Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a déposé deux griefs, un contestant la décision de l’employeur de ne pas lui payer des heures supplémentaires, l’autre portant sur l’omission de réviser la classification des deux postes qu’elle avait occupés - son agent négociateur l’a représentée dans les deux cas jusqu’au dernier palier de la procédure - l’agent négociateur a décidé de ne pas renvoyer les griefs à l’arbitrage - il a omis de l’informer dans des délais raisonnables de son droit de présenter une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la réponse reçue au dernier palier à son grief sur la classification - la Commission a statué que l’agent négociateur avait analysé le grief avec diligence et de manière sérieuse avant de décider de ne pas renvoyer les griefs à l’arbitrage, conformément à son pouvoir discrétionnaire - la plaignante n’a pas démontré que l’agent négociateur avait fait preuve de comportement arbitraire, de discrimination ou de mauvaise foi dans le cadre de cette décision - la Commission a cependant conclu que, dans les circonstances en l’espèce, l’agent négociateur s’était comporté de manière arbitraire en omettant d'informer la plaignante dans des délais opportuns de son droit de déposer une demande de contrôle judiciaire relativement à la réponse reçue au dernier palier de la procédure de règlement de son grief sur la classification. Plainte accueillie en partie. Compétence réservée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi
sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2005-07-06
  • Dossier:  561-2-59
  • Référence:  2005 CRTFP 70

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

VIRGINIA JAKUTAVICIUS

plaignante

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défenderesse

Répertorié
Jakutavicius c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte logée en vertu de l'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant : Sylvie Matteau, vice-présidente

Pour la plaignante  : John R.S. Westdal, avocat

Pour la défenderesse  : Edith Bramwell, Alliance de la Fonction publique du Canada


Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 15 au 18 février 2005.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)


Plainte devant la Commission

[1]    Le 26 novembre 2003, Mme Virginia Jakutavicius a déposé une plainte contre l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), alléguant qu’il y a eu violation du devoir de représentation juste en vertu du paragraphe 10(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. La plainte a trait à deux griefs déposés en mai 2000. Le premier concernait le non-paiement d’heures supplémentaires pour la période de février à avril 2000, en violation de la clause 28 de la convention collective, et le deuxième portait sur l’examen de la classification du poste occupé par la plaignante d’avril 1998 à mai 2000.  

[2]    La plaignante soutient que l’AFPC :

  1. a omis de l’informer de son droit de demander le contrôle judiciaire de la réplique donnée au dernier palier de son grief de classification, malgré des demandes répétées en vue d’obtenir ce renseignement;
  2. a omis de l’appuyer dans sa demande de contrôle judiciaire de la réponse au dernier palier de son grief de classification après avoir confirmé qu’elle avait ces droits;
  3. a refusé d’approuver le renvoi de son grief sur les heures supplémentaires à l’arbitrage, malgré le fait qu’elle avait indiqué être prête à retenir les services d’un représentant indépendant à ses propres frais.

 

Elle a fait valoir que ces gestes constituent une violation du devoir de représentation juste, parce qu’ils étaient arbitraires, discriminatoires et de mauvaise foi.

[3]    La plaignante demande à la Commission une déclaration selon laquelle :

[…]

i)
l’AFPC a manqué à son devoir de représentation juste;
ii)
l’AFPC a donné son approbation au renvoi du grief sur les heures supplémentaires à la CRTFP;
iii)
elle devrait être dédommagée pour ne pas avoir pu demander le contrôle judiciaire du grief de classification à la Section de première instance de la Cour fédérale;
iv) toute autre ordonnance que la Commission estime juste.

[4]    Il y a eu tentative de médiation une fois que la Commission a reçu la plainte et les parties ont demandé que la plainte soit laissée en suspens pendant quatre mois après ce moment.

[5]    À la demande de la défenderesse et avec l’accord de la plaignante, j’ai été saisi de la preuve et des arguments des deux parties sur la décision au sujet de la plainte, et je me suis réservé le pouvoir de statuer sur une mesure de redressement à une date ultérieure au besoin. Les mesures de redressement demandées par la plaignante incluent des mesures comme le remboursement des frais engagés par la plaignante pour demander une prorogation de délai afin de déposer une demande de contrôle judiciaire de la réponse au dernier palier à son grief de classification.

[6]    La demande de prorogation du délai en vue de produire une demande de contrôle judiciaire a été déposée le 3 septembre 2003 (pièce 19) et rejetée par la Cour fédérale le 24 octobre 2003 (pièce 25). Cette décision a été portée en appel et le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire a été autorisé le 9 août 2004 (pièce 26). La demande de contrôle judiciaire a été déposée le 23 septembre 2004 et, au moment de la présente audience, la plaignante et la Commission ont été avisées que l’employeur ne contesterait pas la demande.

[7]    Mme Jakutavicius a témoigné pour elle-même et MmeGaby Lévesque a témoigné pour le compte de la défenderesse.

[8]    Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamé en vigueur. En vertu de l’article 39 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, la Commission demeure saisie de cette plainte.

Résumé de la preuve

[9]    La plaignante a témoigné qu’elle est membre en bonne et due forme de l’AFPC depuis 1992. Au printemps 1998, son poste d’attache était celui de chef, Coordination et information, au ministère du Développement des ressources humaines; ce poste était de groupe et de niveau PM-06. En avril 1998, son superviseur, le directeur général, Politique stratégique et Affaires internationales du travail (le « directeur général »), lui a demandé d’assumer la fonction de directrice par intérim, Relations fédérales-provinciales et relations avec la clientèle (le « poste de directrice par intérim ») pendant une période au cours de laquelle le titulaire de ce poste devait être détaché à un autre poste. Les responsabilités du poste de directrice par intérim s’ajouteraient à celles de son poste d’attache (les « postes combinés »). Elle s’est fait offrir le titre de directrice par intérim. Toutefois, cela n’apaisait pas ses préoccupations relatives à une rémunération adéquate dans les circonstances.

[10]    Elle a porté la question à l’attention du directeur général, compte tenu du fait que les nouveaux postes combinés nécessiteraient beaucoup de travail supplémentaire et exigeraient davantage de son temps. On lui a dit qu’au moment de la confirmation par le détenteur du poste de directeur par intérim qu’il ne reprendrait pas son poste, on procéderait à une combinaison et à une nouvelle classification formelles des postes combinés.  

[11]    Pour régler la question de la rémunération, une entente provisoire a été conclue avec le directeur général, aux termes de laquelle la plaignante acceptait les postes combinés et convenait de recevoir une rémunération en heures supplémentaires applicable aux heures travaillées en sus de 37,5 heures par semaine. L’élément clé de l’acceptation par la plaignante résidait dans le fait qu’elle n’était pas tenue de faire approuver au préalable ces heures supplémentaires. Elle a travaillé sans incidents et sans poser de questions concernant la rémunération en heures supplémentaires pendant environ 22 mois. Les pièces C-1, C-2 et C-3 consignent toutes les heures supplémentaires réclamées au cours de cette période.

[12]    Il s’est produit un changement en janvier 2000. Mme Jakutavicius a affirmé que ses heures supplémentaires du dernier mois avaient surtout été consacrées à la préparation et à l’organisation de la réunion fédérale-provinciale-territoriale des ministres du Travail, qui s’est tenue à la fin de janvier 2000. Lorsqu’elle a présenté sa demande d’heures supplémentaires, le directeur général lui a dit qu’il n’approuverait plus les demandes de paiement des heures supplémentaires qui n’avaient pas été autorisées au préalable. Le tout a été confirmé par un courriel en date du 7 février 2000 du directeur général à Mme Jakutavicius. Dans ce même message, le directeur général propose également à Mme Jakutavicius de demander un rendez-vous avec le sous-ministre adjoint, Travail (le « SMA, Travail ») (pièce C-4).  

[13]    Mme Jakutavicius a rencontré le SMA, Travail, le 18 février 2000. Elle lui a expliqué l’entente conclue avec le directeur général en date d’avril 1998. Le SMA, Travail lui a apparemment répondu que les heures supplémentaires ne devraient pas constituer l’outil utilisé dans de telles circonstances et que le travail effectué devrait se refléter dans le salaire de base. Elle a dit qu’il lui a ensuite indiqué qu’il demanderait une révision de la classification des postes combinés et que, dans l’intervalle, elle devrait demander une autorisation préalable de toutes ses heures supplémentaires. Il a également accepté de signer et d’autoriser ses heures supplémentaires de janvier 2000.

[14]    Insatisfaite, la plaignante a demandé par courriel (pièce C-5), le 24 février 2000, un autre rendez-vous avec le SMA, Travail, pour discuter des progrès réalisés dans le processus de classification des postes combinés et de la nécessité d’obtenir une autorisation préalable de toutes les heures supplémentaires.

[15]    Elle a reçu une réponse écrite du bureau du SMA, Travail, le 1er mars 2000 (suite de courriels constituant la pièce C-5) qui confirmait que toutes les heures supplémentaires devaient être autorisées au préalable par son superviseur immédiat et que le SMA, Travail, avait accepté que la classification des postes combinés soit évaluée.

[16]    Mme Jakutavicius s’est sentie particularisée du fait de sa condition inhabituelle, qui consistait à devoir demander une autorisation préalable de ses heures supplémentaires, contrairement à tout autre directeur, par intérim ou non. Comme il était énoncé dans un autre courriel (de cette même suite (pièce 5)) envoyé au bureau du SMA, Travail, le 27 mars 2000 :

[Traduction]

[…]

[…] À tort ou à raison, je suis d’avis qu’au niveau de « directeur », le poste comporte un certain pouvoir décisionnel qui comprendrait la latitude requise pour décider si des heures supplémentaires en sus des heures régulières de travail sont nécessaires pour accomplir le travail.

[…]

[17]    Quelques semaines plus tard, le directeur général a été remplacé par la directrice du Bureau de la coopération interaméricaine en matière de travail (la « nouvelle directrice ») sur une base intérimaire. Mme Jakutavicius a déclaré que la nouvelle directrice n’était pas toujours disponible pour approuver ses heures supplémentaires et que lorsqu’elle l’était, la plaignante ne savait pas nécessairement d’avance qu’elle devrait travailler en heures supplémentaires et, par conséquent, qu’elle aurait besoin d’une autorisation préalable.  

[18]    La plaignante a ensuite expliqué qu’à un moment donné, un vendredi, elle devait demander à la nouvelle directrice d’approuver au préalable des heures supplémentaires que la plaignante devait faire au cours de la fin de semaine à venir. Elles ont eu un désaccord. Lorsqu’elle a mentionné à la nouvelle directrice qu’elle prévoyait travailler le dimanche parce qu’il était plus commode pour elle de le faire que de travailler le samedi, la nouvelle directrice a dit qu’elle n’autoriserait pas les heures supplémentaires un dimanche, à temps double, et qu’elle approuverait seulement les heures supplémentaires le samedi, à temps et demi. La nouvelle directrice a demandé à Mme Jakutavicius de décrire sa philosophie du travail en heures supplémentaires. Comme, de l’avis de Mme Jakutavicius, il était déjà très humiliant de demander l’autorisation de faire des heures supplémentaires, les commentaires de la nouvelle directrice relativement à sa philosophie du travail en heures supplémentaires ont entraîné un grand malaise chez la plaignante. Mme Jakutavicius a souligné de nouveau le fait que les autres directeurs et directrices ne devaient pas se soumettre à une telle exigence. Frustrée, elle n’est jamais retournée demander l’autorisation préalable de ses heures supplémentaires après cet incident.

[19]    En ce qui a trait à la question de la classification, Mme Jakutavicius a déclaré qu’elle avait présumé que son travail effectué dans le cadre des postes combinés serait restructuré et rémunéré de façon rétroactive. Bien qu’on lui ait dit, par le passé, que le titulaire du poste devait démissionner avant que l’on puisse procéder à l’évaluation de la classification, il semblait, à la suite d’un dialogue avec le SMA, Travail, que ce n’était pas nécessaire et qu’une nouvelle classification temporaire était imminente. Aucun échéancier n’a été discuté à cet égard.

[20]    Le 19 mai 2000, la plaignante a reçu un avis destiné à tout le personnel l’informant que l’« Unité de la coordination et de l’information du Cabinet », qui faisait alors partie de Politique stratégique et Affaires internationales, relèverait du directeur, Services intégrés du programme du travail, dans le bureau du SMA, Travail, à compter du 23 mai 2000 (pièce C-7). Pour Mme Jakutavicius, cela signifiait que son poste d’attache était transféré au bureau du SMA, Travail. Elle n’a reçu aucun préavis de ce changement. Cela signifiait également que les fonctions rattachées aux postes combinés dont elle s’acquittait étaient clairement séparées. Selon elle, il s’agissait d’une indication nette que le SMA, Travail, n’avait pas l’intention de classifier de nouveau les postes combinés.

[21]    Elle a rencontré la représentante de son agent négociateur, Mme Jane Hanson, le même jour. Plus tard, soit le 24 mai 2000, elle a signé deux griefs concernant l’examen de la classification des postes combinés et les heures supplémentaires de février, de mars et d’avril 2000 (pièce C-8). Elle a également décidé de continuer à occuper le poste de directrice par intérim. Elle n’était pas intéressée à travailler au bureau du SMA, Travail.

[22]    Les deux griefs ont progressé dans le processus de grief entre le 22 juin 2000 et les réponses finales par le SMA, Direction des ressources humaines, le 6 mai 2003. La plaignante était accompagnée et représentée par son agent négociateur aux deuxième, troisième et quatrième paliers (à titre de directrice par intérim, elle représentait elle-même le premier palier du mécanisme de grief) du processus de grief.

[23]    Lorsqu’elle s’est fait demander de commenter le processus de grief, la plaignante a témoigné qu’au deuxième palier la nouvelle directrice a tenté de négocier un règlement à l’amiable. Elle ne pouvait pas accepter les modalités qui lui étaient proposées à ce moment-là. Son opinion au sujet des réponses au troisième palier est que le SMA, Travail, ne lui offrait pas la possibilité d’une audience ou d’une décision impartiale. Il était l’instigateur des décisions ayant fait l’objet de griefs. Son grief sur les heures supplémentaires a été accueilli en partie à ce moment-là; sa demande relative aux heures supplémentaires pour le mois de février 2000 a été approuvée. En ce qui a trait au grief relatif à l’examen de la classification, le SMA, Travail, a répondu le 10 octobre 2002 qu’il maintenait sa décision précédente, c’est-à-dire qu’il était prêt à présenter une description de travail à l’examen de la classification. Cette description serait préparée par la fonctionnaire s’estimant lésée et approuvée par la direction. Elle s’appuierait sur les fonctions que la nouvelle directrice a demandées à la plaignante d’accomplir pendant sa période d’affectation (pièce C-11).  

[24]    Dans sa réponse en date du 23 octobre 2000, également déposée en tant que pièce C-11, la plaignante a demandé que son grief de classification soit renvoyé au palier suivant et [traduction] « […] soit revu par un tiers qui est extérieur au Programme du travail ». Cette préoccupation a également été soulevée avant l’audition des griefs au dernier palier. Le 16 décembre 2002 (pièce C-12), la plaignante a écrit à la représentante de son agent négociateur, Linda Vaillancourt, pour lui demander ce que serait la prochaine étape si son grief était rejeté. Elle a écrit :

[Traduction]

[…]

[…] Si l’agent des relations du travail maintient tout simplement la décision des membres de la direction du Programme du travail, quelles sont les prochaines options qui s’offrent à moi?

[…]

[25]    Comme elle n’a pas obtenu de réponse à cette question dans le courriel en réponse provenant de Mme Vaillancourt le 17 décembre 2002, la plaignante a posé sa question de nouveau. Le 18 décembre 2002, Mme Vaillancourt a fourni les renseignements suivants :

[Traduction]

[…]

En ce qui concerne le grief de classification, il ne s’agit pas d’un grief arbitrable et, par conséquent, il ne peut être renvoyé en arbitrage. Si nous ne pouvons pas en venir à une entente quant au contenu de la description de travail dans l’espoir de la faire classifier, nous ne pouvons rien faire de plus […]

[…]

[26]    Le 19 décembre 2002, MmeVaillancourt a confirmé ce qui suit à la plaignante :  

[Traduction]

[…]

[…] une fois que le SMA a produit une réponse définitive selon laquelle le grief de classification n’est pas arbitrable (décision finale et exécutoire) et selon ce que donne le grief sur les heures supplémentaires, nous ne pouvons pas prouver qu’ils n’ont pas respecté la convention collective. En conséquence, ce grief ne peut malheureusement pas non plus être accueilli. Je sais que cela ne correspond pas à ce que vous voulez entendre, mais je me dois d’être honnête avec vous.

[27]    Le 20 décembre 2002, la plaignante a demandé pour quels motifs une affaire peut généralement être renvoyée en arbitrage. Finalement, Mme Jakutavicius et Mme Vaillancourt ont convenu de retarder cette décision jusqu’à l’audience au dernier palier du processus de grief, prévue alors pour le 22 janvier 2003. En conclusion, la plaignante a déclaré que Mme Vaillancourt avait toujours « joué franc jeu » avec elle et qu’elle lui avait dit qu’[traduction] « il n’y avait pas d’issue » pour ses griefs après le dernier palier du processus de grief.

[28]    La plaignante a reçu par courrier une réponse au dernier palier en date du 14 mai 2003. Elle avait été informée de la réponse le 12 mai 2003 dans sa boîte vocale et par courriel par Mme Vaillancourt. Après avoir revu une version télécopiée de la réponse, la plaignante a écrit de nouveau à sa représentante, MmeVaillancourt, en date du 13 mai 2003 :  

[Traduction]

[…]

[…] Je crois que les décisions, telles qu’elles sont rédigées, pourraient faire l’objet d’une contestation.  

J’aimerais organiser une rencontre avec vous, à votre convenance et dans vos bureaux, pour discuter davantage de cette question […]

[…]

[29]    Le 14 mai 2003, la plaignante a reçu une réponse à ce message par courrier électronique l’informant que Mme Vaillancourt ne participait plus activement à son dossier et qu’il avait été acheminé à Gordon Prieur, le coordonnateur de la représentation des membres, volet national de l’AFPC. Le 15 mai 2003, elle a en outre été informée qu’un agent serait chargé d’effectuer une analyse complète et un examen du fond de l’affaire, ce qui constituerait une décision sur la question de savoir si l’AFPC assurerait ou non la représentation. Elle a été informée que cette décision finale revenait à l’AFPC (pièce C-14).  

[30]    Le 15 mai 2003, la plaignante a demandé une rencontre avec M. Prieur, ce qu’elle a obtenu peu de temps après.

[31]    Le 10 juin 2003, la plaignante a écrit à M. Prieur pour lui demander s’il pouvait confirmer d’ici quelle date du calendrier civil elle aurait à répliquer aux réponses au dernier palier à ses griefs. Elle a formulé les commentaires suivants :  

[Traduction]

[…]

Je veux tout simplement m’assurer que nous ne raterons pas l’échéance d’ici laquelle je dois donner avis de mon intention de contester ces décisions rendues au dernier palier. […]  

[…]

[32]    Le 11 juin 2003, M. Prieur a confirmé que le « délai d’appel » de trente jours serait fixé au 27 juin 2003.

[33]    Le 28 juin 2003, dans un message par courrier électronique envoyé à M. Prieur, la plaignante a écrit (pièce C-15) ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Le vendredi 27 juin est passé et comme je n’ai ni eu de vos nouvelles ni reçu quoi que ce soit de vous, je présume que l’Unité des griefs et de l’arbitrage a demandé une prorogation pour répondre à la décision finale de mon employeur. Pourriez-vous me le confirmer et m’indiquer quelle est la nouvelle date visée? […]

[…]

La réponse est venue le 3 juillet 2003 dans un courriel dans lequel M. Prieur informait la plaignante de ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Ce n’est pas de gaieté de cœur que je vous avise que j’ai été informé en fin de journée aujourd’hui de la décision de l’Alliance de ne pas appuyer un renvoi [en arbitrage]. Vous recevrez par courrier une copie de leur décision motivée car vous avez été mise en copie conjointe.

[…]

[34]    Après avoir lu la décision de l’AFPC en date du 2 juillet 2003 (pièce C-16), la plaignante s’est trouvée en désaccord avec son analyse. De plus, elle semblait incertaine d’avoir été bien représentée par l’AFPC à titre de gestionnaire principale. Elle désirait donc obtenir un deuxième avis. Comme elle l’a dit, elle n’était pas « tout à fait certaine » que l’AFPC représentait ses « meilleurs intérêts ».  

[35]    Le 7 juillet 2003, elle a commencé à envoyer une nouvelle série de messages par courrier électronique à M. Prieur (pièce C-17), dans lesquels elle affirmait, pour l’essentiel, qu’elle désirait obtenir un deuxième avis au sujet de la décision du 2 juillet 2003 rendue par l’AFPC. Après avoir reconnu qu’une prorogation de délai avait été obtenue pour son compte par les représentants de l’AFPC, elle a expressément demandé si son avocat aurait le droit de porter son dossier en arbitrage ou s’il devrait plutôt s’adresser à une autre tribune. M. Prieur a répondu le 8 juillet 2003 que son [traduction] « […] avocat peut utiliser TOUS les recours légaux qu’il juge indiqués y compris la CRTFP si telle est sa décision […] »

[36]    Le 9 juillet 2003, la plaignante a demandé à M. Prieur de répondre à une autre de ses questions antérieures : [traduction] « […] Si la CRTFP n’a pas compétence pour entendre le grief de classification, quelle tribune aurait compétence pour le faire? […] » Le même jour, M. Prieur a répondu :

[Traduction]

[…]

La question de la compétence serait l’affaire de votre avocat, car ce serait le recours juridique qu’« il ou elle » juge indiqué. Il serait inadéquat, pour nous, de proposer des recours juridiques. Ce serait pure spéculation de notre part. Votre avocat serait compétent pour répondre et soutenir le recours qu’il conseillerait […]

[…]

[37]    La plaignante a ensuite recruté un avocat. Son avocat a entrepris un dialogue avec l’analyste qui avait signé la décision de l’AFPC en date du 2 juillet 2003. Par suite de ces discussions, la plaignante a reçu une lettre en date du 2 septembre 2003 provenant de Mme Gaby Lévesque, coordonnatrice de la Section de la représentation, Direction de la négociation collective, AFPC (pièce 18). Dans cette lettre, Mme Lévesque a reconnu l’existence des discussions et a confirmé que :

[Traduction]

[…]

[…] Comme nous sommes d’avis qu’il n’y a pas eu violation de la convention collective, l’AFPC ne peut pas approuver le renvoi de ce grief [heures supplémentaires] à l’arbitrage.

[…]

[38]    En outre, Mme Lévesque a informé la plaignante que :

[Traduction]

[…]

Le grief concernant la classification peut être poursuivi jusqu’à l’étape du contrôle judiciaire devant la Section de première instance de la Cour fédérale sans l’autorisation ou le soutien de l’AFPC. Selon nous, une telle demande ne sera pas accueillie et nous ne vous recommandons pas d’y donner suite. Cependant, si vous décidez de poursuivre par vous-même, nous devons vous informer que ce sera entièrement à vos frais. […]

[…]

[39]    L’avocat de la plaignante a déposé une demande de prorogation de délai pour présenter une demande de contrôle judiciaire en Cour fédérale le jour suivant, soit le 3 septembre 2003 (pièce 19).

[40]    Le 10 septembre 2003 (pièce C-20), la plaignante a répondu à la lettre de Mme Lévesque datée du 2 septembre 2003. Elle a indiqué qu’elle [traduction] « […] n’était pas au courant de l’échéance stricte de dépôt d’une demande de contrôle judiciaire […] » et qu’elle avait cru comprendre que sa [traduction] « […] capacité de présenter une telle demande aurait pu être mise en péril si elle avait manqué l’échéance. »   Elle a également demandé que l’AFPC reconsidère sa décision de ne pas permettre à son avocat de porter en arbitrage le grief sur les heures supplémentaires.

[41]    Mme Jakutavicius a reçu de Mme Lévesque une réponse en date du 30 septembre 2003 (pièce C-21) confirmant la position de l’AFPC. Le 24 octobre 2003 (pièce C-22), la plaignante a fourni à Mme Lévesque des renseignements et des commentaires supplémentaires concernant la décision de l’AFPC et son processus. La réponse finale de Mme Lévesque, en date du 29 octobre 2003 (pièce 23), concluait :

[Traduction]

[…]

Encore une fois, je m’excuse de la confusion ou des mauvais renseignements que vous auriez pu recevoir relativement à la possibilité de contrôle judiciaire de votre grief de classification, mais comme je l’ai expliqué dans ma lettre du 30 septembre 2003, il ne s’agit pas d’une option que nous recommandons couramment aux fonctionnaires s’estimant lésés.

[…]

[42]    La réplique de la plaignante, en date du 19 novembre 2003 (pièce C-24), est demeurée sans réponse.  

[43]    La plaignante a souligné qu’elle a soulevé une objection au commentaire de Mme Lévesque concernant « la confusion ou les mauvais renseignements ». À son avis, l’AFPC a tout simplement omis de lui fournir de l’information sur la possibilité du contrôle judiciaire de son grief de classification. Elle n’a pris connaissance du dernier mécanisme que par l’entremise de son avocat. Elle a également signalé qu’au moment de sa correspondance avec M. Prieur, il devait être établi clairement à l’intention de ce dernier qu’elle avait déjà l’intention de contacter un conseiller juridique indépendant, même si elle ne l’avait pas encore fait.

[44]    En contre-interrogatoire, la plaignante a confirmé qu’avant 1998 elle occupait le poste de chef, Coordination et information, de groupe et de niveau PM-06. Elle a également confirmé que le poste de directeur par intérim était classifié de groupe et de niveau PM-06. Elle s’est fait offrir le titre de directrice par intérim ayant accepté les postes combinés. Faisant référence à la pièce C-6, elle a souligné que tous les autres chefs d’unités étaient surtout des directeurs de groupe et de niveau EX-01. Elle a en outre expliqué qu’elle avait supposé que les postes combinés, une fois reclassés, seraient de groupe et de niveau EX-01. À l’époque, elle estimait qu’il s’agissait d’une occasion et elle croyait dans les conditions convenues avec le directeur général. Elle a confirmé ne pas avoir impliqué le représentant de son agent négociateur dans ces négociations.  

[45]    Mme Jakutavicius a en outre expliqué que l’exigence selon laquelle les heures supplémentaires devaient être approuvées au préalable était humiliante et dégradante pour elle lorsqu’elle était appliquée à un poste de niveau directeur. Comme elle l’a mentionné précédemment dans son témoignage, elle estimait qu’à titre de directrice, elle aurait dû être investie de l’autorité et de la responsabilité d’accomplir le travail dans le délai qu’elle jugeait nécessaire, sans avoir à demander l’autorisation préalable d’heures supplémentaires.  

[46]    Il existait toutefois une certaine confusion dans le témoignage de la plaignante quant à sa connaissance du fait qu’à titre d’employé du groupe et du niveau PM-06, ses heures supplémentaires devaient être autorisées au préalable et que l’entente qu’elle avait conclue avec le directeur général contrevenait à la convention collective. Elle reconnaissait qu’en tant que PM-06 elle était visée par la convention collective, mais qu’elle ignorait les détails techniques. À son avis, elle agissait comme directrice. Elle a pris conscience du fait que l’autorisation préalable constituait une obligation aux termes de la convention collective seulement après sa rencontre avec le SMA, Travail. Elle a insisté sur le fait qu’elle agissait de bonne foi lorsqu’elle a négocié son entente avec le directeur général, et qu’elle s’attendait à ce que la situation soit réglée rapidement par l’examen de la classification des postes combinés promis.

[47]    Mme Jakutavicius a également été interrogée au sujet de la motivation qui sous-tend la demande présentée par un directeur général selon laquelle sa feuille officielle d’heures supplémentaires ne décrit pas la nature du travail en heures supplémentaires. Elle lui a fourni automatiquement une description des tâches accomplies, en se servant des feuilles d’heures supplémentaires. Elle croyait qu’il aurait de la difficulté à justifier cette information sur les feuilles d’heures supplémentaires si cela lui était demandé. Il lui avait demandé de fournir une feuille de temps distincte, sans ses annotations (pièces C-1, C-2 et C-3).

[48]    La plaignante a également reconnu qu’après le désaccord avec la nouvelle directrice le 24 février 2000 elle n’est pas retournée pour demander d’autres autorisations préalables. Elle a choisi d’aller de l’avant sans autorisation préalable de ses heures supplémentaires à compter de ce moment. Elle a expliqué que, selon ce qu’elle avait compris, elle n’avait qu’à informer oralement la nouvelle directrice au préalable de son intention de faire des heures supplémentaires et qu’elle n’était pas tenue de lui demander sa permission. Elle ne s’attendait pas à ce que la nouvelle directrice refuse ou lui dise quel jour elle pouvait faire des heures supplémentaires ou non. La question de l’autorisation préalable n’a pas été abordée dans ses discussions avec le directeur général en 1998. Elle devait présenter une demande et une réclamation chaque mois. Il n’existait aucune exigence d’autorisation préalable ou d’explications, bien qu’elle ait fourni de son plein gré les explications en question ultérieurement.

[49]    Quand l’exigence de faire autoriser les heures supplémentaires au préalable lui a été soumise, Mme Jakutavicius estimait qu’il s’agissait d’une mesure punitive, à la fois insultante et humiliante. Bien que l’agent négociateur soutienne qu’il n’y a pas eu violation de la convention collective, elle a expliqué que dans son cas, l’esprit de la convention collective n’a pas été respecté. En outre, comme elle exécutait, pour l’essentiel, les fonctions de deux postes de gestion, elle s’attendait à ce qu’une nouvelle classification des postes combinés la place dans le groupe EX, compte tenu du fait, en particulier, que tous les autres gestionnaires se trouvaient déjà dans le groupe EX. Selon elle, les postes combinés, une fois fusionnés officiellement, devaient de toute évidence être reclassés; il ne s’agissait pas seulement d’un souhait.

[50]    Elle a également confirmé que le mécanisme d’examen des postes combinés avait déjà été lancé à ce moment-là. L’examen s’appuyait sur la description existante des deux postes. Elle bénéficiait de l’aide de MmeVaillancourt dans le cadre de ce processus. En juin 2002, après l’intervention de Mme Vaillancourt, la plaignante a finalement reçu les commentaires de la nouvelle directrice. Elle n’a pas eu la possibilité d’inclure ses commentaires dans les descriptions, mais sa réponse a été déposée dans le cadre de son grief.

[51]    La plaignante a également reconnu que l’entente sur les heures supplémentaires devait remplacer la rémunération, au cas où, au bout du compte, elle ne serait pas nommée aux postes combinés après une nouvelle classification ou au cas où les postes combinés ne seraient pas effectivement reclassés. Elle a également reconnu qu’il s’agissait d’une possibilité intéressante. Elle a évalué à l’époque, et croit toujours, qu’un processus d’évaluation de bonne foi mènera au rehaussement des postes combinés après leur fusion. À son avis, le poste de directrice par intérim et son propre poste d’attache devaient tous deux être reclassés.  

[52]    Mme Jakutavicius a expliqué qu’elle s’est efforcée de soumettre sa situation à quelqu’un qui l’examinerait. Même si la décision devait être confirmée, elle aurait au moins une explication et une conclusion quant aux motifs pour lesquels les postes combinés ne seraient pas   reclassés. À son avis, l’employeur se servait de la convention collective pour la punir et pour l’amener à quitter. Lorsqu’elle s’est fait demander quelle clause de la convention collective était utilisée contre elle, la plaignante n’a pas été en mesure de répondre.

[53]    En ce qui concerne la plainte actuelle, Mme Jakutavicius s’est fait demander si la représentation dont elle a bénéficié de la part de l’agent négociateur au cours du processus de grief, notamment au quatrième palier, a posé problème. La plaignante a reconnu qu’elle ne pouvait pas critiquer les services de représentation fournis par M mes Hanson et Vaillancourt pour l’AFPC. À de nombreuses reprises, dans la correspondance, la plaignante a même remercié MmeVaillancourt, a reconnu ses efforts et a loué ses services de représentation.

[54]    La plaignante estimait qu’il était inadmissible qu’elle n’ait pas été informée de son droit à un contrôle judiciaire au moment opportun et est en désaccord avec l’évaluation faite par l’AFPC de ses griefs. Elle a insisté sur le fait qu’elle devrait avoir le droit de porter en arbitrage son grief sur les heures supplémentaires. Elle estimait que sa nomination comme directrice par intérim a influencé l’opinion ou l’évaluation de son dossier par l’AFPC.

[55]    Mme Lévesque a témoigné au nom de la défenderesse. Elle a expliqué le processus d’approbation permettant d’établir si un grief devait être porté en arbitrage. Elle a expliqué que l’agent de l’élément des services chargé du dernier palier du processus de grief prend la décision de renvoyer ou non le grief au processus d’approbation. Le coordonnateur de la Section de la représentation reçoit ensuite le grief pour effectuer une analyse préliminaire. D’après la question soulevée dans le grief, le coordonnateur renvoie ensuite le grief à un analyste des griefs, qui l’examine avec la documentation pour en évaluer le bien-fondé, la compétence et la jurisprudence en cause, afin de déterminer si oui ou non le grief devait être renvoyé à l’arbitrage.  

[56]    L’analyste des griefs effectue ensuite une recommandation sur la question de savoir si le grief doit être renvoyé à l’arbitrage. S’il est établi que le grief devrait être renvoyé à l’arbitrage, il est retourné au coordonnateur, qui écrit à la CRTFP et affecte un agent de cas au dossier. S’il est recommandé de ne pas renvoyer le grief à l’arbitrage, l’analyste rédige une lettre expliquant les motifs de cette recommandation. Cette lettre inclut des renseignements comme la possibilité que le fonctionnaire s’estimant lésé puisse renvoyer le grief à l’arbitrage sans le soutien de l’AFPC dans les cas de mesures disciplinaires et de licenciement. Dans d’autres cas, il n’est pas fait mention d’autres mécanismes de redressement.

[57]    En l’espèce, les deux griefs ont suivi le processus décrit précédemment et Mme Nancy Milosovic a été nommée comme analyste des griefs. Quand Mme Lévesque a pris connaissance de la lettre, elle a jugé que celle-ci s'inscrivait dans une certaine logique. Elle estimait qu’elle était claire et lorsqu’elle a passé le dossier en revue, Mme Lévesque en est venue aux mêmes conclusions que l’analyste.

[58]    Mme Lévesque a replacé les travaux de l’AFPC dans leur contexte : [traduction] « notre tâche consiste à nous assurer que la convention collective est respectée ». Dans le cas qui nous occupe, la plaignante avait des attentes; des promesses lui avaient été faites. Toutefois, l’AFPC devait envisager la situation du point de vue de son rôle consistant à assurer le respect de la convention collective.

[59]    Mme Lévesque a en outre expliqué que, dans cette affaire, Mme Jakutavicius avait conclu un accord sur mesure avec le directeur général. Comme l’entente était extérieure à la convention collective, lorsque la direction a décidé qu’elle ne la respecterait plus, l’AFPC ne pouvait rien faire. La situation inverse aurait constitué un dossier simple et clair pour l’agent négociateur. Si la plaignante avait continué à demander des heures supplémentaires qui, en vertu de la convention collective, devaient être autorisées au préalable, puis n’avait pas été payée, l’AFPC aurait joué un rôle clair.

[60]    Mme Lévesque a également expliqué qu’il incombe à l’AFPC de s’acquitter de certaines responsabilités à l’égard de ses membres, qui versent des cotisations syndicales. Celles-ci doivent être utilisées au profit de l’ensemble des membres. Dans l’éventualité où un grief est renvoyé à l’arbitrage sans possibilité de réussite, l’AFPC est d’avis que l’effet est négatif pour l’ensemble des membres.

[61]    En ce qui a trait au grief de classification, Mme Lévesque a déclaré que la loi et la jurisprudence établissent clairement qu’il ne s’agissait pas d’un grief arbitrable. Il était du ressort exclusif de la direction. Malgré le fait qu’il ne s’agissait pas d’une question d’interprétation ou d’application de la convention collective, l’AFPC, comme c’est souvent le cas, a fourni des services d’aide et de représentation dans le cadre de ce grief jusqu’au dernier palier.

[62]    Mme Lévesque a déclaré qu’elle compatissait beaucoup à la cause de la plaignante et qu’à son avis la plaignante a été traitée injustement. Toutefois, l’agent négociateur ne pouvait rien faire parce qu’il ne disposait pas des outils dont il aurait eu besoin pour apporter son aide dans cette affaire. À son avis, l’AFPC aurait pu aider au début quand la plaignante a négocié l’entente, mais lorsque les promesses faites dans le cadre d’une entente conclue hors du cadre de la convention collective ont été rompues, il n’y avait rien à faire. Elle a tenté à maintes reprises d’expliquer la position de l’AFPC à la plaignante. Reconnaissant qu’elle a envisagé la possibilité de recommander le contrôle judiciaire à la plaignante, elle s’est prononcée à l’encontre de celui-ci parce que, de l’avis de l’AFPC, il ne s’agit pas d’un redressement.

[63]    Mme Lévesque a en outre expliqué que la Cour fédérale ne reclasserait pas d’elle-même le poste d’une personne, mais qu’elle ordonnerait tout simplement à l’organisme administratif de procéder de novo au processus d’examen administratif. Pour que cette option soit exercée, il faut établir l’existence d’une faille dans le processus ou la violation d’un principe de justice naturelle. La Cour fédérale se pencherait seulement sur la façon dont la décision a été prise, et non sur le fond de l’affaire. Elle n’ordonnerait ni n’imposerait de reclassement.

[64]    Mme Lévesque estimait, d’un point de vue pratique, que la Cour fédérale aurait tout simplement donné à l’organisme administratif une occasion de se prononcer plus efficacement contre le reclassement. La défenderesse est donc d’avis que si elle avait recommandé le contrôle judiciaire, elle aurait pu induire la plaignante en erreur et favoriser d’autres procédures à un coût superflu.

[65]    Faisant référence au courriel de M. Prieur envoyé à la plaignante le 9 juillet 2003 (pièce C-17), Mme Lévesque a fait observer qu’en principe, M. Prieur avait raison; Mme Jakutavicius pourrait aller en arbitrage avec son propre avocat. Toutefois, Mme Lévesque estime, compte tenu de ce qu’elle sait de la jurisprudence et de la loi, que les griefs auraient peu de chances d’être accueillis. Mme Lévesque a conclu en affirmant qu’elle était déçue des sentiments de la plaignante. Elle regrettait que la plaignante n’ait pas compris la motivation de la décision de l’AFPC. Lorsqu’elle s’est fait demander si elle agirait différemment aujourd’hui, Mme Lévesque a répondu « non ».

[66]    Pendant le contre-interrogatoire, Mme Lévesque a admis que quelqu’un aurait dû dire à la plaignante qu’elle pouvait se prévaloir du mécanisme du contrôle judiciaire. Peut-être ce renseignement aurait-il été important pour elle. Elle a toutefois mentionné avec insistance que l’omission de le faire ne constituait pas une erreur parce que dans les faits, ce n’est pas un recours au plan pratique. Ce n’est pas un mécanisme de redressement. De plus, une fois qu’un fonctionnaire s’estimant lésé a retenu les services d’un avocat indépendant, l’AFPC ne dispense plus de conseils juridiques à ce membre.

[67]      Mme Lévesque a en outre expliqué que l’AFPC n’a recours qu’à la Cour fédérale pour le contrôle judiciaire des décisions de la CRTFP. Elle ne se voyait pas suggérer le contrôle par la Cour fédérale d’une réponse donnée au dernier palier du processus de grief relativement à une question qui n’est pas arbitrable. Les frais engagés relativement aux avantages à tirer de ce processus ne justifieraient pas cette option. Dans son esprit, il n’était pas logique d’exposer aux membres une option pour ensuite leur expliquer pourquoi elle ne s’applique pas dans les faits. Cela mettrait en péril la relation avec les membres.

[68]    Mme Lévesque a conclu en affirmant que le contrôle judiciaire n’est pas un mécanisme d’application automatique. Comme elle le dit : [traduction] « la barre est plutôt haute ». En d’autres termes : [traduction] « il s’agit de prendre des décisions de la bonne manière, et non de prendre la bonne décision; emprunter une voie différente ne signifie pas que la décision prise sera différente ».

Résumé de l’argumentation

Argumentation de la plaignante

[69]    La plaignante a fait valoir que la preuve soumise illustre qu’elle avait conclu une entente avec le directeur général au printemps 1998. À cette époque, elle avait accepté de nombreuses tâches et un nouvel emploi, pour autant que ses préoccupations quant à sa rémunération soient reconnues. Une entente satisfaisante a été conclue. Elle prévoyait une compensation financière sous forme de paiement d’heures supplémentaires qui ne devaient pas être approuvées au préalable. Cela signifiait également que son poste d’attache serait combiné au poste de directrice par intérim qu’elle avait demandé d’occuper sur une base intérimaire. Elle avait compris de l’entente que les postes combinés seraient officiellement combinés ou fusionnés et reclassés de façon rétroactive. Le moment choisi pour appliquer ce mécanisme était fonction du moment que choisirait le titulaire du poste de directeur par intérim pour quitter officiellement son poste.

[70]    La preuve révèle que l’AFPC n’a pas été informée de cette entente. Toutefois, elle montre que la plaignante n’avait pas l’intention de miner l’application de la convention collective ou d’y faire entrave. Mme Jakutavicius ne croyait pas qu’elle faisait quoi que ce soit de mal. Cette entente a été appliquée à la satisfaction des parties pendant 22 mois. La plaignante a présenté des feuilles de travail et a été rémunérée pour les heures supplémentaires soumises, malgré le fait qu’elle n’avait pas demandé l’autorisation préalable de ces heures supplémentaires.

[71]    En février 2000, la plaignante a reçu, sans avertissement, un avis selon lequel il n’y aurait plus d’heures supplémentaires sans autorisation préalable. Elle a été informée que cette mesure a été ordonnée par le SMA, Travail.

[72]    La preuve révélait également que la plaignante a été désarçonnée du fait qu’elle a été informée de cette nouvelle exigence seulement quelques jours après avoir terminé un projet spécial. Elle avait récemment (en janvier 2000) consacré de nombreuses heures supplémentaires à une Conférence ministérielle fédérale-provinciale-territoriale couronnée de succès. Voilà de beaux remerciements pour du travail bien fait! Elle a également considéré ce geste comme une attaque à sa crédibilité et à sa réputation. Elle avait toujours fourni des explications et n’avait jamais réclamé d’heures supplémentaires pour du travail effectué au bureau et elle a même déclaré moins d’heures supplémentaires qu’elle en avait fait en réalité.

[73]    Mme Jakutavicius n’estimait pas qu’il était adéquat d’exiger du personnel de direction de demander une autorisation pour faire des heures supplémentaires. De plus, cela manquait de réalisme. Au niveau de directeur, il est impossible de toujours prévoir les heures supplémentaires. À ses yeux, une telle exigence était injustifiée et était utilisée comme mécanisme punitif. Elle alléguait être intimidée et victime d’une tentative de contrainte.

[74]    A également été produit en preuve le fait que, par suite de la réunion du 18 février 2000 avec le SMA, Travail, un engagement de reclasser les postes combinés a été pris. Ultérieurement, soit le 19 mai 2000, on a annoncé à tout le personnel que les postes occupés par la plaignante étaient scindés en deux. Il n’y a pas eu de discussions préliminaires ou d’avis donné à la plaignante.

[75]    À ce stade, la plaignante s’est tournée vers son agent négociateur pour obtenir de l’aide. Deux griefs ont été déposés par la plaignante, avec les conseils du représentant de l’AFPC.

[76]    Les deux griefs ont été déposés dans le respect des délais. La violation de l’entente a été portée à l’attention de la plaignante le 19 mai 2000. Les griefs ont été complétés et déposés le 24 mai 2000. Ils ont été présentés au directeur général, qui était à l’extérieur du bureau jusqu’au 23 juin 2000. Conformément à la convention collective, les griefs ont été présentés dans le délai de 25 jours requis. Les deux griefs respectaient les délais.

[77]    Sur réception des répliques de troisième palier à ses griefs, la plaignante a fait part de ses préoccupations concernant l’impartialité du processus et a demandé un examen [traduction] « […] par un tiers extérieur au Programme du travail. […] » (réponse en date d’octobre 2000 – pièce 11), au palier suivant. Cette question a également été soulevée au moment de la correspondance avec le représentant de l’AFPC.

[78]    Lorsqu’elle a reçu les répliques au dernier palier du processus de grief, la plaignante a continué à s’informer au sujet de ses droits de porter ses griefs en arbitrage. Elle a clairement fait part de ses intentions d’aller de l’avant et a demandé quelle était la tribune adéquate, dans l’éventualité où ce ne serait pas l’arbitrage.

[79]    Comme réponse, la plaignante a reçu la lettre de l’analyste des griefs, puis des lettres du coordonnateur de la Section de la représentation. Il n’a pas été fait mention de la possibilité d’un contrôle judiciaire en réponse à sa demande de renseignements concernant d’autres tribunes jusqu’à ce qu’elle informe l’AFPC qu’elle avait l’intention de retenir les services de son propre avocat. Selon elle, à partir de ce stade, les communications en provenance de l’AFPC sont devenues encore plus obscures. Après avoir été informée que la CRTFP n’avait pas compétence, elle a été avisée que : [traduction] « [v]otre avocat peut utiliser TOUS les recours légaux qu’il juge indiqués […] y compris la CRTFP […] » (pièce 17). De plus, ce n’est que le 2 septembre 2003 que la plaignante a obtenu confirmation qu’elle pourrait instituer une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale [traduction] « […] sans l’approbation ou le soutien de l’AFPC […] » (pièce 18).

[80]    Bien que l’AFPC ait continué à soutenir que la demande de contrôle judiciaire de la plaignante ne serait pas accueillie, celle-ci a fait valoir que c’est une question de sémantique et que le contrôle judiciaire constitue une option, qu’elle soit appelée mesure de redressement ou non. À son avis, la réplique à son grief de classification au dernier palier du processus de grief renferme une erreur de droit donnant ouverture à révision et elle avait le droit de déposer une demande de contrôle judiciaire dans les 30 jours (alinéas 18.1 (2) c) et d) de la Loi sur les Cours fédérales).

[81]    Tout ce que la plaignante voulait, c’était qu’un tiers indépendant passe en revue le processus et annule la décision, ce qui entraînerait un renvoi ultérieur en vue d’une nouvelle décision, idéalement accompagnée de certaines directives. Elle désirait obtenir une nouvelle audience et une décision basée sur le fond, et non sur une question de forme. Telle est la forme de redressement qu’elle demandait. Elle ne s’attendait pas à ce que la Cour fédérale reclasse ses postes. L’AFPC ne considérait pas cela comme une option véritable, quoique le délai de dépôt des griefs, un motif d’ordre procédural, constituait un facteur mentionné comme fondement des deux décisions.

[82]    La plaignante n’a pas accepté la motivation qui sous-tend la décision de l’AFPC selon laquelle, en définitive, l’exercice serait inutile parce que la décision, même si elle était annulée et produite de nouveau après une nouvelle audience, se traduirait par le même résultat. De l’avis de la plaignante, si la décision s’était appuyée sur le fond des dossiers, elle aurait été différente.

[83]    En conclusion, la plaignante a fait valoir que l’AFPC a manqué à son devoir de représentation juste à son égard en ce sens que l’AFPC et Mme Lévesque ont agi [traduction] « […] de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi dans la représentation de […] » la plaignante, qui est une fonctionnaire du service.

[84]    Dans l’arrêt Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509, la Cour suprême du Canada énonce le critère permettant de déterminer le devoir de représentation juste à l’aide des principes suivants :

[…]

  1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.
  2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.
  3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.
  4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.
  5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[…]

[85]    Dans une autre décision de la Cour suprême du Canada, Centre hospitalier Régina ltée. c. Tribunal du travail, [1990] 1 R.C.S. 1330, la Cour a fait référence à l’arrêt Gagnon, supra, de la façon suivante :

[…]

Tel que le souligne l’arrêt Gagnon, le syndicat doit, lors même qu’il agit à titre de défenseur des droits (bien fondés selon son évaluation) d’un salarié, tenir compte des intérêts de l’ensemble de l’unité d’accréditation dans l’exercice de sa discrétion de poursuivre ou non un grief. Le syndicat jouit d’une discrétion afin de soupeser ces intérêts divergents et apporter la solution qui lui apparaît la plus juste . Cette discrétion n’est cependant pas sans limites. En effet, affirmer sans autres nuances que le syndicat a le droit ou le pouvoir de "sacrifier" n’importe quel grief, qu’il considère bien fondé à ce stade, au cours de négociations avec l’employeur, afin d’obtenir en concession de meilleures conditions de travail ou autres bénéfices pour l’ensemble de l’unité d’accréditation, semble aller à l’encontre de l’obligation de représentation diligente du syndicat à l’égard du salarié concerné. D’autre part, rejeter complètement la possibilité pour le syndicat et l’employeur de régler un maximum de griefs lors des négociations en vue d’une nouvelle convention collective, ou à d’autres occasions, serait ignorer une réalité courante et nécessaire en matière de relations de travail. […]

[…]

[86]    Dans le cadre de l’application de ces principes, le processus de mise en balance devrait prendre en compte les éléments suivants :

  1. les dommages causés à la réputation et à l’intégrité de la plaignante;
  2. le fait que l’exigence de l’autorisation préalable des heures supplémentaires a été imposée de manière punitive et insultante;
  3. la perte de rémunération subie par la plaignante pour les heures supplémentaires effectuées;
  4. la reconnaissance par l’agent négociateur de la malhonnêteté de l’employeur et du caractère injuste de la situation;
  5. une préoccupation selon laquelle l’agent négociateur a fait preuve de partialité à l’égard de cette employée.

[87]    La plaignante a conclu qu’en ce qui a trait à son grief sur les heures supplémentaires, l’AFPC aurait dû permettre que le grief soit porté en arbitrage et qu’en ne le faisant pas, ses actions ou ses inactions étaient arbitraires et représentaient un manquement à son devoir de représentation juste conformément aux principes énoncés par la Cour suprême du Canada.

[88]    Pour ce qui est de son grief de classification, la plaignante avait le droit de savoir qu’elle pouvait se prévaloir du contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Compte tenu du fait qu’elle n’était pas satisfaite de la réplique finale à ce grief et malgré le fait qu’elle avait demandé à maintes occasions quels recours étaient à sa disposition, elle n’a pas été informée des autres options.

[89]    De l’avis de Mme Jakutavicius, la réponse était simple. Cependant, la plaignante n’a pas obtenu de réponse claire de son agent négociateur. Elle estime que les préoccupations de l’AFPC en matière de coût, le genre de redressement que le contrôle judiciaire procurerait à la plaignante et l’image de l’AFPC elle-même n’étaient pas légitimes et ont entaché le genre et le degré de participation de l’AFPC dans son dossier.

[90]    Il aurait fallu tenir compte de l’impact sur la plaignante, de sa réputation, de la stagnation de sa carrière et de sa quête d’un examen, par un tiers indépendant, du processus auquel elle venait de prendre part.

[91]    Ont également été présentées à l’appui des arguments de la plaignante deux décisions de notre Commission : King et Waugh c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2005 CRTFP 3, et Savoury c. Guilde de la marine marchande du Canada,   2001 CRTFP 79. Dans cette dernière affaire, l’agent négociateur avait manqué à son obligation d’informer la plaignante de son droit d’aller en arbitrage d’elle-même et du délai pour le faire. Au paragraphe 148 de sa décision, la Commission explique :

Je ne vois pas comment un agent négociateur, à notre époque moderne des droits, omettrait d’aviser un syndiqué de son droit de porter son grief en arbitrage à titre individuel et sans l’assistance ni le soutien de l’agent négociateur. Il me semble que c’est un devoir si fondamental envers un membre. Un syndiqué a le droit de ne pas être d’accord avec son agent négociateur et de porter, à ses frais et sur son temps personnel, son affaire en arbitrage.

[92]    En ce qui concerne son grief sur les heures supplémentaires, la plaignante demande d’être autorisée à le porter en arbitrage et d’être de préférence représentée par l’AFPC ou de façon indépendante, et dans ce dernier cas, que l’AFPC paie le coût de la représentation indépendante.

[93]    Pour ce qui est de son grief de classification, compte tenu du fait que son droit au contrôle judiciaire a maintenant été recouvré, la plaignante demande le remboursement de ses frais associés au processus de recouvrement. Il va de soi que compte tenu de l’historique du dossier, dans l’éventualité où le contrôle judiciaire connaît du succès, elle demandera ensuite une représentation indépendante adéquate au dernier palier du processus de grief. L’AFPC devrait payer cette représentation indépendante.

Argumentation de la défenderesse

[94]    Du point de vue de l’AFPC, il s’agit essentiellement de choix que font les gens et de conséquences que ces choix comportent. La plaignante a décidé de conclure une entente avec son directeur général. Elle a choisi de ne pas demander de représentation par l’AFPC à l’époque, même si elle éprouvait certaines inquiétudes au sujet de sa rémunération. Plus tard, elle a opté pour ne pas demander d’autorisation préalable de ses heures supplémentaires, même si son employeur lui avait dit qu’il ne paierait plus les heures supplémentaires si cette condition n’était pas respectée. Elle a choisi de travailler pendant 22 mois à un niveau qu’elle savait inexact.

[95]    En mars 2000, quand l’AFPC a pris conscience de cette situation, elle a commencé à faire ses propres choix. Elle a décidé d’assurer la représentation de la plaignante. Elle a choisi de conseiller la plaignante et de l’aider à remplir ses formulaires de grief. Elle a choisi de la soutenir et de la représenter tout au long du processus de grief jusqu’au dernier palier. Elle a ensuite choisi de ne pas porter son grief sur les heures supplémentaires en arbitrage, préférant, en fait, ne pas mettre en péril les intérêts de ses membres en donnant suite à ces griefs et offrir à la plaignante du soutien financier aux dépens de ses membres. Elle a choisi, fidèle à une pratique de longue date, de ne pas informer la plaignante des recours extraordinaires qui s’offraient à ce moment-là, à savoir le contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

[96]    Une analyse minutieuse des deux griefs a été effectuée par un analyste de griefs chevronné et compétent et a été revue par le coordonnateur de la Section de la représentation. L’AFPC et ses représentants n’ont pas agi de façon arbitraire ni discriminatoire ni n’ont fait preuve de mauvaise foi.

[97]    Bien que la plaignante ait obtenu des renseignements plutôt vagues de M. Prieur, l’information fournie est quand même correcte. Même si sa correspondance n’a pas été utile à la plaignante, ces gestes ne satisfont pas aux critères d’arbitraire, de discrimination ou de mauvaise foi.

[98]    Deux questions sont soulevées dans les griefs de la plaignante et le rôle de l’AFPC diffère dans chaque cas. Dans le cas des heures supplémentaires, cette question s’inscrit dans le mandat prévu par la loi de l’agent négociateur. Elle est couverte par la convention collective et est arbitrable. Dans le cas du grief de classification, c’est le contraire. La direction a le droit de décider de cette question. Elle n’est ni arbitrable ni couverte par la convention collective. C’est en ayant ces éléments à l’esprit que l’AFPC a pris ses décisions concernant la représentation de la plaignante dans d’autres instances.

[99]    Traitant d’abord du grief des heures supplémentaires, la défenderesse a plaidé que même si la plaignante demandait de se faire traiter comme tous les autres membres de l’AFPC, elle s’attendait à ce que l’AFPC l’aide à régler ses difficultés au sujet de l’entente qu’elle a négocié en dehors des paramètres de la convention collective, malgré le fait qu’elle estime être au-dessus de la convention collective.

[100]    La défenderesse a signalé que l’exigence relative à l’autorisation préalable des heures supplémentaires n’a pas été négociée dans le but d’humilier ou de rabaisser ses membres.

[101]    Ayant reconnu le caractère inéquitable de cette situation du point de vue de la plaignante, et ayant exprimé sa sympathie, la défenderesse a fait valoir que l’AFPC ne peut pas donner à la plaignante de meilleures conditions que celles dont bénéficient les autres membres. Malgré le fait qu’une entente a été conclue en dehors de la convention collective, l’AFPC a représenté la plaignante, de bonne foi, à tous les paliers du processus de grief. En outre, une analyse exhaustive a été effectuée pour établir si l’AFPC devait aller en arbitrage dans le cas de ce grief sur les heures supplémentaires.

[102]    La décision à cet égard a été prise en fonction du dossier, de la jurisprudence et de la loi. L’analyste des griefs a statué qu’il n’y avait pas eu violation de la convention collective. Le grief s’appuyait sur une entente entre la plaignante et le directeur général, en dehors de la convention collective. Selon l’analyste de griefs, en l’absence d’une violation de la convention collective, ce grief ne serait pas accueilli par un arbitre. La défenderesse a également tenu compte des répercussions possibles d’une décision d’arbitrage et de son impact sur ses membres. Enfin, elle a pris en considération sa responsabilité à l’égard de l’argent versé par ses membres pour réaliser son mandat.

[103]    La décision de l’AFPC de ne pas donner suite à cette affaire ne peut aucunement être considérée comme arbitraire, discriminatoire ou prise de mauvaise foi. Au contraire, les représentants de l’AFPC ont été très patients avec la plaignante et ont effectué une analyse minutieuse et approfondie du dossier. L’AFPC a le droit de prendre une décision en tenant compte des mesures d’arbitrage et elle l’a fait sur le fond de l’affaire. Cette autorité est au cœur même du pouvoir exclusif de l’AFPC en matière d’arbitrage. L’AFPC est le seul protecteur des avantages dont jouissent les membres dans leur ensemble. Le fait qu’un membre veuille « agir seul », même à ses frais, ne devrait pas constituer un facteur dans une décision prise par l’AFPC.

[104]    En ce qui concerne la question de la classification, la norme d’examen des gestes de l’AFPC devrait être moins élevée parce que cette question est extérieure au contexte de la convention collective. L’AFPC assure une représentation dans ces domaines à titre gracieux, comme elle le fait pour les questions liées aux droits de la personne. Toutefois, le mandat ou la pratique de l’AFPC ne prévoit pas qu’elle doit offrir, dans ces circonstances, une représentation dans les cas de mesures extraordinaires comme le contrôle judiciaire.

[105]    La plaignante savait depuis 1998 que son poste n’a pas été bien classé. La défenderesse est en désaccord avec la thèse de la plaignante selon laquelle elle a pris connaissance du problème posé par sa classification en mai 2000, lorsqu’elle a reçu le message par courrier électronique envoyé à toute la Direction du travail et exposant à la plaignante les changements apportés aux postes combinés. La défenderesse maintient que la plaignante a opté pour le statu quo et a choisi de ne pas consulter l’AFPC avant 2000.

[106]    À l’époque, il ne s’agissait pas d’un risque déraisonnable, compte tenu du fait que la plaignante est parvenue à conclure une entente sur ce qu’elle estimait être une rémunération adéquate dans le cadre du régime d’heures supplémentaires. Il est compréhensible que la plaignante ait accueilli avec plaisir cette possibilité de travailler à un poste de direction.

[107]    Toutefois, selon les termes de la défenderesse : [traduction] « tout à coup, la terre a tremblé ». « Le château de cartes » bâti en dehors de la convention collective s’est écroulé, contrairement à des conditions qui, négociées dans une convention collective, auraient assuré des « bases solides ».

[108]    Le grief relatif à la classification a été rejeté pour non-respect des délais. De l’avis de l’AFPC, c’est probablement approprié. Il n’existait pas de motif de contrôle judiciaire.

[109]    Le devoir de représentation juste est une obligation de traiter les membres en toute équité, sans verser dans l’arbitraire, la discrimination ou la mauvaise foi. Cependant, cela ne signifie pas que la défenderesse est tenue de faire les choses à la perfection. La défenderesse a droit à l’erreur dans la mesure où elle a procédé à une analyse et à un examen justes, complets et soignés du dossier.

[110]    Pour autant que le critère de la mise en balance formulé par la Cour suprême du Canada est concerné, la défenderesse a signalé qu’il ne s’agit pas d’un cas de perte d’emploi, de poste ou la perte de son droit de faire des heures supplémentaires de la part de la plaignante. Elle a fait son choix, a conclu une entente et celle-ci s’est écroulée. Elle a reconnu qu’elle a fait le choix de ne pas demander d’autorisation préalable de ses heures supplémentaires. La plaignante a été rémunérée pour ses heures supplémentaires de janvier et de février 2000.

[111]    La plaignante a reconnu que l’entente n’avait pas été négociée par l’AFPC. Elle a admis que c’était une entente privée. Malgré ce fait, l’AFPC a assuré la représentation relativement aux deux griefs jusqu’au dernier palier du processus de grief.  

[112]    Commentant la jurisprudence présentée par la plaignante, la défenderesse a signalé qu’elle porte sur des questions qui revêtent une importance cruciale pour les conventions collectives. Ce n’est le cas d’aucun des deux griefs qui font l’objet de la présente plainte.

[113]    À l’appui de la thèse de la défenderesse, il a été fait mention des décisions suivantes : Bingley c. Section locale 91 des Teamsters et Courrier Purolator ltée, (2004) Décision CCRI n o 291; Lipscomb c. Alliance de la Fonction publique du Canada et al., 2000 CRTFP 66; Sophocleous c. Pascucci et Richey, dossier de la CRTFP 161-2-861 (1998) (QL).

[114]    Pour terminer, la défenderesse a soutenu que rien ne prouve que la plaignante a été traitée de manière arbitraire, discriminatoire ou avec mauvaise foi. Au contraire, elle a fait l’objet de plus d’attention que la plupart des membres, du fait de la tentative de l’AFPC d’apaiser ses préoccupations, de lui fournir de l’information et de la rassurer. Selon la défenderesse, porter le grief sur les heures supplémentaires en arbitrage ne se justifiait d’aucun motif ni ne présentait aucun intérêt pour ses membres. Pour ce qui est de la classification, compte tenu de la nature du grief et du rôle de l’AFPC à cet égard, la norme d’examen de ses fonctions de représentation juste devrait être plus souple. En conclusion, rien ne prouve que la défenderesse a agi envers la plaignante de manière arbitraire, discriminatoire ou avec mauvaise foi.

[115]    L’AFPC représentera la plaignante en ce qui a trait à son grief de classification si sa demande de contrôle judiciaire est accueillie, mais s’opposera à la représentation par un avocat du secteur privé. La défenderesse s’est réservée le droit de présenter des observations quant aux mesures de redressement que recherche la plaignante à une étape ultérieure de cette procédure, au besoin.

Autres observations

[116]    Comme suite à une entente conclue entre les parties, la plaignante a donné, après l’audience, des répliques au deuxième palier à ses griefs et ses réponses à ces répliques. La défenderesse a commenté ces documents dans une lettre en date du 10 mars 2004 et la plaignante a déposé une réfutation le 24 mars 2004. J’ai lu ces documents et ces observations.

Motifs

[117]    La plaignante a admis avoir bénéficié d’une représentation satisfaisante de la part des représentants de l’AFPC à tous les paliers du processus de grief. Les deux griefs ayant été rejetés (les répliques au dernier palier sont datées du 6 mai 2003), la plaignante désirait utiliser d’autres mécanismes de redressement. Le 15 mai 2003, la plaignante a été informée par la défenderesse, en réponse à sa demande concernant d’autres mécanismes, que cela dépendrait de l’étude du dossier par l’AFPC. C’est ce qui a donné lieu à la présente plainte.

[118]    Après analyse et étude des deux griefs et des réponses au dernier palier, l’AFPC a fourni à la plaignante, le 2 juillet 2003, un avis écrit mentionnant qu’elle n’appuierait pas le renvoi du grief sur les heures supplémentaires à l’arbitrage. En outre, l’AFPC a informé la plaignante que comme un arbitre de grief n’aurait pas la compétence voulue pour être saisi des différends en matière de classification, l’AFPC n’appuierait pas un renvoi du grief de classification à l’arbitrage. La défenderesse n’a pas informé la plaignante de quelque autre option que ce soit à ce moment-là, même si elle savait qu’elle voulait entamer d’autres procédures.

[119]    Les circonstances de la présente affaire révèlent que la plaignante a conclu sa propre entente avec son directeur général sans consulter son agent négociateur de l’époque. La défenderesse, admettant être en grande partie d’accord avec les faits et la chronologie présentés par la plaignante, a dit regretter qu’aucun mécanisme de redressement prévu à la convention collective ne puisse rectifier la situation dans laquelle la plaignante s’est retrouvée. Il a été plaidé que l’agent négociateur n’a pas pour rôle de défendre de telles ententes.

[120]    L’AFPC a soutenu que la décision de ne pas pousser plus loin les griefs s’appuyait sur l’examen et l’analyse soignés de la situation, en tenant compte de l’équilibre entre les intérêts et les conséquences pour la plaignante et ceux de ses membres, sans faire preuve de discrimination ou de mauvaise foi, et maintient son évaluation des dossiers.

[121]    On me demande de déterminer si la défenderesse a enfreint son devoir de représentation juste de la façon dont elle a traité les deux griefs de la plaignante. Il incombe à celle-ci de prouver l’arbitraire, la discrimination ou la mauvaise foi. Le rôle et les responsabilités de la défenderesse diffèrent dans chaque grief. Je me pencherai donc sur la plainte à la lumière de son rapport avec chaque grief.

[122]    Premièrement, en ce qui a trait aux circonstances qui entourent le grief sur les heures supplémentaires, rien dans la preuve qui m’a été soumise ne pouvait m’amener à conclure, selon toute vraisemblance, à un manquement au devoir de représentation juste. Pour ce qui est du grief sur les heures supplémentaires, la plainte doit être rejetée. L’analyse et le suivi du grief ont été faits avec diligence et minutie, en se fondant sur la jurisprudence, l’expérience et la logique. La plaignante a reçu une copie de l’analyse. Il n’existe aucune preuve d’arbitraire, de discrimination ou de mauvaise foi. Rien ne prouve, comme l’a laissé entendre la plaignante, que la défenderesse a agi différemment ou a voulu exercer des représailles contre elle parce qu’elle avait conclu sa propre entente avec son directeur général en dehors de la convention collective ou parce qu’elle occupait un poste de direction.

[123]    La défenderesse possédait le pouvoir discrétionnaire de décider si elle porterait ce grief en arbitrage. De nombreuses décisions de diverses commissions des relations du travail ont confirmé ce principe et ses limites. Dans la décision Teeluck c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2001 CRTFP 45, la Commission en a fait un résumé au paragraphe 80 :

[…] Le syndicat peut par conséquent choisir de défendre les intérêts du groupe au détriment de ceux de l’intéressé (ou vice-versa) puisqu’il n’est pas tenu de défendre un membre dans l’absolu et qu’il le fait parfois même si le défendre va à l’encontre des droits de ses autres membres. Le droit du syndicat de faire ce choix est limité, tout comme ses décisions quant à la représentation de ses membres, puisqu’il doit éviter que ses décisions soient arbitraires, capricieuses ou discriminatoires, et les prendre judicieusement, avec intégrité et compétence et en toute justice.

[124]    Dans la décision Delorme c. Association canadienne des travailleurs en communication et travailleurs connexes et Télécommunications CNCP, Montréal, Québec, (1983) 52 di 46, le Conseil canadien des relations de travail (tel était alors son nom) a revu la jurisprudence et a affirmé que :

[…]

[…] on ne peut pas reprocher à un syndicat d’avoir conclu de bonne foi qu’un grief ne pouvait être gagné à l’arbitrage, et qu’il pouvait à juste titre l’abandonner; un syndicat peut légitimement ne pas opter pour l’arbitrage si, ayant suffisamment étudié le grief et après mûre réflexion, il conclut qu’il n’est pas fondé; à ce sujet, même si le Conseil croit que le syndicat a pris la mauvaise décision, il ne s’ingérera pas dans une décision prise de bonne foi […]

[125]    La défenderesse a le droit de commettre une erreur dans son évaluation du dossier. Le devoir de représentation juste n’équivaut pas à une garantie contre les erreurs et omissions. Les tribunaux et les commissions des relations du travail ont traité de cette question à plusieurs reprises. Dans la décision Quesnel v. Ontario Public Service Employees Union and Ministry of the Attorney General, [2004] CRTO Rep. janvier/février 133 (QL), la Commission des relations de travail de l’Ontario a commenté en ces termes :

[Traduction]

[…]

[…] le simple fait qu’un représentant syndical ait commis une erreur dans sa façon de traiter un grief pour le compte d’un employé ne signifie pas nécessairement que le syndicat a enfreint son devoir de représentation juste, même si cette erreur a entraîné un préjudice pour le ou les employés concernés. […]

[…]

[126]    N’étant pas tenue de porter les griefs en arbitrage, et en l’absence d’arbitraire, de discrimination ou de mauvaise foi, l’AFPC devrait conserver son plein pouvoir discrétionnaire de prendre ces décisions, car elle possède des droits exclusifs concernant la convention collective. Il importe de préciser que la défenderesse a sérieusement envisagé la possibilité de porter ce grief en arbitrage et a procédé à une analyse minutieuse et équitable avant de décider de ne pas le faire.

[127]    Deuxièmement, en ce qui touche le grief de classification, les mêmes principes s’appliquent à la décision prise par la défenderesse de ne pas appuyer d’autres procédures. La défenderesse satisfaisait également au critère formulé dans l’affaire Gagnon, supra, relativement à cette question. Comme suite à la même représentation satisfaisante fournie à la plaignante tout au long du processus de grief, encore une fois du propre aveu de cette dernière, la même analyse minutieuse a été faite au sujet de l’arbitrage qu’au sujet du grief sur les heures supplémentaires.

[128]    Dans la décision Lipscomb, supra, la Commission se prononçait sur une plainte semblable dans le contexte d’un renvoi en cours de stage, qui n’est pas arbitrable, comme la plainte dans le présent dossier, et s’est exprimée de la manière suivante au paragraphe 18 :

La Commission doit accorder à un agent négociateur une assez grande latitude relativement à la représentation de ses membres aux termes de la L.R.T.F.P. Elle n’accepte pas la thèse du plaignant selon laquelle le droit à la représentation prévu au paragraphe 10(2) de la L.R.T.F.P. serait pratiquement absolu et ne pourrait être refusé, sauf dans les cas les plus banals. Ce point de vue est contraire à l’arrêt Gagnon (supra) de la Cour suprême du Canada.

[129]    J’estime que je dois tirer la même conclusion en l’espèce que la Commission dans l’affaire Lipscomb, supra, relativement à la décision prise par la défenderesse de ne pas porter le grief de classification en arbitrage.

[130]    Je conclus donc qu’il n’y avait ni arbitraire, ni discrimination, ni mauvaise foi dans les gestes et les décisions de la défenderesse concernant son évaluation des deux griefs et sa décision de ne pas aller en arbitrage.

[131]    Cependant, la plaignante reproche expressément à la défenderesse de ne pas avoir été informée à temps de son droit au contrôle judiciaire au dernier palier de son grief de classification, même sans l’appui de l’AFPC. Il subsiste alors une question : compte tenu des nombreuses lettres de la plaignante aux représentants de la défenderesse, dans lesquelles elle posait des questions au sujet du processus, de la tribune et des échéances dès décembre 2002 (pièce C-12) avant les réponses au dernier palier à ses griefs de mai 2003, compte tenu de son insistance à vouloir pousser son dossier plus loin (pièce C-15) et compte tenu de sa correspondance de suivi, pourquoi n’a-t-elle pas été informée de son droit au contrôle judiciaire à temps? S’agit-il d’une erreur ou d’une omission légitime ou cela représente-t-il plutôt de l’arbitraire et un manquement au devoir de représentation juste de l’agent négociateur?

[132]    Il conviendrait d’abord de souligner que même si la défenderesse n’envisage pas invariablement le contrôle judiciaire dans le cas d’une réponse au dernier palier d’un grief de classification, les membres ont le droit d’être informés de cette possibilité et de prendre leur propre décision à cet égard. Le devoir d’informer la plaignante de la disponibilité d’un recours n’a pas été, comme tel, contesté par la défenderesse. En tout état de cause, ce droit est reconnu. La défenderesse a plutôt fait observer que comme ces questions ne s’inscrivent pas dans son mandat plus étroit (la convention collective), il faudrait exercer une norme d’examen différente. Ce dont j’ai tenu compte.

[133]    Le concept d’« arbitraire » est l’un des plus difficiles à définir et semble souvent chevaucher celui de « négligence ». Dans la décision Re City of Winnipeg and Canadian Union of Public Employees, Local 500, 4 L.A.C. (4 e) 102, l’arbitre a résumé d’autres définitions de l’« arbitraire » se trouvant à la fois dans la doctrine et dans la jurisprudence :

[Traduction]

[…]

[…] «  […] arbitraire »; «  […] sans motif »; «  […] à sa guise »; «  […] pour la forme »; «  […] affiche un défaut de se pencher sur la question et de prendre part à un mécanisme décisionnel rationnel » […] ou un défaut «  […] d’adopter un point de vue raisonnable face au problème et d’en arriver à un jugement raisonné sur ce qu’il convient de faire après avoir pris en compte les divers éléments conflictuels pertinents ». […]

[…]

[134]    Les deux dernières définitions sont les plus utiles dans le cas qui nous occupe. Je dois donc maintenant me pencher avec tout le sérieux et l’attention nécessaires sur les circonstances de la présente affaire en gardant ces éléments à l’esprit.

[135]    La plaignante est une personne déterminée. Elle demandait le redressement d’une situation qu’elle jugeait très injuste. Après 22 mois et le succès d’une conférence nationale importante, elle ne s’attendait pas à ce qui a suivi. Elle était résolue à pousser cette question aussi loin qu’elle le pouvait pour que quelqu’un se penche sur sa situation sans la partialité qu’elle croyait marquée dans le processus de grief. Ses sentiments et sa motivation sont compréhensibles. Elle a fait part de ses réflexions et de ses sentiments dans toute sa correspondance soutenue et régulière avec les représentants de la défenderesse.

[136]    La défenderesse a reconnu à l’audience qu’il aurait été judicieux d’informer la plaignante de son droit au contrôle judiciaire tout en affirmant, du même souffle, que cette omission ne déclenchait pas sa responsabilité. La défenderesse n’a pas informé la plaignante parce qu’à son avis le processus de contrôle judiciaire avait peu de chances de succès et qu’en tout état de cause cette tribune ne procurerait pas à la plaignante la solution qu’elle recherchait. De plus, ce mécanisme de redressement n’est généralement pas mentionné aux fonctionnaires s’estimant lésés parce qu’il ne s’agit pas d’un mécanisme envisagé par la défenderesse dans des cas semblables. Le contrôle judiciaire est une voie que la défenderesse envisagera surtout lorsqu’elle est en désaccord avec une décision d’arbitrage.

[137]    L’évaluation du dossier faite par la défenderesse n’est plus remise en question. Cependant, les renseignements qu’elle a fournis à la plaignante étaient incomplets de son point de vue et ils ont finalement été donnés trop tard et uniquement après que la plaignante et son avocat aient insisté. Ce qui soulève la question de savoir si la plaignante comptait uniquement sur les renseignements fournis par la défenderesse. La plaignante avait informé la défenderesse, le 10 juin 2003 (pièce C-15), de la possibilité qu’elle retienne les services de son propre avocat. La défenderesse a expliqué que lorsqu’un membre recrute son propre avocat, elle ne lui fournit plus de conseils ni de renseignements. Toutefois, les représentants de la défenderesse ont continué à répondre à ses nombreuses questions. Quand la plaignante a posé des questions plus précises sur la participation éventuelle de son avocat, au début de juillet, la défenderesse l’a finalement renvoyée à son nouvel avocat pour plus de renseignements.

[138]     À ce stade, Mme Jakutavicius a reçu de l’information contradictoire sur ses droits d’aller en arbitrage (Gordon Prieur, pièce C-17). Pour ajouter à sa confusion, dans sa propre lettre datée du 7 juillet 2003, la plaignante a confirmé qu’elle était au courant d’une prorogation de délai jusqu’au 28 juillet 2003 obtenue pour elle par le représentant de l’AFPC. Toutefois, elle n’a pas été avisée que cela n’avait pas protégé sa qualité pour agir pour autant que le délai du contrôle judiciaire était concerné.

[139]    Selon moi, le fait que la plaignante ait informé la défenderesse de son intention de retenir les services de son propre avocat n’a pas modifié la situation, à ce moment, le délai de dépôt d’une demande de contrôle judiciaire de la réponse au dernier palier du 6 mai 2003 était déjà expiré.

[140]    Il faut donc se poser la question suivante : en l’espèce, la plaignante a-t-elle établi que les gestes de la défenderesse ou plus précisément son omission de l’informer à temps de son droit au contrôle judiciaire sans soutien de la part de la défenderesse, étaient tels qu’ils pouvaient être qualifiés d’arbitraires?

[141]    En l’espèce, la plaignante n’est pas tenue de prouver l’intention. Dans l’arrêt Noël c. Société d’Énergie de la Baie James et al., [2001] 2 R.C.S. 207, aux pages 230 et 231, la Cour suprême du Canada a fait observer que l’« arbitraire » ou la « négligence grave » comporte des gestes qui, même s’ils n’ont pas été motivés par une intention malicieuse, doivent néanmoins excéder les limites d’un « … pouvoir discrétionnaire exercé de façon raisonnable ».

[142]    Dans le cas qui nous occupe, compte tenu du fait que la défenderesse savait dès le 20 décembre 2002 que la plaignante entendait contester une réponse défavorable prévue au dernier palier du processus de grief, de sa correspondance qui a suivi et de l'expression claire de cette intention tout de suite après la production des réponses au dernier palier de ses griefs, et compte tenu du fait qu’elle aurait pu décider elle-même de se prévaloir du contrôle judiciaire après avoir évalué les risques d’y consacrer ses propres fonds, la défenderesse aurait dû informer clairement la plaignante de ses options pour qu’elle puisse le faire au moment opportun, et ainsi ne pas mettre ses droits en péril. La décision de la défenderesse de ne pas aviser la plaignante, malgré les demandes de cette dernière en ce sens, est arbitraire. Il ne s’agit pas d’un « … pouvoir discrétionnaire exercé de façon raisonnable » (Noël, supra). Comme l’a expliqué la défenderesse, celle-ci s’en est tenue à sa pratique ou à sa politique générale de ne pas considérer ni informer les membres de la possibilité de recours devant la Cour fédérale dans des cas de griefs de classification. Le fait d’avoir agi ainsi malgré les demandes claires de tels renseignements formulées par ce membre en particulier constitue une application aveugle d’une pratique générale et est par conséquent arbitraire, et illustre « … un défaut de se pencher sur la question et de prendre part à un mécanisme décisionnel rationnel … » (Winnipeg, supra, c’est nous qui soulignons).

[143]    De plus, la décision a été prise sans tenir compte des conséquences de la présente affaire. La plaignante avait clairement exprimé son intention de donner suite à son dossier. Les conséquences de l’application aveugle de la pratique générale étaient prévisibles : il y aurait des répercussions sur son droit au contrôle judiciaire. Le geste peut également être qualifié d’arbitraire en ce sens qu’il y a omission « … d’adopter un point de vue raisonnable face au problème et d’en arriver à un jugement raisonné sur ce qu’il convient de faire après avoir pris en compte les divers éléments conflictuels pertinents . … » (Winnipeg, supra, c’est nous qui soulignons). Les facteurs considérés par la défenderesse, soit son mandat, ses membres, sa réputation et ses ressources, ne prévalent pas sur l’importance à donner aux circonstances de la présente affaire, compte tenu du droit de la plaignante de procéder sans le soutien de la défenderesse.

[144]    Je dois donc conclure que, dans les circonstances expresses de cette affaire, la défenderesse a agi de manière arbitraire en omettant d’informer la plaignante au moment opportun de son droit de demander le contrôle judiciaire de la réponse au grief de classification au dernier palier du processus de grief sans le soutien de l’AFPC, malgré des demandes répétées en vue d’obtenir ces renseignements.

[145]    Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[146]    La plainte est accueillie en partie en ce qui touche le manquement de la défenderesse à son devoir de représentation juste, celle-ci ayant omis d’informer la plaignante en temps opportun de son droit de demander le contrôle judiciaire de la réponse donnée à son grief de classification au dernier palier du processus de grief, malgré des demandes répétées de sa part en vue d’obtenir ces renseignements. Toutes les autres allégations de manquement au devoir de représentation juste sont rejetées.

[147]    Sauf si les parties informent la Commission qu’elles se sont entendues sur un redressement directement lié au manquement à ce devoir particulier dans les 90 jours suivant la date de la présente, la directrice, Opérations du greffe et politique, de la Commission, doit prévoir la poursuite de l’audition de cette plainte pour que je puisse entendre les parties sur la question du redressement.

Le 6 juillet 2005.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Sylvie Matteau,
vice-présidente

 

 

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