Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le demandeur a demandé la prorogation du délai de présentation d’un grief pour contester son renvoi en période de stage – l’employeur a mis fin à son emploi à la suite d’accusations de trafic de stupéfiants – les accusations ont ensuite été retirées par la Couronne – le président a suivi cinq critères dans son analyse de la demande, soit : 1) l’existence de raisons claires et convaincantes justifiant la présentation tardive; 2) la durée du délai; 3) la diligence raisonnable du demandeur; 4) l’évaluation de l’injustice causée à l’employé par rapport au préjudice que subirait l’employeur, 5) les chances de succès du grief – le président a tenu compte du fait que le demandeur ne savait pas qu’il avait le droit de déposer un grief et avait tenté de se prévaloir d’autre recours, tribunaux compris, pour contester sa cessation d’emploi – le président a conclu que l'injustice causée au demandeur l'emportait sur le préjudice que subirait l'employeur et que, dans, les circonstances, le demandeur avait un dossier défendable et l'occasion, dans le cadre de la procédure de grief, de convaincre l'employeur du bien-fondé de son grief.

Demande accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-08-30
  • Dossier:  568-02-35
  • Référence:  2006 CRTFP 101

Devant un vice-président



ENTRE

AHMED DUNGAS RABAH

demandeur

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)

défendeur

Répertorié
Rabah c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d'un délai visée à l'alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Ian R. Mackenzie, vice-président

Pour le demandeur :  Osborne Barnwell, avocat

Pour le défendeur :  Adrian Bieniasiewicz, avocat


Affaire entendue à Toronto (Ontario),
le 25 juillet 2006.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Demande devant le président

[1]     M. Dungas Rabah a été renvoyé en cours de stage de son poste de magasinier au ministère de la Défense nationale (MDN) le 2 août 2004. Le 31 janvier 2006, il a demandé une prorogation de délai pour déposer un grief à l'encontre de son renvoi en cours de stage. Il était régi par une convention collective intervenue entre l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) et le Conseil du Trésor s'appliquant au groupe Services de l'exploitation (convention devant prendre fin le 4 août 2003, pièce A-16).

[2]    L'avocat de M. Rabah, Me Osborne Barnwell, a déclaré qu'il alléguerait, dans le grief, violation de l'équité procédurale dans le cadre du processus disciplinaire (ayant trait à une soi-disant infraction au droit à la représentation syndicale), et qu'il ferait valoir que le renvoi en cours de stage n'était pas lié à l'emploi. 

[3]    Les deux parties ont présenté des remarques d'ouverture. M. Rabah a témoigné et le Major Michael Fitz-Gerald a témoigné au nom de l'employeur.

Résumé de la preuve

[4]    M. Rabah est né au Tchad et a émigré au Canada en décembre 1989. Dans son pays d'origine, il fréquentait l'université, se spécialisant en sciences humaines et en sciences politiques.  Avant de venir au Canada, il enseignait et travaillait à la Croix-Rouge Internationale.

[5]    Au Canada, il a occupé un certain nombre de postes, tantôt rémunérés, tantôt bénévoles. Il est animateur de radio bénévole dans un poste communautaire. Il a occupé divers emplois au gouvernement de l'Ontario. Il a témoigné qu'il n'avait pas eu de rapports avec des syndicats dans aucun de ces postes. Il a également occupé un poste à court terme à l'Agence des douanes et du revenu du Canada (comme elle s'appelait alors) et n'a pas eu de contacts avec le syndicat dans le cadre de cet emploi. En outre, il a travaillé comme traducteur et interprète pour Citoyenneté et Immigration et pour la Commission de l'immigration et du statut de réfugié de 1999 à maintenant. Il a exécuté ce travail à titre d'entrepreneur indépendant.

[6]    Le 13 novembre 2003, M. Rabah a obtenu un poste de durée déterminée (un an) à l'Unité de soutien de secteur - Approvisionnement du MDN, à Toronto, à compter du 24 novembre 2003 (pièce A-1). Il s'agissait d'un poste de magasinier, de groupe et de niveau GS/STS-03. La lettre d'offre indiquait également qu'il serait en stage pendant 12 mois (soit toute la période de sa nomination), qu'il était régi par une convention collective et que des cotisations syndicales seraient perçues à même sa paie.

[7]    M. Rabah a suivi un certain nombre de séances d'information et d'orientation au cours desquelles il aurait été informé qu'il était membre d'un syndicat (pièces E-1, E-2, E-5 et E-7). Les formules d'information ou d'adhésion sont des listes de contrôle qui ont été signées par M. Rabah. Les formules comportent une case à côté de « nom du délégué syndical ». M. Rabah ne se souvenait pas s'il avait été informé du nom de son délégué syndical. Sa superviseure, le Sergent Margaret Low, qui avait signé la formule indiquant qu'elle lui avait mentionné le nom du délégué, n'a pas témoigné. M. Rabah a également signé une formule intitulée « Identification de la paie de l'AFPC » (pièce E-3). Il ne se rappelait pas d'avoir été informé par sa superviseure de ses conditions d'emploi. Il ne se souvenait pas non plus si on lui avait fourni une copie de la convention collective. Il a témoigné qu'il avait reçu beaucoup de documents à lire et qu'il n'avait pas tout lu, ayant choisi de se concentrer sur les documents qui s'appliquaient de façon pertinente à l'exécution de ses fonctions. Il a témoigné qu'il ne savait pas si les cotisations syndicales étaient déduites de sa paie. Il n'a pas examiné son talon de chèque de paye. Il a témoigné qu'il n'a pas lu le guide d'orientation (pièce E-5), en particulier les parties du guide qui font référence aux syndicats. Il a également témoigné que l'objet du syndicat, l'affiliation, a pu être abordé au cours de la séance d'orientation, mais que dans l'affirmative, il ne s'en souvenait pas.

[8]    M. Rabah a reçu une évaluation à mi-parcours positive (pièce A-2) qui le décrit comme un « membre dévoué » de l'équipe des magasins de vêtements.

[9]    Le 21 juin 2004, M. Rabah s'est fait arrêter par la police après avoir quitté le travail pour se rendre à la maison. Il se serait rendu coupable de trafic de stupéfiants. Il a été mis en garde à vue jusqu'au lendemain. Il a appelé sa superviseure vers 15 h et lui a dit qu'il lui a été impossible de se rendre au travail. Il lui a dit qu'il ne voulait pas discuter du motif de son absence au téléphone, mais qu'il pouvait lui rendre visite pour discuter de la question avec elle. Elle lui a répondu qu'ils pourraient en parler au travail le lendemain. Peu après, le Capitaine David Coker, agent des services techniques, l'a appelé pour lui dire de ne pas se présenter au travail à l'heure habituelle le matin, mais plutôt de se présenter à la barrière à 10 h. À cette heure, il a été escorté par la police militaire jusqu'à une rencontre et s'est vu remettre une lettre de suspension sans solde en attendant l'enquête (pièce A-3). La lettre mentionnait également :

[Traduction]

[...]

Dans le cadre de cette enquête, une rencontre sera organisée avec vous pour discuter de votre point de vue sur la question. On communiquera avec vous sous peu pour convenir d'une date et d'une heure de réunion convenables. Vous aurez alors le droit d'être représenté.

[...]

[10]    M. Rabah a mentionné qu'il  croyait que la mention de son droit de bénéficier de la présence d'un représentant désignait son droit à un avocat. Il avait déjà un avocat pour son accusation au criminel et ne croyait pas avoir besoin d'un avocat pour la rencontre relative à l'enquête. Le Major Fitz-Gerald a dit que la mention d'un « représentant » dans la lettre avait pour objet de ne pas préjuger de qui M. Rabah pourrait décider d'amener avec lui à la rencontre. Le Major Fitz-Gerald a déclaré que M. Rabah aurait pu amener n'importe qui pour le représenter, et non seulement un représentant syndical.

[11]    À la réunion relative à l'enquête, le Major Fitz-Gerald, qui était le commandant, a fait observer à M. Rabah qu'il ne s'était pas fait accompagner d'un représentant. Le Major Fitz-Gerald a déclaré que l'agente des ressources humaines présente à la rencontre, Jackie Lean, lui avait dit qu'il avait droit à un représentant syndical, et lui a demandé s'il voulait qu'un représentant syndical l'accompagne. M. Fitz-Gerald a témoigné qu'il a dit : [traduction] « Non, ça ira. » M. Rabah ne se rappelait pas que Mme Lean lui avait posé cette question. Mme Lean n'a pas témoigné. Le Major Fitz-Gerald a demandé à M. Rabah s'il avait des questions, et il n'en avait aucune.

[12]    Le Major Fitz-Gerald a déclaré, au cours de son témoignage, que le vice-président de la section locale du syndicat, Michael Esteves, travaillait dans la section adjacente, à proximité immédiate de M. Rabah. M. Rabah a déclaré qu'il ne connaissait pas M. Esteves. Le Major Fitz-Gerald a témoigné que le syndicat a été informé, à trois occasions distinctes, de la suspension de la réunion d'enquête et du renvoi en cours de stage.

[13]    L'employeur a produit une lettre confirmant le renvoi en cours de stage de M. Rabah, renvoi prenant effet le 2 août 2004 (pièce A-4). M. Rabah a reçu une copie de la lettre le 2 août 2004. Le Major Fitz-Gerald a pris cette décision en s'appuyant sur la supposée inconduite hors service de M. Rabah et a conclu que l'inconduite avait nui à sa capacité d'exécuter ses fonctions parce qu'il avait brisé le lien de confiance dans la relation employeur-employé.

[14]    M. Rabah a mentionné qu'un concours visant à combler son ancien poste avait été annoncé, et il a écrit une lettre au Major Fitz-Gerald en date du 29 septembre 2004 pour l'informer qu'il avait posé sa candidature et qu'il aimerait être pris en compte pour le poste (pièce A-5). Il a déclaré, dans le cadre de son témoignage, qu'au moment où il a écrit cette lettre, il désirait ravoir son emploi. Dans sa lettre, il a écrit qu'il [traduction] « se sentait comme un membre de la famille » lorsqu'il travaillait au MDN :

[Traduction]

[...]

C'était jusqu'à ce que je sois accusé d'un acte criminel que je n'avais pas commis, qui n'avait aucun rapport avec mon travail ni avec aucun de mes collègues. Je n'ai pas été déclaré coupable et il est extrêmement probable que l'affaire sera retirée ou que je serai déclaré non coupable.

[...]

[15]    M. Rabah a témoigné qu'il n'a reçu aucune réponse à sa lettre. En novembre 2004, il est allé voir son député. Il a également écrit des lettres à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP). En outre, il a témoigné qu'il s'est adressé à différentes commissions des relations de travail, dont la Commission des relations de travail de l'Ontario, pour obtenir des renseignements. Cependant, il ne s'est pas adressé à la Commission des relations de travail de la fonction publique.

[16]    Le 11 janvier 2005, la Couronne a retiré l'accusation précédemment déposée contre M. Rabah (pièce A-8). M. Rabah a écrit au Major Fitz-Gerald le 14 janvier 2005 pour l'informer du retrait des accusations et a joint la copie certifiée conforme de la décision (pièce A-8). Dans sa lettre, il a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[...]

L'accusation a été retirée et je vous serais très reconnaissant d'obtenir la possibilité de réintégrer mes fonctions. J'ai suivi la formation requise et je suis intéressé, capable et désireux de travailler fort et de dépasser les attentes professionnelles à mon égard et de m'entendre avec tous et toutes. Je sentais que je faisais partie d'une équipe fantastique. C'est la raison pour laquelle j'aimais mon travail et c'est pour ce motif que j'ai besoin de reprendre mes fonctions dans les meilleurs délais.

[...]

[17]    Le Major Fitz-Gerald n'a pas répondu à cette lettre.

[18]    Le 14 janvier 2005, M. Rabah a également écrit à l'Adjudant-maître Cindy Rafuse (pièce A-7). Il a témoigné qu'elle le connaissait et qu'il espérait qu'elle pourrait discuter avec le Major Fitz-Gerald au sujet de sa réintégration. M. Rabah lui a écrit, dans sa lettre, qu'il était innocent et lui a demandé d'informer ses anciens collègues de ce fait.

[19]    En janvier 2005, un ami de M. Rabah lui a dit qu'il devrait communiquer avec son syndicat. Il a eu de la difficulté à localiser le bureau du syndicat, mais a fini par rencontrer des représentants syndicaux. On l'a informé qu'il avait excédé les délais applicables au dépôt d'un grief. Il a témoigné que les dirigeants syndicaux lui ont dit qu'ils lui donneraient des nouvelles à ce sujet, mais ils ne l'ont jamais fait. 

[20]    M. Rabah a témoigné qu'il a écrit un certain nombre de lettres à la CCDP. Il a rédigé une déclaration à l'intention de la CCDP, en date du 21 mars 2005 (pièce A-15), dans laquelle il affirmait qu'il croyait avoir fait l'objet de discrimination parce qu'il s'est fait refuser un poste au MDN en raison d'une accusation au criminel. Il a écrit à la CCDP le 11 mai 2005 (pièce A-9) pour demander [traduction] « la révision et la possibilité de faire objection à votre décision » de ne pas accepter sa plainte. Dans sa lettre, il a écrit qu'il avait été placé sur une liste noire en ce qui a trait à tout emploi actuel et futur au MDN.

[21]    En mai 2005, M. Dungas Rabah a retenu les services d'un avocat chargé de la question de son ancien emploi au MDN. Son avocat, Me Barnwell, a écrit une lettre au MDN en date du 12 mai 2005 (pièce A-10). Dans cette lettre, Me Barnwell a exprimé le désir de M. Rabah de reprendre son poste au Ministère. Une autre lettre de demande de retour au travail a été envoyée le 21 juin 2005 (pièce A-11). Une poursuite contre l'employeur a été intentée devant la Cour supérieure de l'Ontario à l'été 2005. Le 16 novembre 2005, Me Barnwell a demandé que l'employeur accepte une demande de prorogation de délai applicable au dépôt d'un grief, comme le prévoyait la convention collective applicable (lettre à Lois Lehmann, pièce A-13).

[22]    Le 23 janvier 2006, la poursuite intentée contre l'employeur a été suspendue, en attendant qu'il soit statué au sujet d'une demande de prorogation de délai (pièce A-14) présentée à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (« la Commission »). Cette demande de prorogation de délai a été présentée à la Commission le 31 janvier 2006.

Résumé de l'argumentation

[23]    Outre les arguments présentés de vive voix, l'avocat de M. Rabah a invoqué les arguments écrits déposés à la Commission au soutien de sa demande. Ces arguments sont versés au dossier de la Commission et sont résumés ci-après.

[24]    Les avocats des deux parties ont convenu que les critères qu'il faut prendre en compte pour déterminer s'il convient de proroger un délai sont les suivants (voir Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2004 CRTFP 1 et Peacock c. Syndicat des agents correctionnels du Canada, 2005 CRTFP 9 :

  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du demandeur;
  • l'équilibre entre l'injustice causée à l'employé et le préjudice que subit l'employeur si la prorogation est accordée;
  • les chances de succès du grief.

[25]    L'avocat de M. Rabah a fait valoir qu'il fallait envisager le cas du point de vue de son client pour l'évaluer. Il était emballé de travailler au MDN et son évaluation à mi-parcours reflétait manifestement cet état d'esprit. De son propre aveu, M. Rabah n'a jamais vérifié son talon de chèque de paie - ce qui reflète son enthousiasme à l'égard de son emploi- et ignorait par conséquent si des cotisations syndicales étaient perçues. Me Barnwell a fait valoir que la jurisprudence n'exigeait pas que la Commission détermine si M. Rabah aurait dû connaître ou non son droit de déposer un grief. Lorsqu'il a été informé de son droit de bénéficier des services d'un représentant (dans la lettre du 23 juin 2004, pièce A-3), il a interprété ce droit comme un droit aux services d'un avocat. Il a témoigné qu'il n'estimait pas avoir besoin d'un avocat parce qu'il n'avait rien fait de mal.

[26]    Me Barnwell a fait observer que le retard était long d'environ 17 mois. Au cours de cette période, M. Rabah a maintenu en vie la question de son renvoi en cours de stage. M. Rabah avait écrit une lettre en septembre 2003, en vue de réintégrer son poste, indiquant ainsi qu'il était toujours intéressé à reprendre son travail. L'accusation au criminel l'avait préoccupé jusqu'en janvier 2005, mois de son acquittement. En janvier, il a écrit au Major Fitz-Gerald et à Mme Rafuse pour demander de reprendre son poste. Il a témoigné qu'il avait fait des démarches auprès de son député et qu'il s'était adressé à la CCDP. En mai 2005, il a retenu les services d'un avocat, qui a écrit un certain nombre de lettres dans lesquelles il demandait une prorogation de délai. Il était clair que M. Rabah se préoccupait de demander un redressement à chaque étape du processus. S'il avait su qu'il avait le droit de présenter un grief, il l'aurait fait. Il a fait preuve d'une diligence raisonnable dans sa quête d'un redressement.  

[27]    Me Barnwell a fait valoir que rien ne prouvait que l'employeur subirait un préjudice si la prorogation de délai était accordée. La réputation de M. Rabah a été gravement entachée et il a perdu un emploi qu'il aimait. En ce qui a trait à l'équilibre entre le préjudice causé à l'employeur et l'injustice subie par M. Rabah, l'équilibre doit être rétabli en faveur de M. Rabah.

[28]    Me Barnwell soutenait qu'en ce qui a trait aux chances de succès d'un grief, on ne peut affirmer que le grief ne serait pas fondé.

[29]    Me Barnwell m'a renvoyé à Chambers c. Conseil du Trésor (Travaux publics Canada), dossier de la CRTFP 149-2-63 (1985), cas dans lequel il y avait un délai de trois ans. Il m'a également renvoyé à Brennan et Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 149-2-70 (1986), dans lequel l'arbitre de grief qualifiait l'injustice commise à l'égard de l'employé de « tache indélébile » dans le dossier professionnel du requérant, ce qui « limit[ait] fortement ses chances de trouver un autre emploi ».

[30]    L'avocat de l'employeur, Me Bieniasiewicz, a fait valoir que M. Rabah savait ou aurait dû savoir qu'il pouvait présenter un grief. Il avait été informé de ses modalités d'emploi et avait reçu une copie de la convention collective. S'il avait lu sa convention collective, il aurait été au courant de son droit de présenter un grief. L'employeur s'est efforcé de l'informer de ses droits prévus par la convention collective. Comme il est indiqué dans Schenkman, un employé est tenu de s'informer de ses droits. De plus, M. Rabah a travaillé en étroite collaboration avec M. Esteves (le vice-président de la section locale), et on peut difficilement concevoir qu'il ne pouvait pas obtenir des renseignements sur ses droits en s'adressant à lui. On ne peut pas affirmer qu'il s'est montré diligent dans l'exercice de ses droits. De fait, il a fait preuve d'insouciance en ne lisant pas tous les renseignements qui lui ont été fournis par son employeur.

[31]    Me Bieniasiewicz a fait valoir que M. Rabah n'avait manifesté aucune intention de déposer un grief avant le retrait, en janvier 2005, des accusations déposées contre lui. Il n'existe pas de raisons convaincantes justifiant le retard. Le seul motif fourni était que M. Rabah ignorait son droit de présenter un grief. Le retard accumulé entre le moment où il a communiqué avec son agent négociateur, en janvier 2005, et son intention déclarée de déposer un grief, était de six mois, ce qui constituait un retard excessif. Me Bieniasiewicz m'a renvoyé à Wilson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), (dossiers de la CRTFP 166-2-27330 et 149-2-165 (1997) et Wyborn c. Agence Parcs Canada, 2001 CRTFP 113, cas dans lesquels un retard de six mois a été jugé excessif. Il a fait valoir qu'une fois le délai de présentation d'un grief atteint, l'employeur peut raisonnablement s'attendre à ce que le dossier soit fermé. Le délai contribue à la stabilité dans les relations de travail (Wyborn).

[32]    Me Bieniasiewicz a fait observer que les chances de succès du grief sont très faibles. Si la demande de prorogation de délai était accueillie, l'employeur ferait valoir qu'un arbitre de grief n'avait pas compétence pour en être saisi, car il s'agissait d'un cas de renvoi en cours de stage.

[33]    Me Bieniasiewicz a fait observer que dans Chambers, le fonctionnaire s'estimant lésé a été induit en erreur par son agent négociateur lorsque celui-ci lui a conseillé d'attendre le règlement des accusations au criminel avant de déposer un grief. De plus, dans la décision Brennan, le fonctionnaire s'estimant lésé a été trompé par l'employeur, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.

[34]    Me Barnwell a signalé que dans Wilson, le fonctionnaire s'estimant lésé était un psychologue qui savait qu'il avait le droit de déposer un grief. Dans le cas de M. Rabah, il ignorait l'existence de son droit de déposer un grief et n'était pas aussi averti qu'un psychologue. De même, dans Wyborn, les faits étaient totalement différents de ceux du présent cas. L'application de ces cas sans tenir compte des circonstances particulières du dossier de M. Rabah occasionnerait une injustice. M. Rabah n'a pas eu l'occasion de faire valoir son point de vue en justice pour rétablir sa réputation. Le nuage de criminalité qui flotte au-dessus de lui en raison de son licenciement pour s'être prétendument livré à du trafic ne devrait pas demeurer dans son dossier.

Résumé des motifs

[35]    M. Rabah a demandé une prorogation de délai pour déposer un grief à l'encontre de son renvoi en cours de stage alors qu'il occupait un poste à durée déterminée au MDN. Il a été avisé de son renvoi en cours de stage le 2 août 2004. Il a demandé à la Commission une prorogation de délai le 31 janvier 2006.

[36]    Il faut prendre en compte les cinq critères suivants pour déterminer s'il convient d'exercer son pouvoir discrétionnaire et d'accorder une prorogation de délai applicable au dépôt d'un grief :

  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du demandeur;
  • l'équilibre entre l'injustice causée à l'employé et le préjudice que subit l'employeur si la prorogation est accordée;
  • les chances de succès du grief.

[37]    Tout bien considéré, mon évaluation des cinq critères m'amène à conclure que la demande de prorogation de délai devrait être accueillie pour les motifs énoncés ci-après.

Des raisons claires, logiques et convaincantes

[38]    Dans son argumentation, l'employeur a fait valoir que M. Rabah savait ou aurait dû savoir qu'il avait le droit de présenter un grief en vertu de sa convention collective. En ce qui a trait à la connaissance directe de M. Rabah, ce dernier a témoigné qu'il ne se souvenait pas d'avoir été informé, au cours des différentes séances d'orientation, du fait qu'il était syndiqué. L'employeur n'a pas témoigné directement sur ce point. Je conviens que ces renseignements se trouvaient dans les documents d'orientation fournis à M. Rabah, mais en l'absence de preuve directe, je ne peux conclure qu'ils ont été portés à son attention.

[39]    La question de savoir si M. Rabah a été informé de son droit à la représentation syndicale à la réunion convoquée pour établir les faits a été contestée à l'audience. M. Rabah a affirmé qu'il n'avait pas été informé et le Major Fitz-Gerald a dit que Mme Lean l'a informé. Mme Lean n'a pas été appelée à témoigner. Compte tenu du fait que cette question litigieuse fait vraisemblablement partie - entre autres questions - du grief, il ne convient pas que je tire une conclusion sur ce point en l'absence d'un dossier de preuve complet. Je ne conclus pas qu'il est particulièrement pertinent de statuer sur cette question eu égard à la demande. Le droit à la représentation syndicale diffère du droit de déposer un grief. Une représentation syndicale était fournie dans plusieurs cas de demande de prorogation de délai. Nous pouvons supposer qu'un représentant syndical compétent aurait probablement informé M. Rabah qu'il avait le droit de déposer un grief. Cependant, il s'agit d'une hypothèse.

[40]    Il est clair que l'employeur n'a jamais informé M. Rabah de son droit de contester par grief son renvoi en cours de stage. Dans la lettre de renvoi, il n'est nullement fait mention de son droit de déposer un grief, et il n'a pas été informé de ce droit à la réunion convoquée pour établir les faits. Il importe de se souvenir que le droit de déposer un grief diffère du droit de renvoyer une affaire à l'arbitrage de grief. L'employeur a informé l'agent négociateur à trois reprises de la mesure prise contre M. Rabah. Compte tenu de cette connaissance directe, il est décevant de constater que l'agent négociateur n'ait pas abordé directement M. Rabah pour au moins l'informer des droits qui lui sont conférés par la convention collective.

[41]    M. Rabah avait également fait l'objet d'une accusation criminelle pour trafic de stupéfiants, et j'accepte son témoignage selon lequel il s'inquiétait de cette grave accusation criminelle. Il s'agit d'une raison convaincante de ne pas avoir déposé de grief.

[42]    Compte tenu de ces facteurs, je conclus qu'il existe une raison claire, logique et convaincante d'accepter de proroger le délai de dépôt du grief.

La durée du retard

[43]    La durée du retard devrait être mesurée à compter du vingt-cinquième jour suivant le renvoi en cours de stage (le 2 août 2004). Une demande de prorogation de délai a été présentée pour la première fois le 16 novembre 2005 dans une lettre adressée à l'employeur (pièce A-13). Il s'agit d'un retard d'environ 14 mois. Ce long retard s'explique partiellement par la préoccupation du demandeur à l'égard de l'accusation criminelle, et partiellement par ses efforts mal guidés en vue de régler la question avec l'employeur et avec les autres commissions et conseils. 

La diligence raisonnable du demandeur

[44]    La diligence raisonnable du demandeur désigne les efforts déployés par le demandeur pour régler son conflit. M. Rabah a été mal orienté dans ses efforts en vue de régler l'objet de son conflit. Il a communiqué directement avec le Ministère en septembre 2004 pour demander de ravoir son poste (pièce A-5). Il a ensuite correspondu avec l'employeur en janvier 2005 pour informer le Ministère que les accusations étaient retirées et a de nouveau contesté la décision de le renvoyer en cours de stage. Il a déployé certains efforts mal orientés pour obtenir un redressement, en particulier au moyen d'une plainte déposée auprès de la CCDP. Il a également demandé une réparation légale en s'adressant aux tribunaux. Autrement dit, pendant toute la période du retard, il a manifesté son intention de contester le renvoi en cours de stage. 

Établir l'équilibre entre l'injustice causée à l'employé et le préjudice que subit l'employeur

[45]    L'injustice à l'égard de M. Rabah s'il n'est pas autorisé à déposer un grief est considérable. La perte d'un emploi est toujours grave. Cependant, dans le présent cas, cette gravité est aggravée par les motifs fournis par l'employeur pour justifier le renvoi en cours de stage de M. Rabah. Une allégation de trafic de stupéfiants qui n'a pas été prouvée devant les tribunaux par la suite constitue une atteinte grave à sa réputation. Une décision récente (Vaughan c. Canada 2005, C.S.C. 11) a confirmé que le seul recours de M. Rabah est un grief déposé en vertu de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Selon moi, il s'agit d'un facteur important en faveur de la prorogation du délai.

[46]    Le préjudice que subirait l'employeur n'est pas important. L'employeur savait incontestablement en mai 2005, c'est-à-dire lorsque son avocat a écrit pour la première fois au Ministère, que M. Rabah contestait son renvoi en cours de stage. L'employeur n'a présenté aucun élément de preuve d'un préjudice important qu'il subirait si la demande de prorogation du délai était accueillie, autre que le simple écoulement du temps.

Les chances de succès d'un grief

[47]    Les chances de succès d'un grief représentent toujours un critère qui pose problème. En l'absence d'une preuve exhaustive du bien-fondé du grief - qui n'est manifestement pas adéquate dans le cas d'une demande de prorogation de délai - on ne peut déterminer avec certitude quelles sont les chances de succès. Il est difficile d'obtenir gain de cause dans le cas de griefs pour renvoi en cours de stage. Cependant, certains griefs pour renvoi en cours de stage ont été accueillis et sans dossier de preuve complet, on peut difficilement prévoir les chances de succès. Compte tenu de la preuve présentée, je peux conclure que le dossier de M. Rabah est défendable. À mon avis, il importe également de définir le « succès » dans le contexte de la situation de M. Rabah. Même si, au bout du compte, son grief n'est pas accueilli, une audience complète lui donnera l'occasion de répondre aux motifs invoqués par l'employeur pour justifier son renvoi en cours de stage, et peut-être de rétablir sa réputation.

[48]    Il importe de prendre note que la demande de prorogation de délai s'applique au dépôt d'un grief qui sera entendu pour la première fois dans le cadre de la procédure de règlement des griefs du Ministère. Cette procédure diffère d'une demande de prorogation du délai de renvoi à l'arbitrage de grief. Selon moi, compte tenu des possibilités de règlement des griefs dans le cadre du processus de règlement de griefs, il conviendrait d'appliquer une norme moins exigeante d'évaluation des chances de succès. La demande de prorogation de délai n'empêche pas l'employeur de faire valoir qu'un arbitre de grief n'a pas compétence si le grief est renvoyé ultérieurement à l'arbitrage de grief.  

[49]    Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

Ordonnance

[50]    La demande de prorogation du délai est accueillie.

[51]    M. Rabah dispose de 25 jours, à compter de la date de la présente décision, pour déposer un grief conformément au processus de règlement de griefs énoncé dans sa convention collective.

Le 30 août 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Ian R. Mackenzie,
Vice-président

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