Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les griefs portent sur deux suspensions d’une journée pour une prétendue insubordination -- le premier grief concerne trois allégations : le fonctionnaire s’estimant lésé a envoyé une lettre à un contribuable contrairement aux instructions expresses de son superviseur, le fonctionnaire s’estimant lésé a prononcé des injures et a quitté une réunion qu’il avait avec son superviseur -- lors de l’audience du premier palier de la procédure de règlement des griefs, le fonctionnaire s’estimant lésé a produit une note sur papillon adhésif qui, selon lui, prouvait que la lettre en question avait été approuvée par son superviseur -- l’employeur a affirmé que le papillon adhésif accompagnait un autre document et a imposé au fonctionnaire s’estimant lésé une mesure disciplinaire en raison de déclaration qu’il avait faite à l’audience -- le deuxième grief porte sur cette mesure disciplinaire -- le fonctionnaire s’estimant lésé a nié avoir proféré des injures et a déclaré ne pas avoir quitté la réunion car celle-ci était terminée -- à l’arbitrage, les parties n’ont pas contesté le fait que, lorsque le superviseur a imposé la première journée de suspension, il n’avait pas le pouvoir de le faire -- le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que cette situation rendait la première suspension nulle d’emblée -- l’employeur a fait valoir que seul le bien-fondé du grief devait être déterminé -- le fonctionnaire s’estimant lésé a ajouté que l’employeur avait contrevenu à la convention collective parce qu’il n’avait pas eu recours au SRD pour tenter de régler les griefs -- l’arbitre de grief a déclaré que le recours au SRD était entièrement facultatif -- l’employeur n’était pas tenu de s’en servir; par conséquent, il ne s’agit pas d’une contravention à la convention collective -- de plus, l’arbitre de grief a conclu qu’il n’est pas tenu de statuer sur la question du pouvoir de prendre une mesure disciplinaire, mais seulement de déterminer si la mesure était justifiée dans les circonstances -- concernant le bien-fondé du premier grief, l’arbitre de grief a conclu que l’employeur était plus crédible à l’égard des deux premiers éléments du grief, mais qu’il n’était pas clair si le fonctionnaire s’estimant lésé avait << quitté >> la réunion ou si celle-ci était terminée -- la suspension d’une journée a été réduite à une réprimande écrite -- en ce qui a trait au deuxième grief, l’arbitre de grief a déterminé que les fausses déclarations du fonctionnaire s’estimant lésé lors de l’audience de premier palier constituait de la mauvaise foi -- pour cette raison, il n’existait aucun privilège durant le processus interne de règlement des griefs -- la mesure disciplinaire imposée pour fausses déclarations était justifiée et conforme aux principes des mesures disciplinaires progressives. Premier grief accueilli en partie. Deuxième grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2005-12-07
  • Dossiers:  166-34-33256
    166-34-33257
  • Référence:  2005 CRTFP 172

Devant un arbitre de grief



ENTRE

BASIL MOHAN

fonctionnaire s’estimant lésé

et

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Mohan c. Agence des douanes et du revenu du Canada

Affaire concernant des griefs renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Ian R. Mackenzie, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé : Sonia Pylyshyn, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur : Caroline Engmann, avocate, et Victoria Yankou, co-avocate


Affaire entendue à Toronto (Ontario),
les 5 et 6 avril ainsi que le 31 mai 2005.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Griefs renvoyés à l'arbitrage

[1]   Basil Mohan est vérificateur à l’Agence du revenu du Canada (ARC) (auparavant connue sous le nom d’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC)). Il est représenté par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) et assujetti à la convention collective conclue entre l’ADRC et l’IPFPC (pièce G-1). Il a présenté des griefs pour contester les deux suspensions d’une journée dont il a écopé en 2002, toutes deux pour insubordination. Le premier grief a trait à l’insubordination dont il aurait fait preuve notamment en écrivant une lettre à un contribuable contrairement aux instructions expresses de son superviseur, Peter Iannuzzi. Le fonctionnaire s’estimant lésé a pris pour position que sa lettre avait été approuvée. Quand le grief a été entendu au premier palier par Ann Mayo, la chef de section (et superviseure de M. Iannuzzi), M. Mohan a produit une copie de la lettre en question à laquelle était apposée une note autocollante prouvant — selon lui — que la missive avait été approuvée par son superviseur. L’employeur allègue que, même si cette note était rédigée de la main du superviseur, elle aurait accompagné un autre document. L’employeur a ensuite imposé une sanction disciplinaire au fonctionnaire s’estimant lésé pour l’insubordination dont il se serait rendu coupable, en se fondant sur les arguments qu’il avait fait valoir à l’audition du grief. Les griefs ont été portés à l’arbitrage le 10 février 2004. L’audience qui devait avoir lieu en décembre 2004 s’est tournée en une séance de médiation qui n’a abouti à rien.

[2]   Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l’arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (« l’ancienne Loi »).

[3]   L’employeur a réclamé une ordonnance d’exclusion des témoins. La représentante du fonctionnaire s’estimant lésé ne s’y est pas opposée. La Commission a donc accédé à cette demande et rendu l’ordonnance voulue. Caroline Engmann, l’avocate de l’employeur, a aussi demandé une ordonnance de protection des renseignements relatifs au contribuable figurant dans toutes les pièces déposées à l’audience, et la représentante du fonctionnaire s’estimant lésé, Sonia Pylyshyn, ne s’y est pas opposée non plus. Les pièces dans lesquelles figurent des noms ou des indications permettant d’identifier un contribuable ont été scellées.

[4]   Mme Pylyshyn a déclaré au début de l’audience que l’agent négociateur entendait alléguer que l’employeur ne s’était pas conformé à la convention collective, en n’ayant pas recours à la procédure de règlement des conflits à la satisfaction des parties prévue par la clause 34.02 de la convention collective.

[5]   Au cours de l’audience, M. Iannuzzi a consulté les notes qu’il avait prises au moment des incidents. Mme Pylyshyn a réclamé une ordonnance de communication de ces documents; j’y ai accédé et les notes lui ont été fournies.

[6]   L’employeur a fait comparaître deux témoins en interrogatoire principal et une autre en réplique. La représentante du fonctionnaire s’estimant lésé s’est opposée au témoignage rendu en réplique, en disant que l’employeur scindait sa thèse. J’ai répondu à cette objection dans mes motifs. Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné lui aussi, et un autre témoin a aussi comparu pour lui.

Décision préliminaire sur l’admissibilité de la preuve

[7]   Au cours du témoignage de M. Iannuzzi, Mme Pylyshyn s’est opposée à ce qu’il parle du second grief, en disant que les arguments présentés à l’audition d’un grief sont protégés par un privilège. J’ai entendu les arguments des deux parties à cet égard et rendu une décision de vive voix assortie de motifs succincts que j’étofferai plus loin.

Observations du fonctionnaire s’estimant lésé

[8]   Mme Pylyshyn a déclaré que la preuve concernant les arguments avancés à l’audition du grief était privilégiée. Elle a fait valoir que l’audience d’un grief est censée être propice à la discussion ouverte d’un règlement éventuel. Si l’employeur pouvait se fonder sur les déclarations d’un fonctionnaire s’estimant lésé pour défendre ses actions dans le contexte de la procédure de règlement des griefs, cette procédure perdrait tout son sens. On aboutirait à l’absurde puisque l’employeur qui imposerait une sanction disciplinaire au fonctionnaire en imposerait ensuite une autre s’il niait avoir commis l’action qu’on lui reprochait.

[9]   Mme Pylyshyn a soutenu que la procédure de règlement des griefs ne devrait pas devenir une source ni un tremplin pour entraîner d’autres mesures disciplinaires, faute de quoi les parties n’y auraient plus recours : Re International Association of Fire Fighters, Local 626 , v.Borough of Scarborough (1972), 24 L.A.C. 78. La raison d’être fondamentale de la procédure de règlement des griefs consiste à aboutir à un règlement ainsi qu’à rendre possible une discussion ouverte. Un arbitre de grief ne devrait donc pas lever le sceau de la confidentialité des discussions et des communications entre les parties : Re Regional Municipality of Ottawa-Carleton v . Canadian Union of Public Employees, Local 503 (1984), 14 L.A.C. (3d) 445. En outre, ce principe s’applique tout autant aux communications écrites qu’aux communications verbales : Re City of Calgary v.Canadian Union of Public Employees (1979), 22 L.A.C. (2d) 434 et ReCanadian Pacific Forest Products Ltd. v. International Woodworkers, Local 2693 (1993), 31 L.A.C. (4th) 173. Mme Pylyshyn m’a aussi renvoyé à l’arrêt Slavutych c. Baker, [1976] 1 S.C.R. 254.

Observations de l’employeur

[10]   Me Engmann a souligné que l’objection faisait fi d’une importante distinction, à savoir que le document présenté lorsque le grief a été entendu au premier palier de la procédure de règlement des griefs avait été écrit par M. Iannuzzi et non par le fonctionnaire s’estimant lésé. Elle a aussi fait valoir que le privilège applicable aux communications dans le contexte de la procédure de règlement des griefs n’était pas absolu. La déclaration que le fonctionnaire s’estimant lésé avait faite lors de l’audition de son grief était de mauvaise foi et devrait donc être admissible en preuve.

[11]   L’avocate a déclaré que j’avais le pouvoir discrétionnaire d’admettre la preuve. Selon elle, je devrais me fonder sur la raison d’être de la preuve dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire. À son avis, si je n’admettais pas la preuve, je ne m’acquitterais pas de mon mandat législatif d’examiner les points contestés. En outre, si je devais accueillir l’objection, je rejetterais les griefs, puisque je n’aurais pas d’information sur laquelle baser ma décision.

[12]   Me Engmann m’a renvoyé à la troisième édition de Canadian Labour Arbitration, de Brown et Beatty, au paragraphe 3:4340. Elle a aussi invoqué l’arrêt Slavutych, (supra), en disant que les observations contestées en l’espèce n’avaient pas été faites de bonne foi. Qui plus est, la note autocollante elle-même n’a pas été écrite en s’attendant qu’elle soit considérée comme confidentielle. Dans Re Regional Municipality of Ottawa-Carleton (supra), la commission a parlé du postulat de la confidentialité [traduction] « sauf dans des circonstances inhabituelles », et il s’agit bien en l’espèce de telles circonstances. Dans Godfrey c. Conseil du Trésor (Transports Canada),   dossier de la CRTFP 166-2-18382 (1989) (QL), l’arbitre de grief avait déclaré : « [...] il est évident [...] qu’un employé qui, en toute connaissance de cause et dans l’intention de nuire, porte des accusations fausses contre quelqu’un par l’intermédiaire de la procédure de règlement ne peut échapper aux conséquences de sa conduite en prétendant jouir d’un privilège. » Me Engmann a déclaré que c’est précisément le cas ici. En juger autrement reviendrait selon elle à permettre qu’on attaque impunément la direction, ce qui n’est pas propice à de bonnes relations de travail. M e Engmann m’a aussi renvoyé à la décision rendue dans Noël c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-2-18733 (1989) (QL), ainsi qu’à ReCalgary Board of Education (School District No. 19) v. Canadian Union of Public Employees, Local 40 (1999), 84 L.A.C. (4th) 410.

[13]   Enfin, Me Engmann a maintenu que, dans la mesure où il existerait un privilège quelconque, le fonctionnaire s’estimant lésé y a renoncé. Premièrement, la question n’a jamais été soulevée au cours de la procédure de règlement des griefs; deuxièmement, l’intéressé l’a laissée tomber à l’audience lorsque l’agent négociateur a tenté de soulever d’emblée l’idée d’un manquement distinct à la convention collective.

Observations en réplique du fonctionnaire s’estimant lésé

[14]   Mme Pylyshyn a déclaré qu’il ne s’agit pas ici d’un détail technique, mais plutôt d’une question de justice naturelle et d’équité procédurale. L’absurdité serait de laisser l’employeur imposer une sanction disciplinaire au fonctionnaire s’estimant lésé pour avoir tenté de se défendre contre les allégations dont il faisait l’objet. Elle a fait valoir que les faits dans Godfrey (supra), témoignaient d’une campagne de harcèlement contre l’employeur, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Dans Noël (supra), le fonctionnaire s’estimant lésé avait contrefait des lettres pour justifier ses congés de maladie; on ne l’a pas allégué dans cette affaire-ci.

[15]   Elle déclare aussi qu’on devrait interpréter la notion de privilège au sens large, comme dans Re International Association of Fire Fighters Local 626 (supra) et dans Godfrey (supra).

[16]   En ce qui concerne l’argument de l’employeur alléguant une renonciation au privilège, la position de l’agent négociateur au sujet du manquement à la convention collective qu’il conteste est fondée sur la preuve concernant la demande de recours à un autre mode de règlement des différends faite le 7 mars 2002 (avant le grief), dans un contexte différent de celui de la procédure de règlement des griefs.

Motifs de la décision sur l’admissibilité de la preuve

[17]   À l’audience, j’ai décidé que j’entendrais la preuve, mais que je réserverais ma décision sur son admissibilité globale ainsi que sur son poids et sur sa pertinence. J’ai souligné que le privilège correspondant à la procédure de règlement des griefs n’est pas absolu et que faire preuve de mauvaise foi dans ses arguments à l’audition d’un grief annule à mon avis le privilège protégeant les communications. La raison d’être de ce privilège dans le contexte de l’audition des griefs consiste à promouvoir de bonnes relations de travail. Or, ces bonnes relations sont basées sur la bonne foi des parties, de sorte qu’une preuve de mauvaise foi annule la raison d’être du privilège. Alléguer qu’une partie s’est rendue coupable de mauvaise foi dans la procédure de règlement des griefs est grave, et j’ai déclaré qu’il me fallait entendre la preuve avant de pouvoir arriver à une conclusion sur une allégation aussi cruciale.

[18]   J’ai entendu la preuve et conclu que les communications du fonctionnaire s’estimant lésé ne peuvent être protégées par un privilège puisqu’elles étaient trompeuses.

[19]   J’ai aussi conclu que, quoiqu’il en soit, le fonctionnaire s’estimant lésé a renoncé à tout privilège en se fondant par la suite sur le document et en déclarant devant moi que la lettre en question avait été approuvée par son superviseur. Il ne peut pas prétendre que les arguments présentés à l’audition de son grief étaient protégés par un privilège, pour éviter de subir une sanction disciplinaire, tout en reprenant les mêmes arguments à cette audience comme défense pour contester la première sanction disciplinaire qu’il a subie.

Résumé de la preuve

[20]   Le fonctionnaire s’estimant lésé est vérificateur à l’ADRC depuis une quinzaine d’années. Comme il est télétravailleur, il passe au bureau une ou deux fois par semaine pour des réunions et pour se faire confier de nouvelles tâches. M. Iannuzzi, un chef d’équipe, est son superviseur; M. Iannuzzi est un AU-5 qui fait partie de la même unité de négociation que le fonctionnaire s’estimant lésé.

[21]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait partie de l’équipe de M. Iannuzzi à partir de la fin de 2000 (il l’a quittée en juin 2003). M. Iannuzzi a témoigné que leur relation allait bien au début, mais que le fonctionnaire s’estimant lésé a commencé à ne plus coopérer cinq ou six mois plus tard. Les courriels qu’on lui envoyait restaient sans réponse pendant trois ou quatre jours; le superviseur devait lui téléphoner trois ou quatre fois avant d’obtenir une réponse. Ses fiches de présence et ses demandes de remboursement de frais de voyage étaient présentées en retard. En outre, il avait cessé d’assister aux réunions de l’équipe. En ce qui concerne les courriels et les messages laissés sur sa boîte vocale, le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné avoir eu des difficultés avec son ordinateur portable. En outre, comme il n’a qu’une ligne téléphonique chez lui, lorsqu’il travaillait en ligne, son téléphone sonnait occupé.

[22]   M. Iannuzzi a témoigné qu’un incident avait causé des difficultés dans leur relation. Le fonctionnaire s’estimant lésé s’était vu confier une vérification que M. Iannuzzi jugeait bien simple et qui n’aurait pas dû lui prendre plus que 25 à 30 heures. À la fin de la vérification, quand M. Iannuzzi a pris connaissance du dossier, il a découvert que le fonctionnaire s’estimant lésé y avait consacré 90 heures, ce qu’il a jugé excessif. Il a rédigé un rapport d’évaluation de la vérification, mais le fonctionnaire s’estimant lésé ne l’a pas signé puisqu’il n’était pas d’accord.

[23]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a lui aussi témoigné sur cette vérification. Il a déclaré que M. Iannuzzi l’avait convoqué à son bureau en août ou septembre 2001 pour lui parler d’une vérification du dossier d’un contribuable. L’intéressé avait écrit au directeur pour se plaindre que le fonctionnaire s’estimant lésé ne lui avait pas répondu; ce dernier a témoigné n’avoir jamais reçu la lettre du contribuable. Il a aussi témoigné que son ancien chef d’équipe la lui avait cachée. Il a déclaré à M. Iannuzzi qu’il allait en parler au directeur. Il a rencontré le directeur et lui a dit qu’il n’avait pas reçu la lettre. Le directeur lui a répondu qu’il allait voir ce qui en était, en confiant cette tâche à Mme Mayo, qui a téléphoné au fonctionnaire s’estimant lésé pour lui dire qu’elle voulait le voir et qu’il pouvait se faire accompagner. Le fonctionnaire s’estimant lésé est allé à cette rencontre avec son représentant syndical, Al McKie. Mme Mayo lui a demandé pourquoi il était aussi allé voir le directeur. Le fonctionnaire s’estimant lésé a expliqué avoir dit à M. Iannuzzi qu’il irait parler au directeur, que le directeur était déjà au courant du dossier et qu’il ne voulait pas être blâmé parce que son ancien chef d’équipe ne lui avait pas remis la lettre du contribuable.

[24]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a rédigé un rapport du vérificateur (pièce E-3) renfermant des commentaires sur les arguments du contribuable, y compris des allusions au fait qu’il avait lui-même consulté son représentant syndical. M. Iannuzzi lui a demandé de modifier ce rapport, notamment en supprimant plusieurs rubriques.

[25]   Après avoir rencontré M. Iannuzzi pour parler du rapport du vérificateur en question, le fonctionnaire s’estimant lésé lui a envoyé un courriel qui se lit comme suit (pièce G-6) :

[Traduction]

Pour confirmer notre discussion sur cette question, je vous signale ce qui suit :

Je rejette ce rapport pour les raisons dont j’ai discuté avec vous concernant les trois points.

Je vous ai suggéré de changer votre rapport pour y inclure la « vérité », ou pour en retirer les commentaires.

Je vous propose de prendre jusqu’à la fin de la deuxième semaine de 2002 pour rectifier le rapport.

Comme vous m’avez sèchement répondu que vous ne changeriez pas le rapport, la question pourrait être portée jusqu’aux plus hautes autorités.

Si vous comptez fêter la fin de l’année ce soir, vous pouvez danser jusqu’à vous casser les deux jambes — bonne et heureuse année.

[26]   M. Iannuzzi a répondu : [traduction] « Je vous en souhaite tout autant. »

[27]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’il demandait à M. Iannuzzi de réfléchir et qu’il voulait que ce dossier soit fermé. Il a déclaré qu’il ne souhaitait pas littéralement que son superviseur se casse les deux jambes, mais que c’était une figure de style, du genre « boire jusqu’à plus soif ».

[28]   En contre-interrogatoire, M. Iannuzzi a reconnu qu’il n’avait pas dit au fonctionnaire s’estimant lésé que ce qu’il lui avait écrit était inacceptable. Mme Mayo en a parlé avec le fonctionnaire s’estimant lésé après que M. Iannuzzi le lui eut signalé. Elle a témoigné que le fonctionnaire s’estimant lésé lui avait dit qu’il ne souhaitait pas de mal physique à M. Iannuzzi, et elle a ajouté que ce dernier avait semblé accepter cela, de sorte qu’elle considérait l’affaire comme close.

[29]   Le 22 février 2002, le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé dans la corbeille d’arrivée de M. Iannuzzi un projet de lettre à un contribuable. C’était la procédure normale pour la correspondance de tous les vérificateurs, puisque la description de poste de chef d’équipe (pièce E-1, onglet 9) précise que celui-ci doit notamment approuver la correspondance de ses subordonnés. M. Iannuzzi a pris connaissance de la lettre et écrit des commentaires dessus, y compris des modifications du libellé (pièce E-1, onglet 1). Il a témoigné avoir mis le document sur le bureau du fonctionnaire s’estimant lésé le jour même. Dans un des paragraphes de la lettre, il est écrit que l’ADRC soulignait que des copies des dernières écritures de journal du comptable et des pièces justificatives de ses honoraires avaient été demandées. M. Iannuzzi avait encerclé ce paragraphe en écrivant [traduction] « Parlons-en » dans la marge. Il a témoigné qu’on rédige un projet de lettre une fois la vérification terminée, de sorte qu’il n’était pas logique d’y inclure un paragraphe précisant que l’ADRC attendait encore d’autres renseignements.

[30]   Le 26 février 2002, le fonctionnaire s’estimant lésé s’est rendu dans le bureau de M. Iannuzzi pour parler du projet de lettre. M. Iannuzzi lui a demandé pourquoi le paragraphe en question y figurait; le fonctionnaire s’estimant lésé a répondu qu’il voulait que le contribuable sache qu’on lui avait demandé de fournir ces renseignements et qu’il n’avait pas obtempéré. M. Iannuzzi lui a dit que, s’il était encore important d’obtenir ses renseignements pour la vérification, il n’aurait pas dû rédiger un projet de lettre comme celui-là, mais plutôt envoyer au contribuable une lettre de demande péremptoire. Par contre, s’il n’avait pas besoin des renseignements pour sa vérification, il devrait laisser tomber le paragraphe. M. Iannuzzi a témoigné que, sur ce, le fonctionnaire s’estimant lésé est simplement sorti de son bureau et retourné à son poste de travail. Il a témoigné qu’il ne savait pas à quoi s’attendre du fonctionnaire s’estimant lésé, mais qu’il ne pensait certainement pas que le projet de lettre serait envoyé tel quel. Un peu plus tard, le fonctionnaire s’estimant lésé est revenu dans son bureau pour informer M. Iannuzzi que la lettre serait envoyée telle quelle, [traduction] « que vous le vouliez ou non ». M. Iannuzzi a déclaré avoir alors dit au fonctionnaire s’estimant lésé de ne pas envoyer la lettre. Le fonctionnaire s’estimant lésé est sorti de son bureau.

[31]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné que le paragraphe dont M. Iannuzzi voulait lui parler figurait dans le projet de lettre parce qu’il avait plusieurs fois parlé au contribuable au sujet des dernières écritures de journal du comptable agréé. Il voulait que ce paragraphe figure dans la lettre afin qu’elle puisse être montrée au comptable agréé pour obtenir les renseignements réclamés, étant donné que le contribuable avait de la difficulté à les obtenir de ce dernier.

[32]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré avoir parlé de la lettre avec M. Iannuzzi le 26 février 2002. M. Iannuzzi lui a demandé de changer le libellé, mais n’a pas précisé celui qu’il voulait, en le laissant plutôt en décider. Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné que M. Iannuzzi ne lui avait pas dit pourquoi il n’aimait pas le paragraphe. Il a témoigné aussi que leur rencontre avait duré à peu près une demi-heure. Il a nié avoir déclaré que la lettre serait envoyée que son superviseur le veuille ou non et nié aussi que M. Iannuzzi lui aurait dit qu’il faudrait envoyer une lettre de demande péremptoire s’il avait encore besoin des renseignements.

[33]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné avoir apporté des changements à la lettre et l’avoir déposée dans la corbeille d’arrivée de M. Iannuzzi vers la fin de l’après-midi du 26 février 2002 (pièce E-1, onglet 3). Il a déclaré avoir revu la lettre; le premier paragraphe n’avait pas été changé, comme M. Iannuzzi lui avait demandé, par inadvertance. Il a dit avoir ajouté un paragraphe sur les honoraires de consultation; il en avait déjà parlé avec M. Iannuzzi, qui était au courant du problème. Le deuxième paragraphe de la page 2 de la lettre est celui dont M. Iannuzzi avait parlé avec lui. Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné l’avoir laissé dans la lettre parce que le contribuable avait besoin de cette information pour pouvoir la communiquer à son comptable agréé. Il a témoigné avoir pris connaissance des inscriptions, en précisant toutefois qu’il n’avait pas le document où elles figuraient pour pouvoir le verser au dossier; M. Iannuzzi l’avait mis dans le plan de vérification, et il fallait la documentation nécessaire.

[34]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré s’être fait retourner la lettre le lendemain (le 27 février 2002) en disant que la note autocollante y était apposée, avec un autre document fixé avec un trombone. Ce document faisait état d’anomalies concernant la TPS (pièce G-4). M. Mohan a déclaré qu’il n’y avait rien d’écrit sur la lettre. Il a dit avoir interprété le document annexé et la note autocollante comme signifiant qu’on n’allait pas chercher plus loin concernant le problème relatif à la TPS. Comme la lettre était [traduction] « correcte », il a conclu que M. Iannuzzi l’avait approuvée et qu’il devrait donc l’envoyer.

[35]   Le 5 mars 2002, M. Iannuzzi a demandé au fonctionnaire s’estimant lésé s’il avait envoyé la lettre au contribuable. Il a témoigné que M. Mohan lui a répondu l’avoir envoyée le jour même et ajouté que, lorsqu’il lui a demandé pourquoi, l’intéressé a répondu qu’il était [traduction] « stupide » ou que c’était [traduction] « une stupidité ». Il a dit que le fonctionnaire s’estimant lésé s’exprimait parfois à voix basse, de sorte qu’il ne pouvait pas affirmer l’avoir entendu dire qu’il était stupide ou que c’était une stupidité. En contre-interrogatoire, il a témoigné n’avoir pas immédiatement informé le fonctionnaire s’estimant lésé de sa réaction à ses propos, mais plutôt attendu qu’ils se rencontrent de nouveau pour lui en parler. Pour sa part, le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné n’avoir jamais dit que M. Iannuzzi était « stupide » ou que c’était « une stupidité », et que cela ne faisait pas partie de son vocabulaire. M. Iannuzzi a demandé au fonctionnaire s’estimant lésé de lui remettre une copie de la lettre qu’il avait envoyée en ajoutant qu’il croyait ne l’avoir jamais reçue. À cette occasion, il a parlé d’autres questions avec le fonctionnaire s’estimant lésé, comme de ses feuilles de présence. Ils étaient en désaccord sur chaque point. M. Iannuzzi a aussi témoigné que le fonctionnaire s’estimant lésé avait alors mis fin à la rencontre en quittant son bureau abruptement avant qu’ils aient fini de parler de tous les problèmes.

[36]   Pour sa part, M. Mohan a témoigné que M. Iannuzzi était arrivé à son poste de travail le 5 mars 2002 en lui demandant s’il avait envoyé la lettre; il a répondu par l’affirmative. Il a déclaré que M. Iannuzzi n’a rien dit d’autre, mais est retourné dans son bureau. Il a précisé être allé au bureau de M. Iannuzzi plus tard ce matin-là pour parler d’autres dossiers, en ajoutant que leur rencontre avait duré une trentaine de minutes. Il a affirmé que M. Iannuzzi n’avait rien dit au sujet de la lettre. Il a aussi dit que la rencontre s’était terminée quand il avait fini de parler de tous les points relatifs à ses dossiers, en déclarant n’avoir pas eu de discussion sur la lettre avec M. Iannuzzi lors de cette rencontre-là.

[37]   La lettre que le fonctionnaire s’estimant lésé a envoyée (pièce E-1, onglet 3) comprenait certains des changements apportés par M. Iannuzzi, mais le paragraphe que M. Mohan s’était fait ordonner de supprimer y figurait, avec une petite modification de libellé qui n’en changeait pas la substance. En contre-interrogatoire, le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré avoir apporté autant de changements à sa lettre qu’il le jugeait raisonnable. En contre-interrogatoire, M. Iannuzzi a reconnu qu’il était possible que la lettre ait été égarée dans d’autres pièces de correspondance. En réinterrogatoire, il a témoigné qu’il prend rapidement connaissance des lettres déposées dans sa corbeille d’arrivée et qu’il n’en a jamais plus que deux ou trois à la fois.

[38]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré avoir pris connaissance du rapport de vérification concernant le contribuable en question (pièce G-5) et constaté qu’on avait soulevé des questions concernant la TPS. La pièce G-4 est un exposé détaillé des anomalies. Le fonctionnaire s’estimant lésé avait constaté une anomalie dans les remises de TPS; il l’avait soulignée dans la première ébauche de sa lettre. Il a témoigné que cette première ébauche de la lettre au contribuable n’avait pas été montrée à son chef d’équipe (pièce G-7). Les renseignements qu’il avait obtenus du système informatique sur la TPS figurent en résumé dans la pièce G-3, qu’il a bien remise à M. Iannuzzi. La valeur des anomalies constatées dans les déclarations de TPS s’élevait à quelque 13 000 $. Dans la lettre que le fonctionnaire s’estimant lésé a rédigée le 21 février 2002, il n’était pas question de la TPS, mais on pouvait lire sur une version ultérieure (pièce E-1, onglet 2) les trois lettres « GST » (TPS) écrites à la main, pour lui rappeler de réintroduire le problème concernant la TPS dans son projet de lettre si la situation changeait. Cette version de la lettre n’a pas été envoyée à M. Iannuzzi, elle non plus. Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné avoir remis la pièce G-3 à son superviseur, en disant que celui-ci lui avait déclaré qu’il y penserait.

[39]   Dans l’après-midi du 5 mars 2002, M. Iannuzzi et le fonctionnaire s’estimant lésé se sont rencontrés en présence du représentant de l’agent négociateur, Albino (Al) Lali, ainsi que d’une agente des ressources humaines de l’ADRC, Patricia Gauvreau. M. Iannuzzi a témoigné qu’on avait convoqué cette réunion pour [traduction] « établir les faits ». Il a dit qu’il voulait demander au fonctionnaire s’estimant lésé pourquoi celui-ci avait envoyé la lettre et pourquoi il persistait à s’en aller pour mettre fin aux rencontres et aux réunions. M. Iannuzzi a affirmé que le fonctionnaire s’estimant lésé lui avait dit ne rien accepter de ce qu’il lui disait. Il a témoigné que la réunion a pris fin parce que le fonctionnaire s’estimant lésé se montrait intraitable et impoli. Pour sa part, M. Mohan a témoigné que M. Iannuzzi avait commencé la réunion en lui demandant : [traduction] « Qu’est-ce qui se passe? » Il a dit avoir répondu à son superviseur que c’était lui qui avait convoqué la réunion, et qu’il était là pour écouter. Toutefois, M. Iannuzzi n’a rien dit, selon lui. M. Lali a alors déclaré que, si M. Iannuzzi ne voulait rien dire, ils n’avaient rien à faire là. À ce moment-là, le fonctionnaire s’estimant lésé et M. Lali sont sortis du bureau de M. Iannuzzi. Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné que M. Iannuzzi n’avait rien dit au sujet de la lettre. Il a aussi déclaré que, lorsqu’il a quitté la réunion, il a vu que rien n’était écrit sur le bloc-notes de Mme Gauvreau.

[40]   M. Lali avait pris des notes pendant la réunion (pièce G-8). Il a témoigné que M. Iannuzzi avait dit être mécontent du comportement du fonctionnaire s’estimant lésé, mais qu’il n’y avait pas eu de [traduction] « véritable dialogue », et que les parties étaient tombées d’accord pour mettre fin à la réunion après seulement quelques minutes. M. Lali a aussi témoigné qu’on n’avait pas demandé au fonctionnaire s’estimant lésé d’expliquer la lettre du 27 février 2002 et qu’on n’avait absolument pas parlé à cette réunion de l’incident où il aurait dit que son superviseur était stupide. Dans ses notes (pièce G-8), on peut lire que M. Iannuzzi avait demandé ce qui se passait et que le fonctionnaire s’estimant lésé lui avait répondu : [traduction] « C’est à vous de me le dire; c’est vous qui avez convoqué la réunion. » D’après ses notes, M. Iannuzzi aurait ajouté : [traduction] « Vous savez pourquoi », puis [traduction] « Expliquez ce comportement ». Le fonctionnaire s’estimant lésé avait alors dit : [traduction] « Je n’ai rien à expliquer. Ce n’est pas moi qui a convoqué cette réunion, c’est vous. Je n’ai rien à dire. »

[41]   En réplique, Mme Gauvreau a témoigné que la réunion avait duré six ou sept minutes. Elle a dit avoir pris des notes pendant la réunion, puis tapé plus tard ce jour-là une note au dossier (pièce E-7). Après avoir rédigé le compte rendu de la réunion, elle a détruit ses notes originales. Elle a déclaré que M. Iannuzzi lui avait expliqué la raison de la réunion : c’était afin de savoir pourquoi le fonctionnaire s’estimant lésé était parti abruptement de son bureau et l’avait insulté. M. Iannuzzi avait dit au fonctionnaire s’estimant lésé qu’il envisageait de prendre des mesures disciplinaires, et que c’était pour lui une occasion de s’expliquer. Elle a ajouté que le fonctionnaire s’estimant lésé avait commencé par ne manifester aucune réaction et qu’il avait fini par déclarer n’avoir rien à dire. D’après ses notes, le fonctionnaire s’estimant lésé aurait alors déclaré qu’il n’acceptait rien de ce que M. Iannuzzi avait avancé à la réunion. On pouvait aussi y lire que le fonctionnaire s’estimant lésé avait déclaré qu’il existait [traduction] « d’autres problèmes » et qu’il avait demandé deux fois à rencontrer Mme Mayo pour en parler, mais qu’il ne l’avait pas encore vue.

[42]   Le 7 mars 2002, le fonctionnaire s’estimant lésé s’est fait remettre un avis de mesures disciplinaires signé par M. Iannuzzi pour avoir refusé de se conformer à ses instructions au sujet de la lettre au contribuable est pour s’être mal conduit à la réunion du 5 mars 2002 (pièce E-1, onglet 5). Les deux incidents étaient qualifiés d’insubordination, et M. Mohan a écopé d’une suspension d’une journée. À la rencontre où cet avis lui a été remis (le 7 mars 2002), M. Iannuzzi l’a lu au fonctionnaire s’estimant lésé en lui demandant de le signer, mais ce dernier a refusé de signer l’accusé de réception; il a déclaré qu’on ne lui avait pas demandé ses commentaires et qu’on ne lui avait pas donné la possibilité de réagir. En contre-interrogatoire, M. Iannuzzi a reconnu que la lettre disciplinaire avait déjà été rédigée, qu’il n’avait pas posé de questions au fonctionnaire s’estimant lésé et que ce dernier n’avait pas eu la possibilité de réagir.

[43]   Le 11 mars 2002, M. Iannuzzi a de nouveau rencontré le fonctionnaire s’estimant lésé, cette fois-là pour lui parler de son rendement. Le représentant syndical du fonctionnaire s’estimant lésé, Ted Dunston, était présent à cette occasion. Les instructions que M. Iannuzzi a données à l’intéressé lors de cette rencontre consistaient notamment à l’informer que toutes les lettres ou la correspondance à l’intention des clients devaient être approuvées par le chef d’équipe et que le fonctionnaire s’estimant lésé devait se conformer à toutes les instructions que celui-ci lui donnerait (le compte rendu de la rencontre figure à la pièce E-1, onglet 12).

[44]   Le fonctionnaire s’estimant lésé s’est présenté le 22 mai à une séance avec Mme Mayo, en compagnie de son représentant syndical. À la séance d’audition du grief, il a produit une copie de la lettre qu’il avait envoyée au contribuable accompagnée d’une note autocollante jaune signée par M. Iannuzzi et datée du 27 février 2002 (pièce E-1, onglet 3), où l’on peut lire ce qui suit :

[Traduction]

Si vous découvrez d’autres problèmes au cours de votre vérification, nous renverrons ce dossier et les autres à la TPS.

Si vous ne trouvez pas d’autres problèmes concernant la TPS, nous devrions accepter les explications jointes; il ne restera plus rien d’autre à faire.

[45]   M. Iannuzzi a témoigné que la note autocollante en question était de sa main, mais qu’elle devait s’appliquer à un autre dossier. La lettre envoyée au contribuable ne faisait pas état de problèmes concernant la TPS. M. Iannuzzi a témoigné que le fonctionnaire s’estimant lésé avait deux ou trois lettres à faire approuver ce jour-là et qu’il est possible que la note autocollante ait porté sur l’une d’elles. Il n’a jamais pu découvrir sur quelle lettre elle aurait pu être collée. Il a aussi témoigné que cette note ne signifiait pas qu’il approuvait la lettre, à son avis.

[46]   En contre-interrogatoire, M. Iannuzzi a reconnu qu’il était possible que le fonctionnaire s’estimant lésé ait soulevé des problèmes concernant la TPS dans le dossier, mais il a dit ne pas s’en souvenir. Il a témoigné que le contribuable avait donné une explication pour justifier les anomalies relatives à la TPS, qui n’étaient pas bien graves. En contre-interrogatoire, Mme Mayo a témoigné qu’il était possible que la note autocollante ait été apposée sur la pièce G-4.

[47]   L’avis de mesures disciplinaires (pièce E-1, onglet 5) a été signé par Mme Mayo le 31 mai 2002; il stipulait une suspension d’une journée. Mme Mayo y déclarait que la direction était convaincue que le fonctionnaire s’estimant lésé avait menti en disant que la lettre avait été approuvée, afin de saper l’autorité de M. Iannuzzi; c’était une conduite incompatible avec les valeurs de professionnalisme et d’intégrité de l’ADRC, ce qui constituait par conséquent de l’insubordination.

[48]   D’après l’instrument de délégation de l’ADRC, M. Iannuzzi est investi du pouvoir délégué de faire des réprimandes verbales et écrites. Seuls les chefs d’équipe exclus ont le pouvoir délégué d’imposer des suspensions (pièce E-1, onglet 7). M. Iannuzzi a témoigné qu’il avait le pouvoir délégué d’imposer la mesure disciplinaire en question. Quand on lui a montré l’instrument de délégation, au cours de son interrogatoire principal, il a dit qu’on ne l’en avait pas informé et que la question n’avait pas été soulevée par le fonctionnaire s’estimant lésé, ni par son représentant syndical. En contre-interrogatoire, il a déclaré que Mme Gauvreau l’avait assuré qu’il avait le pouvoir d’imposer des sanctions disciplinaires.

[49]   La convention collective (pièce G-1) prévoit un mode officieux de règlement des conflits entre les employés et leurs superviseurs :

ARTICLE 34

PROCÉDURE DE RÈGLEMENT DES GRIEFS

34.01 Les parties reconnaissent l’utilité d’une explication officieuse entre les employés et leurs superviseurs de façon à résoudre les problèmes sans avoir recours à un grief officiel. Lorsqu’un employé annonce, dans les délais prescrits dans la clause 34.08, qu’il désire se prévaloir de la présente clause, il est entendu que la période couvrant l’explication initiale jusqu’à la réponse finale ne doit pas être comptée comme comprise dans les délais prescrits lors d’un grief.

[ ... ]

[50]   Dans son grief contestant la première suspension, le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il protestait contre [traduction] « le fait qu’on [n’avait] pas eu recours à l’approche du règlement des conflits à la satisfaction des parties, incluant la médiation ». Dans son second grief, il réclamait que [traduction] « le mode de règlement extrajudiciaire des conflits et la médiation soient renforcés en tant que premier choix et choix optimal pour le règlement des conflits, conformément à la politique de l’ADRC. » Dans la réponse au premier grief au dernier palier de la procédure, le commissaire adjoint D.G.J. Tucker a déclaré être convaincu que la direction avait dûment pesé la demande du fonctionnaire s’estimant lésé qu’on ait recours à l’approche à la satisfaction des parties pour régler le conflit, mais conclu qu’elle n’était pas appropriée dans les circonstances.

[51]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’il croyait que cette approche-là aurait pu être utile pour régler le grief contestant la première mesure disciplinaire, puisqu’il estimait qu’une discussion face à face aurait réglé d’autres problèmes. En contre-interrogatoire, M. Iannuzzi a témoigné que c’était lui qui avait décidé de ne pas utiliser le système de règlement des conflits, puisqu’il estimait qu’il n’était pas approprié dans ce cas-là. Il a aussi témoigné avoir été conseillé par Mme Gauvreau.

[52]   En contre-interrogatoire, le fonctionnaire s’estimant lésé s’est fait demander s’il avait qualifié M. Iannuzzi [traduction] « d’idiot » pendant une pause de l’audience. Il a nié l’avoir fait. En contre-interrogatoire, M. Lali a témoigné que le fonctionnaire s’estimant lésé avait parlé [traduction] « d’idiotie » ou [traduction] « d’idiot » au cours d’une pause de l’audience, la veille.

Résumé de l’argumentation

Pour l’employeur

[53]   Les observations de l’employeur ont été présentées par les deux avocates.

[54]   L’avocate n’a pas présenté d’autres observations sur la question de privilège concernant la seconde suspension, mais s’est fondée sur ce qu’elle avait déjà fait valoir à cet égard. Elle m’a renvoyé à la définition de la « mauvaise foi » dans le Black’s Law Dictionary, 6e édition, 1990.

[55]   L’avocate de l’employeur a souligné que le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté deux griefs différents pour contester deux suspensions d’une journée différentes dont il a écopé pour deux cas d’insubordination différents. Elle a déclaré que la preuve démontre clairement son inconduite à deux reprises. La première fois, il a désobéi à un ordre clair. La deuxième fois, il a tenté de saper l’autorité de son superviseur en tenant de mauvaise foi des propos trompeurs. M. Iannuzzi est investi de l’autorité de superviser le fonctionnaire s’estimant lésé, ce qui inclut sa responsabilité d’approuver la correspondance que celui-ci rédige à l’intention des contribuables, et c’est clairement précisé dans sa description de poste (pièce E-1, onglet 9). Son rôle d’examen pour approbation de la correspondance à l’intention des contribuables est une pratique normalisée, Mme Mayo l’a confirmé. L’instruction qu’il a donnée au fonctionnaire s’estimant lésé au sujet de la lettre en question était tout à fait légitime dans l’exercice de son autorité de chef d’équipe.

[56]   L’avocate a dit que la relation professionnelle entre le fonctionnaire s’estimant lésé et M. Iannuzzi était bonne au début, mais que le fonctionnaire s’estimant lésé avait commencé à cesser de coopérer après avoir passé quatre ou cinq mois dans l’équipe. Elle a soutenu que la tension semblait s’être manifestée d’abord quand M. Iannuzzi lui avait confié un dossier bien simple qui aurait dû lui demander de 25 à 30 heures de travail, mais qu’il avait mis 90 heures à traiter. Elle a aussi déclaré que la communication est importante pour les télétravailleurs et qu’il est crucial qu’ils répondent aux courriels ainsi qu’aux messages téléphoniques et qu’ils assistent aux réunions du personnel. Or, le fonctionnaire s’estimant lésé assistait à très peu de réunions et persistait à refuser de répondre aux messages qu’on lui laissait par courriel et dans sa boîte vocale.

[57]   L’avocate a souligné que les inscriptions que M. Iannuzzi y avait écrites, y compris celle enjoignant au fonctionnaire s’estimant lésé de lui en parler, figuraient bel et bien sur la lettre en question (pièce E-1, onglet 1). Quand les deux hommes ont eu leur discussion sur la lettre, M. Iannuzzi a donné à M. Mohan l’ordre direct de supprimer le paragraphe en déclarant que, s’il n’avait pas besoin des renseignements, il devrait le laisser tomber. Par contre, s’il avait besoin des renseignements, il serait préférable d’envoyer au contribuable une lettre de demande péremptoire pour les obtenir. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas supprimé le paragraphe; il l’a modifié, et ce n’est pas ce que son superviseur lui avait dit de faire. S’il avait le moindre doute quant à la clarté des instructions de son superviseur, le fonctionnaire s’estimant lésé aurait dû lui en parler; il aurait dû retourner le voir avec la lettre, mais rien dans la preuve n’indique qu’il l’ait fait. M. Iannuzzi lui avait enjoint de ne pas envoyer la lettre, mais il a désobéi à cet ordre et l’a envoyée sans supprimer le paragraphe répréhensible.

[58]   L’avocate a dit que le fonctionnaire s’estimant lésé s’est fait offrir la possibilité de participer à des discussions pour savoir ce qui n’allait pas à la réunion convoquée pour établir les faits, le 5 mars 2002. Aucun véritable dialogue n’était possible. Son superviseur a créé les conditions propices à une discussion à bâtons rompus, mais le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’est pas prévalu de cette possibilité. Il savait très bien ce qui se passait, et c’était là sa chance d’en parler franchement.

[59]   En ce qui concerne la seconde mesure disciplinaire, M. Iannuzzi a reconnu que la lettre dont il s’agissait pouvait porter sur des problèmes de TPS et que le fonctionnaire s’estimant lésé travaillait sur des problèmes de ce genre dans le dossier du contribuable intéressé, mais la lettre en question n’a rien à voir avec la TPS, que ce soit sous forme d’ébauche ou sous sa forme définitive. D’après le Rapport de vérification final (pièce G-5), on se penchait séparément sur les problèmes concernant la TPS. Mme Mayo a témoigné sur les raisons pour lesquelles elle avait conclu que la note autocollante n’était pas plausible et, partant, jugé que le fonctionnaire s’estimant lésé s’était rendu coupable d’inconduite. L’avocate de l’employeur a soutenu que, en invoquant cette note, le fonctionnaire s’estimant lésé avait commis de la fausse représentation grave pour la seule raison qu’il voulait saper l’autorité de M. Iannuzzi. Par ailleurs, Mme Mayo a témoigné que la note aurait pu être apposée à la pièce G-4.

[60]   L’avocate a affirmé que je devrais tirer une inférence défavorable du fait que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas introduit en preuve les notes que M. Iannuzzi avait prises au moment de leurs rencontres : cela confirme que la mémoire du superviseur était fiable.

[61]   Elle a fait valoir que, lors de la rencontre, le fonctionnaire s’estimant lésé s’était exprimé de façon inacceptable en disant que M. Iannuzzi était stupide, ou en l’accusant de stupidité. Le témoignage du fonctionnaire s’estimant lésé n’est tout simplement pas crédible. Le courriel (pièce G-6) montre bien le ton de ses communications. En outre, Mme Mayo a témoigné que le fonctionnaire s’estimant lésé avait tendance à ne pas suivre la filière prescrite quand il avait des problèmes. Il est très vraisemblable qu’il ait fait les commentaires qu’on lui reproche, et il faut donner la préférence à la version de M. Iannuzzi. Pourquoi aurait-il inventé une telle histoire? À l’audience, pendant une pause, M. Iannuzzi a entendu le fonctionnaire s’estimant lésé parler [traduction] « d’idiotie », ce qui témoigne de son manque de respect. M. Lali a confirmé qu’un mot comme celui-là avait été prononcé.

[62]   Compte tenu de toute la preuve, l’avocate de l’employeur a déclaré que je devrais juger que les deux cas d’insubordination que l’on reproche au fonctionnaire s’estimant lésé ont bel et bien eu lieu, que son comportement était inacceptable et qu’il justifiait une forme de réprimande par ses supérieurs.

[63]   Elle a aussi réfuté l’allégation de l’agent négociateur dénonçant un manquement à la clause 34.01 de la convention collective. La position de l’employeur est que le mécanisme officieux de règlement n’était pas la bonne approche compte tenu de la nature du conflit. À la réunion du 5 mars 2002, le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’était pas montré disposé à parler des problèmes avec son superviseur. Pourtant, le mécanisme officieux part du postulat que les deux parties sont prêtes à dialoguer. Il s’ensuit que la décision de l’employeur   de ne pas avoir recours à cette approche était raisonnable. L’avocate fait aussi valoir que l’agent négociateur n’avait présenté aucune demande en bonne et due forme de recours fondé sur cette clause. La première demande en ce sens a été faite à l’audience. Par conséquent, la condition préalable à l’application de la clause 34.01 n’a pas été respectée.

[64]   L’avocate de l’employeur a soutenu en outre que, même si cette partie du grief était admissible devant moi, l’employeur n’aurait pas manqué à cette clause, une disposition de portée générale sur la reconnaissance des valeurs qui n’impose à l’employeur aucune obligation d’entreprendre de telles discussions. À cet égard, elle m’a renvoyé à Canadian Labour Arbitration (supra), au paragraphe 4:2130, ainsi qu’à Re Integrated Services Northwest v. Ontario Public Service Employees Union (2004), 134 L.A.C. (4th) 441.

[65]   Elle m’a renvoyé aussi aux décisions suivantes de la CRTFP dans des affaires d’insubordination : Noel c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada), 2002 CRTFP 26; Larabie c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Gendarmerie royale du Canada), dossier de la CRTFP 166-2-18655 (1989) (QL); et Sotirakos c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2002 CRTFP 38. Elle a invoqué aussi le paragraphe 7 :3610 de Canadian Labour Arbitration (supra).

[66]   L’avocate a également traité de la position de la représentante du fonctionnaire s’estimant lésé dans sa déclaration d’ouverture, voulant que la première suspension soit nulle ab initio parce que M. Iannuzzi n’avait pas le pouvoir délégué d’imposer cette sanction disciplinaire. Elle a admis qu’il n’avait pas ce pouvoir en vertu de la délégation du pouvoir d’imposer des suspensions, bien qu’il ait eu celui d’imposer des réprimandes verbales et écrites. Elle a déclaré que j’avais compétence pour déterminer si la sanction disciplinaire était justifiée, mais pas pour décider si c’était un exercice valide du pouvoir disciplinaire de l’employeur, en invoquant les décisions suivantes : Bodnerc. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-2-21332 (1991) (QL); Dorionc.Conseil du Trésor (Solliciteur général), dossiers de la CRTFP 166-2-14806 à 14808 (1985) (QL); Procureur général du Canada c. Gauthier, [1980] 2 C.F. 393; et Veilleux c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), dossiers de la CRTFP 166-2-15247 et 15248 (1988) (QL). Subsidiairement, elle a affirmé que toutes les lacunes de la procédure disciplinaire avaient été corrigées par l’audition de novo de l’affaire devant un arbitre de grief : Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. n o 818 (QL); et Oliver c.Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 43. Subsidiairement encore, elle a soutenu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait renoncé à son droit d’invoquer cet argument parce qu’il ne l’avait pas soulevé dans le cadre de la procédure de règlement des griefs et que, même si je devais conclure que la première sanction disciplinaire était nulle ab initio, cela n’aurait aucune incidence sur la seconde : ReVS Services Ltd., Vending Services v. Teamsters Union, Local 647, 17 LAC (4th) 339.

[67]   L’avocate a déclaré que la crédibilité est d’importance critique en l’espèce, puisque les témoignages sont contradictoires. Elle m’a renvoyé à cet égard aux critères établis dans Faryna v. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (B.C.C.A.) :

[Traduction]

[...]

La crédibilité des témoins intéressés, particulièrement dans les cas où les témoignages se contredisent, ne peut être déterminée seulement en fonction du critère que le comportement personnel d’un témoin donné semblait convaincant et véridique. Il faut soumettre raisonnablement la version du témoin à l’examen de sa compatibilité avec les probabilités entourant les conditions existantes. Bref, le véritable critère déterminant de la véracité de la version d’un témoin dans une affaire comme celle-là est qu’elle doit être en harmonie avec la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et bien informée reconnaîtrait d’emblée comme étant raisonnables dans ce lieu et dans ces circonstances  [ ...]

[...]

[68]   L’avocate de l’employeur m’a renvoyé aussi au paragraphe 3:5110 de Canadian Labour Arbitration (supra), dans ce contexte; elle a déclaré que le témoignage des témoins de l’employeur devrait être préféré à celui du fonctionnaire s’estimant lésé et de son témoin en ce qui concerne les discussions entourant la lettre du 24 février 2002, la réunion du 5 mars 2002 et la note autocollante.

[69]   En ce qui concerne la sévérité des sanctions disciplinaires, l’avocate a déclaré qu’elles étaient raisonnables et appropriées et qu’il ne faudrait pas les réduire. Elle m’a renvoyé à cet égard à Hogarth c. Conseil du Trésor (Approvisionnement et Services), dossier de la CRTFP 166-2-15583 (1987) (QL); Madden c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2000 CRTFP 93; et Imperatore c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes, Accise et Impôt), dossiers de la CRTFP 149-2-169, 166-2-27963 (1998) (QL). Elle a fait valoir aussi que les sanctions imposées étaient compatibles avec la politique disciplinaire de l’employeur, qui prévoit de un à trente jours de suspension pour les cas d’insubordination, avec un minimum absolu d’une journée ou de deux jours de suspension. Dans les deux cas, l’employeur a imposé la sanction minimale. Elle a maintenu que je ne devrais pas réduire la suspension, à moins qu’elle ne soit manifestement déraisonnable dans les circonstances : Hogarth (supra),Madden (supra), et Bousquet c. Conseil du Trésor (Travaux publics Canada), dossier de la CRTFP 166-2-16316 (1987) (QL). Elle a déclaré que la suspension ne devrait pas être réduite si elle s’inscrivait dans la fourchette des sanctions disciplinaires raisonnables.

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[70]   La représentante du fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que la première suspension disciplinaire était nulle ab initio parce que M. Iannuzzi n’avait pas le pouvoir délégué de l’imposer. Elle m’a renvoyé à cet égard à la Loi sur l’Agence des douanes et du revenu du Canada , plus particulièrement au paragraphe 51(2), ainsi qu’au document sur la délégation des pouvoirs en matière de ressources humaines (pièce G-2); l’ADRC est tenue d’établir les normes de discipline et de les communiquer à l’agent négociateur (article 37). Le principe régissant les normes de discipline est que les membres de l’unité de négociation de l’agent négociateur ne peuvent pas se suspendre mutuellement. M. Iannuzzi a reconnu qu’il n’avait pas le pouvoir de suspendre le fonctionnaire s’estimant lésé; il a témoigné s’être fondé dans ce contexte sur l’avis d’une spécialiste des ressources humaines, Patricia Gauvreau. Mme Mayo a témoigné que la sanction disciplinaire avait été imposée par M. Iannuzzi et qu’il ne l’avait pas fait sur ses ordres. Il ne lui a pas demandé d’approuver la suspension, mais n’a fait qu’en parler avec elle. Le seul redressement possible en cas de manquement à la règle de la délégation de pouvoirs est que la sanction disciplinaire est nulle et non avenue. Mme Pylyshyn m’a renvoyé à Re Fort Saskatchewan General Hospital District 98 v. United Nurses of Alberta, Local 9 (1990), 12 L.A.C. (4th) 166; Peet c. Canada (Procureur général), [1996] A.C.F. n o 59 (QL); et Re Lakeland College v. Lakeland College Faculty Association (2003), 124 L.A.C. (4th) 28. En disant que je n’ai pas compétence pour me prononcer sur la délégation de pouvoir, l’employeur me demande de limiter mon pouvoir discrétionnaire. L’ancienne Loi ne limite pas la portée des points sur lesquels un fonctionnaire s’estimant lésé peut contester une décision de la direction. Il ne s’agit pas ici d’une affaire où une autre loi fédérale s’applique (comme c’était le cas dans Peet (supra). Décliner compétence laisserait le fonctionnaire s’estimant lésé sans recours. Ce qui est illégal et contraire à la Loi sur l’Agence des douanes et du revenu du Canada doit être injustifié. Comment la sanction disciplinaire pourrait-elle être raisonnable, si elle est contraire tant à la loi qu’à la politique disciplinaire de l’employeur lui-même? La représentante du fonctionnaire s’estimant lésé a établi une distinction entre les situations dans la présente affaire et dans Bodner (supra), en disant que la démission dans cette affaire-là relevait de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP ). Dans Dorion (supra), l’affaire ne pouvait pas être entendue par un arbitre de grief. Enfin, l’affaire Gauthier (supra), a été tranchée en vertu du Code canadien du travail (CCT), ce qui signifie que la norme d’examen de la sanction disciplinaire n’était pas la même qu’en vertu de la LRTFP. La représentante du fonctionnaire s’estimant lésé affirme aussi que la décision rendue dans Veilleux (supra), était tout simplement mauvaise. Qui plus est, dans cette affaire-là, la question en jeu relevait de la LEFP . Subsidiairement, elle a fait valoir que les faits étaient différents. En l’espèce, la politique disciplinaire précise clairement qui fait quoi.

[71]   L’audience d’arbitrage des griefs ne peut pas se conclure par un redressement pour la mesure disciplinaire, parce qu’elle est nulle et non avenue ab  initio. La représentante du fonctionnaire s’estimant lésé m’a renvoyé aux décisions rendues dans Re Glendale Spinning Mills (1981) Ltd. v. Amalgamated Clothing & Textile Workers Union, Local 1070-T (1988), 1 L.A.C. (4th) 353; Re Valdi Foods v. United Foods & Commercial Workers, Local 175 (1991), 19 L.A.C. (4th) 114; et Peet (supra).

[72]   Elle a aussi fait valoir que l’avocate de l’employeur avait erré en déclarant que le fonctionnaire s’estimant lésé avait renoncé à son droit de soulever la question de délégation de pouvoir. Le libellé du grief était assez général pour une contestation à ce motif. Elle m’a renvoyé aux décisions Schneidman c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2004 CRTFP 133 et Re Board of Governors of the Riverdale Hospital v. Canadian Union of Public Employees, Local 79 (2000), 93 L.A.C. (4th) 195.

[73]   Subsidiairement, l’observation du fonctionnaire s’estimant lésé était que l’employeur n’avait pas de raison d’imposer une sanction disciplinaire. La preuve ne permet pas de conclure à de l’insubordination. La version des événements que le fonctionnaire s’estimant lésé a donnée est plus logique que celle de M. Iannuzzi. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas envoyé la lettre sous sa forme originale; il lui a apporté des changements. Il a remis la lettre modifiée à M. Iannuzzi, qui la lui a retournée sans demander d’autres changements. Le fonctionnaire s’estimant lésé et M. Iannuzzi avaient parlé des problèmes concernant la TPS dans le dossier de ce contribuable. Il s’ensuit que la note autocollante était logique. Il était tout à fait logique pour le fonctionnaire s’estimant lésé de supposer que la lettre avait été approuvée. M. Iannuzzi la lui avait retournée avec des commentaires sur les problèmes concernant la TPS, mais sans demander d’autres révisions de la lettre. Il peut y avoir plusieurs explications de la façon dont la lettre a été retournée au fonctionnaire s’estimant lésé. M. Iannuzzi peut l’avoir ramassée et jointe à d’autres documents. La note autocollante était datée du 27 février 2002; par conséquent, il n’est pas difficile de s’imaginer que le document concernant la TPS aurait été retourné le même jour, puisqu’il avait trait au même dossier. Il est possible aussi que M. Iannuzzi ne se soit pas rendu compte que la lettre était différente et qu’il l’ait simplement retournée. Le fonctionnaire s’estimant lésé a vu la lettre révisée sans changement et s’est dit que M. Iannuzzi avait dû la juger correcte. Il est possible aussi que M. Iannuzzi n’ait pas remarqué le paragraphe dans la lettre, puisque la version révisée paraît très différente de l’originale. Tous ces scénarios sont possibles, et le fonctionnaire s’estimant lésé avait une bonne raison de croire que la lettre avait été approuvée.

[74]   Mme Pylyshyn a déclaré que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait aucune raison de tenter de duper l’employeur en se servant d’une note autocollante. La lettre lui était revenue de M. Iannuzzi sans qu’aucun changement n’y soit indiqué. On a accusé le fonctionnaire s’estimant lésé d’avoir menti au sujet de la note, mais nous savons que son superviseur et lui-même avaient parlé du problème concernant la TPS et qu’il s’attendait à ce que son superviseur lui en reparle. La pièce G-4 et la note autocollante ont toutes deux trait au même dossier de vérification. M. Iannuzzi a admis avoir écrit la note et admis aussi que le fonctionnaire s’estimant lésé lui avait remis le document relatif à la TPS (pièce G-4). Il a également admis qu’il y avait des anomalies concernant la TPS (pièces G-3 et G-4) et que la note autocollante portait sur le même dossier. Le document joint à la note autocollante était probablement la pièce G-4. M. Iannuzzi se rappelait la lettre, mais n’avait absolument aucun souvenir de la note autocollante. Mme Pylyshyn a déclaré qu’il était incroyable qu’il ne s’en souvienne pas et que cela prouve qu’il tenait absolument à trouver une raison pour imposer une sanction disciplinaire au fonctionnaire s’estimant lésé. M. Iannuzzi a témoigné que le fonctionnaire s’estimant lésé avait déclaré son intention d’envoyer la lettre « qu’il le veuille ou non »; pourtant, elle n’a pas été envoyée telle quelle, mais en version modifiée. M. Iannuzzi n’a pas pris immédiatement des mesures et il a attendu neuf jours avant de soulever la question de la lettre avec le fonctionnaire s’estimant lésé. Mme Pylyshyn a dit qu’un tel délai était difficile à croire.

[75]   Elle a aussi souligné que le fonctionnaire s’estimant lésé avait nié avoir traité M. Iannuzzi de « stupide » ou dit qu’il agissait stupidement. Le fonctionnaire s’estimant lésé était venu au bureau de M. Iannuzzi pour parler de dossiers avec lui, mais celui-ci ne lui a pas posé de questions sur la lettre et n’a donné aucune indication de son mécontentement. Qui plus est, M. Iannuzzi a témoigné que le fonctionnaire s’estimant lésé parlait à voix si basse qu’il n’était pas sûr de ce qu’il avait dit. À leur deuxième rencontre, celle du 5 mars 2002, M. Iannuzzi n’a pas posé de question spécifique sur la lettre et n’a pas donné de précisions sur l’allégation. Le témoignage de Mme Gauvreau n’était pas un véritable témoignage en réplique; c’était une tentative de l’employeur de scinder sa thèse. Il aurait dû présenter cette preuve dans le cadre de l’interrogatoire principal, puisqu’il aurait dû savoir qu’on ne s’entendrait pas sur ce qui s’était passé à la réunion. Subsidiairement, s’il fallait choisir entre les témoignages de M. Lali et de Mme Gauvreau, le plus digne de foi est celui de M. Lali. En effet, il a pris des notes au cours de la réunion, tandis que Mme Gauvreau a témoigné que ses notes avaient été détruites et que son compte rendu avait été rédigé après la réunion. M. Lali n’avait pas d’idées préconçues sur le conflit entre le fonctionnaire s’estimant lésé et M. Iannuzzi, tandis que Mme Gauvreau en avait parlé avec ce dernier et savait ce qu’il avait en tête. En termes de crédibilité, c’est M. Lali qui a le moins d’intérêt personnel en jeu. Mme Gauvreau est la personne qui a dit à M. Iannuzzi qu’il avait le pouvoir d’imposer une sanction disciplinaire au fonctionnaire s’estimant lésé, et elle avait une raison de minimiser les conséquences de son erreur. Mme Pylyshyn a fait valoir que le témoignage de M. Lali devrait être accepté comme véridique. M. Iannuzzi n’a pas donné de détails ni parlé de la lettre lors de la réunion; il n’a pas non plus soulevé la question de la prétendue remarque sur sa « stupidité ». Il est donc possible qu’il n’ait pas dit au fonctionnaire s’estimant lésé ce qu’il avait fait de mal. S’il avait soulevé ces questions, le fonctionnaire s’estimant lésé aurait pu dire qu’il avait modifié la lettre comme on lui avait demandé.

[76]   Mme Pylyshyn a soutenu que l’histoire du conflit entre les deux hommes montrait que M. Iannuzzi n’avait pas bien géré la situation. Cette histoire avait donné à M. Iannuzzi des raisons de qualifier le fonctionnaire s’estimant lésé de fauteur de trouble, et il cherchait des moyens de lui imposer des sanctions disciplinaires. Toute la preuve sur les conflits qu’ils avaient eus auparavant concernait des événements pour lesquels le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas écopé d’une sanction. Pour ce qui est du courriel et du passage lui souhaitant de se casser les deux jambes, M. Iannuzzi a bel et bien dit qu’il avait souhaité la même chose au fonctionnaire s’estimant lésé.

[77]   Mme Pylyshyn a aussi fait valoir que le refus catégorique de l’employeur d’envisager le recours à un autre mode de règlement des conflits est une preuve de sa mauvaise foi. Comme les deux intéressés avaient des problèmes de communication durables, cela aurait été selon elle la solution optimale.

[78]   La représentante du fonctionnaire s’estimant lésé a aussi dit que l’on ne devrait pas se servir de l’audition d’un grief comme d’un tremplin pour imposer à quelqu’un d’autres mesures disciplinaires. Elle m’a renvoyé à Godfrey (supra), à la page 30 de l’anglais, en déclarant que la communication doit vraiment être liée au grief. Dans Godfrey, le fonctionnaire s’estimant lésé se servait de la procédure de règlement des griefs pour harceler le gestionnaire. C’est entièrement différent en l’espèce, puisque le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté un grief légitime et qu’il tentait simplement d’expliquer ce qu’il croyait s’être passé. Dans Godfrey, toujours à la page 30 de l’anglais, il est écrit que les questions liées au travail soulevées de bonne foi ne sont pas admissibles. Selon Mme Pylyshyn, cela devrait être interprété largement. Si l’on pouvait imposer des sanctions disciplinaires aux fonctionnaires parce qu’ils disent des choses qui ne sont pas vraies lorsqu’on entend leurs griefs, on risquerait d’aboutir à une situation absurde dans laquelle ils seraient susceptibles d’écoper d’autres mesures disciplinaires s’ils déclarent qu’ils n’ont pas fait ce qu’on prétend qu’ils ont fait. Rien ne justifie l’argument que les renseignements en question ne devraient pas être protégés par un privilège. Il est clair que rien de ce que le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré dans ces circonstances, délibérément ou pas, ne saurait le priver du privilège auquel il a droit.

[79]   Même si j’admettais cet élément de preuve, Mme Pylyshyn a soutenu que la preuve confirme qu’il était raisonnable pour le fonctionnaire s’estimant lésé d’interpréter la note autocollante comme il l’a fait. La seconde sanction disciplinaire n’est pas justifiée par la preuve.

[80]   Mme Pylyshyn a aussi maintenu que l’employeur avait manqué à la clause 34.01 de la convention collective (pièce G-1), et que je devrais rendre une décision déclaratoire à cet effet. Elle a reconnu que le recours à la procédure informelle de règlement des conflits se faisait sur une base volontaire et que l’employeur avait le pouvoir discrétionnaire de décider d’y participer ou pas. Néanmoins, ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé d’une façon raisonnable. Or, rien dans la preuve ne montre que l’employeur ait même envisagé cette procédure. Il a agi de mauvaise foi et déraisonnablement en refusant d’envisager ce mode de règlement des conflits. L’employeur a allégué qu’il n’a pas reçu de demande formelle de discussions informelles. Pourtant, M. Dunston, le représentant du syndicat, a bel et bien demandé qu’on ait recours à la procédure formelle à la réunion disciplinaire qui a eu lieu avant le dépôt du grief.

[81]   En ce qui concerne la remarque du fonctionnaire s’estimant lésé qu’on a entendue pendant une des pauses de l’audience (au sujet de « l’idiotie »), Mme Pylyshyn a maintenu que ce n’était pas pertinent et qu’il était impossible de trancher la question faute de contexte. Elle a aussi soutenu que je ne devrais pas tirer d’inférence défavorable du fait que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas déposé les notes de M. Iannuzzi en preuve après en avoir demandé la communication. L’employeur a choisi de ne pas déposer les documents, et je pourrais tirer une inférence équivalente du fait qu’il n’a pas produit ces notes.

Arguments en réplique pour l’employeur

[82]   Me Engmann a déclaré que Mme Mayo avait eu des discussions avec M. Iannuzzi avant que la première sanction disciplinaire ne soit imposée. M. Iannuzzi ne se comportait pas comme un superviseur « franc-tireur »; il avait pris le temps de réfléchir et avait parlé du cas avec sa gestionnaire et avec les ressources humaines. Mme Mayo a souscrit à la suspension imposée dans sa réponse au premier palier de la procédure de règlement des griefs.

[83]   En ce qui concerne le témoignage de Mme Gauvreau en réplique, l’avocate a maintenu que l’employeur ne scindait pas sa thèse. Il n’avait pas été informé que l’agent négociateur estimait qu’on n’avait pas déterminé les faits. C’est seulement au cours du témoignage de M. Lali qu’il a eu sa première indication d’une contestation de la raison d’être ou de la nature de la réunion en question. L’agent négociateur n’a aucune raison qui justifie sa déclaration de mauvais goût contestant le témoignage de Mme Gauvreau.

[84]   L’avocate a déclaré qu’aucun des scénarios du fonctionnaire s’estimant lésé quant à l’approbation de la lettre n’était plausible. M. Iannuzzi ne souscrivait pas à la lettre; il avait expressément dit à l’intéressé de la modifier. En raison du caractère crucial de la lettre, M. Iannuzzi en surveillait le retour, il est donc logique de conclure qu’on ne lui a jamais renvoyée.

[85]   Rien dans la preuve ne démontre que l’employeur n’a pas envisagé d’avoir recours à la procédure officieuse de règlement des conflits.

[86]   Sur la question de la crédibilité, M. Iannuzzi ne se souvenait pas de la note autocollante. Cette note n’a pas été montrée à l’employeur en même temps que la pièce G-4, sur laquelle elle porte. Elle lui a été montrée avec la lettre du 27 février 2002. Ce n’est qu’à l’audience d’arbitrage des griefs que l’employeur a vu la pièce G-4, contrairement à ce qui avait été dit lors de la rencontre avec Mme Mayo.

Décision

[87]   Ces griefs contestent deux sanctions disciplinaires distinctes, toutes deux des suspensions d’une journée. Bien que les deux soient liées, je vais déterminer séparément si chacune est fondée ou pas.

[88]   Mme Pylyshyn a soutenu que le témoignage rendu par Mme Gauvreau en réplique ne devrait pas être admissible. Même s’il est vrai que l’employeur savait que le fonctionnaire s’estimant lésé contestait quelque chose au sujet de la réunion convoquée le 5 mars 2002 pour établir les faits, ce n’est qu’après son témoignage qu’il a entendu des allégations précises sur la présence de Mme Gauvreau à la réunion, y compris celle qu’elle n’avait pas pris de notes. Dans les circonstances, je suis convaincu que son témoignage en réplique était justifié.

[89]   L’agent négociateur s’est fondé pour étayer les griefs sur le fait que le système informel de règlement des conflits prévu dans la convention collective n’avait pas été invoqué. La raison des systèmes informels de règlement des conflits consiste à promouvoir des discussions sur les relations de travail dans lesquelles les parties s’engagent volontairement. Il n’appartient pas aux arbitres de griefs d’imposer une obligation d’avoir recours à une procédure à laquelle on doit participer volontairement. Par conséquent, je rejette la prétention de l’agent négociateur que l’employeur aurait dû avoir recours à ce système de lui-même. Mme Pylyshyn a aussi prétendu que le fait qu’il n’y avait pas eu recours était une preuve de la mauvaise foi de l’employeur. Il n’y a aucune indication de mauvaise foi de l’employeur à cet égard.

[90]   L’avocate de l’employeur m’a demandé de tirer une inférence défavorable du fait que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas déposé les notes d’un témoin de l’employeur. Bien qu’un arbitre de grief puisse tirer une telle inférence du refus d’un témoin crucial de rendre témoignage, il ne saurait étendre ce principe, en l’espèce, à la non-production de documents rédigés par ce témoin. Il peut y avoir bien des raisons pour qu’on décide de ne pas déposer un document comme pièce, et il n’est généralement pas justifié que l’arbitre de grief en tire des conclusions quelconques.

[91]   On a témoigné sur les événements qui ont mené au courriel envoyé par le fonctionnaire s’estimant lésé le 31 décembre 2001 (pièce G-6). Il n’a pas écopé d’une sanction disciplinaire pour ce courriel, de sorte que cette partie des témoignages n’est pas pertinente quant aux sanctions qui lui ont été imposées et qui font l’objet de la présente affaire. La preuve démontre effectivement que la relation entre le fonctionnaire s’estimant lésé et M. Iannuzzi n’était pas facile, mais ce n’est pas pertinent, à mon avis, puisqu’il n’y avait pas eu de sanction disciplinaire avant les deux qui nous occupent.

[92]   La position du fonctionnaire s’estimant lésé consiste à dire que la première suspension est nulle ab initio parce que M. Iannuzzi n’avait pas le pouvoir délégué nécessaire pour imposer une telle sanction disciplinaire. L’employeur ne conteste pas que M. Iannuzzi n’avait pas ce pouvoir délégué en vertu de l’instrument de délégation de l’ADRC (pièce E-1, onglet 7).

[93]   Je reconnais que le fonctionnaire s’estimant lésé peut soulever la question de la délégation de pouvoir à l’audience, puisque le libellé du grief était suffisamment général pour qu’une telle allégation soit possible. Néanmoins, cet argument n’est en définitive pas convaincant parce qu’il est établi depuis longtemps dans la jurisprudence de la Commission que l’audience d’arbitrage des griefs est une audition de novo conçue pour déterminer si l’employeur avait raison d’imposer des sanctions disciplinaires, et qu’elle n’a pas pour but de déterminer si la procédure appropriée a été respectée (voir Tipple (supra)). En outre, les directives de l’employeur ne limitent pas la compétence d’un arbitre de grief, qui n’est pas tenu de se prononcer sur la validité des sanctions disciplinaires, mais seulement sur la question de savoir si elles étaient injustifiées dans les circonstances (Champagne c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique), [1987] A.C.F. n o 906 (A.C.F.). En outre, la superviseure de M. Iannuzzi, Mme Mayo (qui avait bel et bien le pouvoir délégué nécessaire) avait été informée de sa décision d’imposer une suspension d’une journée, et elle a témoigné avoir rencontré M. Iannuzzi et en avoir parlé avec lui avant qu’elle ne soit imposée. Elle a aussi confirmé la suspension par la suite, au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. La décision d’imposer la suspension bénéficiait donc du soutien de ceux qui étaient investis du pouvoir délégué de l’imposer.

[94]   Pour se prononcer sur le bien-fondé de la sanction disciplinaire imposée au fonctionnaire s’estimant lésé, le critère applicable à l’insubordination a été établi de la façon suivante dans la jurisprudence (voir Doucette c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2003 CRTFP 66) :

  • un ordre clair a été donné, et le fonctionnaire s’estimant lésé l’a compris;
  • l’ordre a été donné par une personne en situation d’autorité;
  • le fonctionnaire s’estimant lésé a désobéi à l’ordre.

[95]   Lorsqu’on analyse les témoignages relatifs à l’existence d’un ordre, la crédibilité devient une question d’importance. Le fonctionnaire s’estimant lésé prétend que M. Iannuzzi a approuvé la lettre et se fonde sur la note autocollante. Le critère de la crédibilité établi dans Faryna v. Chorny (supra), a résisté à l’épreuve du temps, et c’est que le témoignage [traduction] « doit être en harmonie avec la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et bien informée reconnaîtrait d’emblée comme étant raisonnables en ce lieu et dans ces circonstances ».

[96]   L’ordre initial de ne pas envoyer la lettre a été clairement communiqué au fonctionnaire s’estimant lésé. Celui-ci a allégué que la lettre avait été approuvée plus tard par M. Iannuzzi, et il se fonde sur la note autocollante pour étayer son allégation, en invoquant aussi le fait que la lettre s’était retrouvée dans son casier. Je reviendrai plus loin sur la sanction disciplinaire qui lui a été imposée par suite de l’expression de cette position. Pour le moment, je dois déterminer la validité de l’explication qu’il a donnée, puisqu’elle porte sur la question fondamentale de savoir si un ordre lui avait été donné. M. Iannuzzi a témoigné qu’il n’avait jamais approuvé la lettre. J’ajoute foi à son témoignage sur ce point et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, le paragraphe même de la lettre qu’il avait signalé pour discussion et dont il avait effectivement discuté avec le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas été nettement modifié dans la version finale. Il est difficile de s’imaginer que M. Iannuzzi aurait approuvé une version de la lettre contenant le paragraphe sur lequel il avait si manifestement des réserves. Deuxièmement, le contenu de la note autocollante ne semble pas être directement lié au contenu de la lettre. Je reconnais qu’il peut fort bien y avoir eu des problèmes concernant la TPS dans le dossier du contribuable, mais il n’en est pas fait état dans la lettre elle-même. Troisièmement, le temps qu’il a fallu au fonctionnaire s’estimant lésé pour invoquer cette note autocollante comme justification de l’envoi de la lettre est suspect. Il avait eu des possibilités d’expliquer qu’il croyait avoir l’approbation nécessaire avant l’imposition de la sanction disciplinaire, voire à la rencontre disciplinaire elle-même. Même si je devais admettre qu’il n’avait pas expressément eu la possibilité de s’expliquer à la réunion lors de laquelle la sanction lui a été imposée, il a bel et bien eu des occasions de s’exprimer puisqu’il avait parlé avec M. Iannuzzi pour lui dire qu’il ne signerait pas l’avis de mesures disciplinaires. Je conclus que le témoignage de M. Iannuzzi est davantage en harmonie avec la prépondérance des probabilités.

[97]   On a aussi allégué que le fonctionnaire s’estimant lésé avait qualifié son supérieur de « stupide » ou dit qu’il avait agi avec « stupidité ». Il n’y a aucun autre témoin de cette remarque que M. Iannuzzi et le fonctionnaire s’estimant lésé lui-même. À mon avis, il n’est pas vraisemblable que M. Iannuzzi ait inventé cela. La remarque était compatible avec la teneur générale de la conversation que les deux hommes avaient eue à cette occasion ainsi qu’avec l’opinion exprimée par le fonctionnaire s’estimant lésé lorsqu’il a dit être disposé à apporter à la lettre les changements qu’il jugeait « raisonnables ». Conformément au principe de la prépondérance des probabilités, je conclus que la chose a probablement été dite. Il n’est jamais acceptable d’insulter quelqu’un dans le milieu de travail, et quand c’est un superviseur qu’on insulte, on peut être taxé d’insubordination. À mon avis, cette remarque constituait de l’insubordination de la part du fonctionnaire s’estimant lésé.

[98]   On a aussi allégué que le fonctionnaire s’estimant lésé était parti abruptement du bureau de M. Iannuzzi le 5 mars 2002. Néanmoins, on n’a pas clairement établi s’il était parti de lui-même ou si M. Iannuzzi avait mis fin à la rencontre. Cet élément d’insubordination n’a pas été prouvé d’après la prépondérance des probabilités.

[99]   Les témoignages sont contradictoires aussi en ce qui concerne la réunion de l’après-midi du 5 mars 2002. En fait, ceux de deux des personnes présentes — M. Lali et Mme Gauvreau — sont à peu près totalement opposés. Il est difficile de concilier ces deux perceptions de la réunion. La prépondérance des probabilités me fait préférer le témoignage de M. Lali. Ses notes (pièce G-8) ont été prises à ce moment-là, et sa participation au conflit entre le fonctionnaire s’estimant lésé et M. Iannuzzi était limitée. Mme Gauvreau pourrait avoir confondu des éléments de ce qui s’était passé lors de cette réunion avec ce qui était arrivé dans d’autres réunions avec M. Iannuzzi ainsi que dans la rencontre disciplinaire avec le fonctionnaire s’estimant lésé. La seule pertinence de cette réunion, en ce qui concerne les griefs, c’est qu’elle offrait au fonctionnaire s’estimant lésé la possibilité d’expliquer à M. Iannuzzi pourquoi il pensait avoir reçu l’autorisation d’envoyer la lettre. D’après la discussion qu’ils avaient eue plus tôt ce jour-là au sujet de la lettre, le fonctionnaire s’estimant lésé devait avoir une idée de l’objet de la réunion, et même si ce n’était pas le cas, il avait eu d’autres possibilités d’en parler avec M. Iannuzzi.

[100]   Pour conclure, je suis d’avis que l’envoi de la lettre au mépris des ordres explicites de M. Iannuzzi constituait de l’insubordination. Le fonctionnaire s’estimant lésé a aussi effectivement qualifié son superviseur de « stupide », et c’était aussi de l’insubordination. Par contre, la preuve n’est pas suffisamment convaincante pour que je souscrive à l’idée que le fonctionnaire s’estimant lésé avait mis fin abruptement à une rencontre avec M. Iannuzzi. Par conséquent, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur avait des raisons suffisantes pour décider que le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait preuve d’insubordination.

[101]   Je dois maintenant déterminer si la sanction disciplinaire imposée — une suspension d’une journée — était raisonnable dans les circonstances. L’audience a révélé que la relation entre le fonctionnaire s’estimant lésé et son chef d’équipe était difficile. La frustration de M. Iannuzzi était très évidente tant dans la preuve documentaire que dans son témoignage. L’existence de cette relation avant l’incident d’insubordination n’est pas pertinente pour une décision sur la justification de la gravité de la sanction imposée. Si le fonctionnaire s’estimant lésé avait reçu des réprimandes verbales ou écrites au sujet de son comportement antérieur, il y aurait dans cette affaire un élément de mesure disciplinaire progressive, mais ce n’est pas le cas. C’était la première fois que le fonctionnaire s’estimant lésé se faisait imposer une sanction disciplinaire pour sa conduite. La mesure disciplinaire appropriée pour cette insubordination aurait été une réprimande écrite.

[102]   J’ordonne par conséquent qu’une réprimande écrite soit substituée à la première suspension d’une journée.

[103]   La seconde sanction disciplinaire imposée au fonctionnaire s’estimant lésé était une suspension d’une journée pour avoir sapé l’autorité de son chef d’équipe lorsque le grief contestant la première mesure disciplinaire qui lui avait été imposée a été entendu dans la procédure de règlement des griefs. Le fonctionnaire s’estimant lésé s’est fondé sur une note autocollante apposée à une version de la lettre pour affirmer qu’il avait été bel et bien autorisé à l’envoyer (pièce E-1, onglet 3). J’ai déjà conclu que cette note n’était pas directement liée à la lettre et qu’il n’était pas crédible que le fonctionnaire s’estimant lésé se soit fié à cette note, puisqu’il ne l’avait pas immédiatement invoquée comme défense. La question que je dois trancher ici consiste à savoir si, en invoquant cette note, le fonctionnaire s’estimant lésé s’est de nouveau rendu coupable d’insubordination.

[104]   Invoquer cette note était agir de façon trompeuse. Le fonctionnaire s’estimant lésé a donné une fausse idée de ce que son chef d’équipe avait dit. Rien dans la preuve n’a démontré comment la note autocollante avait fini par être apposée sur la lettre, et le document dont elle faisait état n’a pas été découvert par l’employeur (on a dit à l’audience que la note aurait pu être collée sur la pièce G-4). Rien dans la preuve ne démontre toutefois que le fonctionnaire s’estimant lésé l’ait délibérément collée sur la lettre. La preuve n’est pas claire sur la façon dont elle s’est retrouvée sur ce document. Néanmoins, elle n’y était de toute évidence pas directement liée. Le fonctionnaire s’estimant lésé aurait dû se rendre compte qu’elle ne suffirait pas à étayer son allégation que M. Iannuzzi avait approuvé la lettre. Compte tenu de ce que M. Iannuzzi pensait de la lettre et de son témoignage que la version révisée de la lettre ne lui a pas été montrée avant d’être envoyée, je conclus aussi que cette lettre révisée ne lui a jamais été présentée. En mentant pour dire que M. Iannuzzi avait approuvé la lettre, le fonctionnaire s’estimant lésé a continué à saper son autorité, et j’estime que c’était de l’insubordination.

[105]   Je dois maintenant décider si une suspension d’une journée était raisonnable pour cette autre insubordination. Compte tenu de celle qui avait précédé, je conclus qu’il était raisonnable pour l’employeur d’imposer une suspension d’une journée, conformément au principe des mesures disciplinaires progressives.

[106]   Bref, la première suspension d’une journée est remplacée par une réprimande écrite. Le second grief est rejeté.

[107]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[108]   Le grief dans le dossier de la CRTFP 166-34-33256 est accueilli en partie; la suspension d’une journée est remplacée par une réprimande écrite, et le fonctionnaire s’estimant lésé doit être dédommagé de la perte d’une journée de traitement et de tous les avantages connexes.

[109]   Le grief dans le dossier de la CRTFP 166-34-33257 est rejeté.

Le 7 décembre 2005.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Ian R. Mackenzie,
arbitre de grief

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