Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés travaillaient tous comme opérateurs de centrales thermiques - avant 1978, les centrales thermiques avaient un horaire de travail par quarts de huit heures - à compter de 1978, des quarts de travail de 12 heures pouvaient être adoptés si l’employeur établissait, en fonction de chaque centrale, que la majorité des employés étaient en faveur du changement - la durée du cycle de l’horaire de travail était d’abord de cinq semaines, mais en 2002, la majorité des horaires par quarts avaient un cycle de douze semaines et des quarts de douze heures - le gestionnaire de la centrale approuvait les congés annuels et les heures supplémentaires et il était responsable du premier palier de la procédure de règlement des griefs - suite à un examen des opérations, l’employeur a déterminé qu’il fallait changer la situation et adopter un horaire normalisé de cinq semaines comportant des quarts de travail de 12 heures - les employés ont indiqué qu’ils n’étaient pas d’accord avec ce changement - la direction estimait que la mise en oeuvre d’un horaire de travail normalisé pour l’ensemble des centrales ne constituait pas un arrangement spécial et n’allait donc pas à l’encontre de la convention collective parce que les heures de travail n’avaient pas changé; seule la durée de l’horaire avait été modifiée - des griefs ont été déposés pour contester le changement de l’horaire de travail - les griefs faisaient valoir que l’employeur contrevenait aux dispositions de la convention collective en imposant un horaire de travail de cinq semaines - les fonctionnaires s’estimant lésés alléguaient que l’employeur avait imposé un << arrangement spécial >> relativement aux heures de travail sans obtenir le soutien nécessaire de la majorité des employés touchés, comme le prévoyait l’appendice D - l’arbitre a statué que, pour les employés, non seulement la durée de l’horaire avait changé mais également les heures de travail du fait que les employés qui travaillaient antérieurement selon des quarts de travail de 12 heures exclusivement devaient maintenant effectuer également des quarts de travail de huit heures, selon un horaire par roulement - le changement constituait donc un arrangement spécial qui devait être approuvé par la majorité des employés - l’arbitre a conclu que la preuve n’était pas suffisante pour déterminer ce que la majorité des employés souhaitaient et que, de toute façon, cette décision ne pourrait être prise qu’après que les parties auraient discuté des options - l’employeur avait traité, par le passé, chaque centrale comme une << unité de travail >> distincte. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail dans la fonction
publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2005-07-04
  • Dossiers:  166-2-32682 à 32693
  • Référence:  2005 CRTFP 69

Devant un arbitre de grief



ENTRE

FRANK NITSCHMANN ET AUTRES

fonctionnaires s’estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Travaux publics et Services gouvernementaux Canada)

employeur

Répertorié
Nitschmann et autres c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada)

Affaire concernant des griefs renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant : Ian R. Mackenzie, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s’estimant lésé : Edith Bramwell, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur : John Jaworski, avocat


Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 1er mars et du 8 au 10 juin 2004,
ainsi que du 24 au 26 janvier 2005.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Griefs renvoyés à l’arbitrage

[1]   Frank Nitschmann et onze autres opérateurs de centrales thermiques membres du groupe Chauffage, force motrice et opération de machines fixes (HP) (voir la liste annexée) ont présenté des griefs pour protester contre le changement de leur horaire de travail introduit en octobre 2002 par le Service de gestion des services publics (SGSP) de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC). Tous les fonctionnaires s’estimant lésés travaillent dans des centrales thermiques de la région de la capitale nationale aux niveaux HP–3 ou HP–5. Ils sont représentés par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) et assujettis à la convention collective des Services de l’exploitation conclue entre l’AFPC et le Conseil du Trésor (pièce G–1; date d’expiration : le 4 août 2003).

[2]   Les griefs ont été déposés le 6 novembre 2002. Les réponses au dernier palier de la procédure de règlement des griefs ont été reçues le 23 juin 2003, après quoi les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage le 8 septembre 2003.

[3]   Deux témoins ont comparu pour les fonctionnaires s’estimant lésés; l’un de ceux­ci, Frank Nitschmann, a témoigné lui–même. Deux témoins ont comparu pour l’employeur.

[4]   Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, je demeure saisi de ces renvois à l’arbitrage de grief, sur lesquels je dois statuer conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P­35 (l’« ancienne Loi »).

Résumé de la preuve

[5]   Les fonctionnaires s’estimant lésés allèguent dans leurs griefs que l’introduction par l’employeur d’un horaire de travail à cycle de cinq semaines violait les articles 25 (Durée du travail), 27 (Primes de poste et de fin de semaine), 28 (Horaire de travail variable), 29 (Heures supplémentaires), 30 (Indemnité de rappel au travail), 31 (Disponibilité) et 32 (Jours fériés payés) ainsi que l’Appendice « D » (Dispositions particulières au groupe) de la convention collective. Fondamentalement, ils contestent que l’employeur leur impose un horaire de travail particulier sans avoir obtenu l’appui de la majorité des employés touchés, ainsi que le prévoit l’Appendice « D » de la convention collective.

[6]   Cinq des fonctionnaires s’estimant lésés travaillent à la centrale de la Ferme expérimentale centrale, trois à celle de la rue Cliff, trois aussi à celle de la rue Booth et le dernier à la centrale de Confederation Heights.

[7]   Ces centrales thermiques fournissent les services de chauffage et de climatisation à la plupart des bâtiments du gouvernement fédéral situés dans la région de la capitale nationale. La plupart d’entre elles fonctionnent l’année durant, sept jours par semaine et 24 heures par jour, comme toutes les centrales où les fonctionnaires s’estimant lésés travaillent.

[8]   La description de poste de l’opérateur par postes HP–3 stipule qu’il a un horaire de travail par postes avec roulement (pièce E–1), tout comme celle du superviseur de poste HP–5 (pièce E–4). En outre, la description de poste de l’opérateur par postes HP–3 prévoit deux fonctions de base : celle de faire fonctionner l’équipement et les machines de la centrale (45 % du temps) et celle d’entretenir cet équipement et ces machines (30 % du temps).

[9]   Avant 1978, les centrales thermiques avaient un horaire de travail par postes de huit heures. Pour pouvoir fonctionner 24 heures par jour, il leur fallait donc trois postes de huit heures par jour. En 1978, l’employeur et le syndicat ont entrepris des discussions en vue de l’introduction d’un horaire de travail par postes de douze heures. Hans–Georg Meyer, alors représentant local de l’agent négociateur, était aussi président du comité chargé d’étudier ce nouvel horaire de travail par postes de douze heures. Il a témoigné qu’on avait fait circuler, dans toutes les centrales, des feuilles qu’on demandait aux employés de signer pour déterminer ce qu’ils souhaitaient. La feuille distribuée à la centrale de Confederation Heights (pièce G–5) décrivait la raison d’être des signatures comme suit :

[Traduction]

[…]

   La raison d’obtenir leurs signatures est de savoir s’ils sont en faveur ou pas du changement du système actuel de cinq postes de huit heures chacun pour un système de cinq postes de douze heures chacun, sauf pour la semaine d’entretien, dont l’horaire de travail va continuer d’être par postes de huit heures, ou si cela les laisse indifférents. Plusieurs centrales de la région sont passées sans problème à des horaires de travail par postes de douze heures.

   Si ce projet pilote se concrétise, il sera mis à l’essai pour six mois; si les résultats sont satisfaisants pour toutes les parties, le nouvel horaire devrait devenir permanent.

   Le type d’horaire de travail par postes de douze heures convenant à notre centrale de Confederation Heights devra être déterminé lors d’une rencontre entre le mécanicien­chef et tous les mécaniciens et opérateurs des postes intéressés. Cela dit, on n’a pas encore tiré au clair les effets du nouvel horaire sur des points comme le personnel nécessaire et la paye pour les jours fériés, les congés de maladie et les congés annuels.

[…]

[10]   En 1978–1979, on a organisé une série de scrutins dans plusieurs centrales thermiques de la région d’Ottawa pour déterminer si les employés étaient favorables à un changement de leur horaire de travail, qui continuerait d’être établi par cycles de cinq semaines, mais passerait de postes de huit heures à des postes de douze heures, sauf dans le cas de la semaine d’entretien, dont l’horaire devait continuer d’être par postes de huit heures (pièce G–5). M. Meyer a identifié les documents des scrutins relatifs aux centrales de Confederation Heights, de Tunney’s Pasture, de la rue Booth et de la rue Cliff (pièce G–5). Le résultat du scrutin organisé pour la centrale du chemin Carson a aussi été déposé en preuve (pièce G–8).

[11]   La majorité des employés se sont prononcés en faveur de l’introduction d’un horaire par postes de douze heures, qui a commencé d’abord à la centrale de Confederation Heights, le 8 janvier 1979 (pièce G–5). M. Meyer a témoigné que le cycle de l’horaire de travail était de cinq semaines, soit quatre semaines par postes de douze heures avec roulement et une semaine de travail de jour, du lundi au vendredi, par postes de huit heures (de 7 h à 16 h 30). L’entente entre les parties reconnaissait que l’AFPC ne représenterait pas ses membres s’ils se plaignaient d’avoir dû travailler plus de huit heures, [traduction] « soit douze heures par poste, sauf dans la semaine d’entretien, dont les postes continueraient d’être de huit heures » (pièce G–5). Les signatures des employés favorables à l’horaire de travail par postes de douze heures à la centrale de Tunney’s Pasture ont été recueillies le 16 février 1979, et la direction a souscrit au changement quelque deux semaines plus tard. L’horaire par postes de douze heures a commencé le 19 mars 1979 (pièce G–5) à cette centrale, au départ avec un cycle de cinq semaines; M. Meyer a dit que, pour autant qu’il s’en souvienne, le cycle est toujours resté de cinq semaines. En septembre 1979, les employés de la centrale de la rue Booth ont accepté de passer à un horaire par postes de douze heures, à l’instar de la direction; cet horaire est entré en vigueur vers le 10 novembre 1979 (pièce G–5). Enfin, en janvier 1980, les employés de la centrale de la rue Cliff ont accepté eux aussi l’introduction de l’horaire par postes de douze heures (pièce G–5).

[12]   En 1979, un conflit a éclaté au sujet de l’introduction de l’horaire de travail par postes de douze heures à la centrale du chemin Carson. Lors d’une réunion extraordinaire du comité de consultation syndical-patronal tenue le 31 octobre 1979, l’agent négociateur s’est plaint que la direction y avait mis cet horaire en application unilatéralement (pièce G–7). La direction a répondu que c’était une erreur et elle a présenté des excuses. Par conséquent, les employés de cette centrale ont été payés au tarif des heures supplémentaires pour les quatre heures de travail excédant leur poste de huit heures; la centrale du chemin Carson est revenue à un horaire de travail par postes de huit heures et a été mise sur une liste d’attente pour l’introduction de l’horaire par postes de douze heures. Par la suite, les employés de la centrale ont accepté le passage à l’horaire par postes de douze heures en signant une feuille non datée (pièce G–8).

[13]   Le 7 février 1980, le directeur du SGSP, M. F. Vaculik, a envoyé à tous les gestionnaires des centrales de Confederation Heights, de Tunney’s Pasture, de la Place du Portage, de la rue Booth, de la rue Cliff et du chemin Fallowfield une note de service intitulée [traduction] « Programme de postes de douze heures » (pièce G–9). Il précisait que l’horaire de travail de base allait être structuré par cycles de cinq semaines, avec des modifications pour les centrales de la Place du Portage et de la rue Cliff : [traduction] « Tous les changements des horaires de travail de base devront être approuvés par le comité de l’horaire par postes de douze heures […] ».

[14]   M. Nitschmann a témoigné que, lorsqu’il a été affecté à la centrale de Rideau Hall, de 1981 à 1983, l’horaire de travail était organisé par postes de huit heures avec roulement. Comme il venait d’une centrale où l’horaire de travail était à cycle de douze semaines par postes de douze heures, il a discuté avec ses collègues de la centrale de Rideau Hall de la possibilité de changer leur horaire de travail. Ensuite, il a fait venir le délégué syndical en vue d’organiser un scrutin à l’intention des employés de la centrale, qui se sont dits favorables au passage à un horaire par postes de douze heures. Le gestionnaire de la centrale a accepté les résultats et a aussi accepté de mettre cet horaire à cycle de douze semaines par postes de douze heures à l’essai pour un an. M. Nitschmann a témoigné qu’il a été affecté à une autre centrale avant la fin de la période d’évaluation.

[15]   Avant novembre 2002, la majorité des horaires par postes avaient un cycle de douze semaines et des postes de douze heures. Les centrales de Tunney’s Pasture et de l’ACIA avaient des cycles de cinq semaines. Toutes les centrales où les fonctionnaires s’estimant lésés travaillaient avaient un horaire de travail à cycle de douze semaines.

[16]   Aux centrales où le cycle était de douze semaines, il y avait deux types de postes, ceux de douze heures étant appelés postes d’exploitation. Tous les fonctionnaires s’estimant lésés sauf un travaillaient exclusivement par postes de douze heures. Rick Laalo, qui était président de la section locale de l’AFPC en 2002, a témoigné que les postes d’exploitation incluaient des tâches de démarrage et d’arrêt des machines ainsi que de contrôle des opérations de la centrale. Les autres postes étaient d’entretien, avec des postes de jour de huit heures, du lundi au vendredi. Les fonctions d’entretien comprenaient la remise en état et la réparation de l’équipement, des machines ou des systèmes. Si personne n’était disponible pour un poste d’exploitation, un substitut affecté à l’entretien y était redéployé. M. Laalo a témoigné que les employés avaient traditionnellement été répartis entre les deux types de postes et qu’ils ne passaient généralement pas de l’un à l’autre.

[17]   M. Laalo, qui était président de la section locale de l’AFPC en 2002, a occupé divers autres postes de direction au syndicat depuis 1984 (pièce G–10). À sa connaissance, il y a eu deux autres changements de l’horaire de travail d’une centrale depuis 1981. En 1999 ou 2000, les employés de la centrale de l’ACIA avaient convenu avec le gestionnaire responsable d’un horaire de travail à cycle de douze semaines, avec roulement aux trois mois et cycle d’entretien par postes de jour de huit heures. Après un cycle complet de quinze mois, les employés avaient conclu que l’horaire n’était pas compatible avec leurs responsabilités familiales et personnelles. Ils avaient donc demandé, par l’intermédiaire de la section locale du syndicat, de revenir à un cycle de cinq semaines. La direction a accepté le scrutin des employés de la centrale et laissé le retour au cycle de cinq semaines se faire. M. Laalo a aussi témoigné que la centrale de Confederation Heights était passée d’un horaire à cycle de douze semaines à un horaire à cycle de cinq semaines, puis était revenue au cycle de douze semaines. Il a dit ne pas se rappeler quand cela s’est passé. En contre–interrogatoire, il a témoigné que la pratique normale en cas de changement d’horaire de travail était que les employés présentaient une proposition d’horaire au gestionnaire de la centrale; si celui–ci n’avait pas de réserves et n’appelait pas l’agent négociateur pour lui en parler, le syndicat n’intervenait pas. Par contre, si le gestionnaire de la centrale avait des réserves ou qu’il y avait de la résistance au changement, il communiquait avec l’exécutif de la section locale, qui organisait un scrutin.

[18]   Frank Nitschmann a témoigné que c’est le gestionnaire de la centrale qui approuve toutes les demandes de congé annuel et d’heures supplémentaires. C’est aussi lui ou son adjoint qui établissent l’horaire par postes. Enfin, le gestionnaire de la centrale représente le premier palier de la procédure de règlement des griefs.

[19]   Ralph Greenough est depuis quatre ans coordonnateur par intérim de l’exploitation. Il a travaillé comme opérateur par postes, superviseur de postes, surintendant de centrale et gestionnaire par intérim des services publics. Dans le cadre de ses fonctions de coordonnateur par intérim de l’exploitation, il est responsable du fonctionnement des centrales ainsi que de la dotation et des ressources humaines pour le personnel de l’exploitation. Il a témoigné qu’on avait entrepris, à partir de 1999, un examen de l’exploitation visant à déterminer comment le SGSP gérait ses activités, en s’efforçant de trouver des moyens d’améliorer le rendement et d’accroître l’efficience. La direction envisageait de modifier les horaires de travail. Le témoin a déclaré que les employés avaient de la réticence à accepter des affectations dans d’autres centrales que la leur, en raison des différences d’horaires de travail. Il était difficile de trouver des employés pour des affectations temporaires, à moins qu’on ne leur garantisse un poste particulier dans une centrale. M. Greenough a témoigné que la direction se rendait compte qu’elle allait devoir uniformiser ses horaires de travail pour que la situation soit la même partout. Il a aussi déclaré qu’elle était incapable de faire en sorte que tous les employés aient l’expérience et les compétences voulues pour s’acquitter des diverses fonctions. Elle voulait éliminer les avantages ou les inconvénients réels ou perçus du travail dans une centrale donnée plutôt qu’une autre. En outre, les employés affectés aux postes de jour de huit heures de l’horaire d’entretien devaient se porter volontaires pour cette tâche. La situation est arrivée au point critique à la centrale de l’ACIA quand la direction n’a pas réussi à trouver les volontaires qu’il fallait. Cela dit, la direction voulait aussi que tous les employés travaillent aussi bien à l’exploitation qu’à l’entretien, pour faire disparaître la mentalité de « nous et eux » entre les préposés à l’entretien et le personnel de l’exploitation.

[20]   Les discussions en vue du passage à un horaire de travail uniforme à cycle de cinq semaines ont commencé en 2000. À la réunion de consultation syndicale­patronale du 23 novembre 2000 (pièce E–6), les parties ont discuté de « l’examen de l’exploitation ». M. Nitschmann a assisté à cette réunion; d’après le compte rendu, il aurait dit que tous les changements de postes allaient devoir faire l’objet d’un scrutin, pour qu’on sache ce que les employés en pensaient. À la réunion de consultation du 21 juin 2001, il a été de nouveau question de « l’examen de l’exploitation » (pièce E–3). Dans le compte rendu, la discussion par la direction d’un horaire de travail avec roulement faisant en sorte que les HP travailleraient aussi bien à l’entretien qu’à l’exploitation est mentionnée. Il est précisé aussi que la direction était d’avis que cela contribuerait à résoudre le problème de souplesse qu’elle éprouvait à ce moment–là.

[21]   M. Laalo a envoyé aux employés une note de service datée du 18 février 2002 à laquelle était annexée une feuille qu’ils pourraient signer (pièce G–11). Dans cette note, il déclarait que la direction allait exiger que toutes les centrales adoptent le même horaire de travail par postes à cycle de cinq semaines. Il écrivait aussi que la direction voulait éliminer [traduction] « l’alignement des numéros de postes sur des centrales données » et créer le concept d’un seul lieu de travail pour tout le SGSP. Il ajoutait que ces changements auraient pour effet de constituer un vaste bassin d’opérateurs et que les employés de chaque centrale n’auraient plus la possibilité d’influer directement sur l’horaire de leur lieu de travail. Les employés des centrales de la rue Cliff, de la rue Booth, de l’ACIA, de la GRC et de Confederation Heights ont signé la feuille en déclarant tous qu’ils n’étaient pas favorables à l’horaire de travail à cycle de cinq semaines proposé.

[22]   Wendall Wilson, le directeur du SGSP, a témoigné que la direction envisageait l’établissement d’une organisation « matricée » qui mettrait fin à l’affectation d’employés à des numéros de poste particuliers. Il a déclaré que la direction du SGSP ne voulait pas d’un bassin de HP. Selon lui, un « bassin » est un groupe d’employés qui se présentent à un endroit donné et sont envoyés travailler à différents endroits.

[23]   Le compte rendu de la réunion de consultation syndicale-patronale du 20 mars 2002 révèle que la direction avait déclaré vouloir convoquer une autre réunion pour parler d’un document que l’agent négociateur avait rédigé au sujet des propositions de changement des horaires par postes et d’autres questions concernant le travail (pièce E–9). Dans ce document, l’agent négociateur précisait que la section locale avait déclaré à la direction que sa proposition d’introduction d’un horaire de travail à cycle de cinq semaines contrevenait à la convention collective et qu’elle devrait être acceptée par la majorité des employés dans le cadre d’un scrutin. La réponse de la direction, figurant dans l’addendum, était que la mise en œuvre d’un horaire de travail uniforme pour toutes les centrales n’était pas contraire à la convention collective. La direction déclarait aussi que son intention était :

[Traduction]

[...]

[…] d’assurer l’égalité, la formation et le perfectionnement de tout le personnel et de faire en sorte que la gestion des centrales soit conséquente et efficace. Il a été déterminé que le roulement entre le travail par postes [pour l’exploitation] et le travail d’entretien était indispensable pour l’exploitation actuelle et aussi pour qu’il soit possible d’atteindre les objectifs susmentionnés […]

[...]

[24]   La section locale déclarait aussi dans le document de l’agent négociateur qu’elle s’opposait au concept [traduction] « d’un seul et même lieu de travail » (pièce E–9). À cela, la direction a répondu que le « lieu de travail » était constitué, à ce moment–là, par les lieux de travail de l’ensemble du SGSP pour toutes les mesures de dotation officielles plutôt que par telle ou telle centrale en tant qu’entité indépendante. M. Greenough a témoigné que la direction du SGSP voulait uniformiser les horaires de travail dans toutes les centrales, sans exceptions pour des centrales données.

[25]   Le 3 octobre 2002, M. Wilson a envoyé à tout le personnel du SGSP une note de service l’informant que toutes les centrales en exploitation continue (24 heures par jour et sept jours par semaine) étaient tenues d’adopter un horaire de travail à cycle de cinq semaines avec roulement à compter du 28 de ce mois–là (pièce G–2). Il décrivait l’intention de la direction comme suit :

[Traduction]

[...]

   Cet horaire de travail a pour but de contribuer à l’égalité de tout le personnel HP de l’exploitation dans l’exercice des fonctions d’entretien et d’exploitation précisées dans toutes les descriptions de poste, ainsi que de répondre aux exigences actuelles du service. Un horaire uniformisé pour toutes les centrales et pour l’ensemble du personnel d’exploitation assure l’égalité des avantages et élimine les inconvénients de la répartition entre l’exploitation et l’entretien, quelle que soit la configuration d’un horaire 24 heures par jour et sept jours par semaine. Il est donc impératif que tout le personnel soit identifié afin d’être inclus dans le plan et dans l’horaire de travail révisés. Il ne s’agit pas d’un changement de l’horaire de travail, mais plutôt d’une modification de l’horaire d’exploitation 24 heures par jour et sept jours par semaine; l’horaire de travail individuel continue d’être par postes de douze ou de huit heures dans l’horaire proposé, comme dans l’horaire actuel.

   Cette initiative est fondée sur les exigences actuelles du groupe et de l’exploitation et s’inscrit dans le contexte des initiatives de la direction du Service de gestion des services publics visant à uniformiser la gestion des centrales. L’initiative a fait l’objet d’une consultation et de discussions poussées à plusieurs tables, y compris celle de l’exécutif de la section locale du syndicat. Il a été déterminé que l’horaire à cycle de cinq semaines était préférable, pour l’essai, à l’horaire actuel à cycle de douze semaines; nous lui donnerons la première possibilité d’être évalué en tant qu’horaire uniforme […]

[...]

[26]   M. Wilson a témoigné qu’un horaire à cycle de cinq semaines permettait à la direction d’assurer quatre jours d’entretien à huit heures par jour au cours des cinq semaines du cycle. Dans sa note de service (pièce G–2), il précisait aussi que l’horaire allait être introduit à l’essai et qu’on déterminerait son coût et son efficacité opérationnelle après six mois.

[27]   À l’occasion d’une réunion syndicale­patronale tenue le 9 octobre 2002, M. Laalo a annoncé qu’on organiserait un scrutin sur l’horaire à cycle de cinq semaines dans les centrales thermiques (pièce G–3). Le compte rendu de cette réunion (pièce G–3) révèle que M. Wilson avait déclaré que l’horaire serait introduit en novembre [traduction] « quel que soit le résultat du scrutin ». M. Laalo a témoigné qu’on n’avait pas organisé un scrutin en règle dans les centrales visées, mais a néanmoins déclaré croire qu’on avait voté de façon informelle dans plusieurs centrales et que les résultats montraient que la majorité des employés n’étaient pas favorables au changement.

[28]   M. Wilson a témoigné se rappeler que M. Laalo avait demandé que la direction n’étende pas le roulement à tous les HP. Il a dit avoir organisé une réunion pour en parler avec M. Laalo et lui avoir déclaré qu’il allait étudier sa demande, mais M. Laalo n’a pas réagi à cette offre de pousser la consultation plus loin. Selon M. Wilson, une entente basée sur cette proposition aurait été possible.

[29]   Le nouvel horaire à cycle de cinq semaines a été présenté aux employés vers le 11 octobre 2002 (pièce G–4); il devait être mis en œuvre à compter du 28 du même mois.

[30]   Lors de la réunion de consultation syndicale­patronale tenue le 13 février 2003, le représentant de l’agent négociateur a parlé de la difficulté pour les employés de savoir s’ils travailleraient le jour de Noël, le dimanche de Pâques et les autres jours fériés (pièce E–11). À la réunion de consultation du 24 avril 2003, M. Wilson a déclaré avoir chargé un surintendant de centrale d’établir un horaire à long terme, à titre d’exemple pour les autres surintendants de centrales (pièce E–12).

[31]   M. Nitschmann a témoigné que l’horaire à cycle de cinq semaines était physiquement éprouvant en raison du passage du travail de jour au travail de nuit pendant le cycle, et qu’il devenait difficile de rester éveillé.

Résumé de l’argumentation

Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

[32]   M me Bramwell déclare que la disposition de la convention collective la plus critique dans ce conflit est l’alinéa 3.05c) des Dispositions particulières au groupe, figurant à l’Appendice « D » de la convention collective des Services de l’exploitation :

3.05 Postes de douze (12) heures et autres horaires de travail variables

[…]

  1. Tout arrangement spécial, y compris des postes de douze (12) heures, peut être fait à la demande de l’une ou l’autre partie et doit être accepté mutuellement par l’Employeur et par la majorité des employé–e–s touchés et s’appliquer à tous les employé–e–s de l’unité de travail.

[33]   Les fonctionnaires s’estimant lésés estiment que cet alinéa a été violé quand l’employeur a unilatéralement introduit l’horaire à cycle de cinq semaines par postes de douze heures. Les parties interprètent cet alinéa de la même façon depuis longtemps (30 ans), ce qui prouve que la direction, le syndicat et les fonctionnaires eux–mêmes le comprennent clairement. En outre, les parties se sont fondées de façon répétée sur l’interprétation établie au cours des 30 dernières années. À l’automne 2002, la direction a rejeté cette pratique et adopté unilatéralement une interprétation différente. Rien n’indique que l’employeur ait donné le moindre préavis de sa nouvelle interprétation à la table de négociation. M me Bramwell souligne que la direction a dit et répété au cours des consultations locales qu’elle était sur le point d’adopter une nouvelle interprétation, et l’agent négociateur a toujours dit qu’il n’acceptait pas cette interprétation.

[34]   M me Bramwell fait valoir que les « arrangements spéciaux » que prévoit la convention collective exigent de nombreuses étapes. Premièrement, ils peuvent être conclus à la demande de l’une ou l’autre des parties; deuxièmement, ils doivent être acceptés mutuellement. Une fois acceptés, les arrangements spéciaux s’appliquent à tous les fonctionnaires de l’unité de travail. M me Bramwell poursuit en disant que, pour définir ce qu’est un arrangement spécial, il vaut la peine de commencer par préciser ce qu’il n’est pas. Il y a deux sortes de travailleurs assujettis à l’horaire de travail normal (sans arrangement spécial). La clause 3.03 de l’Appendice « D » prévoit un horaire de travail régulier, soit huit heures par jour, cinq jours par semaine, tandis que la clause 3.04 prévoit des heures irrégulières ou par roulement en raison des nécessités du service. Personne ne conteste que les nécessités du service exigent que la plupart des centrales fonctionnent 24 heures par jour. Les heures irrégulières ou par roulement sont réparties par postes de huit heures, conformément à la clause 3.04. Ce sont ces postes de huit heures qui existaient avant l’introduction de l’arrangement spécial prévoyant des postes de douze heures. Les postes de douze heures ont été adoptés centrale par centrale à la suite de scrutins démontrant que la majorité des employés touchés à chaque lieu de travail voulaient un horaire par postes de douze heures.

[35]   La représentante de l’agent négociateur affirme que la direction a le droit de revenir à des horaires par postes de huit heures n’importe quand si elle le désire. Par contre, il est clair que les arrangements spéciaux doivent être acceptés mutuellement par les parties. Dès qu’elles ne sont plus d’accord, l’arrangement spécial ne tient plus. M me Bramwell soutient que le libellé de la convention collective ne pourrait pas être plus clair. Les 30 années d’interprétation de ce libellé créent une préclusion si forte qu’elle ne voit pas comment on pourrait passer outre. Cela dit, elle souligne que l’affaire n’est pas basée sur le principe de préclusion, mais plutôt simplement sur le libellé de la convention collective.

[36]   M me Bramwell souligne aussi que les témoignages de MM. Greenough et Meyer étaient conséquents, à savoir que ce qui n’est pas « spécial » relève de la clause 3.04. Dans les paramètres de cette clause, une certaine souplesse est possible en ce qui concerne le début et la fin des postes de travail. Les postes de douze heures ne sont pas une option qui puisse être considérée comme un droit de la direction prévu par la convention collective. Les parties doivent convenir mutuellement de tels postes. En outre, le libellé des Dispositions particulières au groupe se reflète dans les articles 25 et 28 de la convention cadre. En effet, la clause 28.05 donne à l’employeur une marge de manœuvre passablement grande, mais, pour qu’il puisse s’en prévaloir, les deux parties doivent commencer par s’entendre mutuellement.

[37]   Selon M me Bramwell, un « arrangement » est simplement l’ordre dans lequel les choses sont présentées. Chaque nouvel arrangement exige un nouveau consentement. Quand on ajoute un nouvel élément, on crée un nouvel arrangement. Un horaire de travail ne comportant que des postes de douze heures diffère d’un horaire comportant des postes de douze heures et de huit heures. C’est certainement de cette façon–là qu’on a procédé dans le passé, en organisant des scrutins dans les cas où l’horaire de travail est passé d’un cycle de douze semaines par postes de douze heures à un cycle de cinq semaines lui aussi par postes de douze heures. M me Bramwell me reporte aux feuilles de signatures originales (pièce G–5) et au témoignage de M. Laalo sur la centrale de Confederation Heights. La clause 3.05 ne dit pas que, une fois que les employés ont accepté un arrangement spécial, l’employeur peut en imposer un nouveau. La convention collective se prête à beaucoup de souplesse et de créativité, mais les arrangements doivent être acceptés mutuellement par les parties.

[38]   M me Bramwell fait valoir que les travailleurs par postes sont vulnérables. Or, la convention collective leur accorde une certaine protection. Il est clair que la direction a des objectifs : une exploitation efficiente, prévisible et souple. Ces objectifs de la direction sont tous valides, mais la façon de les atteindre a de grandes répercussions sur la vie des employés. La convention collective stipule que la direction peut les atteindre si les employés y consentent; ses dispositions ont pour objet la protection des employés. En l’espèce, la question à trancher consiste à savoir si l’employeur a respecté une des conditions de l’alinéa 3.05c) – obtenir le consentement de l’autre partie. La preuve est claire qu’il ne l’a pas fait.

[39]   M me Bramwell souligne que M. Wilson a témoigné qu’une entente aurait pu être possible dans le contexte de la proposition d’horaires de travail à cycle de cinq semaines sans roulement avancée par M. Laalo. Toutefois, cette affirmation est carrément incompatible avec le témoignage de M. Laalo lui–même ainsi qu’avec les documents déposés en pièces, dans lesquels il est clair que le roulement était un élément essentiel de la démarche de la direction. En définitive, les raisons pour lesquelles les parties ne se sont pas entendues importent peu, parce que l’article stipule qu’elles doivent s’entendre mutuellement. Ce que M. Laalo a dit — et qui est mentionné dans la pièce G–3 — au sujet d’un horaire à cycle de cinq semaines sans roulement n’était qu’une tentative de mitiger les conséquences de l’imposition unilatérale, par la direction, de son horaire à cycle de cinq semaines.

[40]   M me Bramwell rappelle que M. Laalo a témoigné que la seule fois qu’il n’y a pas eu de scrutin, c’était dans le cas de la centrale de l’ACIA, où elle fait valoir que la longueur du cycle de l’horaire de travail était telle que la convention collective était violée. Le témoignage de M. Laalo sur les scrutins n’a pas été contredit, alors qu’il aurait été bien simple pour l’employeur de faire comparaître des témoins afin de le prendre en défaut si c’était possible. M. Greenough n’a pas été aussi clair dans son témoignage; en fait, il s’est montré remarquablement vague. Il ne semble pas qu’il ait analysé les obligations que la clause 3.05 impose à l’employeur. Même s’il a longtemps réfléchi aux buts de la direction et au meilleur moyen de les atteindre, il n’a à peu près pas réfléchi à ses obligations découlant de la convention collective. Il s’est comporté comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, et ce sont les articles de la convention collective qui ont écopé.

[41]   M me Bramwell affirme que l’interprétation de « l’unité de travail » est liée à la question de la constitution d’un bassin d’employés soulevée dans la pièce G–11. M. Greenough n’avait aucune définition de l’unité de travail; il a témoigné en disant qu’elle correspondait tantôt aux gens touchés, tantôt à l’ensemble du SGSP. C’est un témoignage manquant énormément de sincérité. En effet, la clause 3.05 précise nettement que l’arrangement spécial doit être accepté par « la majorité des employé–e–s touchés » et « s’appliquer à tous les employé–e–s de l’unité de travail ». Le scrutin est organisé auprès de ceux qui sont touchés, et ce sont clairement les employés de la centrale à laquelle l’horaire s’applique. L’interprétation de l’employeur pourrait potentiellement aboutir à une situation où, étant donné que trois employés d’une petite centrale décideraient qu’ils veulent un nouvel horaire de travail, ce nouvel horaire finirait par s’appliquer à l’ensemble du SGSP. Le nombre des employés « touchés » diffère d’une centrale à l’autre. Cela constitue l’interprétation et la pratique établies depuis 30 ans. Une unité de travail est une centrale; c’est une interprétation logique basée sur une préclusion très forte d’une trentaine d’années. Tous les congés sont approuvés au niveau de la centrale, et l’approbation des horaires de travail par postes se fait aussi au niveau de la centrale. Dans la pièce E–10 (sous la rubrique de l’examen opérationnel), la position de l’agent négociateur revient à dire que chaque centrale est considérée comme une entité distincte.

[42]   Subsidiairement, M me Bramwell soutient que, si la définition de l’unité de travail de l’employeur était fondée, cela ne signifierait toutefois pas que la majorité des employés étaient favorables au changement. Le syndicat a tenté de le déterminer (pièce G–11); il a obtenu suffisamment de réactions négatives pour savoir que la proposition de la direction allait à l’encontre des désirs de la majorité des employés intéressés.

[43]   M me Bramwell souligne que la direction a avancé plusieurs excuses afin d’expliquer pourquoi elle n’a pas pris la peine d’appliquer la clause 3.05 de l’Appendice « D », la principale étant les nécessités du service. Les objectifs cités par M. Greenough (pièce E–5) sont tous de bonnes raisons pour la direction d’assujettir tout le monde au même horaire de travail, mais la convention collective pose des conditions sur les façons de résoudre les problèmes à cet égard. Si la direction voulait que tout le monde ait le même horaire, elle pouvait revenir à des postes de huit heures ou conclure un arrangement avec l’accord mutuel des deux parties.

[44]   M me Bramwell souligne aussi que M. Greenough a témoigné de l’effet de « yo–yo » du passage de l’horaire d’entretien à l’horaire par postes de douze heures; il a reconnu à quel point c’était difficile. Il a également reconnu que la combinaison de postes de douze heures et de huit heures dans un même horaire est bien différente d’un horaire par postes de douze heures seulement.

[45]   M me Bramwell déclare en outre que les éléments essentiels du principe de préclusion sont réunis en l’espèce : une promesse a été faite par la pratique établie, et la partie intéressée s’est fondée sur cette pratique. M. Meyer a témoigné que les employés avaient échangé leur droit d’être payés au tarif des heures supplémentaires après huit heures afin de conclure ces arrangements spéciaux. M me Bramwell fait donc valoir que la direction ne peut pas nier ces droits en changeant l’horaire de travail.

[46]   Elle souligne que l’employeur se fonde aussi sur l’alinéa 4.02a), mais que son interprétation n’est pas valide. Cet alinéa doit être interprété de façon logique, sans annuler un droit prévu par une autre disposition. L’expression « horaire de travail » ne désigne pas un « arrangement ». Il est question de l’horaire de travail dans d’autres articles de la convention collective; par exemple, la clause 28.05 précise la durée maximale d’un horaire par postes. L’horaire de travail est affiché pour que les employés puissent savoir quel est leur propre horaire. En outre, l’horaire de travail doit parfois être modifié parce que les employés sont en congé de maladie ou pour d’autres raisons, et c’est pourquoi la clause 4.02 porte vraiment sur les modalités de modification de l’horaire de travail.

[47]   M me Bramwell déclare que l’employeur a aussi prétendu que l’horaire à cycle de cinq semaines par postes de douze heures n’est qu’une variante de l’horaire à cycle de douze semaines par postes de douze heures existant et qu’il peut donc imposer toutes les « variantes » par postes de douze heures qu’il veut, à son gré. Ce raisonnement est incompatible avec l’esprit de la disposition pertinente, la logique et les témoignages. Le changement imposé par l’employeur a d’énormes répercussions sur les employés; l’employeur l’a d’ailleurs reconnu dans sa réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Il a ramené la longueur de l’horaire par postes d’un cycle de douze semaines à un cycle cinq semaines, mais aussi introduit des postes de huit heures en conservant les postes de douze heures, ce qui donne un arrangement mixte. Il se retrouve à toutes fins utiles avec une combinaison de travailleurs de jour et de travailleurs par postes. La clause 3.05 ne prévoit pas une telle combinaison de postes de huit heures et de douze heures simplement parce que la majorité des employés ont accepté un poste de douze heures. L’employeur a dit que la pièce G–11 ne prévoit rien quant au roulement, alors que M. Laalo a témoigné que tout le monde savait qu’un horaire à cycle de cinq semaines par postes de douze heures comprenait des affectations à l’entretien par roulement.

[48]   M me Bramwell me demande de considérer le témoignage de M. Greenough comme contradictoire. Il n’a pas répondu aux questions, et les réponses qu’il a données modifiaient, voire contredisaient souvent le témoignage de M. Wilson. Selon elle, M. Greenough n’est pas le plus fiable des témoins; il semblait se donner bien du mal pour être sûr que ses réponses concorderaient avec les résultats.

[49]   M me Bramwell me renvoie à Léger c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossiers de la CRTFP 166–2–18740 et 166–2–18616 (1989) (QL), ainsi qu’à Canadian Labour Arbitration, Third Edition, ouvrage de MM. Brown et Beatty, sur la question du principe de préclusion.

[50]   Enfin, M me Bramwell réclame une ordonnance déclaratoire stipulant que l’alinéa 3.05c) a été violé et qu’il faut revenir à l’arrangement spécial antérieur à chaque centrale. En ce qui concerne les dommages–intérêts découlant de cette violation de la convention collective, elle me demande de demeurer saisi de l’affaire dans l’éventualité où les parties n’arriveraient pas à s’entendre à cet égard.

Pour l’employeur

[51]   M e Jaworski déclare que peu de faits sont contestés, en fin de compte. Les centrales thermiques de la région de la capitale nationale fonctionnent 365 jours par année, 7 jours par semaine et 24 heures par jour. Les tâches accomplies par les HP–3 et les HP–5 ont deux volets : celui d’assurer le fonctionnement ininterrompu des centrales et celui d’entretenir les systèmes. Pour ce qui est de l’entretien, il faut distinguer l’entretien préventif des réparations.

[52]   L’avocat de l’employeur souligne que les opérateurs sont assujettis à un horaire de travail. Si l’on consulte l’horaire de la centrale de la rue Cliff (pièce G–4), on voit qu’il est en deux parties, celle du haut et celle du bas. Les HP–3 et HP–5 inscrits à la partie supérieure sont opérateurs et superviseurs par postes. Dans la partie inférieure, les HP sont affectés à des tâches d’entretien de jour, à raison de huit heures par jour. Il y a un horaire de travail par centrale. Initialement, dans la convention collective, on envisageait trois postes de huit heures par jour. Les employés ont alors proposé deux postes de douze heures, et l’employeur a accepté de mettre cette proposition à l’essai. Ce n’était pas une entente portant sur un horaire de travail de douze semaines, mais plutôt sur des postes de douze heures.

[53]   M e Jaworski affirme que l’environnement de travail a changé en 25 ans. La direction a de la difficulté à cantonner les employés dans l’entretien; ils veulent travailler par postes. Elle ne veut pas non plus réaffecter les employés d’une centrale à l’autre, et les postes de douze heures sont trop lucratifs.

[54]   M e Jaworski souligne que le nouvel horaire de travail (pièce G–4) introduit par la direction a un cycle de cinq semaines. Ce que l’employeur veut faire saute aux yeux. Il veut assurer le roulement des employés entre l’exploitation et l’entretien (ou entre les deux parties de l’horaire). S’il a opté pour un cycle de cinq semaines, c’est que c’était la meilleure façon de procéder, compte tenu des paramètres de l’effectif et de la convention collective. Le nombre d’employés est limité, et la façon de la direction de les déployer est elle aussi limitée par des restrictions. En outre, le roulement des employés donne à chacun des chances égales de travailler par postes de douze heures et d’être affecté à l’entretien. M. Greenough a témoigné que les façons d’établir un horaire de travail par postes ne sont pas illimitées. Le roulement entre l’exploitation et l’entretien suppose un cycle de cinq ou de douze semaines. Si la direction avait opté pour un horaire de travail à cycle de douze semaines, certains employés seraient restés quatre semaines complètes à l’entretien. La direction a opté pour un cycle de cinq semaines parce que cela réduit le temps que chaque employé va devoir passer à l’entretien. Les tâches d’entretien figurent dans les descriptions de poste. Dans son témoignage, M. Wilson a dit que les superviseurs des centrales avaient eu l’instruction d’afficher plusieurs horaires à cycle de cinq semaines à l’avance, afin que les employés puissent planifier. Le seul autre changement est le roulement. Les postes de douze heures existent encore. La différence est que certains HP doivent désormais faire de l’entretien. Tous les fonctionnaires s’estimant lésés travaillaient presque exclusivement par postes de douze heures. Il n’y a pas eu de griefs d’employés qui ne veulent pas travailler par postes de douze heures.

[55]   M e Jaworski soutient que la clause 25.05 est applicable en l’espèce. C’est une disposition qui stipule combien de temps à l’avance l’horaire de travail doit être affiché et qui précise la durée des horaires variables. L’employeur n’y a pas contrevenu. Par ailleurs, la clause 28.01 ne définit pas « l’unité de travail », tandis que la clause 28.04 précise que l’employeur a le droit d’établir la durée du travail stipulée dans la convention collective. La clause 3.04 de l’Appendice « D » n’interdit pas à l’employeur d’établir l’horaire autrement. En outre, la clause 3.05 de cet Appendice doit être interprétée dans le contexte de toute la convention collective. On ne peut pas non plus interpréter l’alinéa 3.05c) sans tenir compte des alinéas 3.05a) ou b). M e Jaworski déclare qu’on ne se rend jamais à l’alinéa 3.05c). La direction a décidé que les employés devaient travailler par roulement à l’entretien et à l’exploitation; c’est le seul changement qu’elle a fait. Les postes n’ont pas changé. Il reste encore deux sortes de postes, d’exploitation et d’entretien. Le poste des employés n’est pas lié à la partie supérieure ou inférieure de l’horaire. Plusieurs d’entre eux voudraient toujours être dans la partie supérieure de l’horaire, en travaillant par postes à l’exploitation sans être tenus de faire de l’entretien. Tout ce que l’employeur fait, c’est affecter par roulement les HP–3 et HP–5 aux volets d’entretien et d’exploitation de l’horaire de travail.

[56]   M e Jaworski souligne qu’il n’est pas question de roulement dans la note de service de M. Laalo qui a été affichée dans les centrales (pièce G–11). M. Laalo a d’ailleurs témoigné que seuls ceux qui travaillaient par postes de douze heures devraient voter.

[57]   Selon M e Jaworski, la convention collective autorise l’employeur à établir la durée du travail à son gré. Si les employés ne veulent pas travailler par postes de douze heures et que cela leur est imposé, il est tenu de leur payer des heures supplémentaires. Toutefois, les griefs ne contestent pas un retour à des postes de huit heures; ils réclament le maintien des postes de douze heures.

[58]   M e Jaworski soutient que les employés ne sont pas désignés travailleurs par postes ou travailleurs de jour. C’est quand l’horaire correspond aux définitions de la convention collective qu’on les qualifie ainsi. Le fait est que « l’arrangement spécial » mentionné à l’alinéa 3.05c) de l’Appendice « D » s’applique au changement de l’horaire de travail pour en faire quelque chose que la convention collective n’envisage pas, par exemple un horaire par postes de six heures. Les postes de douze heures ont été acceptés par les deux parties. Si la direction tentait unilatéralement de changer les postes de huit heures en postes de douze heures, cela correspondrait à la situation que la clause 3.05 est censée prévenir. Ce serait différent si les employés affectés à l’entretien qui travaillent par postes de huit heures se plaignaient d’un passage à des postes de douze heures, mais ces gens–là n’ont fait aucune intervention devant la Commission.

[59]   En ce qui concerne le témoignage de M. Greenough et les commentaires de M me Bramwell, M e Jaworski affirme que tous les témoins n’ont rien dit d’autre que la vérité dans la mesure où la mémoire leur est fidèle. La différence est dans l’interprétation de leurs dires.

[60]   Selon M e Jaworski, la différence fondamentale entre des horaires à cycles de douze semaines et de cinq semaines n’est pas que le cycle est plus court dans un des cas, mais bien que les travailleurs qui avaient l’habitude de toucher une prime vont désormais devoir faire un travail qu’ils n’aiment pas. Ce n’est pas un arrangement spécial; le travail a toujours existé, et il n’est pas spécial.

[61]   M e Jaworski établit une distinction entre la présente affaire et Léger c. Conseil du Trésor (Transports Canada), supra, en disant que les circonstances sont bien différentes. Il me renvoie aussi à Re Lawson Packaging, Division of Exford Paper Boxes Ltd. and Printing Specialists and Paper Products, Local 466 (1973), 2 L.A.C. (2d) 408, où il est établi que l’employeur a le droit d’établir la durée du travail comme il lui semble bon. Il invoque aussi UCCO–SACC–CSNc. Conseil du Trésor, 2004 CRTFP 38 : l’employeur a parfaitement le droit de changer l’horaire de travail.

[62]   Enfin, M e Jaworski conclut en déclarant que les fonctionnaires s’estimant lésés ne se sont pas acquittés du fardeau de la preuve et qu’il est clair que la convention collective autorisait l’employeur à faire ce qu’il a fait.

Réplique

[63]   M me Bramwell déclare que la décision UCCO–SACC–CSN c.Conseil du Trésor, supra, ne s’applique guère en l’espèce puisqu’il appert qu’on n’a pas invoqué le principe de préclusion dans cette affaire–là. Elle souligne aussi que, dans Re Lawson Packaging, supra, il est question « d’arrangements privés », pas de droits reconnus par une convention collective. Dans la présente affaire, la capacité de l’employeur d’imposer des horaires de travail par postes est nettement limitée.

[64]   Selon M me Bramwell, la description des faits que M e Jaworski a donnée n’est pas toujours conforme à la réalité. Par exemple, on peut voir dans la pièce G–4 que, même avec le nouvel horaire à cycle de cinq semaines par postes de douze heures, il y a des employés qui n’ont que des heures de travail normales à l’entretien, à la centrale de la rue Cliff. M e Jaworski a aussi déclaré qu’aucun employé affecté à l’entretien n’a présenté un grief, alors que D. Chappell, qui travaille à la centrale de la Ferme expérimentale, en a présenté un.

[65]   M me Bramwell souligne qu’il n’est pas du tout mentionné, dans les griefs, que les employés se sont fait assigner des tâches d’entretien. L’entretien figure effectivement dans les descriptions de poste (pièces E–1 et E–4). M e Jaworski a dit que tous les HP pourraient devenir des travailleurs de jour. Toutefois, la description de poste mentionne expressément des « horaires de travail par postes avec roulement ». M e Jaworski a aussi dit que personne n’a protesté au sujet d’un horaire à cycle de douze semaines ou de cinq semaines au début des postes de douze heures, alors que c’est exactement le contraire qui est vrai. On trouve dans la pièce G–5 un exemple d’une centrale dont le personnel a choisi entre deux propositions d’horaire de travail, un à cycle de douze semaines et l’autre à cycle de cinq semaines.

[66]   M me Bramwell conclut que la difficulté de trouver des employés pour travailler à l’entretien est un problème de dotation et non d’horaire de travail par postes. On le voit bien dans les pièces E–6 et E–7 ainsi que dans le résumé que M. Greenough a fait dans la pièce E–5. L’argument de M e Jaworski, selon qui le roulement est le seul changement dans le passage d’un horaire à cycle de douze semaines à un horaire à cycle de cinq semaines ne tient pas; ce n’était pas le seul changement, ni même le plus important. Maintenant, plutôt que de travailler toujours par postes, les employés travaillent à la fois par postes et de jour. C’est la véritable différence, et c’est une différence qui a des répercussions sur leur vie personnelle.

[67]   M me Bramwell soutient que la clause 28.04 stipule clairement que l’employeur a le droit de revenir à un horaire qui ne constitue pas un arrangement spécial, à condition que celui­ci corresponde à « la durée du travail stipulée dans la […] convention ». En d’autres termes, la convention collective permet à l’employeur de revenir aux dispositions de la clause 3.04 de l’Appendice « D ».

[68]   M me Bramwell soutient que les alinéas 3.05a) et b) s’appliquent à une personne qui veut changer son horaire de travail ou à un groupe d’employés qui veulent changer le leur, par exemple en modifiant l’heure du début de leur journée de travail. Les concepts de ces deux alinéas, a) et b), sont différents du nouvel arrangement visé par l’alinéa 3.05c).

Motifs de décision

[69]   Au fond, les faits essentiels ne sont guère contestés. Le conflit repose essentiellement sur l’interprétation des dispositions de la convention collective applicables aux horaires variables (l’article 28 et la clause 3.05 de l’Appendice « D »). L’article 28 est une disposition à caractère général autorisant un horaire de travail variable. Les dispositions particulières figurent à la clause 3.05 de l’Appendice « D » et celles qui sont fondamentales dans ce conflit sont les suivantes :

APPENDICE « D »
CHAUFFAGE, FORCE MOTRICE ET OPÉRATION
DE MACHINES FIXES
DISPOSITIONS PARTICULIÈRES AU GROUPE ET
TAUX DE RÉMUNÉRATION

Nonobstant les dispositions générales de la présente convention collective, les dispositions particulières suivantes s’appliquent aux employé–e–s du groupe Chauffage, force motrice et opération de machines fixes.

[...]

Durée du travail

[...]

3.04  Lorsque, en raison des nécessités du service, l’horaire de travail prévoit des heures irrégulières ou par roulement :

  1. il doit être tel que les employé–e–s effectuent :
    1. chaque semaine, une moyenne de quarante (40) heures de travail et une moyenne de cinq (5) jours par semaine, et
    2. chaque jour, huit (8) heures de travail;

[...]

3.05   Postes de douze (12) heures et autres horaires de travail variables

  1. Nonobstant les dispositions du présent article, les employé–e–s, avec l’approbation de l’Employeur, peuvent effectuer leur durée de travail hebdomadaire au cours d’une période différente de cinq (5) jours entiers en autant que, sur une période donnée que déterminera l’Employeur, lesdits employé–e–s effectuent une moyenne de quarante (40) heures par semaine. Pendant toute période ainsi établie, des jours de repos doivent être accordés aux employé–e–s les jours qui ne sont pas prévus à l’horaire comme jours de travail normaux pour eux ou elles.

  2. Nonobstant toute disposition expressément contraire dans la présente convention, la mise en œuvre de toute variation des heures de travail ne doit pas entraîner d’heures supplémentaires additionnelles ni de paiements additionnels résultant d’une telle variation et elle ne doit pas non plus être réputée contrevenir au droit que confèrent à l’Employeur les dispositions de la présente convention en ce qui concerne l’établissement des horaires de travail.

  3. Tout arrangement spécial, y compris des postes de douze (12) heures, peut être fait à la demande de l’une ou l’autre partie et doit être accepté mutuellement par l’Employeur et par la majorité des employé–e–s touchés et s’appliquer à tous les employé–e–s de l’unité de travail.

Généralités

[...]

4.02

  1. L’Employeur convient que, avant de modifier un horaire de travail, il discutera de la modification avec le délégué syndical de l’Alliance, si la modification touche la majorité des employé–e–s régis par cet horaire.

[...]

[70]   La position de l’employeur est résumée de façon succincte dans sa réponse au troisième palier de la procédure de règlement des griefs (7 février 2003) :

[Traduction]

[...]

[…] l’horaire de travail n’a pas changé dans l’unité de travail, qui est définie par la direction comme le Service de gestion des services publics. Il y a encore des postes de douze heures et de huit heures. Seule la longueur de l’horaire a été modifiée.

[...]

[71]   Le syndicat estime que le passage à un horaire à cycle de cinq semaines a entraîné la modification de l’horaire de travail des fonctionnaires s’estimant lésés, pris individuellement, qui doivent désormais travailler par postes de douze heures et de huit heures. Selon le syndicat, la majorité des employés de chaque centrale aurait dû voter au sujet de cette proposition et avoir eu fondamentalement l’occasion de voter pour exprimer leurs préférences entre l’horaire de travail existant et la nouvelle proposition de la direction.

[72]   La convention collective limite la capacité de la direction de déterminer les horaires de travail. Elle stipule l’horaire de travail normal (ou par défaut) aux clauses 3.03 et 3.04 de l’Appendice « D » (voir plus haut). Les parties reconnaissent toutes deux que la clause 3.04 est la disposition qui prévaut en l’espèce (la clause 3.03 s’applique aux travailleurs de jour). En effet, la clause 3.04 stipule que les postes de travail sont en principe de huit heures.

[73]   Les seules exceptions permises aux postes de travail de huit heures sont prévues par la clause 3.05, et plus particulièrement par l’alinéa 3.05c), qui se lit comme suit :

  1. Tout arrangement spécial, y compris des postes de douze (12) heures, peut être fait à la demande de l’une ou l’autre partie et doit être accepté mutuellement par l’Employeur et par la majorité des employé–e–s touchés et s’appliquer à tous les employé–e–s de l’unité de travail.

[74]   L’introduction d’un « arrangement spécial » (en d’autres termes d’un horaire de travail différent de ceux mentionnés aux clauses 3.03 ou 3.04) nécessite le consentement de l’employeur et de la majorité des employés touchés. Pour établir un horaire de travail différent de l’horaire normal par postes de huit heures, comme des postes de douze heures, l’agent négociateur ou l’employeur doit d’abord demander un arrangement spécial. Ensuite, l’employeur et la majorité des employés touchés doivent accepter l’arrangement spécial proposé, avant qu’il puisse être mis en œuvre. Le choix de l’employeur est clair : il peut accepter un arrangement spécial que la majorité des employés touchés acceptent aussi, ou établir un horaire de travail conforme à la clause 3.04 (l’horaire de travail normal). Le choix pour la majorité des employés est clair aussi : ils peuvent accepter l’arrangement spécial proposé par l’employeur ou par l’agent négociateur, ou encore se conformer à l’horaire normal décrit à la clause 3.04. Bien entendu, si l’employeur et la majorité des employés aimeraient avoir un horaire de travail différent de celui que prévoit la clause 3.04, il ont l’intérêt commun d’arriver à s’entendre sur un arrangement spécial mutuellement acceptable.

[75]   Nul ne conteste que la majorité des employés travaillant aux centrales en question se sont prononcés en faveur du passage à des postes de douze heures à la fin des années 1970. Il ne semble ni logique, ni équitable que ce que des employés souhaitaient voilà plus de 25 ans lie tous les employés à jamais. Une interprétation plus logique de la situation serait que l’acceptation par la majorité des employés actuels de l’arrangement spécial se reflète dans le fait que l’agent négociateur n’a proposé aucun autre arrangement spécial (qui devrait être accepté par l’employeur) et qu’il n’a pas non plus insisté pour qu’on retourne à l’horaire normal, avec des journées de huit heures.

[76]   L’employeur n’est pas non plus lié à jamais à son acceptation d’un arrangement spécial. Les nécessités du service peuvent changer avec le temps, tout comme les opinions de l’employeur sur la façon de les gérer. Néanmoins, ses possibilités sont limitées à proposer un nouvel arrangement spécial qui serait accepté par la majorité des employés touchés, ou à retourner à l’horaire de travail normal avec journées de huit heures décrit à la clause 3.04.

[77]   L’arrangement spécial que l’employeur et la majorité des employés ont accepté prévoit une combinaison de postes de huit et de douze heures, deux groupes d’employés distincts étant affectés à des tâches et à des postes différents. Il est clair qu’il y avait deux groupes d’employés aux centrales où les fonctionnaires s’estimant lésés travaillaient : ceux qui avaient des postes de huit heures et ceux qui avaient des postes de douze heures. Il est clair aussi que ces deux groupes d’employés ne sont pas interchangeables. Dans Copeman c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), dossier de la CRTFP 166–2–21686 (1992), un HP travaillant par roulement à l’entretien à raison de huit heures par jour avait été tenu de travailler quatre postes de douze heures et n’avait eu en retour que quatre postes de huit heures de congé en guise de paiement de ses heures supplémentaires. L’arbitre avait conclu ce qui suit :

[...]

... L’employeur est d’avis que, par suite de la mise en œuvre du cycle de quarts de douze heures, et puisque les fonctionnaires ont accepté de travailler pendant cette période de deux jours dans le cycle des quarts, il peut exiger d’eux qu’ils acceptent d’effectuer n’importe quel quart de douze heures en ne recevant en retour que huit heures de congé tenant lieu de rémunération pour leurs heures supplémentaires. Je ne suis pas d’accord.

[...]

[78]   L’employeur a fait valoir que, puisqu’il a maintenu les quarts de douze heures et de huit heures, il n’y a pas de nouvel arrangement spécial. Néanmoins, pour les employés touchés par l’arrangement, l’horaire de travail a changé, puisque l’employeur exige désormais qu’ils travaillent par roulement et par postes et de douze heures, et de huit heures. L’employeur est libre de modifier la longueur du cycle à condition de ne pas dépasser les limites fixées par la convention collective. Cela dit, le paragraphe 3.04 stipule qu’il doit déterminer la période sur laquelle l’arrangement spécial doit être intégré dans l’horaire. La longueur du cycle de l’horaire n’est donc pas en question. C’est le roulement entre les postes de huit heures et de douze heures qui change la nature de l’arrangement spécial. Quand l’employeur a imposé un horaire à cycle de cinq semaines avec roulement, l’horaire de travail des employés a changé. Le nouvel horaire avec roulement imposé par l’employeur change effectivement l’horaire de travail de tous les fonctionnaires s’estimant lésés. Je dois donc conclure que le nouvel horaire de travail est un nouvel arrangement spécial qui doit être accepté par la majorité des employés touchés.

[79]   Un arrangement spécial est basé sur une entente mutuelle entre l’employeur et la majorité des employés intéressés. Si leur accord sur l’arrangement spécial ne tient plus, l’arrangement spécial lui–même tombe. L’agent négociateur, qui représente les employés, a fait savoir à l’employeur qu’un scrutin s’imposait, ce qui démontre que l’acceptation de l’arrangement spécial n’était pas acquise. À ce moment–là, l’employeur avait le choix de présenter sa proposition de changement aux employés touchés afin qu’ils puissent voter pour lui faire connaître leur sentiment, de maintenir l’arrangement spécial existant ou de revenir à l’horaire de travail normal aux termes de la convention collective, soit à des journées de huit heures.

[80]   Bref, l’employeur n’a pas le droit d’imposer un arrangement spécial à ses employés. Il doit savoir ce que la majorité des employés touchés en pensent pour déterminer s’ils l’acceptent. Comme je l’ai dit, les employés n’ont pas nécessairement à choisir entre l’arrangement spécial existant et le nouvel arrangement spécial. En effet, l’employeur doit accepter tout nouvel arrangement spécial; il doit même continuer à accepter l’arrangement spécial existant, d’ailleurs.

[81]   L’employeur et l’agent négociateur ont — ou devraient avoir — d’excellentes raisons de s’efforcer d’arriver à une entente sur l’horaire de travail, parce que la convention collective n’autorise des écarts par rapport à la norme des journées de huit heures qu’avec l’accord de l’employeur et de la majorité des employés touchés. Le fait est que les postes de douze heures ont certains avantages pour les employés, et l’employeur y trouve aussi des avantages. En l’espèce, il a basé son exploitation et ses niveaux de dotation sur des postes de douze heures. Advenant le cas où la majorité des employés décideraient qu’ils ne veulent plus travailler par postes de douze heures et souhaitent revenir à des journées de huit heures, le fonctionnement du service risquerait d’être passablement perturbé. Compte tenu de la nature potentiellement précaire de l’arrangement spécial, on s’attendrait à ce que l’employeur tienne compte des désirs de ses employés à l’égard de tout changement de l’horaire de travail. De même, les employés dépendent de l’intérêt de l’employeur pour les postes de douze heures, puisqu’il pourrait aussi les forcer à revenir à des journées de huit heures.

[82]   Par conséquent, l’employeur n’était pas libre d’imposer un arrangement spécial différent aux HP des centrales touchées. La convention collective l’oblige à obtenir d’abord l’accord de la majorité des employés intéressés et fait aussi en sorte que le choix que les employés ont à faire n’est pas nécessairement entre l’arrangement spécial existant et celui qui est proposé (si l’employeur ne souscrit plus au premier), mais entre l’arrangement spécial proposé et le retour à l’horaire de travail normal. Bien sûr, l’employeur peut décider de conserver l’arrangement spécial original (qui est appuyé par la majorité des employés), si sa proposition d’arrangement spécial n’est pas acceptée par la majorité des employés touchés.

[83]   L’entente entre l’employeur et la majorité des employés n’est pas coulée dans le béton. L’agent négociateur a donné à l’employeur assez d’information pour lui faire entendre qu’il était fort possible qu’il n’obtienne pas l’appui de la majorité des employés pour l’arrangement spécial qu’il avait proposé et qu’il a mis en œuvre depuis. Je n’ai toutefois pas suffisamment d’éléments de preuve pour tirer une conclusion sur la volonté de la majorité des employés. La question qui leur a été posée dans la note de service de M. Laalo (pièce G–11) était prématurée, puisqu’elle portait sur ce que l’agent négociateur croyait que l’employeur allait proposer. En outre, la question n’a pas été posée clairement aux employés. Elle ne peut être déterminée qu’une fois que les parties auront discuté de leurs options. En d’autres termes, si l’employeur a conclu qu’il ne peut plus s’accommoder de l’arrangement existant, il devrait le faire clairement savoir dans ses communications avec les employés.

[84]   La façon de déterminer si la majorité des employés acceptent un arrangement n’est pas précisée dans la convention collective. Dans le passé, on obtenait des signatures à chaque centrale. C’est probablement la pratique optimale, étant donné l’importance de déterminer si l’employeur et les employés sont d’accord. Néanmoins, il est préférable de laisser aux parties le choix du mécanisme de détermination de la volonté de la majorité des employés. Pour ce qui est de savoir qui sont les « employés touchés », le bon sens implique que ce devraient être tous les employés potentiellement assujettis à l’arrangement spécial proposé. Si les employés ont des journées de huit heures et que l’arrangement spécial ne changera pas leur horaire de travail, ils ne sont pas touchés. Par contre, si leur horaire de travail doit changer (en passant par exemple à des postes de douze heures), ils le sont.

[85]   L’expression « unité de travail » figure dans la convention collective, sans toutefois y être définie. La représentante des fonctionnaires s’estimant lésés fait valoir que le principe de préclusion s’applique à la définition de cette expression puisque les parties ont constamment traité chaque centrale comme une unité de travail distincte. Je pense qu’on peut effectivement se fonder sur la pratique établie pour interpréter le sens de l’expression « unité de travail », dans la mesure où elle est ambiguë. Comme l’arbitre l’a noté dans Re International Association of Machinists, Local 1740, v. John Bertram & SonsCo. Ltd., (1967) 18 L.A.C. 362 :

[Traduction]

[...]

[…] La principale raison pour cela, c’est que la meilleure preuve du sens le plus conforme à l’entente est qu’il est mutuellement accepté par les parties […]

[...]

[86]   Ceci étant dit, il suffit de lire la disposition pertinente pour conclure que « l’unité de travail » s’entend en l’espèce d’une centrale. La définition du mot « unit » dans le Oxford Concise Dictionary est : « … each of the individual components making up a larger whole  » (chaque élément distinct constituant un ensemble plus grand). On entend aussi d’une unité distincte faisant partie d’une plus grande organisation. Il est commun aussi de considérer une unité de travail comme un groupe de travailleurs affectés à l’exécution d’un ensemble de tâches, en équipe (voir Gérard Dion, Dictionnaire canadien des relations du travail, 2 e édition). En outre, on a donné des indications selon lesquelles les opérations quotidiennes de chaque centrale faisaient l’objet de décisions au niveau de la centrale elle–même, y compris l’approbation des heures supplémentaires et des congés. La pratique établie des parties quant à la conclusion et la modification d’arrangements spéciaux étaye cette interprétation d’une « unité de travail ». Je conclus par conséquent que la définition la plus appropriée de « l’unité de travail » est la centrale, dans la présente affaire.

[87]   L’avocat de l’employeur soutient que le paragraphe 4.02 des Dispositions particulières au groupe est applicable. Toutefois, ce paragraphe porte sur la modification temporaire d’un horaire de travail déjà établi, pas sur la création d’un arrangement spécial. De même, le paragraphe 25.05 de la convention collective porte sur l’affichage d’un horaire de travail et non sur l’établissement d’un nouvel arrangement spécial. Un arrangement spécial n’est pas la même chose qu’un horaire de travail par postes. L’arrangement spécial détermine quels sont les postes des employés, et c’est à partir de lui qu’on établit un horaire de travail par postes, lequel est un document précisant qui travaille quel poste et fixant les jours de repos.

[88]   La représentante des fonctionnaires s’estimant lésés me renvoie à Léger, supra. Dans cette affaire–là, l’employeur avait modifié l’horaire de travail en passant de postes de douze heures à des postes de huit heures, revenant ainsi à toutes fins utiles à la disposition sur l’horaire de travail normal par défaut de la convention collective. Je reconnais que l’employeur a le droit de revenir unilatéralement à l’horaire de travail normal prévu par la convention collective, mais cette décision n’a pas grand–chose à voir avec la question à trancher en l’espèce.

[89]   Pour sa part, l’avocat de l’employeur invoque Lawson, supra. Il s’agissait là de décider si l’employeur pouvait faire passer un employé d’un horaire de travail à un autre quand les deux types d’horaire de travail étaient prévus par la convention collective, mais ce n’est pas le cas ici. Je dois plutôt décider si l’employeur peut modifier l’horaire de travail en imposant un horaire qui n’est pas expressément prévu par la convention collective.

[90]   L’avocat de l’employeur se fonde aussi sur la décision de la Commission dans l’affaire UCCO–SACC–CSN c.Conseil du Trésor, supra. On avait allégué dans ce cas–là qu’il y avait eu contravention aux dispositions moratoires de la LRTFP. La modification apportée à l’horaire de travail était l’ajout d’une pause–repas d’une demi–heure. La Commission avait jugé que cette modification était autorisée par la convention collective et ne contrevenait donc pas aux dispositions moratoires. Dans les griefs dont je suis saisi, le changement de l’horaire de travail que l’employeur a proposé est nettement différent de l’ajout d’une demi–heure de pause–repas non payée d’ailleurs autorisé par la convention collective. Comme je l’ai déjà souligné, la modification que l’employeur a introduite n’est pas prévue par la convention collective.

[91]   Je rends donc une déclaration que l’employeur ne s’est pas conformé à la convention collective en introduisant unilatéralement un nouvel arrangement spécial. Les redressements qui résulteront de ma décision dépendront de la réaction des parties. Si l’employeur et les employés ne peuvent pas arriver à une entente sur un arrangement spécial, il leur faudra retourner à l’horaire de travail normal, avec des journées de huit heures. Si l’employeur accepte de revenir à l’arrangement spécial existant avant qu’il n’en impose un nouveau, il devra verser des dommages–intérêts. Si les employés acceptent l’arrangement spécial proposé que l’employeur leur a imposé en novembre 2002, cet arrangement spécial sera maintenu et l’employeur n’aura pas de dommages–intérêts à verser. Si l’employeur et les employés s’entendent sur un arrangement spécial différent de celui que l’employeur a imposé, il en résultera vraisemblablement des redressements. Pour remettre les parties dans la situation où elles auraient été si l’employeur n’avait pas violé la convention collective, il faut se demander ce qui aurait dû arriver en octobre 2002. Si l’employeur avait reconnu qu’il devait s’assurer que la majorité des employés touchés étaient favorables à sa modification de l’arrangement spécial, que se serait–il passé? Comme je l’ai déjà dit, la conclusion d’un arrangement spécial nécessite des négociations délicates, parce que si les parties n’arrivent pas à s’entendre elles vont devoir revenir à l’horaire de travail prévu par défaut dans la convention collective. C’est pour cette raison qu’il est difficile de déterminer ce sur quoi l’employeur et les employés se seraient entendus en octobre 2002. En raison de cette incertitude quant aux redressements, je demeure saisi de l’affaire pour une période de 90 jours suivant la date de la présente décision afin de pouvoir trancher les difficultés que les parties pourraient avoir à s’entendre sur un arrangement spécial.

[92]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[93]   Il est déclaré que l’employeur n’a pas respecté l’alinéa 3.05c) de l’Appendice « D » (Dispositions particulières au groupe) de la convention collective. Je demeure saisi de l’affaire pour une période de 90 jours suivant la date de la présente décision pour trancher toutes les questions liées à son application.

Le 4 juillet 2005.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Ian R. Mackenzie,
arbitre de grief


PSSRB File NumberGrievor
166–2–32682Frank Nitschmann
166–2–32683Gérard L. Pineault
166–2–32684Pierre Goulet
166–2–32685Quirino Del Castillo
166–2–32686David Swain
166–2–32687Doug Chappell
166–2–32688Eric Armstrong
166–2–32689David Olive
166–2–32690Gerry Sander
166–2–32691Muzaffor Ahmed
166–2–32692Terrance McKinnon
166–2–32693Au Hai Nguyen
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