que les horaires de travail sont établis une fois l’an. Presque tous les établissements d’abattage ont des heures d’opération différentes. En fait, sur 50 établissements, il y aurait 40 horaires de travail différents. Chacun de ces horaires est fixé en fonction des besoins de l’établissement d’abattage et est consacré dans une entente de service signée entre celui-ci et l’Agence.

[9]   Par ailleurs, les employés ont tous un lieu de travail permanent ou régulier dans un établissement d’abattage désigné. Puisque l’Agence doit garantir les services d’inspection, il est très fréquent que les employés soient appelés à se déplacer et à travailler à pied levé dans un autre établissement. Monsieur Vanier indique que ces déplacements sont affaire courante. Les employés sont appelés à se déclarer intéressés à ces transferts et à s’inscrire sur une liste de volontaires qui est utilisée selon un système d’alternance. Selon lui, entre 15 à 25 % des effectifs de sa région sont « en transfert » chaque jour, en vue de rencontrer les besoins immédiats des établissements d’abattage en fonction des inspecteurs disponibles et du volume de production.

[10]   L’employeur verse la prime prévue à l’alinéa 24.04b)(v) de la convention collective lorsque la pause-repas dans un établissement d’abattage est déplacée de plus d’une demi-heure en raison d’ un bris mécanique ou lorsqu’il y a retard d’approvisionnement de l’établissement causé, par exemple, par une tempête de neige.

Résumé de l’argumentation

[11]   Pour les fonctionnaires s’estimant lésées, l’alinéa 24.04b)(v) de la convention collective est clair. Il vise à compenser les employés lorsque leur pause-repas est modifiée de plus d’une demi-heure, sans préavis. La sous-clause 24.04b) concerne l’horaire de l’employé, non l’horaire de travail de l’établissement d’abattage comme le soutient l’employeur. Il en va de même pour les sous-clauses 24.05c) et d), qui sont au même effet. L’interprétation et l’application faite de ces dispositions doit donc tenir compte du libellé de l’article 24 (Durée du travail) au complet et en refléter non seulement le texte mais aussi l’esprit.

[12]   Cette disposition vise donc à compenser l’employé pour tout inconvénient que la modification de sa pause-repas peut lui créer, si elle est de plus d’une demi-heure et qu’elle a eu lieu sans le préavis établi. Elle doit être lue du point de vue de l’employé.

[13]   Les fonctionnaires s’estimant lésées soulignent que l’alinéa (iv) de la sous-clause 24.04b) spécifie clairement que ces dispositions visent l’horaire personnel de l’employé. Il y est stipulé : « lorsque les heures de travail à l’horaire de l’employé(e) sont modifiées par l’Employeur […] » . Il ne peut donc être question que du même « horaire de l’employé » qu’à l’alinéa (v) suivant, puisqu’il est de même nature.

[14]   Au soutien de leur argumentation, les fonctionnaires s’estimant lésées citent les décisions Re Brewers’ Warehousing Provincial Board and Brewers’ Warehousing Co. Ltd. (1957), 7 L.A.C. 322; Vaillancourt c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2004 CRTFP 44; Re General Hospital Corp. and Newfoundland Association of Public Employees (1992), 29 L.A.C. (4th) 298.

[15]   Selon les fonctionnaires s’estimant lésées, Brewers’ Warehousing Provincial Board (supra) émet le principe selon lequel il faut rechercher le fondement raisonnable de la disposition à appliquer. L’employé a droit de connaître à l’avance ses heures de pause-repas. Il a droit à la stabilité de cette pause. Si celle-ci est modifiée sans le préavis établi, il aura droit à la prime. Il est clair que c’est l’intention de l’alinéa 24.04b)(v) de la convention collective et que c’est l’horaire de l’employé visé qui est en cause dans cette disposition.

[16]   En commentant la décision Vaillancourt (supra), les fonctionnaires s’estimant lésées soulignent qu’il s’agit d’une décision qui, bien qu’elle ne soit pas directement pertinente, aide à comprendre la présente convention collective et les principes à sa base. Il s’agit du même employeur mais d’un groupe différent d’employés, représentés par un agent négociateur différent. Dans ce cas, il s’agissait de définir l’horaire de travail par postes et l’horaire personnel de l’employé et d’en faire la distinction. Dans les présentes circonstances, la prime devrait donc être versée puisque le but de l’alinéa 24.04b)(v) est de compenser l’employé pour une modification à son horaire individuel de travail, s’il n’y a pas eu préavis adéquat.

[17]   Enfin, la décision General Hospital (supra) réfère à la décision de D.M. Beatty dans Re Steel Co. of Canada Ltd and United Steelworkers, Local 1005 (29 avril 1975), qui énonce que :

[Traduction non officielle]

[…]

[…] l’objet manifeste de la sous-clause 5.08(g) est de dédommager un employé pour les inconvénients subis lorsque celui­ci doit modifier ses projets personnels et travailler le jour même où il s’attendait, depuis le jeudi de la semaine précédente, à être libre de poursuivre ses intérêts personnels. En un sens, la rémunération au tarif des heures supplémentaires, dans les circonstances établies dans la sous-clause 5.08(g), sert à dédommager un employé qui s’est fié de façon raisonnable à l'horaire de travail affiché pour planifier ses affaires personnelles en vue de la semaine subséquente, et qui se voit contraint de modifier ses arrangements. […]

[…]

[18]   Les fonctionnaires s’estimant lésées soulignent que, dans ce cas, l’employé avait volontairement accepté de modifier son horaire. Ce n’est donc pas parce qu’elles se sont portées volontaires pour ces déplacements et les ont acceptés qu’elles n’ont pas droit à la prime. En effet, une fois qu’elles ont accepté le déplacement, elles sont alors requises de se présenter au travail, tel qu’indiqué par l’employeur. D’ailleurs, au paragraphe 4 de l’énoncé conjoint des faits, il est reconnu que « […] [l]’employeur peut affecter un employé dans le cas où aucun volontaire n’accepterait l’affectation. »

[19]   L’employeur souligne d’entrée de jeu le milieu particulier dans lequel travaillent les fonctionnaires s’estimant lésées. Leur horaire de travail est dicté par les besoins des établissements d’abattage. Selon l’employeur, la convention collective reconnaît cette particularité. Elle accorde une prime dans des circonstances exceptionnelles, hors du contrôle de l’employeur ou de l’établissement d’abattage. L’alinéa 24.04b)(v) est clair.

[20]   En prévoyant un engagement à minimiser, par un effort raisonnable, les fluctuations excessives des heures de travail et à afficher les horaires de travail sept jours à l’avance, ainsi qu’à informer par écrit les employés de toute modification à leur horaire de travail, la convention collective reconnaît que la flexibilité est requise dans ce milieu de travail particulier.

[21]   L’économie générale de la clause 24.04 de la convention collective veut donc que, si la pause-repas est modifiée sans préavis dans un établissement d’abattage, pour quelque raison, il y ait versement de la prime. Toutefois, cette disposition ne trouve pas application dans le cas d’un déplacement dans un autre établissement, à moins que la pause-repas y soit modifiée.

[22]   D’autres dispositions s’appliquent dans les circonstances d’un déplacement, principalement prévues à la Directive sur les voyages d’affaires, qui fait partie intégrante de la convention collective.

[23]   L’employeur ne conteste pas le fait que, s’il modifie la pause-repas dans un établissement d’abattage sans donner le préavis requis, il devra payer la prime. Si, toutefois, c’est l’employé qui change d’établissement et qu’il a une pause-repas différente de celle qui est prévue à son établissement régulier, cela ne constitue pas une modification à la pause-repas tel que visé par l’alinéa 24.04b)(v) de la convention collective.

[24]   Quant à l’interprétation de la décision Vaillancourt (supra) faite par les fonctionnaires s’estimant lésées, ces dernières prêtent des prétentions à l’employeur qui ne sont pas correctes. Le présent cas est bien différent.

[25]   Bien qu’il y ait similitude de faits avec l’affaire Vaillancourt (supra), notamment, dû au fait que l’employée a été requise de se présenter au travail dans un autre établissement, la question à résoudre dans ce dossier visait la terminologie propre et spécifique de la clause alors sous étude. Celle-ci prévoyait : «  B2.07 Si l’employé reçoit un préavis de moins de sept (7) jours d’une modification à son horaire de travail par postes […]  ». On trouve toutefois dans cette décision des pistes de solution et des principes qui sont transposables dans l’affaire qui nous occupe ici. Entre autres, on y trouve le principe qui veut que soit examinée la situation dans son contexte.

[26]   Ce que recherchent ici les fonctionnaires s’estimant lésées c’est l’application d’une disposition qui vise l’avènement de cas fortuit dans un établissement d’abattage, une mesure d’exception, à une situation de déplacement ou transfert. Ce n’est pas l’objet visé par cette disposition.

[27]   Au soutien de son argument, l’employeur fait référence à la décision Brouillet et al. c. Conseil du Trésor (Agriculture Canada), dossiers de la CRTFP 166-2-17277 à 17279 (1988) (QL). Selon lui, il s’agit là de la raison d’être de l’alinéa 24.04b)(v). Cette décision précède l’adoption d’une clause comme celle rencontrée à l’alinéa 24.04b)(v). L’arbitre de grief avait alors conclu qu’une modification à la pause-repas ne constituait pas une modification à l’horaire de travail.

[28]   Les décisions Ilkanic c. Conseil du Trésor (Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada), dossier de la CRTFP 166-2-14259 (1984) (QL) et Hornby c. Conseil du Trésor (Agriculture Canada), dossier de la CRTFP 166-2-17110 (1988) (QL) sont également appelées au soutien de l’argument de l’employeur. Dans ce dernier dossier, on retrouve le principe qui veut qu’on ne peut assimiler l’horaire d’un établissement avec celui d’un autre. Donc, pour tout employé, la pause-repas est celle qui est affichée à l’établissement où il est assigné, même temporairement.

[29]   Enfin, il faudrait tenir compte, d’une part, du fait que les employés se portent volontaires à ces transferts et que d’autre part, les horaires sont affichés d’avance dans tous les établissements d’abattage. Les horaires sont donc connus des employés d’un établissement à l’autre. De plus, une indemnité de voyage est payée lors de transferts. Il faudrait donc éviter la double indemnisation. Ceci serait à l’encontre de la clause 1.02 de la convention collective qui stipule :

1.02 Les parties à la présente convention ont un désir commun d’améliorer la qualité de l’Agence canadienne d’inspection des aliments et de favoriser le bien-être de ses employé-e-s ainsi que l’accroissement de leur efficacité afin que les Canadiens soient servis convenablement et efficacement. Par conséquent, elles sont déterminées à établir, dans le cadre des lois existantes, des rapports de travail efficaces à tous les niveaux de l’Agence auxquels appartiennent les membres des unités de négociation.

[30]   Verser une prime de 20 $, autrement qu’en des circonstances exceptionnelles dues à un retard ou problème de production, irait à l’encontre d’une gestion efficace. Le fait de changer d’établissement d’abattage ne constitue pas le type de changement à l’horaire visé par l’alinéa 24.04b)(v) de la convention collective.

[31]   En réplique, les fonctionnaires s’estimant lésées maintiennent que, si l’intention des parties était de viser l’horaire de l’établissement d’abattage et non l’horaire individuel de l’employé, les parties en auraient fait la précision, comme ce fut fait dans le dossier Vaillancourt (supra) par la mention « horaire de travail par postes ». Quant aux paiements des frais de déplacement et l’application de la Directive sur les voyages d’affaires en ce qui les concerne, ceci n’est pas pertinent dans les circonstances.

[32]   Finalement, la clause 1.02 soutient en effet l’interprétation de la convention collective en faveur des fonctionnaires s’estimant lésées, puisqu’elle réfère à l’économie générale de la convention et que la prime de 20 $ doit donc être considérée comme un moyen d’en améliorer l’efficacité. Elle pénalise l’employeur lorsqu’il modifie l’horaire de l’employé contrairement au principe de stabilité énoncé à l’alinéa 24.04b)(i) et compense l’employé dans les mêmes circonstances pour l’inconvénient ainsi créé unilatéralement par l’employeur. En fait, sa raison d’être est de s’assurer que l’employeur ait le nombre d’inspecteurs suffisant pour répondre à ses obligations envers les divers établissements d’abattage. L’employeur a seul le contrôle de ces ressources.

Motifs

[33]   La question à déterminer est la suivante : l’alinéa 24.04b)(v) de la convention collective s’applique-t-il lorsque la pause-repas des fonctionnaires s’estimant lésées est modifiée de plus d’une demi-heure, sans préavis, lorsque cette modification est due au fait que celles-ci ont été requises de se présenter au travail dans un établissement d’abattage autre que celui où elles travaillent habituellement? Je dois répondre par l’affirmative.

[34]   L’alinéa visé doit être lu et interprété en fonction du contexte et de l’économie générale de la clause dont il fait partie ainsi que de l’esprit de la section de la convention collective à laquelle il appartient. En ce sens, cette clause vise à assurer la stabilité et la prévisibilité de la pause-repas de l’employé. Cette clause doit être interprétée du point de vue de l’effet de tout événement sur son heure régulière de pause-repas. La convention collective ne prévoit pas, d’ailleurs, d’événement spécifique pouvant modifier l’heure de la pause-repas.

[35]   Les parties ont admis que la clause était claire. L’arbitre de grief, devant une clause claire, ne peut y ajouter de termes qui auraient pour effet d’en élargir ou d’en diminuer la portée. L’alinéa 24.04b)(v) réfère clairement à l’horaire de l’employé et ne contient pas les mots « sauf en cas de transfert » :

24.04 b)(v)  lorsque la pause-repas à l’horaire est modifiée par l’Employeur de plus d’une demi-heure (1/2) après le point milieu de la journée de travail précédente de l’employé(e) ou après le début de la pause-repas du jour de travail précédent de l’employé(e), celui des deux moments qui survient en premier étant retenu, l’employé(e) a droit à une prime en espèces de vingt dollars (20$) en plus de la rémunération journalière normale.

[36]   Les parties ont plaidé en leur propre faveur ma décision dans le dossier Vaillancourt (supra). Dans ce dossier, on référait précisément à l’horaire de travail par postes alors que, dans le présent cas, on réfère expressément à l’horaire de l’employé.

[37]   L’employeur a soulevé, au soutien de son argument, l’interprétation faite dans l’affaire Brouillet (supra) en 1988. Cette décision fut rendue sur la base d’une disposition qui correspond à l’alinéa 24.04 b)(iv) de la présente convention collective et non à l’alinéa (v) présentement en jeu. Il n’y avait pas, à l’époque, de disposition précise visant l’heure de la pause-repas. L’employeur a même suggéré que cette décision fut à l’origine de la présente disposition. Cette interprétation ne peut donc s’appliquer à la nouvelle disposition.

[38]   Le transfert des fonctionnaires s’estimant lésées à un établissement d’abattage où l’heure de la pause-repas est différente a eu pour effet de modifier la pause-repas à leur horaire de travail (« horaire de l’employé(e) » (24.04b)(iv)). Dans l’éventualité où, à cause de circonstances à l’établissement où elles ont été transférées, la pause-repas était la même que la pause-repas normale à leur établissement régulier, elles n’auraient alors pas droit à la prime en question puisque la pause-repas à leur propre horaire de travail n’aurait pas été modifiée.

[39]   L’employeur affirme que le transfert temporaire d’un établissement à un autre est affaire quotidienne. Jusqu’à 25 % des employés sont en transfert chaque jour. L’agent négociateur et l’employeur pourraient examiner cette question dans le cadre du forum approprié, c’est-à-dire lors de la négociation de la convention collective.

[40]   L’employeur soutient également que l’indemnité de repas, qui a été payée aux fonctionnaires s’estimant lésées conformément à la Directive sur les voyages d’affaires, constitue l’indemnisation appropriée dans les circonstances. Le versement d’une seconde indemnité de repas ne peut être justifié. Cette directive fait partie intégrante de la convention collective en vertu de l’article 64. Selon les termes mêmes de la directive, « […] [c]es dispositions font en sorte que les fonctionnaires n'ont pas à engager des frais supplémentaires […] » et « […] [e]lles ne doivent pas constituer une source de revenu ni de rémunération quelconque, lesquels ouvriraient la voie au gain personnel. » L’objectif visé par le versement de l’indemnité de repas est totalement différent de celui visé par la prime prévue à l’alinéa 24.04 b)(v) de la convention collective. Cette dernière vise à assurer la stabilité et la prévisibilité de la pause-repas prévue à l’horaire de travail de chaque employé. Tout en reconnaissant le besoin de flexibilité que peut requérir l’employeur, elle assure que des modifications peuvent être faites à la pause-repas prévue à l’horaire de travail en autant que l’employé en soit avisé conformément à la convention collective.

[41]   Enfin, il y a donc une condition au paiement de la prime. L’employé doit être avisé « [...] après le point milieu de la journée de travail précédente de l’employé(e) ou après le début de la pause-repas du jour de travail précédent de l’employé(e), celui des deux moments qui survient en premier étant retenu […] ». Dans les présentes circonstances, les fonctionnaires s’estimant lésées ont été avisées de la modification à leur pause-repas le matin même de leur journée de travail, quand l’employeur leur a demandé de se présenter à un autre établissement d’abattage.

[42]   Dans les circonstances, et tenant compte de la preuve présentée, je fais droit aux griefs.

[43]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[44]   Les griefs sont accueillis. L’employeur devra verser à Mme Brisson, pour la journée du 19 novembre 2002, et à Mme Dubeau, pour les 8 et 22 novembre 2002, l’indemnité de 20 $ par jour prévue à la clause 24.04b)(v) de la convention collective.

Le 22 avril 2005.

Sylvie Matteau,
arbitre de grief

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