Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a d’abord été embauchée pour travailler comme secrétaire juridique, à titre occasionnel, puis s’est vu offrir une nomination pour une période déterminée et, enfin, a été nommée pour une période indéterminée - au cours de son emploi, elle a reçu une formation appropriée et de nombreuses réunions entre elle et plusieurs membres de la direction ont été tenues pour discuter de son piètre rendement - la fonctionnaire s’estimant lésée avait en outre des difficultés dans ses relations avec des collègues et des superviseurs - elle a révélé à l’employeur qu’elle avait des problèmes personnels, elle a eu droit à un congé pour s’occuper de ses problèmes et elle a été informée de l’existence du programme d’aide aux employés - au cours de son emploi, la fonctionnaire s’estimant lésée a été affectée dans deux autres sections, mais il a été mis fin à ces deux affectations à cause d’une insatisfaction à l’égard de la qualité de son travail - lors de sa deuxième affectation, son employeur a laissé expirer sa période de stage - à la fin de sa deuxième affectation, la fonctionnaire s’estimant lésée devait retourner à la section du droit pénal, mais l’employeur a décidé de mettre un terme à son emploi, étant donné qu’elle avait été incapable de fournir un rendement satisfaisant tout au long de son emploi - l’employeur reconnaissait qu’aucun avis final n’avait été donné à la fonctionnaire s’estimant lésée, pour l’informer que, si son rendement ne s’améliorait pas d’ici une date précise, elle serait licenciée - l’arbitre de grief a conclu que le rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée laissait à désirer, malgré les conseils et la formation appropriés qu’elle avait reçus et malgré le fait qu’elle disposait des instruments de travail nécessaires et que les normes minimales lui avaient été clairement communiquées - l’employeur a toutefois omis de lui donner un avis adéquat selon lequel elle pourrait être licenciée si elle ne s’améliorait pas, de sorte que l’arbitre de grief n’a eu d’autre choix que de réintégrer dans ses fonctions la fonctionnaire s’estimant lésée. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-02-01
  • Dossier:  166-2-34132
  • Référence:  2006 CRTFP 10

Devant un arbitre de grief



ENTRE

HUGUETTE MORISSETTE

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Justice)

employeur

Répertorié
Morissette c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice)

Affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P 35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant : Yvon Tarte, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée  : Glen Chochla, Alliance de la Fonction publique du Canada, Kim Patenaude Lepage, avocate

Pour l'employeur  : Harvey Newman, avocat, Drew Heavens, Secrétariat du Conseil du Trésor


Affaire entendue à Ottawa (Ontario), les 14, 15 et 16 février
ainsi que du 26 au 29 septembre 2005.
Observations écrites présentées le 31 octobre, le 23 novembre et le 8 décembre 2005.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)


Grief renvoyé à l'arbitrage

1 Mme Morissette a présenté un grief pour contester la décision de l’employeur de la licencier, pour des motifs non disciplinaires, de son poste de secrétaire juridique à compter du 26 novembre 2003. Elle a demandé d’être entendue en anglais.

2 Aux audiences de février 2005, Mme Morissette était représentée par Glen Chochla, de l’Alliance de la Fonction publique du Canada. À la reprise des audiences, en septembre 2005, sa représentante était Me Kim Patenaude-Lepage.

3 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l’ arbitrage de grief doit être décidé conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P - 35 (l ’ « ancienne Lo i »).

4 J’ai rendu l’ordonnance d’exclusion de témoins qui m’a été demandée.

Résumé de la preuve

Pour l’employeur

5 Clare Barry, dont le curriculum vitæ a été déposé en preuve en tant que pièce E-5, est avocate générale principale et directrice de la Section du droit pénal du Service fédéral des poursuites, au ministère de la Justice.

6 Quand Me Barry a assumé ses fonctions d’avocate générale principale, en août 2000, elle a été informée que la fonctionnaire s’estimant lésée, qui s’était récemment jointe au ministère comme occasionnelle (pièce E-6), allait travailler pour elle.

7 À l’époque, Mme Morissette fournissait aussi des services de secrétariat à deux autres avocats, Mes Brad Allison et Bill Corbett. Ses responsabilités consistaient à organiser des réunions, à tenir un registre de la correspondance, à gérer la paperasse, à faire le suivi de dossiers et à préparer des demandes d’autorisation de voyage et de remboursement de frais de voyage.

8 Mme Morissette a reçu de la formation pour savoir utiliser certains logiciels et reçu aussi de l’encadrement de Jeannette Walker, au sujet des pratiques de bureau. Mme Walker, qui était alors une secrétaire juridique d’expérience, a informé Me Barry à l’automne 2000 que la fonctionnaire s’estimant lésée avait besoin d’aide.

9 Le témoin était d’avis que Mme Morissette faisait beaucoup d’erreurs, qu’elle ne tapait pas bien, qu’elle avait de la difficulté à se conformer aux instructions et qu’elle n’avait pas le souci du détail. Comme la fonctionnaire s’estimant lésée venait d’entrer dans la fonction publique, Me Barry voulait bien être patiente, à ce moment-là. Elle a parlé avec Mme Morissette des aspects qui posaient des problèmes, mais celle-ci a continué à commettre régulièrement des erreurs. Mme Walker s’est fait demander de continuer d’aider Mme Morissette à s’améliorer. La pièce E-7 est une liste des points dont Mme Walker et la fonctionnaire s’estimant lésée ont discuté en décembre 2000.

10 Le 4 janvier 2001, Mme Morissette s’est vu offrir une nomination pour une période déterminée allant de cette date-là au 23 novembre 2001. Cette offre s’imposait parce que la fonctionnaire s’estimant lésée était employée comme occasionnelle depuis près de 90 jours. Mme Morissette a accepté l’offre le 15 janvier 2001.

11 De janvier à mars 2001, le rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée ne s’est pas amélioré. Elle a continué à commettre des erreurs. De plus, un conflit s’est peu à peu manifesté entre elle et Mme Walker, qui ne la trouvait pas encline à coopérer. Me Barry a continué de parler à Mme Morissette, en lui disant qu’elle était mécontente de ses erreurs répétées et de son rendement insatisfaisant.

12 En février 2001, Mme Morissette s’est plainte à Me Corbett que Me Allison la harcelait au sujet des demandes pour le remboursement de frais de voyage. Me Barry a rencontré la fonctionnaire s’estimant lésée pour lui en parler le 27 février 2001 (pièce E-9). À la suite de cette rencontre, Mme Morissette n’a plus travaillé pour Me Allison, qui a toutefois rédigé une note de cinq pages (pièce E-10) soulignant les problèmes qu’il avait eus au cours des derniers mois à cause de la façon dont ses demandes de remboursement de frais de voyage étaient traitées par Mme Morissette.

13 Le 6 mars 2001, Me Barry a eu une rencontre avec Mme Walker, qui lui a répété que la fonctionnaire s’estimant lésée continuait d’être brusque, de ne pas collaborer et d’être inconséquente.

14 Deux jours plus tard, Me Barry a rencontré Mathilde Gravelle-Bazinet, du Bureau de gestion des conflits du ministère, afin de lui parler des solutions envisageables pour régler les conflits persistants dans son secteur, qui tournaient tous autour de Mme Morissette.

15 À l’époque, la fonctionnaire s’estimant lésée avait confié à Me Barry qu’elle avait des problèmes conjugaux et qu’elle avait été arrêtée et accusée de voies de fait contre son conjoint. Elle avait été contrainte à quitter le domicile conjugal et à aller habiter dans un refuge pour femmes. Le rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée a continué de se détériorer. Me Barry a informé alors Mme Morissette qu’elle pouvait s’adresser au Programme d’aide aux employés, en lui donnant un numéro de téléphone.

16 Le 30 mars 2001, l’employeur a offert une nomination pour une période indéterminée (pièce E-14) à la fonctionnaire s’estimant lésée, qui l’a acceptée le 2 avril 2001. En avril 2001, sur les conseils de son médecin, Mme Morissette a demandé et obtenu quelque 18 jours de congé. À son retour au travail, elle semblait en forme et capable de s’acquitter de ses fonctions.

17 La pièce E-13, compilée en juin 2001, est une série d’exemples des nombreuses erreurs de Mme Morissette au cours des mois précédents.

18 Le 18 juin 2001, Me Barry était au poste de travail de la fonctionnaire s’estimant lésée; elles parlaient de questions de travail quand Mme Morissette lui a déclaré qu’elle allait se plaindre de harcèlement de sa part (pièce E-15). Une rencontre a été organisée le 6 juillet 2001 pour discuter avec Mme Morissette de sa conviction qu’on la harcelait. Selon Me Barry, on a donné très peu de travail à la fonctionnaire s’estimant lésée à partir de ce moment-là.

19 À la fin de juillet 2001, Me Barry et Me Corbett ont produit un rapport d’évaluation du rendement de Mme Morissette que celle-ci a refusé de signer (pièce E-17). La partie narrative de ce rapport se termine de la façon suivante :

[Traduction]

Le travail d’Huguette est inégal. Ses erreurs dans les documents ainsi que dans les arrangements de voyage ont dû être corrigées. Qui plus est, on lui a reproché son manque d’entregent et d’esprit d’équipe, des qualités d’importance vitale pour le succès de la section. Un plus grand souci du détail et de plus grands efforts pour travailler efficacement avec les autres amélioreront son rendement. Avec plus d’expérience, on s’attend que le rendement s’améliore.

20 Le rapport d’évaluation de rendement a été examiné avec la fonctionnaire s’estimant lésée lors d’une réunion tenue dans le bureau de Me Corbett le 27 juillet 2001 (pièce E-18).

21 Environ un mois plus tard, le 30 août 2001, Mme Morissette a présenté un grief pour contester ce rapport d’évaluation et dénoncer ce qu’elle considérait comme des incidents de harcèlement (pièce E-19).

22 Les griefs ont été renvoyés aux Ressources humaines, ainsi qu’à Kathleen Mitchell-Jensen (conseillère principale, Bureau de gestion des conflits) qui a rencontré Mme Morissette pour déterminer qui la harcelait, selon elle.

23 À la fin d’octobre 2001, Mme Morissette a été détachée au Bureau de la francophonie du Ministère (pièce E-23). Me Barry avait consenti à ce détachement, qui devait durer jusqu’au 19 avril 2002, dans l’espoir que la fonctionnaire s’estimant lésée en profiterait pour prendre un nouveau départ.

24 Le Bureau de la francophonie a mis fin à l’accord de détachement dès janvier 2002, estimant que Mme Morissette (pièce E-24) :

[Traduction]

Ne retient pas l’information qui lui est communiquée;

Est incapable de suivre les directives qui lui sont données pour accomplir un travail;

Ne vérifie pas son travail avant de le remettre.

25 Le 28 janvier 2002, Me Barry et Ilene Strong, une conseillère des ressources humaines, ont rencontré Mme Morissette en compagnie de son représentant syndical afin de lui parler de son rendement et de ses objectifs de travail pour les trois mois suivants (pièce E-25). Au début de février 2002, la fonctionnaire s’estimant lésée s’est vu remettre une description de poste générique pour le poste qu’elle occupait (pièce E-26).

26 Au cours de cette période, l’employeur a autorisé de la formation pour Mme Morissette sur la préparation de demandes de remboursement de frais d’accueil et de voyage ainsi que sur Excel, PowerPoint, PeopleSoft-Leave et Caseview (pièce E-27).

27 Quand Mme Morissette est retournée travailler à la section de Me Barry, ses plaintes de harcèlement et ses griefs n’avaient pas encore été réglés. Le 11 février 2002, lors d’une rencontre avec Me Corbett (pièce E-29), elle avait déclaré qu’elle retirerait le grief contestant l’évaluation de son rendement si l’employeur en supprimait les remarques négatives.

28 Le 12 février 2002, l’employeur a fini par obtenir des précisions sur les diverses plaintes de Mme Morissette (pièce E-30).

29 Le lendemain (13 février 2002), Mme Morissette et Me Barry ont signé une entente de détachement d’un an pour que la fonctionnaire s’estimant lésée puisse aller travailler à la Cour canadienne de l’impôt (pièce E-31). Cette entente a été annulée peu de temps après, parce que la fonctionnaire s’estimant lésée avait subi une blessure qui l’empêchait de travailler. Mme Morissette semble avoir été en congé de maladie du 25 février au 4 juillet 2002.

30 À son retour au travail, en juillet 2002, la fonctionnaire s’estimant lésée est allée travailler dans un autre bureau, où elle s’occupait des questions et de la politique des victimes. Le témoin n’a plus jamais travaillé avec elle.

31 En septembre 2002, les plaintes de harcèlement contre Brad Allison, Clare Barry, William Corbett et Jeannette Walker ont été jugées non fondées (pièce E-32).

32 Me Barry a plus tard été informée de la décision de licencier Mme Morissette. Ce n’est pas elle qui a pris cette décision, même si elle a pu en parler à certaines personnes et qu’elle y souscrivait probablement.

33 Contre-interrogé par M. Chochla, le témoin a été invité à expliquer plusieurs pièces et à donner des précisions sur la nature des lacunes de la fonctionnaire s’estimant lésée. Me Barry a répondu que les pièces ne représentaient que des exemples des fautes de l’intéressée. Il y avait eu bien d’autres erreurs, mais elle n’avait pas conservé tous les brouillons.

34 Me Barry n’avait fait aucun rapport d’évaluation du rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée avant celui de l’évaluation de juillet 2001 (pièce E-17), parce qu’elle considérait que Mme Morissette était [traduction] « fragile sur le plan personnel » et qu’elle ne serait pas en mesure de composer avec les remarques négatives qu’un tel rapport aurait nécessairement contenues.

35 Le témoin a reconnu qu’il n’avait pas eu beaucoup de contacts avec la fonctionnaire s’estimant lésée après janvier 2002. En outre, il ne savait pas que Mme Morissette parlait de son rendement avec Me Corbett ni qu’il lui aurait dit que son travail allait.

36 Me Barry a aussi admis que, même si elle avait des réserves au sujet du travail de la fonctionnaire s’estimant lésée en mars 2001, elles n’étaient pas suffisantes pour rendre impossible une offre d’emploi permanent. Elle n’avait pas non plus envisagé la possibilité de renvoyer Mme Morissette en cours de stage, même si son témoignage laisse entendre qu’elle était convaincue que la fonctionnaire s’estimant lésée était incapable de fonctionner correctement dans son poste.

37 En réinterrogatoire, Me Barry a déclaré que la période de stage de la fonctionnaire s’estimant lésée s’était terminée au cours de son détachement au Bureau de la francophonie. Malheureusement, elle n’avait été informée des problèmes de rendement de Mme Morissette dans ce service qu’après son retour à la section, et, partant, après l’expiration de sa période de stage.

38 Suzanne Poirier a occupé divers postes au ministère de la Justice depuis 1982. Depuis l’an 2000, elle est avocate générale au Bureau de la francophonie. Elle a aussi travaillé au Bureau du Conseil privé, comme secrétaire adjointe du Cabinet pour la législation et la planification à la Chambre, entre 1994 et 1997. C’est elle qui était la superviseure ultime de la fonctionnaire s’estimant lésée quand celle-ci a été détachée au Bureau de la francophonie en octobre 2001.

39 Mme Morissette s’était vu offrir le détachement pour remplacer quelqu’un qui venait d’être promu dans la section. Elle devait être responsable des arrangements de voyage et du traitement des demandes de remboursement de frais de voyage, faire du classement et de la dactylographie et organiser des réunions.

40 La fonctionnaire s’estimant lésée devait travailler avec un avocat, Jean-François Bonin, ainsi qu’avec Marie-Claire Parisien, la gestionnaire du bureau à titre non officiel.

41 On a bien vite constaté que Mme Morissette ne se relisait pas et qu’elle n’arrivait pas à se conformer aux instructions ni à se rappeler l’information qu’on lui donnait. De plus, elle passait beaucoup de temps à parler de ses problèmes personnels aux autres.

42 Me Poirier a eu une rencontre avec Mme Morissette le 30 novembre 2001 pour lui parler des problèmes relatifs à son travail. Après cette rencontre, elle lui a écrit pour l’aviser qu’elle allait être en [traduction] « stage probatoire » jusqu’au 18 janvier 2002 (pièce E-34).

43 Étant donné que Mme Morissette a été absente de son travail pendant presque tout le mois de décembre pour des raisons personnelles, elle n’a pas eu d’évaluation hebdomadaire avant le début de janvier.

44 Le vendredi 4 janvier 2002, Mme Parisien lui a demandé de retaper une description de poste de 14 pages, en lui disant de prendre son temps.

45 La fonctionnaire s’estimant lésée a tapé deux pages le jour même et dactylographié le reste le lundi 7 janvier 2002. Le travail était mal fait. Mme Parisien a passé plus de deux heures à corriger les nombreuses fautes (pièce E-35).

46 Le 11 janvier 2002, Me Poirier a de nouveau rencontré la fonctionnaire s’estimant lésée pour lui dire que son travail était insatisfaisant et qu’on allait mettre fin à son détachement deux semaines plus tard. Mme Morissette, qui était accompagnée d’un représentant syndical à cette occasion, n’a pas nié ses lacunes. On lui a dit de ne pas se présenter au travail pendant les deux dernières semaines du détachement, en précisant qu’elle serait payée quand même pour ces deux semaines. Mme Parisien a produit un rapport d’évaluation du rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée pendant son détachement au Bureau de la francophonie (pièce E-24).

47 En contre-interrogatoire, Me Poirier a affirmé catégoriquement que la description de poste qu’on avait demandé à la fonctionnaire s’estimant lésée de redactylographier n’existait que sur papier. On n’a jamais donné de version électronique de ce document à Mme Morissette.

48 Eugene Williams, avocat général du Service fédéral des poursuites, a témoigné ensuite pour l’employeur. Il travaille au ministère de la Justice depuis 1980.

49 On avait créé une Unité de recouvrement des amendes dans le contexte du Service fédéral des poursuites. La dotation des postes de l’Unité a commencé en 2002, et il est devenu évident qu’elle aurait besoin de services de secrétariat. Au début de 2003, on a conclu des arrangements pour que la fonctionnaire s’estimant lésée s’y joigne.

50 Me Williams avait déjà rencontré Mme Morissette dans le cadre de ses rapports avec Me Barry et avec la Section du droit pénal. Il était plus ou moins au courant du conflit auquel elle était mêlée et des perturbations qui en avaient résulté dans le secteur de Me Barry, mais il n’en était pas moins disposé à accepter ses services. Mme Morissette a donc commencé à travailler à l’Unité de recouvrement des amendes le 20 février 2003.

51 En préparation de l’arrivée de la fonctionnaire s’estimant lésée, le témoin avait demandé à une avocate, Claudine Girault, ainsi qu’à Nadia Normand, une adjointe parajuridique, de dresser une liste de ses rôles et responsabilités et d’établir des modèles.

52 Pendant sa première semaine de travail à l’Unité, Mme Morissette était en formation. Le 28 septembre 2003, Me Williams l’a rencontrée pour lui parler de ses fonctions et de ses objectifs (pièce E-37); il lui a dit qu’elle relèverait à la fois de Me Girault et de Mme Normand.

53 Lors de cette réunion du 28 septembre 2003, qui a duré environ une heure et demie, la fonctionnaire s’estimant lésée a été informée d’un protocole de bureau interdisant aux employés de parler de leurs affaires personnelles au travail. Me Williams considérait qu’il était particulièrement important de se conformer à ce protocole en l’occurrence, puisque l’Unité avait des rapports avec de nombreux organismes policiers, dont certains avec lesquels la fonctionnaire s’estimant lésée avait eu des contacts à cause de ses problèmes personnels.

54 Les choses se sont assez bien passées pendant environ un mois tandis que Mme Morissette se familiarisait avec son nouveau poste, mais on a commencé ensuite à constater des erreurs dues à son inattention. Le 21 mars 2003, Me Girault et Mme Normand l’ont rencontrée pour lui parler de ce qu’elles lui reprochaient dans son travail (pièce E-39). À cette occasion, la fonctionnaire s’estimant lésée a déclaré qu’elle n’avait pas besoin de formation supplémentaire.

55 Les nombreuses fautes de Mme Morissette ralentissaient le travail. Mme Normand, qui devait continuellement les corriger, n’avait plus le temps d’accomplir ses propres tâches.

56 Le 25 mars 2003, Me Williams a dû rappeler à Mme Morissette le protocole de bureau interdisant qu’on parle de questions personnelles au travail (pièce E-40).

57 Un mois plus tard, en avril 2003, le témoin a rencontré la fonctionnaire s’estimant lésée (pièces E-43, E-44 et E-45) pour lui parler de son rendement. Mme Morissette, qui était alors accompagnée d’un représentant syndical, s’est fait dire que l’employeur allait continuer à surveiller son travail.

58 Le 6 mai 2003, Me Girault a écrit à Me Williams une note précisant certaines des nombreuses erreurs de la fonctionnaire s’estimant lésée (pièce E-46). Les mêmes erreurs continuaient d’être commises régulièrement.

59 À la fin de juin 2003, Me Girault a écrit à Me Williams une note de deux pages sur le rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée (pièce E-48). Dans cette note, elle déclarait ce qui suit :

[Traduction]

Nadia m’a signalé qu’Huguette ouvre encore des dossiers de recouvrement d’amendes, après quoi on trouve des erreurs dans presque tous ces dossiers. Ouvrir un dossier est resté inchangé. Nadia doit encore vérifier méticuleusement tout ce qu’Huguette fait, à cause de ses fautes d’inattention ou d’insouciance. Ce contrôle serré n’est pas efficient. Malheureusement, on ne peut pas se fier au travail d’Huguette. Je lui donnais de courtes lettres simples à taper à partir de mes notes manuscrites. Il fallait invariablement refaire la lettre deux ou trois fois à cause de ses fautes. J’ai dit à Huguette ce qu’il fallait faire quand on envoyait une lettre directement à quelqu’un ou qu’on l’envoyait à une organisation aux soins d’une certaine personne. Elle n’adresse toujours pas les lettres correctement.

Le mois dernier, le rythme de travail a été frénétique, avec des audiences, des procès, des audiences d’extradition, etc. Il fallait faire vite et bien du premier coup. C’est pour cette raison que je ne pouvais pas demander de l’aide à Huguette. Je me suis fiée à Nadia et Katie (une étudiante du secondaire en stage) pour faire du travail qui n’aurait pas besoin d’être refait.

La charge de travail d’Huguette est très légère. Elle m’envoie périodiquement — ou envoie à Nadia, voire à nous deux — des courriels indiquant qu’elle n’a rien à faire. Je n’envoie plus ces courriels à la section, parce que bien des gens refusent d’avoir affaire à Huguette.

60 Me Williams et d’autres personnes ont rencontré la fonctionnaire s’estimant lésée le 3 juillet 2003 pour lui parler de ses problèmes de rendement (pièces E-49 et E-50). Cette fois-là, on lui a remis un cahier contenant de nombreux exemples des fautes qu’elle avait faites dans son travail (pièce E-37).

61 On a organisé une autre réunion avec la fonctionnaire s’estimant lésée le 9 juillet 2003 (pièce E-51), pour remédier à la rupture des communications entre elle et sa chef d’équipe, Me Girault.

62 Au début de septembre 2003, à la suite d’une rencontre avec elle, Me Williams a mis fin à l’affectation de Mme Morissette à son service (pièces E-52 et E-53), parce que la fonctionnaire s’estimant lésée continuait à commettre constamment des erreurs et paraissait incapable de les corriger. Me Williams a parlé du retour de Mme Morissette à la Section du droit pénal avec Tom Beveridge, qui occupait par intérim le poste de Me Barry pendant que celle-ci suivait des cours de français.

63 Me Beveridge a plus tard parlé avec Me Williams de la possibilité de licencier la fonctionnaire s’estimant lésée. Me Williams est convaincu d’avoir fait tout ce qu’il pouvait pour aider Mme Morissette à s’acquitter convenablement de ses fonctions, mais elle était malheureusement incapable d’un rendement satisfaisant.

64 En contre-interrogatoire, Me Williams a déclaré qu’il ne faut normalement pas plus de deux mois pour comprendre les fonctions du poste que Mme Morissette occupait à l’Unité de recouvrement des amendes et pour les accomplir de façon satisfaisante.

65 Le témoin est d’avis que la fonctionnaire s’estimant lésée a reçu une formation suffisante pour pouvoir faire son travail. Mme Morissette elle-même l’a confirmé lors de sa rencontre avec lui en juillet 2003. La plupart des fautes que commettait la fonctionnaire s’estimant lésée étaient dues à son manque d’exactitude et de précision. À la rencontre du 24 avril 2003, on lui avait donné des exemples précis de ses fautes et de ses erreurs.

66 La fonctionnaire s’estimant lésée était présente à trois rencontres où l’on a parlé de son rendement. À celle de juillet, elle a été avertie que son affectation à l’Unité de recouvrement des amendes prendrait fin si elle ne s’améliorait pas.

67 Dans les discussions qu’il a eues avec Me Beveridge, Me Williams ne se rappelle pas avoir parlé de la possibilité d’offrir à la fonctionnaire s’estimant lésée un emploi ailleurs qu’au Ministère.

68 Marie-Claire Parisien travaille au ministère de la Justice depuis une quinzaine d’années. Elle a occupé plusieurs postes pendant cette période; à l’époque pertinente pour le grief, elle était la chef de bureau à titre non officiel au Bureau de la francophonie. Elle relevait de Me Poirier.

69 À peine un mois après le début de l’affectation de Mme Morissette au Bureau de la francophonie, Mme Parisien a commencé à recevoir des commentaires l’informant de problèmes dans son travail.

70 Mme Parisien a produit une copie papier de la description de poste qu’on avait demandé à la fonctionnaire s’estimant lésée de redactylographier en janvier 2002 (pièces E-35 et E-54). Le texte que Mme Morissette a fini par taper était truffé de fautes, dont beaucoup auraient pu être corrigées à l’aide du vérificateur d’orthographe. Bref, son travail était inacceptable.

71 À la demande de Me Poirier, le témoin a produit la pièce E-33, un relevé détaillé des situations et problèmes auxquels Mme Morissette a été mêlée du 28 novembre 2001 au 11 janvier 2002.

72 En contre-interrogatoire, Mme Parisien a déclaré qu’il aurait été impossible de fournir à Mme Morissette une version électronique de la pièce E-54, puisqu’il n’en existait pas.

73 Nadia Normand est adjointe parajuridique au ministère de la Justice. Elle a reçu sa formation juridique à la Cité collégiale d’Ottawa de 1998 à 1999, en même temps que Mme Morissette, de sorte qu’elle savait qui était la fonctionnaire s’estimant lésée lorsque celle-ci s’est jointe à l’Unité de recouvrement des amendes.

74 Mme Normand a très vite commencé par préparer une reliure de documents afin d’aider la fonctionnaire s’estimant lésée à accomplir son travail (pièce E-55). Il ne lui a pas fallu longtemps pour se rendre compte que Mme Morissette répétait constamment les mêmes erreurs. On l’a avertie de la gravité de ses fautes et de leurs conséquences pour la capacité de l’Unité à recouvrer des amendes.

75 Mme Normand a déclaré que le temps qu’elle devait passer à corriger les fautes de Mme Morissette l’entravait dans sa capacité à exécuter son propre travail. Elle a réuni dans un cahier (pièce E-37) de nombreux exemples des erreurs de la fonctionnaire s’estimant lésée; elle a parlé de ces erreurs avec Me Williams et avec l’intéressée. Mme Morissette n’a pas tenté d’expliquer ses fautes; elle ne pensait pas non plus avoir besoin de formation supplémentaire.

76 La situation s’est détériorée au point où Mme Normand a envisagé de quitter son emploi à cause du stress qu’elle éprouvait parce que la fonctionnaire s’estimant lésée était incapable de faire son travail.

77 Tom Beveridge s’est joint au ministère de la Justice en 1990. Depuis janvier 2002, il est directeur du Groupe d’aide internationale, qui fait partie de la Section du droit pénal dirigée par Me Barry.

78 D’août 2003 à août 2004, Me Beveridge a occupé par intérim le poste de directeur de la Section du droit pénal pendant que Me Barry était en formation. À ce titre, il a été partie au licenciement de Mme Morissette.

79 Le 13 novembre 2003, Me Beveridge a écrit au sous-ministre de la Justice une note recommandant le licenciement de la fonctionnaire s’estimant lésée (pièce E-57). Avant de faire cette recommandation, Me Beveridge avait parlé avec Me Williams, qui lui avait fourni un rapport sur l’incapacité de la fonctionnaire s’estimant lésée à avoir un rendement satisfaisant pendant qu’elle travaillait à l’Unité de recouvrement des amendes (pièce E-52).

80 Dans ses discussions avec d’autres personnes, Me Beveridge a fini par se rendre compte que Mme Morissette avait été incapable de travailler de façon satisfaisante durant tout son séjour au ministère.

81 Le 1er octobre 2003, Me Beveridge a eu une rencontre avec la fonctionnaire s’estimant lésée (pièce E-58) au cours de laquelle celle-ci s’est fait dire de rester à la maison en congé payé pendant que l’employeur continuerait de faire enquête sur ses lacunes. Me Beveridge a déclaré avoir aussi dit que Mme Morissette pourrait souhaiter démissionner de son poste [traduction] « avec une possibilité de règlement », ce qui reflétait une proposition énoncée avant la réunion par le représentant syndical de la fonctionnaire s’estimant lésée. Mme Morissette a semblé pendant un certain temps envisager la possibilité de démissionner (pièce E-59).

82 Durant cette période, la possibilité de trouver un emploi ailleurs pour la fonctionnaire s’estimant lésée a été envisagée. À la fin, Me Beveridge a conclu que l’incompétence de Mme Morissette et son incapacité à suivre les instructions exigeaient son licenciement. La lettre de licenciement (pièce E-1) a été envoyée à Mme Morissette le 26 novembre 2003.

83 En contre-interrogatoire, Me Beveridge a reconnu que la possibilité d’un licenciement a été soulevée par l’employeur pour la première fois le 1 er octobre 2003. Il a dit ne pas savoir si l’on avait donné à la fonctionnaire s’estimant lésée une dernière chance de s’améliorer.

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

84 Mme Morissette est âgée de 46 ans; elle a trois enfants, âgés respectivement de 14, 17 et 24 ans, et elle est séparée de son mari. Son curriculum vitæ a été déposé en preuve (pièce G-4).

85 Mme Morissette a expliqué comment elle s’est retrouvée au ministère de la Justice, en août 2000. Elle a reçu une offre d’emploi pour une période déterminée en décembre 2000; elle l’a acceptée le 15 janvier 2001 (pièce E-8).

86 Quand on lui a montré les notes de Me Barry sur leur rencontre du 27 février 2001, Mme Morissette a dit ne pas s’en souvenir.

87 Elle a déclaré que l’offre de nomination pour une période indéterminée que l’employeur lui a faite le 30 mars 2001 (pièce E-14) lui a été remise impoliment par Me Barry.

88 En avril 2001, Mme Morissette s’est séparée de son mari. Plus tard ce mois-là, elle a été arrêtée pour voies de fait contre lui. Sur l’insistance de Me Barry, elle a consulté un médecin, qui lui a prescrit un mois de congé de maladie. Elle a repris le travail le 15 mai 2001.

89 Selon Mme Morissette, on avait grandement allégé sa charge de travail quand elle est retournée au bureau, en raison des problèmes personnels qu’elle vivait à l’époque. Elle ne souscrivait pas à cette réduction de sa charge de travail et en avait parlé à Me Corbett.

90 La relation de Mme Morissette avec Me Barry n’était pas très bonne. La fonctionnaire s’estimant lésée considérait que Me Barry se moquait souvent d’elle. Parfois, sa superviseure lui parlait à voix basse et déchirait des notes de service devant elle en riant. Me Newman est intervenu à ce moment-là, en soulignant qu’on n’avait posé aucune question sur ces allégations à Me Barry au cours de son contre-interrogatoire.

91 La fonctionnaire s’estimant lésée a nié avoir demandé une évaluation de rendement en juin 2001, comme le précise pourtant une note au dossier rédigée par Me Barry (pièce E-15). En juillet 2001, elle a refusé de signer son évaluation de rendement (pièce E-17) parce qu’elle contenait des remarques négatives sur son rendement. Selon elle, les questions soulevées dans ce rapport sur le rendement ne lui avaient jamais été mentionnées auparavant.

92 Après avoir repris le travail en août 2001 à la suite d’une période de congé annuel qu’elle a dit s’être fait enjoindre de prendre, Mme Morissette a présenté deux griefs (pièce E-19). Dans le premier, elle alléguait être victime de harcèlement; dans le second, elle contestait le contenu de son rapport d’évaluation.

93 En octobre 2001, Mme Morissette a accepté un détachement au Bureau de la francophonie (pièce E-23), à la suggestion de son représentant syndical. Très peu de temps après avoir commencé cette nouvelle affectation, elle s’est rendu compte que Me Poirier n’aimait pas son travail. La lettre de la fin novembre 2001 (pièce E-34) l’informant qu’elle allait être en [traduction] « stage probatoire » jusqu’au 18 janvier 2002 ne l’a pas étonnée.

94 Mme Morissette n’a pas démordu de sa conviction d’avoir reçu de Mme Parisien la description de poste à redactylographier en deux versions, électronique et papier (pièces E-53 et E-35). Elle s’est dite certaine aussi de ne pas avoir assisté à une rencontre avec Me Barry le 28 juin 2002 (pièce E-25).

95 Au début de février 2002, Mme Morissette a eu une rencontre avec Me Barry et Me Corbett. Cette fois-là, Me Corbett lui a demandé de retirer ses griefs [traduction] « d’un ton agressif ».

96 En février 2002, la fonctionnaire s’estimant lésée a rédigé une liste des choses qui s’étaient passées et qui, d’après elle, équivalaient à du harcèlement, de sorte qu’elles étayaient son grief (pièce G-6).

97 Mme Morissette ne se rappelle pas avoir signé l’accord de détachement à la Cour canadienne de l’impôt (pièce E-31), même si sa signature apparaît sur ce document. Elle a néanmoins travaillé une semaine à la Cour de l’impôt. Le dimanche 24 février 2002, elle s’est blessée à l’épaule et a donc dû cesser de travailler jusqu’au 4 juillet 2002.

98 Quand elle a repris le travail en juillet, Mme Morissette a travaillé quelques mois avec Lisette Lafontaine à produire des demandes de remboursement de frais de voyage ainsi que des notes de service et à faire des recherches. Au début d’octobre 2002, on l’a informée que l’employeur voulait qu’elle se soumette à un examen médical administré par Santé Canada. Dans une note de service (pièce G-7) et une lettre (pièce G-8), on lui a fait savoir qu’elle pourrait rester chez elle tout en étant payée jusqu’à ce que l’évaluation de Santé Canada soit terminée.

99 À la fin de février 2003, Mme Morissette s’est jointe à l’Unité de recouvrement des amendes. Le travail qu’on lui a confié là était largement répétitif et de routine.

100 Mme Morissette ne se souvient pas d’avoir eu une rencontre avec Me Girault et Mme Normand le 24 mars 2003 (pièce E-39), mais elle se souvient de s’être fait dire par Me Girault, à peu près à ce moment-là, [traduction] « de faire attention » et qu’elle [traduction] « faisait beaucoup d’erreurs ».

101 Le témoin se rappelle que Mme Normand lui a crié après à la suite d’un échange de courriels (pièce E-41). Selon elle, Mme Normand [traduction] « avait perdu la boule ». La pièce E-42 a été écrite par la fonctionnaire s’estimant lésée le lendemain de l’incident en question. On peut lire dans ce courriel que Mme Normand paraissait frustrée, qu’elle avait manqué de tact et qu’elle parlait si fort qu’on pouvait l’entendre dans le couloir.

102 Mme Morissette a rencontré Me Williams et d’autres personnes le 24 avril 2003 pendant environ deux heures et quart. Elle n’a pas dit grand-chose et l’on n’a pas parlé de son rendement.

103 La fonctionnaire s’estimant lésée a déclaré avoir obtenu des réponses différentes à ses questions selon la personne qui répondait. Il en a résulté de la confusion dans son esprit. De toute façon, le plus souvent, ceux qui étaient censés répondre à ses questions étaient trop occupés pour lui parler.

104 Mme Morissette a de nouveau rencontré Me Williams au sujet de son rendement, le 3 juillet 2003 (pièce E-50). Dans ce cas-là aussi, elle était accompagnée d’un représentant syndical. Elle ne croyait pas être responsable de toutes les erreurs figurant dans la reliure qui lui a été remise à cette rencontre. Il y avait [traduction] « tout simplement trop de fautes juste de sa part ». Elle a soutenu catégoriquement qu’on ne lui avait pas dit que son affectation prendrait fin si son rendement ne s’améliorait pas.

105 D’après Mme Morissette, la rencontre mentionnée dans la pièce E-51 n’a jamais eu lieu. Le 12 septembre 2003, on l’a informée que son affectation à l’Unité de recouvrement des amendes prendrait fin deux semaines plus tard, le 26 septembre 2003 (pièce E-53). C’était la première fois qu’elle apprenait qu’on allait mettre fin à son affectation.

106 Le 1er octobre 2003, Mme Morissette a rencontré Me Beveridge (pièce E-58) en compagnie d’un représentant syndical. Selon elle, on n’a pas parlé de la possibilité d’un règlement à cette occasion. Elle a toutefois communiqué avec son employeur le 6 octobre 2003 pour discuter de possibilités de règlement (pièce E-59).

107 À la suite de la rencontre du 1 er octobre 2003, Mme Morissette a travaillé à l’Unité de recouvrement des amendes jusqu’au 14 octobre 2003, après quoi elle est allée travailler avec Jane Hansen, une représentante syndicale, dans le secteur du règlement des conflits. Sa lettre de licenciement (pièce E-1) lui a été livrée par porteur le 28 octobre 2003, pendant qu’elle était dans le bureau de Mme Hansen.

108 En contre-interrogatoire, Mme Morissette a admis avoir reçu une formation appropriée et déclaré avoir été capable de faire son travail à l’occasion. Elle croit avoir été [traduction] « mal » jugée par ses superviseurs au ministère.

109 La fonctionnaire s’estimant lésée a reconnu avoir été dans une situation conflictuelle pendant tout son séjour au ministère, en déclarant toutefois qu’elle [traduction] « n’allait pas au travail pour se faire des amis ». Elle a dit que le climat d’antagonisme constant dans lequel elle vivait était imputable à la conviction de bien des gens qu’elle avait [traduction] « triché » pour obtenir un poste au ministère. Elle se demandait s’il y avait une conspiration [traduction] « pour avoir sa tête ».

110 Quand on lui a demandé pourquoi Me Williams aurait rédigé une note de service au sujet d’une rencontre qui n’aurait jamais eu lieu (pièce E-51), Mme Morissette a répliqué qu’il était parfaitement capable de mentir et d’inventer de faux documents.

111 Elle a maintenu que Me Barry avait ri d’elle et déchiré des documents devant elle plus d’une fois, même si ces incidents ne sont pas mentionnés dans le document étayant le grief qu’elle a présenté pour protester contre son harcèlement (pièce G-6).

112 La fonctionnaire s’estimant lésée a fait valoir que ces allégations se trouveraient dans un rapport rédigé par un avocat de l’extérieur à qui l’on avait demandé d’enquêter sur ses plaintes (pièce E-60). On lui a accordé une demi-heure pour prendre connaissance de ce rapport et pour y trouver des mentions du comportement de Me Barry, mais elle n’en a trouvé aucune.

113 Même si l’employeur est convaincu que Mme Morissette est incapable de travailler comme secrétaire juridique, elle est sûre qu’elle pourrait retourner au ministère de la Justice et réussir. À la longue, toutefois, si elle devait y retourner, [traduction] « ça pourrait s’améliorer ou empirer ».

Argumentation

114 Les parties ont été invitées à présenter des observations écrites que voici.

Pour l’employeur

[Traduction]

1. L’employeur part du principe qu’il s’est acquitté de ses obligations et qu’il a justifié sa décision de licencier la fonctionnaire s’estimant lésée pour motif non disciplinaire, conformément à l’alinéa 11(2) g ) de la LGFP .

2. Le pouvoir de l’employeur de licencier un fonctionnaire pour raison non disciplinaire procède de l’alinéa 11(2) g ) de la Loi sur la gestion des finances publiques , dans la version applicable durant la période pertinente :

[…]

(2) Sous réserve des seules dispositions de tout texte législatif concernant les pouvoirs et fonctions d’un employeur distinct, le Conseil du Trésor peut, dans l’exercice de ses attributions en matière de gestion du personnel, notamment de relations entre employeur et employés dans la fonction publique : […]

g) prévoir, pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur des personnes employées dans la fonction publique et indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces mesures peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie.

[…]

3. Le paragraphe 11(4) est également pertinent et se lit comme suit :

[…]

Les mesures disciplinaires, le licenciement ou la rétrogradation effectués en application des alinéas 2f) ou g) doivent être motivés.

4. Dans Nnagbo [1], le président Tarte a conclu :

[…] Lorsque l’employeur veut licencier un fonctionnaire pour incompétence, il doit montrer :

  • qu’il a agi de bonne foi;
  • qu’il a fixé des normes de rendement appropriées qui ont été clairement communiquées au fonctionnaire
  • ;
  • qu’il a donné au fonctionnaire les outils, la formation et l’encadrement nécessaires pour qu’il puisse atteindre les normes fixées dans un délai raisonnable;
  • qu’il a averti le fonctionnaire par écrit que s’il n’atteignait pas les normes fixées dans le délai — qui doit être raisonnable — fixé, il serait licencié;
  • que le fonctionnaire n’a pas satisfait à ces normes.

L’employeur a reformulé ces obligations dans son Manuel du Conseil du Trésor, mentionné plus haut, et il a ajouté à la liste l’obligation d’explorer les solutions autres que le licenciement ou la rétrogradation pour un motif valable et suffisant.

Nnagbo c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada) (166-02-30045)

5. Ces principes sont essentiellement les mêmes que ceux qu’on trouve dans les Lignes directrices du Conseil du Trésor concernant la rétrogradation et le licenciement pour un motif valable (pièce E-4).

Crédibilité des témoins

6. Avant d’entreprendre une analyse des principes susmentionnés, l’employeur tient à soulever la question de la crédibilité des témoins. Il estime que, lorsque le témoignage de la fonctionnaire s’estimant lésée et ceux des témoins de l’employeur ne concordent pas, il faudrait accorder la préférence à ces derniers puisque la crédibilité de la fonctionnaire s’estimant lésée est suspecte à certains égards. Les exemples suivants expliquent cette position.

7. La fonctionnaire s’estimant lésée a témoigné que la rencontre du 9 juillet 2003 avec Eugene Williams n’a pas eu lieu. Quand on lui a demandé, en contre-interrogatoire, si elle voulait dire qu’Eugene Williams avait inventé cette réunion (ainsi que la note de deux pages correspondante), elle a répondu qu’il [traduction] « aurait pu le faire ». C’est une accusation incroyable.

8. En interrogatoire principal, la fonctionnaire s’estimant lésée a déclaré que Clare Barry avait déchiré en riant un document qui devait être refait. Elle a répété ce témoignage en contre-interrogatoire. Pourtant, dans sa plainte de harcèlement contre Clare Barry, elle n’a pas mentionné d’incident de ce genre, et ce, en dépit des nombreuses allégations spécifiques qu’elle avait faites (pièce E-60) et qui se sont toutes révélées non fondées. Quand on l’a interrogée à ce sujet, la fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas pu expliquer pourquoi elle n’avait pas mentionné cet incident dans sa plainte de harcèlement. L’employeur est d’avis que c’est parce que l’incident ne s’est jamais produit.

9. La fonctionnaire s’estimant lésée a témoigné que la direction lui avait fourni la description de poste (pièces E-35 et E-54) sur support électronique. Elle contredit donc directement Suzanne Poirier et Marie-Claire Parisien, qui ont toutes deux témoigné qu’il s’agissait d’une vieille description de poste et qu’il n’en existait pas de version électronique. C’est pour cette raison qu’elles lui avaient demandé de la dactylographier.

10. Les incidents décrits dans ces exemples ne sauraient être expliqués par une mauvaise mémoire, puisque la fonctionnaire s’estimant lésée a maintenu catégoriquement son témoignage en dépit de la preuve du contraire.

Les attentes ont été clairement communiquées à la fonctionnaire s’estimant lésée

11. L’employeur reconnaissait que, même si la fonctionnaire s’estimant lésée avait une formation en secrétariat, elle était nouvelle au gouvernement quand elle a commencé à travailler à la Direction du droit pénal (DDP), le 28 août 2000. Ses problèmes de rendement ont été constatés rapidement; on lui en a parlé, mais la direction croyait au départ qu’ils étaient liés à la « courbe d’apprentissage » de l’intéressée.

12. À chacune de ses affectations, on a rencontré la fonctionnaire s’estimant lésée pour lui expliquer ses tâches et ce que la direction attendait d’elle. Fondamentalement, ses tâches consistaient à organiser des réunions, à faire du classement, à tenir un registre de la correspondance, à préparer des autorisations de voyage et des demandes de remboursement ainsi qu’à se servir de logiciels comme Caseview, ICON et RIMS.

13. Durant tout son séjour au service de l’employeur, on a établi des buts et des objectifs et précisé des attentes dont on a parlé avec la fonctionnaire s’estimant lésée (voir par exemple les pièces E-7, E-25, E-37 (annexe 2B) et E38).

14. La fonctionnaire s’estimant lésée a accepté ces buts et objectifs sans jamais les contester en les disant déraisonnables.

La fonctionnaire s’estimant lésée a reçu beaucoup de formation et d’encadrement

15. Quand la fonctionnaire s’estimant lésée a commencé à travailler à la DDP, un autre membre du personnel administratif (Jeannette Walker) s’est vu confier la tâche de l’aider à comprendre les procédures de bureau et à savoir comment préparer les demandes d’autorisation de voyage, les demandes de remboursement, etc. Elle a aussi reçu de la formation sur MS Word, PowerPoint et Excel, ainsi que sur les demandes de remboursement de frais d’accueil et de déplacement (voir par exemple les pièces E-26 et E-26) (sic) .

16. Durant l’affectation de la fonctionnaire s’estimant lésée au Bureau de la francophonie, Marie-Claire Parisien lui a donné de l’encadrement pour l’aider à s’acquitter de ses tâches quotidiennes.

17. Durant l’affectation à l’Unité de recouvrement des amendes, Nadia Normand a travaillé de très près avec la fonctionnaire s’estimant lésée. On avait préparé un manuel assorti de listes de contrôle pour décrire clairement les procédures de bureau (pièce E-55). La gestionnaire du système Caseview, Marilyn Garley, a donné de la formation sur ce logiciel à la fonctionnaire s’estimant lésée.

18. Quand la fonctionnaire s’estimant lésée disait qu’elle avait besoin de formation, on la lui donnait. Par exemple, lors de sa rencontre avec Eugene Williams le 24 avril 2003, elle a dit qu’il lui fallait plus de formation sur la fermeture des dossiers, et cette formation lui a été fournie (pièce E-46).

19. Toutefois, il est important aussi de souligner qu’il est arrivé plus d’une fois qu’on demande expressément à la fonctionnaire s’estimant lésée si elle avait besoin d’autre formation pour faire son travail convenablement, ce à quoi elle répondait par la négative (pièces E-39, E-45 et E-52).

20. On ne peut pas douter que l’employeur soit allé très loin en donnant beaucoup de soutien et de formation à la fonctionnaire s’estimant lésée pour l’aider dans son travail.

Les problèmes de rendement ont été déterminés et discutés régulièrement. Tous les rapports d’évaluation du rendement étaient négatifs.

21. La preuve a montré qu’on a maintes fois constaté et discuté les problèmes de rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée. Clare Barry et Nadia Normand ont témoigné qu’on lui signalait presque quotidiennement des problèmes afin qu’elle puisse corriger ses erreurs.

22. La direction a consacré énormément de temps à des rencontres avec la fonctionnaire s’estimant lésée pour l’informer de ses problèmes de rendement et pour en parler. Voir par exemple les pièces E-7, E-9, E-11, E-13, E-18, E-29, E-33, E-34, E-39, E-43, E-44 E-45, E-46, E-48, E-49, E-50, E-51 et E-52. Cela montre clairement que la direction faisait tout ce qu’elle pouvait pour sensibiliser l’intéressée à ses problèmes de rendement afin d’y remédier. Pourtant, son rendement ne s’est pas amélioré.

23. Des exemples des erreurs de la fonctionnaire s’estimant lésée ont été produits en preuve (pièces E-13, E-35, E-36, E-37, E-54 et E-56).

24. Les évaluations officielles du rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée étaient négatives (pièces E-17 et E-24); qui plus est, on a mis fin à deux de ses affectations plus tôt que prévu (pièces E-24 et E-53).

25. La fonctionnaire s’estimant lésée a confirmé dans son propre témoignage qu’aucun représentant de la direction n’avait quelque chose de positif à dire sur son travail.

26. La fonctionnaire s’estimant lésée blâmait parfois d’autres personnes pour ses erreurs, mais niait rarement que son rendement était mauvais. Les témoins de l’employeur ont déclaré qu’elle et son représentant syndical (quand il y en avait un avec elle) disaient souvent très peu de chose dans les rencontres sur son rendement. C’était le cas même lors de la rencontre du 1 er octobre 2003 avec Tom Beveridge, quand il a déclaré à la fonctionnaire s’estimant lésée et à son représentant syndical que le ministère envisageait de la licencier (pièce E-58, témoignage de Tom Beveridge).

Nature des problèmes de rendement

27. La preuve a révélé que les problèmes de rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée étaient remarquablement similaires dans toutes ses affectations. Il s’agissait :

  • d’un manque de souci du détail, elle ne se relisait pas;
  • d’une incapacité à se rappeler les renseignements et à suivre les instructions;
  • d’erreurs persistantes dans la préparation des documents, des demandes d’autorisation de voyage, etc.;
  • d’une incapacité à maintenir des relations interpersonnelles efficaces.

28. Suzanne Poirier et Marie-Claire Parisien ont confirmé que ces lacunes ont mené à la décision de mettre fin plus rapidement que prévu à l’affectation de l’intéressée au Bureau de la francophonie.

29. Eugene Williams a témoigné d’un problème tout aussi troublant pour la direction, à savoir que la fonctionnaire s’estimant lésée pouvait faire son travail pendant de courtes périodes, mais que les mêmes problèmes finissaient immanquablement par recommencer. Il aurait été déraisonnable pour l’employeur de garder à son service indéfiniment une personne qui ne pouvait faire son travail correctement que de façon sporadique.

30. L’effectif du programme de l’Unité de recouvrement des amendes ne comptait que trois fonctionnaires, de sorte que le piètre rendement de l’intéressée avait de lourdes répercussions sur la charge de travail des deux autres. Eugene Williams, et Nadia Normand ont témoigné que la fonctionnaire s’estimant lésée avait été affectée à l’Unité parce qu’ils étaient débordés de travail et qu’ils avaient besoin d’une secrétaire pour les aider à l’accomplir.

31. Toutefois, non seulement la fonctionnaire s’estimant lésée ne les a pas aidés à faire leur travail, mais son rendement médiocre a en fait largement aggravé la situation. Ses erreurs ont fini par créer beaucoup plus de travail pour les autres (voir les pièces E-37, E-48 et E-56).

32. Nadia Normand a témoigné qu’elle était elle-même tout près de l’épuisement professionnel parce qu’elle était contrainte à travailler avec la fonctionnaire s’estimant lésée; elle a dit avoir déclaré à Eugene Williams qu’elle quitterait l’Unité si l’intéressée continuait d’y travailler. Eugene Williams a témoigné pour sa part que Nadia Normand était la pierre angulaire du programme de recouvrement des amendes. Compte tenu de toutes les circonstances, il n’était tout simplement pas raisonnable de poursuivre l’affectation de la fonctionnaire s’estimant lésée, et c’est pourquoi on y a mis fin le 26 septembre 2003 (pièce E-53).

Difficulté à maintenir des relations interpersonnelles

33. En plus de ses problèmes pour s’acquitter convenablement de ses tâches, la preuve a révélé que la fonctionnaire s’estimant lésée avait des difficultés dans ses relations interpersonnelles avec à peu près tous ses collègues. Par exemple, elle a eu des conflits avec Clare Barry, William Corbett, Jeanette Walker, Brad Allison, François Bonin, Nadia Normand et Claudine Girault.

34. La fonctionnaire s’estimant lésée a déposé une plainte de harcèlement et présenté des griefs contre certaines de ces personnes; toutes les allégations qu’elle y avait faites ont été jugées non fondées (pièces E-19, E-30, E-32 et E-60).

35. À cause de certains de ces conflits, la direction a dû changer la relation hiérarchique et/ou les tâches assignées à la fonctionnaire s’estimant lésée.

36. L’évaluation de Santé Canada s’est conclue par la recommandation, le 28 janvier 2003, que la fonctionnaire s’estimant lésée ne travaille plus avec Clare Barry (pièce E-57, témoignage de Tom Beveridge).

37. Suzanne Poirier a témoigné que la fonctionnaire s’estimant lésée s’isolait et ne faisait aucun effort pour s’entendre avec les autres.

38. La preuve a révélé que la fonctionnaire s’estimant lésée ne s’entendait ni avec ses collègues ni avec ses supérieurs. Il est tout simplement incroyable que des conflits éclataient partout où elle travaillait. Souvent, elle avait une approche très antagoniste envers ses collègues et ses supérieurs. Elle n’a d’ailleurs pas nié qu’il y avait des conflits.

39. La fonctionnaire s’estimant lésée a même témoigné qu’elle avait de la difficulté avec ses nombreux représentants syndicaux et qu’elle avait dû communiquer avec le président du syndicat parce que certains de ses agents ne voulaient pas avoir de rapports avec elle.

40. Par conséquent, non seulement le rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée était insatisfaisant, mais ses mauvaises relations interpersonnelles aggravaient encore la situation, au point qu’il était pratiquement impossible qu’elle travaille dans un service quelconque du ministère.

Bonne foi de la direction et problèmes personnels de la fonctionnaire s’estimant lésée

41. Rien dans la preuve ne laisse entendre que l’employeur n’ait pas agi de bonne foi. Au contraire, il a déployé de grands efforts pour tenter d’aider la fonctionnaire s’estimant lésée à améliorer son rendement.

42. Au début, la direction a laissé une marge de manœuvre à la fonctionnaire s’estimant lésée, sachant que, même si celle-ci avait de l’expérience comme secrétaire, le travail au gouvernement était nouveau pour elle. La fonctionnaire s’estimant lésée a eu différentes affectations afin d’avoir la possibilité de [traduction] « prendre un nouveau départ » et de faire la preuve de sa compétence. Malheureusement, elle n’y est pas parvenue.

43. L’employeur était au courant des problèmes personnels de la fonctionnaire s’estimant lésée. La preuve a démontré qu’elle parlait très régulièrement de ses problèmes avec ses collègues et ses superviseurs. L’employeur a eu de la sympathie pour elle à cet égard. Il lui a conseillé de s’adresser à son PAE. Il lui a volontiers accordé des congés (parfois sans imputer ses absences sur ses crédits de congés). Il a été indulgent pour ses problèmes de rendement et indulgent aussi dans ses évaluations, afin de ne pas aggraver son stress (témoignage de Clare Barry). Suzanne Poirier a témoigné qu’elle avait commencé par avoir de la sympathie pour la fonctionnaire s’estimant lésée quand celle-ci lui parlait de ses problèmes, mais qu’elle a fini par ne plus l’écouter, parce que le travail de l’intéressée en souffrait.

44. L’employeur reconnaît que les employés peuvent parfois avoir des difficultés personnelles qui sapent leur rendement. Il a d’ailleurs des mécanismes de soutien comme le PAE en place pour les aider. Cela dit, les problèmes de rendement ne peuvent pas continuer indéfiniment; l’employé doit en définitive accomplir régulièrement de façon satisfaisante les fonctions pour lesquelles on le paie.

La « question de l’avertissement »

45. L’employeur admet être habituellement tenu d’avertir l’employé qu’il doit avoir un rendement satisfaisant, faute de quoi il pourrait finir par être licencié.

46. Il admet aussi n’avoir pas donné cet avertissement « final » en l’espèce. Néanmoins, la preuve a établi que la fonctionnaire s’estimant lésée savait parfaitement que la direction considérait son rendement comme insatisfaisant depuis longtemps. Dans ses affectations au Bureau de la francophonie ainsi qu’à l’Unité de recouvrement des amendes, elle avait été avertie que l’affectation prendrait fin rapidement si son rendement ne s’améliorait pas, et c’est ce qui est arrivé dans les deux cas.

47. Toutefois, l’examen de la jurisprudence à cet égard laisse entendre que l’obligation d’avertir l’employé n’est pas absolue et que, dans certaines circonstances exceptionnelles où l’avertissement ne servirait à rien, il n’est pas nécessaire de le donner pour justifier le licenciement.

48. L’employeur estime que la présente affaire est exceptionnelle sous cet aspect, et l’analyse de l’arrêt Dansereau [2] étaye son opinion. Même s’il s’agissait dans cette affaire-là d’un licenciement en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (dans la version alors en vigueur), l’employeur soutient que les principes sur lesquels l’arrêt est fondé sont aussi pertinents dans les cas de licenciement pour incompétence en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques .

49. Dans Dansereau, le fonctionnaire avait été pompier à l’aéroport de Dorval pendant neuf ans quand il a été promu chef d’équipe. Jusqu’en septembre 1985, toutes ses évaluations de rendement confirmaient qu’il avait satisfait à toutes les exigences du poste. En 1986, il y a eu une mort tragique dans sa famille. Le fonctionnaire a été absent de son travail du 1er février 1987 au 24 mars 1988, en raison d’une accusation au criminel dont il a fini par être acquitté. À son retour au travail, en mars 1988, les tâches qu’on lui a confiées ne comprenaient pas de supervision. En mai 1988, il a repris ses fonctions de capitaine sans avoir été averti que son rendement était insuffisant. En juin 1988, il a reçu trois rapports d’évaluation de son rendement le jugeant insatisfaisant et remontant à la période qui avait commencé en septembre 1985. L’employeur a averti le fonctionnaire qu’il recommandait sa rétrogradation, mais, en fin de compte, il a plutôt recommandé son renvoi. En novembre 1988, l’évaluation de rendement de l’intéressé concluait qu’il avait satisfait aux normes pour un pompier mais pas pour un chef d’équipe.

50. Le juge d’appel Décary est arrivé à la conclusion suivante au paragraphe 30 de l’arrêt :

Aussi, je conclus sur ce point, pour les fins du présent dossier, que lorsqu’un employé qui a exercé les mêmes fonctions pendant plusieurs années reçoit de façon constante des rapports de rendement satisfaisants et n’est l’objet d’aucune critique sérieuse de la part de son employeur, il se dégage une présomption qu’il a la compétence voulue pour exercer lesdites fonctions et l’employeur, sauf circonstances extraordinaires ou pressantes, ne saurait le congédier pour cause d’incompétence à moins qu’il ne l’ait informé des lacunes qui lui sont reprochées, qu’il ne lui ait donné la possibilité de les corriger et qu’il ne lui ait indiqué les dangers de congédiement auxquels il s’exposait s’il ne les corrigeait pas. Chaque cas, bien sûr, en sera un d’espèce et le type d’avertissement ainsi que la période de correction varieront au gré des circonstances. [C’est moi qui souligne]

51. Dans cette citation, il est reconnu que la règle de l’avertissement peut être assouplie dans certaines circonstances et que le type d’avertissement varie aussi selon les circonstances.

52. Les faits de l’affaire Dansereau sont nettement différents de ceux de la présente espèce. La fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas de longs états de service : elle n’avait travaillé pour l’employeur qu’environ trois ans et demi au moment de son licenciement. Elle n’a pas non plus reçu de façon constante des rapports d’évaluation satisfaisants. En fait, c’est exactement le contraire puisque aucun témoin de l’employeur n’a donné une évaluation positive du rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée; elle l’a reconnu, d’ailleurs. Tant qu’elle a été au service de l’employeur, son rendement a été insuffisant, et la direction le lui a fait savoir. Il ne pouvait pas exister de présomption qu’elle avait la compétence nécessaire pour exécuter son travail.

53. L’arrêt Dansereau pose aussi le principe que le type d’avertissement et la période de correction varient selon les circonstances. Or, la fonctionnaire s’estimant lésée avait été avertie que ses affectations prendraient fin rapidement si son rendement ne s’améliorait pas. En dépit de ces avertissements, il n’y a pas eu d’amélioration.

54. L’employeur est d’avis que, dans les circonstances exceptionnelles de la présente affaire, un avertissement final n’aurait servi à rien. Tom Beveridge a témoigné être honnêtement convaincu, en se disant réaliste, qu’il n’y avait pas de chances d’amélioration. On avait constaté une incompétence évidente. Personne n’avait quoi que ce soit de bon à dire sur le rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée. Elle avait reçu diverses affectations avec différents superviseurs et différents collègues, et pourtant on n’avait constaté aucune amélioration.

55. La fonctionnaire s’estimant lésée avait de la difficulté à dactylographier, à tenir un registre de la correspondance, à traiter des demandes de remboursement de frais de voyage et d’accueil et à se servir de logiciels comme RIMS, Caseview, ICON, et ainsi de suite. On lui avait donné beaucoup de formation et fourni beaucoup d’encadrement, mais, en fin de compte, c’était à elle d’avoir le souci du détail et de se relire. Ses fonctions étaient les mêmes que celles de tous les postes de secrétariat et de soutien administratif au ministère. Si elle n’arrivait pas à s’acquitter de ces tâches dans les postes qu’elle avait occupés, il était raisonnable de conclure qu’elle serait incapable de les accomplir ou d’accomplir des tâches analogues dans un autre poste quelconque, même avec d’autres avertissements.

56. Tom Beveridge était aux prises avec une situation difficile en septembre 2003. Dans le contexte décrit jusqu’ici, il avait une employée dont l’affectation à l’Unité de recouvrement des amendes allait bientôt prendre fin. Au vu des problèmes de rendement de l’intéressée, il était clair qu’elle ne pouvait pas être affectée ailleurs. Par conséquent, elle allait devoir retourner à son poste d’attache à la DDP. Toutefois, Me Beveridge était au courant aussi du conflit entre la fonctionnaire s’estimant lésée et Clare Barry, un conflit qui avait abouti à des accusations de harcèlement. Il savait en outre que Santé Canada avait recommandé que la fonctionnaire s’estimant lésée ne soit pas réintégrée à la DDP. Il a donc conclu que la seule chose à faire était de la licencier et qu’un avertissement de plus n’aurait rien donné. Dans un courriel daté du 12 septembre 2003 (pièce E-61), la fonctionnaire s’estimant lésée elle-même se demandait si ce serait une bonne idée qu’elle retourne à la DDP à la fin de son affectation à l’Unité de recouvrement des amendes.

57. Bref, pour conclure sur la question de « l’avertissement », l’employeur maintient qu’il s’agissait en l’espèce de circonstances exceptionnelles où un avertissement final ne s’imposait pas pour justifier le licenciement. De toute évidence, il aurait été préférable qu’un tel avertissement soit donné, mais, en analysant l’affaire dans son ensemble, le fait qu’il n’a pas été donné n’est pas fatal à la thèse de l’employeur ni incompatible avec le principe de l’avertissement établi dans Nnagbo .

Effet de l’arrêt Gannon

58. Le président Tarte a demandé que les parties lui soumettent des observations sur la question de savoir si l’arrêt Gannon [3] était applicable à la fonctionnaire s’estimant lésée, étant donné qu’il s’agissait dans cet arrêt d’un congédiement pour motif disciplinaire alors qu’il s’agit ici d’un licenciement pour incompétence (non disciplinaire).

59. Bien que l’employeur n’y souscrive pas, il admet que l’arrêt Gannon lie l’arbitre de grief. En définitive, cet arrêt a été fondé sur le paragraphe 11(4) de la LGFP , qui dispose que tous les licenciements doivent être motivés. L’interprétation de l’employeur est que cela s’appliquerait aussi bien aux congédiements pour motif disciplinaire qu’aux licenciements pour motif non disciplinaire. Par conséquent, on ne saurait établir de distinction sur cette base, de sorte que l’arrêt s’applique tout aussi bien en l’espèce.

60. Toutefois, compte tenu de la position de l’employeur, à savoir que le licenciement était motivé, la question d’une indemnité tenant lieu de réintégration ne se pose pas ici.

Conclusion

61. L’affaire est difficile parce que la fonctionnaire n’était tout simplement pas capable de s’acquitter des fonctions requises. L’employeur a toujours agi de bonne foi; il a précisé ses attentes à la fonctionnaire s’estimant lésée et lui a donné beaucoup de formation et d’encadrement, en lui offrant aussi amplement de possibilités d’améliorer son rendement. Le rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée ne s’est jamais amélioré. Même en lui accordant le bénéfice du doute et en tenant pleinement compte des problèmes personnels qu’elle éprouvait, l’employeur est arrivé à la conclusion raisonnable que la situation ne changerait pas, même avec un autre avertissement.

62. L’employeur a envisagé d’autres solutions. La fonctionnaire s’estimant lésée a reçu diverses affectations. À la fin, la direction a conclu qu’il ne servirait à rien de lui offrir d’autres affectations, parce que ses lacunes étaient manifestes dans des tâches communes à tous les postes de secrétariat et de soutien administratif. La fonctionnaire s’estimant lésée a eu la possibilité de démissionner avec une indemnité de cessation d’emploi négociée (pièce E-58, témoignage de Tom Beveridge), mais elle ne s’est jamais prévalue de cette option.

63. L’employeur est d’avis qu’il a été très patient en tentant d’aider la fonctionnaire s’estimant lésée à porter son rendement à un niveau satisfaisant et qu’il s’est acquitté de ses obligations de prouver l’existence d’une raison valable pour le licenciement.

64. En outre, si la fonctionnaire s’estimant lésée devait être réintégrée, la situation ne serait pas différente de ce qu’elle était avant son licenciement, et l’on ne saurait raisonnablement espérer qu’elle puisse avoir un rendement satisfaisant. La fonctionnaire s’estimant lésée elle-même l’a admis en contre-interrogatoire, en disant que les choses pourraient empirer si elle était réintégrée.

65. Pour tous les motifs qui précèdent, l’employeur demande que le grief soit rejeté.

Pour la fonctionnaire pour l’ensemble s’estimant lésée

[Traduction]

1). La fonctionnaire s’estimant lésée est d’avis que l’employeur ne s’est pas acquitté de ses obligations et n’a pas démontré qu’il était fondé à la licencier pour un motif non disciplinaire, conformément à l’alinéa 11(2) g ) de la Loi sur la gestion des finances publiques .

2). L’observation des principes établis dans Nnagbo[4] doit être prouvée pour qu’on puisse conclure qu’un licenciement pour incompétence est justifié. Dans Nnagbo , le président Tarte a déclaré ce qui suit :

Lorsque l’employeur veut licencier un fonctionnaire pour incompétence, il doit montrer :

- qu’il a agi de bonne foi;

- qu’il a fixé des normes de rendement appropriées qui ont été clairement communiquées au fonctionnaire;

- qu’il a donné au fonctionnaire les outils, la formation et l’encadrement nécessaires pour qu’il puisse atteindre les normes fixées dans un délai raisonnable;

- qu’il a averti le fonctionnaire par écrit que s’il n’atteignait pas les normes fixées dans le délai — qui doit être raisonnable — fixé, il serait licencié;

- que le fonctionnaire n’a pas satisfait à ces normes.

L’employeur a reformulé ces obligations dans son Manuel du Conseil du Trésor, mentionné plus haut, et il a ajouté à la liste l’obligation d’explorer les solutions autres que le licenciement et la rétrogradation pour un motif valable et suffisant [5]. [C’est moi qui souligne.]

3). Ces principes figurent aussi dans les Lignes directrices du Conseil du Trésor concernant la rétrogradation et le licenciement non disciplinaire pour un motif valable (pièce E-4).

4). La fonctionnaire s’estimant lésée soutient que l’employeur ne s’est pas conformé à ces principes. Plus précisément, il ne lui a pas toujours clairement communiqué les normes de rendement jugées appropriées, et la fonctionnaire s’estimant lésée n’a jamais été avertie par écrit que, si elle n’atteignait pas les normes fixées dans un délai raisonnable, elle serait licenciée; l’employeur ne lui a pas non plus donné une dernière chance d’atteindre ces normes.

Crédibilité des témoins

5). Dans ses observations, l’employeur déclare que, dans les situations où le témoignage de la fonctionnaire s’estimant lésée contredit celui des témoins de l’employeur, il faudrait accorder la préférence à ces derniers. L’employeur prétend que la crédibilité de la fonctionnaire s’estimant lésée est suspecte à certains égards et il donne des exemples pour expliquer sa position.

6). À notre avis, la fonctionnaire s’estimant lésée a dit la vérité dans son témoignage, à sa connaissance.

Les attentes et les normes de rendement n’ont pas toujours été clairement communiquées à la fonctionnaire s’estimant lésée

7). La fonctionnaire s’estimant lésée a été embauchée comme occasionnelle le 28 août 2000, dans un poste de SCY-03 (pièce 6). Elle n’avait précédemment acquis aucune expérience au gouvernement fédéral. Jeannette Walker, une autre employée de soutien administratif, a été chargée de la former et de l’aider à comprendre les procédures de bureau (pièce E-7).

8). Bien qu’on ait parlé des tâches à accomplir et souligné ses erreurs à la fonctionnaire s’estimant lésée, on ne lui a pas toujours clairement communiqué les buts et objectifs. La fonctionnaire s’estimant lésée a témoigné avoir reçu de la formation de deux personnes différentes à l’Unité de recouvrement des amendes; ces personnes donnaient des réponses différentes à ses questions et étaient souvent trop occupées par leur propre travail pour pouvoir lui répondre.

9). On ne lui a pas donné de buts ni d’objectifs durant son séjour au Service fédéral des poursuites, du 28 août 2000 au 27 octobre 2001.

10). La fonctionnaire s’estimant lésée a accepté une affectation au Bureau de la francophonie du ministère de la Justice à partir du 27 octobre 2001. Bien qu’on l’ait informée des tâches qu’elle allait devoir accomplir, on ne lui a pas fixé de buts ni d’objectifs au début de son affectation.

11). À la fin de son affectation au Bureau de la francophonie, le 25 janvier 2002, la fonctionnaire s’estimant lésée est retournée au Service fédéral des poursuites, où on lui a remis une liste d’objectifs le 28 janvier 2002 (pièce E-25). Toutefois, elle a accepté une affectation commençant le 18 février 2002 à la Cour de l’impôt, de sorte que ces objectifs n’étaient plus pertinents (pièce E-31).

12). La seule fois qu’on a donné à la fonctionnaire s’estimant lésée des objectifs clairs par écrit au début d’une affectation, c’est quand elle les a demandés, à l’Unité de recouvrement des amendes (pièce E-37 (onglet 2b)). On lui a aussi donné une liste de ses tâches à ce moment-là (pièce E-37 (onglet 2b)). À la demande de l’employeur, la liste des tâches ainsi que des objectifs ont été donnés à la fonctionnaire s’estimant lésée en présence d’un représentant syndical, même si cette affectation à l’Unité de recouvrement des amendes était censée être pour elle une occasion de [traduction] « prendre un nouveau départ ».

Les problèmes de rendement n’ont pas toujours été clairement déterminés et l’on n’a pas toujours pris des mesures claires pour y remédier

13). Durant son séjour au Service fédéral des poursuites, on n’a pas fait savoir à la fonctionnaire s’estimant lésée qu’on n’était pas satisfait de son rendement. Clare Barry, avocate générale principale et directrice de la Section du droit pénal, a témoigné qu’elle ne se rappelait pas avoir reproché quoi que ce soit à la fonctionnaire s’estimant lésée au sujet de son rendement, si ce n’est lui avoir signalé des erreurs précises et lui avoir demandé de les corriger.

14). C’est le 27 juillet 2001 que la fonctionnaire s’estimant lésée a été informée pour la première fois qu’elle avait des problèmes de rendement, quand l’employeur lui a remis sa première et dernière évaluation de rendement. Bien qu’il ait coché la case du formulaire attestant qu’il était incapable de l’évaluer, l’employeur a reproché à la fonctionnaire s’estimant lésée d’être inconstante, d’avoir de mauvaises relations interpersonnelles et de manquer d’esprit d’équipe. Pourtant, il a aussi déclaré s’attendre que son rendement s’améliore avec plus d’expérience (pièce E-17).

Situation personnelle

15). Pendant une grande partie de son emploi au gouvernement fédéral, la fonctionnaire s’estimant lésée avait beaucoup de stress personnel. En avril 2001, elle s’est séparée de son mari et a été arrêtée pour l’avoir prétendument agressé. Elle a dû quitter le domicile conjugal et est allée habiter dans un refuge pour femmes. Il n’est donc pas étonnant qu’elle ait eu des problèmes de rendement aussi bien avant qu’après ce moment-là.

16). On avait fixé au 10 janvier 2002 la date du procès pour l’accusation de voies de fait qui pesait contre elle. La fonctionnaire s’estimant lésée a été informée le 30 novembre 2001, par Suzanne Poirier, qu’elle avait des problèmes de rendement et qu’elle allait être en stage probatoire pendant un mois; si les résultats n’étaient pas satisfaisants, on mettrait fin à son affectation (pièce E-34). Le 11 janvier 2002, le lendemain du retrait des accusations de voies de fait, on l’a informée qu’on mettait fin à son affectation. Dans ce cas-là encore, il n’est pas étonnant qu’elle ait eu des problèmes de rendement au cours de son dernier mois au Bureau de la francophonie.

17). Le 24 février 2002, la fonctionnaire s’estimant lésée a été gravement blessée dans un accident; elle a été en congé jusqu’au 4 juillet 2002, date à laquelle elle a repris le travail, au service des questions et de la politique des victimes. Cette affectation a pris fin après trois mois; la fonctionnaire s’estimant lésée a été renvoyée chez elle jusqu’à ce qu’on puisse lui faire subir une évaluation de son aptitude au travail (pièces G-7 et G-8). On l’a envoyée voir un psychologue, un psychiatre puis un médecin pour cette évaluation. Ce congé forcé a duré quatre mois, jusqu’à ce qu’elle commence son affectation à l’Unité de recouvrement des amendes.

18). La fonctionnaire s’estimant lésée avait encore des problèmes personnels quand elle a débuté à l’Unité de recouvrement des amendes, le 20 février 2003. On lui a toutefois dit qu’elle ne pourrait pas en parler au travail, parce que les tâches de l’Unité étaient très stressantes (pièce E-38).

Aucun avertissement

19). L’employeur n’a pas averti la fonctionnaire s’estimant lésée par écrit que, si elle n’atteignait pas les normes de rendement dans un délai raisonnable, elle serait licenciée. L’employeur le reconnaît.

20). La fonctionnaire s’estimant lésée n’a jamais été informée même de vive voix qu’elle allait être licenciée si son rendement ne s’améliorait pas. Suzanne Poirier lui a dit que son affectation au Bureau de la francophonie prendrait fin rapidement si son rendement ne s’améliorait pas (pièce E-34), ce qui aurait signifié qu’elle devrait retourner à son poste d’attache au Service fédéral des poursuites.

21). À la fin de son affectation à la Division des questions des victimes, le 4 octobre 2002, la fonctionnaire s’estimant lésée s’est fait dire qu’on la renvoyait chez elle jusqu’à ce que Santé Canada puisse évaluer son aptitude à travailler. Il n’y avait là aucune indication que l’employeur envisageait son licenciement.

22). La fonctionnaire s’estimant lésée est retournée au travail à l’Unité de recouvrement des amendes le 20 février 2003. Durant son séjour à l’Unité, on ne l’a jamais informée, verbalement ou par écrit, qu’elle serait licenciée. Cette fois-là aussi, son superviseur lui a dit que son affectation prendrait fin si son rendement ne s’améliorait pas.

23). La première fois qu’on a parlé de licenciement à la fonctionnaire s’estimant lésée, c’était le 1 er octobre 2003, lors d’une rencontre avec Tom Beveridge, quand il lui a dit que son licenciement pour incompétence était une possibilité (pièce E-58). Elle n’a jamais été informée, verbalement ou par écrit, qu’elle serait licenciée si son rendement ne s’améliorait pas. Quoiqu’il ne l’ait pas avertie comme il se devait, l’employeur l’a licenciée, presque deux mois plus tard, le 26 novembre 2003.

24). Au paragraphe 47 de ses observations, l’employeur affirme que [traduction] « l’obligation d’avertir l’employé n’est pas absolue et que, dans certaines circonstances exceptionnelles où l’avertissement ne servirait à rien, il n’est pas nécessaire de le donner pour justifier le licenciement. »

25). L’employeur invoque l’arrêt Danserau[6]de la Cour d’appel fédérale pour étayer sa position.

26). La fonctionnaire s’estimant lésée allègue qu’il n’existe pas en l’espèce de circonstances extraordinaires ou pressantes qui justifieraient un assouplissement de la règle de l’avertissement obligatoire. Tout ce qui est « extraordinaire », c’est que l’employeur ne s’est pas conformé aux principes reconnus dans Nnagbo et dans sa propre politique.

27). L’employeur a attendu deux mois avant d’informer la fonctionnaire s’estimant lésée qu’elle était licenciée. Pendant ce temps, il aurait pu lui donner un avertissement final par écrit et une dernière chance d’améliorer son rendement, mais il ne l’a pas fait. En réalité, la fonctionnaire s’estimant lésée s’est vu refuser le droit d’être traitée conformément aux principes applicables et à la politique même de l’employeur.

28). Donner à la fonctionnaire s’estimant lésée un avertissement final que son emploi dans la fonction publique cesserait si elle n’améliorait pas son rendement aurait pu servir de catalyseur d’une amélioration. Eugene Williams a témoigné que la fonctionnaire s’estimant lésée pouvait exécuter son travail pendant de courtes périodes, mais que ses problèmes recommençaient immanquablement. La menace de licenciement aurait pu être utile, dans cette affaire. C’est pour cette raison que la procédure existe, une procédure que l’employeur n’a de toute évidence pas respectée.

Effet de l’arrêt Gannon[7]

29). La fonctionnaire s’estimant lésée admet que l’arbitre de grief est lié par l’arrêt Gannon de la Cour d’appel fédérale, fondé sur le paragraphe 11(4) de la LGFP , qui dispose que le licenciement pour des raisons disciplinaires ou non disciplinaires doit être motivé. Il n’y a donc aucune distinction à faire en l’espèce, et l’arrêt Gannon s’applique.

Conclusion

30). Dans cette affaire, une fonctionnaire est passée d’affectation en affectation durant une période où elle vivait une situation personnelle extrêmement difficile. Elle aurait dû à tout le moins bénéficier de la propre politique de l’employeur et se voir donner un avertissement final ainsi qu’une dernière chance d’améliorer son rendement et de prouver qu’elle pouvait travailler régulièrement de façon satisfaisante.

31). Pour tous les motifs qui précèdent, la fonctionnaire s’estimant lésée demande que son grief soit accueilli et qu’elle soit réintégrée avec dédommagement intégral.

32). Dans l’éventualité où le grief serait accueilli, la fonctionnaire s’estimant lésée considère que l’arbitre de grief devrait demeurer saisi de l’affaire afin de pouvoir rendre une décision sur la question du dédommagement si les parties n’arrivaient pas à s’entendre à cet égard.

Réplique de l’employeur

[Traduction]

Paragraphes 7 à 12 inclusivement – Les attentes et les normes de rendement n’ont pas toujours été clairement communiquées à la fonctionnaire s’estimant lésée

  1. La preuve a démontré que la fonctionnaire s’estimant lésée savait ce que l’employeur attendait d’elle. Elle comprenait clairement ce que ses tâches comportaient et ce que ses objectifs étaient. La preuve a établi qu’elle n’a jamais contesté ses objectifs et qu’elle ne les a jamais rejetés. Les attentes et les objectifs lui ont été suffisamment communiqués.

Paragraphes 13 et 14 – Les problèmes de rendement n’ont pas toujours été clairement déterminés et l’on n’a pas toujours pris des mesures claires pour y remédier

  1. Me Barry a témoigné qu’elle avait commencé par se dire que les problèmes de rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée étaient probablement attribuables au fait qu’elle débutait au gouvernement et qu’elle apprenait encore son travail. Néanmoins, Me Barry a bel et bien témoigné avoir constaté très tôt plusieurs problèmes de rendement et les avoir signalés à la fonctionnaire s’estimant lésée [traduction] « sinon quotidiennement, au moins tous les deux jours ». Bref, elle a témoigné qu’elle ne croyait pas — au début du moins — qu’il s’agissait d’une question d’incompétence. Elle a plutôt accordé le bénéfice du doute à la fonctionnaire s’estimant lésée, en lui laissant le temps d’apprendre à faire son travail.
  2. Au paragraphe 14 de ses observations, la fonctionnaire s’estimant lésée a déclaré que : [traduction] « C’est le 27 juillet 2001 [qu’elle] a été informée pour la première fois qu’elle avait des problèmes de rendement », ce qui est contraire à la preuve. On lui a parlé de ses problèmes et de ses lacunes de rendement bien avant cette date : on en trouve des exemples dans les pièces E-7 (rencontre du 12 décembre 2000 avec la fonctionnaire s’estimant lésée et Jeannette Walker), E-9 (rencontre du 27 février 2001 entre la fonctionnaire s’estimant lésée et Clare Barry au sujet des problèmes relatifs aux demandes de remboursement de frais de voyage) et E-13 (exemples des fautes de la fonctionnaire s’estimant lésée remontant au 17 avril 2001).
  3. De toute évidence, la fonctionnaire s’estimant lésée savait bien avant le 27 juillet 2001 qu’on était insatisfait de son rendement.

Paragraphes 15 à 18 inclusivement – Situation personnelle

  1. L’employeur ne conteste pas qu’il savait que la fonctionnaire s’estimant lésée avait des problèmes personnels. La preuve a démontré qu’il a fait preuve d’une grande compassion et qu’il a toléré très patiemment les problèmes de rendement de l’intéressée parce qu’il était conscient du stress personnel qu’elle subissait.
  2. Au paragraphe 16 de ses observations, la fonctionnaire s’estimant lésée établit un lien entre ses problèmes de rendement et sa situation personnelle au début de janvier 2002. Il faut bien souligner que la tâche qu’on lui avait confiée à ce moment-là était toute simple et facile, puisqu’il s’agissait de redactylographier une description de poste (pièces E-35 et E-54). La fonctionnaire s’estimant lésée s’était expressément fait dire qu’on n’attendait pas le texte à une date précise et que ce n’était pas urgent. Elle a accepté cette tâche et n’a pas dit qu’elle n’était pas en mesure de la terminer à cause de sa situation personnelle ou de quelque autre raison. En dépit de tout cela, le travail qu’elle a fait cette fois-là n’était vraiment pas satisfaisant (témoignages de Suzanne Poirier et de Marie-Claire Parisien).
  3. Au paragraphe 18 de ses observations, la fonctionnaire s’estimant lésée a déclaré s’être fait dire [traduction] « qu’elle ne pourrait pas en parler [de ses problèmes personnels] au travail [à l’Unité de recouvrement des amendes] », et c’est fausser la preuve. Eugene Williams a témoigné en effet qu’il était au courant des problèmes personnels de la fonctionnaire s’estimant lésée avant qu’elle ne se joigne à son Unité, puisqu’elle lui avait déjà demandé conseil au sujet d’une enquête policière. Il a donc décidé de lui préciser ses attentes parce qu’il préférait qu’elle ne parle pas de sa situation personnelle avec les autres employés. Les remarques qu’il fait à la section n o 2, intitulée [traduction] « Protocole de bureau », de sa note de service du 3 mars 2003 (pièce E-38) reflètent la raison pour laquelle il avait soulevé cette question auprès de la fonctionnaire s’estimant lésée. Ce qu’il a fait à cet égard était plus que raisonnable.

Paragraphes 19 à 28 inclusivement – Aucun avertissement

  1. L’employeur admet n’avoir pas averti la fonctionnaire s’estimant lésée qu’elle pourrait être licenciée si son rendement ne s’améliorait pas. Néanmoins, quand on analyse l’affaire dans son ensemble, il faut bien reconnaître que l’intéressée aurait dû savoir que la direction n’avait pas confiance en sa capacité à s’acquitter de ses fonctions. Aucun représentant de la direction n’avait quelque chose de positif à dire sur son travail. Une affectation après l’autre s’était terminée plus tôt que prévu à cause de son piètre rendement, et ce, en dépit du fait qu’on l’avait avertie qu’une amélioration s’imposait. La fonctionnaire s’estimant lésée a d’ailleurs reconnu dans son propre témoignage que la plupart de ses superviseurs n’avaient pas une bonne opinion de son travail.
  2. En ce qui concerne le paragraphe 23, Tom Beveridge a bel et bien dit à la fonctionnaire s’estimant lésée dans leur rencontre du 1er octobre 2003 que son emploi était menacé. La fonctionnaire s’estimant lésée n’est jamais retournée au travail après cette rencontre : la direction lui avait enjoint de rester chez elle pendant que l’enquête se poursuivait. La direction a soigneusement étudié la situation, en se demandant si une autre affectation ailleurs serait faisable. En définitive, elle a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée ne serait performante dans aucun poste au ministère avec ses lacunes. Elle lui a aussi offert une possibilité de règlement, dont l’intéressée ne s’est pas prévalue, en fin de compte. Tous ces efforts ont pris un certain temps, et ce n’est que le 26 novembre 2003 que la direction a informé la fonctionnaire s’estimant lésée de sa décision de la licencier.
  3. L’employeur réitère sa position : il s’agit ici d’une affaire exceptionnelle où la preuve a clairement montré qu’un avertissement final n’aurait servi à rien. Même après avoir été avertie plus d’une fois qu’elle devait améliorer son rendement, la fonctionnaire s’estimant lésée n’a jamais réussi à le faire, et ses affectations ont donc toutes pris fin plus tôt que prévu. Il n’y avait aucune possibilité raisonnable que d’autres avertissements ou d’autres chances de faire ses preuves lui permettent d’améliorer son rendement. L’employeur a été extrêmement patient à son endroit, mais tous ses efforts pour tenter de l’aider n’ont rien donné.
  4. Même à l’audience d’arbitrage de son grief, la fonctionnaire s’estimant lésée n’a donné à l’employeur aucun espoir que son rendement serait satisfaisant si elle devait être réintégrée. En fait, elle a témoigné que les choses pourraient empirer.
  5. La preuve a démontré à l’évidence des lacunes de rendement constantes dans toutes les affectations de la fonctionnaire s’estimant lésée. Tom Beveridge et Eugene Williams ont témoigné qu’elle avait fait la preuve qu’il lui était impossible de s’acquitter de façon satisfaisante des fonctions de base de tous les postes de secrétariat/de soutien administratif (c.-à-d. maîtrise de Caseview et d’ICON, ainsi que de la dactylographie et de la correction d’épreuves). La direction est donc arrivée à une décision raisonnable et équitable en concluant que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas la compétence voulue pour être performante dans un autre poste et qu’un avertissement final quelconque serait futile.
  6. L’employeur maintient que les « circonstances extraordinaires » mentionnées par la Cour dans Dansereau[8] existaient précisément en l’espèce; ces circonstances justifient un assouplissement de l’obligation de donner un avertissement et justifient la conclusion qu’il y avait une raison valable de licencier la fonctionnaire s’estimant lésée.

Conclusion

  1. L’employeur maintient sa position qu’il s’est conformé aux principes établis dans Nnagbo[9] et Dansereau (supra) et qu’il a prouvé qu’il avait une raison valable de licencier la fonctionnaire s’estimant lésée.
  2. Pour tous les motifs énoncés précédemment, l’employeur demande à nouveau que le grief soit rejeté.

Motifs

115 L’employeur a déclaré que le rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée durant ses trois ans et demi au ministère de la Justice a toujours été insatisfaisant. Bien que la preuve produite étaye clairement sa position, je n’en suis pas moins troublé, parce qu’il a offert à Mme Morissette, en quelques années au ministère, un emploi d’occasionnelle, une nomination pour une période déterminée d’un an, une nomination pour une période indéterminée avec stage probatoire et enfin le statut de fonctionnaire permanente nommée pour une période indéterminée. J’ai peine à croire que l’employeur ait offert ce statut à une fonctionnaire dont il dit maintenant qu’elle a été incompétente pendant la plus grande partie de son emploi au ministère de la Justice.

116 Je suis convaincu que l’employeur a donné à Mme Morissette les conseils et la formation voulus ainsi que les outils nécessaires pour atteindre des normes de rendement minimales qui lui ont été clairement communiquées. Pourtant, toute la formation et les nombreux conseils qu’il a prodigués à la fonctionnaire s’estimant lésée semblent avoir été peine perdue.

117 Dans les cas où la preuve de la fonctionnaire s’estimant lésée contredit la preuve bien documentée produite par les témoins de l’employeur, j’accepte la version de ces derniers sans réserve.

118 Dans son témoignage, Mme Morissette a parfois été extrêmement précise; elle se rappelait exactement ce qui avait été dit plus de trois ans avant. Par contre, dans bien d’autres cas, elle était extrêmement vague. Son incapacité à se rappeler plusieurs rencontres sur lesquelles les témoins de l’employeur avaient des notes détaillées prises à l’époque — ou sa réticence à le faire — en dit long sur son manque de crédibilité comme témoin. C’est défier la crédibilité que de prétendre, comme elle l’a fait, que l’employeur avait inventé une preuve dans le cadre d’une conspiration tramée pour la discréditer. Hormis les allégations gratuites et opportunistes de Mme Morissette elle-même, absolument rien dans la preuve ne laisse entendre que l’employeur ait fabriqué une preuve pour la discréditer, voire qu’il avait une raison quelconque d’agir de la sorte.

119 Mme Morissette ne semble pas se rendre compte de toute l’incompétence dont elle a régulièrement fait preuve quand elle était au service du ministère de la Justice. Il se peut que ses graves problèmes conjugaux d’alors aient miné sa capacité à avoir un rendement satisfaisant. Il est possible aussi, quoiqu’on puisse en douter, que le choc d’un avertissement final par écrit l’aurait incitée à changer de comportement et à améliorer son rendement jusqu’à un niveau acceptable pour l’employeur.

120 Toutefois, l’employeur ne lui a pas donné l’avertissement voulu qu’elle pourrait être licenciée faute de s’améliorer.

121 Dans une situation comme celle-là, l’employeur doit démontrer :

  • qu’il a agi de bonne foi;
  • qu’il a fixé des normes de rendement appropriées qui ont été clairement communiquées au fonctionnaire;
  • qu’il a donné au fonctionnaire les outils, la formation et l’encadrement nécessaires pour qu’il puisse atteindre les normes fixées dans un délai raisonnable;
  • qu’il a averti le fonctionnaire par écrit que s’il n’atteignait pas les normes fixées dans le délai — qui doit être raisonnable — fixé, il serait licencié;
  • que le fonctionnaire n’a pas satisfait à ces normes dans le délai fixé.

122 Ces obligations imposées à l’employeur dans les cas de licenciement pour incompétence sont exposées dans Nnagboc. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2001 CRTFP 1. Elles figurent aussi, sous une forme moins précise toutefois, dans les propres lignes directrices de l’employeur concernant la rétrogradation et le licenciement pour un motif valable (pièce E-4). Dans une affaire comme la présente, l’employeur doit s’acquitter de toutes les obligations établies dans Nnagbo (supra).

123 En l’espèce, l’employeur a lamentablement failli à la tâche en ne respectant pas la règle la plus fondamentale d’équité selon laquelle un fonctionnaire insatisfaisant doit se voir donner un avertissement clair par écrit des conséquences de ne pas atteindre dans un délai raisonnable les normes de rendement qui lui ont été communiquées.

124 Le fait que l’employeur n’a donné aucun avertissement à Mme Morissette qu’elle serait licenciée si elle n’arrivait pas à un rendement suffisant dans un délai raisonnable invalide son licenciement et ne me laisse d’autre choix que de la réintégrer dans son poste au ministère de la Justice.

125 L’employeur n’a fait la preuve d’aucune circonstance extraordinaire ou exceptionnelle qui me convaincrait de déroger à l’application des règles normales.

126 Bien au contraire, il a continué d’employer Mme Morissette alors qu’il aurait facilement pu ne pas la nommer pour une période indéterminée, laisser sa nomination pour une période déterminée expirer ou la renvoyer en cours de stage. Son manque de rigueur dans sa gestion et son mépris d’une règle absolument fondamentale d’équité en matière d’emploi font qu’il se retrouve dans cette malheureuse situation.

127 L’absence d’avertissement final clair par écrit à Mme Morissette me laisse quand même me demander comment cette dernière aurait réagi si elle avait en fait reçu un tel avis. Une telle épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête l’aurait-elle incitée à enfin avoir un rendement satisfaisant? Je l’ignore. C’est à l’employeur qu’il incombait de démontrer qu’un avertissement final ne servirait à rien, et il ne l’a pas fait. Comme Mme Morissette avait parfois été capable de travailler de façon satisfaisante et que l’employeur a continué de l’employer alors qu’il n’était pas tenu de le faire, je dois accorder le bénéfice du doute à Mme Morissette.

128 Si j’étais parvenu à la conclusion que Mme Morissette était irrémédiablement incompétente et n’arriverait pas à un rendement satisfaisant, je lui aurais donné trois mois de rémunération pour la dédommager de l’absence de préavis de l’employeur. Dans une affaire comme celle-ci, les principes établis dans Gannon (supra) ne s’appliqueraient pas puisque j’aurais abouti à la conclusion que le licenciement était justifié. Mon interprétation de l’arrêt Gannon (supra) est qu’il s’applique dans les situations où un arbitre de grief conclut qu’un licenciement n’était pas justifié. Dans ces cas-là, la réintégration avec ou sans une pénalité moins lourde est obligatoire. En l’espèce, je ne peux simplement pas avancer d’hypothèse sur ce que le rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée aurait été si l’employeur lui avait donné l’avertissement écrit qui était requis.

129 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

130 J’ordonne que Mme Morissette soit réintégrée dans son poste au ministère de la Justice sans aucune perte à l’égard de la rémunération ou des avantages sociaux.

Le 1er février 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Yvon Tarte,
arbitre de grief


1 Nnagbo c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada) (166-02-30045)

2 Dansereau c. Canada (Comité d’appel de la fonction publique ), [1991] 1 C.F. 444, A-144-90.

3 Gannon c. Canada (Procureur général) , 2004 CAF 417.

4 Nnagbo c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada) (166-02-30045)

5 2 Ibid., paragr. 53-54.

6 Dansereau c. Canada (Comité d’appel de la fonction publique), [1991] 1 C.F. 444 (C.A.F.).

7 Gannon c. Canada (Procureur général) , 2004 CAF 417.

8 Dansereau c. Canada (Comité d’appel de la fonction publique), [1991] 1 C.F. 444, A-144-90.

9 Nnagbo c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada) (166-02-30045)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.