Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été congédié de son poste à la suite d’un présumé incident déterminant - l’employeur a allégué que le fonctionnaire s’estimant lésé a fait de fausses déclarations sur son état de santé afin de pouvoir réclamer des indemnités d’accident du travail - le fonctionnaire s’estimant lésé a glissé au travail et s’est blessé au dos - le fonctionnaire s’estimant lésé s’est présenté en personne au travail pour obtenir des formulaires médicaux, et l’employeur a constaté qu’il marchait, qu’il montait les escaliers et qu’il se levait d’une position assise sans aide et de façon normale, malgré le fait que les notes de son médecin précisaient qu’il s’agissait d’une grave blessure - l’employeur a examiné les dossiers faisant état des blessures que le fonctionnaire s’estimant lésé avait subies au travail et avait le sentiment que ses dossiers montraient qu’il n’avait pas été tout à fait franc quant aux restrictions dont il devait faire l’objet dans son travail - son médecin a précisé que des fonctions modifiées ne constituaient pas une option, mais a précisé que l’employeur pouvait se mettre en rapport avec lui pour discuter de toute aide au travail ou de réadaptation - le fonctionnaire s’estimant lésé a refusé de se présenter à une séance de formation d’un jour sur les scanneurs, en affirmant qu’il avait mal au dos - c’est à ce moment que l’employeur a examiné l’intégralité du dossier du fonctionnaire s’estimant lésé, y compris ses antécédents disciplinaires et a ordonné la surveillance vidéo de l’employé - l’employeur n’a pas communiqué avec le médecin du fonctionnaire s’estimant lésé - l’arbitre de grief a conclu que l’on pouvait alléguer que la preuve était pertinente mais qu’elle devrait être exclue - l’arbitre de grief a jugé que l’attente au titre du droit à la vie privée au travail a ses origines à la fois dans la Charte canadienne des droits et libertés et dans les droits de la direction - il a également déterminé que le critère raisonable était le critère le plus approprié pour établir l’admissibilité de la preuve enregistrée sur bande vidéo - la surveillance vidéo était considérée comme extrêmement intrusive et il fallait qu’il y ait des causes raisonnables et probables pour justifier le recours à cette forme de surveillance - il s’agit d’un critère objectif - le critère raisonnable comporte deux exigences que l’employeur doit respecter avant que la preuve puisse être considérée comme admissible, la première étant celle de savoir s’il était raisonnable d’assurer une telle surveillance, compte tenu de toutes les circonstances - le fait d’avoir des soupçons légitimes n’équivaut pas nécessairement à l’établissement de motifs raisonnables justifiant une surveillance - même si l’employeur avait des raisons d’avoir des soupçons, ces soupçons ne justifiaient pas de façon immédiate une surveillance - l’employeur n’est pas tenu de démontrer qu’il a épuisé tous les autres recours pour confirmer ses soupçons, mais il doit expliquer pourquoi d’autres mesures plus facilement applicables et moins intrusives ne lui auraient pas permis d’atteindre les mêmes objectifs - l’employeur disposait d’autres moyens pour obtenir l’information qu’il lui fallait et aurait dû se mettre en rapport avec le médecin du fonctionnaire s’estimant lésé pour obtenir d’autres renseignements - l’employeur n’a fourni aucune preuve expliquant pourquoi il n’aurait pas pu appeler le médecin du fonctionnaire s’estimant lésé avant d’ordonner la surveillance - en raison de cette première décision, l’arbitre de grief a décidé qu’il n’était pas nécessaire pour lui de se prononcer sur la deuxième exigence du critère raisonnable, c’est-à-dire si la surveillance a été assurée ou non d’une façon raisonnable - la surveillance était donc déraisonnable - la bande vidéo résultant de la surveillance et le rapport portant sur la surveillance ne sont pas admissibles. Demande d’exclusion de la preuve accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail au Parlement

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-02-14
  • Dossier:  466-HC-344
  • Référence:  2006 CRTFP 15

Devant un arbitre de grief



ENTRE

DAVID SABOURIN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CHAMBRE DES COMMUNES

employeur

Répertorié
Sabourin c. Chambre des communes

Affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant : Ian Mackenzie, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé : Glen Chochla, Alliance de la Fonction publique du Canada et Paul Champ, avocat

Pour l'employeur : Charles Hofley, avocat


Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 10 et 11 janvier et du 12 au 14 octobre 2005.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Grief renvoyé à l'arbitrage

[1]   David Sabourin a été licencié des Services postaux de la Chambre des communes le 14 octobre 2003 par suite de ce que l’employeur allègue avoir été un incident déterminant, à savoir qu’il aurait [traduction] « malhonnêtement donné une fausse idée » de son état de santé afin de pouvoir réclamer des indemnités d’accident du travail (pièce G-3). L’employeur est arrivé à cette conclusion notamment en se fondant sur la surveillance vidéo de M. Sabourin hors de son lieu de travail. Le fonctionnaire s’estimant lésé s’est opposé à l’introduction des bandes vidéo ainsi que du rapport de kinésiologie fondé sur elles. Les parties ont convenu que je devrais d’abord me prononcer sur l’objection, en rendant une décision provisoire à ce sujet.

[2]   M. Sabourin était membre d’une unité de négociation représentée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) et assujetti à la convention collective conclue entre celle-ci et la Chambre des communes à l’égard de l’unité de négociation du sous-groupe des Services postaux (date d’expiration : 30 juin 2003, pièce G-1). Au début de l’audience, il était représenté par Glen Chochla, de l’AFPC, mais Me Paul Champ a pris la relève pour M. Sabourin et pour l’agent négociateur à la reprise de l’audience le 12 octobre 2005.

[3]   L’employeur a fait comparaître cinq témoins. Deux d’entre eux ont témoigné en français; un service d’interprétation simultanée a été fourni. Personne n’a témoigné pour M. Sabourin. Son représentant a réclamé une ordonnance d’exclusion des témoins; comme l’avocat de l’employeur, Me Charles Hofley, ne s’y est pas opposé, j’ai rendu l’ordonnance demandée.

[4]   Me Hofley voulait introduire en preuve un document rédigé en octobre 2004 par André Cyr, coordonnateur, Mise en œuvre de programmes, Services de santé, sécurité et environnement; il s’agissait d’un résumé d’une analyse des dossiers de l’employeur sur les accidents de travail de M. Sabourin. M. Chochla s’est opposé à cette démarche, en disant que le document avait été rédigé après la surveillance vidéo. J’ai jugé que le document n’était pas admissible, parce que rédigé après que l’employeur eut pris la décision de soumettre M. Sabourin à une surveillance vidéo et après le licenciement de M. Sabourin.

[5]   Au cours du contre-interrogatoire de M. Cyr, Me Champ a demandé la divulgation des notes figurant dans le dossier d’accident du travail de M. Sabourin pour la période du 1 er au 19 juin 2003. J’ai accédé à sa demande et ordonné la divulgation des documents en question. Me Champ a aussi réclamé la divulgation des dossiers de M. Sabourin de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) et de la Commission des accidents du travail (CAT) que M. Cyr avait étudiés avant de recommander la surveillance vidéo. J’ai ordonné la divulgation de ces dossiers seulement pour les fins du contre-interrogatoire de M. Cyr sur les raisons de sa recommandation que M. Sabourin fasse l’objet d’une telle surveillance, ainsi que de l’interrogatoire de M. Sabourin lui-même, dans l’éventualité où il témoignerait. Cela dit, j’ai déclaré que je n’entendrais pas de témoignage qui rouvrirait ou contesterait ces vieux dossiers de la CSPAAT.

Preuve

[6]   M. Sabourin travaillait à l’entrepôt de la Chambre des communes situé sur le chemin Belfast, à Ottawa. Le 9 juin 2003, il a glissé au travail et s’est blessé au dos. Son supérieur immédiat, Paul Deault, le superviseur des services de distribution postale de la Chambre des communes, n’avait pas été témoin de l’accident, mais on l’a immédiatement informé que M. Sabourin s’était blessé. Il l’a conduit à l’hôpital Montfort en voiture. M. Sabourin a pu prendre place dans le véhicule sans aide. M. Deault lui a remis un coupon de taxi pour rentrer et l’a laissé à l’entrée de l’Hôpital. M. Sabourin lui a téléphoné plus tard pour lui dire qu’il y avait trop de monde au service d’urgence et qu’il irait plutôt dans une clinique populaire d’Orléans. Il est rentré au travail prendre sa voiture. Par la suite, il a produit une formule signée par le Dr S. Wijay, de l’Orleans Gardens Family Health Centre, et datée du 9 juin 2003 (pièce E-1), précisant qu’il serait absent de son travail du 9 au 13 juin 2003 inclusivement.

[7]   Le jour même de l’accident, M. Deault a envoyé un courriel (pièce G-11) à Linda Baird, conseillère en santé et sécurité au travail à la Chambre des communes, pour l’en informer. Le 10 juin 2003, il a rédigé un Rapport d’enquête sur un accident (pièce E-12). Mme Baird a fait un suivi auprès de lui le 11 juin 2003, afin d’obtenir un complément d’information; son enquête a eu lieu peu de temps après. Dans ce contexte, elle a interrogé Sergine Courchaine, qui avait été témoin de l’accident, en plus de M. Deault. Elle a aussi inspecté le lieu de l’accident. Elle a conclu que les marches étaient glissantes et que cette situation existait [traduction] « depuis un certain temps » (pièce G-11). Elle a recommandé qu’on applique de la peinture antidérapante sur les marches. La formule de Rapport sur une blessure de l’employeur (pièce G-10) a été remplie le 13 juin 2003 et envoyée à la CSPAAT. M. Cyr a témoigné que la case cochée sur la formule précisant la non-disponibilité de fonctions modifiées était basée sur le rapport du Dr Wijay.

[8]   Le 16 juin 2003, M. Sabourin s’est présenté au bureau de M. Deault afin d’obtenir une formule d’évaluation de son aptitude au travail pour son médecin (pièce E-2). M. Deault a témoigné qu’il avait gravi sans aide une dizaine de marches pour parvenir à son bureau du chemin Belfast. De plus, il a témoigné que M. Sabourin [traduction] « semblait bien » et « normal ». M. Sabourin s’est assis sur le divan dans son bureau pour une quinzaine ou une vingtaine de minutes. Il s’est levé sans aide. Marc Aubin, un autre superviseur à l’entrepôt du chemin Belfast, a vu M. Sabourin monter l’escalier et marcher comme d’habitude.

[9]   Mme Baird a préparé à l’intention de M. Cyr (son superviseur) un résumé daté du 16 juin 2003 (pièce G-11) des blessures que M. Sabourin avait subies au travail, à partir de son examen des dossiers du Centre des documents. Dans ce résumé, elle énumérait les cinq demandes d’indemnisation suivantes en déclarant qu’elles [traduction] « avaient toutes été approuvées par la CAT » :

  1. février 1996 :        abrasion au cuir chevelu
  2. mars 1996 :           blessure à la cheville droite
  3. novembre 1996 :   blessure à l’index gauche
  4. janvier 1997 :        blessure au côté droit de la poitrine
  5. avril 1997 :           blessure au bas du dos.

[10]   M. Cyr a témoigné avoir été [traduction] « frappé par quelque chose » en prenant connaissance de cette liste; il a voulu pousser l’enquête plus loin. Il n’était pas convaincu que toutes les demandes d’indemnisation avaient été approuvées par la CSPAAT, s’il se souvenait bien de demandes qui n’avaient pas été versées aux dossiers du Centre des documents. Il a demandé aux Archives les dossiers des demandes d’indemnisation de 1993 et 1994 et les a étudiés de plus près. Dans son témoignage, il a déclaré que M. Sabourin avait tenté de ne pas se présenter au travail pour accomplir des fonctions modifiées dans trois de ces dossiers de demande d’indemnisation (ceux de janvier et d’avril 1997, ainsi que d’une autre demande en 1993 ou 1994). En 1993, M. Sabourin n’avait pas fourni les renseignements médicaux supplémentaires demandés à la CSPAAT, qui avait fermé le dossier puisqu’il ne coopérait pas. Dans le cas de la demande d’avril 1997, M. Cyr a témoigné que l’employeur avait contesté la prétention que l’accident s’était produit au lieu de travail. Néanmoins, la CSPAAT avait été incapable de confirmer qu’il s’était effectivement produit ailleurs, en tranchant en faveur du travailleur blessé comme elle le fait invariablement dans ces cas-là. En contre-interrogatoire, M. Cyr a reconnu qu’il n’y avait eu des [traduction] « complications » qu’à l’égard de deux des demandes.

[11]   Dans le cas de la demande du 15 décembre 1993, M. Sabourin s’était fait mal au dos et s’était absenté du travail pendant quelques jours. L’employeur avait signalé la blessure à la CSPAAT, mais M. Sabourin n’avait jamais présenté de demande d’indemnisation.

[12]   En ce qui concerne la demande du 6 juin 1994, M. Sabourin s’était fait remettre une note du Dr James Dickson déclarant que des fonctions modifiées étaient appropriées. On lui avait offert des fonctions modifiées à l’entrepôt en le chargeant de répondre au téléphone. Il avait commencé par refuser ces fonctions modifiées en disant que son médecin lui avait déclaré qu’il ne pourrait pas travailler à l’entrepôt. L’employeur avait communiqué avec le Dr Dickson, qui lui avait dit que les fonctions modifiées proposées étaient acceptables. Il avait aussi communiqué avec la CSPAAT (alors appelée Commission des accidents du travail), qui avait cessé de verser des indemnités à M. Sabourin (pièce E-7). Le jour même, M. Sabourin avait reçu un appel de John Bejermi, de la Direction de la santé et sécurité de la Chambre des communes; il avait accepté de retourner au travail dès le lendemain (pièces E-5 et E-6).

[13]   En contre-interrogatoire, M. Cyr a déclaré avoir étudié les dossiers pour vérifier si le fonctionnaire s’estimant lésé avait simulé des blessures. Il a précisé que c’était une pratique courante que d’étudier les vieux dossiers dans les cas d’accident du travail pour déterminer si les blessures étaient du même genre, afin d’identifier les cas de simulation et de voir si d’autres mesures comme de l’aide ergonomique seraient justifiées. Selon lui, cela facilite la décision d’avoir recours ou pas à la surveillance vidéo.

[14]   Le 16 juin 2003, le médecin de M. Sabourin, le Dr Dickson, a rempli et signé un Certificat médical d’incapacité de travail (pièce G-9), en déclarant dans cette formule de Santé Canada que M. Sabourin était incapable d’accomplir ses tâches normales et en fixant au 1 er juillet 2003 la date estimative de son retour au travail. Le Dr Dickson avait aussi rempli la formule d’évaluation de l’aptitude au travail de la Chambre des communes (pièce E-2/G-9), en stipulant que l’aptitude à marcher, à rester debout, à rester assis et à conduire un véhicule de M. Sabourin était réduite. Dans la description détaillée de diverses activités comme lever des charges et porter des objets, accompagnée de cases sur leur faisabilité, le médecin avait coché la case indiquant qu’elles n’étaient absolument pas indiquées. Il avait coché la case « Non » en réponse à la question de savoir s’il estimait que l’employé pourrait retourner au travail immédiatement si l’employeur pouvait lui offrir des fonctions modifiées correspondant à ses capacités fonctionnelles. En outre, il avait coché la case « Oui » en réponse à la question posée pour déterminer si la Direction de la santé et sécurité au travail de la Chambre des communes pourrait communiquer avec lui en vue de déterminer l’aide à la réadaptation au travail susceptible d’être fournie. Enfin, il avait écrit qu’il était [traduction] « possible » que M. Sabourin soit tout à fait guéri le 1 er juillet 2003 et qu’il aimerait lui faire subir un nouvel examen le 30 juin 2003.

[15]   Le 17 juin 2003, M. Sabourin a apporté cette formule d’évaluation de son aptitude au travail (pièce E-2/G-9) au bureau de l’entrepôt du chemin Belfast. M. Aubin l’a vu marcher ce jour-là en compagnie de M. Deault, qui a envoyé la formule à M. Cyr.

[16]   Le 17 juin 2003, M. Deault a informé son superviseur, Robert Frenette, que M. Sabourin avait retourné la formule en question. M. Frenette lui a demandé d’appeler M. Sabourin pour l’informer de la séance de formation sur scanneurs d’une journée qui devait avoir lieu le lendemain 18 juin 2003; M. Sabourin était inscrit à ce cours. M. Deault a témoigné avoir déclaré à M. Sabourin que la formation consistait essentiellement à regarder une vidéo et lui avoir dit qu’il pourrait rester assis, se lever et marcher tout en la regardant. M. Sabourin lui a répondu qu’il avait mal au dos et qu’il ne pourrait pas assister à la séance. M. Frenette a témoigné que cette formation est offerte chaque année. La plus grande partie du cours est théorique et son côté « physique » est une démonstration de 20 à 30 minutes de l’utilisation de l’équipement. Selon M. Frenette, il n’y aurait eu aucun problème à ce que M. Sabourin reste assis dans la salle de cours; il avait été étonné d’apprendre qu’il ne pourrait pas être là. Il avait téléphoné à M. Cyr pour l’informer du refus de M. Sabourin en lui disant que, même si le médecin estimait que son état était grave, M. Sabourin semblait capable de se déplacer. Il avait alors demandé à M. Cyr quelles étaient ses options; celui-ci lui en avait proposé quelques-unes, dont la surveillance vidéo.

[17]   M. Frenette avait dit à M. Cyr que, si M. Sabourin ne pouvait pas rester assis dans une salle de cours, il ne serait pas raisonnable de lui offrir des fonctions modifiées. Il a témoigné que la surveillance était la seule possibilité envisageable. En contre-interrogatoire, il s’est fait demander s’il aurait été possible d’obtenir un avis médical d’un autre médecin. Il a répondu que cette option n’avait pas été mentionnée quand il avait communiqué avec M. Cyr. Il a ajouté que l’employeur avait déjà des avis de deux médecins (les D rs Wijay et Dickson). M. Frenette n’avait pas le pouvoir d’ordonner la surveillance et en avait parlé avec son superviseur, M. Malette, le chef des Services postaux. Après leur conversation, ils étaient allés ensemble voir Art St. Louis, le directeur, Gestion des bâtiments.

[18]   M. Aubin a rempli une demande d’assurance-invalidité et l’a signée le 28 juillet 2003 (pièce G-6). Dans la formule de demande, à la question posée pour savoir si un poste serait offert à l’employé dans l’éventualité où il pourrait retourner au travail avec un horaire réduit ou un changement de fonctions, il avait écrit : [traduction] « Pas de fonctions modifiées disponibles ». En contre-interrogatoire, M. Deault s’est fait demander s’il y avait des fonctions modifiées que M. Sabourin aurait pu accomplir à l’entrepôt du chemin Belfast. Il a répondu n’être au courant d’aucune possibilité de tâches modifiées. En réinterrogatoire, il a témoigné que la décision d’offrir des fonctions modifiées incombait à son superviseur, M. Frenette, et ne faisait pas partie de ses propres responsabilités. M. Frenette a témoigné quant à lui qu’il n’y avait pas à ce moment-là de fonctions modifiées à l’entrepôt du chemin Belfast, en ajoutant que de telles fonctions étaient rarement disponibles. M. Cyr a témoigné qu’on n’avait [traduction] « guère envisagé » de trouver du travail modifié pour M. Sabourin. Il a dit qu’il aurait fallu pour cela rencontrer M. Sabourin et un spécialiste de l’ergonomie. Selon M. Cyr, il n’y avait jamais eu de possibilité que M. Sabourin vienne à son lieu de travail pour établir un programme, parce qu’il avait refusé de se présenter quand on lui avait demandé de venir travailler avec des tâches modifiées. M. St. Louis a témoigné, lui, que les mesures d’adaptation à la situation des fonctionnaires blessés consistant à leur proposer des fonctions modifiées étaient prises pour l’ensemble de l’organisation par M. Mallette ou par lui-même. M. St. Louis a déclaré qu’il n’existait pas à sa connaissance de fonctions modifiées disponibles dans ce cas-ci, parce que le diagnostic du Dr Dickson était encore valable à l’époque.

[19]   Quand M. Cyr s’est fait demander pourquoi il pensait que M. Sabourin serait en mesure d’accomplir des fonctions modifiées alors que le Dr Dickson avait déclaré qu’il en serait incapable (pièce G-9), il a dit que les médecins se fondent souvent sur la description de poste du fonctionnaire et ne savent pas qu’on peut leur offrir des fonctions modifiées différentes de ce que cette description prévoit. Il a témoigné n’avoir pas parlé au Dr Dickson avant le 3 juillet 2003, soit après la fin de la surveillance vidéo, en disant qu’il n’avait pas pensé à l’appeler plus tôt. Selon lui, si M. Sabourin était tombé d’une échelle, il aurait [traduction] « bien sûr » été très inquiet, mais la blessure qu’il s’était faite en glissant ne lui semblait pas grave. Par ailleurs, il a précisé que la CSPAAT avait été informée que des fonctions modifiées étaient disponibles.

[20]   M. Cyr a déclaré avoir recommandé la surveillance vidéo en se fondant sur sa discussion avec le gestionnaire responsable, sur son étude des dossiers, sur le mécanisme de la blessure, sur le refus de M. Sabourin d’assister à la formation sur les scanneurs et enfin sur le fait qu’il semblait que son état s’aggravait. Après en avoir parlé avec M. Frenette, il s’est adressé à son directeur, Benoit Giroux.

[21]   M. St. Louis a témoigné avoir été informé de la blessure de M. Sabourin peu après l’accident. Il a admis qu’un accident s’était produit. Il a déclaré que certains des renseignements qu’il avait reçus au sujet de M. Sabourin étaient contradictoires. M. Sabourin s’était rendu à la clinique au volant de sa voiture et l’avait conduite aussi pour aller déposer des rapports médicaux à son lieu de travail; pourtant, quelques jours après, il a prétendu être invalide. Selon lui, le facteur déterminant de sa décision d’autoriser la surveillance vidéo a été le refus de M. Sabourin de se présenter à la séance de formation sur les scanneurs. À son avis, M. Sabourin ne coopérait pas avec ses supérieurs.

[22]   M. St. Louis a aussi fondé sa décision d’ordonner la surveillance sur ses interactions avec M. Sabourin dans le contexte d’affaires disciplinaires antérieures. Il a témoigné qu’il s’agissait en l’espèce du cinquième incident disciplinaire en quatre ans. En décembre 1999, M. Sabourin avait reçu une réprimande écrite pour s’être servi sans autorisation d’un coupon de taxi. En juillet 2001, il en avait reçu une autre pour s’être absenté sans autorisation du lieu de travail; en octobre 2001, il avait reçu une suspension de trois jours pour avoir ouvert une enveloppe du bureau d’un député. Dans l’incident le plus récent, en avril et en mai 2002, il avait volé un livre et des piles, puis tenté de cacher son vol. M. St. Louis a témoigné avoir personnellement fait enquête sur la question dans ce cas-là, en disant que M. Sabourin avait admis le vol une fois confronté à tous les faits, qu’il avait obtenus. Le fonctionnaire s’estimant lésé s’était alors fait imposer une suspension de vingt jours doublée d’une rétrogradation (pièce E-17); il n’avait pas présenté de grief pour contester cette sanction. M. St. Louis avait levé la suspension en raison des difficultés financières qu’elle aurait entraînées pour la famille de M. Sabourin, même s’il a affirmé dans son témoignage que la sanction restait. En outre, il a déclaré que M. Sabourin avait signé l’engagement de [traduction] « changer son attitude » au travail.

[23]   M. St. Louis a soutenu que l’employeur s’attend à ce que les employés se conforment à des normes d’éthique rigoureuses en raison de leurs rapports quotidiens avec les députés. Il a témoigné que les députés et leur personnel sont exigeants, en disant que, selon le vieil adage de la Chambre des communes, [traduction] « les sanctions sont rapides » dans le contexte de la relation entre les fonctionnaires et les députés.

[24]   Après le refus de M. Sabourin de se présenter pour la formation sur les scanneurs, le 18 juin 2003, M. St. Louis a demandé au service des relations de travail de la Chambre des communes de s’enquérir de l’à-propos d’une surveillance vidéo auprès des conseillers juridiques. Il a témoigné avoir aussi demandé l’avis d’un avocat de l’extérieur et demandé conseil au sergent d’armes ainsi qu’au directeur de la sécurité. Le 19 juin 2003, il a pris la décision d’ordonner la surveillance. Il a décidé qu’elle commencerait le 25 juin 2003, au cas où il [traduction] « arriverait autre chose ».

[25]   M. St. Louis a déclaré que l’employeur aurait pu demander à Santé Canada d’examiner le fonctionnaire s’estimant lésé, mais il a précisé qu’il ne croyait pas que ce serait nécessaire puisqu’il n’avait aucune raison de douter du Dr Dickson. Le hic, pour l’employeur, c’était qu’il [traduction] « ne constatait pas ce que [le Dr Dickson] décrivait ». M. St. Louis a reconnu que le Dr Dickson avait déclaré dans son certificat médical que M. Sabourin n’était pas apte à travailler, mais il doutait de la validité de ce diagnostic et ne savait pas si le médecin avait tous les renseignements pertinents. En contre-interrogatoire, il a affirmé que M. Cyr lui avait indiqué la marche à suivre dans ses rapports avec le Dr Dickson. L’avocat de M. Sabourin lui a dit que M. Cyr n’avait pas parlé au Dr Dickson avant que la surveillance n’ait eu lieu. M. St. Louis a témoigné que ce n’est pas ce qu’on lui avait rapporté, en déclarant avoir été informé que M. Cyr avait parlé au Dr Dickson. Il a dit qu’il aurait été approprié, dans les circonstances, de parler au médecin. En réinterrogatoire, quand on lui a demandé s’il était possible que M. Cyr ait parlé au Dr Dickson après le 19 juin 2003, il a répondu que celui-ci l’avait fait avant cette date.

[26]   De plus, M. St. Louis a témoigné qu’il pensait que la seule option qui lui restait pour faire la lumière sur les contradictions entre le certificat médical et ce que la direction avait elle-même constaté consistait à avoir recours à la surveillance vidéo. Il a dit que c’était vraiment un [traduction] « dernier recours », seulement après avoir tenté tout le reste et surtout d’obtenir la coopération du fonctionnaire ainsi que du médecin.

[27]   M. Cyr a rencontré les enquêteurs le 19 juin 2003. Il a témoigné que l’employeur avait retenu les services de la firme en question à peu près cinq fois jusque-là et dit que l’employeur s’était fondé sur la politique de la CSPAAT en matière de surveillance (pièce E-3).

[28]   M. St. Louis a déclaré avoir visionné les bandes vidéo, après quoi il en a demandé une analyse professionnelle par des kinésiologues. Il a dit que la surveillance avait eu lieu dans des endroits publics, par exemple dans un grand magasin, dans la rue, dans un restaurant et dans un lave-auto. Il a affirmé qu’il n’y avait pas eu de surveillance dans des [traduction] « endroits privés ». En contre-interrogatoire, il a témoigné qu’une partie de la surveillance avait consisté à observer M. Sabourin sur le balcon à l’avant de sa maison. Il a ajouté que les personnes chargées de la surveillance pouvaient témoigner et qu’il était convaincu que les cassettes avaient été conservées en lieu sûr.

[29]   Le Dr Dickson avait rempli le 2 juillet 2003 un formulaire de Détermination des capacités fonctionnelles du fonctionnaire s’estimant lésé (pièce G-5/E-14). Dans ce formulaire de la CSPAAT, il déclarait que M. Sabourin était capable de retourner au travail avec des restrictions, particulièrement lorsqu’il s’agirait de se pencher, de se tourner et d’avoir des mouvements répétitifs du dos. Sous la rubrique des capacités, il déclarait que M. Sabourin était capable de marcher seulement sur de courtes distances, de rester debout moins de 15 minutes et de rester assis moins de 30 minutes à la fois. Il était capable de soulever des objets dans la limite de ce qu’il tolérait et de monter des marches à son propre rythme. Selon lui, M. Sabourin allait devoir limiter ses activités physiques à ce qu’il tolérait. La durée estimative des restrictions était de six semaines. En outre, le Dr Dickson avait rempli le 1 er juillet 2003 une formule de Certificat médical d’incapacité de travail de Santé Canada (pièce G-7) dans laquelle il déclarait que M. Sabourin était incapable d’accomplir ses tâches normales, en ajoutant dans la formule [traduction] « tâches allégées ». La date estimative du retour au travail était le 4 août 2003.

[30]   M. Cyr avait pris connaissance du formulaire de Détermination des capacités fonctionnelles de la CSPAAT; dans sa copie, il semblait que le Dr Dickson avait coché la case des heures graduées. Il lui avait téléphoné le 3 juillet 2003 pour tirer les choses au clair. Le Dr Dickson avait été étonné de se faire dire qu’il avait coché la case en question, en expliquant que [traduction] « son stylo avait glissé ». M. Cyr a écrit cette explication sur la copie de l’employeur du formulaire (pièce E-15) ainsi que sur une note au dossier (pièce E-16). (Il existe plusieurs copies de cette formule; on a montré à l’audience qu’elles n’étaient pas bien alignées, de sorte que la case cochée dans la copie de l’employeur était décalée par rapport à celle de la copie précédente.) Le Dr Dickson avait aussi dit à M. Cyr que M. Sabourin avait [traduction] « très mal au dos », et que cela lui était déjà arrivé. Il avait déclaré à M. Cyr que M. Sabourin ne pourrait pas retourner au travail avant six semaines (pièce E-16).

[31]   Le 14 juillet 2003, M. Sabourin a téléphoné à M. Cyr pour lui dire qu’il s’inquiétait parce que des gens assis dans des fourgonnettes aux vitres teintées le guettaient. Il avait dit à M. Cyr que sa femme tenait une garderie et qu’il craignait pour la sécurité des enfants. Il lui avait aussi déclaré que la CSPAAT l’avait informé qu’elle ne le faisait pas surveiller, en demandant si l’employeur le faisait, et M. Cyr lui avait répondu qu’il allait vérifier et qu’il le rappellerait. M. Cyr a témoigné qu’on a mis fin à la surveillance le 11 juillet 2003, alors que M. St. Louis a déclaré qu’elle s’était poursuivie jusqu’au 14 juillet 2003. M. Cyr n’a pas rappelé M. Sabourin.

[32]   M. Sabourin a été suspendu sans traitement le 24 juillet 2003 parce qu’il [traduction] « était soupçonné d’utilisation frauduleuse des congés d’accident du travail », en attendant les résultats de l’enquête (pièce G-2). Dans la lettre de suspension, M. St. Louis déclarait que l’employeur avait des renseignements qui [traduction] « laissaient entendre que son état de santé était incompatible avec les renseignements médicaux fournis » (pièce G-2). Ensuite, M. Sabourin a été licencié, à compter du 14 octobre 2003 (pièce G-3). Dans la lettre de licenciement, l’employeur écrivait être arrivé à la conclusion que M. Sabourin avait malhonnêtement fait de fausses déclarations sur son état de santé afin de pouvoir réclamer des indemnités. L’employeur considérait ce comportement comme un incident déterminant justifiant son congédiement.

[33]   Quand on lui a demandé quel poids la surveillance vidéo avait eu dans sa décision de licencier M. Sabourin, M. St. Louis a dit que son visionnement avait été un [traduction] « moment déterminant » et que c’était aussi [traduction] « très concluant ».

[34]   En contre-interrogatoire, M. St. Louis a nié avoir voulu que M. Sabourin soit congédié, en disant que ce n’était pas de cette façon qu’on traitait les employés à la Chambre des communes. Il a déclaré avoir donné à M. Sabourin le choix de démissionner plutôt que d’être congédié.

Argumentation

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[35]   Me Champ a déclaré que la question préliminaire porte sur l’équilibre à respecter entre le droit de M. Sabourin à sa vie privée et celui de l’employeur de protéger ses intérêts légitimes.

[36]   Selon lui, le consensus de la jurisprudence est favorable à l’application d’un critère à deux volets pour déterminer l’admissibilité de la preuve obtenue grâce à la surveillance vidéo :

  1. Était-il raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, de demander une surveillance vidéo?
  2. La surveillance vidéo a-t-elle été faite de façon raisonnable?

[37]   Me Champ a fait valoir que l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui prévoit le droit d’être protégé contre les perquisitions, les fouilles ou les saisies abusives, était applicable en l’espèce puisque l’employeur est une entité gouvernementale et que les enquêteurs privés agissaient à titre d’agents de l’État.

[38]   Il a déclaré que l’employeur n’avait pas démontré qu’une surveillance vidéo était raisonnable dans les circonstances, et qu’il n’y avait pas de quoi assez pour le rendre soupçonneux dans cette affaire. Il a souligné qu’un des volets du critère raisonnable consiste à savoir si l’employeur avait épuisé toutes les autres options avant de demander une surveillance vidéo. M. St. Louis comprenait d’ailleurs cet aspect du critère, puisqu’il a déclaré que la surveillance en question était un « dernier recours ». L’employeur aurait pu communiquer avec le Dr Dickson. Il avait une autorisation signée de M. Sabourin pour le faire et l’avait déjà fait au sujet d’une demande antérieure à la CSPAAT, mais il a préféré sauter aux conclusions.

[39]   Me Champ m’a renvoyé à R. c. Wong, [1990] 3 R.C.S. 36, où l’on trouve une analyse tant du droit à la vie privée reconnu par la Charte que de la restriction du droit de l’État de filmer des gens sur vidéo à leur insu. Il a aussi invoqué la décision sur la protection de la vie privée Re Doman Forest Products Ltd. v. International Woodworkers, Local I-357 (1990), 13 L.A.C. (4th) 275, tout comme Re Canadian Pacific Ltd. v. Brotherhood of Maintenance of Way Employees (1996), 59 L.A.C. (4th) 111, en soulignant que les faits dans cette affaire-là étaient semblables à ceux qu’on a constatés en ce qui concerne M. Sabourin, sauf que, dans Re Canadian Pacific Ltd. (supra) , c’était le médecin qui soupçonnait une supercherie et qui avait communiqué avec l’employeur parce que l’employé s’estimant lésé avait déjà présenté des demandes frauduleuses. C’est dans cette affaire Re Canadian PacificLtd. (supra) qu’on trouve le critère raisonnable à deux volets de la surveillance vidéo.

[40]   Me Champ a souligné que, dans Re Toronto Transit Commission and Amalgamated Transit Union, Local 113 (1999), 95 L.A.C. (4th) 402, la surveillance vidéo est décrite comme une solution de dernier recours et que l’employeur devrait commencer par vérifier les autres options envisageables avant de sauter sur cette stratégie.

[41]   Il a déclaré intenable la position prise dans certaines décisions, à savoir que la surveillance vidéo dans des endroits publics est admissible. À cet égard, il m’a renvoyé à Centre for Addiction and Mental Health v. Ontario Public Service Employees Union, [2004] O.L.A.A. No. 457 (QL). Il est important de tenir compte du contexte, et l’employeur doit clairement se montrer raisonnable dans toute sa surveillance vidéo. La relation entre l’employeur et l’employé est un facteur dont il faut tenir compte dans une analyse du droit à la protection de la vie privée fondé sur la Charte.

[42]   Me Champ a ajouté que l’alinéa 15c) de la Loi sur les relations de travail au Parlement (LRTP) donne aux arbitres de griefs le pouvoir discrétionnaire d’accepter ou d’exclure des preuves, qu’elles soient admissibles ou pas devant un tribunal. Selon lui, je devrais tenir compte du contexte des relations de travail, sans oublier non plus que mon rôle d’arbitre de grief consiste à faire savoir à l’employeur ce qui constitue une conduite acceptable.

[43]   Me Champ a soutenu que le refus de M. Sabourin de se présenter au cours sur les scanneurs ne pouvait pas justifier les soupçons de l’employeur. La formule de la CSPAAT sur ses capacités fonctionnelles (pièce G-9) était catégorique : M. Sabourin n’était apte à exercer aucune fonction. Me Champ a fait valoir qu’en fait c’est le coût d’offrir de nouveau le cours à M. Sabourin qui explique la réaction de l’employeur. L’employeur aurait pu téléphoner au Dr Dickson; en 1993, c’est précisément ce qu’il avait fait. Le Dr Dickson lui avait expliqué la situation, et M. Sabourin s’était présenté au travail le lendemain. L’employeur avait l’autorisation de M. Sabourin pour parler à son médecin. M. St. Louis a témoigné qu’il aurait été approprié de téléphoner au Dr Dickson avant de commencer la surveillance vidéo.

[44]   Me Champ a rappelé que M. Cyr a souligné qu’il s’était inquiété après avoir pris connaissance de la liste des demandes antérieures de M. Sabourin à la CSPAAT (pièce G-11), parce qu’il savait que ces demandes n’avaient pas toutes été approuvées. M. Cyr s’est ensuite souvenu d’autres demandes présentées en 1993 et en 1994 à l’égard desquelles il pensait qu’il y avait eu des soupçons de simulation. Me Champ a maintenu que l’examen des dossiers révèle une tout autre histoire. En 1993, M. Sabourin s’était blessé, en avait informé son employeur et s’était absenté de son travail pendant deux jours. Il n’avait pas présenté de demande d’indemnité pour accident du travail. Ce n’était pas là un cas où l’employé avait donné des renseignements mensongers, comme dans Re Canadian Pacific Ltd. (supra). La CSPAAT n’a rejeté aucune des demandes relatives aux cinq dossiers énumérés dans la pièce G-11. Dans deux de ces cas, le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’était pas absenté de son travail; dans un autre, il avait subi une intervention chirurgicale. L’examen des deux dossiers qui avaient fait soupçonner une supercherie à M. Cyr, d’après son témoignage, a révélé qu’il ne s’agissait pas du tout de simulation. La demande a été contestée dans un des deux dossiers, mais il s’agissait de savoir si M. Sabourin s’était blessé au travail ou pas. Dans la demande de 1993, on avait téléphoné au Dr Dickson parce que M. Sabourin ne souscrivait pas à l’idée qu’il pouvait assumer des fonctions modifiées. Me Champ a soutenu qu’il était [traduction] « abusif » de prétendre que cela équivalait à de la simulation.

[45]   Me Champ a déclaré que les sanctions disciplinaires dont M. Sabourin avait écopé auparavant n’étaient pas un motif raisonnable pour justifier la décision de l’employeur de le soumettre à une surveillance vidéo. Il a affirmé que le vol de fournitures de bureau était une faute mineure, que M. Sabourin avait avoué son inconduite, qu’il avait beaucoup de remords et qu’il n’avait même pas présenté un grief pour contester la sanction qui lui avait été imposée. La preuve a démontré que M. Sabourin accepte la responsabilité de ses fautes. Me Champ a poursuivi en admettant que l’employeur ait pu être sur le qui-vive à cause de ces antécédents, mais affirmé que cela ne lui permettait pas d’aller jusqu’à ordonner une surveillance vidéo. Il est clair que ce qui s’est passé auparavant ne peut pas justifier automatiquement une telle surveillance. Il faut encore que les facteurs inhérents à la situation la justifient (Re Toronto Transit Commission , supra).

[46]   Me Champ a aussi maintenu que la décision de la surveillance vidéo avait été prise dans un délai de 24 heures, bref si rapidement qu’elle ne pouvait pas être raisonnable, par définition.

[47]   Il a souligné en outre qu’il n’y avait pas de fonctions modifiées susceptibles d’être offertes à M. Sabourin, et qu’il n’y avait pas non plus de plan pour offrir de telles fonctions.

[48]   Me Champ a souligné que la preuve est bien mince en ce qui concerne la façon de procéder à la surveillance vidéo, puisqu’elle a eu lieu dans plusieurs endroits différents et notamment pendant que M. Sabourin était chez lui, sur le balcon à l’avant de sa maison. La preuve a aussi révélé que M. Sabourin s’inquiétait parce que son épouse tenait une garderie et qu’il craignait que des personnes ne guettent les enfants. M. Cyr lui avait dit qu’il le rappellerait, mais il ne l’a jamais fait.

[49]   Me Champ a souligné que M. St. Louis croyait qu’on avait téléphoné au Dr Dickson, soit parce qu’il avait mal compris, soit à cause d’un malentendu. Il a déclaré que c’était la chose logique à faire. Maintenant que M. St. Louis sait qu’on n’a pas téléphoné au Dr Dickson, Me Champ a dit se demander pourquoi l’employeur continue à s’opposer à sa demande d’exclusion de la preuve en question.

[50]   Enfin, Me Champ m’a renvoyé à Re Prestressed Systems Inc. v. Labourers’ International Union of North America, Local 625 (2005), 137 L.A.C. (4th) 193.

Pour l’employeur

[51]   Me Hofley a déclaré que la preuve obtenue grâce à la surveillance vidéo et le rapport de kinésiologie basé sur cette surveillance sont clairement admissibles et devraient donc être admis en preuve. Il a soutenu qu’une grande partie de ce que Me Champ a dit au sujet des critères d’admissibilité de la surveillance vidéo était globalement correcte, en soulignant toutefois qu’il faudrait se garder de se fier aveuglément à la jurisprudence la plus ancienne, puisque des décisions comme Re Doman Forest Products Ltd. (supra ) ont été largement subsumées par l’évolution de la notion de vie privée.

[52]   Me Hofley a fait valoir que la norme consiste à admettre en preuve la surveillance vidéo (Re Canadian Pacific Ltd. , supra). Il a souligné aussi que, dans Centre for Addiction and Mental Health (supra), l’arbitre a souligné qu’il fallait [traduction] « des raisons très convaincantes » pour refuser d’admettre en preuve des renseignements pertinents. En outre, il m’a renvoyé à l’alinéa 15c) et à l’article 66.1 de la LRTP.

[53]   Me Hofley a affirmé que la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) s’applique à la Chambre des communes. Toutefois, elle ne fait que poser le critère raisonnable, sans pousser davantage l’analyse (Telus Corp. v. Telecommunications Workers Union, [2004] C.L.A.D. No. 506). Selon lui, la Chambre des communes n’est pas assujettie à l’article 8 de la Charte parce qu’elle n’est pas un agent de l’État. Par conséquent, il soumet que R. v. Wong (supra ) n’est pas pertinent en l’espèce. Qui plus est, cet arrêt portait sur la surveillance d’une chambre d’hôtel.

[54]   Me Hofley a reconnu que l’employeur n’a pas le pouvoir discrétionnaire d’espionner ses employés pour des raisons spéculatives. Toutefois, il est bien évident qu’il ne s’agissait pas de spéculation lorsqu’il a fait surveiller le fonctionnaire s’estimant lésé avec des caméras vidéo, et dire que sa démarche était purement spéculative revient à faire fi de la preuve. Dans Re Canadian Pacific Ltd. (supra), le principe voulant que la méthode de surveillance ne soit pas excessive ni indûment intrusive s’explique par le contexte, puisqu’il s’agissait d’une analyse de documents bancaires. Me Hofley a aussi souligné que, dans Re Canadian PacificLtd. (supra) , il n’est pas établi qu’il faut nécessairement que l’employeur épuise toutes les options possibles avant d’avoir recours à la surveillance.

[55]   Me Hofley a déclaré que l’avocat de M. Sabourin a beaucoup insisté sur ses demandes à la CSPAAT. Bien qu’elles soient certainement pertinentes, elles ne constituaient qu’un des facteurs dont M. St. Louis a tenu compte, en insistant davantage sur sa participation directe au dossier de M. Sabourin dans le contexte des sanctions disciplinaires qui avaient été imposées auparavant à l’intéressé.

[56]   Me Hofley a aussi soutenu qu’on peut clairement établir une distinction entre la situation en l’espèce et celle qui existait dans Centre for Addiction and Mental Health (supra ) puisque l’employeur avait à toutes fins utiles jeté dans cette affaire-là un filet de surveillance, en saisissant sur vidéo quelque chose qu’il n’avait aucune raison de soupçonner d’y trouver.

[57]   Me Hofley a déclaré qu’on a appliqué un critère à la fois raisonnable et de pertinence dans Re Doman Forest Products Ltd. (supra), en soulignant aussi que, dans cette affaire-là, une disposition d’une convention collective entrait en jeu, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En outre, il a fait valoir qu’une demande de certificat médical n’a pas été considérée comme une condition préalable à l’autorisation de la surveillance vidéo dans Re Doman Forest Products Ltd. (supra ), alors que l’employeur s’était fait remettre un certificat médical et avait même parlé avec le Dr Dickson le 3 juillet 2003 dans cette affaire-ci.

[58]   Subsidiairement, selon Me Hofley, comme fait dans Re DomanForest Products Ltd. (supra ), j’ai le choix de visionner la bande vidéo pour dissiper tous les doutes qui pourraient me rester quant au caractère raisonnable de la surveillance.

[59]   Il a dit qu’on doit distinguer les faits en l’espèce de ceux dans Re Prestressed Systems Inc. (supra ), puisqu’il n’existait alors là aucune preuve que l’employé s’estimant lésé avait un dossier de présence contestable aux yeux de l’employeur, ni qu’il avait fait l’objet d’une évaluation négative. Ce n’est clairement pas le cas ici, puisque MM. Cyr et St. Louis avaient des réserves en raison de leurs rapports antérieurs avec M. Sabourin.

[60]   Selon Me Hofley, la Commission doit avoir des raisons claires et convaincantes pour justifier l’exclusion d’une preuve, et non l’inverse comme l’avocat de M. Sabourin l’a prétendu (voir Re City of Toronto v. Canadian Union of Public Employees, Local 79 (2004), 128 L.A.C. (4th) 217 (Kirkwood)). Selon lui, la question de savoir si la surveillance vidéo était pertinente est cruciale pour son admissibilité. Les arbitres de griefs ont beaucoup plus de latitude que les tribunaux pour admettre tous les éléments de preuve, quels qu’ils soient, en fonction de leur importance. Si la surveillance vidéo est admissible devant les tribunaux, elle doit l’être aussi dans le contexte de l’arbitrage de griefs.

[61]   M. Hofley a fait valoir que la jurisprudence tend à reconnaître l’admissibilité de la surveillance vidéo si elle est effectuée correctement et pour les bonnes raisons. Il a invoqué Ferenczy v. MCI Medical Clinics, [2004] O.J. No. 1775 (QL), décision dans laquelle le tribunal a jugé que la preuve était pertinente et que sa valeur probante l’emportait sur son effet préjudiciable. La preuve obtenue grâce à la surveillance vidéo est de toute évidence pertinente pour la position de l’employeur dans sa lettre de licenciement. La vidéo était cruciale dans sa décision, et M. St. Louis a qualifié son visionnement de [traduction] « moment déterminant ». En outre, comme elle a été réalisée dans des endroits publics où le fonctionnaire s’estimant lésé ne pouvait pas s’attendre à ce que sa vie privée soit respectée, elle est donc probante. Dans Ferenczy (supra), la cour a décrit l’effet préjudiciable comme le danger qu’on se serve abusivement de la preuve. À cet égard, Me Hofley a déclaré que M. Sabourin n’a avancé aucune allégation que la vidéo serait utilisée à mauvais escient. Par conséquent, elle ne lui fait subir aucun préjudice. Comme dans Ferenczy (supra), la surveillance a eu lieu dans un endroit public et est directement liée à la prétendue incapacité.

[62]   L’avocat a aussi invoqué le paragraphe 7(1) de la LPRPDE, qui autorise la collecte de renseignements personnels à l’insu ou sans le consentement de la personne intéressée pour des fins liées à une enquête sur le non-respect d’un accord ou d’une entente. En l’espèce, il y a eu un manquement à l’obligation imposée par la convention collective d’être honnête et sincère dans l’utilisation des congés de maladie.

[63]   Me Hofley a déclaré que la norme raisonnable justifiant l’admissibilité de la preuve a été largement précisée dans Re Securicor Cash Services and Teamsters, Local 419 (2004), 125 L.A.C. (4th) 129. Dans cette décision-là, l’arbitre a conclu que, même s’il avait le pouvoir discrétionnaire d’exclure des preuves pourtant pertinentes et probantes, il fallait pour qu’il décide de le faire qu’on lui avance des [traduction] « raisons extrêmement convaincantes », et qu’il ne serait justifié de les exclure que dans [traduction] « des circonstances très étroitement circonscrites ». Selon Me Hofley, le critère de l’admissibilité de la preuve a été établi dans Re Securicor Cash Services (supra)  : [traduction] « [...] il s’agit de peser les raisons de l’employeur de vouloir ces renseignements et les méthodes employées en fonction du degré d’intrusion dans la vie privée d’un employé, compte tenu de toutes les circonstances ». Dans Re City of Toronto (Kirkwood) (supra), le critère a été interprété comme la question de savoir s’il était raisonnable pour l’employeur, [traduction] « de son point de vue », de demander une surveillance.

[64]   Me Hofley a aussi fait valoir que l’employeur n’a pas besoin d’épuiser toutes les autres options avant d’envisager la surveillance vidéo. Comme il est écrit dans Re Securicor Cash Services (supra), cela équivaudrait à un [traduction] « obstacle artificiel et formaliste » et ne devrait pas être déterminant.

[65]   Me Hofley a soutenu qu’on ne s’attend guère à ce que sa vie privée soit respectée dans un lieu public, même le balcon de sa propre maison (Re Securicor Cash Services (supra) , et Re City of Toronto v. Canadian Union of Public Employees, Local 416 (2002), 104 L.A.C. (4th) 193 (Herman) ). Selon lui, rien n’exige des preuves substantielles pour justifier ce genre de surveillance (TelusCorp. , supra ).

[66]   Il a maintenu qu’il n’est pas nécessaire de conclure que l’employeur avait raison ni que l’arbitre de grief aurait pris la même décision pour déterminer que l’employeur a agi raisonnablement. L’arbitre de grief doit simplement être convaincu que les actions de l’employeur étaient raisonnables dans les circonstances (Re City of Toronto (Herman) ,supra).

[67]   Me Hofley a aussi invoqué Re Hôtel-Dieu Grace Hospital v. Canadian Auto Workers, Local 2458 (2004), 134 L.A.C. (4th) 246, où l’arbitre a conclu qu’il n’est pas justifié de craindre que certains ne considèrent la surveillance vidéo comme insultante.

[68]   Il a déclaré que la loi justifie clairement les faits en l’espèce. Rien dans la preuve de M. Sabourin ne contredit celle de l’employeur, et il a fait valoir que l’avocat de l’intéressé avait pris des libertés avec la preuve et l’avait mal interprétée. Il m’a prié d’analyser soigneusement la preuve et de la situer dans son contexte.

[69]   En outre, Me Hofley a dit qu’on ne contestait pas que M. Sabourin s’était blessé. Ce qui est inhabituel, c’est que M. Sabourin n’est pas resté à l’hôpital, mais est plutôt revenu au travail prendre sa voiture pour se rendre dans une clinique. Le 17 juin 2003, il est venu en voiture au bureau pour y laisser une formule sans manifester de signes de douleur. Qui plus est, la formule de la CSPAAT sur ses capacités fonctionnelles (pièce G-9) a révélé que M. Sabourin s’est soudainement trouvé bien plus mal qu’il ne l’était à l’origine. La preuve a démontré que MM. St. Louis et Cyr n’avaient aucune raison de douter du diagnostic du Dr Dickson. Ce qui les inquiétait, c’est que la formule remplie par le médecin ne correspondait pas à leurs observations de M. Sabourin lorsqu’ils l’avaient vu marcher et monter l’escalier. M. Sabourin s’était ensuite fait offrir un cours sur les scanneurs. Selon Me Hofley, il ne s’agissait pas là de tâches modifiées, mais plutôt d’un cours auquel il s’était inscrit, et rien ne justifiait qu’il n’y assiste pas. M. Frenette n’était pas content; il en a parlé à M. Cyr. Qui plus est, M. Deault n’a pas témoigné qu’il n’y avait pas de possibilités de fonctions modifiées. Ce n’était pas à lui de le savoir de toute façon, car il s’agissait là d’une responsabilité organisationnelle assumée par les cadres supérieurs.

[70]   Me Hofley a souligné que M. Cyr ne soupçonnait pas de simulation quand il a reçu la liste des demandes antérieures (pièce G-11), mais que ce qui l’a frappé, c’était la note selon laquelle toutes les demandes avaient été approuvées par la CAT. Il se souvenait de problèmes dans les dossiers, et notamment de la réticence du fonctionnaire s’estimant lésé à assumer des tâches modifiées. L’étude des dossiers a révélé que M. Sabourin n’avait pas été tout à fait franc quant aux restrictions auxquelles il devait se conformer dans son travail à l’entrepôt.

[71]   Me Hofley a dit que l’employeur tenait avant tout à ce que M. Sabourin retourne au travail. Quand il a pris connaissance du mécanisme de la blessure, du rapport médical initial et du rapport sur ce que le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait en venant déposer la formule, le consensus était clair : tout cela n’était pas compatible avec la description de son état figurant dans la formule de la CSPAAT sur ses capacités fonctionnelles (pièce G-9). C’est alors seulement que M. Cyr a commencé à parler de surveillance vidéo. L’employeur n’a pas recours à cette forme de surveillance automatiquement; il ne l’a fait que cinq fois sur une période de nombreuses années. En outre, il s’est fondé pour cette surveillance sur la politique pertinente de la CSPAAT (pièce E-3). M. Cyr estimait que la seule façon d’expliquer les contradictions du rapport médical et de la formule de la CSPAAT serait la surveillance vidéo du fonctionnaire s’estimant lésé, et c’est ce qu’il a recommandé.

[72]   Me Hofley a souligné que le décideur était M. St. Louis, en le disant franc, honnête, équilibré et convaincant. La preuve a démontré que M. St. Louis respecte les employés et démontré aussi son désir de [traduction] « faire ce qu’il fallait ». M. St. Louis a demandé conseil au sergent d’armes et au directeur de la sécurité. Il a parlé à des spécialistes des relations de travail et obtenu l’avis d’un avocat. C’est seulement après ces démarches, et en raison des réserves que lui inspiraient ses contacts personnels antérieurs avec M. Sabourin, qu’il a conclu que la seule option était de le soumettre à une surveillance vidéo raisonnable et correctement effectuée. Ensuite, il a attendu une semaine pour faire commencer cette surveillance, dans l’espoir qu’il y aurait un changement.

[73]   Me Hofley a déclaré que M. Cyr n’a peut-être pas parlé au Dr Dickson avant que la décision d’ordonner la surveillance vidéo ne soit prise, mais il est clair que M. St. Louis pensait qu’on lui avait téléphoné. Quand on pense à ce qu’il avait en tête en ce qui concerne le caractère raisonnable de sa décision, force est de conclure qu’elle était irréprochable. Me Hofley a souligné qu’il n’est pas nécessaire que M. St. Louis soit parfait et que ce n’est pas une raison d’exclure la preuve. M. St. Louis avait de bonnes raisons d’agir comme il l’a fait; il n’avait pas préjugé l’affaire. Il a de toute évidence gardé l’esprit ouvert et agi en prenant toutes les précautions voulues. Quand on lui a demandé en contre-interrogatoire s’il voulait que M. Sabourin soit congédié, il a clairement répondu que non. Me Hofley a fait valoir que le dossier disciplinaire de M. Sabourin soulevait de sérieuses questions quant à son honnêteté, et pourtant, M. St. Louis avait évité de lui faire perdre vingt jours de traitement, par souci pour sa famille.

[74]   Me Hofley a souligné que M. St. Louis avait visionné les bandes de surveillance et que ce visionnement avait été un facteur crucial de sa décision de licencier M. Sabourin, en définitive. M. St. Louis a témoigné que la firme chargée de la surveillance vidéo était digne de confiance et que son travail avait été fait dans les règles de l’art. La surveillance vidéo a eu lieu dans des endroits publics où l’on ne saurait s’attendre à ce que sa vie privée soit respectée. Enfin, M. St. Louis avait fait en sorte qu’on l’informe quotidiennement des résultats, pour être sûr que la surveillance soit faite de façon raisonnable.

[75]   Me Hofley a soumis que si l’on a des réserves sur le fait que l’employeur n’avait pas communiqué avec le Dr Dickson avant le début de la surveillance vidéo, il faut quand même se demander si les choses auraient changé dans l’éventualité où il l’aurait fait. Selon Me Hofley, elles n’auraient clairement pas changé. Même si M. Cyr a parlé pour la première fois au Dr Dickson le 3 juillet 2003, il est clair que rien n’avait changé. Le Dr Dickson a confirmé que M. Sabourin était incapable de s’acquitter de quelques fonctions que ce soit. Me Hofley s’est dit d’avis que la question de l’appel au Dr Dickson a été soulevée pour donner le change, et que le reste de la preuve est limpide.

Réplique

[76]   Me Champ a déclaré que l’argument voulant que la Charte ne s’applique pas à la Chambre des communes n’est pas fondée en droit.

[77]   Selon lui, le critère de la pertinence et son volet d’effet préjudiciable ne sont pas applicables en l’espèce. De même, Ferenczy (supra) ne l’est pas non plus parce que la Charte ne s’appliquait pas dans cette affaire-là; l’affaire était plaidée devant la cour et non devant un tribunal administratif et il n’y avait pas de relation employeur-employé. Par contre, la Charte s’applique bel et bien ici, et même si la LPRPDE devait s’appliquer, la Charte prévaudrait. Me Champ a aussi soutenu que la question de savoir si la preuve est admissible devant un tribunal ou pas n’entre pas en ligne de compte, puisqu’il est clair qu’un arbitre de grief doit rendre une décision indépendante (Re City of Toronto(Kirkwood) ,supra).

[78]   Me Champ a fait valoir que, même si l’avocat de l’employeur a insisté sur l’aspect de la pertinence, M. St. Louis semblait se fonder sur le critère raisonnable dans son témoignage.

[79]   Me Champ m’a renvoyé au passage de Telus Corp. (supra ) précisant que les soupçons de l’employeur ne suffisent pas à justifier l’admission de la preuve. Il a aussi invoqué Re City of Toronto(Herman) (supra), où l’arbitre a jugé que l’employeur qui soupçonne quelque chose a le droit de prendre des mesures pour vérifier s’il a raison de s’inquiéter. Toutefois, le simple fait d’avoir des soupçons ne signifie pas que l’employeur peut passer directement au dernier recours qu’est la surveillance vidéo.

[80]   Me Champ a soutenu aussi que le critère raisonnable est objectif, bien qu’appliqué du point de vue de l’employeur (Re City of Toronto (Kirkwood) , supra). Dans cette affaire-ci, toutefois, il n’y a tout au plus que des soupçons de l’employeur résultant de ce qu’il interprétait comme des contradictions entre le certificat médical et ses observations personnelles. On ne trouve rien au dossier sur ces réserves de la part des personnes qui ont observé M. Sabourin. Me Champ a souligné que c’est l’employeur qui a demandé à M. Sabourin de venir prendre la formule pour ensuite se servir contre lui du fait qu’il avait obtempéré. La position de l’employeur voulant que les faits [traduction] « ne concordaient pas » est spéculative et ne reflète qu’un soupçon qui aurait pu l’amener à prendre des mesures pour expliquer toutes les « contradictions », sans aller jusqu’à la surveillance vidéo.

[81]   Me Champ a soutenu qu’il est important pour jauger les motifs de l’employeur de se rappeler qu’un certain nombre d’employés avaient démissionné après des rencontres avec M. St. Louis. M. Sabourin, lui, n’a pas démissionné. Me Champ a aussi souligné que M. St. Louis a spontanément témoigné que [traduction] « les sanctions sont rapides » était un vieil adage à la Chambre des communes. À son avis, cela témoigne de l’attitude de l’employeur.

[82]   Me Champ a fait valoir que si je devais conclure que toute surveillance dans un endroit public est invariablement admissible, il vaut quand même la peine de souligner qu’une partie de la surveillance a eu lieu dans la propriété de M. Sabourin, quand celui-ci se trouvait dans son entrée de garage ou sur son balcon, en façade. Dans ce contexte, il a invoqué R. v. Wong (supra) où la Cour suprême a insisté sur l’importance de tenir compte des circonstances. Il m’a aussi renvoyé à Re Securicor Cash Services (supra) , ainsi qu’à Re Toronto Transit Commission (supra).

[83]   Selon lui, la mention par Me Hofley du principe établi dans Re DomanForest Products Ltd. (supra)  voulant qu’un certificat médical ne soit pas une condition préalable au recours à la surveillance vidéo, n’est pas pertinente. Dans ce cas-ci, un certificat médical avait bel et bien été produit.

[84]   Me Champ a déclaré que la position de M e Hofley n’était pas acceptable, quand il a dit qu’appeler le médecin n’aurait fait aucune différence. Premièrement, il s’agit d’une question de procédure et non de fond, en ce qui concerne un droit procédural à l’équité procédurale. Deuxièmement, la question que M. Cyr a posée au Dr Dickson ne portait pas sur les soupçons de l’employeur. Enfin, Me Cham a souligné que le fait que M. St. Louis pensait que la conversation entre le Dr Dickson et M. Cyr avait eu lieu n’est pas pertinent, puisque le critère raisonnable est objectif et non subjectif.

Motifs de décision

[85]   Nul ne conteste que M. Sabourin s’est blessé à son travail le 9 juin 2003. La question à trancher dans cette décision préliminaire consiste à savoir si la surveillance vidéo à laquelle M. Sabourin a été soumis par l’employeur et le rapport basé sur cette surveillance sont admissibles en preuve.

[86]   Les arbitres de griefs nommés en vertu de la LRTP ont le pouvoir discrétionnaire d’admettre les preuves ou de les rejeter (article 15). Or, la pertinence est la règle générale en matière d’admissibilité. Bien que je n’aie vu ni la vidéo, ni le rapport qui s’en inspire, on peut alléguer que ce sont des preuves pertinentes, mais une preuve pertinente peut être exclue lorsque son admission est contraire à la loi ou à une saine politique de relations du travail, ou encore susceptible de nuire à la relation établie entre les parties. Qu’elle soit admissible devant un tribunal ou pas n’est pas déterminant. En d’autres termes, tout comme les arbitres de griefs peuvent admettre des preuves qui ne seraient pas admissibles devant un tribunal, ils peuvent aussi en exclure d’autres qui seraient admissibles devant une telle instance.

I    Droits ou attentes des fonctionnaires en matière de protection de leur vie privée

[87]   Quelle est la source des droits ou des attentes des fonctionnaires en matière de protection de leur vie privée? Les deux parties reconnaissent qu’il y a des attentes ou des droits à cet égard en milieu de travail, mais ne s’entendent pas sur la source de ces attentes ou de ces droits, ni sur leur étendue. L’avocat de M. Sabourin a soutenu que la Charte des droits et libertés est la source du droit à la protection de la vie privée, tandis que celui de l’employeur a maintenu que c’est la LPRPDE qui régit le traitement des renseignements personnels concernant les fonctionnaires.

[88]   Les employés du secteur public tirent leurs droits à la protection de leur vie privée notamment de la Charte , dont l’article 8 dispose que : « Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ». Dans R. c. Wong (supra), la Cour suprême du Canada a jugé que la surveillance vidéo sans mandat contrevenait à cet article de la Charte, la majorité ayant conclu qu’autoriser une surveillance vidéo illimitée par les agents de l’État « diminuerait d’une manière importante le degré de vie privée auquel nous pouvons raisonnablement nous attendre dans une société libre ». Dans Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, la Cour a conclu que la Loi canadienne sur les droits de la personne, une loi quasi constitutionnelle, s’applique à la Chambre des communes parce que toute exemption de l’application de ses dispositions doit être clairement précisée. Cette conclusion s’applique tout autant à la Charte.

[89]   Comme établi dans Re Toronto Transit Commission (supra), les tribunaux reconnaissent aussi dans une certaine mesure l’existence d’un droit de common law à la protection de la vie privée des employés (Roth v. Roth (1991), 4 O.R. (3d) 740 (Gen. Div.) et Lipiec v. Borsa, [1996] O.J. No. 3819 (QL) (Gen. Div.) [rapportée 31 C.C.L.T. (2d) 294]).

[90]   Les employés s’attendent aussi à ce qu’on respecte leur vie privée en raison de la jurisprudence arbitrale sur les limites des droits de la direction. C’est ainsi qu’on peut lire ce qui suit dans Re Securicor Cash Services (supra) :

[Traduction]

[...]

La théorie [veut qu’] entreprendre des enquêtes qui risquent de porter atteinte à la vie privée des employés fait partie des droits résiduels de la direction sous le régime de la convention collective si ces enquêtes sont raisonnables dans les circonstances. Ainsi, on peut dire que le critère raisonnable découle de la convention collective elle-même; il en est une condition implicite. S’il est implicite, toutefois, les enquêtes déraisonnables qui portent atteinte à la vie privée des employés sont donc contraires à la convention collective.

[...] À mon avis, selon les circonstances, la surveillance des employés peut être interprétée comme une enquête intrusive dans leur vie privée tout autant qu’une fouille, un test de dépistage des drogues ou de l’alcool, un examen médical, la perquisition d’un casier ou la fouille des poches d’une combinaison de travail. Qu’il administre un test de dépistage des drogues ou soumette l’employé à une surveillance, l’employeur enquête afin d’obtenir des renseignements qu’il croit nécessaires au fonctionnement de son entreprise. La sorte de renseignements qu’il cherche ne l’intéresse habituellement pas du tout dans le cours normal de ses affaires, et elle est généralement considérée comme concernant la vie privée de l’employé. S’il n’a pas de raison particulière ni exceptionnelle de le faire (p. ex. s’il soupçonne l’employé d’avoir volé ou d’abuser de ses congés de maladie), l’employeur ne s’intéresse pas à savoir ce qu’il a en poche, s’il est en bonne santé ou ce qu’il pourrait faire devant chez lui lorsqu’il n’est pas au travail. Dans le cours normal des choses, cette sorte de renseignements serait interprétée comme relevant de la vie privée de l’employé et réputée n’être d’aucun intérêt légitime pour l’employeur.

C’est pour ces raisons que le même genre d’analyse applicable aux perquisitions, aux fouilles ou aux examens médicaux devrait s’appliquer également à la surveillance : on devrait donc interpréter les conventions collectives comme si elles prévoyaient implicitement que des procédures aussi intrusives ne sont permises que si elles sont raisonnables dans les circonstances. En d’autres termes, l’exercice des droits de la direction d’entreprendre des enquêtes qui s’ingèrent dans ce qu’on considérerait normalement comme la vie privée d’un employé est limité aux seules enquêtes raisonnables.

Décider qu’une convention collective qui ne dit mot sur la question des enquêtes intrusives de l’employeur devrait être interprétée comme comprenant implicitement la condition que ces enquêtes doivent être raisonnables est tout à fait justifié, lorsque la nature de l’enquête fait qu’elle risque de porter atteinte aux droits à la protection de la vie privée reconnus par la common law et par les lois.

[...] On peut partir du principe que les parties voulaient que les droits et les obligations prévus par leur convention collective soient exercés et gérés conformément aux lois d’application générale. Cela doit s’appliquer à l’exercice des droits de la direction, de sorte qu’un arbitre doit présumer qu’un droit de la direction exercé dans l’acte de surveillance doit être compatible avec les conditions de protection de la vie privée reconnues par la common law aussi bien que par la LPRPDE (dans ce lieu de travail-ci).

[...]

[91]   Comme j’ai conclu que s’attendre à ce que sa vie privée soit respectée au lieu de travail est un principe fondé à la fois sur les droits de la direction et sur la Charte, je n’ai pas besoin de me prononcer sur l’applicabilité de la LPRPDE , mais je précise que l’incidence de la LPRPDE sur l’analyse requise pour une décision sur l’admissibilité de la preuve est limitée. Comme on peut le lire dans Telus Corp. (supra), la LPRPDE a codifié une norme raisonnable déjà établie dans la jurisprudence arbitrale.

II    Critère de détermination de l’admissibilité de la surveillance vidéo

[92]   La décision rendue dans Centre for Addiction and Mental Health (supra ) résume succinctement les critères sur lesquels les arbitres se fondent pour déterminer l’admissibilité de la surveillance vidéo (les citations des décisions sont omises) :

[Traduction]

[...]

On pourrait dire que la doctrine arbitrale actuelle reflète trois approches différentes. Certains arbitres ont déterminé l’admissibilité de la preuve obtenue avec la surveillance en se fondant exclusivement sur le principe de savoir si cette preuve est pertinente pour ce qu’ils ont à trancher (le « critère de la pertinence »), en rejetant celui qu’il existe en Ontario un droit à la vie privée qui jouerait de toute façon pour limiter l’admissibilité de cette preuve.

D’autres arbitres ont jugé qu’il existe en Ontario un droit à la vie privée nécessitant la conciliation des intérêts de l’employeur et de l’employé lorsqu’il s’agit de déterminer si la preuve obtenue avec la surveillance est bien admissible. C’est ce qu’on a fini par appeler le « critère raisonnable ».

Enfin, d’autres arbitres encore rejettent l’adoption générale du critère raisonnable pour déterminer l’admissibilité de la preuve acquise avec la surveillance même s’ils concluent à l’existence de certains droits à la vie privée en Ontario (ainsi qu’à un besoin de concilier les intérêts des parties). Selon eux, si la surveillance de l’employé a eu lieu dans un endroit public où l’on ne saurait dire qu’il pouvait raisonnablement s’attendre à ce que sa vie privée soit respectée, la preuve est admissible et sa pertinence prévaut sur tous les arguments invoquant la protection de la vie privée. Dans ce contexte, toute évaluation du caractère raisonnable porte exclusivement sur la question de savoir si l’intéressé pouvait raisonnablement s’attendre à ce que sa vie privée soit respectée, compte tenu de la manière d’effectuer la surveillance ou du lieu dans lequel elle a pris place.

[...]

[93]   Pour bien concilier l’intérêt de l’employeur, qui tient à combattre les utilisations abusives des avantages sociaux, et celui de l’employé, qui veut qu’on respecte sa vie privée, je suis convaincu que le critère optimal de détermination de l’admissibilité de la preuve acquise par la surveillance vidéo est celui « raisonnable », parce que cette surveillance est une technique d’enquête extrêmement invasive. Pour la justifier, il faut donc avoir au départ des motifs raisonnables et probables d’y avoir recours. C’est la même exigence que pour les perquisitions ou les fouilles dans la sphère de la vie privée de l’employé, comme dans un casier, un sac à main ou un véhicule personnel. Bien entendu, l’exigence ou l’inexistence de motifs raisonnables et probables de justifier la surveillance vidéo est fonction des faits dans chaque cas.

[94]   Le critère raisonnable établi dans la jurisprudence prévoit deux exigences auxquelles l’employeur doit satisfaire avant que la preuve ne soit considérée comme admissible :

  1. Était-il raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, de surveiller les activités de l’employé pendant ses heures de loisir?
  2. La surveillance a-t-elle été effectuée de façon raisonnable sans être indûment intrusive, et proportionnellement à la gravité de la situation?

[95]   Le critère raisonnable n’est pas subjectif. Il s’entend de ce que l’employeur pensait ou aurait raisonnablement dû penser, objectivement parlant.

III    Caractère raisonnable de la surveillance vidéo

[96]   Avoir des soupçons valables pour justifier une enquête plus poussée sur la conduite de l’employé n’est pas nécessairement la même chose qu’avoir des motifs raisonnables de le surveiller à son insu. J’admets que l’employeur avait des soupçons légitimes à l’endroit de M. Sabourin, en se fondant sur ce que ses superviseurs avaient pu observer quand ils l’avaient vu au lieu de travail après sa blessure, ainsi que sur son refus de se présenter à la formation sur les scanneurs. Néanmoins, ces observations et ce refus de participer à un cours d’une journée ne suffisaient pas en eux-mêmes pour justifier le recours à la surveillance vidéo. Les observations de M. Sabourin à l’entrepôt du chemin Belfast lorsqu’il est passé prendre les formules médicales et qu’il les a rapportées ont été faites sur des périodes relativement courtes et ne sont pas à première vue incompatibles avec les restrictions pour raisons médicales précisées par le Dr Dickson, le médecin de M. Sabourin, qui aurait pu répondre aux questions soulevées par ces observations. De même, le refus de M. Sabourin de se présenter au cours d’une journée sur préavis très court soulève des questions légitimes, compte tenu des observations de ses superviseurs. Toutefois, là encore, l’employeur n’a pas démontré que le refus de M. Sabourin était incompatible avec les restrictions médicales de son médecin. Les observations de M. Sabourin avaient en effet eu lieu sur une période relativement courte, tandis que la formation aurait duré une journée entière. Ce refus soulève lui aussi des questions légitimes dont l’employeur aurait pu parler avec le Dr Dickson.

[97]   Ce que l’employeur savait déjà des demandes d’indemnité d’accident du travail est pertinent, mais non concluant. La seule demande liée à un refus de M. Sabourin d’assumer des fonctions modifiées remontait à près de dix ans avant la situation qui a donné lieu au grief. En outre, ce que l’employeur avait constaté dans ce cas-là avait prouvé que le Dr Dickson était disposé à parler des limitations imposées à M. Sabourin, et que ce dernier acceptait la conclusion de son médecin quant à l’exécution de tâches modifiées. En fait, cela aurait justifié la décision de commencer par communiquer avec le Dr Dickson avant d’avoir recours à la surveillance vidéo.

[98]   L’employeur a aussi invoqué le dossier disciplinaire de M. Sabourin pour justifier sa décision de le soumettre à cette surveillance. La sanction disciplinaire qu’il avait imposée au fonctionnaire s’estimant lésé pour un vol et pour sa tentative de le lui cacher pouvait légitimement inspirer des craintes à l’employeur et lui faire douter de l’honnêteté de M. Sabourin, mais cela ne suffit pas en soi à justifier une décision d’ordonner sa surveillance. Cette preuve de malhonnêteté dans le passé peut fort bien avoir dissuadé l’employeur de confronter M. Sabourin directement au sujet de ses craintes de simulation, mais cela ne l’empêchait pas d’envisager des mesures moins intrusives que la surveillance (j’y reviendrai plus loin).

[99]   L’employeur n’est pas tenu de démontrer qu’il a épuisé tous les autres recours pour confirmer ses soupçons sur l’employé, mais un des éléments de la détermination du caractère raisonnable de sa démarche exige qu’il explique pourquoi d’autres mesures facilement applicables et moins intrusives ne lui auraient pas permis d’atteindre le même objectif. Dans ce contexte, il faut examiner chaque option pour déterminer s’il aurait été opportun de l’envisager dans les circonstances avant d’avoir recours à la surveillance vidéo (voir Re Prestressed Systems Inc. , supra).

[100]   L’employeur disposait d’autres moyens pour obtenir l’information qu’il lui fallait. Dans le passé, il avait communiqué avec le Dr Dickson, et rien ne laisse entendre que cela lui aurait été difficile dans les circonstances. M. Sabourin avait consenti par écrit à ce que l’employeur communique avec son médecin au sujet de son état de santé. M. St. Louis croyait, à tort, que le Dr Dickson avait été consulté. Il a admis qu’il aurait été raisonnable de communiquer avec lui. L’autre fois que M. Sabourin avait refusé d’assumer des fonctions modifiées, l’employeur avait communiqué avec le Dr Dickson, et quand le fonctionnaire s’estimant lésé avait été informé de l’opinion de son médecin sur les fonctions modifiées qu’on lui offrait, il était retourné au travail. MM. St. Louis et Cyr ont témoigné qu’ils n’avaient aucun problème à traiter avec le Dr Dickson, ni aucune raison non plus de contester son diagnostic. M. Cyr semblait toutefois en douter, lorsqu’il a témoigné que les médecins ne sont parfois pas conscients de toutes les fonctions accomplies par les employés. Néanmoins, il n’a fait aucun effort pour parler avec le Dr Dickson et pour l’informer des fonctions modifiées offertes au fonctionnaire s’estimant lésé (le cours d’une journée, dans ce cas-ci).

[101]   Le 2 juillet 2003, le Dr Dickson a bel et bien donné à l’employeur des précisions sur ses restrictions médicales (pièces G-5/E-14). Or, l’employeur a déclaré que rien n’aurait changé si le médecin avait été consulté avant le début de la surveillance vidéo, sur la foi de cette communication. Toutefois, l’obligation d’envisager d’autres options que la surveillance est une condition préalable dont on ne peut s’acquitter après coup. De toute manière, quand M. Cyr a parlé au Dr Dickson en juillet, il ne l’a pas informé des réserves de l’employeur quant aux restrictions imposées à M. Sabourin, des observations de ses superviseurs ni de son refus de se présenter au cours sur les scanneurs. Le Dr Dickson aurait fort bien pu lui donner des explications qui auraient apaisé ses inquiétudes.

[102]   Dans chaque cas de surveillance vidéo, il faut analyser la situation en se fondant sur les faits pertinents, mais il est révélateur d’étudier les décisions dans lesquelles des arbitres de griefs ont jugé cette surveillance admissible. Dans Re Canadian Pacific Ltd. (supra), l’arbitre a conclu que l’employé s’estimant lésé avait déjà soumis une fois des renseignements mensongers à la CAT, qu’il marchait d’une façon incompatible avec la blessure qu’il prétendait avoir subie, qu’il avait un dossier d’accidents du travail bizarre, avec nettement plus de blessures que la moyenne de l’ensemble des employés, et enfin que son médecin traitant l’avait informé qu’il soupçonnait que l’employé s’estimant lésé simulait sa blessure. Dans Re Toronto Transit Commission (supra) , l’employé s’estimant lésé était en congé de maladie, et l’employeur n’avait pas pu communiquer avec lui pendant six semaines en dépit de ses nombreuses tentatives pour le joindre. Dans Re Securicor Cash Services (supra), l’employé s’estimant lésé avait manqué deux quarts de travail immédiatement après un gros vol d’argent, et les observations subséquentes à sa résidence avaient révélé des indices de comportements suspects. Dans Re City of Toronto (Herman) (supra), le fonctionnaire s’estimant lésé s’était plaint d’une blessure, mais avait pourtant continué à travailler jusqu’à la fin de son quart; il avait aussi parlé à son superviseur d’un travail qu’il faisait au privé à l’extérieur, et l’on avait constaté de l’équipement manquant qui aurait pu être utilisé pour ce travail. Dans Telus Corp. (supra), les soupçons de l’employeur s’étaient développés sur une longue période. Même si les restrictions médicales imposées à l’employé portaient notamment sur la conduite d’une voiture, d’autres employés l’avaient observé conduisant « fréquemment ». L’employé avait vidé son bureau et aurait dit s’attendre à être absent du travail pendant un an. Quand on lui a offert un autre travail avec des fonctions modifiées, il n’a fait aucun effort pour déterminer s’il serait capable de les accomplir. En outre, son intervention chirurgicale avait réussi et ses médecins ne pouvaient pas expliquer pourquoi il éprouvait encore des problèmes. Bref, dans toutes ces situations, l’employeur avait de gros soupçons et, partant, des motifs raisonnables et probables d’avoir recours à la surveillance vidéo, mais ce n’est pas le cas ici.

[103]   À mon avis, l’employeur a opté trop vite pour la surveillance vidéo, alors qu’il aurait pu choisir une approche plus mesurée. L’accident a eu lieu le 9 juin 2003; l’employeur a reçu la formule d’évaluation de l’aptitude à travailler de la CSPAAT le 17 juin 2003. Sa décision d’ordonner la surveillance a été prise deux jours plus tard (le 19 juin), sans qu’il fasse aucun effort pour communiquer avec le Dr Dickson. Le début de la surveillance a été reporté jusqu’au 25 juin 2003, mais l’employeur n’a rien fait non plus pour obtenir d’autres renseignements du Dr Dickson dans l’intervalle. M. Sabourin avait consenti à ce que l’employeur communique avec le Dr Dickson, et celui-ci avait coopéré dans le passé. L’employeur n’a rien produit en preuve afin d’expliquer pourquoi il n’aurait pas pu appeler le Dr Dickson avant d’ordonner la surveillance. Par ailleurs, il aurait pu aussi envisager de demander à M. Sabourin de se soumettre à un examen médical administré par Santé Canada. Je conclus par conséquent qu’il n’était pas raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, de soumettre M. Sabourin à une surveillance vidéo.

IV    La surveillance vidéo a-t-elle été effectuée de façon raisonnable?

[104]   Comme j’ai conclu que la surveillance vidéo n’était pas justifiée dans les circonstances, je ne suis pas vraiment tenu d’arriver à une conclusion quelconque sur les méthodes employées pour l’effectuer. Il n’y a guère d’éléments de preuve sur la surveillance elle-même. M. St. Louis a témoigné que la surveillance avait eu lieu dans des endroits publics comme des terrains de stationnement ainsi que dans des parties de la propriété de M. Sabourin qui étaient visibles de la rue. Dans son contre-interrogatoire de M. Cyr, Me Champ a laissé entendre que M. Sabourin avait dit s’inquiéter parce que des voitures étaient stationnées tout près de la garderie de son épouse. Cela dit, ni M. Sabourin, ni son épouse n’ont témoigné, de sorte que ces inquiétudes n’ont jamais été confirmées. Avec la preuve dont je suis saisi, je ne puis que conclure que la surveillance vidéo a été effectuée de façon raisonnable.

V    Conclusion

[105]   La preuve obtenue avec la surveillance vidéo et le rapport basé sur cette surveillance ne sont pas admissibles au motif que la décision de M. St. Louis d’ordonner la surveillance n’était pas raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances.

[106]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[107]   La demande de M. Sabourin d’exclure la preuve obtenue avec la surveillance vidéo et le rapport basé sur cette surveillance est accueillie.

Le 14 février 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Ian Mackenzie,
arbitre de grief

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