Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé son grief pour licenciement à l’arbitrage en décembre 2004 - la décision au dernier palier de la procédure a été rendue en juillet 2004 - l’employeur a soulevé une objection préliminaire concernant la compétence, invoquant la prescription des délais - l’agent négociateur a demandé que l’on fasse fi du vice dans les actes de procédure - cinq facteurs ont été pris en considération pour trancher la demande de prolongation des délais -- (1) le retard était-il justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes -- (2) la durée du retard -- (3) la diligence du fonctionnaire s’estimant lésé -- (4) la prépondérance du préjudice -- (5) les possibilités que le grief soit accueilli - dans la présente affaire, qui porte sur un grief pour licenciement, la question du préjudice a obtenu le plus de poids - comme le fonctionnaire s’estimant lésé est celui qui subirait le plus grand préjudice si l’affaire était rejetée en raison de la prescription des délais, une prolongation des délais pour déposer le renvoi à l’arbitrage a été accordée. Objection relative à la compétence rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction
publique, L.R.C. 1985, ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2005-06-28
  • Dossier:  166-18-35169
  • Référence:  2005 CRTFP 65

Devant un arbitre de grief et la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

WAYNE TRENHOLM

fonctionnaire s’estimant lésé

et

PERSONNEL DES FONDS NON PUBLICS DES FORCES CANADIENNES

employeur

Répertorié
Trenholm c. Personnel des fonds non publics des Forces canadiennes

Affaire concernant un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant : Paul Love, arbitre de grief et commissaire

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Me Jack Gerow, Union des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 1518

Pour l’employeur : Margaret T.A. Shannon


Affaire entendue à Campbell River (Colombie-Britannique)
les 26 et 27 avril 2005.

Grief renvoyé à l’arbitrage

[1]   Le 17 décembre 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé à l’arbitrage un grief contestant son licenciement. Le 4 janvier 2005, l’employeur, le Personnel des fonds non publics des Forces canadiennes, 19e Escadre Comox, a demandé à la Commission de rejeter le renvoi à l’arbitrage, faute de compétence, puisque Brent Trenholm, le fonctionnaire s’estimant lésé, n’avait pas renvoyé son grief à l’arbitrage dans le délai prescrit. Les parties ont convenu qu’on commencerait, à l’audience, par entendre l’objection préliminaire de l’employeur sur la compétence de la Commission.

[2]   Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, je continue d’être saisi de ce renvoi à l’arbitrage, qui doit être traité conformément aux dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P–35 (l’ancienne LRTFP).

Résumé de la preuve

[3]   À l’audience, l’employeur a fait témoigner deux personnes : Yvonne Dixon, une gestionnaire des ressources humaines, et Brenda Dagenais, la directrice des Ressources humaines. Le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’est pas présenté et n’a donc pas témoigné. L’agent négociateur n’a pas produit de preuve, mais il a contre–interrogé les témoins et avancé des arguments.

[4]   M. Trenholm était au service de l’employeur comme préposé à plein temps (saisonnier) à l’entretien du terrain de golf Glacier Greens de la Base des Forces canadiennes Comox, en Colombie–Britannique. Durant toute la période pertinente, il était membre de l’Union des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce de la Colombie-Britannique, section locale 1518 (les TUAC ou l’agent négociateur).

[5]   Mme Dixon a été informée que M. Trenholm avait agressé Larry Pasaluko lors d’une activité sociale liée à son emploi, le 2 octobre 2003. M. Trenholm a été suspendu en attendant les résultats de l’enquête sur l’incident. Un représentant de l’agent négociateur, Wayne Vicic, a demandé à M me Dixon d’attendre pour faire son enquête au nom de l’employeur que la Gendarmerie royale du Canada ait terminé la sienne. L’employeur a accédé à cette demande de l’agent négociateur.

[6]   L’employeur a fini par convoquer une réunion disciplinaire, qui a eu lieu les 19 et 20 février 2004, sous la présidence d’un gestionnaire régional, M. R. Curren, pour entendre les versions de M. Pasaluko et M. Trenholm, ainsi que trois de leurs collègues dont aucun n’avait été témoin de l’agression. M. Curren a exposé ses constatations dans une lettre datée du 31 mars 2004 (pièce E–3) :

[Traduction]

...

Vous avez admis avoir agressé M. Pasaluko dans la soirée du 2 octobre 2003, à votre lieu de travail, comme on l’avait allégué. Bien que votre témoignage diffère de celui de M. Pasaluko quant à savoir qui a commencé l’altercation et agressé l’autre le premier, il est clair, dans vos deux témoignages non contredits, que vous avez asséné un coup de poing à M. Pasaluko et que vous avez continué, en lui donnant deux coups de poing dans la région lombaire, après qu’il eut cessé de se battre : il était recroquevillé sur le plancher en position fœtale.

Que j’accepte votre témoignage ou celui de M. Pasaluko quant à savoir comment l’altercation a commencé, je conclus de toute façon que vous l’avez clairement agressé et que vous avez usé d’une force excessive dans les circonstances. Même si je devais conclure que vous avez été provoqué, comme vous l’alléguez, ou que vous vous défendiez, comme vous l’alléguez aussi, il est légalement justifiable seulement d’user de la force physique raisonnablement nécessaire pour empêcher quelqu’un d’autre de nous agresser quand nous nous défendons. Il est clair que, dans les circonstances — vous l’avez vous–même admis — vous avez continué à vous en prendre à M. Pasaluko dans des circonstances où il n’y avait de toute évidence aucun réel danger qu’il vous agresse ou vous fasse mal. Je conclus que la force excessive avec laquelle vous avez agressé M. Pasaluko n’était pas raisonnablement justifiable....

En raison de la gravité potentielle de cette affaire et de la multiplicité des facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer la sanction disciplinaire justifiable dans ce cas–ci, je renvoie le dossier au gérant du Terrain de golf et club champêtre Glacier Greens, qui décidera quelle sanction imposer.

...

[7]   Le rapport de l’enquête laisse entendre que les relations entre les parties étaient mauvaises depuis un bout de temps. On peut y lire que M. Pasaluko avait physiquement intimidé M. Trenholm avant l’incident de l’agression, mais l’enquêteur et l’employeur estimaient quand même que la force dont le fonctionnaire s’estimant lésé avait usé n’était pas raisonnable. Il ressort clairement du rapport de l’enquêteur que les deux hommes avaient bu ce soir–là. En outre, il ne semble pas y avoir eu de témoin indépendant de l’agression alléguée appelé à témoigner devant l’enquêteur. La crédibilité — et notamment l’influence de la consommation d’alcool sur elle — peut avoir joué un certain rôle dans le processus de découverte des faits de l’enquête.

[8]   M. Trenholm a été licencié par le lieutenant-colonel Y. Bossé, officier d’administration de l’Escadre, au nom du commandant; la décision lui a été annoncée dans une lettre datée du 30 avril 2004 (pièce E–2).

[9]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté à l’employeur un grief daté du 31 mai 2004. Il est reconnu que ce grief a été déposé dans le délai prescrit à cet égard par la convention collective.

[10]   Puisqu’il s’agissait d’un grief contestant un licenciement, Mme Dixon a décidé de le traiter au troisième palier et l’a envoyé à l’administration centrale. M. John F. Geci, président et chef de la direction de la ASPFC, y a répondu comme il suit le 15 juin 2004 :

[Traduction]

...

J’ai pris connaissance de votre grief et des circonstances entourant votre congédiement. Vous avez admis à l’agent qui vous a entendu à la réunion disciplinaire que vous aviez agressé un collègue lors d’une soirée liée à votre travail. Je n’ai rien trouvé dans les faits qui puisse mitiger ou excuser votre conduite. La sanction disciplinaire était justifiée.

La violence au lieu de travail est un comportement inacceptable qui ne sera pas toléré par la ASPFC. Votre grief est donc rejeté.

[11]   L’employeur n’a pas précisément établi la date à laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé a reçu cette lettre du 15 juin 2004. Il n’y a aucune preuve de sa date de livraison. Je dois supposer que l’intéressé l’a reçue au plus tard le 22 juillet 2004, puisque c’est ce jour–là que M. Vicic a écrit à Mme Dagenais la lettre suivante :

[Traduction]

...

Nous avons reçu une lettre datée du 15 juin 2004 de John F. Geci, président et chef de la direction de la A.S.P.F.C., dans laquelle il déclare rejeter le grief de Wayne Trenholm. Par conséquent, nous irons à l’arbitrage, ce pourquoi nous avons retenu les services de l’avocat suivant :

Jack Gerow

...

Nous avons dit à M e Gerow de vous appeler et de fixer une date d’audience.

[12]   Mme Dagenais est avocate. Elle a occupé le poste de chef des relations de travail chez l’employeur avant d’être nommée directrice des Ressources humaines. Elle a déclaré que M. Vicic est un représentant d’expérience de l’agent négociateur. Cela dit, d’après sa lettre du 22 juillet 2004, il est évident que M. Vicic ne connaissait pas la procédure de renvoi d’un grief à l’arbitrage de l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique. Sa lettre semble en effet typique de la procédure habituelle d’arbitrage d’une question de relations de travail dans le secteur privé en Colombie-Britannique, alors que, dans la procédure d’arbitrage des griefs de la fonction publique fédérale, il n’est pas nécessaire que l’agent négociateur informe l’employeur par écrit qu’il entend aller à l’arbitrage — si ce n’est peut–être par courtoisie.

[13]   Mme Dagenais a déclaré avoir interprété la lettre de M. Vicic comme une communication par courtoisie d’un avocat qui l’aurait informée de son intention d’intenter une poursuite. Elle a dit que, avant que la poursuite ne soit commencée, elle n’avait pas besoin d’y répondre. Pour renvoyer un grief à l’arbitrage dans l’administration fédérale, l’agent négociateur fait parvenir à la Commission une formule 14, avec copie à l’employeur. J’accepte le témoignage de Mme Dagenais qu’elle s’attendait à ce que, si l’autre partie avait l’intention d’aller à l’arbitrage, elle déposerait une formule 14 et en enverrait copie à l’employeur.

[14]   La convention collective liant les parties a été produite en preuve (pièce 1). Elle prévoit ce qui suit pour les délais de présentation de grief.

...

17.17 L’employé qui ne présente pas son grief au palier suivant dans les délais prescrits est réputé avoir renoncé à son grief à moins que, selon l’employeur, il lui ait été impossible de respecter les délais prescrits.

17.18 Dans les cas où un employé a présenté un grief à l’un ou l’autre des paliers de la procédure, y compris le dernier, en ce qui concerne une mesure disciplinaire entraînant un congédiement, une suspension ou une sanction pécuniaire et que son grief n’a pas été réglé à sa satisfaction, il peut le présenter à l’arbitrage aux termes des dispositions de la Loi et du Règlement sur les relations de travail dans la Fonction publique.

...

[15]   L’article 76 du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P., 1993, DORS/93–348, dans sa version modifiée, DORS/96–457 (« le Règlement »), pris en vertu de l’ancienne LRTFP, établit les délais de renvoi d’un grief à l’arbitrage :

...

76.  (1) Le fonctionnaire peut renvoyer un grief à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi en déposant auprès du secrétaire un avis en double exemplaire établi selon la formule 14 de l’annexe, ainsi qu’une copie du grief qu’il a présenté à son supérieur hiérarchique immédiat ou à son chef de service local conformément aux alinéas 71(1) a ) ou b ) ou aux alinéas 71(2) a ) ou b ), au plus tard trente jours après le premier en date des jours suivants :

a) le jour où le fonctionnaire reçoit une réponse au dernier palier de la procédure applicable aux griefs;

b) le dernier jour du délai dans lequel le représentant autorisé de l’employeur est tenu selon la convention collective ou la décision arbitrale, ou selon l’article 74, de répondre au grief au dernier palier de la procédure applicable aux griefs.

...

[16]   Dans son réinterrogatoire, Mme Dagenais a déclaré s’être reportée aux notes de ses messages téléphoniques de M e Gerow avant de témoigner. À la demande du représentant de l’agent négociateur au cours du réinterrogatoire, j’ai ordonné qu’elle produise et lui remette ses notes au dossier sur les appels téléphoniques en question. L’avocate de l’employeur s’est opposée à la demande, en disant que les documents étaient protégés par le secret professionnel de l’avocat, mais sans raison valable, puisque ces notes étaient de toute évidence des documents administratifs qui n’avaient pas été rédigés sur les instructions d’un avocat ni en vue d’un litige. Les notes réclamées ont été produites, sous une forme révisée, après quoi le contre–interrogatoire et le réinterrogatoire de Mme Dagenais se sont limités à leur contenu.

[17]   Les notes et le témoignage de Mme Dagenais révèlent que M e Gerow avait communiqué avec elle le 10 septembre 2004. Dans la note qu’elle a prise au sujet de cet appel, elle précisait que M e Gerow lui avait téléphoné pour obtenir des dates d’audience. Elle a dit que, dans son message téléphonique, l’avocat déclarait qu’il voulait lui parler de la médiation ou du règlement de l’affaire et qu’elle lui avait téléphoné le même jour — ou le lendemain matin — en lui laissant le message que la procédure était établie par l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et en le renvoyant à l’article 17 de la convention collective.

[18]   Ce premier appel téléphonique de M e Gerow a eu lieu bien après l’envoi de la lettre de M. Vicic; on n’a produit en preuve aucune explication de ce long délai.

[19]   Dans ses notes, Mme Dagenais avait écrit qu’un autre représentant de l’agent négociateur, Larry Ransom, lui avait téléphoné le 21 octobre 2001 pour s’informer de la [traduction] « prochaine étape au sujet de l’audience ». Elle a déclaré avoir téléphoné à M. Ransom pour lui dire que la procédure à suivre était celle de l’ancienne LRTFP et que l’employeur n’avait pas été informé de l’intention de l’agent négociateur de renvoyer le grief à l’arbitrage.

[20]   Mme Dagenais avait aussi écrit dans ses notes que M e Gerow lui avait téléphoné le 30 novembre 2004. Elle a témoigné qu’on lui a communiqué le poste de son adjointe, Mme Stonehouse. Je souligne que Mme Dagenais a pris note de ce que Mme Stonehouse avait déclaré à M e Gerow, mais c’était manifestement du ouï–dire, et je n’accorde aucun poids à cette partie de son témoignage puisqu’il est lié à l’affaire à trancher et que sa valeur ne peut pas être établie en contre–interrogatoire.

[21]   Mme Dagenais a informé l’avocate de l’employeur de tous les appels et elle les a retournés, mais elle n’a parlé à aucun représentant de l’agent négociateur du grief de M. Trenholm. Les parties ont simplement échangé des messages téléphoniques. Compte tenu des tentatives de l’agent négociateur pour continuer de communiquer avec Mme Dagenais après l’expiration des délais, on ne saurait dire qu’il voulait renoncer au grief.

[22]   Pour renvoyer un grief à l’arbitrage, il faut faire parvenir une formule 14 à la Commission, en application de la convention collective et de l’ancienne LRTFP. Je dois souligner que, si un représentant syndical ne connaît pas bien la procédure de la Commission, il peut visiter son site Web, où l’on trouve l’information et les documents nécessaires à un tel renvoi, avec les numéros des personnes–ressources.

[23]   L’agent négociateur n’a pas fait parvenir une formule 14 à la Commission dans les 30 jours de la date à laquelle M. Trenholm a été informé de la réponse de l’employeur à son grief au dernier palier. La formule 14 a été déposée à la Commission le 17 décembre 2004, par Larry Ransom. Le paragraphe de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique sur lequel M. Trenholm fondait le renvoi de son grief à l’arbitrage n’était pas précisé. La formule aurait apparemment été signée par M. Trenholm et par M. Ransom, au nom de l’agent négociateur, le 21 septembre 2004.

[24]   Le 28 décembre 2004, M. Ransom a déposé à la Commission une seconde formule 14 précisant cette fois que le renvoi était fondé sur le sous–alinéa 92(1)b)(ii) de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Comme l’avocate de l’employeur l’a signalé, il n’invoquait pas la bonne disposition de la Loi.

[25]   Mme Dagenais a reçu copie du calendrier des audiences d’avril 2005, dont celle en question, au début de janvier, semble–t–il.

[26]   L’avocate de l’employeur a écrit à la Commission le 24 janvier 2005, dont celle en question, en déclarant que l’employeur ne savait pas que l’agent négociateur avait renvoyé le grief à l’arbitrage, qu’il n’avait pas reçu de copie du renvoi à l’arbitrage, ni d’avis, ni de copie du renvoi et qu’il n’avait pas non plus été consulté quant à la longueur de l’audience. Et elle poursuivait comme il suit :

[Traduction]

...

L’employeur tient à faire savoir à la Commission que, à la date où il a reçu le Calendrier des audiences de la CRTFP pour le mois d’avril 2005, il ne savait pas que le syndicat (la section locale 1516 des TUAC) aurait renvoyé l’affaire à l’arbitrage. Nous n’avons reçu ni avis, ni copie d’un renvoi à l’arbitrage, ni n’avons été consultés quant à la longueur de l’audience envisagée. En outre, l’employeur désire s’opposer à ce que la Commission règle l’affaire sans se conformer à la convention collective, qui stipule que tout renvoi à l’arbitrage doit être signifié dans le délai prescrit par [l’ancienne] Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. La Loi dispose qu’un renvoi à l’arbitrage doit être déposé au plus tard trente (30) jours après la date à laquelle le fonctionnaire a reçu une réponse au dernier palier de la procédure applicable au grief ou le dernier jour du délai dans lequel le représentant autorisé de l’employeur était tenu d’y répondre au dernier palier de ladite procédure, selon la première de ces éventualités.

En l’espèce, l’employeur a répondu au fonctionnaire s’estimant lésé dans une lettre datée du 15 juin 2004. Nous concluons donc, en toute déférence, que l’arbitrage de ce grief est interdit non seulement par la convention collective, mais aussi par la Loi, et, toujours en toute déférence, que la Commission n’a donc pas compétence pour l’entendre. Par conséquent, nous demandons qu’il soit retiré du rôle. À défaut, nous demandons que la présente lettre soit considérée comme une objection préliminaire à la compétence de la Commission et que cette objection soit tranchée — une fois que les parties auront eu toutes les possibilités de produire une preuve et de plaider — avant que la date de votre audience sur le fond ne soit fixée. J’attends votre réponse.

[27]   Le 5 janvier 2005, la Commission a écrit à Mme Dagenais une lettre à laquelle l’avis de renvoi du grief à l’arbitrage daté du 17 décembre 2004 était joint, avec une demande de réponse au grief. Dans cette lettre, la Commission précisait qu’elle avait fixé provisoirement une date d’audience, puisque l’affaire concernait un licenciement.

[28]   Mme Dagenais a témoigné sur la procédure de règlement des griefs. Elle a dit que les délais établis par la convention collective sont censés lier les parties. Elle a aussi déclaré qu’ils sont clairement expliqués dans l’ancienne LRTFP. Selon elle, l’employeur n’a rien d’autre à faire que répondre aux documents déposés par l’agent négociateur en vue d’un renvoi à l’arbitrage. Elle a aussi fait valoir que le Personnel des fonds non publics est assujetti à la Loi sur la défense nationale ainsi qu’à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, mais pas à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Elle a soutenu que le sous–alinéa 92(1)b)(ii) de l’ancienne LRTFP ne s’applique pas au grief, puisqu’il porte sur les licenciements visés par la Loi sur la gestion des finances publiques, qui n’est pas applicable en l’espèce.

[29]   La témoin a affirmé que les TUAC se conformaient habituellement aux délais dans leurs griefs et qu’il était inhabituel qu’il leur faille plus de cinq mois pour renvoyer un grief à l’arbitrage. Elle a dit avoir des rapports avec M. Vicic depuis plusieurs années. Même si ce dernier semble avoir été au courant de la procédure de règlement des griefs, d’après la preuve dont je suis saisi, il semble qu’il ait été accaparé par des négociations à l’automne 2004 et qu’il ne représentait donc pas M. Trenholm.

[30]   Mme Dagenais est convaincue que le délai n’était pas raisonnable. Dans une affaire difficile et chargée d’émotivité pour les témoins comme celle–ci, l’agent négociateur traitait habituellement les griefs rapidement, selon elle.

[31]   Elle a fait valoir que l’employeur subirait un préjudice si les délais étaient prolongés et que l’affaire était entendue au fond. Deux des témoins ont déménagé et un officier supérieur mêlé à l’affaire a quitté la base. On ne sait pas encore où ces témoins se trouvent. Mme Dagenais a aussi déclaré que M. Pasaluko a été diagnostiqué comme souffrant d’un syndrome de stress postraumatique, en soulignant toutefois que, à titre d’avocate, elle n’a pas qualité pour exprimer une opinion sur son état de santé. Elle a déclaré qu’il est angoissé à l’idée de devoir témoigner et qu’il craint de se retrouver à son lieu de travail avec M. Trenholm, si celui–ci réussit à faire accueillir son grief. Elle a aussi laissé entendre que M. Pasaluko a des difficultés dans son milieu de travail.

[32]   M. Pasaluko va devoir témoigner devant le tribunal quand les accusations criminelles portées contre M. Trenholm seront entendues; l’atmosphère risque d’être plus antagoniste et plus stressante là que dans une audience de la Commission, où la procédure est moins rigide. Cela dit, je suis convaincu que l’employeur pourrait s’efforcer davantage de trouver les témoins nécessaires afin que le renvoi à l’arbitrage puisse être entendu. La preuve ne précise pas clairement à quelle date ils ont quitté le lieu de travail. Je ne suis pas disposé à supposer qu’ils l’ont fait après l’expiration du délai de trente jours prescrit pour la présentation d’un grief. Ce serait pure conjecture, et je souligne qu’il a fallu six mois à l’employeur pour prendre une décision quant au licenciement de M. Trenholm, même si une partie de ce long délai était attribuable à M. Trenholm, qui avait fait reporter l’enquête de l’employeur, probablement pour éviter qu’elle ne sape sa défense au pénal.

[33]   En contre–interrogatoire, Mme Dagenais a admis qu’il n’y avait que deux conventions collectives avec la section locale 1518 pour toute l’île de Vancouver. Elle a déclaré que, depuis qu’elle est de la partie, en 1998, il n’est pas arrivé souvent que l’agent négociateur dépose des formules 14 pour renvoyer des griefs à l’arbitrage comme il se doit. Selon elle, cela se serait produit deux fois. En outre, elle a témoigné que, lorsqu’elle n’a plus rien reçu après la lettre du 22 juillet, elle a conclu que l’agent négociateur avait décidé de renoncer au grief. Elle a déclaré que le délai de renvoi du grief avait expiré le 22 juillet ou peu après.

[34]   En contre–interrogatoire, Mme Dagenais s’est fait dire qu’une demande de renvoi du grief à l’arbitrage avait été renvoyée à la Commission avant la demande déposée le 17 septembre 2004. Elle a témoigné qu’elle n’en savait rien. L’agent négociateur n’a pas produit de preuve ni de documents démontrant qu’il ait tenté de renvoyer le grief à l’arbitrage avant cette date. Il n’y a donc aucune preuve qu’il ait essayé d’en saisir la Commission avant le 17 décembre 2004.

[35]   M. Pasaluko a témoigné sur le thème du préjudice, en déclarant que le stress qu’il subit par suite de l’agression et de la longue enquête — elle se poursuit encore — le rend fou. Il a déclaré n’avoir jamais été soumis à autant de pression de toute sa vie, en ajoutant que, lorsqu’il s’était fait dire la veille que ça continuerait encore et encore, il s’était senti malade. Il a dit vouloir faire [traduction] « tout ce qu’il [faudrait] pour ne pas travailler avec lui [M. Trenholm]. Si je [devais] quitter mon emploi, je [le ferais] ».

[36]   Le 21 janvier 2005, le représentant de l’agent négociateur a envoyé à la Commission des observations écrites réclamant l’exemption des conséquences d’un vice de procédure (pièce E–8).

[37]   L’agent négociateur est disposé à représenter M. Trenholm dans une audience d’arbitrage de son grief si j’accepte de lever l’obstacle du délai non respecté. Dans ses observations, j’ai aussi appris que M. Trenholm a retiré son plaidoyer de culpabilité et qu’il va présenter une défense pour réfuter devant le tribunal les accusations d’agression de M. Pasaluko. L’agent négociateur a déclaré dans un courriel adressé à la Commission le 13 avril 2005 que, si M. Trenholm est jugé coupable à son procès, il ne le représentera pas à l’audience d’arbitrage. Il a demandé que la date d’audition de la demande de l’employeur soit reportée jusqu’à ce que le jugement du tribunal soit rendu; la Commission a rejeté cette demande.

Résumé des arguments

Pour l’employeur

[38]   L’employeur affirme que la Commission n’a pas compétence pour entendre et trancher ce grief ni même pour entendre la demande en l’espèce. Il soutient en outre que l’agent négociateur n’a pas soumis de demande de prorogation de délai, et qu’une réponse à la demande qu’il a lui–même présentée afin que la Commission rejette le renvoi faute de compétence ne constituerait pas en elle–même une prorogation du délai.

[39]   L’employeur a suspendu le fonctionnaire s’estimant lésé pendant son enquête sur les allégations d’agression qu’on l’accusait d’avoir commise le 2 octobre 2003. Il a décidé le 31 mars 2004 que M. Trenholm s’était effectivement rendu coupable d’agression et l’a licencié le 30 avril 2004. M. Trenholm ne s’est pas conformé au paragraphe 17.18 de la convention collective précisant que la procédure de règlement des griefs applicable est celle qui est établie dans l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. L’article 76 du Règlement stipule que le délai de renvoi d’un grief à l’arbitrage est de 30 jours. Or, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas envoyé ou fait envoyer de formule 14 à la Commission avant l’expiration de ce délai. L’employeur maintient qu’il n’a été informé du renvoi à l’arbitrage que le 28 décembre 2004, lorsqu’il a reçu de la Commission le calendrier des audiences d’avril 2005, où l’affaire figure au rôle. Selon lui, il est indiqué dans le document que le renvoi à l’arbitrage a été déposé le 17 décembre 2005. Il a soumis son objection contestant la compétence de la Commission aussitôt qu’il lui a été possible de le faire. L’allégation que le représentant de l’unité de négociation n’était pas au courant de la procédure de renvoi du grief à l’arbitrage et le fait qu’il a tardé à l’y renvoyer ne sont pas des excuses qui justifieraient une prorogation pour que le grief puisse être entendu par la Commission. L’agent négociateur n’a d’ailleurs pas demandé de prorogation. L’employeur fait valoir qu’instruire le grief après l’expiration du délai lui porterait préjudice, puisque des témoins essentiels ont déménagé et que la victime de l’agression ne devrait pas rester dans l’expectative. Les erreurs des avocats ou des représentants des parties ne justifient pas une prorogation de délai parce que le fonctionnaire s’estimant lésé peut se prévaloir d’autres recours, en portant plainte pour manquement au devoir de représentation juste ou en intentant une poursuite au civil pour négligence. Si la Commission décide de proroger le délai de renvoi du grief à l’arbitrage, elle devrait poser comme condition que l’employeur ne puisse pas être tenu de dédommager rétroactivement le fonctionnaire s’estimant lésé de toute perte de salaire.

[40]   L’employeur invoque les autorités et la jurisprudence suivantes :

   Brown, D.J. et Beatty, D.M., Canadian Labour Arbitration, (Aurora [Ont.]: Canada Law Book (cartable à feuilles mobiles mis à jour jusqu’en 2002), para. 2:1300; Cominco Ltd. and U.S.W.A. Local 480 (Raymond) (2000), 87 L.A.C. (4 th) 380; Air Liquide Canada Inc. and Teamsters, Local 213 (Hall) (2001), 98 L.A.C. (4 th) 230; Chambers c. Conseil du Trésor (Travaux publics Canada), dossier de la CRTFP n o 149–2–63 (1995) (QL); Rattew c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP n o 149–2–107 (1992) (QL); Thunder Bay (City) and C.U.P.E., Local 87 (1991), 20 L.A.C. (4 th) 361; Casselholme Home for the Aged and C.U.P.E., Local 146 (1982), 3 L.A.C. (3 d) 377; Stubbe c. Conseil du Trésor (Transports Canada – Garde côtière canadienne), dossier de la CRTFP n o 149–2–114 (1992) (QL); Miller c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord canadien), dossier de la CRTFP n o 149–2–149 (1995) (QL); Boulay c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), dossier de la CRTFP n o 149–2–160 (1997) (QL); Anthony c. Conseil du Trésor (Pêches et Océans Canada), dossier de la CRTFP n o 149–2–167 (1998) (QL); Goligher c. Conseil du Trésor (ministère des Approvisionnements et Services), dossier de la CRTFP n o 149–2–43 (1982) (QL); Vincent c. Conseil du Trésor (Solliciteur général – Service correctionnel), dossier de la CRTFP n o 166–2–21022(QL); Coram c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossiers de la CRTFP n os 149–2–156 et 166–2–26146 (1996) (QL); Rouleau c. Personnel des fonds non publics des Forces canadiennes, 2002 CRTFP 51; Mbaegbu c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 9; Wyborn c. Agence Parcs Canada, 2001 CRTFP 113.

Pour l’agent négociateur

[41]   L’agent négociateur fait valoir qu’on doit distinguer une situation dans laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas présenté un grief dans le délai prescrit d’une où il s’est conformé au délai de présentation du grief, mais pas à celui de renvoi du grief à l’arbitrage par la faute de son agent négociateur. L’avocat de l’agent négociateur estime que, même si la procédure n’a pas été impeccable, il était clair pour l’employeur que l’agent négociateur entendait porter le grief à l’arbitrage.

[42]   Il s’agit ici d’une affaire de licenciement dont les conséquences sont très graves pour le fonctionnaire s’estimant lésé. L’agent négociateur a fait clairement connaître ses intentions dans le délai prescrit pour le renvoi du grief à l’arbitrage, en déclarant qu’il n’acceptait pas la décision de l’employeur et que le fonctionnaire s’estimant lésé voulait que son grief soit entendu à l’arbitrage. L’agent négociateur admet qu’il ne connaissait pas la procédure pour faire entendre un grief à l’arbitrage et qu’il a procédé de façon informelle, en communiquant avec l’employeur pour [traduction] « faire progresser les choses en vue d’une audience ».

[43]   L’employeur n’a pas fait savoir à l’agent négociateur que le délai de renvoi du grief à l’arbitrage était épuisé. Or, l’employeur avait l’obligation — Mme Dagenais aussi, à plus forte raison — de l’en informer. Cela fait partie de la relation de négociation de bonne foi. L’employeur savait fort bien que l’agent négociateur ne comprenait manifestement pas la procédure officielle de renvoi d’un grief à l’arbitrage, et la question du délai n’est devenue un problème qu’en janvier 2005. M e Gerow est d’avis qu’il aurait été raisonnable pour l’employeur de fournir à l’agent négociateur l’information nécessaire sur le traitement des griefs par la Commission, et que la Commission ne devrait pas souscrire à la position de l’employeur, laquelle équivaut à baser ses [traduction] « relations de travail sur la traîtrise ».

[44]   Si le grief ne peut pas être entendu parce que les arguments techniques de l’employeur prévalent, il en résultera une injustice, car le renvoi de M. Trenholm peut ne pas être justifié, et il se verra alors refuser le redressement approprié que serait sa réintégration. Le retard n’est pas très long, et il en existe une explication raisonnable. La Commission a le pouvoir de remédier aux lacunes techniques; elle devrait s’en prévaloir en l’espèce. L’agent négociateur invoque en ce sens la décision rendue dans Enns c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2004 CRTFP 171.

Réplique pour l’employeur

[45]   L’employeur soutient qu’il y a effectivement une différence entre le délai de présentation d’un grief (25 jours) et celui de renvoi d’un grief à l’arbitrage (30 jours), mais que c’est la seule différence. La Commission ne devrait pas imposer à l’employeur l’obligation de s’assurer que l’agent négociateur représente correctement ses membres. Chacune des parties est compétente et a de l’expérience en relations de travail, de sorte qu’imposer cette obligation serait aussi nouveau qu’injustifié. Il s’agit d’un long retard; dans le vrai monde, quand les parties ne respectent pas le délai qu’elles ont négocié, il en résulte de graves conséquences pour les relations de travail et pour les autres employés.

Motifs de la décision

[46]   Dans cette affaire, le fonctionnaire a pris la décision de présenter un grief dans le délai prévu à cette fin; il n’a pas tergiversé des mois après avoir été informé de la décision de le licencier pour décider de la contester en déposant un grief. L’agent négociateur, qui était responsable du traitement du grief, a tardé à le renvoyer à l’arbitrage, la dernière étape de la procédure de recours. Il a téléphoné de façon répétée à l’employeur pour fixer une date d’audience, mais n’a pas fait parvenir à la Commission une formule 14 de renvoi à l’arbitrage, conformément au Règlement.

[47]   Les réponses de l’employeur aux demandes de renseignements de l’agent négociateur n’ont rien de répréhensible. L’employeur n’a rien fait pour l’induire en erreur, ni pour laisser entendre qu’il aurait renoncé à invoquer un retard quelconque; en fait, Mme Dagenais lui a donné de l’information en lui faisant savoir que la procédure est assujettie à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. L’employeur a le droit de partir du principe qu’il a affaire à un agent négociateur expérimenté en traitement de griefs. Mme Dagenais était un témoin crédible; j’accepte son témoignage que l’employeur ne savait pas que l’agent négociateur avait déposé un renvoi à l’arbitrage avant de recevoir de la Commission le calendrier des audiences d’avril. Je tiens pour vrai qu’elle avait supposé que l’agent négociateur n’avait pas renvoyé le grief à l’arbitrage, parce qu’elle n’avait pas reçu copie de la demande de renvoi dans les délais prescrits. Et l’employeur a soulevé son objection de compétence lorsqu’il a constaté qu’une demande de renvoi avait bel et bien été présentée, au vu du calendrier des audiences d’avril.

[48]   Il n’est pas justifié d’imposer à l’employeur une obligation découlant de la disposition à caractère général du paragraphe 1.01 de la convention collective de veiller à ce que l’agent négociateur comprenne la procédure de renvoi des griefs à l’arbitrage. En général, les deux parties à la convention collective ont la compétence et les connaissances requises. Rien dans les faits ne laisse entendre que l’employeur ait eu recours à une tactique équivalant à de la traîtrise dans ses relations de travail. Même si M. Vicic semble avoir connu la procédure de règlement des griefs, la preuve qui m’a été soumise laisse entendre qu’il était accaparé par des négociations à l’automne de 2004 et il ne représentait donc pas M. Trenholm.

[49]   J’ai été nommé pour représenter la Commission; j’ai donc le pouvoir dont elle est investie, en vertu de l’article 63 du Règlement, de proroger le délai de renvoi d’un grief à l’arbitrage, comme cet article le précise :

...

  1. Par dérogation à toute autre disposition de la présente partie, les délais prévus aux termes de la présente partie, d’une procédure applicable aux griefs énoncée dans une convention collective ou d’une décision d’arbitrage, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peuvent être prorogés avant ou après leur expiration :

    1. soit par une entente entre les parties;
    2. soit par la Commission, à la demande de l’employeur, du fonctionnaire ou de l’agent négociateur, selon les modalités que la Commission juge indiquées.

...

[50]   L’employeur fait valoir qu’aucune demande de dérogation aux délais n’a été soumise et que, par conséquent, la Commission n’a pas compétence pour rendre une décision en ce sens. Toutefois, le 21 janvier 2005, le représentant de l’agent négociateur a envoyé à la Commission des observations écrites dans lesquelles il demandait d’être exempté des conséquences d’un vice de procédure (pièce E–8). À mon avis, il importe peu de savoir comment la question du respect des délais a été soumise à la Commission dans une affaire d’arbitrage de grief, que ce soit par l’employeur voulant que l’affaire soit rejetée pour non–respect des délais ou par le syndicat demandant d’être absous de son retard. L’ancienne LRTFP donne à la Commission le pouvoir de rendre une décision les exemptant des conséquences d’un non–respect des délais lorsqu’elle le juge approprié.

[51]   Dans la fonction publique fédérale, l’arbitrage des griefs est assujetti aux conventions collectives et, dans le cas des griefs présentés avant le 1er avril 2005, à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et à son Règlement, qui prescrit la procédure et le délai de renvoi d’un grief à l’arbitrage « au plus tard 30 jours après [...] le jour où le fonctionnaire reçoit une réponse au dernier palier de la procédure applicable au grief [ou] le dernier jour du délai dans lequel le représentant autorisé de l’employeur est tenu « de répondre au grief au dernier palier de la procédure », selon la première de ces deux éventualités. Les parties ont adopté cette procédure par renvoi, au paragraphe 17.18 de la convention collective. Je prends bonne note que le paragraphe 17.17 de cette entente stipule que ne pas présenter un grief dans les délais prescrits est réputé y renoncer. Il semble donc clairement et expressément précisé qu’un renvoi à l’arbitrage doit se faire conformément à la procédure prescrite par la Commission et dans le délai prescrit par le Règlement. C’est une obligation plutôt qu’un souhait.

[52]   La Commission a le pouvoir d’exonérer les parties du respect des délais prescrits. En général, les griefs doivent lui être renvoyés avec une formule 14. L’article 10 du Règlement est clair : la Commission peut relever une partie de l’obligation de renvoyer un grief en lui faisant parvenir une formule 14 pourvu que l’information nécessaire y figure :

....

10.   Aucune procédure visée par le présent règlement n’est invalide au seul motif qu’elle comporte un vice de forme ou une irrégularité d’ordre technique.

...

[53]   Je dois toutefois reconnaître que, si je devais trancher en faveur de l’agent négociateur, le fait est qu’il a déposé une formule 14 qui nécessiterait une modification afin de citer l’alinéa 92(1)c) comme étant le fondement du grief.

[54]   Les autorités et la jurisprudence confirment que la décision d’accorder une prorogation de délai ne devrait pas être automatique. Il y a de bonnes raisons, dans l’intérêt des relations de travail, pour l’existence des délais prescrits. Les procédures de règlement et d’arbitrage des griefs sont censées être une méthode définitive — et exécutoire — de règlement des conflits, tant qu’une convention collective est en vigueur. C’est un principe important pour les relations de travail que l’agent négociateur et l’employeur doivent avoir une certaine assurance que le règlement des griefs est définitif. Dans Anthony (supra) la Commission a souligné que :

...

Le délai de 25 jours pour déposer des griefs est prévu dans le Règlement et à l’article M–38 de la convention cadre conclue entre l’AFPC et le Conseil du Trésor. Ce délai n’existe pas parce qu’il est déraisonnable. Il contribue à la stabilité des relations de travail car, sans cela, l’employeur courrait continuellement le risque d’avoir à se défendre contre des griefs se rapportant à des incidents oubliés depuis longtemps. On a fixé un délai de 25 jours parce que c’était jugé une période suffisante pour obtenir des conseils, envisager les diverses possibilités et décider de déposer ou non un grief.

...

Pour décider s’il y a lieu ou non d’accorder une prolongation du délai, la Commission doit examiner toutes les raisons du retard. De même, je dois tenir compte des préjudices qui résulteraient de la décision d’accorder ou non une prolongation du délai. Il n’existe pas de règle définitive pour trancher une demande particulière. Néanmoins, un principe ressort des décisions citées par les deux parties en l’espèce : nous devons obtenir une preuve que la partie qui demande la prolongation a agi avec diligence pour faire valoir ses droits.

...

[55]   Dans Re Pacific Forest Products Ltd. (Sooke Logging Division) and I.W.A., Local 1–118 (1984), 17 L.A.C. (3 d) 435, l’arbitre Donald Munroe [1] a déclaré ce qui suit, dans son analyse de la législation applicable en Colombie-Britannique qui donne à un arbitre le pouvoir d’exempter une partie des conséquences de son non–respect des délais établis dans une convention collective :

[Traduction]

L’alinéa 98 e ) du Code du travail dispose qu’un conseil d’arbitrage peut « ... exempter [une partie], à des conditions justes et raisonnables, des conséquences de son non–respect des délais... précisés dans la convention collective ». À l’instar des autres pouvoirs discrétionnaires, celui–ci doit être exercé judicieusement, car la décision de libérer une partie de l’obligation de respecter des délais semblant obligatoires doit être raisonnée et découler du principe que l’exemption de l’application d’une disposition quelconque d’une convention collective doit être exceptionnelle. En outre, et c’est implicite dans ce que je viens de dire, la partie qui réclame l’exemption devrait assumer la charge de prouver qu’elle est justifiée dans les circonstances.

[56]   Dans Rouleau, la Commission a écrit ce qui suit au paragraphe 38 :

...

L’employeur a le droit de mettre un point final à ses mesures dans un délai raisonnable après qu’il les a prises. La longueur de ce délai raisonnable est fonction des circonstances dans chaque affaire. En l’espèce, l’employeur choisit de le définir comme une période expirant le 25 e jour après le fait. En d’autres termes, pendant 25 jours après le fait, un fonctionnaire peut présenter un grief et l’employeur ne peut pas fermer la porte tant que le grief n’est pas tranché. Après le 25 e jour, s’il n’y a pas de raison justifiant la prorogation du délai, l’employeur a le droit de fermer le dossier. Compte tenu des circonstances dont on m’a informé en l’espèce, je ne trouve pas de raison convaincante d’accorder la prorogation; par conséquent, ce grief est rejeté.

[57]   L’article 63 du Règlement a pour objet d’accorder une dérogation aux délais dans l’exercice d’un recours prévu par la loi ou par une convention collective, à l’expiration de ces délais, quand une injustice résulterait du refus de la Commission d’entendre un grief. Dans Rattew (supra), la Commission a conclu comme il suit :

...

En règle générale, l’objet de l’ [ancien] article 83 et des dispositions semblables n’est pas de rendre inopérants les délais sur lesquels les parties se sont mises d’accord dans une convention collective, ou qui figurent dans le Règlement. Ces dispositions visent plutôt à permettre le recours à un redressement prévu par la loi ou une convention collective, nonobstant l’expiration de délais, lorsque l’action contraire entraînerait une injustice. La durée et les motifs du retard doivent peser lourd dans la décision de l’arbitre, tout comme le préjudice qui serait causé à chacune des parties.

...

[58]   Le pouvoir discrétionnaire de la Commission d’exempter une partie des conséquences du non–respect de délais doit être exercé compte tenu des facteurs et des faits pertinents présentés à l’audience. L’exemption est l’exception et non la règle. En général, on s’attendrait dans ce contexte à entendre un témoignage du fonctionnaire s’estimant lésé ou de l’agent négociateur, mais ils n’ont rien avancé pour expliquer les raisons du retard. M e Gerow a présenté des observations au nom de M. Trenholm, mais des observations ne sont pas une preuve.

[59]   L’employeur a invoqué plusieurs décisions dans lesquelles la Commission ou des conseils d’arbitrage n’avaient pas exempté les intéressés des conséquences de la négligence ou des erreurs de l’agent négociateur ou des représentants syndicaux. La Commission a conclu alors que le fonctionnaire s’estimant lésé devrait être tenu responsable des erreurs ou des fautes de son agent négociateur. Par exemple, dans Gourlie (dossier de la Commission n o 149–2–17 (1977)), elle a écrit ce qui suit :

...

Je dois dire, aux fins de la présente décision, que je suis généralement d’avis qu’une partie qui se sent lésée par les mesures de l’employeur doit toujours voir à présenter ses revendications avec célérité et diligence. Il ne devrait pas lui être permis de s’attarder ou d’attendre que la nuit lui porte conseil sur ses droits et, plus tard, une fois passées les circonstances qui ont fait naître la présumée injustice, de soulever des questions qui auraient pu être soumises plus tôt à la Commission.

À ce sujet, ladite partie, en cherchant une voie de recours doit accepter une part de responsabilité à l’égard du genre et de la qualité de l’avis qu’elle reçoit, que ce soit sur les instances d’un agent négociateur ou même d’un conseiller juridique. Bref, de façon générale, une partie s’assure les services d’un avocat, demande conseil à ses propres risques et doit se tourner vers d’autres si elle reçoit de mauvais conseils ou des conseils irréfléchis.

...

[60]   Dans Cassellholme Home for the Aged (supra), une affaire de grief contestant une affectation, le groupe d’arbitrage a refusé d’exempter les intéressés des conséquences de non–respect du délai de présentation d’un grief au palier suivant de la procédure parce que le retard était attribuable à l’inexpérience d’un représentant syndical, qui n’avait rien fait au sujet du grief jusqu’au retour du président de la section locale, causant ainsi un retard d’un peu plus de 60 jours. Dans Boulay (supra), la Commission a rendu la décision suivante à l’égard d’une demande de prorogation de délai :

...

Il n’y a aucune preuve que les omissions et actions des procureurs aient été commises de mauvaise foi. Toutefois, je pense que ces omissions et actions qui, selon la preuve, semblent être à la source du retard ne peuvent constituer à elles seules un motif pour proroger le délai pour déposer un grief devant l’employeur. Il me semble qu’en relevant une partie de son défaut d’agir dans les délais au seul motif d’erreurs commises par les procureurs, on risquerait d’ouvrir la porte à une série de requêtes invoquant les diverses méprises des représentants, avocats inclus, auxquels ont recours les fonctionnaires qui se présentent devant la Commission. En conclusion, j’estime que les faits dans leur ensemble, et tels qu’ils m’ont été présentés, sont insuffisants pour asseoir la conclusion qu’il y a lieu de proroger le délai pour déposer un grief et par conséquent, cette requête est rejetée.

...

[61]   Dans cette affaire–là, la fonctionnaire avait été déclarée excédentaire en 1989; en 1996, elle était arrivée à la conclusion que son licenciement était une sanction disciplinaire déguisée. Le retard attribuable aux avocats était survenu en 1996; le grief n’avait été déposé que le 26 avril 1996 et l’avait alors été auprès de la mauvaise instance.

[62]   La jurisprudence montre que la Commission devrait peser l’injustice que subirait le demandeur si sa demande devait être rejetée compte tenu de celle que l’employeur subirait si elle était accueillie. Les faits varient selon l’affaire. Dans Chambers (supra), la Commission a décidé d’accorder une prorogation du délai de présentation d’un grief trois ans après la date de l’événement qui avait abouti au licenciement. Dans Air Liquide Inc. (supra), l’arbitre a jugé que huit mois de retard pour renvoyer un grief à l’arbitrage dans une affaire de licenciement était vraiment exceptionnel. Dans Thunder Bay (City) (supra), un retard de onze mois a été considéré comme exagéré, et puisque l’affaire de licenciement dont il s’agissait n’impliquait aucune question fondamentale pour les relations de travail entre les parties, la demande de prorogation du délai n’a pas été accueillie. Dans ce cas–là aussi, il était clair que les droits de l’employé s’estimant lésé n’avaient pas été complètement perdus, puisqu’il avait intenté une procédure en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario. Dans Stubbe (supra), la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait fini par avoir l’intention de présenter un grief pour contester son renvoi que près de trois mois après avoir été renvoyé. Elle n’a pas non plus jugé crédible son témoignage sur les raisons de la présentation tardive de son grief. Dans Miller (supra), elle a jugé qu’il ne suffit pas seulement de peser le préjudice susceptible d’être causé à l’une ou l’autre des parties; en effet, elle doit aussi déterminer avant de le faire si le fonctionnaire s’estimant lésé a tenté d’expliquer pourquoi le grief n’aurait pas pu être déposé à temps. Je souligne qu’il s’agissait là d’une affaire concernant la rémunération et les avantages sociaux dans laquelle le fonctionnaire n’avait contesté des gains perdus que près de 15 ans après les faits ayant donné lieu à son grief.

[63]   Il arrive à l’occasion que la Commission évite tout préjudice en accordant la prorogation du délai de présentation du grief tout en refusant que le fonctionnaire s’estimant lésé soit dédommagé pour la période pouvant être attribuée à sa présentation tardive de grief; c’était le cas dans Goligher (supra).

[64]   Pour trancher la question de l’opportunité d’exempter le fonctionnaire s’estimant lésé des délais de toute évidence obligatoires établis dans le Règlement et incorporés par renvoi dans la convention collective, j’ai tenu compte des facteurs suivants.

  • Existe-t-il des raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier le retard?

  • S’agit–il d’un long retard?

  • Le fonctionnaire s’estimant lésé a-t-il été diligent?

  • Quel poids faut–il accorder à l’injustice pour l’employé et au préjudice pour l’employeur si la demande de prorogation était accueillie?

  • Quelles sont les chances du grief d’être accueilli, ou est–il sans fondement?

J’expose maintenant mon analyse pour chacun de ces facteurs.

Raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard

[65]   Dans cette affaire, contrairement à bien d’autres invoquées dans la jurisprudence, l’agent négociateur n’a pas produit de preuve. Il m’aurait été utile de l’entendre témoigner et d’entendre aussi le témoignage du fonctionnaire s’estimant lésé pour trancher la demande. Même s’il n’existe aucune obligation incontestable de rendre témoignage, l’agent négociateur doit assumer le fardeau de la preuve de me convaincre qu’il est justifié de proroger le délai de renvoi du grief à l’arbitrage. La jurisprudence démontre que les faits sont extrêmement importants lorsqu’il s’agit de trancher une telle demande.

[66]   Qui plus est, les arguments avancés par l’avocat à l’audience ne constituent pas une preuve. La chronologie que M e Gerow a soumise dans son fax du 21 janvier 2005 m’a aidé à comprendre la position de l’agent négociateur, mais ce n’est pas une preuve non plus.

[67]   En outre, ce qu’on dit aux témoins en contre–interrogatoire ne devient pas une preuve à moins qu’ils n’en conviennent. Il n’y a aucune explication de la raison pour laquelle l’agent négociateur n’a déposé que le 17 décembre 2004 le renvoi à l’arbitrage signé par M. Trenholm le 21 septembre 2004. Dans le contre–interrogatoire de Mme Dagenais, l’avocat de l’agent négociateur lui a dit qu’on avait envoyé une demande à la Commission avant cette date. Mme Dagenais a témoigné qu’elle n’en savait rien. L’agent négociateur n’a produit aucun témoignage clair — ni déposé de documents — pour démontrer qu’il y avait effectivement eu une tentative de déposer le renvoi à l’arbitrage antérieurement. Il n’existe donc aucune preuve que l’agent négociateur ait tenté de déposer le renvoi à l’arbitrage à la Commission avant le 17 décembre 2004.

[68]   Quand j’analyse la preuve produite, j’ai l’impression que l’agent négociateur ne connaissait pas bien la procédure de renvoi d’un grief à l’arbitrage. Rien dans la convention collective n’exige qu’il faille communiquer avec l’autre partie pour déterminer les dates d’audience avant de présenter une demande d’arbitrage. L’employeur a invoqué une décision dans laquelle on a conclu que le fait qu’une demande était censée être renvoyée à l’arbitrage ne constitue pas en soi un tel renvoi (Air Liquide Inc. (supra)), mais plutôt une tentative d’intimidation ou une menace d’intenter une procédure. Or, cette affaire–là se distingue de la présente dans les faits, puisque la lettre devant prétendument renvoyer l’affaire à l’arbitrage avait été envoyée avant que l’employeur ne fasse connaître sa décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Dans cette affaire–ci, contrairement à ce qui s’est passé dans Air Liquide Inc., l’agent négociateur a envoyé une lettre à l’employeur après que toutes les étapes de la procédure de règlement des griefs eurent été épuisées et que l’employeur eut donné sa « réponse finale ». À eux deux, M e Gerow et M. Ransom ont fait trois appels téléphoniques pour demander qu’on fixe une date d’arbitrage du grief.

[69]   Selon le témoignage de Mme Dagenais, il semble que l’agent négociateur ne représente que deux groupes de fonctionnaires dans toute l’île de Vancouver. Le nombre de ses renvois de griefs à l’arbitrage semble limité. Dans son témoignage, Mme Dagenais a déclaré qu’il n’y avait eu que trois appels téléphoniques de l’agent négociateur à la suite de la décision de l’employeur de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé, du 22 juillet au 30 novembre 2004. La procédure de renvoi d’un grief à l’arbitrage semble relativement simple dans la convention collective et dans le Règlement, mais elle est différente de celle du renvoi d’un grief à l’arbitrage sous le régime d’une convention collective dans le contexte général des relations de travail du secteur privé. Par ailleurs, je n’oublie pas non plus que Mme Dagenais a déclaré dans son témoignage qu’il était inhabituel que les TUAC ne respectent pas les délais de traitement des griefs.

[70]   Bref, il semble que l’agent négociateur savait au moins dès le 21 septembre 2004 qu’il devait produire une demande signée par le fonctionnaire s’estimant lésé pour pouvoir renvoyer le grief à l’arbitrage. S’il ne connaissait pas la procédure jusque–là, il a certainement dû en avoir pris conscience par suite du message téléphonique que Mme Dagenais a laissé le 10 septembre 2004, comme en témoigne le fait que la formule 14 était remplie le 21 septembre 2004. Rien dans la preuve n’explique pourquoi cette formule n’a pas été envoyée à la Commission avant le 17 décembre 2004.

[71]   Le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’est pas présenté à l’audience sur la demande en l’espèce; M e Gerow m’a déclaré qu’il devait assister à des funérailles.

[72]   Dans les circonstances, je ne peux pas conclure à l’existence de raisons claires, logiques et convaincantes pouvant justifier qu’on ait tardé du 21 septembre au 17 décembre 2004 pour renvoyer le grief à l’arbitrage. Ce retard me semble imputable à l’agent négociateur, mais, là encore, je n’ai entendu aucun témoignage, que ce soit de lui ou du fonctionnaire s’estimant lésé, pour m’expliquer la nature et la raison du problème. Je peux toutefois déduire des circonstances que l’agent négociateur a commis une erreur quant à la procédure de renvoi d’un grief à l’arbitrage.

[73]   Dans le contexte des relations de travail du secteur privé, le syndicat a typiquement la charge et le contrôle des griefs, alors que, sous le régime des relations de travail de la fonction publique fédérale, une partie de cette charge incombe au fonctionnaire s’estimant lésé, dans la procédure d’arbitrage des griefs. Rien dans l’article 76 du Règlement n’exige que le fonctionnaire s’estimant lésé ait le consentement de l’agent négociateur pour renvoyer un grief à l’arbitrage en le soumettant à la Commission. Par exemple, dans Vincent (supra), celle–ci a accordé une prorogation du délai dans un cas où le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas non plus été coupable de négligence en faisant confiance à son agent négociateur pour s’occuper de son grief sans devoir intervenir lui–même. La Commission a aussi accueilli une demande de prorogation du délai de renvoi d’un grief à l’arbitrage lorsqu’il n’avait pas été respecté par inadvertance, qu’il n’en résultait aucun préjudice pour l’employeur et que l’intention de porter l’affaire à l’arbitrage était patente, dans Coram (supra).

[74]   La preuve semble démontrer que M. Trenholm a signé le renvoi à l’arbitrage le 21 septembre 2004, soit plus de deux mois après la date de la lettre lui annonçant son licenciement. Il y a des indications de son intention de renvoyer le grief à l’arbitrage, mais rien n’indique par contre que l’agent négociateur ait fait quoi que ce soit d’autre que téléphoner jusqu’à ce qu’il finisse par déposer le grief, le 17 décembre 2004.

Longueur du retard

[75]   Il s’est écoulé cinq mois et demi entre la date à laquelle le renvoi aurait dû être déposé et celle où il l’a effectivement été, le 17 décembre 2004. Dans les circonstances, ce n’est pas vraiment exagéré, bien que le délai prescrit par le Règlement n’ait de toute évidence pas été respecté. Si l’on tient compte de la date, inconnue, à laquelle la lettre lui annonçant son licenciement a effectivement été reçue par le fonctionnaire s’estimant lésé et de la période pendant laquelle l’agent de négociation semble ne pas avoir su quelle est la procédure de renvoi d’un grief à l’arbitrage, force est de conclure que le retard est d’environ trois mois (du 21 septembre au 17 décembre 2004), et je le compare aux six mois et demi qui se sont écoulés entre la date de l’incident déterminant et celle où l’employeur a pris sa décision de licencier l’intéressé.

[76]   Bien sûr, la décision de licencier quelqu’un ne devrait pas être prise à la légère, mais on ne saurait sérieusement prétendre que le traitement de cette affaire par l’employeur avant que le grief puisse être renvoyé à l’arbitrage est un modèle de célérité. L’employeur a retardé le début de son enquête à la demande de l’agent négociateur, mais la longueur de la période de prise d’une décision de licenciement est un facteur dont je tiens compte, particulièrement dans le contexte du préjudice susceptible d’en résulter pour chaque partie.

Diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé

[77]   La preuve est muette quant à la diligence dont le fonctionnaire s’estimant lésé a pu faire preuve. Le mieux qu’on puisse dire, c’est que l’agent négociateur s’est conformé à toutes les étapes de la procédure de règlement des griefs, jusqu’à la date d’expiration du délai de son renvoi à l’arbitrage. Le fonctionnaire s’estimant lésé a signé la demande de renvoi à l’arbitrage. Il semble toutefois que le vice de procédure peut être attribué à l’agent négociateur, en raison de son envoi d’une lettre plutôt que d’une formule 14 et de ses appels téléphoniques pour tenter de fixer une date d’arbitrage. Je tiens compte de tout cela dans le contexte du témoignage de Mme Dagenais que les TUAC respectent habituellement les délais. Le renvoi du présent grief à l’arbitrage a manifestement déraillé.

Peser l’injustice pour le fonctionnaire et pour l’employeur

[78]   L’affaire est grave pour M. Trenholm puisqu’il a été licencié. On lui reproche sa conduite en dehors des heures de travail dans une activité sociale liée à son emploi. Si la demande n’est pas accueillie, il ne pourra pas contester son licenciement et obliger l’employeur à prouver à une tierce partie indépendante qu’il avait une raison valable de le licencier. Être licencié pour s’être battu a de toute évidence des conséquences néfastes pour un fonctionnaire s’estimant lésé. À mon avis, il serait clairement injuste pour lui que je ne l’exempte pas de l’obligation de respect du délai.

[79]   L’employeur a cité des décisions pour étayer sa thèse que le simple passage du temps peut en soi être suffisamment préjudiciable. Le fait est que la Commission a cité dans Chambers (supra), une décision rendue dans l’affaire Re: Children Aid Society of Metropolitan Toronto and CUPE, Local 2316 (non publiée), 21 mai 1982 :

...

L’écoulement du temps peut en soi être considéré comme préjudiciable. Lorsqu’une partie se sent en sécurité parce que rien ne lui indique qu’elle fera face à une plainte dans une situation donnée, il serait très injuste de permettre que cette plainte soit déposée presque un an après coup.

...

[80]    Quant à l’injustice possible pour l’employeur, des témoins ont déménagé de Comox, mais rien dans la preuve ne précise quand. J’ai déjà souligné la longueur de la période entre la date de l’incident et celle de la décision de l’employeur de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé. Il m’est impossible de faire des suppositions sur la question de savoir si les témoins en question ont déménagé avant ou après que l’employeur ne prenne cette décision. En outre, il m’est impossible aussi d’en faire sur celle de savoir s’ils auraient été disponibles pour témoigner à Comox dans l’éventualité où l’affaire aurait été entendue à l’arbitrage dans le cours normal des choses, avec un renvoi déposé dans le délai prescrit.

[81]   M. Pasaluko est perturbé parce que l’affaire est susceptible d’être entendue maintenant, alors qu’il la croyait réglée. La procédure pénale dans laquelle il va témoigner n’est pas encore finie. Il ne fait aucun doute que, si la Couronne maintient sa poursuite contre M. Trenholm, M. Pasaluko sera appelé à comparaître pour elle. Or, Mme Dagenais a témoigné que la procédure pénale est beaucoup plus antagoniste que celle de l’arbitrage d’un grief devant la Commission. L’audience de la Commission est donc pour M. Pasaluko un facteur préjudiciable qui s’ajoute aux inconvénients de devoir témoigner dans une procédure pénale.

[82]   Si le renvoi de M. Trenholm n’est pas maintenu, il est possible que M. Pasaluko ait des contacts avec lui, au cas où il serait réintégré. M. Pasaluko a déclaré que, pour ne pas travailler avec M. Trenholm, il prendra des mesures pouvant aller jusqu’à quitter son emploi. C’est un préjudice possible, mais s’il se concrétise, il ne résultera pas du retard dans la procédure d’arbitrage du grief : il sera plutôt dû au fait d’avoir à composer avec un collègue avec qui on a eu des problèmes par le passé et que la Commission aurait jugé avoir été renvoyé sans raison valable. Ce préjudice n’a pas été aggravé par le retard en l’espèce. Je prends bonne note aussi que, même si Mme Dagenais et le fonctionnaire s’estimant lésé ont fait valoir que M. Pasaluko était stressé, il n’y a aucune preuve médicale pour étayer cette allégation.

[83]   J’estime donc que le fonctionnaire s’estimant lésé subirait un plus grand préjudice si son grief n’était pas entendu que celui que subirait l’employeur s’il l’était.

Chances du grief d’être accueilli

[84]   Les parties n’ont pas abordé la question des chances du grief d’être accueilli; rien n’a été déposé en preuve à ce sujet. La jurisprudence laisse entendre que, dans le contexte d’une demande de prorogation de délai, ces chances tournent au fond autour de la question de savoir si l’affaire est défendable. Dans un cas de violence en milieu de travail, il se peut fort bien que les parties aient eu des relations tendues depuis un certain temps. Le rapport de l’enquête renferme des indications que M. Pasaluko avait intimidé M. Trenholm avant l’agression, quoique l’enquêteur et l’employeur étaient du même avis : M. Trenholm a usé d’une force excessive. En outre, le rapport de l’enquêteur précise clairement que les deux hommes avaient bu. Pour le moment, je ne peux pas tirer de conclusion sur le bien–fondé du grief, mais je me dis qu’on pourrait poser des questions à M. Pasaluko, qu’il semble que l’enquêteur n’a interrogé aucun témoin indépendant de sa prétendue agression par M. Trenholm et que la crédibilité des intéressés — y compris tout effet de la consommation d’alcool sur la crédibilité — peut influer sur le processus de collecte des faits. Par conséquent, je ne suis pas disposé à déclarer que le grief est sans fondement.

[85]   En l’espèce, je suis convaincu, compte tenu de tous les facteurs applicables et de la jurisprudence, qu’il est justifié d’accorder une prorogation du délai prévu par la convention collective. J’estime que le fonctionnaire s’estimant lésé ne devrait pas être privé de la possibilité de faire évaluer son licenciement par une tierce partie à cause des erreurs de l’agent négociateur. Selon moi, l’agent négociateur a traité le grief tardivement.

[86]   J’accorde plus de poids au préjudice que le fonctionnaire s’estimant lésé subira qu’aux autres facteurs étant donné qu’il s’agit d’une affaire de licenciement et que le manquement à l’obligation de respecter le délai a eu lieu à l’étape du renvoi à l’arbitrage plutôt que de la décision initiale de présenter un grief. La balance penche en faveur de l’instruction du grief. L’employeur et certaines des décisions invoquées avancent l’idée que l’intéressé aurait d’autres recours contre l’agent négociateur, mais il n’existe à mon avis aucun autre recours suffisant dont il pourrait se prévaloir en temps utile pour compenser une perte d’emploi, hormis la procédure de règlement des griefs. Si l’employeur n’arrive effectivement pas à établir qu’il avait une raison valable pour renvoyer le fonctionnaire s’estimant lésé, ce sur quoi je rendrai une décision à la suite de l’audience sur le grief lui–même, le redressement habituel est la réintégration. L’arbitrage des griefs est la seule méthode dans le cadre de laquelle l’agent négociateur a la possibilité, en temps opportun, de persuader un arbitre de réintégrer le fonctionnaire s’estimant lésé dans son poste. Une poursuite pour négligence pourrait tout au mieux faire obtenir un dédommagement financier à M. Trenholm. Le versement de dommages-intérêts n’est pas une solution de rechange satisfaisante, en raison du grand intérêt que tout employé accorde à la préservation de son emploi. Une plainte de manquement au devoir de représentation juste présentée à la Commission en vertu de l’article 23 de l’ancienne LRTFP pourrait aboutir à une ordonnance d’aller à l’arbitrage, mais ce n’est pas à mon avis une façon assez rapide de régler le problème au lieu de travail. Il me semble que l’agent négociateur a commis une erreur relativement évidente qui peut être corrigée en portant préjudice à toutes les parties le moins possible, soit en entendant le grief au fond.

[87]   Pour tous ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[88]   J’ordonne par conséquent que le fonctionnaire s’estimant lésé et l’agent négociateur soient exemptés des conséquences de l’expiration du délai de renvoi du grief à l’arbitrage. Ce délai est prorogé jusqu’au 28 décembre 2004, date à laquelle la formule modifiée de renvoi à l’arbitrage a été déposée. J’ordonne aussi que l’agent négociateur dépose une version modifiée de la demande de renvoi à l’arbitrage précisant en réponse à la question 15 la disposition législative sur laquelle le renvoi est basé. L’instruction de l’affaire devrait se faire de façon expéditive, sans attendre les résultats de la poursuite pénale intentée contre M. Trenholm. Les normes de la preuve sont en effet si différentes au pénal et devant un tribunal administratif que le jugement dans une affaire pénale pourrait n’avoir que peu d’incidence sur la détermination du bien–fondé du grief.

[89]   Je ne suis pas disposé actuellement à poser des conditions limitant le dédommagement que M. Trenholm pourrait réclamer, contrairement à ce que l’arbitre de grief a fait dans Goligher (supra). C’est une question qu’il est préférable de trancher sur le fond de l’affaire, particulièrement compte tenu de tout le temps écoulé pour l’enquête et l’imposition de la sanction disciplinaire en l’espèce. J’aimerais d’ailleurs en entendre davantage à ce sujet dans les observations qui suivront la preuve sur la question centrale.

[90]   Je rejette l’objection de l’employeur à ma compétence en raison du non–respect du délai.

Le 28 juin 2005.

Paul Love,
arbitre de grief et commissaire

Traduction de la C.R.T.F.P.

[1] Cité dans Air Liquide Canada Inc. (supra)

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