Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a allégué que sa santé a été compromise par le comportement de son chef d’équipe - elle a présenté un grief, sous le régime de l’ancienne Loi, pour contester le manquement par l’employeur à la stipulation sur la santé et la sécurité au travail de sa convention collective - l’arbitre de grief a conclu que la stipulation en question prévoyait uniquement des consultations entre l’employeur et l’agent négociateur de la fonctionnaire s’estimant lésée sur la question de la santé et la sécurité au travail et n’accordait à la fonctionnaire s’estimant lésée aucun droit individuel - l’arbitre de grief a conclu en outre qu’il n'avait pas le pouvoir d'entendre le grief sous le régime de l’alinéa 92(1)a) de l’ancienne Loi. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-09-19
  • Dossier:  166-34-35739
  • Référence:  2006 CRTFP 104

Devant un arbitre de grief



ENTRE

HELENE SPACEK

fonctionnaire s'estimant lésée

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Spacek c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Paul Love, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée :  Paul Reniers, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur :  Adrian Bieniasiewicz, avocat


Affaire entendue à Vancouver (Colombie-Britannique),
le 9 mai 2006 .
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Grief renvoyé à l'arbitrage

[1]   Helene Spacek, employée par l’Agence du revenu du Canada, tel que cet organisme est désormais désigné (l’ARC ou « l’employeur »), a déposé un grief, le 2 mai 2003, dans lequel elle alléguait que le comportement de son chef d’équipe actuel à son endroit avait eu une incidence négative sur sa santé et son bien–être, en violation de l’article 24 de la convention collective conclue entre l’employeur et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) pour le compte des employés de l’unité de négociation du groupe Vérification, finances et sciences. À titre de mesures correctives, elle demande trois choses : qu’on la mute dans une autre équipe, qu’on lui restitue ses crédits de congés de maladie et qu’on l’indemnise intégralement.

[2]   Mme Spacek a renvoyé son grief à l’arbitrage de grief le 4 février 2005. Les parties ont ensuite tenté d’en arriver à un règlement par la voie de la médiation, mais sans succès. 

[3]   Mme Spacek a également déposé un grief relativement à son appréciation du rendement (dossier de la CRTFP 166–34–33761). Elle a demandé que ses deux griefs soient instruits ensemble, mais l’employeur s’est opposé à cette requête. L’instruction des deux griefs a été fixée dans le même bloc d’heures d’audience et les parties ont été avisées que l’arbitre de grief déciderait si les affaires seraient réunies ou instruites séparément.

[4]   Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l'arbitrage de grief doit être décidé conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l'« ancienne Loi »).

[5]   Au moyen d’une lettre datée du 27 avril 2006, l’employeur a donné avis qu’il entendait soulever la question du respect du délai de présentation. Or, l’employeur n’a pas débattu de ce point à l’audience. Puis, au moyen d’une lettre datée du 6 mai 2006, il a donné avis qu’il entendait soulever une question de compétence relativement à l’article 24 de la convention collective.

[6]   Les parties divergeaient de vues sur le processus d’audience.  L’employeur voulait que le grief relatif à l’article 24 (dossier de la CRTFP 166–34–35739) soit entendu séparément du grief relatif à l’appréciation du rendement (dossier de la CRTFP 166–34–33761). Il contestait la compétence de l’arbitre de grief d’instruire les deux griefs en faisant valoir que je devais d’abord instruire et trancher les questions de compétence, tel que le recommande la Cour fédérale dans Canada (Procureur général)c. Boutilier, [2000] 3 C.F. 27. Mme Spacek me demandait, pour sa part, d’entendre la totalité de la preuve et de statuer ensuite sur les questions de compétence avant de trancher les griefs au fond. Elle soutenait que, dans la pratique, les arbitres de griefs régis par l’ancienne Loi ont souvent coutume d’entendre la preuve et les arguments des parties sur les questions de compétence et de différer leur décision, avant de statuer sur le grief au fond. Puisque les questions de compétence n’ont été soulevées qu’à la dernière heure en l’espèce, elle était d’avis que je devais tout simplement entendre les deux affaires.

[7]   À l’issue de la présentation des arguments des parties, j’ai jugé qu’il convenait d’instruire chaque grief séparément et de statuer en premier lieu sur le grief relatif à l’article 24 en entendant d’abord les arguments de l’employeur quant à l’objection en matière de compétence et en différant ma décision, au besoin. L’arbitre de grief a toute latitude pour établir le processus d’audience et rien ne l’oblige à instruire et à trancher une question de compétence avant d’entendre la preuve sur le bien–fondé d’un grief. La règle, parmi les arbitres de griefs régis par l’ancienne Loi, est d’entendre la totalité de la preuve et de statuer d’abord sur l’objection en matière de compétence dans une décision écrite et de ne trancher le grief au fond que si la compétence de l’arbitre est confirmée. En l’occurrence, j’ai jugé à propos d’instruire les deux griefs séparément puisqu’il est possible de statuer sur la question de compétence relative à l’article 24 (dossier de la CRTFP 166–34–35739) à partir des arguments oraux des parties. Ce processus présente aussi le mérite de restreindre éventuellement les questions à trancher lors d’une audience. J’estimais en outre que les deux jours réservés pour l’audience ne me laissaient pas suffisamment de temps pour instruire les deux griefs et les deux objections en matière de compétence.

[8]   La présente décision porte donc exclusivement sur la question de compétence concernant le grief relatif à l’article 24. Je me suis prononcé sur cette question en m’appuyant sur les arguments oraux des parties.

[9]   J’ai accédé à la demande de Mme Spacek d’interdire à M. Doug Cline, son superviseur, de communiquer avec elle pendant toute la durée de l’audience, ce à quoi l’employeur a donné son accord. Il était prévu que M. Cline et Mme Spacek seraient appelés à témoigner lors d’une audience sur le fond.  Voici la directive que j’ai donnée :

[Traduction]

[…]

Du consentement des parties, sont interdites toutes communications directes ou indirectes entre Doug Cline et la fonctionnaire s’estimant lésée, Helene Spacek, durant toute la durée de l’audience, que ce soit en personne, par téléphone, par courriel ou par d’autres moyens.

[…]

J’ai donné cette directive afin de conserver la preuve et de garantir une audience impartiale. J’ai ensuite ajourné brièvement l’audience pour permettre à l’employeur de communiquer la directive à M. Cline. Précisons que rien n’interdit à M. Cline de discuter avec Mme Spacek d’autres sujets que le grief relatif à l’article 24, y compris de problèmes de rendement courants, une fois que l’instruction du cas en instance sera terminée.

Résumé de la preuve

[10]   Personne n’a été appelé à témoigner sur l’objection préliminaire de l’employeur, les deux parties ayant convenu qu’il ne m’était pas nécessaire d’entendre de preuve à ce sujet. Après avoir déposé la convention collective en preuve, les parties ont enchaîné avec leur argumentation orale.

[11]      Afin de mettre l’affaire en contexte, il est néanmoins important de préciser que Mme Spacek occupe le poste de conseillère régionale – recherche et technologie (CO-02), à la Direction de la recherche scientifique et du développement expérimental au Bureau des services fiscaux de l’ARC à Vancouver. Le poste est régi par la convention collective de l’unité de négociation du groupe Vérification, finances et sciences conclue entre l’employeur et l’IPFPC.

[12]   Le grief de Mme Spacek allègue violation de l’article 24 de la convention collective et est libellé comme suit :

[Traduction]

[…]

Que le comportement actuel du chef d’équipe à mon endroit a eu une incidence négative sur ma santé et mon bien–être, en violation de l’article 24 de la convention collective de l’IPFPC.

[…]

Le grief ne fournit aucun détail sur le comportement du chef d’équipe. Mme  Spacek demande ce qui suit à titre de mesures correctives :

[Traduction]

[…]

Je veux être mutée dans une autre équipe; je veux que les crédits de congés de maladie que j’ai été contrainte d’utiliser pour cause de stress me soient restitués et je veux être indemnisée intégralement.

[…]

Ce grief est renvoyé à l’arbitrage de grief en vertu de l’alinéa 92(1)a) de l’ancienne Loi.

[13]   Le paragraphe 24.01 de la convention collective est libellé comme suit :

24.01 L’Employeur continue de prévoir toute mesure raisonnable concernant la sécurité et l’hygiène professionnelles des employés. L’Employeur fera bon accueil aux suggestions faites par l’Institut à ce sujet, et les parties s’engagent à se consulter en vue d’adopter et de mettre rapidement en œuvre la procédure et les techniques raisonnables destinées à prévenir ou à réduire le risque d’accident et de maladie professionnels.

[14]   Si j’en juge par les observations des parties, Mme Spacek aurait obtenu une mutation dans une autre équipe.

Résumé de l’argumentation

[15]   L’employeur a soutenu que le grief doit porter sur des droits individuels pour être susceptible de renvoi à l’arbitrage de grief en vertu de l’alinéa 92(1)a) de l’ancienne Loi. Il faut que le grief porte sur l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention collective « […] à [l’]endroit [de la fonctionnaire] […] ». Si l’agent négociateur s’estime lésé par une présumée violation du paragraphe 24.01 de la convention collective, il peut exercer un recours en vertu de l’article 99 de l’ancienne Loi.

[16]   Le paragraphe 24.01 de la convention collective n’accorde aucun droit pouvant donner ouverture à un grief individuel. Il s’agit simplement d’une disposition prévoyant la tenue de consultations en matière de sécurité et d'hygiène professionnelles. La disposition crée une obligation entre l’employeur et l’agent négociateur mais n’accorde aucun droit individuel aux employés.

[17]   L’employeur s’est appuyé sur Breault c. le Conseil du Trésor (Agriculture Canada), dossier de la CRTFP 166–02–24186 (1994) (QL); Kolski c. le Conseil du Trésor (Agriculture Canada), dossiers de la CRTFP 166–02–25899, 25900 et 26020 (1994) (QL); Institut professionnel du Service public du Canadac.Canada (Conseil du Trésor), dossier de la CRTFP 148–02–11 (1973) (QL); et Albus et Deminchukc. le Conseil du Trésor (Solliciteur général), dossier de la CRTFP 166–02–16887 et 16888 (1987) (QL), au soutien de l’argument selon lequel le paragraphe 24.01 de la convention collective prévoit simplement la tenue de consultations et n’accorde pas de droit individuel à l’arbitrage de grief.

[18]   Mme  Spacek s’est appuyée sur les premiers mots du paragraphe 24.01 de la convention collective, qui disent ceci :

[…] L’Employeur continue de prévoir toute mesure raisonnable concernant la sécurité et l’hygiène professionnelles […].

La fonctionnaire s’estimant lésée a subi un préjudice qui lui est unique; il ne fait d’ailleurs aucun doute que l’employeur en connaît la nature. Les causes du préjudice sont du ressort de l’employeur, qui n’a pris aucune mesure raisonnable pour protéger la fonctionnaire. Mme  Spacek soutient que les premiers mots de la première phrase du paragraphe 24.01 lui accordent le droit de déposer un grief à titre particulier. À son point de vue, cette disposition n’est guère différente des autres dispositions de la convention collective. Même si la convention collective lie l’employeur et l’agent négociateur, rien n’empêche les employés dont les droits sont lésés, telle Mme Spacek, de déposer des griefs relativement à des dérogations à la convention collective.  Mme Spacek soutient qu’elle a le droit de faire valoir ses prétentions.

[19]   Mme Spacek a ajouté que le présent cas concerne l’interprétation de la convention collective et qu’il s’agit d’un moyen suffisant pour que l’arbitre de grief déclare qu’il a le pouvoir de statuer sur le grief en vertu du paragraphe 92(1) de l’ancienne Loi. Elle a affirmé que je ne suis pas lié par les décisions antérieures d’autres arbitres de griefs et qu’il n’existe aucune jurisprudence de la Cour fédérale sur cette question qui m’oblige à faire mienne l’interprétation du paragraphe 24.01 de la convention collective que propose l’employeur. Elle a également ajouté que les décisions d’arbitrage antérieures sont erronées et ne donnent aucunement effet à l’intention de la première phrase du paragraphe 24.01.

[20]   Mme Spacek a indiqué que la convention collective ne contient pas de disposition interdisant le harcèlement. Comme elle ne se plaint pas de discrimination fondée sur la déficience, elle n’a aucun recours devant la Commission canadienne des droits de la personne. Par ailleurs, la tenue d’une enquête en vertu de la politique en matière de harcèlement de l’employeur ne constitue pas une solution de rechange à l’arbitrage d’un grief de violation de l’article 24.01 de la convention collective. Son seul recours reste donc l’arbitrage de ce grief.

[21]   Mme  Spacek a contesté l’objection de l’employeur, qu’elle qualifie de tardive, car cette objection n’a pas été soulevée dans le cadre de la procédure de règlement des griefs.

[22]   Mme Spacek s’est appuyée sur les décisions suivantes au soutien de l’argument selon lequel l’arbitre de grief a le pouvoir d’instruire et de trancher son grief : Re Newfoundland (Newfoundland Farm Products Corp.)and Newfoundland Association of Public Employees (1988), 35 L.A.C. (3d) 165; Re Bear Creek Lodgeand Hospital Employees Union (2002), 106 L.A.C. (4th) 254; et Re Westfair Foods Ltd. and United Food & Commercial Workers, Local 832 (1992), 29 L.A.C. (4th) 222.

[23]   Subsidiairement, Mme Spacek m’a demandé de lui accorder une prolongation de délai pour permettre à son agent négociateur de renvoyer l’affaire devant la Commission en vertu de l’article 99 de l’ancienne Loi.

[24]   En réplique, l’employeur a déclaré qu’il s’agissait d’une question de compétence et que, quel que soit le moment choisi par l’employeur pour soulever l’objection, l’arbitre de grief ne possède pas la compétence pour instruire le grief. Le sens du paragraphe 24.01 de la convention collective est limpide. S’il est vrai que des arbitres de grief régis par des lois différentes peuvent être habilités du pouvoir pour statuer sur des dispositions analogues, le fait est que Mme Spacek a été incapable de trouver quelque décision rendue sous le régime de l’ancienne Loi pour réfuter la thèse de l’employeur.

Motifs

[25]   À la fin de l’argumentation des parties sur la question de compétence relative au paragraphe 24.01 de la convention collective, force m’a été de constater que l’employeur soulevait une question grave relative à la compétence de l’arbitre de grief en l’espèce; c’est donc pourquoi j’ai décidé de motiver ma décision par écrit sur ce point. L’employeur a attiré mon attention sur des décisions rendues sous le régime de l’ancienne Loi qui portaient directement sur cette question, la plus ancienne remontant à 1973. Mme Spacek n’a pour sa part invoqué aucune décision rendue sous le régime de l’ancienne Loi pour contredire cette jurisprudence. Il est regrettable que l’employeur ait soulevé son objection si peu de temps avant l’audience. Je suis malgré tout d’avis que, eu égard aux circonstances du cas qui nous occupe, je dois quand même trancher cette question avant d’en venir à l’audition de témoins. Il s’ensuit que, pour les motifs exposés ci–après, je ne possède pas le pouvoir d’instruire le grief en instance; une audition de témoins n’est donc pas nécessaire.

[26]   Mme Spacek a renvoyé son grief à l’arbitrage de grief en vertu de l’alinéa 92(1)a) de l’ancienne Loi, qui est libellé comme suit :

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

[…]

[Je souligne]

[27]   Mme Spacek a décrit son grief comme un grief de harcèlement alors qu’il ne fait aucun doute que le grief n’est pas relié à l’un des motifs de distinction illicite prévus dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H–6. En fait, la situation que Mme Spacek a décrite me paraît entrer dans la catégorie du « harcèlement personnel ». La convention collective contient une disposition interdisant la discrimination (le paragraphe 43.01), mais pas de disposition générale interdisant le harcèlement. Mme Spacek me semble avoir concédé qu’elle serait privée de tout recours à l’arbitrage si son grief n’était pas instruit en vertu du paragraphe 24.01 de la convention collective; elle soutient avec véhémence que la tenue d’une enquête en vertu de la politique en matière de harcèlement de l’employeur est un processus différent de l’arbitrage d’un grief sous le régime de l’ancienne Loi.

[28]   Mme Spacek s’appuie sur des décisions arbitrales rendues par des arbitres du travail du secteur public provincial ou du secteur privé qui se sont déclarés habilités à entendre des cas après s’être penchés sur des dispositions de conventions collectives prévoyant apparemment la tenue de consultations. Ainsi, dans Newfoundland Farm Products Corp., l’arbitre s’est déclaré habilité à trancher un cas portant sur une disposition de la convention collective interdisant le harcèlement et contenant les mots [traduction] « […] meilleurs efforts pour mettre un terme au harcèlement sexuel au travail. » De même, dans Bear Creek Lodge, l’arbitre s’est déclaré habilité à instruire l’affaire car la convention collective reconnaissait aux employés [traduction] « […] le droit de travailler dans un environnement exempt de harcèlement, sexuel ou autre […] ».

[29]   Dans Westfair Foods Ltd., l’arbitre a proposé un critère comportant trois volets pour déterminer si l’employeur avait dérogé à une disposition de la convention collective garantissant un milieu de travail sûr. Il a utilisé comme point de départ une disposition semblant exiger la tenue de consultations qui était libellée comme suit :

[Traduction]

13.01 La Compagnie, le Syndicat et les employés conviennent mutuellement d’unir leurs efforts pour appliquer des pratiques de travail sûres dans tous les magasins de la Compagnie et d’apporter les améliorations nécessaires à cet égard.

[30]   L’affaire Westfair Foods Ltd. n’est d’aucun secours à Mme Spacek. En effet, l’arbitre tirait sa compétence, dans ce cas, de la loi provinciale régissant les relations du travail. Le fait est que les arbitres du secteur privé sont habilités de pouvoirs plus vastes ou plus complets que ne le sont les arbitres de grief régis par l’ancienne Loi. En effet, seuls certains griefs sont susceptibles d’arbitrage en vertu de l’ancienne Loi. En tant que tribunal établi par la loi, l’arbitre de grief régi par l’ancienne Loi doit tenir compte de la loi et de la convention collective applicables pour déterminer s’il possède la compétence pour statuer sur une affaire. 

[31]   La question de compétence que je dois trancher en l’espèce est la suivante : est–ce que le paragraphe 24.01 de la convention collective a pour but d’accorder un recours « […] à [l’]endroit [de la fonctionnaire] […] »? Si la réponse est non, l’arbitre de grief n’a pas compétence en vertu de l’ancienne Loi pour instruire et trancher le grief.

[32]   L’interprétation juste du paragraphe 24.01 de la convention collective est bien établie dans un certain nombre de décisions rendues sous le régime de l’ancienne Loi. Ainsi, dans Institut professionnel du Service public du Canada, la Commission a conclu que le recours qui s’offrait en cas de dérogation à une disposition prévoyant la tenue de consultations analogue au paragraphe 24.01 était celui prévu par ce qui est devenu l’article 99 de l’ancienne Loi. La Commission a déterminé que la disposition de la convention collective contenait une obligation de tenir des consultations.

[33]   Dans Breault, l’arbitre de grief s’est prononcé sur l’interprétation d’une disposition de la convention collective identique au paragraphe 24.01 de la convention collective que j’ai devant moi. M. Breault alléguait violation du paragraphe 25.01 de sa convention collective. L’arbitre de grief a conclu ce qui suit :

[…]

En me demandant de conclure que l'employeur a enfreint l'article 25 de la convention cadre, le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé m'invite à interpréter la première phrase de cet article isolément. […]

[…]

L'article 25 vise manifestement à amener l'employeur et l'agent négociateur à se consulter au sujet des questions intéressant la sécurité et l'hygiène professionnelles des employés (soulignement ajouté). Aucune preuve n'a été produite comme quoi l'employeur n'a pas prévu toute mesure raisonnable concernant la sécurité et l'hygiène professionnelles de ses employés. Il n'y a aucune raison de croire que le programme de permutation d'emplois de l'employeur ait laissé à désirer du point de vue de la sécurité et de l'hygiène professionnelles. Le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé a fait valoir essentiellement qu'en raison de ses problèmes de santé, le fonctionnaire n'était pas apte à participer au programme de permutation d'emplois et aurait dû en être exempté. À mon avis, il s'agit là d'un argument tout à fait différent de celui avancé dans ce cas à l'effet que l'employeur a enfreint l'article 25 de la convention cadre.

[…]

[Le passage souligné l’est dans l’original]

[34]   Dans Albus et Deminchuk, l’arbitre de grief a déclaré ce qui suit au sujet, toujours, d’une disposition identique au paragraphe 24.01 :

[. . .]

Je dois d'abord me prononcer sur l'exception déclinatoire quant à la compétence.

J'ai examiné la clause 25.01 de la convention. Celle-ci dit que l'employeur « continue de prévoir toute mesure raisonnable concernant la santé et l'hygiène professionnelles des employés », et elle prévoit que les parties doivent faire des suggestions et se consulter en vue d'adopter et de mettre en oeuvre une procédure et des techniques raisonnables. A cet égard, cette clause s'applique à l'employeur et à l'Institut ou aux parties à la convention. Elle ne fait pas mention des employés pris individuellement et, selon moi, elle n'a pas pour effet de créer de droits à l'intention de ces employés.

Il semblerait, d'après cette clause, que certaines mesures devaient rester en vigueur. C'est ce que ladite clause dit au début. Puis, elle indique que l'employeur fera bon accueil aux suggestions. Toutefois, celles-ci doivent être présentées non pas par les employés mais par l'Institut. De toute évidence, toute infraction de la part de l'employeur ne peut être interprétée que comme un manquement aux obligations qu'il a envers l'Institut (qui est l'une des parties) et non pas envers les employés s'estimant lésés eux-mêmes.

L'alinéa 91(1) a ) de la Loi [devenu l’alinéa 92(1) a ) de l’ancienne Loi ] dit que, pour être arbitrable, un grief doit porter sur « [...] l'interprétation ou l'application, en ce qui le concerne [l'employé s'estimant lésé], d'une disposition d'une convention collective […] ».

Je ne vois pas comment les présents griefs peuvent ou pourraient être renvoyés à l'arbitrage à titre de griefs individuels. Selon moi, la seule partie qui peut déposer une plainte en vertu de la clause susmentionnée lorsqu'il y a infraction, c'est l'Institut. Certainement pas un employé. Et certainement pas les employés s'estimant lésés.

[…]

[35]   Dans Kolski, la présumée dérogation à la convention collective concernait un libellé analogue à celui du paragraphe 24.01 de la convention collective que j’ai devant moi. L’arbitre de grief a écrit ce qui suit :

[…]

Encore une fois, je crois que cette allégation n'a aucun fondement. L'article en question porte sur la consultation. En vertu de celui-ci, les parties s'engagent à se consulter sur les mesures destinées à améliorer la sécurité sur les lieux de travail. L'employeur a une obligation envers l'agent négociateur et non envers un employé en particulier.

[…]

[36]   La jurisprudence est limpide et me semble constante depuis 1973 je dirais, à en juger par les décisions qui ont été déposées. Le paragraphe 24.01 de la convention collective est une disposition prévoyant la tenue de consultations qui accorde des droits à l’agent négociateur. Mme Spacek n’a attiré mon attention sur aucune décision à l’effet du contraire ayant été rendue sur cette question sous le régime de l’ancienne Loi. J’accepte sa déclaration qu’il n’existe pas d’arrêts des Cours fédérales sur cette question et que je ne suis pas lié par les décisions d’autres arbitres de griefs.  Mme Spacek prétend de surcroît qu’il s’agit d’une question réelle.

[37]   Le fait est que, en droit administratif, je ne suis pas strictement lié, en ma qualité d’arbitre de grief, par les décisions rendues par d’autres arbitres de grief sous le régime de l’ancienne Loi. Il reste que ces décisions peuvent avoir une force persuasive, selon qu’elles s’appliquent ou non à l’affaire dont je suis saisi.

[38]   Les décisions rendues sous le régime de l’ancienne Loi sont publiés dans l’intérêt de l’ensemble de la fonction publique fédérale. À mon sens, la loi se doit d’être appliquée de manière cohérente, car c’est la constance des décisions de la Commission et des arbitres de grief qui aide les employeurs et les agents négociateurs à administrer leurs conventions collectives et à mener à bien leurs négociations collectives. Les employés y puisent pour leur part des renseignements qui les aident à mieux comprendre la portée de leurs conditions d’emploi. La cohérence des interprétations favorise des relations du travail harmonieuses ou met à tout le moins en évidence les points qui laissent à désirer dans les conventions collectives et qu’il serait possible de corriger dans le cadre de négociations collective. L’interprétation d’une formulation semblable à celle du paragraphe 24.01 de la convention collective qui est devant moi est un point bien établi dans les décisions rendues sous le régime de l’ancienne Loi. Par ailleurs, le libellé du paragraphe 24.01 est limpide et ne se prête qu’à une seule interprétation quand on l’examine dans son ensemble. On ne peut donc pas lui donner le sens que lui attribue Mme Spacek.

[39]   Même s’il s’agit d’une question d’interprétation de la convention collective, le fait est que je n’ai pas besoin d’entendre la preuve de la fonctionnaire s’estimant lésée pour me prononcer sur ce point puisque cette preuve se rapporte à la prétendue violation de la disposition plutôt qu’à son interprétation. En ce qui concerne l’argument de Mme Spacek selon lequel elle a le droit d’être entendue, j’ajouterai que rien n’oblige l’arbitre de grief à « entendre la preuve » d’un fonctionnaire s’estimant lésé sur une question qui déborde le cadre de sa compétence. À cet égard, je reprends à mon compte l’analyse de l’arbitre de grief dans Price c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 47, qui fait observer ceci :

[…]

[52]   En ce qui concerne l'observation de l'agent négociateur d'après laquelle le fonctionnaire s'estimant lésé devrait avoir la possibilité d'exprimer ses vues sur la manière dont la direction a traité des conséquences de sa blessure professionnelle et de l'incapacité ou déficience qui en a résulté, je considère la réponse de l'employeur comme persuasive. Il ne convient pas ici que l'arbitre de grief accorde au fonctionnaire s'estimant lésé une tribune pour exprimer ses vues. Lorsqu'il est conclu comme en l'espèce que le sous-alinéa 91(1) a )(ii) de l'ancienne Loi s'applique de telle sorte que ma compétence est exclue, je ne puis exercer ma compétence légale en equity comme le voudrait l'agent négociateur en l'espèce — c'est-à-dire dans l'intérêt de la justice. J'ai soit compétence pour entendre soit je ne l'ai pas.  J'ai déterminé que je n'avais pas compétence à cet égard, et l'on ne m'a cité aucune disposition législative prévoyant une exception, en equity, à l'application du sous--alinéa 91(1) a )(ii) de l'ancienne Loi .

[…]

[40]   À mon sens, le libellé du paragraphe 24.01 de la convention collective est on ne peut plus limpide. Il s’agit d’une disposition prévoyant la tenue de consultations et non pas d’une voie de recours pour se prévaloir de la procédure de règlement des griefs. Il ne m’est donc pas nécessaire de poursuivre l’examen de la portée du paragraphe 24.01. Je rejette le grief parce qu’il déborde le cadre de la compétence d’un arbitre de grief en vertu de l’alinéa 92(1)a) de l’ancienne Loi.

[41]   L’ancienne Loi prévoyait un recours pour faire exécuter une obligation résultant de la convention collective signée entre l’employeur et l’agent négociateur, à l’article 99, qui est libellé comme suit :

99. (1) L'employeur et l'agent négociateur qui ont signé une convention collective ou sont liés par une décision arbitrale peuvent, dans les cas où l'un ou l'autre cherche à faire exécuter une obligation qui, selon lui, découlerait de cette convention ou décision, renvoyer l'affaire à la Commission, dans les formes réglementaires, sauf s'il s'agit d'une obligation dont l'exécution peut faire l'objet d'un grief de la part d'un fonctionnaire de l'unité de négociation visée par la convention ou la décision.

[42]   Il reste à voir si l’agent négociateur de Mme Spacek peut encore renvoyer l’affaire à la Commission en vertu de l’article 99 de l’ancienne Loi. À l’audience, Mme Spacek m’a demandé de proroger tout délai prévu à cette fin. Je note toutefois que je n’ai pas ce pouvoir car j’ai été désigné arbitre de grief aux fins de trancher le grief que Mme Spacek a renvoyé à l’arbitrage de grief en vertu de l’alinéa 92(1)a) de l’ancienne Loi.

[43]   En statuant sur la question de compétence indépendamment de l’autre grief de Mme Spacek, je crois avoir restreint considérablement les questions à trancher à l’arbitrage.

[44]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[45]   Le grief est rejeté.

Le 19 septembre 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Paul Love,
arbitre de grief

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