Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Dans une décision antérieure, l’arbitre de grief a conclu que l’employeur n’avait aucun motif raisonnable de douter de l’aptitude du fonctionnaire s’estimant lésé à travailler - l’employeur a placé le fonctionnaire s’estimant lésé en congé sans solde - le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté l’arrêt du versement de son salaire et son placement en congé sans solde - l’arbitre de grief a conclu que les mesures prises par l’employeur étaient de nature disciplinaire, que le fonctionnaire s’estimant lésé a été suspendu sans rémunération pour une période indéterminée et que la sanction n’était pas justifiée - l’arbitre de grief a ordonné que le fonctionnaire s’estimant lésé soit réintégré et que la rémunération et les avantages sociaux appropriés lui soient versés, et est demeurée saisie de l’affaire pendant 90 jours afin de se prononcer, le cas échéant, sur toute question touchant l’application de sa décision (2005 CRTFP 150) - le fonctionnaire s’estimant lésé a reçu la rémunération rétroactive précisée dans l’ordonnance, mais les parties n’ont pu résoudre toutes les questions relatives aux redressements avant la fin de la période de 90 jours - certaines de ces questions concernaient la réintégration du fonctionnaire s’estimant lésé (vacances et congés de maladie, prime au rendement, congé de Noël rémunéré et cotisations à des associations professionnelles), tandis que d’autres se rapportaient à une demande de dommages-intérêts ainsi qu’à une demande de dédommagement pour les possibilités de perfectionnement professionnel perdues et pour les difficultés financières éprouvées - l’arbitre de grief a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour déterminer l’admissibilité du fonctionnaire s’estimant lésé à certains redressements qui débordent les paramètres des griefs dont elle était saisie - l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas droit à une prime au rendement, mais a ordonné que ses crédits de congés et de congés de maladie soient reconnus et que les frais payés pour l’adhésion à des associations professionnelles lui soient remboursés - l’arbitre de grief a également conclu que son ordonnance précédente était claire et complète, et qu’elle était dessaisie s’il s’agissait de rendre une ordonnance subséquente dépassant la portée de son ordonnance originale. Les redressements demandés sont accordés en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-10-31
  • Dossiers:  166-09-34836 et 34837
  • Référence:  2006 CRTFP 117

Devant un arbitre de grief



ENTRE

CHANDER P. GROVER

 fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL NATIONAL DE RECHERCHES DU CANADA

employeur

Répertorié
Grover c. Conseil national de recherches du Canada

Affaire concernant des griefs renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Sylvie Matteau, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :  Paul Champ, avocat

Pour l’employeur :  Ronald M. Snyder, avocat


(Décision rendue sans audience)
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Décision supplémentaire

[1]   Le 3 octobre 2005, j’ai rendu la décision 2005 CRTFP 150 dans la présente affaire, à l’égard du renvoi à l’arbitrage de deux griefs de Chander P. Grover (« le fonctionnaire s’estimant lésé »). Cette ordonnance se lisait comme suit :

[145]   Les griefs sont accueillis. Le fonctionnaire s’estimant lésé doit être immédiatement réintégré dans ses fonctions et dédommagé des pertes subies au titre du salaire et de tous les avantages sociaux, rétroactivement au 21 juillet 2004.

[146]   Je demeure saisie de l’affaire pour une période de 90 jours à compter de la date de la présente décision afin de me prononcer, le cas échéant, sur toutes les questions concernant son exécution.

[2]   L’employeur a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision à la Cour fédérale du Canada. Le 30 décembre 2005, le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a écrit à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (« la Commission ») afin d’informer l’arbitre de grief que je suis que [traduction] : « Le fonctionnaire s’estimant lésé et l’employeur ont été incapables de trancher toutes les questions de redressement dans le délai de 90 jours. »

[3]   Certaines de ces questions sont liées à la réintégration du fonctionnaire s’estimant lésé tandis que d’autres sont d’une autre nature, concernant une demande de dommages-intérêts généraux et alourdis ainsi qu’une demande de dédommagement pour les possibilités de perfectionnement professionnel perdues de même que pour les difficultés financières éprouvées par suite des actions de l’employeur. Au moment de l’audience, le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a annoncé que son client entendait faire ce genre de demandes, en proposant que les parties plaident les griefs au fond et que l’arbitre de grief reste saisie de l’affaire en ce qui concernait l’exécution de la décision et la détermination des redressements supplémentaires, dans l’éventualité où le bien-fondé de son cas serait reconnu. L’employeur ne s’est pas opposé à cette approche, et j’ai noté la demande de redressement du fonctionnaire s’estimant lésé au paragraphe 113 de ma décision, qui se lit comme suit :

[113] […] [Le fonctionnaire s’estimant lésé] a demandé le remboursement rétroactif de sa rémunération à compter du 21 juillet 2004, ainsi que sa réintégration avec tous les avantages sociaux et les crédits de congé de maladie accumulés. Il m’a aussi demandé de demeurer saisie de l’affaire pour déterminer les autres redressements applicables.

[Je souligne]

[4]   Je m’attendais à ce que les parties arrivent à régler tous les aspects de l’affaire dans les 90 jours, mais elles s’en sont révélées incapables.

[5]   Le 20 avril 2006, les parties avaient exposé par écrit leurs positions respectives sur l’exécution de mon ordonnance avec leurs observations sur la façon de procéder pour aller au-delà de l’impasse. De toute évidence, elles ne s’entendaient pas sur la question de savoir si le fonctionnaire s’estimant lésé devait toucher un dédommagement quelconque pour le préjudice qu’il avait subi. L’employeur fait valoir que, conformément au libellé de l’ordonnance (paragraphes 145 et 146 de la décision), le principe du dessaisissement signifie que j’outrepasserais ma compétence si je devais ordonner les autres redressements réclamés par le fonctionnaire s’estimant lésé.

[6]   La présente décision porte sur la question du dessaisissement de même que sur les redressements relatifs à l’ordonnance de réintégration du fonctionnaire s’estimant lésé.

Argumentation

[7]   À la suite de la lettre du fonctionnaire s’estimant lésé en date du 30 décembre 2005, l’employeur s’est fait demander d’exposer sa position quant aux redressements auxquels l’intéressé avait droit et qu’il lui avait payés ou comptait lui payer à ce moment-là. L’employeur a envoyé le 23 janvier 2006 le document demandé, qui se lit ainsi :

[Traduction]

[…]

Je donne suite à votre lettre du 10 janvier 2006 sur l’affaire en rubrique. Au nom du Conseil national de recherches du Canada (CNRC), voici nos observations sur les redressements auxquels le fonctionnaire s’estimant lésé a droit.

L’arbitre de grief Sylvie Matteau a été explicite et sans équivoque dans son ordonnance, en limitant les redressements découlant de sa décision du 3 octobre 2005 à ce qui suit :

« Le fonctionnaire s’estimant lésé doit être immédiatement réintégré dans ses fonctions et dédommagé des pertes subies au titre du salaire et de tous les avantages sociaux, rétroactivement au 21 juillet 2004. »

Dans une lettre datée du 21 décembre 2005 et adressée au soussigné (Pièce « A »), l’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé a confirmé que son client avait touché rétroactivement son traitement conformément à la décision. Ce qui reste encore à régler est son dédommagement au titre des avantages sociaux pour la période pertinente. En ce qui concerne les points avancés dans la lettre du 21 décembre 2005 de Me Champ, notre réponse est la suivante :

  1. Crédits de congé annuel et de congé de maladie

    Les crédits de congé annuel et de congé de maladie du fonctionnaire s’estimant lésé ne peuvent être rajustés avant que ses fiches de présence et d’absence ne soient mises à jour. Ce qui nous empêche de mener cette tâche à bien, c’est que le fonctionnaire s’estimant lésé ne nous a pas fourni l’information pertinente sur ses présences et ses absences du 1e au 12 avril et du 1e mai au 20 juillet 2004. Comme le temps a passé, il est désormais incapable de saisir l’information requise en direct. Un coordonnateur des systèmes a donc été chargé de préparer manuellement une feuille de calcul qui nous permettra de reconstruire ces périodes afin que l’intéressé puisse nous fournir l’information nécessaire.

    Une fois que ce sera fait et que nous aurons reçu ces renseignements, les crédits de congé annuel et de congé de maladie du fonctionnaire s’estimant lésé seront révisés en conséquence.

    Les crédits de congé annuel gagnés mais inutilisés du fonctionnaire s’estimant lésé lui seront payés conformément à l’alinéa A.5.3.4.37 du Régime de rémunération du CNRC pour la Catégorie de la gestion.

  2. Primes au rendement

    Les primes au rendement pour cette Catégorie sont payées aux directeurs lorsque leur cote globale de rendement est « Entièrement satisfaisant », dans le cadre du Programme de planification et d’examen du rendement (PPER). Quand l’évaluation est faite, le directeur général produit un document d’examen du mérite pour la Catégorie de la gestion précisant la prime au rendement qu’il recommande; ce document est soumis à un Comité exécutif qui l’examine avant de l’envoyer au président pour approbation finale.

    Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a droit à aucune prime au rendement pour les exercices 2003-2004 et 2004-2005.

    Dans le cas de l’exercice 2003-2004, la preuve documentaire qui a été soumise à l’arbitre de grief était tout à fait claire : le fonctionnaire s’estimant lésé s’était fait enjoindre de produire sa contribution en vue de l’évaluation de son rendement au cours de l’exercice pertinent. Dans une lettre datée du 8 mars 2004 (Pièce « B ») [Pièce E-4 à l’audience], le président Carty avait informé le fonctionnaire s’estimant lésé qu’il s’attendait à ce qu’on fasse des évaluations dans le cadre du PPER et des examens du mérite pour tous les gestionnaires. Dans une lettre datée du 17 mars 2004 (Pièce « C ») [Pièce E-4 à l’audience], M. Hackett a répété au fonctionnaire s’estimant lésé qu’il était tenu de fournir la documentation nécessaire pour qu’on puisse évaluer son rendement. Les témoignages de M. Hackett et du fonctionnaire s’estimant lésé confirment que ce dernier a refusé de produire la documentation réclamée. C’est parce que l’employeur a été incapable d’effectuer l’évaluation du rendement du fonctionnaire s’estimant lésé, à cause de l’intransigeance et de l’insubordination de celui-ci, qu’il n’a pas droit à une prime au rendement pour l’exercice 2003-2004.

    Pour l’exercice 2004-2005, la preuve a confirmé que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait travaillé que plus que 50 p. 100 du temps du 1e avril au 20 juillet 2004. Elle a aussi révélé qu’il n’avait pas participé à des réunions « cruciales » de la direction pour le suivi de l’évolution des projets et des promotions. Les extraits suivants du témoignage de M. Hackett doivent être soulignés :

     

    [Traduction]

    C’était une question importante […] il s’agit de l’avenir de l’Institut […] son rôle […] Sa principale responsabilité était d’y assister […] Il s’est fait demander d’assister à ces réunions. Si M. Grover avait des réserves sur sa participation aux réunions, il aurait pu m’en informer […] nous discutions d’importantes questions et de processus d’envergure qu’on allait utiliser à l’Institut, et il fallait qu’il soit là […] Il faut que la haute direction participe à l’orientation stratégique de l’Institut.

    Nous devons souligner aussi que le fonctionnaire s’estimant lésé a confirmé dans son contre-interrogatoire que non seulement il avait délibérément évité d’assister à ces réunions, mais encore qu’il comptait continuer à ne pas y assister après son retour au travail. Dans la mesure où il s’est peut-être acquitté de ses autres obligations, M. Hackett a confirmé qu’elles étaient marginales comparativement à l’importance de sa participation aux réunions. Quant à la prétention du fonctionnaire s’estimant lésé qu’on ne lui avait pas fait savoir qu’il était nécessaire qu’il assiste lui-même à ces réunions, nous répondons que M. Hackett a confirmé qu’il s’agissait là d’un sérieux problème de rendement qu’il entendait soulever dans le contexte approprié, à savoir le processus d’examen du rendement auquel l’intéressé a refusé de participer. En outre, puisqu’il occupait un poste important de directeur, il aurait dû sauter aux yeux du fonctionnaire s’estimant lésé comme à ceux de tous les autres directeurs qu’il était important d’assister aux réunions.

    Bref, pour le premier trimestre de l’exercice 2004-2005, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a travaillé que 50 p. 100 du temps, en ne s’acquittant pas de sa principale responsabilité. Même s’il avait été au travail pour le reste de l’exercice, comme il a lui-même confirmé qu’il avait l’intention de continuer à ne pas assister à ces réunions, son rendement aurait inévitablement été considéré comme insatisfaisant. Par conséquent, il ne devrait pas avoir droit à une prime au rendement pour l’exercice 2005-2005. Subsidiairement, si l’arbitre de grief était encline à lui faire accorder une prime au rendement pour cet exercice-là, la prime devrait être le minimum de l’échelle prévue par le protocole du CNRC.

  3. Fermeture des bureaux pour les Fêtes

    Le traitement versé rétroactivement au fonctionnaire s’estimant lésé tenait compte de la fermeture des bureaux du CNRC pour les Fêtes en 2004. Par conséquent, les 3,5 jours de traitement qu’il réclame à ce titre lui ont déjà été payés.

    Le fonctionnaire s’estimant lésé a aussi été payé pour la période de fermeture des bureaux pour les Fêtes en 2005. Conformément à l’Annexe 5.17A, section 5.17, du Chapitre 5 du Manuel des ressources humaines du CNRC, il sera autorisé à prendre un congé annuel ou un congé non payé pour couvrir la période en question, en application de l’alinéa A.5.17.1.8 de ladite Annexe.

  4. Cotisations à des associations professionnelles

    Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas droit au remboursement de ses cotisations à des associations professionnelles pour les années 2005 et 2006.

    Le Chapitre 6 du Manuel de gestion financière du CNRC (Pièce « D ») confirme que le CNRC paie ces cotisations notamment lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé est légalement tenu par une loi fédérale d’être membre d’associations professionnelles pour s’acquitter des fonctions de son poste. Autrement, le perfectionnement personnel et le maintien de connaissances à jour sur l’évolution dans des domaines liés au travail sont aux frais du fonctionnaire.

    À compter du 6 décembre 2004, dans le cadre d’une importante réorganisation visant notamment l’IÉNM, le fonctionnaire s’estimant lésé et deux des groupes dont il continuait d’assurer le contrôle et la supervision ont été transférés de l’IÉNM à l’Institut des sciences de microstructures (ISM), où les directeurs ne sont pas tenus d’être membres d’organisations professionnelles pour s’acquitter de leurs fonctions. L’adhésion à ces associations relève personnellement des chercheurs, des directeurs et du directeur général de l’ISM.

    Comme Jean-Maurice Cantin, c.r., l’a déclaré dans Dagenais c. Conseil du Trésor [dossier de la Commission 166-2-16517, 2 juin 1987], à la page 5 :

    Il en ressort que l’employeur est libre d’exiger ou non que l’employée soit membre de l’Ordre et inscrite au tableau. Si l’employeur ne l’exige pas, comme c’est le cas ici, il faut en déduire que ce n’est pas indispensable à l’exercice continu des fonctions de son emploi et l’employée ne peut exiger alors un remboursement.

    La décision du fonctionnaire s’estimant lésé d’adhérer ou continuer d’adhérer à une association professionnelle est une décision personnelle dont la responsabilité financière incombe à lui et non à l’employeur. Il n’a donc pas droit au remboursement de ses cotisations à des associations professionnelles pour les années 2005 et 2006.

    De toute manière, nous tenons à souligner que la demande de remboursement de ces cotisations pour l’année 2006 vise une période qui déborde nettement la compétence de l’arbitre de grief.

Demande de dommages-intérêts généraux et alourdis ainsi que de dédommagement pour les possibilités de perfectionnement professionnel perdues et pour les difficultés financières éprouvées

En plus des avantages sociaux susmentionnés qu’il réclame, le fonctionnaire s’estimant lésé veut obtenir d’autres redressements qui ne correspondent à aucun des types de redressements que l’arbitre de grief a ordonné de lui verser. Ce sont des demandes de dommages-intérêts généraux et alourdis ainsi que de dédommagement pour les possibilités de perfectionnement professionnel qu’il a perdues et pour les difficultés financières qu’il a éprouvées.

Il vaut la peine de souligner qu’aucun de ces redressements n’a été précisé ni réclamé dans les deux griefs qui ont été soumis à la Commission; de plus, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas avancé de faits à l’audience pour justifier qu’on lui accorde de tels redressements.

En outre, et bien que l’arbitre de grief ait le droit de rester saisie de l’affaire pour les fins de l’exécution de sa décision, elle n’a « plus aucun pouvoir, que ce soit par la loi ou autrement, pour réexaminer, retirer ou modifier l’une ou l’autre des ordonnances ». En agissant autrement, elle serait dessaisie de l’affaire et outrepasserait donc sa compétence.

Huneault c. Société centrale d’hypothèques et de logement
(1981), 41 N.R. 214 (C.A.F.), paragr. 8

Slaight Communications Inc. (exploitée sous le nom de station de radio Q107 FM) c. Davidson
(1985) 1 C.F. 253, confirmée [1989], 1 R.C.S. 1038 (C.S.C.)

Bien que l’arrêt ultérieur de la Cour d’appel fédérale dans Huneault portait sur une question de redressement sous le régime de la Partie III du Code canadien du travail, « il en va de même pour le pouvoir que détient un arbitre en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique  ».

Canada (Conseil du Trésor) c. Exley
[1985] A.C.F. no 331, p. 4

Même si la loi donnait à l’arbitre de grief le pouvoir d’ordonner une partie (ou la totalité) des trois types de redressements réclamés par le fonctionnaire s’estimant lésé, ce que l’employeur n’admet pas, elle serait dessaisie de toute façon si elle ordonnait pareille chose à ce stade-ci. Le juge Sopinka, de la Cour suprême du Canada, l’a bien dit :

De plus, si le tribunal administratif a omis de trancher une question qui avait été soulevée à bon droit dans les procédures et qu’il a le pouvoir de trancher en vertu de sa loi habilitante, on devrait lui permettre de compléter la tâche que lui confie la loi. Cependant, si l’entité administrative est habilitée à trancher une question d’une ou de plusieurs façons précises ou par des modes subsidiaires de redressement, le fait d’avoir choisi une méthode particulière ne lui permet pas de rouvrir les procédures pour faire un autre choix. Le tribunal ne peut se réserver le droit de le faire afin de maintenir sa compétence pour l’avenir, à moins que la loi ne lui confère le pouvoir de rendre des décisions provisoires ou temporaires [je souligne].

Chandler c. Alberta Association of Architects,
[1989] 2 R.C.S. 848 (C.S.C.), paragr. 23

L’arbitre de grief a ordonné que le fonctionnaire s’estimant lésé soit « immédiatement réintégré dans ses fonctions et dédommagé des pertes subies au titre du salaire et de tous les avantages sociaux, rétroactivement au 21 juillet 2004. » Comme le juge Mahoney l’a écrit dans Canada (Conseil du Trésor) c. Exley, supra, la première « ordonnance était claire et complète ». Que l’arbitre de grief ait pu ordonner ou pas qu’on dédommage le fonctionnaire s’estimant lésé au titre des trois autres types de redressements qu’il réclame maintenant, le fait est qu’elle ne l’a pas fait. Toute ordonnance ultérieure portant sur ces types de redressements-là constituerait une modification de la décision originale, et si elle rendait une telle ordonnance, l’arbitre de grief serait dessaisie et outrepasserait sa compétence.

Bref, ces trois types de redressements n’avaient pas été précisés dans les griefs comme redressements réclamés, et le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas non plus avancé de faits pour les justifier. Qui plus est, de toute manière, l’arbitre outrepasserait sa compétence en ordonnant le paiement de tels dédommagements.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[Les passages soulignés le sont dans l’original]

[8]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a répondu le 7 février 2006 :

[Traduction]

[…]

Pour répondre aux observations de Me Snyder, cette lettre est en trois parties. Premièrement, nous allons commencer par les aspects restants de la question du traitement et des avantages sociaux, à savoir les primes au rendement pour 2003-2004 et 2004-2005. Deuxièmement, nous allons nous pencher sur les arguments de l’employeur relativement à la compétence de l’arbitre de grief sur les autres redressements, dans les circonstances. Troisièmement, nous allons présenter nos propres observations sur les questions qui pourraient être tranchées par une ordonnance. Les questions qui seraient réglées, d’après le CNRC, sont les crédits de congé annuel et de congé de maladie, le traitement pour la période de fermeture des Fêtes et le remboursement des cotisations à des associations professionnelles. Il reste à régler le problème du refus de l’employeur de verser les primes au rendement pour 2003-2004 et 2004-2005.

i)  Crédits de congé annuel et de congé de maladie, et traitement pour la période de fermeture des Fêtes

Le fonctionnaire s’estimant lésé demande une ordonnance confirmant qu’il a droit à des crédits de congé annuel et de congé de maladie accumulés en tant qu’employé travaillant à temps plein de juillet 2004 à novembre 2005. Il réclame aussi une ordonnance confirmant qu’il a droit au traitement pour les périodes de fermeture aux Fêtes de 2004-2005 et de 2005-2006, en tant qu’employé travaillant à temps plein de juillet 2004 à novembre 2005.

ii)  Cotisations à des associations professionnelles

Le fonctionnaire s’estimant lésé a pris connaissance des observations du CNRC au sujet des cotisations à des associations professionnelles qui avaient été payées pour lui depuis qu’il est entré au service du CNRC, voilà plus de 20 ans. Il est d’avis que le CNRC peut décider de cesser de payer ces cotisations dans l’avenir, auquel cas il peut contester cette décision devant d’autres instances et ne manquera pas de le faire. Néanmoins, il affirme qu’il devrait avoir le droit de se faire payer ces cotisations au moins pour la période durant laquelle il a été involontairement absent du travail.

Le CNRC prétend que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a plus droit à ces cotisations parce qu’il travaille dans un autre Institut. Toutefois, il est important de souligner que, pour les fins de ses griefs, l’intéressé n’avait jamais été informé de cette décision avant son retour au travail, en novembre 2005. Par conséquent, l’arbitre de grief devrait ordonner au CNRC de payer ses cotisations au moins jusqu’à ce moment-là. Le fonctionnaire s’estimant lésé a appris que le CNRC a bel et bien payé ses cotisations à l’International Society for Optical Engineering, mais pas celles qu’il devait à l’Optical Society of America, dont il est membre associé depuis longtemps. Par conséquent, le fonctionnaire s’estimant lésé estime que l’arbitre de grief devrait ordonner au CNRC de payer ses cotisations à l’Optical Society of America pour toute la période de son absence et jusqu'à 30 jours après son retour au travail.

iii)  Primes au rendement

L’avocat du CNRC fait valoir que le fonctionnaire s’estimant lésé ne devrait pas avoir droit à une prime au rendement pour 2003-2004 parce qu’il n’a pas rempli un document pour contribuer à l’examen du mérite. Toutefois, comme M. Grover en a témoigné, il faisait l’objet depuis 1996 d’une entente le dispensant de ce genre d’examen. (Voir le paragraphe 19 des Motifs.) En outre, et M. Grover l’a aussi expliqué, le document en question est produit après la préparation d’une évaluation dans le cadre du Programme de planification et d’examen du rendement (PPER) de l’année précédente. On peut résumer la situation en disant que le PPER précise les objectifs pour l’année à venir et que le document d’examen du mérite compare les objectifs du PPER avec le rendement, en récompensant l’employé d’avoir atteint ces objectifs. M. Grover ne comprenait pas comment on aurait pu produire équitablement un document d’examen de son mérite et de son rendement de l’année précédente alors qu’il n’existait pas d’évaluation dans le contexte du PPER pour l’année pertinente. Malheureusement, M. Hackett a refusé d’expliquer comment cela était possible, en dépit des demandes de M. Grover.

Bien que le grief ne porte pas sur la question de savoir si M. Grover devrait avoir droit à une prime au rendement pour 2003-2004, de toute évidence, il faut souligner qu’on a produit une preuve sur son rendement au cours de la période pertinente. À cet égard, les témoins du CNRC ont reconnu que M. Grover s’acquittait des fonctions de cinq postes — son poste de directeur, trois postes de chef de groupe et un poste d’adjointe administrative. (Voir les paragraphes 30 et 35 des Motifs.) Lorna Jacobs a témoigné que le fonctionnaire s’estimant lésé « insistait pour accomplir beaucoup de travail », en se disant d’avis que « sa charge était trop lourde ». (Voir le paragraphe 29 des Motifs.) Qui plus est, M. Hackett a admis « que rien ne lui permettait de croire que le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’acquittait pas de toutes ses fonctions, hormis le fait qu’il ne participait pas aux réunions de la direction. » M. Grover a témoigné qu’on ne lui avait jamais parlé d’un problème quant à son absence des réunions de la direction, puisqu’il y déléguait un représentant, en déclarant qu’il évitait ces réunions parce qu’elles le stressaient trop. (Voir les paragraphes 48, 138 et 139 des Motifs.)

Compte tenu de tous ces facteurs, notamment et particulièrement de la pratique antérieure avec laquelle il n’y avait ni d’évaluations dans le cadre du PPER, ni d’examens du mérite, et de l’admission de la lourde charge de travail, le fonctionnaire s’estimant lésé devrait avoir droit à une prime au rendement pour 2003-2004, étant donné qu’avoir été privé de cette prime était une conséquence inévitable du fait qu’on lui avait interdit de se présenter au travail et d’en parler avec la direction. Il n’était de toute façon pas au travail en 2004 au cours de la période de juin et juillet pendant laquelle on prend normalement les décisions d’accorder ou de refuser d’accorder une prime au rendement. S’il avait été informé pendant la période pertinente qu’il ne toucherait pas une prime au rendement pour 2003-2004, il aurait pu présenter un grief.

Dans le cas de la prime au rendement pour 2004-2005, le fonctionnaire s’estimant lésé n’était tout simplement pas au travail durant presque toute la période pertinente à cause de la sanction disciplinaire injustifiée qu’il avait subie. Comme il a touché une prime au rendement pendant sept années d’affilée avant 2004, la prépondérance des probabilités laisserait entendre qu’il en aurait mérité une pour l’année 2004-2005. En d’autres termes, toucher une telle prime dans au moins sept des huit années précédentes (voire huit années sur huit, s’il est ordonné qu’on lui paye la prime pour 2003-2004) montre qu’il était probable que le fonctionnaire s’estimant lésé ait mérité une prime au rendement pour 2004-2005.

Ces primes s’élèvent à 5 % du traitement annuel du fonctionnaire s’estimant lésé, soit à 5 750 $ par année, pour un total de 11 500 $.

B.  Compétence pour accorder d’autres redressements

Le CNRC a prétendu que l’arbitre de grief n’a pas le pouvoir d’accorder d’autres redressements parce qu’elle est dessaisie de l’affaire et que, selon lui, les redressements réclamés n’avaient pas été précisés dans les griefs. Il soutient en outre qu’on n’a pas avancé de faits pour justifier ces redressements supplémentaires. Nous allons réfuter ces arguments.

i)  Il n’y a pas de dessaisissement

Dans sa déclaration préliminaire pour le fonctionnaire s’estimant lésé, son avocat a informé l’arbitre de grief qu’il ne présenterait pas de preuve pour chacun des redressements réclamés. Pour utiliser ses ressources de façon efficiente, il a plutôt déclaré qu’il lui demanderait de rester saisie de l’affaire dans l’éventualité où les griefs seraient accueillis. Cette prise de position a été réitérée dans les derniers arguments présentés pour le fonctionnaire s’estimant lésé, le paragraphe 113 des Motifs le confirme. L’avocat du CNRC ne s’est pas opposé à cette démarche, que ce soit dans la déclaration préliminaire ou dans les arguments finals.

À notre avis, l’arbitre de grief a accédé à cette requête du fonctionnaire s’estimant lésé en déclarant ce qui suit au paragraphe 146 :

Je demeure saisie de l’affaire pour une période de 90 jours à compter de la date de la présente décision afin de me prononcer, le cas échéant, sur toutes les questions concernant son exécution. [je souligne]

Il est donc évident que l’arbitre de grief ne s’est clairement pas dessaisie de sa compétence à l’égard de « toutes les questions » concernant l’exécution de sa décision et qu’elle ne saurait donc être considérée comme étant dessaisie. La « décision » accueillait les griefs et la demande d’autres redressements y est donc liée, d’autant plus que l’arbitre de grief s’est fait demander (voir le paragraphe 113 de la décision) de rester saisie de l’affaire pour déterminer les autres redressements applicables.

Subsidiairement, si cela ne correspond pas nécessairement à l’intention de l’arbitre de grief, le fonctionnaire s’estimant lésé fait valoir qu’elle n’en a pas moins compétence, en vertu de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, pour modifier ou changer une ordonnance dans les circonstances appropriées. L’article 96.1 de la Loi dispose en effet qu’un arbitre de grief a « tous les droits et pouvoirs de la Commission, sauf le pouvoir réglementaire prévu à l’article 22 », et l’article 27 prévoit que la Commission a le pouvoir de réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances. En vertu de l’article 96.1, les arbitres de griefs ont donc aussi les pouvoirs de l’article 27 de modifier leurs décisions ou ordonnances.

Le fonctionnaire s’estimant lésé soutient que l’arbitre de grief devrait se pencher sur sa demande d’autres redressements compte tenu des arguments qui ont été présentés à cet égard à l’audience. Si l’arbitre de grief ou le CNRC avaient déclaré qu’ils n’en tiendraient pas compte, le fonctionnaire s’estimant lésé aurait déposé d’autres éléments de preuve et présenté d’autres arguments juridiques. Il ne l’a pas fait à l’audience parce qu’elle était déjà très longue et que, tous les intéressés le reconnaîtront, l’affaire était déjà surchargée de questions juridiques aussi nombreuses que difficiles (compétence en matière de droits de la personne, sanction disciplinaire déguisée et prétendu droit de l’employeur d’ordonner à un fonctionnaire de se soumettre à un examen par un médecin choisi par la direction).

Avant de passer à une autre question, il vaut la peine de souligner que la jurisprudence laissait auparavant entendre que les arbitres de griefs nommés en vertu de la Loi n’avaient pas le pouvoir de modifier leurs propres décisions. (Voir Doyon c. Commission des relations de travail dans la fonction publique et autres, [1979] 2 C.F. 190 (C.A.).) Cela dit, c’était avant que l’article 96.1 ne soit ajouté à la Loi, en 1993. (Voir Loi sur la réforme de la fonction publique, L.C. 1992, ch. 54.) La Commission s’est d’ailleurs penchée sur cette question dans Murray c. Conseil du Trésor (Transports Canada), [1996] C.R.T.F.P.C. n o 43 (QL), en disant douter que l’article 96.1 ait pour objet de donner aux arbitres de grief le pouvoir de modifier leurs propres décisions, sans toutefois se prononcer catégoriquement sur cette question, puisqu’elle a déclaré que, si les arbitres de grief étaient effectivement investis de ce pouvoir, ils ne devraient pas l’exercer pour permettre aux parties de plaider de nouveau au fond, à toutes fins utiles.

En toute déférence envers la Commission dans Murray, nous estimons que le sens de l’article 96.1 est clair, à savoir que les arbitres de griefs sont investis de tous les pouvoirs de la Commission, sauf celui de prendre des règlements en vertu de l’article 22. À cette exception claire près, la règle d’interprétation juridique voulant que la mention de l’un implique l’exclusion de l’autre devrait nous mener à la conclusion que le Parlement entendait donner aux arbitres de griefs les pouvoirs prévus par l’article 27, parce qu’il les a expressément privés de ceux dont l’article 22 les aurait investis. (Voir Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 2002, 4 th ed., pp. 186-194.)

Cela ne signifie pas pour autant que la Commission n’aurait pas dû se montrer prudente dans Murray quant à l’utilisation de ce pouvoir. Dans le présent cas, les redressements réclamés n’ont pas été mentionnés à l’audience, de sorte que la demande de redressements supplémentaires ne saurait être qualifiée de tentative de plaider de nouveau l’affaire au fond. Le fonctionnaire s’estimant lésé avait demandé à l’arbitre de grief de rester saisie de l’affaire, de sorte qu’il s’agirait ici précisément du genre de question dont un arbitre de grief devrait tenir compte. Il semblerait en fait que l’arbitre a peut-être oublié d’en parler dans sa décision, et c’est pourquoi elle devrait pouvoir tenir compte de cette question en se fondant sur l’article 27.

ii)  Demande de redressements dans les griefs

Dans les deux griefs sur lesquels l’arbitre de grief s’est prononcée, le fonctionnaire s’estimant lésé réclamait les redressements suivants :

[Traduction]

Comme redressement, je demande à être dédommagé de toutes les pertes résultant de la cessation de ma rémunération, y compris les intérêts, le retrait de toute mention de la présente décision de mes dossiers personnels et des excuses écrites de M. Hackett et d’un représentant du CNRC pour leurs actions. [Dossier 166-9-34836]

Je demande aussi que la décision de me mettre en congé non payé pour d’autres raisons soit renversée, qu’on m’autorise à retourner au travail immédiatement pour m’acquitter de toutes les fonctions que j’avais auparavant, qu’on me réintègre avec les pleins pouvoirs pour m’acquitter des fonctions que j’avais à l’origine et que je sois dédommagé de toutes les pertes résultant de la cessation de ma rémunération, y compris les frais juridiques et les intérêts afférents, que toutes les mentions de la présente décision soient retirées de mes dossiers personnels et que les représentants du CNRC me présentent des excuses écrites pour leurs actions. [Dossier 166-9-34837]

À la lecture de ce qui précède, il est évident que le fonctionnaire s’estimant lésé avait réclamé un dédommagement pour « toutes les pertes » résultant des sanctions disciplinaires qu’il avait subies. En outre, la jurisprudence est claire : le fonctionnaire s’estimant lésé n’est pas tenu d’énumérer expressément tous les redressements qu’il demande dans le grief lui-même pour pouvoir réclamer ces redressements à l’arbitrage. Bien que la compétence d’un arbitre soit effectivement limitée par la portée du grief, il (ou elle) doit se demander si les redressements réclamés équivalent à la présentation d’un nouveau grief. (Voir Wilcox c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. n o 329 (C.A.F.) (QL), p. 3.) Dans la décision jurisprudentielle sur cette question en ce qui concerne la portée du grief et la compétence, la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

De toute évidence, la Commission doit se prononcer sur le grief dont elle est saisie, mais ce grief devrait être interprété largement, de façon que la véritable plainte puisse être tranchée et que le redressement approprié soit accordé pour donner effet aux dispositions de la convention, soit par une déclaration des droits et des obligations, afin d’assurer les avantages ou la conformité aux obligations, soit par l’ordonnance du versement d’un dédommagement pour rétablir l’employé s’estimant lésé dans la position qu’il aurait occupée si la convention avait été respectée. (Voir Re Blouin Drywall Contractors Ltd. v. United Brotherhood of Caperpenters and Joiners of America, Local 2486 (1975), 8 O.R. (2d) 103 (QL), p. 5.)

L’arbitre de grief doit donc se pencher sur la « véritable plainte » concernant les parties pour décider si les redressements réclamés découlent du manquement dénoncé. À cet égard, il convient de souligner que, dans ses griefs, le fonctionnaire s’estimant lésé expliquait qu’il craignait que le CNRC ne tente de violer ses droits à sa vie privée et à l’intégrité de sa personne. Il avait aussi déclaré être convaincu que les décisions de cesser de lui verser son traitement et de le mettre en congé non payé étaient « conçues pour l’intimider et l’humilier ». Il vaut la peine de souligner aussi que les griefs étaient basés sur la conviction du fonctionnaire s’estimant lésé que les actions de l’employeur étaient des sanctions disciplinaires déguisées.

La jurisprudence arbitrale a établi que, compte tenu de Weber v. Ontario Hydro, les arbitres devraient « se demander si le manquement à la convention collective constitue aussi un manquement à une obligation de common law ou une infraction de la Charte », en accordant un redressement approprié en conséquence. (Voir Tenaquip Ltd. and Teamsters Canada, Loc. 419 (2002), 112 L.A.C. (4 th) 60 (E. Newman) (version en direct), pp. 4-5 et 6, pour une citation de Weber; et Re Transit Windsor and Amalgamated Transit Union, Local 616 (2003), 114 L.A.C. (4 th) 385 (Brandt) (version en direct), pp. 10-12.)

Enfin, les arbitres de griefs de la Commission des relations de travail dans la fonction publique ont conclu qu’ils ont compétence pour accorder des dommages-intérêts alourdis ( Chénier c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), [2003] C.R.T.F.P.C. n o 24 (QL)) ou pour établir des dommages en se basant sur des facteurs tels que la mauvaise foi de l’employeur et les frais engagés par un fonctionnaire s’estimant lésé pour retenir les services d’un avocat ( Matthews c. Service canadien du renseignement de sécurité, [1999] C.R.T.F.P.C. n o 31 (QL), paragrs. 105-106). Il vaut la peine de souligner aussi que la Commission n’a encore jamais décliné sa compétence d’accorder des redressements tels que les intérêts, les frais juridiques ou des dommages-intérêts punitifs compte tenu de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Vaughan c. Canada, [2005] 1 R.C.S. 146. La Cour fédérale a pris position à cet égard, dans un contexte où des arbitres s’étaient penchés sur des griefs non arbitrables sous le régime de l’ancienne LRTFP, en jugeant qu’ils avaient bel et bien compétence pour accorder des dommages-intérêts punitifs. (Voir Bernath c. Canada, [2005] A.C.F. n o 1496 (QL), paragr. 37, et les décisions invoquées là.

C.  Dommages-intérêts

Le fonctionnaire s’estimant lésé réclame le dédommagement des pertes résultant des sanctions disciplinaires injustifiées dont il a écopées. Il déclare plus précisément qu’il devrait être dédommagé de la perte de possibilités de perfectionnement professionnel ainsi que de ses difficultés financières et se faire verser des dommages-intérêts généraux et alourdis.

i)  Perte de possibilités de perfectionnement professionnel

La preuve a montré que M. Grover s’était fait interdire de participer à la conférence quadriennale de la Commission internationale d’optique qui a eu lieu au Japon en juillet 2004. Il s’agit d’une des plus importantes activités auxquelles un scientifique œuvrant dans le domaine de l’optique puisse assister. Il n’y avait aucune raison valable pour que l’employeur lui interdise d’assister à cette conférence sous peine de sanctions disciplinaires. [Voir la pièce G-14, p. 27, lettre de M. Hackett à M. Grover datée du 7 juillet 2004.] Qui plus est, le fonctionnaire s’estimant lésé va habituellement visiter chaque année deux ou trois laboratoires internationaux, et il s’est fait refuser ces possibilités parce qu’il lui était interdit de se présenter au travail.

Le tort causé à la carrière et à la réputation de M. Grover est impossible à évaluer, mais nous réclamons 20 000 $ en guise de dédommagement.

ii)  Difficultés financières

L’arbitre de grief n’a peut-être pas compétence pour accorder les intérêts, mais rien ne l’empêche d’accorder un redressement approprié pour dédommager un fonctionnaire s’estimant lésé des autres pertes subies. En l’occurrence, M. Grover et sa famille ont éprouvé de grandes difficultés financières à cause des décisions du CNRC de cesser de lui verser son traitement et de ne pas lui permettre de se servir de ses crédits accumulés de congé annuel ou de congé de maladie pour compenser. En somme, il a été privé de son traitement pendant quinze mois. Comme il en a témoigné à l’audience, il s’est aussi fait refuser des prestations d’assurance-emploi durant cette période parce qu’il ne pouvait pas prétendre qu’il était incapable de travailler parce que malade, ni qu’il avait été congédié. Bref, il a été contraint d’emprunter de l’argent à diverses sources ainsi que d’encaisser des placements dans des REER et des investissements non enregistrés simplement pour payer ses factures mensuelles.

M. Grover a dû encaisser 30 000 $ de placements dans des REER, avec une facture d’impôt totale d’environ 13 500 $. (Voir la pièce A.) Il a aussi encaissé un investissement non enregistré de 57 258 $, ce pourquoi ses gains en capital ont été évalués à 8 651,82 $, dont 50 % imposables cette année. (Voir la pièce B.) S’il avait pu ne pas toucher à ces investissements, il n’aurait pas été obligé de payer l’impôt sur ses gains en capital et sur les placements dans ses REER qu’il a dû encaisser à un taux d’imposition plus élevé que celui qu’il aurait payé après sa retraite, puisque son revenu est plus élevé avant sa retraite qu’il ne le sera après. Il est impossible de calculer exactement la perte qu’il a subie, parce qu’on ne peut pas savoir quand il aurait encaissé ces investissements après sa retraite. Même si des calculs actuariels complexes pourraient peut-être nous donner des indications, nous proposons une approche « approximative » qui nous fait estimer que le CNRC devrait dédommager M. Grover en lui versant une somme de 6 845 $, si nous partons du principe qu’il aurait payé 20 % de moins d’impôt en encaissant ses investissements à un taux d’imposition plus favorable après sa retraite.

iii)  Dommages-intérêts généraux et alourdis

Comme nous l’avons dit dans la section qui précède, la CRTFP a reconnu avoir compétence pour accorder des dommages-intérêts généraux et alourdis, le cas échéant. (Voir Matthews, supra ; et Chénier, supra.) Le principe qu’elle a compétence pour accorder de tels dommages-intérêts est d’ailleurs confirmé par l’arrêt de la Cour suprême dans Vaughan et par la jurisprudence de la Cour fédérale, déjà mentionnée.

Nous estimons que le CNRC a agi de façon arrogante, avec l’intention de nuire au fonctionnaire s’estimant lésé. Il a usé de pressions financières ainsi que de la menace d’autres sanctions disciplinaires, voire du licenciement, pour tenter de l’obliger à renoncer à ses droits légitimes à la protection de sa vie privée et à l’intégrité de sa personne. Comme l’arbitre de grief l’a souligné, l’employeur a non seulement choisi de mettre le fonctionnaire s’estimant lésé dans une situation « pas de travail, pas de rémunération », il a aussi refusé de lui permettre de prendre des congés de maladie ou des congés annuels. (Voir le paragraphe 138 des Motifs.) De plus, le fonctionnaire s’estimant lésé a été incapable d’obtenir des prestations d’assurance-emploi à cause de la position intenable dans laquelle le CNRC l’avait mis. Ces actions démontrent que le CNRC n’agissait pas de bonne foi.

On peut aussi douter de la bonne foi du CNRC étant donné sa position contradictoire : il refusait de croire que le fonctionnaire s’estimant lésé était malade, tout en prétendant qu’il était dangereux pour lui de se présenter au travail en raison de son mauvais état de santé. L’employeur a aussi refusé d’envisager les possibilités raisonnables que le fonctionnaire s’estimant lésé lui proposait, notamment et particulièrement son offre de choisir conjointement avec lui un médecin indépendant et de payer une partie de ses honoraires. Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné avoir été très mal traité lorsqu’il s’est présenté au travail les 28 juin et 18 août 2004. Il a déclaré s’être senti humilié et effrayé. (Voir les paragraphes 40 et 56 des Motifs.)

Le fonctionnaire s’estimant lésé déclare que toute la preuve susdécrite justifie entièrement la décision de lui accorder des dommages-intérêts généraux et alourdis à cause de la détresse et de l’humiliation qui ont résulté des actions de mauvaise foi du CNRC et de ses sanctions disciplinaires injustifiées. Il s’agit tout simplement d’un cas extrême de conduite de l’employeur portant atteinte à la vie privée et au bien-être d’un employé. Le fonctionnaire s’estimant lésé estime que des dommages-intérêts de 25 000 $ seraient justifiés en raison de la nature de la conduite de l’employeur, du tort qui lui a été causé et du fait qu’il a dû retenir les services d’un avocat. Pour justifier cette somme, il se fonde sur la décision de la CRTFP dans Matthews, supra, ainsi que sur Re Toronto Transit Commission and Amalgamated Transit Union (2004), 132 L.A.C. (4 th) 225 (Shime, Q.C.), aux pp. 22-23 de la version en direct.

Conclusion

Le fonctionnaire s’estimant lésé déclare que la preuve est suffisante pour qu’on lui accorde les redressements réclamés. La preuve a démontré que le CNRC n’agissait pas parce qu’il s’inquiétait vraiment de son état de santé. Dans les circonstances, il est plutôt évident que la direction tentait de lui faire comprendre qu’il était le serviteur dans leur relation de maître et de serviteur. Il devrait être dédommagé de toutes les pertes découlant de cette conduite de l’employeur.

Enfin, quels que soient les autres redressements qui lui seraient accordés ou leur importance, l’arbitre de grief devrait ordonner au CNRC de remplir le formulaire 1198 de l’Agence du revenu du Canada, État d’un paiement forfaitaire rétroactif admissible (PFRA). Comme on peut le lire sur ce formulaire, un PFRA « est un paiement forfaitaire qui est versé à un particulier (sauf une fiducie) dans une année et qui se rapporte à une ou plusieurs années précédentes où le particulier était un résident du Canada pendant toute l’année. » Cela comprend les revenus reçus en vertu d’une décision d’arbitrage. Étant donné que le fonctionnaire s’estimant lésé a reçu en 2005 un remboursement de ses pertes de traitement en 2004 et 2005, le CNRC devrait remplir ce formulaire afin qu’il puisse faire rajuster ses taux d’imposition en conséquence. Il ne devrait exister aucune raison pour que le CNRC refuse de remplir le formulaire en question.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[Les passages soulignés le sont dans l’original]

[9]   Le 6 mars 2006, l’employeur a répondu comme il suit :

[Traduction]

[…]

Nous avons reçu les observations écrites du fonctionnaire s’estimant lésé datées du 7 février 2006 au sujet des redressements détaillés qu’il réclame à l’arbitre de grief. Au nom du Conseil national de recherches, nous présentons la réponse suivante portant sur les redressements réclamés, dans le même ordre que dans les observations initiales de l’employeur, datées du 23 janvier 2006.

  1. Crédits de congé annuel et de congé de maladie

    Le fonctionnaire s’estimant lésé ne rejette pas les faits exposés par l’employeur dans ses observations initiales au sujet de ces redressements réclamés. Toute ordonnance rendue devrait par conséquent refléter ces observations initiales de l’employeur.

  2. Primes au rendement

    C’est de la folie pure de prétendre que le fonctionnaire s’estimant lésé a droit à une prime au rendement pour 2003-2004 après avoir carrément refusé de participer au processus du PPER et d’examen du rendement qui s’est appliqué à tous les autres gestionnaires. La raison qu’il avance pour justifier sa position est basée sur sa déclaration non corroborée qu’il était « dispensé de ces examens » depuis 1996.

    Comme nous l’avons déjà dit, et quelle qu’ait pu être la pratique antérieure jusque-là, les lettres tant du président Carty que de M. Hackett étaient assez claires pour que le fonctionnaire s’estimant lésé sache pertinemment qu’il était tenu de prendre part à ce processus pour la période 2003-2004. Son refus catégorique d’y participer, comme il l’a confirmé lui-même à l’audience, empêchait l’employeur d’évaluer son rendement. C’est donc la propre conduite du fonctionnaire s’estimant lésé qui ne lui a pas donné droit à une telle prime au rendement.

    Maintenant, le fonctionnaire s’estimant lésé déclare qu’il ne comprenait pas « comment on aurait pu produire équitablement un document d’examen de son mérite et de son rendement de l’année précédente lorsqu’il n’existait pas d’évaluation dans le contexte du PPER pour l’année pertinente. » Même en ne tenant pas compte du fait que ce prétendu problème n’a pas été signalé à M. Hackett pendant l’audience pour qu’il y voie, c’est sans importance de toute façon, dans la mesure où le fonctionnaire s’estimant lésé a clairement témoigné qu’il n’était absolument pas tenu de prendre part au processus, nonobstant les lettres de ses supérieurs affirmant le contraire.

    Le fonctionnaire s’estimant lésé tente aussi de justifier sa prétention qu’il aurait droit à une prime au rendement pour 2003-2004 en déclarant qu’il s’acquittait des fonctions de cinq postes et que « rien ne […] permettait de croire [qu’il] ne s’acquittait pas de toutes ses fonctions, hormis le fait qu’il ne participait pas aux réunions de la direction. » Il a aussi déclaré que Mme Jacobs avait témoigné que sa « charge » de travail « était trop lourde ». Nous répondons à ces arguments de la façon suivante.

    Premièrement, le processus d’examen du mérite a pour seule raison d’être de déterminer si l’employé s’acquitte bel et bien des fonctions d’un poste et d’évaluer son rendement dans ce contexte. Le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé avait refusé de prendre part au processus lui retire toute possibilité de faire confirmer la qualité de son travail. Bien que M. Hackett ait reconnu « que rien ne lui permettait de croire que le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’acquittait pas de toutes ses fonctions, hormis le fait qu’il ne participait pas aux réunions de la direction », il a bel et bien déclaré qu’il tenait à parler de cette question-là avec le fonctionnaire s’estimant lésé dans le cadre du processus d’évaluation du rendement.

    Deuxièmement, et M. Hackett l’a déjà dit, dans la mesure où le fonctionnaire s’estimant lésé a pu s’être acquitté de ses autres fonctions, elles n’avaient qu’une importance mineure comparativement à celle de sa participation aux réunions « cruciales » de la direction pour l’évolution des projets et les promotions, réunions qu’il évitait délibérément. C’est ainsi qu’il ne s’était pas acquitté des aspects les plus importants de son travail comme directeur.

    Troisièmement, même si le fonctionnaire s’estimant lésé affirme qu’on devrait lui verser une prime au rendement pour 2003-2004 de toute façon, en raison de sa « charge de travail excessive », si sa charge de travail était excessive, c’était sa propre faute. Il avait accueilli les tentatives de l’employeur pour la réduire avec une obstination et une insubordination totales. L’arbitre de grief peut prendre connaissance d’office du dossier de la Commission 1021-02-04, dans lequel le fonctionnaire s’estimant lésé avait contesté une suspension de trois jours qui lui avait été imposée pour n’avoir pas organisé un concours afin de doter un poste de chef de groupe qu’il occupait et auquel il ne voulait pas renoncer. Le témoignage de Mme Jacobs a confirmé aussi qu’elle avait tenté d’organiser un concours pour doter le poste de l’adjointe administrative du fonctionnaire s’estimant lésé et que celui-ci avait refusé d’en faire un, préférant se charger de ces fonctions-là lui-même. C’est donc de la folie d’invoquer une « charge de travail excessive » pour tenter de justifier le versement d’une prime au rendement.

    Le fonctionnaire s’estimant lésé soutient en outre (à la p. 3 de son Mémoire) qu’avoir été privé de sa prime au rendement pour 2003-2004 « était une conséquence inévitable du fait qu’on lui avait interdit de se présenter au travail et d’en parler avec la direction. » Selon nous, il n’a pas avancé la moindre preuve à cet égard, de sorte qu’il faudrait ne tenir absolument aucun compte de cette allégation.

    Qui plus est, le fonctionnaire s’estimant lésé ne peut pas déclarer qu’il aurait automatiquement droit à la prime au rendement parce qu’il n’était pas tenu de prendre part au processus d’examen du mérite, tout en déclarant qu’il ne pouvait pas parler de son rendement avec son superviseur. Ces deux positions sont tout à fait incompatibles.

    Enfin, l’employeur est profondément choqué de constater qu’on réclame une prime au rendement pour 2003-2004 alors que cette question — comme la période pour laquelle elle est réclamée — déborde les paramètres du grief dont l’arbitre de grief est saisie. Le fonctionnaire s’estimant lésé a été mis dans une situation « pas de travail, pas de rémunération » le 21 juillet 2004. L’arbitre de grief a donc compétence pour déterminer s’il avait subi une sanction disciplinaire à partir de cette date-là, mais pas pour décider s’il a droit à une prime au rendement pour le travail effectué au cours de la période du 1e avril 2003 au 31 mars 2004.

    De plus, et contrairement à ce que le fonctionnaire s’estimant lésé allègue, les recommandations de verser des primes au rendement sont soumises à la haute direction au mois de février de l’exercice en cours. En février 2004, la haute direction avait confirmé les primes à verser à ses gestionnaires pour l’exercice 2003-2004. Il s’ensuit que le fonctionnaire s’estimant lésé, qui était encore au travail durant cette période et même au-delà, savait ou aurait dû savoir qu’il ne toucherait pas de prime au rendement pour cet exercice, mais il n’a pourtant pas présenté un grief dans les délais prescrits pour contester cette décision.

    Pour conclure, même sans tenir compte de la question de compétence, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas avancé de raison pouvant lui donner droit à une prime au rendement pour 2003-2004; sa demande devrait donc être rejetée.

    Dans le cas de la prime au rendement que le fonctionnaire s’estimant lésé réclame pour 2004-2005, la seule raison qu’il a avancée pour la justifier est qu’il avait traditionnellement touché une telle prime. Il ne contredit toutefois pas l’argument de l’employeur que, durant le premier trimestre de l’exercice 2004-2005, il n’a été au travail que 50 p. 100 du temps et ne s’est pas acquitté de ses principales fonctions pendant ce temps-là. Dans son témoignage, il a aussi confirmé qu’il allait continuer après son retour au travail à ne pas s’acquitter de sa fonction la plus importante de directeur, celle d’assister en personne aux réunions d’importance cruciale présidées par M. Hackett. Par conséquent, il aurait inévitablement obtenu une évaluation de rendement avec la cote Insatisfaisant et n’aurait donc pas eu droit à une prime au rendement pour cet exercice; subsidiairement, s’il devait en toucher une, ce devrait être la prime minimale, conformément à la politique du CNRC.

  3. Fermeture des bureaux pour les Fêtes

    Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a présenté aucune observation ni autrement réfuté les faits avancés par l’employeur à l’égard de ce type de dédommagement. Toute ordonnance rendue par l’arbitre de grief doit donc refléter la position de l’employeur sur ce point.

  4. Cotisations à des associations professionnelles

    Contrairement à ce qu’il croit, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas droit à un avantage préférentiel par rapport à ses collègues directeurs de l’Institut des sciences de microstructures (ISM), conformément à la Politique du CNRC.

    Le fait qu’il n’a pas été informé qu’il devrait payer lui-même ses cotisations avant son retour au travail en novembre 2005 n’est pas pertinent. S’il avait été informé de la position du CNRC au moment de sa mutation à l’ISM (en décembre 2004) plutôt qu’en novembre 2005 (à son retour au travail), le résultat serait le même. Comme tous les autres directeurs, c’est à lui qu’il incombe de payer ses cotisations pour rester membre des associations professionnelles auxquelles il adhère.

    L’ISM n’a pas payé les cotisations de ses employés à l’Optical Society of America. On en a parlé lors d’une réunion du comité de direction tenue le 24 janvier 2005 au cours de laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé a décliné l’invitation de présenter ses arguments pour justifier son adhésion à titre personnel à cette association (Pièce « A »).

    Sauf dans le cas du fonctionnaire s’estimant lésé, l’ISM n’a pas payé non plus les cotisations de ses employés à l’International Society of Optical Engineering. Le fonctionnaire s’estimant lésé avait soumis à l’ISM une seule facture (Pièce « B ») pour sa cotisation à l’association et pour son abonnement à diverses revues; elle a été traitée par inadvertance comme une facture d’abonnement à des revues. Il a donc bénéficié à l’ISM d’un avantage qu’il n’aurait pas normalement obtenu et devrait être reconnaissant à l’Institut de cette erreur.

    Bref, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas droit au remboursement de ses cotisations à l’Optical Society of America.

    Le fonctionnaire s’estimant lésé déclare qu’il peut contester devant d’autres instances la décision du CNRC de cesser de payer ses cotisations dans l’avenir et qu’il ne manquera pas de le faire. L’arbitre de grief devrait prendre connaissance d’office de la réclamation récemment modifiée que le fonctionnaire s’estimant lésé a déposée devant la Cour supérieure de l’Ontario (Pièce « C », paragr. 29), dans laquelle il allègue avoir été victime de discrimination notamment parce que l’employeur a cessé de payer ses cotisations. Par conséquent, le CNRC demande que l’arbitre de grief déclare explicitement dans sa décision supplémentaire que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas droit au paiement des cotisations qu’il réclame pour les années en question.

Demande de dommages-intérêts généraux et alourdis et dédommagement pour la perte de possibilités de perfectionnement professionnel ainsi que pour les difficultés financières éprouvées

Le CNRC va maintenant répondre aux observations du fonctionnaire s’estimant lésé quant aux redressements supplémentaires qu’il réclame, dans l’ordre où son avocat les a présentés à la page 3 de son Mémoire.

i)  Application du dessaisissement

Le fonctionnaire s’estimant lésé déclare que le principe fondamental de droit qu’est le dessaisissement ne s’applique pas en l’espèce, parce qu’il a demandé à l’arbitre de grief de demeurer saisie de l’affaire « pour déterminer les autres redressements applicables » [paragraphe 113 de la décision] et qu’elle a déclaré qu’elle en demeurerait saisie pour se « prononcer […] sur toutes les questions concernant [l’]exécution » de sa décision. Selon le fonctionnaire s’estimant lésé, ces deux facteurs confirment que l’arbitre de grief a reconnu qu’elle resterait « saisie de l’affaire pour déterminer les autres redressements » [Mémoire du fonctionnaire s’estimant lésé, p. 4].

L’ordonnance de l’arbitre de grief était claire et sans équivoque. Tout en reconnaissant le désir du fonctionnaire s’estimant lésé d’éventuellement réclamer d’autres redressements une fois sa décision rendue, elle a quand même expressément limité ses redressements à sa réintégration immédiate ainsi qu’au dédommagement des pertes subies « au titre du salaire et de tous les avantages sociaux, rétroactivement au 21 juillet 2004 ». Au paragraphe 146 de sa décision, elle a été on ne peut plus claire en disant qu’elle demeurait saisie de l’affaire pour se prononcer « sur toutes les questions concernant son exécution ». À première vue, le mot « son » s’entend des redressements qu’elle a accordés sans englober les autres redressements que le fonctionnaire s’estimant lésé tente maintenant d’obtenir. À cet égard, il faut répéter ce que le juge Sopinka a déclaré dans Chander c. Alberta Association of Architects [Mémoire du CNRC, p. 5] :

Cependant, si l’entité administrative est habilitée à trancher une question d’une ou de plusieurs façons précises ou par des modes subsidiaires de redressement, le fait d’avoir choisi une méthode particulière ne lui permet pas de rouvrir les procédures pour faire un autre choix.

En outre, comme le juge Mahoney l’a écrit dans Canada (Conseil du Trésor) c. Exley, [Mémoire du CNRC, p. 5], l’ordonnance de l’arbitre de grief « était claire et complète ». Par conséquent, elle ne peut pas rouvrir sa décision pour se prononcer sur les redressements que le fonctionnaire s’estimant lésé réclame après coup.

Enfin, nous estimons que la prétention de l’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé voulant que celui-ci aurait pu avancer d’autres arguments juridiques à l’audience au sujet des redressements qu’il souhaitait, mais qu’il « ne l’a pas fait » à l’audience « parce qu’elle était déjà longue […]  » n’est pas juridiquement assez solide pour prévaloir sur le principe du dessaisissement et ne nécessite aucune réponse.

Subsidiairement, le fonctionnaire s’estimant lésé prétend que les articles 27 et 96.1 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ( LRTFP ) donnent à l’arbitre de grief le pouvoir de se prononcer sur les redressements supplémentaires connexes qu’il n’a pas réclamés jusqu’ici. Or, Murray et le Conseil du Trésor (Transports Canada), la décision de la CRTFP invoquée par son avocat [à l’onglet 5 de son Mémoire] confirme le contraire.

Au paragraphe 7 de cette décision, Yvon Tarte a précisé ce qui suit sur les dispositions législatives susmentionnées :

[…] elle [la Commission] trouverait étonnant qu’un arbitre puisse se prévaloir du pouvoir de réviser une décision d’arbitrage en vertu de l’article 96.1.

La Commission a conclu spécifiquement ce qui suit :

[…] ni l’article 96.1, ni l’article 95.1, ni leur effet combiné, n’ont pour objet de modifier le rôle fondamental d’un arbitre prévu dans la Loi, c’est-à-dire de régler des griefs en temps opportun au cours d’un processus qui se veut définitif et concluant [paragraphe 8].

Qui plus est, et c’est particulièrement important, la Commission a confirmé dans cette décision que « la version française de l’article 96.1 énonce très clairement que les pouvoirs de l’arbitre de grief, quelle que soit la portée que leur donne l’article 96.1, sont néanmoins restreints à la question dont il est saisi »[paragraphe 8] [je souligne]. La tentative de l’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé de faire fi du libellé de la Loi et d’invoquer le principe que la mention de l’un implique l’exclusion de l’autre pour justifier la demande de redressements supplémentaires de son client doit donc échouer.

L’arbitre de grief s’est dite spécifiquement demeurée saisie de l’affaire en vue de l’exécution de son ordonnance de réintégration du fonctionnaire s’estimant lésé et de dédommagement au titre du salaire et des avantages sociaux rétroactivement au 21 juillet 2004 advenant des difficultés pour qu’elle soit exécutée. Elle est donc dessaisie; comme l’article 96.1 et la décision Murray le confirment, elle outrepasserait donc sa compétence en ordonnant les autres redressements réclamés par le fonctionnaire s’estimant lésé.

ii)  Demande de redressements dans les griefs

Nous interprétons les observations du fonctionnaire s’estimant lésé sous cette rubrique comme si elles revenaient à dire que le principe du dessaisissement ne peut pas s’appliquer en l’espèce étant donné qu’il n’avait aucune obligation de préciser spécifiquement dans ses griefs les autres redressements qu’il réclame maintenant. À l’appui de cet argument, il cite Wilcox [Mémoire du fonctionnaire s’estimant lésé, onglet 10] et Blouin Drywall Contractors Ltd. [onglet 2]. Il déclare en outre que « l’arbitre doit donc se pencher sur la véritable plainte concernant les parties pour décider si les redressements réclamés découlent du manquement dénoncé » [Mémoire du fonctionnaire s’estimant lésé, p. 6].

Il est important de rappeler que, dans l’arrêt « jurisprudentiel » Blouin (Cour d’appel de l’Ontario), le redressement supplémentaire réclamé par le syndicat et la preuve déposée pour le justifier avaient été tranchés avant que la décision et l’ordonnance de l’arbitre n’aient été rendues. De même, dans Wilcox, le fonctionnaire s’estimant lésé avait tenté d’obtenir un autre redressement pendant l’audience avant que la décision de l’arbitre ne soit rendue. Ces décisions ne minimisent ni ne rejettent l’obligation d’appliquer intégralement le principe du dessaisissement. Ces cas ne sauraient donc servir à étayer la position du fonctionnaire s’estimant lésé lorsqu’il réclame les redressements connexes qu’il a précisés récemment.

En outre, le fonctionnaire s’estimant lésé allègue que, à la lumière de la décision rendue dans Weber v. Ontario Hydro, les arbitres devraient « se demander si le manquement à la convention collective constitue aussi un manquement à une obligation de common law ou une infraction de la Charte  » (p. 6), en accordant le redressement approprié en conséquence. À l’appui de ce raisonnement, il invoque Tenaquip Ltd. et Transit Windsor.

Le lecteur se demande bien quelle est la pertinence de cette observation, dans la mesure où le fonctionnaire s’estimant lésé n’a allégué aucune infraction de la Charte, ni non plus un manquement à une obligation de common law. Néanmoins, nous tenons à commenter les décisions susmentionnées.

Dans Tenaquip Ltd. [Mémoire du fonctionnaire s’estimant lésé, onglet 7], le syndicat avait tenté à l’arbitrage d’élargir la portée des redressements qu’il avait réclamés durant la procédure de règlement des griefs. L’arbitre avait appliqué le principe établi dans Blouin Drywall en permettant au syndicat de modifier sa demande de redressements et d’introduire à l’audience une preuve pour justifier ceux qu’elle réclamait en plus. En l’espèce, la porte a été fermée et le principe du dessaisissement s’applique. L’arbitre de grief a rendu sa décision et son ordonnance; par conséquent, le fonctionnaire s’estimant lésé ne peut plus tenter de rouvrir l’audience et de déposer une nouvelle preuve pour obtenir des redressements supplémentaires.

Dans Transit Windsor [onglet 9], en ordonnant la réintégration de l’employé s’estimant lésé, l’arbitre a déclaré demeurer saisi de l’affaire [traduction] « pour trancher toutes les questions restantes quant à la responsabilité de l’employeur ainsi qu’au montant du dédommagement » [p. 3] et il a rendu une ordonnance supplémentaire à l’égard de plusieurs redressements qui n’avaient pas été expressément réclamés au cours de l’audience. Il vaut la peine de souligner que la formulation très générale de sa déclaration qu’il demeurait saisi de l’affaire lui permettait de se prononcer sur ces redressements supplémentaires sans violer le principe du dessaisissement. En l’occurrence, l’arbitre de grief a stipulé à l’égard de quels redressements précis elle allait demeurer saisie de l’affaire pour faciliter l’exécution de sa décision. La réclamation de redressements supplémentaires du fonctionnaire s’estimant lésé après l’audience ne s’inscrit pas dans les paramètres qui précèdent; l’arbitre de grief ne peut donc pas ordonner le versement des dédommagements qu’il demande.

Enfin, le fonctionnaire s’estimant lésé invoque Chernier [Mémoire du fonctionnaire s’estimant lésé, onglet 3] et Matthews [onglet 4] comme confirmation que la Commission a compétence pour accorder des dommages-intérêts alourdis « ou pour établir des dommages en se basant sur des facteurs tels que la mauvaise foi de l’employeur et les frais engagés par un fonctionnaire s’estimant lésé pour retenir les services d’un avocat ». Or, ces décisions ne sauraient absolument pas prévaloir sur le principe du dessaisissement; l’arbitre de grief ne peut donc pas ordonner des redressements supplémentaires, comme nous venons de le dire.

Néanmoins, nous allons analyser spécifiquement la question du prétendu droit du fonctionnaire s’estimant lésé à des dommages-intérêts généraux et alourdis sous la rubrique pertinente, la suivante. Quant à la demande de remboursement des frais de représentation du fonctionnaire s’estimant lésé, nous soulignons qu’il avait expressément réclamé le remboursement de ces frais dans son grief et que l’arbitre de grief ne le lui a pas accordé.

c)  Dommages-intérêts pour les pertes de possibilités de perfectionnement professionnel et les difficultés financières éprouvées, et dommages-intérêts généraux et alourdis

Pour toutes les raisons précisées dans les observations initiales du CNRC et dans la position exposée aux pages qui précèdent, nous estimons que l’arbitre est dessaisie et qu’elle outrepasserait sa compétence en ordonnant le versement de tout ou partie des redressements réclamés dont nous allons parler. Néanmoins, nous tenons subsidiairement à préciser ce qui suit :

  1. Perte de possibilités de perfectionnement professionnel

    Premièrement, nous nous opposons à la prétention du fonctionnaire s’estimant lésé qu’il se serait fait interdire l’accès à son lieu de travail. Comme la preuve le confirme, il a été autorisé à retourner au travail à condition de produire des renseignements non médicaux pour confirmer son aptitude à le faire.

    Deuxièmement, on n’a produit absolument aucune preuve pour justifier la prétention que la « carrière et [la] réputation » du fonctionnaire s’estimant lésé aient été sapées d’une façon quelconque parce qu’il n’a pas assisté à la Conférence de Tokyo (ou une autre conférence en 2004). Même si le fonctionnaire s’estimant lésé lui-même en est peut-être convaincu, il n’a pas réussi à prouver i) que sa carrière et sa réputation aient été sapées en quoi que ce soit et ii) les faits et les arguments juridiques nécessaires pour confirmer que si elles avaient été sapées, à supposer qu’elles l’aient été, cela aurait été directement attribuable au fait qu’il n’avait pas assisté à des conférences. Faute d’avoir pu prouver ce qui précède, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a droit à aucun dédommagement à ce titre. De toute manière, il aurait dû réclamer ce dédommagement dans le contexte de sa demande de dommages-intérêts généraux, en s’abstenant de le faire sous cette rubrique-ci.

    Troisièmement, rien dans la preuve ne confirme que le fonctionnaire s’estimant lésé avait le droit d’assister à d’autres conférences en 2004, mais qu’il avait raté ses occasions de le faire parce que « l’accès au lieu de travail lui était interdit ». Plus particulièrement, rien dans la preuve ne corrobore l’allégation du fonctionnaire s’estimant lésé que son superviseur lui aurait permis d’assister à une autre conférence en 2004.

    Ce qui précède démontre l’absence de justification pour que l’arbitre de grief accorde des dommages-intérêts à ce titre.

    Quoi qu’il en soit, nous estimons qu’elle doit prendre note d’office de la poursuite que le fonctionnaire s’estimant lésé a intentée devant la Cour supérieure de l’Ontario en alléguant avoir été victime de harcèlement et d’intimidation de la part de M. Hackett et en réclamant des dommages-intérêts en conséquence. Dans cette poursuite, le fonctionnaire s’estimant lésé se fonde aussi notamment sur l’annulation de son voyage à Tokyo pour mieux étayer sa prétention (Déclaration de réclamation modifiée, paragr. 22). Il est malheureux que le fonctionnaire s’estimant lésé ait manqué de franchise en n’informant pas la Commission de cette tentative de « doubler » le dédommagement qu’il réclame au titre de l’annulation de son voyage à Tokyo. Il est révélateur aussi de constater que rien dans la Déclaration de réclamation du fonctionnaire s’estimant lésé ne stipule qu’il aurait été incapable d’assister à d’autres conférences en 2004, ni que sa carrière et sa réputation en auraient directement souffert.

  2. Difficultés financières

    Premièrement, absolument aucune preuve n’a été produite à l’audience au sujet des dommages-intérêts réclamés pour des difficultés financières, alors que le fonctionnaire s’estimant lésé pouvait facilement réunir et présenter cette preuve à ce moment-là. Il ne devrait pas être permis au fonctionnaire s’estimant lésé de la présenter à ce stade de la procédure, une fois la décision rendue.

    Rien ne prouve par exemple qu’il lui était indispensable, dans les circonstances, d’encaisser des investissements, que la nature de la combinaison de ce qu’il a encaissé était propice à réduire au minimum les pertes sur ses investissements et qu’il lui est impossible d’investir des sommes supplémentaires dans ses REER grâce au traitement qui lui est remboursé, ce qui pourrait effacer ou réduire au minimum toutes les pertes subies sur les 30 000 $ de REER qu’il a encaissés. Il vaut la peine de souligner aussi que, comme le fonctionnaire s’estimant lésé a été absent du travail pendant 15 mois, le rendement des investissements non enregistrés qu’il a encaissés aurait été faible (de 3 % à 4 % environ), de sorte que tous les gains ainsi obtenus auraient été minimes. Le traitement versé rétroactivement au fonctionnaire s’estimant lésé peu après que la décision de l’arbitre de grief eut été rendue lui aurait permis de remplacer ses investissements avec un minimum de difficultés. De toute évidence, ce ne sont là que quelques-uns des points sur lesquels le fonctionnaire s’estimant lésé se serait fait interroger à l’audience pour tenter de justifier un remboursement à ce titre dans sa demande de dommages-intérêts.

    Enfin, nous soulignons que l’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé n’a invoqué aucune décision de la Commission à l’appui de sa demande de dédommagement pour les difficultés financières éprouvées. Bien que les arbitres de griefs aient régulièrement ordonné la réintégration avec versement rétroactif de la totalité des pertes subies au titre du traitement, nous ne connaissons aucune décision dans laquelle un arbitre de grief a tenu des ministères et organismes fédéraux responsables des décisions financières prises par un fonctionnaire au cours d’une période durant laquelle il était sans traitement. Ouvrir cette porte reviendrait à l’ouvrir aussi à des contre-interrogatoires détaillés ainsi qu’à la présentation de témoignages d’experts pour justifier les mesures que les employés pourraient prendre dans de telles circonstances. Dans l’éventualité où l’arbitre de grief envisagerait d’accorder des dommages-intérêts à ce titre, nous nous réservons le droit de présenter une preuve à cet égard et de déposer d’autres observations.

  3. Dommages-intérêts généraux et alourdis

    Contrairement à ce que l’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé prétend, l’arbitre de grief n’a absolument pas conclu que le CNRC a « agi de façon arrogante dans cette affaire, avec l’intention de nuire au fonctionnaire s’estimant lésé ». Elle a plutôt conclu explicitement que l’employeur n’avait pas de raisons suffisantes pour exiger un examen médical et que, par conséquent, sa décision de mettre le fonctionnaire s’estimant lésé en situation « pas de travail, pas de rémunération » était disciplinaire. Nonobstant le fait que l’arbitre de grief n’a pas souscrit à l’évaluation de la situation par M. Hackett, ni à sa décision d’exiger des renseignements non médicaux supplémentaires avant que le fonctionnaire s’estimant lésé ne retourne au travail, il n’y a absolument pas de preuve pouvant nous amener jusqu’à qualifier la décision de M. Hackett d’arrogante et d’avoir été prise dans l’intention de nuire. L’arbitre de grief n’a absolument pas conclu que cette décision a été prise de mauvaise foi. En soi, cela justifie le rejet intégral de cette demande de redressement.

    Qui plus est, tout en réclamant des dommages-intérêts alourdis par suite de son absence du travail, le fonctionnaire s’estimant lésé tente d’obtenir les mêmes dommages-intérêts en s’inspirant notamment du même ensemble de faits dans la poursuite qu’il a intentée devant la Cour supérieure (voir Déclaration de réclamation modifiée, paragr. 23). Plus particulièrement, dans sa demande à la Cour supérieure, le fonctionnaire s’estimant lésé prétend avoir été continuellement victime de discrimination et de harcèlement de la part du CNRC pendant de nombreuses années, en incluant la période durant laquelle il avait été placé en situation « pas de travail, pas de rémunération ».

    C’est important dans la mesure où le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas réussi à produire la moindre preuve devant l’arbitre de grief pour confirmer que, n’eut été de son absence du travail durant cette période de 16 mois, il ne se serait pas senti blessé ni humilié, ni en proie à une détresse émotionnelle. Pourtant, dans son contexte global, sa Déclaration de réclamation modifiée indique le contraire. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas réussi à établir la relation de cause à effet nécessaire entre son absence du travail et un droit à des dommages-intérêts alourdis. Il n’a pas réussi non plus à produire la moindre preuve fondée sur des témoignages médicaux ni corroborée par des témoignages de la détresse qu’il aurait vécue, bref du critère sur lequel les arbitres se fondent pour accorder de tels dommages-intérêts (Toronto Transit Commission, Mémoire du fonctionnaire s’estimant lésé, onglet 8, pp. 21 et 22). Il n’a pas non plus produit la moindre preuve de la façon dont son absence du travail pourrait justifier une demande de dommages-intérêts alourdis. Sa demande devrait donc être rejetée faute de preuve qu’elle soit fondée.

    Quoi qu’il en soit, cette demande de dommages-intérêts alourdis/généraux devrait plutôt être adressée à la Cour supérieure, quand on pense que le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté des réclamations exhaustives à ce titre et que, dans sa demande à la Cour supérieure, il a invoqué son absence du travail pendant 16 mois pour justifier les dommages-intérêts généraux qu’il réclame. Il ne fait aucun doute que l’employeur subit un préjudice en étant contraint à se défendre contre deux demandes invoquant les mêmes faits et susceptibles d’aboutir à deux décisions différentes.

    Enfin, nous soulignons que le fonctionnaire s’estimant lésé réclame 25 000 $ de dommages-intérêts sans présenter la moindre preuve ni invoquer la jurisprudence pour justifier cette somme. Les décisions rendues dans Matthews [Mémoire du fonctionnaire s’estimant lésé, onglet 4] et dans Toronto Transit Commission [onglet 8] qu’il invoque dans ses observations ne justifient absolument pas une décision d’accorder les 25 000 $ de dommages-intérêts alourdis réclamés en l’espèce; il est clair que le fonctionnaire s’estimant lésé tente d’obtenir des dommages-intérêts dépassant largement les sommes raisonnables qui pourraient lui être accordées dans le contexte du grief limité dont l’arbitre de grief est saisie. Bien au contraire, sa tentative d’obtenir de plus gros dommages-intérêts témoigne de son sentiment d’avoir été victime de discrimination et de harcèlement durant ses nombreuses années au service du CNRC. C’est pour cette raison, comme nous venons de l’affirmer, que cette question devrait plutôt être renvoyée à la Cour pour être tranchée. De toute façon, si l’arbitre de grief envisageait d’accorder des dommages-intérêts alourdis/généraux, l’employeur se réserverait le droit, en application du principe établi dans Matthews, de présenter une preuve et de déposer d’autres observations à cet égard.

  4. Formulaire 1198 de l’Agence du revenu du Canada

    Nous déclarons que le CNRC n’a aucune objection à la demande de l’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé, dans son Mémoire, qu’il remplisse le formulaire susmentionné.

    Dans l’éventualité où l’arbitre déciderait de rendre une ordonnance de paiement à l’égard des redressements supplémentaires précisés en (c)(i) à (iii), ci-dessus, nous demandons qu’elle en retarde l’exécution jusqu’au règlement final du grief du fonctionnaire s’estimant lésé ainsi qu’à l’exécution de sa décision originale, qui fait actuellement l’objet d’une demande de contrôle judiciaire.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[Les passages soulignés le sont dans l’original]

[10]   Le 7 mars 2006, le fonctionnaire s’estimant lésé a répondu en ces termes :

[Traduction]

[…]

Me Snyder soulève de nombreuses nouvelles questions. Pour n’en citer qu’une, nous prenons note qu’il a fait état d’arguments dans le contexte d’une procédure intentée devant la Cour de l’Ontario qui n’a pas encore été officiellement acceptée par cette Cour. Il se fonde sur ces arguments pour laisser entendre que le fonctionnaire s’estimant lésé tente de se faire verser certains dommages-intérêts deux fois. Cela n’a jamais été allégué. Sans entrer dans les détails de la poursuite en question ni rappeler que la question du double paiement a déjà été soulevée en l’occurrence dans une motion déposée par le Conseil national de recherches du Canada et plaidée devant la Cour, le fonctionnaire s’estimant lésé aimerait simplement faire valoir ici que, conformément à la jurisprudence, toutes les questions de double paiement doivent être tranchées dans le contexte de la poursuite judiciaire subséquente. Comme la Cour n’a pas encore ordonné au CNRC de verser des dommages-intérêts, cette poursuite judiciaire n’est pas pertinente en l’espèce.

Me Snyder déclare que d’autres preuves pourraient être nécessaires. Le fonctionnaire s’estimant lésé est disposé à comparaître à d’autres dates pour déposer sa preuve et présenter des arguments sur ses demandes de dommages-intérêts généraux et autres si l’arbitre de grief le juge nécessaire après avoir rendu sa décision sur la question de savoir si elle est dessaisie. Je souligne aussi que, dans la décision récente Bédirian c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2006 CRTFP 4, la Commission a déclaré que les fonctionnaires s’estimant lésés dont les griefs sont accueillis peuvent se faire accorder le remboursement de leurs frais de représentation. En l’occurrence, le fonctionnaire s’estimant lésé est un cadre de gestion qui n’a pas l’avantage d’être représenté par un syndicat et qui a dû payer tous ses frais de représentation pour contester la conduite de l’employeur dans les griefs en l’espèce. Qui plus est, il a expressément réclamé le remboursement de ces frais dans ses griefs. Comme il l’a précisé dans ses observations datées du 7 février 2006, on devrait tenir compte de ses frais de représentation dans une éventuelle décision de lui accorder des dommages-intérêts pour les difficultés financières qu’il a éprouvées.

[…]

[11]   À la suite de cet échange de correspondance, il a été proposé qu’une audience soit tenue. Les deux parties ont rejeté cette proposition en convenant que je tranche la question du dessaisissement sur la foi des arguments qu’elles m’avaient soumis par écrit. Une date d’audience pourrait ensuite être fixée sur demande en fonction de ma décision.

Motifs

[12]   Comme les parties l’ont confirmé, le fonctionnaire s’estimant lésé a touché rétroactivement son traitement ainsi que je l’avais ordonné dans la décision 2005 CRTFP 150. Elles n’ont pas pu s’entendre sur la façon de lui payer ses avantages sociaux pour la période pertinente. Les avantages en question comprennent les crédits de congé annuel et de congé de maladie, la prime au rendement, les congés payés pour les Fêtes et les cotisations aux associations professionnelles. Dans la mesure où c’est de cela qu’il s’agit, la question des avantages sociaux devrait être réglée de la façon suivante.

Crédits de congé annuel et de congé de maladie et congés pour les périodes de fermeture aux Fêtes

[13]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a le droit de faire rétablir ses crédits de congé annuel et de congé de maladie correspondant à ceux qu’il aurait accumulés comme fonctionnaire travaillant à temps plein du 21 juillet 2004, la date de la décision de l’employeur de le considérer comme en situation « pas de travail, pas de rémunération » à celle de sa réintégration, en novembre 2005.

[14]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a aussi droit à son traitement pour les périodes de fermeture des bureaux des Fêtes de 2004-2005 et de 2005-2006, tout comme les autres directeurs. L’employeur a déclaré dans ses observations que le versement rétroactif du traitement du fonctionnaire s’estimant lésé comprenait le traitement payable pour la période de fermeture des bureaux des Fêtes de 2004. Par conséquent, les 3,5 jours de traitement que l’intéressé réclame à ce titre ont été payés. L’employeur déclare aussi qu’il a été payé pour la période de fermeture des bureaux aux Fêtes de 2005. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas contesté ces faits, ni la déclaration de l’employeur déclarant estimer que, conformément au « Chapitre 5 », section 5.17, annexe 5.17A du Manuel des ressources humaines du CNRC, il sera autorisé à prendre des congés annuels ou des congés de maladie non payés pour couvrir la période pertinente, conformément à l’alinéa A.5.17.1.8 de ladite annexe.

Primes au rendement

[15]   Je vais traiter la demande du fonctionnaire s’estimant lésé déclarant qu’il avait droit à une prime au rendement pour l’exercice 2003-2004 différemment de celle visant l’exercice 2004-2005. Les événements relatifs aux griefs dont je suis saisie ont commencé en novembre 2003 et se sont poursuivis jusqu’en novembre 2004, de sorte qu’ils s’étendent sur deux exercices. Le fonctionnaire s’estimant lésé a été averti par le président du CNRC et par son supérieur, M. Hackett, respectivement le 8 et le 17 mars 2004, qu’on s’attendait à ce qu’il prenne part aux processus d’évaluation dans le cadre du Programme de planification et d’examen du rendement (PPER) ainsi que d’examen du mérite comme tous les autres gestionnaires, à partir de l’exercice 2003-2004. Je souscris au raisonnement de l’employeur voulant que, quelle qu’ait pu être la pratique dont l’existence est alléguée jusque-là, ces lettres précisaient clairement que l’intéressé devrait participer à ces processus et qu’il devrait agir en conséquence.

[16]   Pour l’exercice 2003-2004, la difficulté est attribuable au fait que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas les éléments nécessaires afin de produire l’évaluation requise pour cette période, puisqu’il n’avait pas pris part au processus dans le passé. M. Grover fonde sa demande de versement de la prime au rendement exclusivement sur le fait qu’il l’avait toujours touchée dans le passé sans devoir se soumettre à une évaluation. Toutefois, je suis d’accord avec l’employeur lorsqu’il dit que je n’ai pas compétence pour déterminer si M. Grover avait droit à une prime au rendement pour le travail accompli durant la période du 1e avril 2003 au 31 mars 2004, puisque cette période déborde les paramètres des griefs dont je suis saisie. Compte tenu des facteurs sur lesquels cette demande est fondée, elle aurait dû faire l’objet d’un grief distinct.

[17]   En ce qui concerne la demande de prime au rendement pour l’exercice 2004-2005, le fonctionnaire s’estimant lésé avait été averti en temps voulu qu’il devait prendre part aux processus d’évaluation dans le cadre du PPER et de l’examen du mérite en produisant la contribution attendue de lui. Cette demande est donc fondée sur d’autres facteurs. Dans ce cas-ci, le refus de l’intéressé de prendre part aux processus — refus confirmé par lui au cours de l’audience — empêchait l’employeur d’évaluer son rendement. Par conséquent, la propre conduite du fonctionnaire s’estimant lésé le privait du droit de toucher une prime au rendement. Comme l’employeur l’a déclaré, le processus d’examen du mérite a pour objet de déterminer si un fonctionnaire s’acquitte des fonctions d’un poste et de déterminer son rendement dans ce contexte. Même si M. Hackett a reconnu « que rien ne lui permettait de croire que le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’acquittait pas de toutes ses fonctions, hormis le fait qu’il ne participait pas aux réunions de la direction », il a été très clair en affirmant qu’assister à ces réunions cruciales de la direction et à ces réunions sur « l’évolution » était fondamental pour l’occupant du poste du fonctionnaire s’estimant lésé à l’époque. Il s’ensuit que ce dernier ne s’était pas acquitté des tâches les plus importantes et les plus cruciales de son poste de directeur, et il a confirmé devant moi qu’il était décidé à continuer de ne pas s’en acquitter, de toute façon.

[18]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’on devrait lui verser sa prime au rendement de toute manière, en raison de sa « charge de travail excessive ». Pourtant, comme l’employeur l’a souligné, il a confirmé à l’audience qu’il ne considérait pas sa charge de travail comme excessive et qu’il estimait s’acquitter très bien de toutes ses fonctions. L’employeur a ajouté à juste titre que le témoignage de Mme Jacobs avait confirmé qu’elle avait tenté d’organiser un concours pour doter le poste d’adjointe administrative du fonctionnaire s’estimant lésé, mais que celui-ci avait refusé d’autoriser la tenue du concours. L’employeur a aussi fait état du refus de l’intéressé de nommer un chef de section, une décision qui a fait l’objet d’un autre grief dont je n’ai pas été saisie. Sur ce point, le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné devant moi qu’il avait décidé de se charger lui-même de ces fonctions-là.

[19]   Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas droit à une prime au rendement pour l’exercice 2004-2005 en raison de son refus catégorique de prendre part aux processus d’évaluation du rendement et d’examen du mérite auxquels tous les gestionnaires étaient tenus de participer, même après se l’être fait demander en temps voulu par l’employeur.

Cotisations à des associations professionnelles

[20]   Le fonctionnaire s’estimant lésé déclare qu’il n’avait pas été informé de la décision de l’employeur de ne plus payer ses cotisations à des associations professionnelles avant son retour au travail, en novembre 2005. Il a toutefois appris que l’employeur avait bel et bien payé ses cotisations à l’International Society for Optical Engineering, sans payer ceux qu’il devait à l’Optical Society of America. Par conséquent, il a déclaré que je devrais ordonner à l’employeur de lui rembourser ses cotisations à l’Optical Society of America pour une période se terminant au moins 30 jours après son retour au travail. Normalement, la règle reconnue de remboursement des cotisations à des associations professionnelles ne donne pas droit à cet avantage à moins que l’employeur en ait fait une exigence du poste. On m’a fait valoir que ce n’est plus une exigence du nouveau poste du fonctionnaire s’estimant lésé depuis décembre 2004. Toutefois, puisqu’il n’avait pas été informé de ce changement avant son retour au travail, ses cotisations à l’Optical Society of America doivent lui être remboursées pour l’année 2005. Les cotisations à partir de 2006 ne sont plus de ma compétence.

Principe du dessaisissement

[21]   L’autre question sur laquelle les parties s’opposent est celle de la demande de dommages-intérêts généraux et alourdis et de dédommagement pour les possibilités de perfectionnement professionnel perdues ainsi que pour les difficultés financières, y compris les frais de représentation. À cet égard, l’employeur invoque le principe du dessaisissement.

[22]   Je dois souscrire à l’interprétation qu’a l’employeur de ce principe, à ses arguments et à la jurisprudence qu’il a invoquée, puisque tout cela s’applique en l’espèce. Mon ordonnance était claire et complète. J’ai réintégré le fonctionnaire s’estimant lésé à compter du 21 juillet 2004 avec dédommagement des pertes subies au titre du salaire et des avantages sociaux, en disant demeurer « saisie de l’affaire pour une période de 90 jours à compter de la date de [ma] décision afin de me prononcer, le cas échéant, sur toutes les questions concernant son exécution ». Par conséquent, je suis dessaisie s’il s’agit de rendre une ordonnance subséquente dépassant la portée de mon ordonnance originale.

[23]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[24]   Que l’on reconnaisse au fonctionnaire s’estimant lésé les crédits de congé annuel et de congé de maladie qu’il aurait accumulés s’il avait travaillé à temps plein du 21 juillet 2004, la date de la décision de l’employeur de le considérer comme en situation « pas de travail, pas de rémunération », jusqu’à celle de sa réintégration, en novembre 2005.

[25]   Que les cotisations du fonctionnaire s’estimant lésé à l’Optical Society of America lui soient remboursées pour l’année 2005.

Le 31 octobre 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Sylvie Matteau,
arbitre de grief

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