Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a déposé une demande de prorogation de délai en vertu du paragraphe 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le nouveau Règlement), en vue de déposer des griefs pour contester sa suspension pour une période indéterminée et son congédiement - la fonctionnaire s’estimant lésée a été suspendue pour une période indéterminée avant d’être congédiée au terme d’une enquête interne établissant qu’elle se serait fait payer plus de 40 000 $ en remboursement de demandes fictives - la fonctionnaire s’estimant lésée cumulait plus de 22 ans de service dans la fonction publique - au cours des cinq années précédant son congédiement, elle avait perdu sa maison dans un incendie, avait été congédiée de son poste précédent, au ministère de la Défense nationale (NouveauBrunswick), été contrainte de s’installer à l’ÎleduPrinceÉdouard pour obtenir un autre poste dans la fonction publique; elle s’occupait également seule de ses deux fils aux prises avec des problèmes de santé - de plus, après sa réinstallation, elle avait été suivie régulièrement par un médecin, qui avait posé un diagnostic de syndrome de stress posttraumatique - les griefs ont été déposés six et huit mois respectivement après l’expiration du délai prévu et seulement après que la demande de prestations d’assuranceemploi de la fonctionnaire s’estimant lésée eut été rejetée - la Commission a conclu qu’elle disposait d’une grande latitude pour approuver de telles demandes et que les principes établis par la jurisprudence de l’ancienne Commission étaient de même nature que ceux énoncés dans le nouveau Règlement - en vertu du nouveau Règlement, la Commission a dorénavant le pouvoir de proroger les délais par souci d’équité - il n’était pas nécessaire d’envisager le dépôt d’un grief avant l’expiration du délai prescrit - la fonctionnaire s’estimant lésée a invoqué des raisons claires, convaincantes et impérieuses pour justifier le retard - sa santé mentale précaire est un facteur dont il faut tenir compte - dès qu’elle a pris la décision de déposer un grief, la fonctionnaire s’estimant lésée a agi avec diligence - l’employeur a admis que sa capacité de faire valoir ses arguments demeurait intacte si la demande était accueillie - en mettant en balance les lourdes conséquences pour la fonctionnaire s’estimant lésée et le préjudice qui pourrait être causé à l’employeur, et compte tenu des nombreuses années de services de la fonctionnaire s’estimant lésée, de la diligence avec laquelle elle a agi en poursuivant son grief et de son état mental à l’époque, la Commission a conclu que la demande devait être accueillie par souci d’équité. Demande accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2005-12-28
  • Dossier:  568-34-4
  • Référence:  2005 CRTFP 180

Devant la vice présidente



ENTRE

LINDA RICHARD

demanderesse

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

Répertorié
Richard c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant une demande visant la prorogation d'un délai visée à l'alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Sylvie Matteau, vice présidente

Pour la demanderesse  :  Doug Hill, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour la défenderesse  :  Richard Fader, avocat


Affaire entendue à Charlottetown (Île du Prince Édouard),
le 15 novembre 2005.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Demande devant la vice-présidente

[1]   Il s’agit en l’espèce d’une demande de prorogation de délai fondée sur l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le Règlement). L’agent négociateur a présenté cette demande au nom de Mme Linda Richard, la fonctionnaire s’estimant lésée (la fonctionnaire), le 9 juin 2005. Les griefs contestant la suspension pour une période indéfinie de la fonctionnaire, le 13 mai 2004, ainsi que son licenciement, le 21 juillet 2004, ont été déposés le 26 janvier 2005.

[2]   L’employeur a contesté la recevabilité des griefs en vertu du paragraphe 18.10 de la convention collective conclue entre l’Agence des douanes et du revenu du Canada et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), expirée le 31 octobre 2003.

[3]   L’agent négociateur a invoqué des circonstances atténuantes dont il faudrait tenir compte, en déclarant que le paragraphe 18.21 de la convention collective devrait s’appliquer en raison de la situation de la fonctionnaire au moment de sa suspension, puis de son licenciement.

[4]   En vertu de l’article 45 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, le président m’a autorisée, en ma qualité de vice-présidente, à exercer tous ses pouvoirs ou à m’acquitter de toutes ses fonctions en application de l’alinéa 61b) du Règlement , pour entendre et trancher cette demande de prorogation de délai. Par ailleurs, il faut souligner que, le 12 décembre 2005, l’Agence des douanes et du revenu  de Canada est devenue l’Agence du revenu du Canada.

Résumé de la preuve

[5]   La fonctionnaire travaillait depuis le 15 septembre 2001 pour l’Agence du revenu du Canada (ARC) au Centre fiscal de Summerside, à l’Île-du-Prince-Édouard (Î.-P.-É.). Au moment des événements qui ont donné lieu aux griefs, elle était agent de traitement des demandes (PM-01), au Bureau des demandes de remboursements de la TPS par les visiteurs.

[6]   Au moment de son renvoi, Mme Richard travaillait depuis 22 ans dans la fonction publique fédérale. Elle avait débuté au ministère de la Défense nationale, à Moncton, au Nouveau-Brunswick. Quand son emploi avait cessé, en 2001, à la suite de la fermeture de la base où elle travaillait, elle s’était fait offrir deux possibilités de transfert, une à Summerside et l’autre dans l’Ouest du Canada. Pour rester plus près de sa famille — à Moncton — elle avait opté pour un poste à l’ARC, à l’Île-du-Prince-Édouard.

[7]   La fonctionnaire a expliqué qu’elle a dû composer avec plusieurs traumatismes dans sa vie personnelle au cours des dix dernières années, en plus d’avoir vu sa maison détruite par un incendie en 1999 et d’avoir perdu son emploi en 2001. En 1981, elle s’était mariée avec un homme qui est devenu extrêmement agressant et contrôlant. Elle a eu deux enfants de lui, le premier pendant leur union et le second après qu’elle l’eut quitté, en 1991. Environ cinq ans après leur séparation, son ex-mari s’est suicidé chez elle.

[8]   Les deux fils de la fonctionnaire ont besoin d’une attention spéciale; ils sont maintenant âgés de 16 et 18 ans. Ils ont des problèmes de santé permanents qui exigent d’elle des efforts considérables.

[9]   La fonctionnaire est régulièrement suivie par un médecin de famille depuis son arrivée à l’Île-du-Prince-Édouard en 2001. En 2004, elle a été diagnostiquée comme souffrant d’un syndrome de stress post-traumatique (SSPT); dans une note datée du 14 décembre 2004 (pièce G-3), son médecin énumérait certains des événements susmentionnés en les disant sous-jacents à son état.

[10]   Le 13 mai 2004, la fonctionnaire a été convoquée à une réunion par Mme Gayelene Cook-Angus, directrice adjointe des Services de remboursement. À la suggestion de la direction, Mme Ann Ferrish, une représentante syndicale (la présidente de la section locale) a été invitée à cette réunion à laquelle assistait aussi Mme Nancy Darling, des Ressources humaines. La fonctionnaire s’est fait dire qu’on avait constaté de graves anomalies dans son traitement des demandes de remboursement. Elle a été informée qu’on allait enquêter là-dessus et qu’elle serait suspendue indéfiniment entre-temps. On lui a demandé son laissez-passer et ses clés de l’immeuble, puis on l’a accompagnée jusqu’à son bureau pour qu’elle puisse identifier ses affaires personnelles, en lui disant qu’on les lui enverrait plus tard.

[11]   Le 19 juillet 2004, M mes Darling et Cook-Angus ont convoqué la fonctionnaire à une seconde réunion, le lendemain 20 juillet 2004, en l’informant qu’elles avaient reçu le rapport des Affaires internes et qu’elles voulaient la rencontrer ce jour-là en compagnie de sa représentante syndicale, qui avait déjà averti Mme Richard qu’elle allait recevoir cet appel. Mme Cook-Angus a dit à Mme Richard que la réunion pourrait aboutir à des mesures disciplinaires et que ce serait une occasion pour elle d’expliquer ses actions. Ensuite, Mme Cook-Angus aurait une période de réflexion pour prendre une décision sur les conséquences disciplinaires.

[12]   À cette réunion du 20 juillet 2004, Mme Cook-Angus a expliqué les conclusions de l’enquête des Affaires internes. La fonctionnaire se serait fait payer directement ou indirectement plus de 40 000 $ sur une période de trois ans, en produisant de fausses demandes de remboursement. D’après Mme Cook-Angus, la fonctionnaire aurait semblé étonnée par le montant, mais elle n’a pas nié les faits, en disant qu’elle ne ferait aucun autre commentaire, sur les conseils de son avocat.

[13]   La fonctionnaire s’est fait dire qu’on avait remis le dossier à la police. On lui a déclaré que la réunion avec la direction n’allait porter que sur les aspects de ressources humaines de l’affaire. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle avait agi de la sorte, elle a répondu qu’elle ne le savait pas. Elle a dit qu’elle éprouvait beaucoup de stress à la maison, qu’elle consultait son médecin et qu’elle faisait une dépression nerveuse. Quand les représentants de la direction lui ont dit que la situation durait depuis 2001, elle a répondu qu’elle était en train de perdre sa maison, qu’elle avait des paiements d’hypothèque en retard et que c’était comme une maladie : elle ne pouvait pas s’arrêter. C’était pour elle une façon d’alléger les pressions financières et autres de sa vie. Ensuite, elle a expliqué comment elle avait fait pour toucher ces paiements frauduleux.

[14]   À la fin de la réunion, Mme Ferrish a déclaré qu’il y avait des circonstances atténuantes et que la fonctionnaire pourrait obtenir une note de son médecin. Mme Darling a témoigné avoir dit à Mme Richard que les mesures disciplinaires qu’on prendrait tiendraient compte de ses 22 années de service et de toutes les circonstances atténuantes. Elle a demandé à la fonctionnaire de produire la note du médecin le plus tôt possible. Il a été question du Programme d’aide aux employés (PAE). Enfin, la fonctionnaire a été informée qu’on prendrait une décision rapidement et qu’elle en serait avisée.

[15]   Une deuxième réunion a été fixée pour le 22 juillet 2004. Ce jour-là, M mes Cook-Angus, Darling et Ferrish ont tenté sans succès de joindre la fonctionnaire par téléphone; elle ne s’était pas présentée à la réunion. On a demandé à Mme Ferrish quels seraient les meilleurs moyens de faire parvenir à la fonctionnaire la lettre annonçant la décision disciplinaire de la licencier. Il a été décidé qu’on demanderait au shériff de livrer cette lettre chez elle.

[16]   Le 27 juillet 2004, le shériff a livré la lettre et confirmé le jour même qu’il l’avait fait (pièce E-4). Au début de son témoignage, la fonctionnaire a déclaré qu’elle ne se souvenait pas s’être fait livrer la lettre de cette façon. Elle pensait l’avoir reçue par le courrier. Elle a aussi expliqué que, lorsqu’elle a eu sa lettre de licenciement, elle recevait des membres de sa famille. Elle avait tout gardé secret; sa famille n’était pas au courant de sa situation. Elle avait parcouru la lettre, puisqu’elle s’y attendait, et elle l’avait rangée.

[17]   Quand on lui a demandé pourquoi elle n’avait pas présenté de grief à ce moment-là, la fonctionnaire a répondu qu’elle ne pensait pas avoir d’arguments à présenter. Elle a dit qu’elle était tout simplement abasourdie. Elle pensait qu’on aurait eu de la sympathie pour elle si elle coopérait en expliquant la situation, mais ce n’avait pas été le cas. À ce moment-là, elle a renoncé. À l’époque, elle essayait simplement de gagner sa vie. Son syndicat ne l’avait pas encouragée non plus. Elle avait été laissée sous l’impression que c’était une cause perdue.

[18]   Mme Ferrish a apporté les affaires personnelles de la fonctionnaire à sa résidence. Elle lui a offert son aide au besoin et lui a remis les notes qu’elle avait prises au cours des réunions, en lui disant : [traduction] « Si vous voulez présenter un grief, voici mes notes des réunions ». Mme Ferrish a reconnu n’avoir pas clairement dit à la fonctionnaire de présenter un grief.

[19]   La fonctionnaire a décidé de déposer ses griefs lorsqu’elle a appris que le Comité d’appel de l’assurance-emploi (CAAE) avait rejeté sa demande de prestations d’assurance-emploi le 20 décembre 2004 (pièce E-9), en raison de son inconduite (article 31 de la Loi sur l’assurance-emploi).

[20]   Sur la suggestion de son médecin, la fonctionnaire avait comparu devant le CAAE le 16 décembre 2004, en lui soumettant la lettre du médecin datée du 14 décembre 2004 exposant son diagnostic à l’appui de sa thèse. Malgré la sympathie pour l’intéressée que sa situation leur inspirait, les membres du CAAE lui ont déclaré qu’ils avaient les mains liées. Ils lui ont recommandé de présenter un grief.

[21]    Mme Richard a immédiatement communiqué avec son syndicat pour déposer les griefs, qui sont datés du 26 janvier 2005. La réponse finale aux griefs est datée du 14 avril 2005; elle soulève la question du respect du délai et déclare que les griefs avaient été présentés respectivement six et huit mois trop tard en raison du délai de présentation des griefs prescrit au paragraphe 18.10 de sa convention collective. Dans cette réponse (pièce G-5), on se prononçait aussi sur la validité des griefs : à cause de la gravité de l’inconduite de la fonctionnaire, de ses nombreuses tentatives pour cacher ses activités frauduleuses et de son refus d’expliquer son comportement, le lien de confiance était rompu; les griefs étaient donc rejetés.

[22]   Mme Darling a témoigné avoir été informée de la demande de prestations d’assurance-emploi de la fonctionnaire lorsqu’elle a reçu un appel du ministère le 21 juin 2004. Mme Edith Doherty, du bureau d’assurance-emploi, voulait des explications sur la situation de la fonctionnaire; Mme Darling lui a confirmé qu’elle avait été suspendue indéfiniment. Par la suite, elle a reçu à la fois la documentation produite pour l’audience devant le CAAE (pièce E-8) et la décision du CAEE. Cette documentation révèle que la fonctionnaire avait soumis une demande en direct de prestations d’assurance-emploi le 26 mai 2004. D’après le formulaire de demande de prestations, il semble bien aussi que l’intéressée avait consulté sa représentante syndicale au sujet de sa demande de prestations d’assurance-emploi.

Résumé de l’argumentation

Pour la fonctionnaire

[23]   Au nom de la fonctionnaire, l’agent négociateur a déclaré qu’elle n’a pas l’intention de contester le fait que les mesures disciplinaires étaient justifiées en l’espèce, si la demande de prorogation de délai devait être accueillie. Elle compte plutôt faire valoir que les mesures disciplinaires devraient être réévaluées pour tenir compte de son état de santé et d’autres facteurs en raison des importantes circonstances atténuantes. Il est particulièrement important qu’elles soient réévaluées puisque ses actions ne devraient pas être considérées comme ayant constitué de l’inconduite délibérée à son avis.

[24]   La fonctionnaire a reconnu que l’article 18 de la convention collective décrit la procédure de règlement des griefs et que le délai de présentation des griefs est précisé au paragraphe 18.10, qui se lit comme suit :

18.10   Au premier palier de la procédure, l’employé-e peut présenter un grief de la manière prescrite au paragraphe 18.05, au plus tard le vingt-cinquième (25 e) jour qui suit la date à laquelle il ou elle est notifié, oralement et par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief.

[25]   Toutefois, le paragraphe 18.21 prévoit une exception, la suivante :

18.21   L’employé-e qui néglige de présenter son grief au palier suivant dans les délais prescrits, est réputé avoir renoncé à son grief, à moins qu’il ou elle ne puisse invoquer des circonstances indépendantes de sa volonté qui l’ont empêché de respecter les délais prescrits.

[26]   Il faudrait tenir compte de cette dernière clause pour évaluer les circonstances atténuantes invoquées à l’appui de la demande de prorogation de délai.

[27]   Dès le 20 juillet 2004, la fonctionnaire a fait savoir à l’employeur qu’elle avait des problèmes de santé et des difficultés personnelles à la maison. Elle a dit que sa conduite échappait à son contrôle. Elle a aussi déclaré qu’elle était malade et qu’elle consultait son médecin de famille à cause du stress et des pressions qu’elle éprouvait dans sa vie personnelle. Selon l’agent négociateur, on ne peut que conclure, en raison du stress dont elle souffrait, d’après la description qu’en a donnée son médecin de famille avant la suspension et le licenciement, que ces dernières mesures disciplinaires ne pouvaient qu’aggraver le stress dont la fonctionnaire souffrait, en sapant encore davantage sa capacité de prendre des décisions et de penser clairement. Il faudrait tenir compte de tous ces facteurs pour déterminer la capacité de la fonctionnaire de prendre la décision de déposer un grief durant la période pertinente.

[28]   C’est seulement après avoir été informée de la décision du CAAE que la fonctionnaire a décidé de prendre des mesures. À partir de ce moment-là, elle a fait preuve de diligence pour présenter ses griefs.

[29]   Au cours de la réunion de juillet 2004, l’employeur a confirmé à la fonctionnaire qu’il tient toujours compte des circonstances médicales atténuantes lorsqu’il prend des décisions disciplinaires. Cette pratique devrait aussi prévaloir en l’espèce. L’état de santé de la fonctionnaire n’a pas été contesté à l’audience. La position du syndicat revient à dire que les actions de la fonctionnaire ne constituaient pas une inconduite délibérée, contrairement à ce que l’employeur pense.

[30]   L’agent négociateur a fait valoir que les délais prévus dans la convention collective devraient être interprétés à titre indicatif plutôt qu’injonctif. Ils ne devraient pas restreindre l’accès de la fonctionnaire à la procédure de règlement des griefs ni à l’arbitrage.

[31]   L’agent négociateur a invoqué la décision rendue dans Halfaoui c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossiers de la Commission 149-2-113 et
166-2-22201 (1992) (QL), à l’appui de son raisonnement. Bien que les circonstances aient été différentes dans cette affaire-là, il a déclaré que, lorsqu’un fonctionnaire attend une décision du CAAE (de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec (CSST), en l’occurrence), le délai de présentation des griefs devrait être prorogé pour toute la durée de ce processus d’appel.

[32]   Par conséquent, l’agent négociateur réclame que la demande de prorogation de délai du 9 juin 2005 soit accueillie. Les circonstances atténuantes ou facteurs de stress présents en l’espèce avaient sapé la capacité de la fonctionnaire de prendre une décision, au point que le paragraphe 18.21 de la convention collective s’appliquait dans son cas.

Pour l’employeur

[33]   L’employeur déclare que le délai fixé au paragraphe 18.10 de la convention collective est une limitation du droit de présenter un grief et qu’il a été reconnu comme tel. Selon lui, le libellé a été méticuleusement choisi.

[34]   Il est éminemment clair et incontestable que la fonctionnaire n’a pas présenté ses griefs dans les délais. La suspension a commencé le 13 mai 2004 et le licenciement à compter du 21 juillet 2004 lui a été annoncé le 27 juillet 2004. Les griefs ont été déposés le 26 janvier 2005. Il est incontestable aussi que le fardeau de la preuve dans une demande de prorogation de délai incombe au demandeur.

[35]   Selon l’employeur et sur la foi de Batson c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la Commission 149-2-57 (1984) (QL), le délai d’obtention d’une décision du CAAE ne peut justifier la présentation tardive d’un grief. Dans cette décision, le vice-président Jean-Maurice Cantin avait conclu que « le retard occasionné par les procédures engagées devant la Cour fédérale ne peut servir de motif valable pour justifier le fait que les griefs n’ont pu être présentés dans les délais prescrits ».

[36]   En outre, et c’est plus important encore d’après l’employeur, la jurisprudence a établi que, pour obtenir une prorogation de délai, les fonctionnaires doivent démontrer qu’ils avaient l’intention de présenter un grief avant l’expiration des délais prescrits.

[37]   Dans Wyborn c. Agence Parcs Canada, 2001 CRTFP 113, on peut lire notamment ce qui suit, au paragraphe 29 : « la Cour d’appel fédérale a conclu que la Commission n’est pas tenue de soupeser les préjudices susceptibles d’être causés suite à l’acceptation ou au rejet d’une demande de prorogation de délai lorsque la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas l’intention de déposer son grief avant l’expiration du délai ».

[38]   En outre, dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, l’arbitre de grief Mackenzie a produit une analyse de la jurisprudence citée par les parties dans cette affaire-là en établissant les critères fondamentaux suivants lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a lieu pour la Commission d’exercer le pouvoir discrétionnaire dont elle était investie par l’alinéa 63b) du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P., 1993 (l’ancien Règlement) :

- le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
- la durée du retard;
- la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;
- l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;
- les chances de succès du grief.

[39]   D’après l’employeur, la jurisprudence telle que résumée dans Schenkman (supra) a aussi établi qu’il n’est pas nécessaire de peser le préjudice causé à l’employeur eu égard à l’injustice pour le fonctionnaire une fois qu’on a déterminé qu’il n’y a pas de raison claire, logique et convaincante pour justifier le retard.

[40]   En l’espèce, ce qui est le plus important pour l’employeur, c’est le témoignage de la fonctionnaire. Elle a déclaré penser ne pas avoir d’arguments. Elle a aussi déclaré que le syndicat ne l’avait pas encouragée à présenter un grief, mais l’avait plutôt incitée à croire que sa cause était perdue d’avance.

[41]   La demande ne devrait pas être accueillie. La preuve produite par Mme Richard elle-même démontre qu’elle n’a pas eu l’intention de présenter un grief dans le délai prescrit par le paragraphe 18.10 de la convention collective. De toute évidence, elle avait décidé de ne pas déposer un grief.

[42]   Les renseignements médicaux présentés ne portent pas sur la question en jeu; ils sont invoqués pour tenter d’expliquer que la fonctionnaire était stressée à l’époque au point qu’elle ne pouvait pas présenter un grief. Pourtant, lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle n’avait pas présenté de grief à ce moment-là, elle a clairement répondu qu’elle ne croyait pas avoir d’arguments.

[43]   Ses actions révèlent aussi des contradictions. Quelques jours après avoir été suspendue, elle a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi. Lorsque sa demande a été rejetée, elle a décidé d’interjeter appel, le 9 novembre 2004. Un tel comportement est incompatible avec sa prétention qu’elle était incapable de prendre des décisions. Ce qu’elle a fait en réclamant des prestations d’assurance-emploi et en se battant pour les avoir démontre qu’elle était capable de penser clairement et d’agir. Elle a comparu devant le CAAE et défendu sa cause. Pourquoi alors n’en a-t-elle pas fait autant en se prévalant de la procédure de règlement des griefs?

[44]   Pour conclure, et conformément à Wyborn (supra), il est clair que la fonctionnaire n’avait pas encore l’intention de présenter un grief au moment où le délai prescrit a expiré. Au contraire, à l’époque, elle avait consciemment décidé de ne pas présenter un grief. Elle a changé d’idée plus tard, lorsqu’elle s’est rendu compte que, tel qu’il était, son dossier l’empêchait d’obtenir des prestations d’assurance-emploi.

[45]   Compte tenu des critères établis dans Schenkman (supra), l’employeur a fait valoir qu’un retard de six à huit mois pour présenter des griefs est important lorsqu’il s’agit de conclure si la personne intéressée a fait preuve d’une diligence raisonnable ou pas. La preuve est écrasante à savoir que la fonctionnaire avait tout simplement renoncé à présenter un grief.

[46]   Dans ces circonstances, on ne devrait pas penser à peser le préjudice eu égard à l’injustice. L’employeur a reconnu qu’il n’est pas moins en mesure de faire valoir sa thèse qu’avant, mais il a déclaré que, par principe, il est important que la disposition de la convention collective soit respectée.

[47]   Compte tenu de tous ces facteurs, l’employeur soutient que la demande devrait être rejetée.

Motifs

[48]   Avant le 1er avril 2005, le tribunal ayant compétence en matière de relations de travail sur la présente affaire était la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’ancienne CRTFP); la loi et le règlement applicables étaient la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique , L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’ancienne Loi) et le Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P., 1993 (l’ancien Règlement). Depuis le 1er avril 2005, une nouvelle Commission des relations de travail dans la fonction publique a été créée en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la nouvelle Loi) et un nouveau Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le Règlement) a été adopté.

[49]   Les parties ont été invitées à soumettre des observations sur l’applicabilité du Règlement en l’espèce. Les deux se sont dites d’avis que la demande devrait être traitée conformément à l’ancien Règlement , en vigueur à l’époque où les griefs ont été déposés, étant donné qu’ils allaient être entendus sous le régime de l’ancienne Loi .

[50]   Toutefois, comme la demande a été présentée le 9 juin 2005 à la nouvelle Commission, elle ne peut être tranchée qu’en application de son Règlement. En l’espèce, comme dans toutes les affaires dont la Commission est saisie, les règles de transition seront interprétées de façon à assurer l’équité et de manière à éviter de nuire à tous les intérêts qui peuvent avoir été créés sous le régime de l’ancienne Loi. En soi, l’alinéa 61b) du Règlement, tel qu’il s’applique en l’espèce, n’affecte pas les droits ni de la fonctionnaire, ni de l’employeur.

[51]   Cet alinéa stipule que :

Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

[...]

b)   soit par le président, à la demande d’une partie, par souci         d’équité.

[...]

[52]   En outre, sous le régime tant de l’ancien Règlement que du nouveau, la Commission dispose d’un grand pouvoir discrétionnaire pour accueillir ou rejeter une telle demande. Les principes découlant de la jurisprudence de l’ancienne Commission et celui qui est établi par le Règlement de la nouvelle ne sont pas incompatibles, mais au contraire de même nature; ils exigent l’analyse de chaque situation. En vertu de l’alinéa 63b) de l’ancien Règlement, un délai pouvait être prorogé à la demande d’une partie,

b) soit par la Commission, à la demande de l’employeur, du fonctionnaire ou de l’agent négociateur, selon les modalités que la Commission juge indiquées.

[53]   Après avoir examiné la jurisprudence, l’ancienne Commission a établi dans Schenkman (supra) cinq critères justifiant une prorogation de délai sous le régime de l’ancien Règlement . Le premier de ces critères est la justification du retard par des raisons claires, logiques et convaincantes. Le deuxième est la durée du retard, dans le but d’assurer un processus complet de présentation de la preuve ainsi que l’équité pour les deux parties. Le troisième exige la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé. Le quatrième consiste à assurer l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subirait l’employeur si la prorogation était accordée; enfin, le cinquième correspond aux chances que le grief soit accueilli.

[54]   Ces principes ont été à toutes fins utiles résumés dans l’alinéa 61b) du Règlement, qui stipule que le président ou un vice-président auquel le président a délégué ce pouvoir peut proroger le délai « par souci d’équité ».

[55]   Dans Wyborn ,supra, le président suppléant Giguère a déclaré que l’ancienne Commission n’avait pas toujours besoin de tenir compte de tous ces critères pour arriver à une décision : « La Commission n’est pas tenue de soupeser les préjudices susceptibles d’être causés suite à l’acceptation ou au rejet d’une demande de prorogation de délai lorsque la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas l’intention de déposer son grief avant l’expiration du délai ».

[56]   L’employeur se fonde sur ce principe pour conclure que la demande devrait être rejetée. Or, ce principe figure dans un arrêt d’un paragraphe de la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Stubbe c. Canada (Conseil du Trésor), [1994] A.C.F. 508 (mentionné dans Wyborn (supra) ). Il convient toutefois de souligner que les circonstances dans cette affaire avaient démontré que le fonctionnaire s’estimant lésé avait tenté de détourner l’attention de sa propre négligence. Même s’il avait été représentant syndical pour deux syndicats et qu’il avait eu toutes les chances de présenter des griefs, il avait imputé la responsabilité de la présentation tardive de son grief à son avocat, qu’il n’avait même pas su nommer. La Cour d’appel fédérale avait expressément souligné ces circonstances très particulières dans son arrêt succinct. Ce n’est pas le cas ici.

[57]   Dans la présente affaire, la fonctionnaire a donné des raisons claires, logiques et convaincantes pour expliquer le retard. On a avancé des éléments de preuve — non contestés par l’employeur jusqu’à présent — qu’elle souffrait d’un syndrome de stress post-traumatique qui, selon son médecin, [traduction] « aurait été responsable de la “ situation ” dans laquelle elle s’était trouvée après avoir été renvoyée de son travail pour inconduite » (pièce G-3). Mme Richard devra établir que sa situation était attribuable à ce facteur dans toute autre procédure devant la Commission, mais, pour les fins de la présente affaire, je conclus que son état de santé était un facteur dont il faudrait tenir compte pour trancher la demande.

[58]   La preuve a révélé que ce n’est que grâce à l’intervention de tierces parties comme son médecin et les membres du CAAE que la fonctionnaire a pu évaluer de façon plus objective les motifs qu’elle avait pour contester son licenciement. En outre, ce n’est qu’avec le temps — et lorsqu’elle a dû faire face aux conséquences de sa décision de ne pas présenter de grief — qu’elle s’est rendu compte des conséquences de cette décision. C’est alors seulement qu’elle a compris qu’elle pourrait avoir des raisons pour contester les mesures disciplinaires. Jusque-là, elle se fondait sur le fait qu’elle ne croyait pas à ses chances d’obtenir gain de cause dans un tel grief, ainsi que sur sa perception de l’opinion de son syndicat à cet égard. Elle avait l’impression de ne pas être soutenue par son syndicat. Je ne veux pas dire par là que la Commission devrait automatiquement accorder des prorogations de délai aux fonctionnaires s’estimant lésés lorsqu’ils apprennent que, contrairement à ce qu’ils croyaient, ils ont des motifs pour présenter un grief. Toutefois, en l’espèce, l’intéressée était déjà émotionnellement fragile pour diverses raisons, et son licenciement, combiné avec le fait que le syndicat ne l’encourageait pas à présenter un grief, est un facteur dont je dois tenir compte dans ma décision sur sa demande.

[59]   Je ne crois pas que le fait que la fonctionnaire a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi le 26 mai 2004 est incompatible avec ma décision. Elle a fait ce que n’importe qui d’autre aurait fait à ce moment-là dans sa situation. Elle avait besoin d’un autre revenu et pensait avoir droit à des prestations d’assurance-emploi. Tout ce qu’elle avait à faire, c’était de présenter une demande. Après le rejet de sa demande de prestations d’assurance-emploi, elle a témoigné que c’était sur la recommandation de son médecin qu’elle en avait appelé. Son médecin lui avait remis une lettre exposant son diagnostic afin de l’aider à faire valoir sa thèse.

[60]   À partir du moment où la fonctionnaire a vu clair et qu’elle a eu l’intention de présenter un grief pour contester les mesures disciplinaires qui lui avaient été imposées, elle a agi avec diligence, depuis le 16 décembre 2004 jusqu’à ce que ses griefs aient été présentés, le 29 janvier 2005.

[61]   Bien que les délais précisés dans les conventions collectives soient précis et qu’on ne devrait pas les ignorer à la légère, comme l’ancienne Commission l’a déclaré dans Mbaegbu c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 9, chaque affaire devrait être soigneusement étudiée et tranchée en fonction de ses propres circonstances, dans une optique d’équité procédurale et de justice pour toutes les parties. L’état d’esprit de la fonctionnaire n’est qu’un des nombreux facteurs dont il faut tenir compte dans une demande comme celle-ci.

[62]   L’employeur a reconnu que le retard ne saperait pas sa capacité de faire valoir son point de vue en contestant le grief. D’un autre côté, en raison de la nature des mesures disciplinaires, le rejet de la demande aurait de graves conséquences négatives pour la fonctionnaire (Kirsch c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), dossier de la CRTFP 149-2-60 (1985) (QL)).

[63]   Dans ma démarche d’évaluation des graves conséquences pour la fonctionnaire et du préjudice que subirait l’employeur quant à sa capacité de faire valoir sa thèse devant la Commission, je conclus qu’il est justifié d’accueillir la présente demande (Brennan c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 149-2-70 (1986) (QL)). La perte de son emploi est grave pour la fonctionnaire. Le fait qu’elle avait travaillé dans la fonction publique pendant 22 ans devrait aussi entrer en ligne de compte (Anderson c. Conseil du Trésor (Revenu Canada), dossier de la CRTFP 149-2-49 (1983) (QL)).

[64]   La diligence dont la fonctionnaire a fait preuve à partir du moment où elle a pris la décision de présenter ses griefs ainsi que le peu de temps écoulé depuis l’expiration des délais en jeu (six et huit mois respectivement) sont aussi des facteurs importants (Trenholm  c. Personnel des fonds non publics des Forces canadiennes, 2005 CRTFP 65). Enfin, le fait que la fonctionnaire a donné des raisons claires, logiques et convaincantes afin d’expliquer pourquoi elle avait tardé à présenter ses griefs, à savoir son état mental et émotionnel évident à l’époque (Anderson (supra)), devrait aussi être un facteur à considérer. La demande que l’agent négociateur a présentée au nom de la fonctionnaire devrait par conséquent être accueillie, par souci d’équité.

[65]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[66]   La demande de prorogation de délai de présentation des griefs est accueillie.

[67]   Les griefs déposés le 26 janvier 2005 seront entendus à l’arbitrage à une date et un lieu fixés par la Commission.

Le 28 décembre 2005.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Sylvie Matteau,
vice-présidente

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