Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été licencié à la suite de sa participation à un incident de sécurité impliquant un détenu - dans sa lettre de licenciement, l’employeur a invoqué plusieurs infractions, mais n’a présenté à l’audience aucun élément de preuve concernant certaines de ces allégations - l’employeur a soutenu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait pris part à une fouille à nu inappropriée, qu’il avait omis de signaler la présence de sang et un incident dont il a été témoin dans la salle des douches et qu’il avait donné au détenu un coup de pied aux fesses - l’employeur a soutenu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait observé la fouille à nu du détenu par un nombre excessif d’agents sans toutefois signaler l’incident - l’employeur a également accusé le fonctionnaire s’estimant lésé de ne pas avoir signalé que le détenu avait saigné sur le plancher de la salle de douches - en outre, l’employeur a accusé le fonctionnaire s’estimant lésé d’avoir donné au détenu un coup de pied aux fesses - le recours à une enquête visant à établir les faits dans un contexte disciplinaire a fait l’objet d’un long différend entre la partie patronale et la partie syndicale, et les agents ont reçu la directive de ne pas collaborer à ce processus d’établissement des faits - le fonctionnaire s’estimant lésé a admis avoir donné un coup de pied au détenu et a plaidé coupable à des accusations d’agression en cour criminelle - à la lumière des accusations criminelles et d’après les conseils de ses représentants syndicaux, le fonctionnaire s’estimant lésé a indiqué que ses représentants parleraient en son nom - l’arbitre de grief a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir que le fonctionnaire s’estimant lésé avait participé à une fouille à nu inappropriée - le détenu n’a pas coopéré au moment de la fouille et celle-ci a été exécutée conformément à la directive de l’employeur, ou constituait une infraction mineure qui ne méritait qu’une réprimande - quant à l’incident survenu dans la salle des douches, la preuve montre que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a probablement pas vu le détenu sur le plancher - en ce qui concerne le défaut de signaler la présence de sang, la sanction appropriée dans un tel cas, compte tenu des circonstances de l’affaire, serait la réprimande - le fonctionnaire s’estimant lésé a admis avoir agressé le détenu, mais le coup de pied n’était pas violent et ne visait pas à blesser le détenu - aucune preuve n’a été présentée pour soutenir que les agents de cet établissement avaient l’habitude de donner des coups de pied aux détenus comme l’a laissé entendre l’employeur - le refus de coopérer du fonctionnaire s’estimant lésé est un facteur aggravant et celui-ci n’a pas pu justifier sa décision en invoquant les conseils reçus de son syndicat - le fonctionnaire s’estimant lésé a manifesté du remords et a obtenu de l’aide professionnelle - l’agression a été spontanée et ne ressemble pas au comportement du fonctionnaire s’estimant lésé - le fonctionnaire s’estimant lésé ne risque pas de répéter l’erreur - une peine sévère enverra le message voulu. Grief accueilli en partie; suspension d’un an sans rémunération substituée au licenciement.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-02-22
  • Dossier:  166-02-35946
  • Référence:  2006 CRTFP 17

Devant un arbitre de grief



ENTRE

TIMOTHY ROSE

fonctionnaire s’estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Rose c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Sylvie Matteau, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :  John Mancini, UNION OF CORRECTIONAL OFFICERS - SYNDICAT DES AGENTS CORRECTIONNELS DU CANADA - CSN

Pour l'employeur : Harvey Newman, avocat


Affaire entendue à Moncton (Nouveau Brunswick),
du 12 au 14 septembre et du 17 au 19 octobre 2005.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)


Grief renvoyé à l'arbitrage

[1]   Par le présent grief, Timothy Rose conteste la décision de son employeur de le licencier pour les motifs énoncés dans une lettre en date du 18 février 2005. Le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») a été licencié par suite de sa participation à un incident de sécurité le 18 octobre 2004 mettant en cause le détenu A. Il a été considéré comme ayant enfreint les Règles de conduite professionnelle et comme ayant commis de nombreuses infractions à l’égard du Code de discipline. L’infraction à la discipline a été jugée comme étant d’une nature si grave qu’elle contrevenait à [traduction] « l’obligation [qui lui est] conférée comme agent correctionnel et agent de la paix ».

[2]   Plus précisément, la décision de l’employeur se fondait sur des conclusions énumérées dans une lettre en date du 3 février 2005 (pièce E-2) exigeant du fonctionnaire qu’il comparaisse à une audience disciplinaire. Ces conclusions sont les suivantes :

[Traduction]

[...]

Section 5 – Responsabilité dans l’exécution des tâches

« Commet une infraction l’employé qui [...] néglige de respecter ou d’appliquer une Directive du commissaire, un ordre permanent ou une autre consigne, ou les dispositions d’un texte législatif ayant trait à ses fonctions ».

  1. Lors de la fouille à nu d’un détenu acceptant de coopérer, il y avait sept agents, dont vous-même, derrière la cloison de protection de la vie privée, en train d’observer la fouille. C’est contraire à la DC 566-7 – Fouille des détenus, selon laquelle seulement deux agents auraient dû être présents derrière cette cloison.

Alinéa j) – « Commet une infraction l’employé qui [...] volontairement ou par négligence, fait ou signe une fausse déclaration ayant trait à son rendement au travail ».

  1. Le rapport d’observation que vous avez présenté était incomplet, car vous avez omis de mentionner ce qui suit :
-
Vous avez omis de mentionner que le détenu était par terre près de la salle des douches.
-
Vous avez omis de mentionner que le détenu saignait.

Section 6 – Conduite et apparence

Alinéa a)  –  « Commet une infraction l’employé qui [...] présente une apparence ou un comportement indigne d’un employé du Service lorsqu’il est au travail ou en uniforme ».

  1. Vous avez utilisé une force excessive à l’égard du [détenu A] en lui administrant un coup de pied au derrière lorsqu’il entrait dans sa cellule, dans l’unité d’isolement.
  2. Vous avez pris part à un effort concerté pour dissimuler les cas d’utilisation excessive de la force ainsi que d’autres événements.

Section 8 – Relations avec les délinquants

Alinéa a)  –  « Commet une infraction l’employé qui [...] maltraite, humilie, harcèle, et/ou se montre injurieux à l’égard d’un délinquant ou de la famille ou des amis d’un délinquant ».

  1. Vous avez utilisé une force excessive à l’égard du [détenu A] en lui donnant un coup de pied au derrière pendant qu’il entrait dans sa cellule, dans l’unité d’isolement.

Alinéa g)  –  « Commet une infraction l’employé qui [...] omet de signaler les mauvais traitements infligés à des délinquants par des employés ».

  1. Vous avez omis de rapporter que vous avez été témoin de l’utilisation excessive de la force à l’égard du [détenu A] près de la salle des douches, dans l’unité d’isolement.
  2. Vous avez omis de signaler la menace verbale que l’agent Wry a faite au [détenu A] pendant que ce dernier était par terre.

[...]

[3]   Le fonctionnaire a argué que, bien qu’il ait admis avoir agressé le détenu A en lui administrant un coup de pied au derrière, le licenciement est une mesure disciplinaire qui n’est pas justifiée dans les circonstances.  

[4]   L’employeur n’a présenté aucune preuve concernant les paragraphes 4, 6 et 7 de la lettre. Il a été spécifié que, en fait, les paragraphes 3 et 5 se rapportent à la même infraction à la discipline. L’employeur a présenté trois témoins, et le fonctionnaire, qui a lui-même témoigné, a présenté quatre témoins.

[5]   Le détenu impliqué dans l’incident n’a pas témoigné. Les deux parties convenaient que ce ne devrait pas être interprété comme ayant quelque signification. L’incident du coup de pied est admis, et la preuve vidéo montre clairement que ce coup de pied a été donné.

[6]   A été déposé en preuve (pièce E-11) un enregistrement partiel des événements du 18 octobre 2004 qui sont à l’origine de la décision de l’employeur de licencier le fonctionnaire. J’ai visité l’Établissement Dorchester le 12 septembre 2005, en compagnie du fonctionnaire et de son représentant, ainsi que de représentants de l’employeur, Karen Poirier-McLellan et l’avocat. Le groupe a fait le tour de l’établissement, inspectant les divers endroits où les événements en question ont eu lieu et examinant les endroits où étaient les différentes caméras qui ont enregistré une partie des événements.

[7]   Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l’arbitrage de grief doit être décidé conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »).

Résumé de la preuve

Contexte

[8]   Le fonctionnaire est un agent correctionnel des groupe et niveau CX-1. Il a travaillé pendant huit ans à l’Établissement Dorchester, pénitencier à sécurité moyenne situé à l’extérieur de Moncton (Nouveau-Brunswick). Avant cela, il a travaillé pendant un an pour les Services correctionnels et communautaires de l’Île-du-Prince-Édouard. L’employeur a admis au départ que, jusqu’au moment de l’incident en cause, le dossier disciplinaire du fonctionnaire était sans tache et que ce dernier était reconnu comme étant un bon agent, compétent. L’employeur a ultérieurement précisé que le fonctionnaire était tenu en haute estime et faisait honneur à sa profession.

[9]   Le détenu A est décrit comme un gros homme ayant des possibilités mentales et physiques limitées. Il a de la difficulté à marcher et à rester en équilibre. Ce n’était pas son premier séjour à l’Établissement Dorchester ou à d’autres établissements régionaux. Il était considéré comme un détenu exigeant, et les agents ainsi que les détenus savaient qu’il était pyromane. Comme tel, il n’était pas généralement aimé des autres détenus.  

[10]   Le soir du 17 octobre 2004, un incendie a éclaté dans la salle de lavage de l’unité no 1; on a procédé à une évacuation. Les agents soupçonnaient le détenu A d’avoir mis le feu. Le 18 octobre 2004, l’agent Dave Price a pris la décision d’enfermer le détenu A dans sa cellule pour assurer sa propre protection et pour faire en sorte de contrôler la situation après avoir entendu dire que les détenus aussi le soupçonnaient d’avoir mis le feu la veille au soir.

[11]   L’agent Belinda Price a intimé au détenu A l’ordre d’aller dans sa cellule pour y être enfermé vers 8 h 15. Le détenu a refusé d’obtempérer et a commencé à protester verbalement. L’agent Dave Price a entendu parler du problème. L’agent Wry s’est joint à lui, et ils se sont tous les deux dirigés vers le secteur des cellules. Le détenu A refusait d’aller dans sa cellule, bien qu’en ayant reçu l’ordre à quelques reprises. L’agent Dave Price l’a alors averti que, s’il n’obéissait pas à cet ordre, il serait envoyé à l’unité d’isolement. À ce moment-là, le détenu est devenu très agité et menaçait de lancer aux agents la tasse de café qu’il avait à la main. Il a également essayé d’écarter l’agent Price.

[12]   Le détenu a donc été maîtrisé par l’agent Wry et l’agent Dave Price, tandis que l’agent Belinda Price utilisait son dispositif d’alarme personnel portatif (DAPP) pour demander du renfort. Le détenu A a été menotté. Les agents Gould et Wry l’ont alors conduit de l’unité no 1 jusqu’à l’unité d’isolement. Ils étaient accompagnés des agents Dillon, Holmes, Dunne et Perry. Cette procédure était considérée comme normale dans les circonstances.  

[13]   À un moment donné au cours de cet incident, le détenu s’est blessé à la tête et s’est mis à saigner au front. Du sang a taché le mur dans l’unité d’isolement, près de la salle des douches, et les agents craignaient que leurs vêtements puissent être tachés de sang.  

[14]   L’agent  Wry avait d’abord témoigné que le détenu était tombé par terre lorsque le groupe avait tourné le coin en se dirigeant vers la salle des douches, mais il a par la suite expliqué que le détenu s’était en fait laissé tomber par terre. Étant donné que le détenu était lourd et que la plupart des agents étaient épuisés à cause de toute l’agitation qu’il y avait eu à l’unité no 1 et de tout le temps qu’il leur avait fallu pour descendre l’escalier et parcourir la première rangée de l’unité d’isolement, ils n’ont pas essayé de relever le détenu A. Ils lui ont plutôt enlevé les menottes pour le laisser se relever lui-même, malgré ses injures. Il les traitait de tous les noms et les menaçait de représailles. Il menaçait aussi de les tacher du sang dont son visage était couvert. Les menottes ont été difficiles à enlever parce qu’elles avaient été mises à l’envers. Enfin, le détenu s’est relevé tout seul, en mettant une main au mur pour se stabiliser.  

[15]   L’agent Wry a expliqué qu’il n’avait pas mentionné dans son rapport les menaces du détenu A parce que ce dernier en profère souvent et que les agents ne rapportent pas tous les détails d’un incident. Les menaces de détenus sont courantes. L’agent Wry n’avait pas non plus senti le besoin de signaler que le détenu était étendu sur le sol, car en fait le détenu s’était lentement laissé tomber par terre. L’agent Wry a confirmé que le détenu proférait des injures dans la salle des fouilles à nu et refusait de s’enlever le sang du visage.

[16]   Selon l’agent  Wry, l’agent Dave Price lui avait dit, environ 45 minutes après l’incident, qu’il semblait qu’ils avaient coupé le détenu au front. L’agent Dave Price a consigné cet élément dans son rapport d’observation à 9 h 35 le même jour. L’agent Wry a répondu au commentaire de l’agent Price en déclarant qu’il savait que le détenu avait été blessé. Il présumait que le détenu devait avoir été coupé quand il était contre le mur dans l’unité no 1,   au tout début de l’incident. Le détenu opposait alors une résistance et poussait les agents contre le mur. L’agent Wry ne savait toutefois pas à quel moment précis c’était arrivé. Il n’avait constaté la coupure du détenu que lorsqu’il avait vu le sang au visage du détenu dans l’unité d’isolement. Il a également témoigné qu’il en avait informé trois fois le directeur Mills. À son avis, le directeur semblait se préoccuper davantage de la série d’incidents survenus dans l’unité d’isolement que dans l’unité no 1.   

[17]   Cet incident de recours à la force spontané devait obligatoirement être enregistré en conformité avec la Directive du commissaire 567-1, Recours à la force (pièce E-10). Chaque agent a rempli et signé un rapport à cet effet (pièce E-4). Le détenu A a adressé une plainte à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) concernant l’agression (l’incident du coup de pied) par le fonctionnaire. L’employeur a mené une enquête sur les incidents. Le fonctionnaire a ultérieurement plaidé coupable à l’accusation de voies de fait et a bénéficié d’une absolution conditionnelle.

Le processus d’enquête

[18]   L’agent Darrell Blaquaire est un agent correctionnel depuis 19 ans. En octobre 2004, il était coordonnateur des opérations correctionnelles (COC) à l’Établissement Dorchester – groupe et niveau CX-3. À ce titre, il était chargé du processus de rapport en matière de recours à la force. Le témoin a expliqué ce processus ainsi que son rôle à cet égard, relativement à l’incident du   18 octobre 2004.

[19]   L’agent Blaquaire avait été témoin de la sortie du détenu A de l’unité no 1. Il était entouré de cinq ou six agents. Deux d’entre eux avaient immobilisé le détenu par une prise du poignet. L’agent Blaquaire avait remarqué un filet de sang au front du détenu. Il avait également remarqué que le détenu ne résistait pas à ce moment-là et que le groupe avait descendu l’escalier très rapidement. Il a témoigné que selon toute probabilité le détenu, qui n’était pas très solide sur ses jambes, n’avait pas fait de chute uniquement parce que les deux agents de chaque côté le tenaient.

[20]   L’agent Blaquaire n’avait pas vu le fonctionnaire. Le témoin était ensuite allé à la séance d’information du matin, puis, environ 45 minutes plus tard, il était retourné à son bureau. Peu après, le sous-directeur Davidson lui avait demandé de se rendre à l’unité d’isolement pour recueillir une déposition du détenu A. Il était approximativement 10 h 45. Le détenu a fait sa déclaration, et l’agent Blaquaire l’a mise par écrit pour lui. L’agent Blaquaire a en outre obtenu confirmation que des taches de sang avaient été enlevées dans la salle des douches de l’unité d’isolement. Il avait pris des photos de cette salle.   

[21]   L’agent Blaquaire a aussi expliqué le processus habituel de rapport en matière de recours à la force et a expliqué comment ce processus avait été mené dans les circonstances de l’espèce. La paperasse à ce sujet figure dans la pièce  E-4. L’objectif de ce processus de rapport est d’assurer l’observation du modèle de gestion des situations. Selon le degré de l’incident, le modèle prévoit une mesure des outils d’intervention à utiliser en continu, avec des évaluations et réévaluations constantes de la situation pour que l’intervention puisse être adaptée de manière opportune. L’agent Blaquaire a également confirmé que le détenu avait téléphoné à la GRC et qu’il avait déposé une plainte.  

[22]   Le témoin a ensuite expliqué que l’utilisation d’une caméra est une pratique courante dans le cas d’un recours prévu à la force. Dans le cas présent, il s’agissait par contre d’un recours spontané à la force, et la caméra ne représentait pas une exigence. D’après ce que le témoin avait lu dans les rapports et entendu dire, il semblait qu’il y avait eu une utilisation appropriée de la force dans l’unité no 1. À son avis, toutefois, la fouille à nu n’avait pas été conforme aux normes. Lorsqu’un détenu accepte de collaborer, seulement deux agents sont admis avec lui derrière la cloison. En outre, les agents ne sont pas censés enlever eux-mêmes des taches de sang ou ramasser eux-mêmes des vêtements souillés de sang. Il y a un risque sanitaire. Une personne ayant une formation spéciale, habituellement un détenu, s’acquitte de cette fonction. Il semblait que certains agents s’étaient chargés d’ôter les taches de sang dans la salle des douches.

[23]   Tous les renseignements, y compris la déclaration du détenu et l’ensemble des rapports, avaient ensuite été communiqués au directeur, qui a le pouvoir de déterminer si une enquête est justifiée; une enquête s’en est bel et bien suivie. L’enquête d’ordre factuel a été menée par une partie externe,  Ed Muise, qui était directeur intérimaire à l’Établissement Springhill à l’époque de l’incident. Il est actuellement directeur intérimaire à l’Établissement Dorchester, en l’absence du directeur Mills. Il était assisté par Vivian McDonald, une gestionnaire à l’Établissement Dorchester. Leur rapport a été présenté au directeur le 26 novembre 2004 (pièce E-5). Ce document explique la méthode utilisée. Les deux enquêteurs ont eu des entretiens avec 25 agents et détenus. Une dizaine d’agents, dont les noms figurent à l’annexe « A » du rapport, se sont présentés pour les entretiens mais ont refusé de répondre aux questions, sur les conseils de leur représentant. Le fonctionnaire était l’un d’eux.

[24]   Lors de cette enquête, M. Muise et M me  McDonald sont tombés sur l’enregistrement vidéo des événements, c’est-à-dire sur ce qu’avaient enregistré un certain nombre de caméras situées au bout des rangées de l’unité no 1 et de l’unité d’isolement (pièce E-11). M. Muise a, dans son témoignage, traité du processus d’enquête ainsi que des événements qui se sont déroulés devant les caméras.

[25]   M. Muise a aussi confirmé que l’ordre de tenir une enquête d’ordre factuel, donné sous la forme d’une note du directeur Mills, incluait un avertissement aux agents que ce processus pourrait conduire à des mesures disciplinaires (pièce E-5, annexe C). Dans l’avis relatif aux dates des divers entretiens, il informait les agents qu’ils pouvaient se faire représenter (pièce E-5, annexe D). Il avait en outre préparé une déclaration antérieure aux entretiens qui était lue en début d’entretien à chaque personne interrogée (pièce E-6).

[26]   À l’époque de l’incident, le système d’enregistrement vidéo de l’établissement était en cours de vérification. À l’Établissement Dorchester, ce n’était pas toutes les caméras qui fonctionnaient ou enregistraient, et leur réglage n’était pas au point pour ce qui était de l’heure et de la date. Pendant l’enquête sur l’incident de l’incendie du 17 octobre 2004, les enregistrements des caméras appropriées ont été examinés. On a alors découvert que certaines caméras avaient fonctionné et avaient aussi en fait enregistré les incidents du 18 octobre 2004. Toutes les autres caméras en cause ont ensuite été vérifiées, et leurs enregistrements ont été remis aux personnes enquêtant sur l’incident du recours à la force du 18 octobre 2004.

[27]   M. Lewis était président local du UNION OF CANADIAN CORRECTIONAL OFFICERS – SYNDICAT DES AGENTS CORRECTIONNELS DU CANADA – CSN (UCCO-SACC-CSN) à l’Établissement Dorchester. Il a expliqué la position de l’agent négociateur quant à l’enquête d’ordre factuel menée par M. Muise. De l’avis de l’agent négociateur, il ne s’agit pas d’un processus reconnu. La lettre accompagnant l’ordre de tenir l’enquête disait que des mesures disciplinaires pourraient suivre. Le processus a donc été interprété comme étant de nature disciplinaire. L’utilisation de ces enquêtes dans un contexte disciplinaire a été l’objet d’un différend continuel entre la direction et l’agent négociateur à l’établissement. Les agents correctionnels avaient pour instructions de ne pas collaborer à ces enquêtes.   

[28]   M. Lewis a confirmé que le fonctionnaire s’était arrêté à son poste dans l’unité d’isolement pour l’informer à propos de la situation concernant le détenu A. Le fonctionnaire marchait loin derrière le groupe. Ils ont parlé pendant quelques minutes. Le fonctionnaire a ensuite parcouru la rangée, à la suite du groupe. L’agent Lewis n’a pas vu le détenu A sur le sol. Il a rédigé et envoyé un rapport sur le recours à la force parce qu’on lui a demandé de le faire le 25 octobre 2004. D’après lui, il ne s’agit pas d’une procédure normale. Il n’avait jamais déposé un tel rapport quand un détenu était amené pendant qu’il était de service à l’unité d’isolement.  

Les incidents du 18 octobre 2004 du point de vue du fonctionnaire

[29]   Le 18 octobre 2004, le fonctionnaire avait commencé son quart de travail comme d’habitude. On lui avait attribué pour la journée la tâche consistant à agir comme agent affecté aux escortes à l’intérieur. Sa séance d’information du matin incluait une consigne selon laquelle les agents devaient surveiller le détenu A, qui était soupçonné d’avoir mis le feu la veille au soir dans la salle de lavage de l’unité no 1. Le fonctionnaire a signalé que les agents sentaient une tension parmi les détenus ce matin-là.  

[30]   Sa première tâche de la journée était d’escorter un détenu jusqu’au secteur de l’administration. Comme il entreprenait cette tâche, il avait reçu un appel au moyen du DAPP. Il avait immédiatement cessé d’escorter le détenu, avec qui il s’était entendu pour reprendre cette activité plus tard et qu’il avait laissé avec un autre agent. Il s’était ensuite dirigé vers le secteur central, la rotonde, et y avait trouvé un groupe d’agents accompagnant un détenu à l’unité d’isolement; il y avait des cris, c’était la confusion. Le groupe descendait vivement l’escalier. Le fonctionnaire faisait en sorte que les autres détenus restent en arrière.  

[31]   Puis le fonctionnaire a suivi le groupe jusqu’à l’unité d’isolement, à quelques pas derrière. Arrivé au point central de l’unité d’isolement, c’est-à-dire le poste des agents, il s’est arrêté pour informer M. Lewis que l’on était en train d’enfermer le détenu A à cause de l’incident de la veille au soir, soit l’incendie. Pendant qu’il parlait à M. Lewis, les membres du groupe étaient au bout de la rangée où se trouvait la salle des douches.

[32]   Lorsque le fonctionnaire a fini par rejoindre les membres du groupe, ils étaient à la salle des fouilles à nu. Il a entendu beaucoup de cris. L’agent  Wry enjoignait au détenu de s’enlever le sang du visage. Le fonctionnaire hésitait à entrer dans la salle, mais est allé derrière la cloison de protection de la vie privée à cause de tout le bruit et du fait que deux agents disaient craindre d’avoir été éclaboussés de sang et voulaient que ce soit vérifié. L’agent Gould lui a demandé d’examiner ses vêtements. L’agent Dillon avait les mêmes préoccupations. Le fonctionnaire n’a pas participé à la fouille à nu, car il était en réalité occupé avec les autres agents à vérifier leurs vêtements pour voir s’ils étaient tachés de sang.  

[33]   La directive du commissaire concernant la fouille des détenus, la Directive 566-7 (pièce E-10), prévoit des objectifs et des principes relatifs à une telle procédure. Celle-ci exige, à la section 12, que la fouille à nu d’un détenu coopératif soit effectuée en privé par un agent de même sexe et en présence d’un témoin. La section 12 dit aussi : « Le nombre de ces personnes peut être augmenté si le détenu se montre récalcitrant au moment de la fouille. »

[34]   Le fonctionnaire a déclaré que le détenu était récalcitrant à ce stade, refusant de se nettoyer le visage comme le lui ordonnait l’agent Wry et proférant des injures. Il était, toutefois, physiquement coopératif. Après avoir été fouillé à nu et s’être lavé le visage, le détenu a reçu l’ordre de se diriger vers le secteur des cellules; il hésitait. Les détenus qui étaient déjà là chahutaient le détenu A, mécontents qu’il arrive à cet endroit. Le fonctionnaire a ordonné au détenu A de continuer de parcourir la rangée malgré le chahut. Le détenu A a protesté. Le fonctionnaire a témoigné que le détenu l’a alors menacé de mettre ses parents en feu. Il a expliqué que le détenu et lui viennent de Terre-Neuve. Ils en parlent souvent, ainsi que de leurs familles.

[35]   Le groupe a continué de parcourir la rangée,   a dépassé le poste de l’autre agent et s’est rendu jusqu’au milieu de l’autre section de l’unité d’isolement, où l’agent  Hincks tenait ouverte la porte de la cellule désignée pour le détenu. Le fonctionnaire a témoigné qu’il craignait alors qu’en fin de compte, à l’instar de 75 % des détenus dans cette situation, le détenu A puisse refuser d’entrer dans la cellule. Lorsque le détenu s’est retrouvé devant la cellule, le fonctionnaire lui a administré un coup de pied au derrière. Le détenu est entré dans la cellule. La preuve vidéo montre que le détenu n’a pas eu de mouvement convulsif, ne s’est pas retourné et ne s’est pas plaint. Il n’a pas non plus basculé en avant. L’agent Hincks a refermé la porte de la cellule. Le fonctionnaire a témoigné qu’il a ensuite quitté ce secteur pour reprendre les fonctions qui lui avaient été assignées, y compris la tâche qu’il avait interrompue et qui consistait à escorter l’autre détenu jusqu’au secteur de l’administration.   Il a ajouté que c’était important qu’il respecte l’accord qu’il avait conclu avec ce détenu.  

[36]   M. Leblanc, superviseur du fonctionnaire, avait ultérieurement demandé à ce dernier d’escorter le détenu A jusqu’à l’infirmerie. Le fonctionnaire était mal à l’aise à cet égard et avait dit à M. Leblanc que, à son avis, ce serait préférable qu’un agent n’ayant pas été mêlé à l’incident de recours à la force escorte le détenu. M.  Leblanc a maintenu l’ordre qu’il avait donné, et le fonctionnaire a obtempéré. Il a suivi les procédures réglementaires que dictaient les circonstances, emportant la caméra vidéo avec lui. Il a témoigné que le détenu était poli et coopératif. C’était M. Roberts qui était chargé de faire fonctionner la caméra. Quand l’infirmière a demandé ce qui était arrivé, le détenu A a répondu, en fixant la caméra, que les gardes l’avaient battu et qu’il voulait appeler la GRC. Le fonctionnaire avait vu l’infirmière appliquer au front du détenu un petit pansement qu’on utilise normalement quand on se coupe en se rasant. Il a dit que c’était un pansement adhésif plus petit que les standard. Le détenu a été reconduit dans sa cellule, avec les menottes aux poignets, pendant tout ce temps.  

[37]   Le fonctionnaire a confirmé qu’il avait rédigé et signé deux rapports ce jour-là, un à 11 h 30 et l’autre à 11 h 40 (pièce E-4). Il avait rédigé le second rapport pour compléter la relation des événements. Il a reconnu qu’il n’avait pas mentionné dans ses rapports la présence de sang. Il n’avait pas rapporté que le détenu A était sur le sol, parce qu’il faisait alors dos à cette zone et était au poste de l’agent, au milieu de la rangée. Il ne voyait pas ce qui se passait dans le coin des douches. Il parlait avec l’agent Lewis, qui était à l’intérieur du poste. Tout ce qu’il pouvait voir en regardant la rangée, c’était trois ou quatre agents, de dos, dans l’embrasure de la porte menant à la salle des douches.

[38]   Le fonctionnaire a parlé aussi de sa relation avec le détenu A. Il a dit que c’était une relation facile dans laquelle deux Terre-neuviens ayant certaines affinités parlent de leur province. Les agents connaissent le détenu A; ils connaissent son caractère et ses habitudes. Le détenu A semblait lui aussi à l’aise avec le fonctionnaire et l’agent Dillon, qui est également de Terre-Neuve. Le fonctionnaire a reconnu que le détenu A n’est pas considéré comme un délinquant violent. Il a ajouté qu’il n’avait jamais eu l’intention de faire mal au détenu et que, à sa connaissance, le détenu n’a pas eu mal.

[39]   Prié de commenter le comportement qu’il avait eu, et plus particulièrement l’incident du coup de pied qu’il avait donné au détenu, le fonctionnaire a reconnu que sa réaction avait été très peu professionnelle et il a déclaré qu’il en assumait l’entière responsabilité. Il a ajouté que ce comportement lui ressemblait bien peu et il a dit : [traduction] « Je ne sais pas ce qui m’a pris. » Il a expliqué que son esprit était alors concentré sur la menace à l’égard de ses parents et sur la tension entourant toute la situation, y compris la présence de sang. Le fait qu’il savait par expérience que dans ces situations les détenus causent généralement des problèmes juste au moment d’entrer dans leur cellule affectait également son état d’esprit.

[40]   Le fonctionnaire a affirmé qu’il regrettait profondément sa réaction et que celle-ci lui a coûté cher. Quant aux raisons pour lesquelles il n’avait pas rapporté l’incident du coup de pied, il a reconnu qu’il n’avait pas voulu que la direction soit au courant, parce qu’il savait qu’il s’était conduit incorrectement.  

[41]   En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a déclaré que les détenus font régulièrement des menaces et que normalement il ne se laisse pas démonter. Il a aussi confirmé qu’il n’avait mentionné l’incident que lorsque les enregistrements vidéo avaient été récupérés.  

[42]   Le fonctionnaire a en outre été interrogé par son représentant sur la possibilité qu’il retourne dans ce milieu et sur ce que cela représenterait pour lui, les détenus et ses collègues. Il a déclaré que c’était la seule fois qu’une telle chose était arrivée pendant ses neuf années de service aux niveaux fédéral et provincial. Il avait eu de l’aide sociopsychologique pendant une période de cinq mois à la suite de l’incident. Il avait consulté le Dr Eugène Leblanc, titulaire d’un doctorat, du 28 octobre 2004 au 14 mars 2005 (pièce G-17). Il lui fallait découvrir pourquoi il avait réagi de cette manière. Il l’a payé cher, sur les plans familial et financier. Il est maintenant convaincu que rien de tel ne se reproduira. Il est bien conscient qu’il a déçu tout le monde – son employeur, ses collègues et sa famille.  

[43]   Ron Cormier est surveillant correctionnel – groupe et niveau CO-2. Il a travaillé avec le fonctionnaire depuis ses débuts à l’Établissement Dorchester, huit ans plus tôt. Quoique n’étant pas son superviseur immédiat, M. Cormier avait presque quotidiennement des rapports avec le fonctionnaire. Il a dit que le rendement de ce dernier était excellent (pièces G-10 à 14). Le fonctionnaire est un agent qui fait immédiatement ce qu’on lui dit de faire. Il est également bien vu des autres membres du personnel. Il s’entend facilement avec tout le monde, le personnel et les détenus; il est quelqu’un de sympathique. Il fonctionnait bien à l’établissement et avait de la facilité à parler avec les détenus. Il avait de bonnes relations avec eux et le sentait quand quelque chose n’allait pas. M. Cormier considère que le fonctionnaire n’aurait aucun problème s’il était réintégré. M. Cormier serait même heureux de le prendre dans son équipe. À son avis, le fonctionnaire n’a pas perdu le respect de ses collègues ni des détenus.    

[44]   M. Cormier était convaincu que le fonctionnaire n’aurait plus un tel comportement. Bien que n’ayant pas vu ce qui s’était passé, M. Cormier considérait que ce n’était absolument pas dans le caractère du fonctionnaire. Ce dernier est normalement une personne facile à vivre et qui est calme avec ses collègues et avec les détenus.  

[45]   Le fonctionnaire a aussi déclaré qu’il était prêt à s’excuser auprès du détenu A, s’il en avait l’occasion, et de parler avec lui pour veiller à ce qu’il n’y ait aucun problème à l’avenir. Il était prêt à le faire dès le début. Il l’avait dit à ses représentants et au directeur. On ne lui a toutefois jamais donné l’occasion de s’entretenir avec le détenu. Il considère qu’il n’a pas perdu le respect des collègues ni même du détenu A.  

[46]   Le fonctionnaire a expliqué qu’il était prêt à collaborer à l’enquête mais que, vu la plainte du détenu à la GRC, ses avocats et ses représentants lui avaient conseillé de ne rien dire lors d’une enquête d’ordre factuel ou disciplinaire. Une lettre à ce sujet a été envoyée au directeur Mills le 25 janvier 2005 (pièce G-18), par le représentant du fonctionnaire, ainsi que par les autres agents. Le fonctionnaire soutenait qu’il avait toujours affirmé que son représentant parlerait en son nom. Ce dernier a, en vain, tenté maintes fois de rencontrer la direction pour discuter de la situation.

La mesure disciplinaire

[47]   Al Davidson, qui était alors sous-directeur à l’Établissement Dorchester, a témoigné au sujet de la décision de punir le fonctionnaire. M. Mills, qui est l’actuel directeur, n’a pu comparaître à l’audience.  

[48]   Les facteurs pris en compte dans l’imposition de la mesure disciplinaire incluent le fait que le fonctionnaire avait été au Service depuis huit ans et n’avait eu aucun problème. Son dossier disciplinaire était impeccable. L’incident a toutefois été considéré comme très sérieux. Il y avait des facteurs aggravants comme le fait que le comportement du fonctionnaire a été considéré comme un comportement criminel non provoqué.

[49]   M. Davidson a signalé que les agents correctionnels représentent la dernière ligne de protection pour les détenus. Ils sont chargés de la sécurité des détenus, non seulement en vertu d’une politique, mais, plus important encore, en vertu de la loi. La crédibilité de l’établissement aux yeux du public était en jeu. On a également tenu compte de ce que ce détenu avait été envoyé à l’unité d’isolement pour sa propre sécurité en réalité et non à cause d’un comportement rebelle ou par ailleurs difficile ou dangereux. On a également pris en compte le fait que l’agression avait eu lieu tandis que le détenu n’était plus l’objet de mesure de contrainte et qu’il n’était plus considéré comme une menace ni même comme étant en défaut.

[50]    Maintenir dans son poste le fonctionnaire envoyait le mauvais message au public, ainsi qu’aux détenus et aux autres agents. Garder un agent qui avait agressé un détenu pouvait même être dangereux pour le fonctionnaire ou pour d’autres agents; il pouvait y avoir des représailles.

[51]   De plus, le fait que le fonctionnaire n’avait pas collaboré avec les enquêteurs a été pris en considération. Ce qui a également été pris en compte, c’est le fait que le fonctionnaire n’avait pas rapporté ses propres actions ni certains incidents comme le fait que le détenu s’était laissé tomber par terre, ainsi que la présence de sang, la procédure de fouille à nu inappropriée, les menaces de mort de la part d’un agent et le fait que le fonctionnaire pouvait avoir vu l’agent Dillon donner lui aussi un coup de pied au détenu.

[52]    Des facteurs atténuants comme le fait que le fonctionnaire avait admis l’incident du coup de pied et qu’il s’en était excusé et semblait avoir du remords ont également été pris en considération. En conclusion, il avait été déterminé que l’incident du coup de pied était en soi suffisant, dans les circonstances, pour justifier le congédiement. Une suspension   pourrait avoir envoyé comme message que le Service correctionnel tolérait une telle violence de la part de son personnel. Un tel acte de violence s’oppose carrément à la mission et au mandat du Service.

Résumé de l’argumentation

Pour l’employeur

[53]   De l’avis de l’employeur, il s’agit de savoir si la mesure disciplinaire imposée au fonctionnaire était justifiée dans les circonstances. Ainsi, deux questions se posent : Y avait-il matière à prendre une mesure disciplinaire? Dans l’affirmative, la sanction disciplinaire était-elle appropriée?

[54]   Je dois donc déterminer si l’employeur a agi raisonnablement. Selon l’employeur, l’arbitre ne doit pas intervenir dans une affaire disciplinaire, à moins que la décision soit déraisonnable ou que l’employeur n’ait pas pris en considération des éléments pertinents.  

[55]   Pour ce qui est du premier élément, ce n’est pas une question litigieuse. Il y avait matière à prendre une mesure disciplinaire. Ce qui est litigieux, ce n’est que l’importance de la sanction. D’après l’employeur, la mesure disciplinaire était raisonnable et appropriée étant donné que l’acte du fonctionnaire est, de la part d’un agent correctionnel et d’un agent de la paix, une des plus graves infractions à la discipline qui puissent être commises.  

[56]   L’employeur a fait valoir le but du système correctionnel fédéral, en citant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition   (1992, ch. 20), et notamment l’article 3, qui dit :

Objet

3.   Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité, d’une part, en assurant l’exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d’autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.

[57]   Le recours à la violence à l’égard d’un détenu n’aide pas sa réadaptation et sa réinsertion sociale. Ce n’est assurément pas un acte de compassion. L’article 4 de la Loi établit les principes qui guident le Service dans la réalisation du but énoncé à l’article 3. Les alinéas d), e) et j) de l’article 4 se lisent comme suit :

[...]

d)
les mesures nécessaires à la protection du public, des agents et des délinquants doivent être le moins restrictives possible;
e)
le délinquant continue à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou restriction est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée;
[...] 
j)
il veille au bon recrutement et à la bonne formation de ses agents, leur offre de bonnes conditions de travail dans un milieu exempt de pratiques portant atteinte à la dignité humaine [...]

[...]

[58]   De l’avis de l’employeur, ce qui est arrivé au détenu A est une atteinte à la dignité non seulement pour le détenu, mais aussi pour les agents correctionnels et le fonctionnaire. D’après l’employeur, des agents correctionnels ne devraient pas devoir travailler à un endroit où l’on permet qu’un agent agisse avec violence.

[59]   Plus important encore, il ne faut pas oublier que les détenus sont à la merci de ceux qui dirigent le système en tout temps. Les agents correctionnels sont la dernière ligne de défense pour les détenus. Ils peuvent avoir un gros sentiment de pouvoir à l’égard des détenus. Ce pouvoir doit donc être exercé de manière responsable et en conformité avec les devoirs et les obligations incombant à chaque agent correctionnel.

[60]   À ce propos, l’alinéa 5 a) de la Loi dit :

5.
Est maintenu le Service correctionnel du Canada, auquel incombent les tâches suivantes :
 
a)    la prise en charge et la garde des détenus;

[...]

[61]   Grâce à la technologie des caméras, nous avons l’avantage d’être en mesure de voir les actions du fonctionnaire. Ce que nous pouvons voir est assurément inapproprié et malséant de la part d’un agent correctionnel et d’un agent de la paix. Ce n’est certainement pas le but visé dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.    

[62]   L’employeur se préoccupe aussi de ce qu’il puisse y avoir à l’Établissement Dorchester « une culture du coup de pied ». À l’appui de cet argument, il soulignait que le détenu A avait apparemment reçu un coup de pied deux fois, de deux agents différents, lors de l’accompagnement en question. Si tel a été le cas, cette pratique doit être dénoncée et éradiquée. L’employeur soutenait qu’un adoucissement de la sanction ne contribuerait pas à faire clairement savoir que ces actions sont considérées comme inappropriées.

[63]   Ce n’est que dans des circonstances tout à fait spéciales qu’un agent correctionnel devrait conserver son emploi dans un tel contexte. Réagir autrement serait promouvoir un climat favorisant ce genre d’action. L’agent correctionnel a des pouvoirs qui sont assortis de responsabilités importantes. L’employeur affirmait aussi que le public pourrait être très sensible à la façon dont les détenus sont traités dans les pénitenciers fédéraux.

[64]   Quant aux raisons du licenciement du fonctionnaire, l’employeur soutenait que le raisonnement est clair en ce qui a trait au motif pour lequel l’employeur a perdu confiance en le fonctionnaire. À propos de la preuve présentée par M. Davidson, l’employeur signalait que la décision avait été prise très soigneusement et que l’on n’avait conclu à l’existence d’aucune circonstance atténuante qui aurait pesé plus que les facteurs qui militaient en faveur du licenciement.

[65]   De l’avis de l’employeur, l’acte ayant consisté à donner au détenu A un coup de pied au derrière — un acte brutal, humiliant et dégradant — représente une infraction à la discipline suffisante pour justifier le licenciement. L’employeur devait en outre tenir compte de facteurs aggravants. Le fonctionnaire n’a jamais admis son infraction à la discipline, n’avait pas informé l’employeur de l’incident et ne s’est excusé que lorsqu’un enregistrement a été récupéré. De l’avis de l’employeur, le fonctionnaire n’a jamais fait preuve de remords avant la présente audience.

[66]   L’employeur avançait comme hypothèse que, sans cet enregistrement, la direction n’aurait probablement jamais été au courant de cet incident. Le rapport du détenu A ne précisait pas l’identité de l’agent qui lui avait donné un coup de pied. De plus, le fonctionnaire avait omis de mentionner dans ses rapports un certain nombre d’autres éléments. Il s’agit d’éléments importants, dont certains pourraient être des questions de discipline et d’infraction à la discipline mettant en cause le fonctionnaire et d’autres agents.   

[67]   A aussi été pris en considération comme facteur aggravant le manque de coopération du fonctionnaire aux processus d’enquête et de discipline. De l’avis de l’employeur, le fonctionnaire ne peut se réfugier derrière son avocat et ses représentants qui lui recommandent de ne pas faire de déclaration sur ce qui s’est passé. Tous les employés ont l’obligation de collaborer aux enquêtes menées par l’employeur.   

[68]   Enfin, de l’aveu même du fonctionnaire, le détenu n’était pas reconnu comme un délinquant violent. Il était simplement connu pour être difficile. Bien que le fonctionnaire puisse avoir été menacé par le détenu quelques minutes avant de lui administrer un coup de pied au derrière, ce n’est aucunement une excuse, étant donné que de telles menaces semblent être proférées régulièrement et que le fonctionnaire a reconnu que les agents ne tiennent habituellement pas compte de ces menaces.  

[69]   En ce qui a trait aux critères militant en faveur d’une décision de réintégrer le fonctionnaire, l’employeur soutenait que de tels critères n’existaient pas en l’espèce. Les huit années de service du fonctionnaire ne seraient pas assimilées à de longs états de service. Quoique le rendement du fonctionnaire ait été considéré comme bon, la direction n’a accordé aucun poids à ce facteur dans sa décision. Le fonctionnaire n’a manifesté aucun remords et n’était pas coopératif durant l’enquête. Il n’y a pas de facteur atténuant qui l’emporterait sur les facteurs aggravants que l’employeur a pris en compte en arrivant à sa décision. Il pourrait être certes tentant de donner une deuxième chance au fonctionnaire, mais la balance penche en faveur de ces facteurs aggravants.

[70]   La question des difficultés financières ne doit pas non plus être prise en compte. Le fonctionnaire est jeune, instruit et en santé et devrait être capable de trouver un emploi convenable. De l’avis de l’employeur, cette situation est une honte. L’employeur a perdu un agent ayant une bonne formation mais il a surtout besoin d’un agent en qui il peut avoir confiance.

[71]   Invoquant la décision que la Commission avait rendue dans l’affaire Aitchison c. Conseil du Trésor (Solliciteur général), dossier de la CRTFP 166-2-16042 (1986) (QL), l’employeur a fait valoir que c’est seulement dans des circonstances très spéciales qu’il convient de substituer à un congédiement une suspension de longue durée.   

[72]   Dans l’affaire Re Government of Province of British Columbia v. British Columbia Government Employees Union (Correctional Services Component), (1987) 27 L.A.C. (3d) 311, la commission a conclu que le congédiement n’est pas une réaction excessive, étant donné ce qui suit :  

[Traduction]

[...]

Le fait d’agresser et de menacer des détenus est une des plus graves infractions que l’on puisse imaginer de la part d’un agent correctionnel.

[...]

[73]   Il y a au moins deux raisons à cela :

[Traduction]

[...]

À au moins deux égards, les détenus sont vulnérables relativement à l’intégrité et à la bonne conduite des agents correctionnels. Tout d’abord, la nature même des fonctions de garde permet à un agent correctionnel de recourir à la force contre des détenus si les circonstances l’exigent, y compris pour empêcher des évasions, assurer sa propre défense et obliger des détenus à se conformer à de nécessaires instructions en cas de résistance. Bref, un agent correctionnel peut recourir à la force physique tout à fait légalement et adéquatement et ainsi blesser des détenus dans l’exercice approprié de ses fonctions.

[...]

On peut prévoir que, lorsqu’une allégation de voies de fait se résume à la différence entre la parole d’un agent correctionnel et celle d’un détenu, c’est la parole de l’agent correctionnel qui se verra accorder plus de poids, et ce, pour un certain nombre de raisons évidentes.

Le fait même de cette vulnérabilité impose une obligation importante à l’agent correctionnel, soit l’obligation d’être digne de confiance.  

[ ... ]

[74]   Vu la décision Gibbons c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-2-19622 (1990) (QL), l’employeur considère que, pour justifier le congédiement du fonctionnaire, il doit prouver non pas toutes les allégations contre ce fonctionnaire mais seulement la plus grave.

[75]   L’employeur a cité d’autres décisions, à savoir Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Ministry of Public Safety and Security) (Horan Grievance), [2002] O.G.S.B.A. 58 (QL), et la décision de la Commission intitulée Simoneau c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 57.

[76]   En résumé, l’employeur arguait que la mesure disciplinaire qu’il a imposée au fonctionnaire était appropriée et raisonnable et que je ne devrais pas intervenir dans sa décision. Les facteurs aggravants, comme le manque de coopération du fonctionnaire à l’égard de l’enquête, l’emportent sur les facteurs atténuants, y compris le remords tardif et non crédible du fonctionnaire.  

[77]   Les actions du fonctionnaire étaient telles que ce dernier a perdu la confiance de l’employeur. Les agents correctionnels sont la dernière ligne de défense pour les détenus. Ils ont des responsabilités importantes envers les détenus et le public. Un acte aussi brutal, humiliant et dégradant est malséant de la part d’un agent correctionnel et d’un agent de la paix. Réintégrer le fonctionnaire ne serait pas le bon message à envoyer aux agents correctionnels, aux détenus et au grand public.

Pour le fonctionnaire

[78]   Le fonctionnaire a d’abord traité des questions découlant du processus d’enquête et de ce qu’il considérait comme étant de la part de l’employeur un manquement à l’obligation d’agir de façon juste. Les agents correctionnels, soulignait-il, ont des préoccupations quant aux méthodes d’enquête à l’Établissement Dorchester depuis longtemps. Il est allégué que les résultats d’enquêtes d’ordre factuel aboutissent au processus de prise de décision disciplinaire, à l’encontre de toutes les règles de justice naturelle et d’équité.

[79]   Voilà une des raisons pour lesquelles le fonctionnaire avait refusé de collaborer avec les enquêteurs. Bien qu’il reconnaisse que l’affaire ne dépend pas de ce facteur et que je n’ai pas le pouvoir d’intervenir à cet égard, c’est un facteur important quand on examine les circonstances aggravantes qui ont été prises en compte par l’employeur, par exemple le manque de coopération du fonctionnaire à l’égard de l’enquête. Cela explique les raisons du manque apparent de collaboration du fonctionnaire. Ce facteur n’aurait pas dû être retenu contre lui.

[80]   Le fonctionnaire conteste aussi la déclaration de l’employeur selon laquelle il n’avait pas de remords et n’a pas tenté de s’excuser auprès du détenu. Il faisait remarquer qu’il n’a pas été autorisé à retourner dans les locaux de l’employeur pour son quart de travail le lendemain de l’incident. Il n’a pas eu la possibilité de voir le détenu pour s’excuser. De plus, il avait bel et bien dit au directeur, lors de la première rencontre avec lui, qu’il avait eu tort et que ses actions ne lui ressemblaient pas. Il lui avait assuré que plus jamais il n’aurait un tel comportement.  

[81]   Le fonctionnaire avait en outre offert sa collaboration à M. Muise, sous réserve de limites possibles en raison de l’enquête criminelle résultant de la plainte adressée à la GRC par le détenu. En fait, il avait offert sa collaboration à trois occasions distinctes. Il avait été informé très tôt par les représentants de l’agent négociateur et ultérieurement par ses avocats qu’il ne devrait pas parler de ce qui s’était passé. Cela avait été mis par écrit, par l’intermédiaire du représentant de son agent négociateur (pièce G-18). Cette décision légitime de la part du fonctionnaire de suivre un avis juridique ne peut être interprétée comme une tentative pour cacher la vérité ou ne pas coopérer. L’employeur n’a présenté aucune preuve quant à l’existence d’une intention de cacher la vérité ou d’un complot à cette fin.

[82]   Depuis le tout début de la présente audience, l’employeur arguait que le coup de pied donné au détenu par le fonctionnaire était suffisant pour justifier le congédiement. Toutefois, l’employeur insistait dans sa présentation de la preuve, ainsi que dans sa lettre disciplinaire (pièce E-1) au fonctionnaire, sur le fait que d’autres facteurs avaient été pris en compte, soit ceux qui sont énumérés dans la lettre détaillant les résultats de l’enquête (pièce E-2).

[83]   Il est allégué que le directeur croyait tout ce qui figurait dans le rapport d’enquête indépendante (pièce E-5) au sujet du fonctionnaire. Ce rapport jette toutefois de la lumière sur des événements encore plus graves que les actions du fonctionnaire. Au cours de la présente audience, l’employeur a spécifié que rien ne prouvait qu’il y avait eu un recours abusif à la force dans la salle des douches de l’unité d’isolement. Il a spécifié également qu’il n’y avait aucune preuve des menaces de mort de l’agent Wry alléguées dans le rapport.

[84]   Par conséquent, le fonctionnaire ne peut plus être considéré comme ayant négligé de rapporter de tels événements. Les motifs de licenciement qui sont maintenant donnés diffèrent de ceux qui ont été donnés à l’époque de la décision. Même le sous-directeur Davidson avait clairement expliqué que l’agression sur la personne du détenu avait été le facteur déterminant dans le processus décisionnel. Le fonctionnaire arguait que l’employeur ne devrait pas être autorisé à changer les motifs de licenciement si radicalement à l’étape du processus d’arbitrage. Même l’accusation de participation à un complot pour dissimuler le recours excessif à la force et les autres événements n’est plus en cause. Aucune preuve à ce propos n’a été présentée, et l’employeur a précisé qu’il n’invoquait plus cet aspect de l’affaire.

[85]   La jurisprudence, établie de longue date par la décision que l’arbitre Laskin, titre qu’il portait alors, a rendue dans l’affaire Re United Automobile Workers, Local 112, and De Havilland Aircraft of Canada Ltd., (1964) 15 L.A.C. 41 (QL), indique qu’un motif valable doit être déterminé sur la foi des raisons du congédiement qui ont été invoquées lorsque celui-ci a été effectué. En l’espèce, les facteurs qui ont été abandonnés ou qui n’ont pas été prouvés sont si importants que les éléments de l’affaire dans son ensemble, y compris les facteurs aggravants, ne devraient plus être considérés comme valables. Tout ce qu’il reste, c’est l’aveu du fonctionnaire selon lequel il a donné un coup de pied au détenu.  

[86]   Subsidiairement, le fait que le fonctionnaire n’ait pas rapporté des événements dont il aurait été témoin n’est pas un facteur aggravant convaincant de toute manière. Tout d’abord, la preuve montre que le fonctionnaire ne pouvait être témoin des événements entourant l’incident pendant lequel le détenu était sur le sol près de la salle des douches. Le fonctionnaire était au milieu de la rangée, en train de parler aux agents du poste qui se trouve à cet endroit. La fouille à nu prétendument antiréglementaire et les menaces du détenu n’étaient pas, selon le fonctionnaire, si insolites qu’il aurait convenu d’en faire spécialement rapport. Les agents sont continuellement injuriés par des détenus, d’après le fonctionnaire et d’autres témoins.

[87]   En outre, le fonctionnaire considérait que les conclusions de l’enquête d’ordre factuel quant au degré de coopération du détenu n’étaient pas crédibles. Il y a de nombreuses contradictions dans les rapports des agents. La preuve montrait que le détenu était encore verbalement récalcitrant et qu’il menaçait d’asperger de sang les agents pendant qu’il était dans la salle des fouilles à nu. Le sang est assimilé à une arme, étant donné qu’il représente un risque sanitaire pour les agents correctionnels.

[88]   De plus, lorsque le fonctionnaire a rédigé ses rapports, il avait accompagné le détenu jusqu’à l’infirmerie, où il avait vu l’infirmière appliquer un petit pansement sur une coupure mineure au front du détenu. Le fait que ce dernier avait été coupé au front était connu. Le détenu avait été envoyé à un examen médical, comme d’habitude dans de tels cas. Les éclaboussures de sang dans la salle des douches étaient également un fait connu : on avait appelé le détenu qui est chargé du nettoyage lorsqu’il y a du sang. Il avait nettoyé la salle rapidement et emporté les vêtements souillés.

[89]   Le fonctionnaire a admis n’avoir pas rapporté sa propre action, soit le fait qu’il avait donné un coup de pied au détenu. Sa conduite était incorrecte. Elle était répréhensible. Mais tout cela fait partie du même incident. Un employeur ne punit jamais un employé pour une action et pour l’omission de signaler sa propre infraction à la discipline. On ne peut s’attendre à cela, et ces deux éléments ne peuvent être pris en compte séparément. Le fonctionnaire affirmait également que l’argumentation de l’employeur se fondait principalement sur du ouï-dire.

[90]   Enfin, le fonctionnaire a argué que le licenciement n’est pas nécessaire pour faire savoir qu’agresser un détenu est inacceptable. Il a reconnu que les agents correctionnels, qui représentent la dernière ligne de défense des détenus, ont le devoir de protéger ces derniers. Toutefois, chaque cas doit être examiné selon les faits qui lui sont propres. En l’espèce, l’agent correctionnel a agi sans préméditation.  

[91]   Qui plus est, une preuve indique que l’acte en cause ne ressemblait absolument pas au fonctionnaire. Ce dernier a eu un dossier impeccable pendant huit ans et est considéré comme un bon employé par des agents supérieurs. Le surveillant correctionnel Cormier a témoigné que le fonctionnaire est bien aimé d’autres agents ainsi que des détenus. Il a ajouté qu’il était convaincu que le fonctionnaire n’aurait pas de difficulté à reprendre ses fonctions et il a dit qu’il serait disposé à le prendre dans son équipe. Le fonctionnaire s’est occupé d’avoir de l’aide sociopsychologique immédiatement après ce qui s’est passé.  

[92]   Le fonctionnaire soutenait qu’une autre forme de discipline pourrait être imposée, en lui donnant une deuxième chance tout en faisant savoir clairement que ce type de comportement n’est pas acceptable. Il invoquait la décision rendue par la Commission dans Burton c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2004 CRTFP 74. Il a également renvoyé à la décision Re Government of Province of British Columbia (supra), soit une affaire semblable.

[93]   En résumé, le fonctionnaire arguait que ce qu’il avait fait ne lui ressemblait pas et que ce devrait donc être vu comme un facteur atténuant important. Il avait sollicité de l’aide psychologique immédiatement après ce qui s’était passé pour comprendre ce qu’il avait fait et veiller à ce qu’une telle situation ne se reproduise jamais.

[94]   Son manque apparent de coopération est compréhensible vu les accusations criminelles contre lui. Cela s’explique aussi par la confusion entourant les deux processus différents de la part de l’employeur, c’est-à-dire les enquêtes d’ordre factuel et les procédures disciplinaires.

[95]   De l’avis du fonctionnaire, ce dernier est encore respecté par d’autres agents et est convaincu qu’il n’aura aucun problème à s’attirer de nouveau le respect des détenus. Enfin, il est argué que les motifs à la base de la décision ont été modifiés à l’étape de l’arbitrage. C’est important en l’espèce parce que cela signifie que les facteurs aggravants qui ont été pris en compte à l’époque ne sont plus en cause à ce stade-ci ou n’ont tout simplement pas été prouvés.  

Motifs

[96]   Ce qui est en cause dans la présente espèce, c’est le degré de sévérité de la mesure disciplinaire imposée le 18 février 2004 au fonctionnaire. La jurisprudence reconnaît l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’arbitres de modifier une sanction. L’exercice de ce pouvoir doit être fonction des circonstances de chaque cas, ainsi que de la preuve. Il s’agit d’examiner et d’évaluer les motifs à la base de la mesure disciplinaire, de même que les facteurs atténuants et les facteurs aggravants.  

[97]   Le principal motif de congédiement, d’après l’employeur, a été l’incident du coup de pied. De l’avis de l’employeur, ce seul facteur justifiait le congédiement. Le fonctionnaire a en outre été jugé en défaut pour avoir participé à une fouille à nu inappropriée et pour avoir omis de signaler la présence de sang ainsi que l’incident survenu dans la salle des douches lorsque le détenu était sur le sol.

[98]   Aucune preuve n’a été présentée concernant le recours excessif à la force par d’autres agents dont le fonctionnaire aurait été témoin et qu’il aurait omis de signaler ou concernant des menaces verbales de la part d’un agent en particulier contre le détenu. L’allégation de complot visant à dissimuler ce qui s’était passé a été abandonnée, et aucune preuve n’a été présentée à ce propos. L’employeur a spécifié que ces éléments ne faisaient plus partie de sa thèse. La mesure disciplinaire doit donc être évaluée comme si ces éléments avaient été absents à l’époque de la décision de l’employeur.

[99]   Concernant les présumées infractions à la discipline à l’égard desquelles une preuve a été présentée — sauf pour ce qui est de l’incident du coup de pied —, la thèse est très faible. La preuve n’étaye pas la thèse selon laquelle le fonctionnaire a pris part à une fouille à nu incorrecte. La preuve non contestée indiquait que le détenu était en réalité peu coopératif, refusant de s’enlever le sang du visage et faisant des menaces aux agents. Selon moi, les directives à ce sujet n’ont pas été enfreintes ou l’ont été si peu que tout ce qui serait justifié en la matière, ce serait une réprimande relative à l’omission de signaler cet aspect.

[100]   Une telle réprimande serait aussi la sanction appropriée à l’omission de signaler la présence de sang, en raison des circonstances de l’espèce. Le fonctionnaire aurait constaté la présence de sang dès qu’il était entré dans la salle des fouilles à nu et qu’il avait entendu l’agent Wry enjoindre au détenu de s’enlever le sang du visage.  

[101]   Enfin, la preuve a également révélé que le fonctionnaire n’était alors pas, selon toute probabilité, en mesure de voir effectivement le détenu sur le sol dans la salle des douches. Cela expliquerait qu’il n’ait pas rapporté cet événement. Toute mesure disciplinaire le moindrement liée à cette question ne serait donc pas justifiée.

[102]   L’employeur a ensuite argué que le seul incident du coup de pied justifiait le licenciement du fonctionnaire. De plus, à son avis, pourvu que la preuve ait été faite et que la plus importante infraction à la discipline ait été prouvée, le bien-fondé de la thèse de l’employeur est établi. Là encore, les circonstances doivent être examinées et les facteurs aggravants et atténuants doivent être pris en compte avant que je puisse permettre une modification de la sanction.  

[103]   Les facteurs aggravants incluaient le fait que le coup de pied n’avait pas été provoqué, que c’était un acte criminel inconvenant de la part d’un agent correctionnel et d’un agent de la paix, que le fonctionnaire a omis d’admettre et de rapporter cet incident, qu’il n’a pas collaboré à l’enquête d’ordre factuel concernant l’ensemble de l’incident, qu’il ne s’est pas excusé et qu’il n’a montré aucun remords.

[104]   L’employeur ajoutait dans l’équation le rôle et la mission des agents correctionnels, la vulnérabilité des détenus, ainsi que l’image publique du Service correctionnel et le message erroné qu’une sanction légère enverrait aux détenus, au public et aux agents correctionnels. L’employeur considérait qu’il devait se prononcer avec force contre un tel comportement.

[105]   Le fonctionnaire a admis avoir donné un coup de pied au derrière au détenu A tandis que ce dernier entrait dans la cellule de l’unité d’isolement. On peut voir clairement cette scène dans la preuve vidéo. Le fonctionnaire a administré le coup de pied sans que le détenu ou lui perdent l’équilibre. Le détenu ne s’est pas retourné et n’a pas été projeté vers l’avant dans la cellule. Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait donné le coup de pied sur l’impulsion du moment et sans vouloir faire mal au détenu. Il a déclaré que personne n’aurait voulu faire mal au détenu A.

[106]   Je peux ajouter foi à cette partie du témoignage du fonctionnaire. Le détenu était un gros homme. D’après tous les témoins, il n’était pas solide sur ses jambes et avait de la difficulté à rester en équilibre. Si le coup de pied avait été fort et avait été destiné à faire mal, le détenu aurait facilement pu perdre l’équilibre. Tel n’a pas été le cas. La visite subséquente à l’infirmerie a confirmé que le détenu ne s’était pas fait mal. Aucune preuve n’indique que le détenu se soit déjà plaint d’avoir éprouvé de la douleur par suite de cet incident.  

[107]   Contrairement aux circonstances constatées dans l’affaire Horan (supra), le fonctionnaire n’est pas entré dans la cellule ou n’a pas utilisé une force excessive à partir d’une position dominante debout sur le détenu. Bien que définies comme des voies de fait, les actions effectives du fonctionnaire doivent être vues pour ce qu’elles sont. L’employeur en a probablement le mieux rendu compte en mentionnant la nature humiliante et dégradante du geste.  

[108]   Si un tel comportement est devenu courant à l’Établissement Dorchester, comme l’affirme le représentant de l’employeur dans ses arguments, il n’y en avait aucune preuve et lui-même n’a présenté aucune preuve à ce propos. Si l’employeur soupçonne l’existence d’une telle pratique, il devrait enquêter, et les agents devraient être avisés qu’un tel comportement est inapproprié, inacceptable, et qu’il sera l’objet de mesures disciplinaires. Si une telle pratique existe et que l’employeur est au courant, il ne peut soudainement congédier le fonctionnaire pour dénoncer cette pratique et manifester son intention de l’éradiquer si les employés n’ont pas été d’abord avisés que l’établissement était au courant de ladite pratique et qu’un agent pris sur le fait sera sévèrement puni.

[109]   En ce qui a trait au manque de collaboration à l’enquête d’ordre factuel de l’employeur, bien que les accusations criminelles aient fait qu’il était plus difficile pour le fonctionnaire de coopérer et bien que ce dernier ait offert de répondre aux questions par l’intermédiaire de son représentant depuis le début, comme l’indique une lettre de M. Mancini en date du 4 novembre 2004 (pièce G-2), le fonctionnaire n’a pas en fait coopéré. L’employeur avait raison d’y voir un manque de collaboration à l’enquête d’ordre factuel et de considérer que c’était un facteur aggravant. L’employeur avait raison en arguant que le fonctionnaire ne pouvait s’abriter derrière la recommandation de son avocat ou représentant de ne pas faire de déclaration au sujet de ce qui s’était passé.  

[110]   Le fonctionnaire a certes reconnu qu’il n’avait pas signalé ce comportement, mais il n’a pas tenté de nier ou justifier ce comportement après avoir appris l’existence de l’enregistrement. Il a reconnu que le geste en cause était incorrect. Je voudrais faire remarquer que, concernant l’omission du fonctionnaire d’admettre et de rapporter son infraction à la discipline, je considère que ce ne peut être vu comme un facteur distinct. Cela fait partie intégrante de la même infraction à la discipline.

[111]    De plus, le fonctionnaire s’est excusé auprès du directeur à la première occasion, ce qui montrait qu’il avait du remords. Il a en outre demandé à avoir la possibilité de s’excuser auprès du détenu.  

[112]   Je crois bien que le fonctionnaire a du remords. Son attitude et la façon dont il a témoigné étaient crédibles. De plus, ce qui est à son crédit, il a immédiatement sollicité l’aide d’un psychologue clinicien et d’un neuropsychologue qualifiés avec qui il a travaillé pendant environ quatre mois pour comprendre son action et sa réaction et pour acquérir l’assurance qu’il resterait maître de lui à l’avenir.  

[113]   Le fonctionnaire a subi les conséquences de son acte. Il travaillait dans des services correctionnels depuis neuf ans à l’époque des événements. Son dossier disciplinaire était impeccable. Ses évaluations de rendement indiquaient toutes que l’ensemble des objectifs avaient été atteints ou dépassés. L’employeur a admis que le fonctionnaire était un très bon agent ayant une bonne formation. Plus important encore, certains témoins ont été affirmatifs quant au fait que le fonctionnaire n’avait pas perdu le respect de ses collègues et qu’il pourrait probablement s’attirer à nouveau le respect des détenus. Il était apprécié de tous, y compris des détenus.  

[114]   J’ai bien écouté le témoignage du fonctionnaire et les témoignages de ses partisans. Je suis convaincue de sa sincérité. Je crois bien qu’il a eu une bonne leçon. Je n’excuse pas ses actions, qui donnent une très mauvaise image du Service correctionnel, mais je pense bien que l’acte en cause ne ressemblait pas au fonctionnaire. J’espère que ce dernier ne commettra jamais plus une telle erreur.  

[115]   La jurisprudence, résumée dans l’affaire Re Government of Province of British Columbia (supra), établit clairement que :

[...]

[...] lorsque l’on constate qu’un agent correctionnel a utilisé une force excessive à l’égard d’un détenu, ce comportement sera certes considéré comme méritant une sanction, mais il ne justifiera pas nécessairement un congédiement. […] Parmi les facteurs atténuants, mentionnons   […] un accès de colère isolé et non caractéristique d’une personne ou un autre ensemble factuel qui explique l’écart de conduite de manière à permettre de conclure que le comportement ne se reproduira pas et que c’était une aberration plutôt qu’un manquement délibéré au devoir.

[...]

[116]   Une forte sanction montrera qu’un tel comportement n’est pas acceptable. La préoccupation de l’employeur est légitime. Il s’agissait d’une infraction grave à la discipline. Ma décision ne doit pas être interprétée comme excusant un tel comportement. La sanction qui avait été imposée sera toutefois modifiée, étant donné que ce n’était pas un comportement prémédité, que le fonctionnaire n’avait pas l’intention de faire mal au détenu et ne lui a effectivement pas fait mal, que les actions du fonctionnaire n’étaient pas méchantes et ne lui ressemblaient pas en fait et qu’il a immédiatement demandé de l’aide à cet égard, qu’il avait été un agent exemplaire jusque-là et qu’il assumait l’entière responsabilité de ses actes, que plusieurs facteurs aggravants invoqués par l’employeur à l’époque de la décision n’existent plus et que les facteurs prouvés restants ne l’emportent pas sur les facteurs atténuants.

[117]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[118]   Le grief est accueilli en partie. La sanction tenant au congédiement est annulée et est remplacée par une longue suspension équivalant à une durée d’un an. Le fonctionnaire doit être réintégré au 19 février 2006, sans indemnisation.

Le 22 février 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Sylvie Matteau,
arbitre de grief

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