Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a demandé un congé d’études en 20032004 pour terminer son baccalauréat en soins infirmiers, une indemnité d’études et de l’aide pour payer les manuels et les cours - l’employeur avait décidé de ne pas accorder de congé d’études en 20032004 et a rejeté la demande de la fonctionnaire s’estimant lésée - la fonctionnaire s’estimant lésée a néanmoins terminé son baccalauréat dans ses temps libres - l’arbitre de grief a conclu que la convention collective n’indiquait pas quelles dépenses en matière d’éducation étaient admissibles à un remboursement et qu’il n’était pas habilité à traiter cet aspect du grief - il a également conclu qu’en ayant recours à une politique générale selon laquelle aucun congé d’études ne serait accordé en 20032004, l’employeur n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire, ce qui équivaut à une conduite arbitraire et à un acte de mauvaise foi. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-10-17
  • Dossier:  166-02-34755
  • Référence:  2006 CRTFP 113

Devant un arbitre de grief



ENTRE

PAULA EWEN

fonctionnaire s’estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Ewen c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant : Barry D. Done, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Neil Harden, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Adrian Bieniasiewicz, avocat


Affaire entendue à Winnipeg (Manitoba),
les 25 et 26 mai 2006.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

I.   Grief renvoyé à l’arbitrage

[1]   En l’espèce, la fonctionnaire s’estimant lésée est Paula Ewen, qui travaille comme infirmière pour le Service correctionnel du Canada (SCC) à l’Établissement de Rockwood au Manitoba. Le poste d’attache de Mme Ewen est un poste de NU-HOS-03 (groupe et niveau), et les conditions d’emploi de Mme Ewen figurent dans une convention collective signée le 24 décembre 2001 par le Conseil du Trésor et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada pour l’unité de négociation du groupe Services de santé (pièce G-1). Le 7 avril 2003, Mme Ewen a présenté un grief concernant le rejet de la demande de congé d’études qu’elle avait faite pour terminer son baccalauréat en sciences infirmières, soit une demande de congé pour la période allant du 30 septembre 2003 au 30 mai 2004. Son grief se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

Le 26 mars 2003 ou vers cette date, le directeur de l’établissement m’a informée que l’on m’a refusé un congé d’études et une indemnité tenant lieu de traitement ainsi que de l’aide à l’égard des livres et des frais de scolarité. J’avais poursuivi l’achèvement d’un baccalauréat en sciences infirmières en pensant que l’on envisagerait de m’aider à partir du huitième mois précédant la réception de mon diplôme. Le rejet de ma demande se fondait sur une décision régionale de ne pas accorder de tels congés et de telles indemnités cette année. Cette décision représente une tentative pour contourner la convention collective. En refusant la demande de congé, l’employeur viole l’article 18 et des articles connexes de la convention collective du groupe SH. Je présente donc un grief.

[…]

[2]   Les dispositions relatives à l’octroi d’un congé d’études figurent aux alinéas 18.02a) et 18.05a) de la convention collective, et la disposition en matière d’indemnité tenant lieu de traitement figure à l’alinéa 18.02b) de la convention (pièce G-1). Ces alinéas sont libellés ainsi :

[…]

18.02 Congé d’études

  1. Un employé peut bénéficier d’un congé d’études non payé d’une durée allant jusqu’à un (1) an, renouvelable sur accord mutuel, pour fréquenter un établissement reconnu en vue d’acquérir une formation complémentaire ou spéciale dans un domaine du savoir qui nécessite une préparation particulière pour permettre au demandeur du congé de mieux remplir son rôle actuel, ou d’entreprendre des études dans un domaine qui nécessite une formation en vue de fournir un service que l’employeur exige ou qu’il se propose de fournir.

  2. L’employé en congé d’études non payé en vertu du présent paragraphe reçoit une indemnité tenant lieu de traitement variant de cinquante pour cent (50 %) à cent pour cent (100 %) de son taux de rémunération de base. Le pourcentage de l’indemnité est à la discrétion de l’employeur. Lorsque l’employé reçoit une subvention ou une bourse d’études ou d’entretien, l’indemnité de congé d’éducation peut être réduite. Dans ces cas, le montant de la réduction ne dépasse pas le montant de la subvention ou de la bourse d’études ou d’entretien.

[…]

18.05 Critères de sélection

  1. L’employeur doit établir des critères de sélection en ce qui a trait à l’octroi d’un congé en vertu des paragraphes 18.02, 18.03 et 18.04. Sur demande, une copie de ces critères sera fournie à l’employé et/ou au représentant de l’Institut.

[…]

[3]   La disposition sur le remboursement des droits de scolarité ainsi que des frais de manuels et autre matériel figure dans le document du SCC intitulé Instructions permanentes – Congé d’études (287) en date du 27 août 1998 (pièce G-9), lequel document était en vigueur à l’époque de la demande de congé d’études de Mme Ewen mais a été annulé le 11 juin 2003. En voici les extraits pertinents :

[…]

  1. Un remboursement peut être envisagé pour les dépenses suivantes :

    1. droits de scolarité, inscription, laboratoire, examen et autres droits demandés par l’établissement;

    2. manuels et autre matériel prescrits comme conditions pour suivre le cours;

    3. dépenses de transport réelles pour se rendre à l’établissement d’enseignement et en revenir, lorsqu’il ne se trouve pas sur le lieu de travail de l’employé;

    4. dépenses de déplacement, conformément à la politique du Conseil du Trésor concernant les voyages;

    5. dépenses de déménagement conformes à la politique du Conseil du Trésor sur la réinstallation, lorsque cela est plus économique que le paiement de dépenses de déplacement.

[…]

[4]   Le 11 juin 2004, le grief de Mme Ewen a été renvoyé à l’arbitrage de grief. Les parties ont cherché à régler ce grief par voie de médiation, sans succès. Vu la disponibilité des parties, ce grief a été mis au rôle pour audition les 25 et 26 mai 2005.

[5]   Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l’arbitrage de grief doit être décidé conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »).

II.   Résumé de la preuve

[6]   Au début de l’audience, les parties m’ont fourni un « exposé conjoint des faits » (pièce 1), de même que sept documents par consentement (pièces E-1 à E-7 inclusivement). De plus, la fonctionnaire s’estimant lésée a déposé huit pièces (G-2 à G-9 inclusivement), et l’employeur a déposé les pièces E-8 à E-17. Aucun témoin n’a été appelé par la fonctionnaire s’estimant lésée, qui a témoigné pour elle-même. L’employeur a pour sa part appelé deux témoins. À la demande de la fonctionnaire s’estimant lésée, j’ai exclu les témoins.

A.   Exposé conjoint des faits

[7]   L’exposé conjoint des faits se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

  1. La fonctionnaire s’estimant lésée a commencé à travailler pour le Service correctionnel du Canada (« SCC ») comme infirmière autorisée (NU HOS 3) le 17 novembre 1996.

  2. Le 5 février 2001, la fonctionnaire s’estimant lésée a présenté une demande de congé d’études. Elle a demandé un congé pour la période allant du 1er septembre 2001 au 1er juillet 2002. (Pièce E-1)

  3. Par courriel en date du 3 avril 2001, Bruce Campbell, directeur, a avisé la fonctionnaire s’estimant lésée qu’un congé d’études payé ne pouvait dépasser 8 mois. (Pièce E-2)

  4. Par courriel en date du 4 avril 2001, la fonctionnaire s’estimant lésée a modifié la période du congé d’études et a demandé un congé allant du 6 septembre 2001 au 30 avril 2002. (Pièce E-2)

  5. Par note de service en date du 18 avril 2001, la fonctionnaire s’estimant lésée a été avisée que sa demande de congé d’études était examinée par le Comité du personnel régional (« CPR ») et a décidé que sa demande ne pourrait être approuvée à cette époque. Le CPR convenait que : [traduction] « de l’aide financière à l’égard des droits de scolarité ainsi que des livres devrait être accordée ». Le CPR a encouragé la fonctionnaire s’estimant lésée à discuter avec le directeur d’une stratégie pour atteindre son objectif sur le plan des études. (Pièce E-3)

  6. Le 18 janvier 2003, la fonctionnaire s’estimant lésée a rempli une deuxième demande de congé d’études. Elle a demandé un congé pour la période allant du 30 septembre 2003 au 30 mai 2004. (Pièce E-4)

  7. Le 21 janvier 2003, Bruce Campbell, directeur, a envoyé un courriel à tous les utilisateurs les informant que, après examen du budget régional, il avait été déterminé que [traduction] « le comité de la haute direction de Rockwood n’approuvera pas de cours/frais de scolarité/livres, et l’administration régionale n’approuvera aucun congé d’études. Cette décision sera appliquée à tous les sites opérationnels du SCC de la région des Prairies ». (Pièce E-5)

  8. Le 6 octobre 2003, Bruce Campbell, directeur, et Mike Pollmann, sous-directeur, ont informé la fonctionnaire s’estimant lésée que : [traduction] « la formation obligatoire est appuyée. Les cours faisant l’objet d’un accord mutuel seront tous appuyés, sous réserve de la disponibilité ainsi que des mesures budgétaires de l’établissement ». (Pièce E-6)

  9. Par suite de la réponse au grief au premier palier, le 17 juin 2004, la fonctionnaire s’estimant lésée s’est vu payer 3 500 $ pour des droits de scolarité et des livres comme l’avait recommandé le CPR dans sa note de service du 18 avril 2001. (Pièce E-7)

[…]

B.   Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

[8]   Mme Ewen a commencé sa carrière au SCC en 1976. En juillet 2005, elle a entrepris un détachement auprès de la Direction générale des services médicaux de Santé Canada, où elle travaillait encore à l’époque de l’audience. Elle avait un diplôme d’infirmière à l’égard des qualifications professionnelles pour son poste d’attache. Elle considérait que, pour être en mesure d’avancer verticalement ou latéralement, il lui fallait un baccalauréat en sciences infirmières. Elle estimait que l’employeur exigerait que toutes les infirmières détiennent un tel baccalauréat dans un avenir prévisible. Ainsi, elle a demandé, le 5 février 2001, un congé d’études de dix mois pour la période allant du 1er septembre 2001 au 1er juillet 2002 (pièce E-1). Elle a aussi demandé du financement pour le salaire, les droits de scolarité, les frais de déplacement/de subsistance et les frais connexes comme les droits à payer pour être infirmière autorisée, les frais d’étudiant et les frais de formation en RCR. Sa demande s’élevait à 66 294 $.

[9]   Par courriel en date du 3 avril 2001, Gina Rodrigue – Administration de la région des Prairies, personnel – a avisé Bruce Campbell, le directeur de l’Établissement de Rockwood, de faire en sorte que Mme Ewen présente une nouvelle demande de congé d’études, cette fois pour une période ne dépassant pas les huit mois précédant l’achèvement du baccalauréat en sciences infirmières (pièce E-2). Le 4 avril 2001, Mme Ewen s’est exécutée, demandant cette fois un congé d’études pour une période d’un peu plus de sept mois allant du 6 septembre 2001 au 30 avril 2002 (pièce E-2).

[10]   Le 18 avril 2001, la fonctionnaire s’estimant lésée a reçu une note de service de Mme Rodrigue l’avisant que sa demande de congé d’études était rejetée mais que [traduction] « [...] de l’aide financière pour les droits de scolarité et pour les livres serait accordée. [...] » (pièce E-3). En fait, un document, sans date, déposé par consentement comme pièce E-7 et signé par Michael Pollmann, alors directeur intérimaire, montre que le paiement d’une somme de 3 500 $ à la fonctionnaire s’estimant lésée a été autorisé à l’égard des droits de scolarité.

[11]   Annuellement, les employés sont tenus de présenter à leur superviseur un formulaire appelé « Plan de perfectionnement personnel » (PPP) (pièce G-2), faisant état de la formation obligatoire et de la formation choisie, formulaire que Mme Ewen a présenté le 12 décembre 2001. Ce document a été signé par le superviseur de Mme Ewen, le sous-directeur Pollmann, le 10 décembre 2001, et M. Pollmann y écrivait ceci :

[Traduction]

Des cours essentiels sont requis pour permettre à Paula de remplir ses fonctions. Les activités de perfectionnement et les cours faisant l’objet d’un accord mutuel seront appuyés quand ils seront disponibles.

[12]   Le 18 décembre 2001, le PPP de la fonctionnaire s’estimant lésée a été signé par le directeur Campbell en tant que gestionnaire, ce dernier faisant remarquer : [traduction] « Je suis d’accord, car des ressources sont disponibles ». Au verso de ce document, le sous-directeur Pollmann écrivait : [traduction] « Paula a les aptitudes pour obtenir les qualifications nécessaires pour un poste administratif au sein du SCC. Son plan consistant à poursuivre ses études est appuyé. » Concernant les projets de carrière de Mme Ewen, le directeur Campbell a écrit ceci :

[Traduction]

J’appuie Paula dans son projet consistant à travailler à l’obtention de son diplôme universitaire. Lorsqu’un congé d’études pourra être envisagé, sa demande sera soumise au CGAR [Comité de gestion des administrations régionales].

[13]   La fonctionnaire s’estimant lésée a expliqué que ce qu’elle avait compris des observations susmentionnées du sous-directeur et du directeur, c’était que le coût des livres et les droits de scolarité pour l’ensemble du programme de baccalauréat seraient payés par l’employeur et qu’elle devrait présenter une nouvelle demande de congé d’études dans les huit mois précédant l’achèvement du baccalauréat. Comme elle était certaine que la direction appuyait ses projets d’étude et de carrière, Mme Ewen a commencé le baccalauréat. À partir de mai 2001, elle a suivi des cours le soir et les fins de semaine ainsi que pendant l’été et elle a en outre revendiqué certains crédits au lieu de suivre personnellement les cours correspondants.

[14]   Le 18 janvier 2003, Mme Ewen a présenté une deuxième demande de congé d’études, pour la période allant du 30 septembre 2003 au 30 mai 2004 (pièce E-4), soit une période de huit mois. Dans cette formule, elle demandait 42 000 $ comme indemnité tenant lieu de traitement, 3 200 $ pour les droits de scolarité et 800 $ pour le coût des livres, c’est-à-dire en tout 46 000 $. Elle a laissé dans la boîte postale scellée de son superviseur sa demande, ainsi qu’une lettre de l’Université du Manitoba (pièce G-3). Plusieurs semaines plus tard, le sous-directeur Pollmann lui a dit que sa demande de congé d’études était rejetée.

[15]   Entre la date à laquelle elle a présenté sa demande de congé d’études et la date à laquelle elle a reçu la réponse verbale de son superviseur, la fonctionnaire s’estimant lésée a reçu un courriel du directeur Campbell en date du 21 janvier 2003 (pièce E-5). C’est cette communication qui a donné lieu au grief (pièce E-12), et notamment les extraits suivants :

[Traduction]

[…]

[…] il a été déterminé que, au niveau régional, nous ne sommes pas en mesure d’effectuer des paiements à l’égard de ces demandes. Une décision du CGAR a été prise de ne pas payer de congé d’études pour l’exercice 2003-2004. Ainsi, le comité de la haute direction de Rockwood n’approuvera pas de cours/frais de scolarité/livres, et l’administration régionale n’approuvera aucun congé d’études. Cette décision sera appliquée à tous les sites opérationnels du SCC de la région des Prairies.

[…]

[16]   La fonctionnaire s’estimant lésée a réagi à cette communication en envoyant un courriel au sous-directeur Pollmann le 5 février 2003 (pièce G-4), pour savoir si [traduction] « […] les coûts restants quant aux droits de scolarité et aux livres ne seront pas couverts en dépit de la lettre que j’ai reçue de l’administration régionale ».

[17]   Mme Ewen a envoyé au sous-directeur Pollmann une lettre en date du 10 février 2003 (pièce G-5) pour dire qu’elle estimait que ses coûts pour les droits de scolarité et les livres seraient couverts; elle y formulait aussi des observations indiquant où elle en était dans ses progrès relatifs à l’obtention d’un baccalauréat en sciences infirmières. Étant donné que sa demande de réunion avec le directeur Campbell (pièce G-6) qu’elle avait envoyée par courriel au sous-directeur Pollmann le 26 février 2004 demeurait sans réponse, Mme Ewen avait communiqué avec son agent de négociation à propos de la situation, exprimant le désir de déposer un grief par suite d’une violation d’engagements antérieurs pris par le sous-directeur Pollmann et le directeur Campbell. Le grief a été présenté le 7 avril 2003. En guise de mesure corrective, Mme Ewen réclamait :

[Traduction]

Que l’employeur accède à ma demande de congé d’études et d’indemnité tenant lieu de traitement ainsi que de soutien pour le coût des livres et les droits de scolarité. Que je sois indemnisée intégralement.

[18]   Mme Ewen a fait des commentaires au sujet de l’impact général du rejet de la demande de congé d’études sur elle et sa famille et à propos de l’incidence financière. Elle a établi la pièce G-7 le 5 avril 2005 et l’a envoyée au représentant de son agent négociateur. Cette pièce décrit, comme le concède la fonctionnaire s’estimant lésée, le coût approximatif d’obtention de son baccalauréat en sciences infirmières, ainsi que les soldes de 2 577,80 $ qui, allègue-t-elle, n’ont pas encore été payés par son employeur. La fonctionnaire s’estimant lésée a également produit les pièces G-8 et G-9.

[19]   La pièce G-8 est un bulletin du SCC – Politique n o 49 en date du 27 août 1998 annulant la directive 287 du commissaire et la remplaçant par le document du SCC intitulé Instructions permanentes – Congé d’études (287), également en date du 27 août 1998 (pièce G-9). Ces instructions étaient le fruit d’une collaboration entre une équipe de révision, des spécialistes régionaux, des agents négociateurs et la Division des politiques du SCC. Les questions faisant l’objet de ce document sont les suivantes :

  • qui est admissible à un congé d’études;

  • la procédure de demande;

  • les facteurs à prendre en compte dans l’approbation des demandes;

  • quels coûts peut-on envisager de rembourser.

La fonctionnaire s’estimant lésée a déclaré qu’elle avait obtenu les pièces G-8 et G-9 sur le site Web du SCC à la fin de mai 2003.

[20]   Lors du contre-interrogatoire, Mme Ewen a expliqué que la mention de cours essentiels dans son PPP désigne des cours obligatoires et qu’elle n’avait pas encore suivi ces cours à cette époque. Elle a toutefois suivi ces cours dans les quatre années suivantes. En outre, elle a concédé que le mot [traduction] « envisagé » dans la note de service de Mme Rodrigue en date du 18 avril 2001 lui refusant un congé d’études (pièce E-3) ne signifie pas « approuvé » et qu’on ne lui avait donné aucune garantie de congé d’études. Elle a également reconnu que ses demandes de congé d’études (pièces E-1 et E-8) traitent seulement du coût du congé d’études qu’elle demandait pour la période allant du 1er septembre 2001 au 1er juillet 2002 et non du coût intégral de l’obtention d’un baccalauréat en sciences infirmières. Elle a aussi concédé qu’on lui a remboursé le montant exact des droits de scolarité qu’elle avait indiqué dans sa demande, soit une somme de 3 500 $. Cependant, comme le directeur Campbell n’avait pas expressément limité la période pour laquelle les droits de scolarité et le coût des livres seraient remboursés, elle avait cru comprendre que tous les droits de scolarité et coûts des livres nécessaires pour l’obtention du baccalauréat en sciences infirmières seraient remboursés.

[21]   Mme Ewen a été interrogée sur son rapport d’évaluation de rendement pour la période allant du 30 octobre 2000 au 30 octobre 2001 (pièce E-10). À la page 3 de ce rapport, le sous-directeur Pollmann et le directeur Campbell écrivaient qu’ils appuyaient le fait qu’elle continue ses études. Interrogée sur la question de savoir si son rapport d’évaluation de rendement faisait expressément état d’un soutien financier, elle a répondu que non. Toutefois, elle a ajouté que le soutien financier était le seul soutien qu’elle demandait. Elle était par ailleurs au courant des observations du sous-directeur Pollmann sur son PPP en date du 6 octobre 2003 (pièce E-6) indiquant que l’appui qu’il donnait valait [traduction] « […] sous réserve de […] questions budgétaires institutionnelles ». La fonctionnaire s’estimant lésée a affirmé que, à l’époque de son grief, elle ne savait pas que l’article 20 du document du SCC intitulé Instructions permanentes – Congé d’études (287) mentionnait expressément la question de l’importance du budget de formation et de perfectionnement comme étant l’un des six facteurs utilisés pour déterminer quelles demandes de congé d’études seraient approuvées.

C.   Pour l’employeur

[22]   Donald Kynoch a parlé de ses antécédents professionnels au sein du SCC, que ce soit comme agent de libération conditionnelle, gestionnaire, directeur adjoint, directeur de district et directeur d’établissement. À l’époque de l’audience, M. Kynoch était le directeur du Bureau de libération conditionnelle du district du Manitoba et du Nord-Ouest de l’Ontario. De plus, il est membre du Comité de gestion des administrations régionales (CGAR) des Prairies, lequel comité se compose de directeurs d’établissement, de directeurs exécutifs, de directeurs de district, de deux sous-commissaires adjoints et d’un sous-commissaire. Le CGAR examine les demandes de congé d’études. Les congés d’études ne sont pas financés séparément, et des fonds doivent être trouvés dans les ressources existantes. En définitive, c’est le sous-commissaire qui décide et qui met de l’argent de côté pour les demandes approuvées, et ce, habituellement au début de l’exercice.

[23]   À la suite d’une lettre de l’administration régionale des Prairies au CGAR, les employés sont invités à présenter leur demande de congé d’études et d’allocation de formation ainsi qu’un PPP. Ils doivent présenter ces formulaires à leurs superviseurs, qui les examinent et font savoir s’ils les appuient. Les formulaires vont ensuite au directeur de l’établissement, qui se prononce lui aussi, puis envoie les demandes à l’administrateur régional, Personnel. Ces formulaires sont déposés toutes les six semaines à une réunion du CGAR, où les demandes sont débattues et où le sous-commissaire détermine lesquelles approuver.

[24]   M. Kynoch se souvient que, au cours d’une de ces réunions, la demande de Mme Ewen a été débattue (pièce E-8) et rejetée, parce qu’elle n’était pas présentée pour la période de huit mois précédant l’obtention du diplôme universitaire. La demande n’a pas été acceptée dans l’exercice 2003-2004 à cause de sérieux problèmes financiers.

[25]   Il y avait beaucoup d’heures supplémentaires et, selon M. Kynoch, la région des Prairies avait [traduction] « un trou de 2 millions de dollars ». L’administration nationale ne pouvait plus aider l’Établissement de Rockwood à équilibrer son budget, et un comité du budget a été établi pour trouver des façons d’économiser, allant de la réduction de la consommation d’énergie au rappel des employés partis en formation linguistique française. Le sous-commissaire a décidé qu’il n’y aurait aucun congé d’études en 2003-2004, car [traduction] « nous ne pouvions nous le permettre ». Accepter la demande de Mme Ewen aurait coûté environ 80 000 $. M. Kynoch n’est au courant d’aucune demande de congé d’études qui aurait été approuvée en 2003-2004. On a montré à ce témoin le procès-verbal de la réunion du CGAR des 18 et 19 mars 2003 (pièce E-13). Ce témoin avait assisté à ladite réunion et se souvient de la décision selon laquelle [traduction] « des congés d’études ne seront pas financés cette année ». Ce témoin a ensuite commenté une note de service en date du 9 avril 2003 intitulée [traduction] « Décisions budgétaires de 2003-2004 et résultats du comité du budget régional » (pièce E-14). Ce document confirme que les congés d’études et les paiements de droits de scolarité et de coûts de livres ont été suspendus pour une année, mesure grâce à laquelle on s’attendait à économiser 300 000 $.

[26]   Deux autres pièces ont été déposées par l’intermédiaire de M. Kynoch : une note de service au CGAR en date du 26 février 2004, suggérant que le CGAR n’engage pas de [traduction] « […] financement à ce stade-ci pour un congé d’études à long terme avec allocation […] » (pièce E-15), ainsi qu’un formulaire de recommandation et d’approbation de congé d’études en date du 19 février 2001 (pièce E-16). Ce dernier document recommande que [traduction] « […] du soutien soit accordé pour la poursuite des études ». Le directeur Campbell a écrit dans sa recommandation que [traduction] « Paula n’a pas encore déterminé de quels crédits elle aura besoin. Des renseignements supplémentaires sont nécessaires avant la réunion du CGAR et devraient être fournis. Paula n’a pas besoin de cela pour l’instant étant donné son statut à l’É. de R. »

[27]   Pendant le contre-interrogatoire, M. Kynoch a reconnu que les gestionnaires doivent se conformer à la convention collective. Il a concédé que, une fois négociées des augmentations de salaire, il lui faudrait les mettre en œuvre. Il a reconnu que l’alinéa 13.b. du document du SCC intitulé Instructions permanentes – Congé d’études (287) indiquait que l’évaluation de rendement au niveau entièrement satisfaisant ou à un niveau encore meilleur pour les deux années précédentes était un critère utilisé pour déterminer l’admissibilité de base à un congé d’études. M. Kynoch a pu confirmer que le budget pour un des neuf établissements de la région des Prairies était de 25 millions de dollars et que le budget pour l’ensemble de la région des Prairies dépassait assurément 100 millions de dollars.

[28]   Le dernier témoin a été le sous-directeur Pollmann, qui a parlé de l’emploi qu’il exerce au SCC depuis 1984. Il a été, à diverses époques, agent de correction, agent de libération conditionnelle, gestionnaire d’unité et directeur adjoint. Il est actuellement le sous-directeur à l’Établissement de Rockwood. Il n’est pas membre du CGAR et n’a joué personnellement aucun rôle dans la décision de rejeter la demande de congé d’études de Mme Ewen, mais il croit que ce rejet se fondait sur le document du SCC intitulé Instructions permanentes – Congé d’études (287) (pièce G-9). En outre, il estimait que l’on prendrait en compte la question de savoir où (à quelle étape) un demandeur de congé en était dans un programme d’études donné et la question de savoir si un diplôme représentait une exigence du poste.

[29]   Le sous-directeur Pollmann a parlé de la situation financière difficile de 2003-2004, de la décision difficile qui avait été prise de ne pas approuver de demande de congé d’études et des compressions qui avaient été faites à l’Établissement de Rockwood pour réduire les coûts. Quand on lui a montré le courriel du 21 janvier 2003 avisant le personnel qu’il n’y aurait aucune approbation relative à des cours, à des droits de scolarité ou à des livres en 2003-2004 (pièce E-5), il a dit qu’il considérait que Mme Ewen était la seule à l’Établissement de Rockwood qui demandait un congé d’études et que de telles demandes n’étaient pas approuvées. Il a déclaré que, bien qu’un diplôme universitaire n’ait pas été requis pour Mme Ewen, sa recommandation de [traduction] « soutien » s’appliquait à des possibilités de congé pour subir un examen ou s’appliquait à des droits de scolarité et il a ajouté : [traduction] « J’appuierais cela ». Il était le superviseur de Mme Ewen en 2000 et a reconnu qu’elle était une excellente infirmière et qu’il ne contestait nullement ses aptitudes mais qu’un diplôme universitaire n’était pas requis pour son poste. Quand on lui a montré le paragraphe 20 du document du SCC intitulé Instructions permanentes – Congé d’études (287), il a dit que l’importance du budget (alinéa 20.d.) était un facteur crucial, car [traduction] « […] s’il n’y a pas de fonds, nous ne pouvons envoyer qui que ce soit ». Il a affirmé que la situation financière n’avait pas changé et que, par conséquent, la question du financement de congé d’études n’a jamais été réexaminée. Il a expliqué qu’il ne se souvenait pas d’avoir vu la demande de congé d’études de Mme Ewen pour la période allant du 30 septembre 2003 au 30 mai 2004 (pièce E-4) mais qu’il pouvait l’avoir vue et que, par contre, il n’avait pas promis d’aide à Mme Ewen, ne serait-ce que pour les droits de scolarité ou le coût des livres, puisque ce n’était pas de son ressort.

[30]   Durant le contre-interrogatoire, on a montré au sous-directeur Pollmann la réponse, au premier palier, au grief de Mme Ewen, réponse que M. Pollmann a donnée le 5 mai 2003. On lui a demandé s’il avait rejeté la demande de congé d’études de Mme Ewen pour la période allant du 30 septembre 2003 au 30 mai 2004 (pièce E-4). Il a répondu que non mais a signalé que sa réponse, au premier palier, se rapportait à la demande initiale de 2001 de Mme Ewen (pièce E-1). Ce témoin se rappelait avoir vu le courriel de Mme Ewen demandant des renseignements sur le paiement des droits de scolarité et du coût des livres (pièce G-4). Il ne savait pas avec certitude si le rejet initial en date du 18 avril 2001 du congé d’études (pièce E-3) visait les huit mois antérieurs à l’achèvement du baccalauréat en sciences infirmières, mais il a reconnu qu’il avait vu la lettre de l’Université du Manitoba (pièce G-3), laquelle, a-t-il concédé, supprime tout doute quant au fait que la période de huit mois allait de septembre 2003 à avril 2004, avant l’obtention du diplôme universitaire. Le sous-directeur Pollmann a dit que, bien que n’étant pas en mesure d’affirmer que l’Établissement de Rockwood était sous-financé, il estimait que, même si [traduction] « […] nous obtenons fondamentalement l’argent dont nous avons besoin pour fonctionner […] », il n’y avait pas assez de fonds pour couvrir un certain nombre de choses, et des compressions avaient dû être effectuées. Il a déclaré que Mme Ewen avait le potentiel pour occuper un poste de gestion mais qu’un diplôme universitaire n’était pas nécessaire pour tous les postes de gestion et il a donné comme exemple le fait que le sous-commissaire lui-même n’avait pas de diplôme universitaire et que l’on n’exigeait pas que les directeurs d’établissement aient un tel diplôme.

III.   Résumé de l’argumentation

A.   Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

[31]   Il est indubitable que la demande de congé d’études de Mme Ewen pour la période allant de 2003 à 2004 est parvenue à destination, contrairement à ce que l’employeur a conclu. Mme Ewen a témoigné qu’elle avait laissé sa demande dans la boîte scellée du sous-directeur Pollmann. Ce dernier a lui-même concédé qu’il peut avoir vu la demande de Mme Ewen et a affirmé qu’il avait bel et bien vu la lettre de l’Université du Manitoba (pièce G-3) jointe à la demande de Mme Ewen.

[32]   Mme Ewen a argué que Burchill c. Canada (procureur général), [1981] 1 C.F. 109 (C.A.), ne s’applique pas en l’espèce. Elle a expliqué que son grief se rapportait au fait que l’on avait rejeté sa demande de congé d’études comme étant de mauvaise foi, même si ces termes n’étaient pas utilisés.

[33]   Le principal argument, et le point litigieux selon Mme Ewen, tient à l’utilisation ou à l’étendue du pouvoir discrétionnaire de l’employeur. L’intention sous-jacente à l’alinéa 18.02a) de la convention collective est claire : prévoir la possibilité d’un congé d’études. Le pouvoir discrétionnaire de l’employeur à cet égard est non pas absolu mais limité. Il ne peut être utilisé de façon arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi. Il doit y avoir une véritable utilisation de pouvoir discrétionnaire ne donnant pas lieu à une décision manifestement absurde. L’alinéa 18.05a) de la convention collective oblige l’employeur à établir des critères de sélection pour l’octroi d’un congé en vertu de la clause 18.02. Ces critères doivent toutefois donner effet à l’intention qui sous-tend l’alinéa 18.02a) et doivent pouvoir être suivis dans la sélection des demandeurs de congé. Une fois établis par l’employeur, ces critères sont incorporés par renvoi dans la convention collective, et ne pas les appliquer est contraire à la convention.

[34]   Mme Ewen concède que le budget est un facteur à prendre en considération, mais elle estime que de l’argent doit d’abord être affecté. La décision de l’employeur de ne pas affecter de fonds pour un congé d’études et une indemnité est analogue au fait [traduction] « de tenir un paquet d’argent dans la main gauche et d’affirmer que l’on n’a pas d’argent dans la main droite ». Mme Ewen m’exhorte à ne pas prendre en compte l’importance du budget comme facteur déterminant, car le montant du budget ne devrait pas être utilisé comme critère de sélection. Le Budget de 2003 (pièce 1, section 7) fait état d’un surplus au niveau fédéral se situant entre 4,8 et 8,8 milliards de dollars. Cela indique que, dans l’exercice 2003-2004, le gouvernement du Canada n’a pas traversé une crise financière justifiant le rejet de la demande de congé d’études de Mme Ewen.

[35]   Le sous-directeur Pollmann a témoigné que le budget pour la région des Prairies en 2003-2004 excédait 100 millions de dollars. Étant donné que le congé d’études de Mme Ewen aurait coûté seulement 80 000 $, le refus opposé par l’employeur était arbitraire, capricieux et de mauvaise foi. Henry Campbell Black, dans son ouvrage intitulé Black’s Law Dictionary , version abrégée, 5 e édition... (1983), définit comme suit les termes «  arbitrary  » (arbitraire) et «  bad faith  » (mauvaise foi) :

[Traduction]

[…]

arbitraire. Non fait selon la raison ou avec jugement; qui dépend de la seule volonté; absolu quant au pouvoir; capricieux; tyrannique; despotique. Sans cause juste, solide et importante; autrement dit, sans cause basée sur le droit, non régi par une norme ou des règles fixes. […]

[…]

mauvaise foi. Contraire de la « bonne foi », implique ou comporte généralement une imposture effective ou imputée ou une intention d’induire en erreur ou tromper une autre personne ou le fait de négliger ou refuser de remplir quelque fonction ou de s’acquitter de quelque obligation contractuelle, sans que ce soit à cause d’une erreur commise honnêtement quant à ses propres droits ou devoirs. […]

[…]

[36]   La décision de l’employeur de ne pas affecter de fonds en matière de congé d’études en 2003-2004 va à l’encontre de l’intention sous-jacente à la convention collective, fait fi de l’une des modalités expresses de la convention et équivaut à de la mauvaise foi. C’était non pas un résultat accidentel mais une conséquence prévisible.

[37]   Mme Ewen a fait référence à Salois c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2001 CRTFP 88, Allad c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-02-24466 (1995) (QL), et Nav Canada v. Canadian Air Traffic Control Association (2000), 86 L.A.C. (4th) 370. Dans ce dernier cas, un arbitre a conclu comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] l’exigence générale […] n’est pas compatible avec l’exercice du pouvoir discrétionnaire […] ce que cela fait en réalité, c’est de supprimer le concept de pouvoir discrétionnaire, dans le cadre duquel seraient bien prises en considération les circonstances effectives donnant lieu à la demande de l’employé. Même dans les cas où une couverture serait refusée, il faudrait que la direction prenne en compte les circonstances donnant lieu à la demande.

[…]

[38]   Mme Ewen m’a également renvoyé à Meadow Park Nursing Home v. Service Employees International Union, Local 220 (1983), 9 L.A.C. (3d) 137, dans laquelle un conseil d’arbitrage a décidé ceci :

[Traduction]

[…]

[…] il faut une véritable utilisation du pouvoir discrétionnaire et non une prétendue utilisation de ce pouvoir. Ainsi, la personne chargée de prendre la décision ne doit pas agir sous les ordres de quelqu’un d’autre […] le pouvoir discrétionnaire doit être exercé à l’égard de chaque cas et ne doit pas être entravé par une politique rigide établie d’avance.

[…]

[39]   Mme Ewen a conclu son argumentation en soulignant que, comme elle a terminé le baccalauréat en sciences infirmières, elle demande une ordonnance déclaratoire selon laquelle un congé d’études a été refusé à l’encontre de la convention collective, ainsi qu’une ordonnance de paiement des sommes qui auraient dû être payées selon ses estimations des frais engagés pour obtenir le baccalauréat en sciences infirmières (pièce G-7).

B.   Pour l’employeur

[40]   L’alinéa 18.02a) de la convention collective prévoit qu’un congé d’études peut être accordé. Cette disposition confère un très vaste pouvoir discrétionnaire à l’employeur, selon les besoins opérationnels, le budget et tous les facteurs pertinents. L’employeur accepte les trois critères énoncés dans Salois. L’article 20 du document du SCC intitulé Instructions permanentes – Congé d’études (287) énonce six facteurs, mais l’importance du budget (alinéa 20.d.) est le facteur fondamental; ce serait absurde que de n’en pas tenir compte. La preuve montre que, en 2003-2004, le SCC avait de sérieux problèmes financiers obligeant à opérer des compressions. Connaissant la gravité de ces problèmes financiers, le SCC n’avait pas la possibilité d’approuver un congé d’études — [traduction] « c’était impossible ». La même règle s’appliquait à tout le monde et, en fait, Mme Ewen a reçu exactement ce qu’elle avait sollicité à l’égard des droits de scolarité dans sa demande de congé d’études (pièce E-8) et a obtenu du financement. La fonctionnaire s’estimant lésée a reconnu qu’on ne lui avait pas promis de l’aide financière pour toute la période des études.

[41]   L’employeur a argué que la convention collective est muette sur le paiement de droits de scolarité et de livres. La convention parle seulement d’un congé d’études et d’une indemnité tenant lieu de traitement. Il n’y est pas exigé que l’employeur établisse des critères pour le paiement de droits de scolarité et de livres. Comme la fonctionnaire s’estimant lésée ne peut soumettre à l’arbitrage de grief quelque chose qui ne se trouve pas dans la convention, l’arbitre de grief n’a pas compétence pour entendre et trancher cette partie du grief.

[42]   La fonctionnaire s’estimant lésée a la charge de prouver que dans ce cas-ci le pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon discriminatoire ou arbitraire ou de mauvaise foi. Elle ne s’est pas acquittée de cette charge. En fait, comme le grief n’allègue pas expressément un abus de pouvoir discrétionnaire, la fonctionnaire s’estimant lésée ne peut avancer cette allégation à l’étape de l’arbitrage de grief, car l’employeur n’a pas eu la possibilité de traiter de ces allégations lors de la procédure interne de règlement des griefs. L’employeur a fait référence à Burchill et allégué qu’il a été pris par surprise puisque ces allégations ont été soulevées pour la première fois à l’étape de l’arbitrage de grief.

[43]   L’employeur soutient que les précédents que la fonctionnaire s’estimant lésée invoque pour affirmer que l’employeur a adopté une politique générale ne s’appliquent pas en l’espèce, car le SCC n’a pas adopté de politique de manière à rejeter toutes les demandes de congé d’études pour 2003-2004. Les facteurs énumérés dans le document du SCC intitulé Instructions permanentes – Congé d’études (287) sont toujours examinés quand des demandes sont présentées, et [traduction] « [...] le fait qu’aucune demande ne pouvait être acceptée représente non pas une politique mais simplement une décision devant être prise parce qu’il n’y avait aucune marge de manœuvre ». Le rejet de la demande de congé d’études de Mme Ewen n’avait rien de capricieux et se fondait sur de réels problèmes financiers.

[44]   Comme la fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas prouvé que la décision de l’employeur de ne pas acquiescer à sa demande de congé d’études était une violation de la convention collective et qu’aucun élément de preuve n’établit une telle violation, l’arbitre de grief doit rejeter le grief. Enfin, l’employeur a argué que le document de Mme Ewen estimant les frais d’obtention du baccalauréat en sciences infirmières (pièce G-7) ne constitue pas une preuve indépendante et que, même si tel était le cas, l’employeur n’est pas obligé de prendre en charge ces frais, et le fait de ne pas les avoir payés n’est pas arbitrable.

C.   Contre-preuve de la fonctionnaire s’estimant lésée

[45]   Bien que la convention collective soit muette sur le droit au paiement des frais de scolarité et des livres (pièce G-9), le document du SCC intitulé Instructions permanentes – Congé d’études (287) est incorporé par renvoi dans la convention collective. La fonctionnaire s’estimant lésée concède toutefois que, si tel n’était pas le cas, elle conviendrait avec l’employeur que la partie du grief se rapportant au paiement des frais de scolarité et des livres n’est pas arbitrable.

[46]   Enfin, la fonctionnaire s’estimant lésée soutient que la décision de l’employeur de ne pas accéder à sa demande de congé d’études en 2003-2004 est une politique entravant l’utilisation d’un véritable pouvoir discrétionnaire.

IV.   Motifs

[47]   L’élément central de ce différend est le rejet de la demande que Mme Ewen avait présentée pour avoir un congé d’études afin d’obtenir un baccalauréat en sciences infirmières. Mme Ewen a toutefois pu, ce qui est tout à son honneur, obtenir ce diplôme en suivant des cours hors des heures de travail. Elle a obtenu son diplôme en août 2004, malgré le refus de lui accorder un congé d’études. Elle demande maintenant une décision déclaratoire indiquant que, en rejetant sa demande de congé, l’employeur a violé la convention collective. Elle me demande également d’ordonner que l’employeur rembourse la différence entre les frais de Mme Ewen liés aux études et le montant de l’aide qu’elle a reçue de l’employeur.

[48]   Dans l’examen de ce grief, je traitera d’abord de l’objection de l’employeur à ma compétence à l’égard du paiement de droits de scolarité et de livres. Je conviens avec l’employeur qu’aucune disposition de la convention collective ne prévoit le paiement de droits de scolarité ou de frais de livres. En fait, la seule disposition en ce sens figure dans le document du SCC intitulé Instructions permanentes – Congé d’études (287) (pièce G-9), aux alinéas 21.a. et 21.b.

[49]   L’alinéa 92(1)a) de l’ancienne Loi prévoit le renvoi à l’arbitrage d’un grief non réglé à la satisfaction de l’employé. À part une cessation d’emploi, une rétrogradation ou une mesure disciplinaire entraînant une suspension ou une sanction pécuniaire, les seules questions pouvant être renvoyées à l’arbitrage de grief sont celles résultant d’une convention collective ou d’une décision arbitrale.

[50]   La fonctionnaire s’estimant lésée soutient que le document du SCC intitulé Instructions permanentes – Congé d’études (287) (pièce G-9) est incorporé dans la convention collective par effet de l’alinéa 18.05a) de la convention. Je ne suis pas d’accord. L’alinéa 18.05a) de la convention collective parle seulement de l’établissement de critères de sélection pour l’octroi d’un congé d’études; il ne traite pas des frais dont le remboursement peut être envisagé. Cette dernière question est prévue à l’article 21 du document du SCC Instructions permanentes – Congé d’études (287) et elle n’est nullement liée aux critères de sélection. C’est uniquement lorsque le processus de sélection est terminé que l’article 21 peut s’appliquer. Rien n’indique dans la convention collective que le document du SCC Instructions permanentes – Congé d’études (287) est incorporé dans la convention. La fonctionnaire s’estimant lésée a concédé que cela rend la question non arbitrable, et c’est ce que je conclus.

[51]   Il reste la demande de décision déclaratoire voulant que la manière dont la demande de congé d’études de Mme Ewen a été traitée viole la convention collective. Il n’y a pas de doute que l’employeur était d’accord sur le fait que Mme Ewen souhaitait parfaire son éducation. Dès la mi-décembre 2001, le sous-directeur Pollmann appuyait le projet de Mme Ewen de poursuivre ses études. Le directeur Campbell soutenait lui aussi Mme Ewen. C’est conforme avec le paiement de 3 500 $ de droits de scolarité (pièce E-7) indiqué dans la demande de congé d’études de Mme Ewen (pièce E-8).

[52]   Je voudrais traiter de l’argument de l’employeur sur l’application de Burchill. Je considère tout simplement que ce cas ne s’applique pas en l’espèce. L’employeur prétend avoir été [traduction] « pris par surprise » en raison de l’argument de la fonctionnaire au sujet de la mauvaise foi. Burchill, si je ne m’abuse, empêche un employé s’estimant lésé de soutenir une thèse devant l’employeur et une autre complètement différente devant un arbitre de grief. Dans le cas du grief dont je suis saisi, l’essence de ce dernier était et demeure que [traduction] « […] la décision de ne pas accorder de tels congés et de telles indemnités cette année […] représente une tentative pour contourner la convention collective ». C’est l’équivalent d’une allégation de mauvaise foi.

[53]   Historiquement, les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont jamais été tenus d’énoncer leurs arguments dans le grief. Ils sont plutôt obligés de donner suffisamment de détails pour permettre à l’employeur de comprendre l’objet du grief. Dans le formulaire de grief de l’employeur, il était demandé à la fonctionnaire s’estimant lésée de fournir des [traduction] « détails sur le grief » et non des détails sur les arguments qu’elle entendait invoquer. Il y a une foule de raisons pour cela, dont la moindre n’est pas que le fait d’adopter l’argument de l’employeur limiterait un fonctionnaire s’estimant lésé aux arguments exposés dans le formulaire de grief, à l’exclusion d’arguments pertinents qu’un représentant peut-être plus compétent ou expérimenté présenterait aux divers paliers de la procédure de règlement des griefs ou à l’étape de l’arbitrage de grief.

[54]   Il y a unanimité entre les parties sur le fait que l’employeur a un pouvoir discrétionnaire dans l’octroi d’un congé d’études. Un tel pouvoir est conféré à l’employeur par le passage de l’alinéa 18.02a) de la convention collective qui dit que l’employé « peut bénéficier » d’un congé d’études. La question de savoir si ce pouvoir a été exercé — et, dans l’affirmative, comment il l’a été — dans le rejet de la demande de congé d’études de Mme Ewen est la question que je dois trancher.

[55]   L’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ne peut être arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi. Ce principe a été suivi dans Salois et Allad. Dans leur ouvrage intitulé Principles of Administrative Law , 2 e édition (1994), D.P. Jones et A.S. de Villars traitent comme suit de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire :

[Traduction]

[…]

[…] un pouvoir discrétionnaire illimité ne peut exister. Il y a de l’abus si un délégué refuse d’exercer un pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique qui l’entrave dans sa capacité à examiner des cas individuels en faisant preuve d’ouverture d’esprit.

[…]

Après tout, l’existence d’un pouvoir discrétionnaire implique l’absence d’une règle dictant le résultat dans chaque cas; l’essence du pouvoir discrétionnaire est que celui-ci peut être exercé différemment dans des cas différents. Chaque cas doit être considéré individuellement, selon les faits qui lui sont propres. Par conséquent, tout ce qui exige qu’un délégué exerce son pouvoir discrétionnaire d’une façon particulière peut limiter illégalement la portée de ce pouvoir.

[…]

[56]   La jurisprudence exige aussi que, dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, les circonstances individuelles soient prises en compte. Par exemple, dans Allad, l’arbitre de grief a formulé les observations suivantes :

[…]

[…] Je souscris également à l’affirmation de l’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé d’après laquelle le pouvoir discrétionnaire accordé au sous-ministre par cette disposition doit être exercé en tenant compte des circonstances particulières du fonctionnaire s’estimant lésé. […]

[…]

[57]   De plus, dans Nav Canada, l’arbitre a conclu comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] l’exigence générale imposée par la direction dans sa politique du 17 mai 1998 n’est pas compatible avec l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par les clauses 9.02 et 9.03. Ce que cela fait en réalité, c’est de supprimer le concept de pouvoir discrétionnaire, dans le cadre duquel seraient bien prises en considération les circonstances effectives donnant lieu à la demande de l’employé. Même dans les cas où une couverture serait refusée, il faudrait que la direction prenne en compte les circonstances donnant lieu à la demande.

[…]

[58]   Enfin, dans Meadow Park Nursing Home, le conseil d’arbitrage a rendu la conclusion suivante :

[Traduction]

[…]

[…] En particulier, nous estimons que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’employeur doit être de bonne foi, qu’il doit s’agir d’un véritable exercice de pouvoir discrétionnaire et non pas simplement de l’application d’une politique rigide et que l’exercice d’un tel pouvoir doit inclure la prise en compte de la question du bien-fondé de chaque cas individuel. […]

[…]

[59]   La question que je dois me poser est de savoir si les faits entourant l’utilisation, par l’employeur, de son pouvoir discrétionnaire répondent aux normes ou critères énoncés précédemment.

[60]   Tout d’abord, j’accepte la preuve de l’employeur selon laquelle la région des Prairies, y compris l’Établissement de Rockwood, était en difficulté financière en 2003-2004. Le témoignage du sous-directeur Pollmann et de M. Kynoch est cohérent sur ce point. Par ailleurs, je n’accepte pas la proposition voulant que la situation financière globale du gouvernement du Canada en 2003-2004 ait été révélatrice de celle du SCC pendant la même période. Il n’était guère utile de savoir que le gouvernement du Canada avait eu un surplus dans la même année, car une preuve non contredite établissait que le SCC avait eu, selon M. Kynoch, [traduction] « un trou de 2 millions de dollars ». Cependant, cette situation financière désastreuse ne soustrait pas l’employeur à ses obligations contractuelles ou aux exigences d’exercer son pouvoir discrétionnaire de façon appropriée.

[61]   Le processus d’octroi de congé d’études a été décrit de manière très détaillée par M. Kynoch. Au début d’avril, soit au début de l’exercice, une lettre servant de rappel est diffusée au sujet des demandes. Les demandes d’employés sont présentées à leurs superviseurs, au directeur de l’établissement, à l’administrateur régional du personnel ainsi qu’au CGAR, lors d’une réunion au cours de laquelle le sous-commissaire régional détermine si une demande est acceptée, après des discussions quant au bien-fondé relatif de chaque demande.

[62]   La procédure a toutefois été court-circuitée concernant la seule demandeuse de congé, Mme Ewen. Le courriel du directeur Campbell en date du 21 janvier 2003 (pièce E-5) indique bien clairement que, trois mois complets avant l’exercice 2003-2004, le CGAR avait décidé ceci :

[Traduction]

[…]

[…] il a été déterminé que, au niveau régional, nous ne sommes pas en mesure d’effectuer des paiements à l’égard de ces demandes. Une décision du CGAR a été prise de ne pas payer de congé d’études pour l’exercice 2003-2004. Ainsi, le comité de la haute direction de Rockwood n’approuvera pas de cours/frais de scolarité/livres, et l’administration régionale n’approuvera aucun congé d’études. Cette décision sera appliquée à tous les sites opérationnels du SCC de la région des Prairies.

[…]

Cette décision de ne pas accepter de demande de congé d’études a été prise avant que Mme Ewen présente sa demande pour 2003-2004.

[63]   Alors comment l’employeur peut-il soutenir que les circonstances individuelles de Mme Ewen ont été bien prises en compte? En fait, Mme Ewen a témoigné que c’est seulement des semaines plus tard que le sous-directeur Pollmann l’a informée que sa demande de congé d’études était rejetée. Cet élément de preuve n’a pas été contesté. Pourtant, ce rejet a été signifié des semaines après qu’une décision avait déjà été prise que toutes les demandes de congé d’études seraient rejetées. Le courriel du directeur Campbell en date du 21 janvier 2003 (pièce E-5) dit clairement : [traduction] « […] Ainsi, le comité de la haute direction de Rockwood n’approuvera pas de cours/frais de scolarité/livres […] » C’est difficilement susceptible d’être revu.

[64]   Cela m’amène à la plaidoirie finale de l’employeur selon laquelle il n’y avait pas de politique générale consistant à n’accorder aucun congé d’études en 2003-2004 et qu’une décision devait toutefois être prise, car il n’y avait aucune marge de manœuvre. Je ne suis pas d’accord. C’est exactement le type d’abus de pouvoir discrétionnaire envisagé par Jones et de Villars quand ils écrivent [traduction] « […] en adoptant une politique qui l’entrave dans sa capacité à examiner des cas individuels en faisant preuve d’ouverture ». Ils expliquent en outre ceci :

[Traduction]

[…]

L’adoption d’une politique inflexible signifie presque assurément que le délégué n’a pas exercé le pouvoir discrétionnaire qui lui a été accordé.

[…]

Ces observations étayent la proposition voulant que l’adoption d’une approche inflexible transforme un pouvoir discrétionnaire en une règle applicable à tous les cas.

[65]   La réponse à la question de savoir si le rejet, par l’employeur, de la demande de congé d’études de Mme Ewen en 2003-2004 répond aux critères énoncés dans la jurisprudence et dans le traité susmentionné est une réponse négative. De plus, un tel rejet, basé uniquement sur une politique inflexible prédéterminée et ne tenant aucunement compte des circonstances individuelles de Mme Ewen, violait la convention collective; c’était arbitraire et de mauvaise foi.

[66]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V.   Ordonnance

[67]   La partie du grief qui se rapporte au paiement de droits de scolarité et de livres est rejetée.

[68]   Je déclare que, en rejetant la demande de congé d’études de Mme Ewen, l’employeur a violé la convention collective puisqu’il a omis d’exercer adéquatement son pouvoir discrétionnaire, laquelle omission fait qu’il a agi arbitrairement et de mauvaise foi.

Le 17 octobre 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Barry D. Done,
arbitre de grief

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