Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

À la suite des propos tenus dans une allocution lors d’une réunion d’organisations communautaires, le fonctionnaire s’estimant lésé et plaignant a écopé d’une suspension de 10 jours - dans ses déclarations, faites lors de la réunion publique à laquelle assistaient des bénéficiaires et des fournisseurs de services de programmes dont son ministère était responsable, il a critiqué les changements apportés à la manière de fournir les services - il a déposé un grief relativement à sa suspension, ainsi qu’une plainte de pratique déloyale de travail - il assistait à la réunion à titre de président de la section locale du Syndicat de l'emploi et de l'immigration du Canada (SEIC), l'agent négociateur représentant les employés à son lieu de travail - le SEIC avait réagi vigoureusement à la suite de l’impartition par l’employeur de travail antérieurement confié aux membres du SEIC, et le fonctionnaire s’estimant lésé et plaignant avait été l’un des principaux organisateurs de la campagne du SEIC en vue d’attirer l’attention du public sur les conséquences de ces coupures dans les services gouvernementaux - le directeur estimait que les déclarations du fonctionnaire s’estimant lésé et plaignant pouvaient miner la crédibilité et l'efficacité du ministère, qu’elles étaient irrespectueuses et personnellement blessantes pour les gestionnaires et qu'elles exprimaient un point de vue politique sur des questions au sujet desquelles il avait un devoir de neutralité publique - les représentants des agents négociateurs ne devraient pas faire l’objet de sanctions disciplinaires, à moins d'avoir été malveillants dans leurs affirmations ou d'avoir fait de fausses déclarations sciemment ou de façon insouciante - ceux qui agissent comme porte-parole de l’agent négociateur doivent pouvoir soulever des questions sur des décisions de l'employeur et contester la sagesse ou la légitimité de ces décisions - cette liberté de critiquer s’applique aux représentants élus qui travaillent pour l’employeur et qui servent à titre bénévole, au même titre qu’aux représentants qui travaillent à temps plein pour l’agent négociateur - la plus grande latitude accordée aux représentants des agents négociateurs ne s’applique pas à l’activité de l’agent négociateur au sens strict - les questions traitées lors de la réunion s’inscrivaient dans le cadre de la relation de négociation collective - l’employeur n’a pas démontré que les déclarations étaient malveillantes ou qu’il s’agissait de fausses déclarations faites sciemment - la sanction disciplinaire n’était pas justifiée - une mesure disciplinaire faisant des distinctions à l'égard d'une personne parce qu'elle a exercé des droits prévus par la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la Loi) constitue une intervention dans la représentation syndicale - l’employeur ne s’est pas acquitté de la charge inversée qu’impose le paragraphe 191(3) de la Loi de prouver qu'il n'y a pas eu de manquement à l'obligation de satisfaire aux exigences législatives - l’employeur s’est livré à une pratique déloyale de travail en imposant une sanction disciplinaire. Le grief et la plainte sont accueillis.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-11-10
  • Dossiers:  566-02-12
    561-02-68
  • Référence:  2006 CRTFP 125

Devant un arbitre de grief et la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

IAN SHAW

fonctionnaire s'estimant lésé et plaignant

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

autre partie au grief

et

STAN WOJICK, LUCIENNE ROBILLARD ET WAYNE WOUTERS

défendeurs

Répertorié
Shaw c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences) et autres

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant : Beth Bilson, arbitre de grief et commissaire

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé et plaignant : Susan Ballantyne, avocate

Pour l'autre partie au grief et les défendeurs : Adrian Bieniasiewicz, avocat


Affaire entendue à Toronto (Ontario),
les 26 et 27 juin 2006.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Grief individuel renvoyé à l'arbitrage et plainte devant la Commission

[1]   Ian Shaw, fonctionnaire s’estimant lésé et plaignant, travaille pour Service Canada, qui relève du ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences. Dans une lettre en date du 1er avril 2005, l’employeur a avisé M. Shaw qu’il serait suspendu pendant dix jours sans traitement, par suite de déclarations qu’il avait faites lors d’une réunion tenue le 28 janvier 2005. M. Shaw a déposé un grief au sujet de cette sanction disciplinaire, ainsi qu’une plainte selon l’alinéa 190(1)g) de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), alléguant que l’imposition d’une sanction disciplinaire par l’employeur dans ces circonstances constituait une pratique déloyale de travail.

Résumé de la preuve

[2]   M. Shaw travaille pour cet employeur depuis 1990 et est, depuis 2002, agent de projet à l’unité des services d’emploi de Scarborough. Auparavant, a-t-il témoigné, il a occupé un certain nombre de postes, y compris les suivants : commis à l’information en matière d’emploi, agent d’emploi et d’assurance et conseiller en emploi.

[3]   M. Shaw a témoigné que son lieu de travail a subi des changements importants depuis que lui-même a commencé à y travailler et il attribuait un grand nombre de ces changements à la décision de l’employeur de sous-traiter une partie du travail précédemment accompli au ministère. Le fonctionnaire s’estimant lésé a dit que, lorsqu’il a commencé son emploi, l’unité de négociation comptait 250 employés travaillant à quatre endroits différents; actuellement, il y a environ 150 employés travaillant à un seul endroit.

[4]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a formulé des observations notamment à propos de ses fonctions comme agent de projet. Il a affirmé que, lorsqu’il a commencé, son travail était une forme de développement communautaire; il a élaboré des projets [traduction] « en partant de zéro », en collaboration avec des organisations communautaires, et c’est en grande partie grâce à lui que ces projets ont été couronnés de succès. Par exemple, il a mentionné le rôle qu’il avait joué avec une coalition de groupes communautaires en fournissant des services d’emploi et de santé ainsi que d’autres ressources sur la scène locale.

[5]   Il y a plusieurs années, l’employeur a commencé à mettre en œuvre un nouveau système d’appel de propositions (AP). M. Wojick, directeur, région de Toronto Est, Service Canada, a témoigné que ce système était une initiative destinée à accroître la transparence et la responsabilisation quant au processus par lequel les contrats étaient accordés et les projets entrepris. Le système d’AP comportait un certain nombre d’éléments, dont les plus importants étaient : l’exigence selon laquelle tous les contrats, y compris les renouvellements, relatifs à des projets d’une valeur de 500 000 $ ou plus devaient être l’objet d’un appel d’offres officiel; la mise en œuvre d’un processus d’examen plus centralisé pour tous les projets.

[6]   M. Shaw a dit que, de son point de vue comme agent de projet, le nouveau système était beaucoup plus bureaucratique et retirait aux agents de projet une grande partie du pouvoir décisionnel. Au lieu de travailler avec les organisations communautaires à élaborer et à mettre en œuvre des projets, les agents de projet passent le plus clair de leur temps [traduction]   « devant l’ordinateur », à examiner des propositions de contrat et à aider à la formulation de telles propositions, ainsi qu’à faire rapport au comité d’examen régional (CER).

[7]   À l’époque où se sont produits les événements ayant donné lieu à sa suspension, M. Shaw était le président local du Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada (SEIC), soit un élément de l’agent négociateur représentant les employés à son lieu de travail. Il était président local depuis environ 12 ans et avait fait partie du comité exécutif local avant cela. Subséquemment, il est devenu l’un des quatre vice-présidents régionaux de l’agent négociateur.

[8]   M. Shaw a témoigné que le SEIC avait réagi vigoureusement à la sous-traitance, par l’employeur, de travaux antérieurement effectués par des membres du SEIC. Il a déclaré que l’agent négociateur avait soulevé la question auprès de la direction à toutes les occasions possibles. Ils avaient également essayé de conclure des alliances avec les organisations communautaires qui avaient été leurs clients et ils les avaient invitées à protester contre les changements. M. Shaw a dit qu’il avait été l’un des principaux organisateurs régionaux de cette campagne et qu’il avait participé à du lobbying, à l’occupation conjointe de lieux de travail avec des organisations communautaires, à des rassemblements publics et à des activités de communication par l’intermédiaire de la presse ou directement auprès du public.

[9]   M. Shaw a affirmé que la perception de l’agent négociateur était que l’employeur attaquait l’agent ainsi que les emplois de ses membres et que leur stratégie consistait à attirer l’attention sur les conséquences pour le public des réductions dans les services gouvernementaux.

[10]   Il a déclaré que l’agent négociateur voyait le système d’AP comme faisant partie du même processus de réduction concernant les services publics. Il a témoigné que l’agent négociateur se préoccupait de façon générale de la sous-traitance en cours; on se préoccupait en outre de la centralisation du contrôle, du manque d’attention à l’égard des besoins particuliers de divers groupes, attribuable à des critères de projet normalisés, et de la déqualification relative au travail des membres de l’agent négociateur. Comme preuve que l’agent négociateur avait pris position sur ces points, il a signalé un mémoire à l’intention du comité de la Chambre des communes appelé Comité permanent du développement des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées, soit un mémoire présenté par Jeannette Meunier-McKay, présidente nationale du SEIC (pièce U-4). Ce mémoire a été présenté le 12 avril 2005, peu après la suspension imposée à M. Shaw.

[11]   Dans son témoignage, M. Wojick a reconnu qu’il savait de manière générale que le SEIC avait adopté une position allant à l’encontre de la sous-traitance de travaux ministériels. Il a témoigné qu’un certain degré d’ajustement avait été nécessaire quand le système d’AP avait été mis en œuvre et que l’on avait réagi à certaines préoccupations des employés au sujet d’une augmentation de la charge de travail en comblant les postes de deux employés retraités, mais il a nié qu’il y ait eu une désaffection ou démoralisation générale parmi les employés de l’unité.

[12]   MM. Shaw et Wojick ont tous les deux été interrogés sur un rapport intitulé [traduction]   Examen de la capacité du service d’emploi (pièce U-2), déposé en preuve par l’avocate de M. Shaw. Ce rapport, en date du 14 mars 2005, se fondait sur des [traduction]   « entrevues collectives et individuelles » avec un certain nombre de gestionnaires et d’employés de l’unité de Scarborough, de même que sur un examen de documents ainsi que de processus, et l’on y examinait un certain nombre d’aspects de l’environnement de travail à la suite de l’introduction du système d’AP. MM. Shaw et Wojick différaient beaucoup dans leur évaluation de l’importance et de la valeur du rapport.

[13]   Du point de vue de M. Shaw, le rapport étayait ses allégations que le processus avait sapé le moral et créé une impression de crise dans l’unité. Ce rapport signalait, par exemple, que les agents de projet avaient exprimé le sentiment qu’ils étaient [traduction]   « de plus en plus éloignés des étapes de leur travail en matière d’influence et de décision » et que [traduction]   « les compétences requises pour s’acquitter des tâches n’existaient pas alors parmi l’ensemble du personnel à Scarborough ». Ce rapport disait que des membres du personnel avaient parlé de la [traduction]   « manière humiliante » dont l’information en retour leur était communiquée et qu’ils avaient dit qu’il y avait un [traduction]   « manque important de clarté sur les attentes », que la communication au sein du bureau était [traduction]   « généralement mauvaise », qu’il y avait une impression que l’unité avait [traduction]   « perdu la confiance de l’administration régionale » et qu’ils sentaient un [traduction]   « manque de contrôle et une vulnérabilité accrue ». M. Shaw a déclaré que ce rapport confirmait qu’il y avait un certain fondement à bon nombre des préoccupations que lui et l’agent négociateur avaient exprimées.

[14]   Quant à M. Wojick, il doutait que le rapport ait représenté davantage [traduction]   « qu’un défoulement » transitoire de quelques employés mécontents. Il a témoigné qu’il croyait comprendre que le rapport n’était qu’un avant-projet du comité d’examen et qu’ils n’avaient pas poussé plus loin l’opération. Il a affirmé que ni lui ni les autres membres de l’équipe de gestion n’avaient reçu de la part des employés des plaintes nombreuses ou graves au point de les amener à croire qu’il y avait une crise ou qu’un aspect du processus d’AP était fondamentalement incorrect. Il a reconnu qu’un certain stress était lié aux changements apportés, mais il ne pensait pas que les mentions d’une « vulnérabilité accrue » ou d’une « perte de contrôle » aient été exactes.

[15]   M. Shaw a également fait référence à un document intitulé [traduction]   Questions identifiées lors de la formation des 6, 7 et 8 juillet 2004 d’AP de la région de l’Ontario (pièce U-5). Ce document énumérait, sous la forme d’un sommaire, une série de questions comme les suivantes : [traduction]   « pénurie de personnel », « impact négatif sur l’actuel réseau de prestation de services et sur les clients », « absence d’un plan de transition » et « grille d’évaluation – quelle information nous faut-il inclure? ». À côté de chacune des questions énumérées, il y avait une coche indiquant si la responsabilité consistant à examiner ou à aborder la question serait confiée à l’administration régionale ou nationale. Il y avait en outre une ligne pour indiquer si de la formation serait appropriée relativement à la question. Bien que ni sa déposition ni celle de M. Wojick n’aient établi tout à fait clairement quel était le statut de ce document ou à quel point il faisait autorité, M. Shaw a déclaré qu’il le considérait comme un autre signe que la mise en œuvre du système d’AP s’accompagnait de divers problèmes pour les employés et les gestionnaires.

[16]   Évidemment, le processus d’AP a aussi influé sur des organisations externes, c’est-à-dire à la fois sur des clients et sur des organisations fournissant des services. Comme les contrats existants n’étaient plus systématiquement renouvelés et que les entrepreneurs devaient se soumettre à un processus d’appel d’offres, il va sans dire que ce n’était pas tous les fournisseurs de services qui pouvaient être sûrs que leurs contrats seraient renouvelés. Un article publié dans le Toronto Star le 20 janvier 2005 (pièce U-3) décrivait des protestations adressées au gouvernement par un certain nombre d’organisations communautaires de Toronto qui vivaient cette incertitude.

[17]   Le Community Social Planning Council of Toronto a tenu une réunion le 28 janvier 2005 pour donner aux organisations communautaires une occasion de discuter de ces questions. Ce conseil a demandé que le SEIC envoie un représentant pour qu’il prenne la parole au cours de cette réunion, et M. Shaw a été choisi pour représenter l’agent négociateur. M. Shaw a prononcé une brève allocution lors de la réunion. L’employeur s’est vu par la suite remettre une transcription de ces propos; on ne sait pas très bien d’où émanait cette transcription, mais M. Shaw ne conteste pas que la transcription est un reflet fidèle des commentaires qu’il a formulés.

[18]   Il vaut la peine de reproduire intégralement les commentaires de M. Shaw pour deux raisons. Premièrement, la transcription fournissait à l’employeur les motifs pour imposer une sanction disciplinaire. Deuxièmement, il est difficile de saisir pleinement le ton et la teneur des propos en ne citant que des expressions ou des termes isolés. Voici ce que M. Shaw a dit après avoir été présenté lors de cette réunion comme président local du SEIC par John Campey, président du Community Social Planning Council :

[Traduction]

Merci beaucoup, John, et bonjour tout le monde. Assurément, la participation est impressionnante, ce qui, je pense, montre à quel point cette question est importante pour toute la communauté.

Je voudrais vous transmettre ce matin les salutations et les manifestations de solidarité de 23 000 membres du Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada, et notamment des personnes comme moi qui travaillent en tant que membres du personnel de projet ici, dans la région du Grand Toronto, et qui ont connu au fil des ans bon nombre des personnes présentes dans cette pièce. Nous avons travaillé, aux bureaux locaux, à essayer d’accomplir le genre de travail qui favorise nos communautés, et je tiens à dire également que notre syndicat est d’avis que ce processus d’AP est défectueux et que nous appuyons l’exigence décrite par John plus tôt ce matin et voulant que le tout soit gelé et examiné en vue de rectifier un processus qui va en fin de compte être préjudiciable aux clients que vous servez tous si bien.

Comme certains d’entre vous ont parlé à nos membres, aux agents de projet, vous avez probablement eu l’impression au cours des derniers mois que nous ne semblons pas toujours en savoir beaucoup sur ce qui peut bien se passer dans ce ministère. Je pense que ce n’est pas simplement par accident. Une des choses que je voulais partager ou introduire dans le dialogue et l’important débat que vous allez tous avoir ici aujourd’hui, c’est que ce qui arrive maintenant n’est pas simplement une aberration ou une série de tricheries de la part de cadres moyens ou supérieurs du ministère. Nous estimons au SEIC qu’en fait ce que nous voyons maintenant, c’est-à-dire le retrait du pouvoir décisionnel local de nos membres et des communautés avec lesquelles nous travaillons, est en réalité une autre étape de la privatisation, le but étant de transformer le service à la clientèle en une espèce de système à la Wal-Mart pour la prestation de services d’emploi dans notre pays.

Il s’agit d’un processus qui remonte aux années 1995-1996, à l’époque du budget Martin de 1995 ayant mis à pied 50 000 de nos membres; le lendemain du dépôt de ce budget, Martin a pris l’avion pour se rendre à Wall Street afin de s’entretenir avec les agences d’évaluation du crédit, plutôt que de s’adresser aux travailleurs dont il venait de supprimer les emplois. C’est le genre de gouvernement avec lequel nous faisons affaire. Donc, croyez-moi, la bataille dans laquelle vous vous engagez ici aujourd’hui ne va pas être facile, mais elle est cruciale, et nous devons tous y participer.

En 1995-1996, ce qui s’est passé dans nos communautés, ce fut la sous-traitance massive de services d’emploi du gouvernement fédéral. J’ai déjà discuté de la signification de ces mesures avec des personnes ici présentes, et je ne pense pas que nous soyons divisés sur cette question. Je ne crois pas que nous soyons en désaccord. Notre opinion au SEIC était que le gouvernement a jeté le bébé avec l’eau du bain quand il a commencé à fermer des centres d’emploi fédéraux dans l’ensemble de notre pays et qu’il en est résulté une série de lacunes dans le service et de problèmes d’accès aux services qui auraient pu être réglés si le gouvernement avait au moins gardé un certain système d’aiguillage dans les centres où nos membres travaillent. Mais je ne pense pas que cela signifiait que nous étions opposés aux services et au financement que nous avons alors conclus, car nous avions toujours travaillé avec la communauté et toujours financé les organisations communautaires.

Donc, je voulais vous dire aujourd’hui que, lorsque le gouvernement a pris ces mesures dans les années 1995-1996, ce fut la première étape : le retrait [de l’État]   des services directs. L’étape suivante est ce à quoi vous assistez aujourd’hui, c’est-à-dire le retrait du pouvoir décisionnel local et la fermeture d’autres bureaux, et, croyez-moi, notre tour s’en vient.

Évidemment, il s’agit entre autres d’ouvrir la voie au secteur privé pour qu’il fasse de l’argent en profitant des chômeurs de notre pays, et j’estime qu’il importe réellement d’examiner comment c’est financé, car l’argent, la caisse de l’assurance-emploi, soit de l’argent venant des travailleurs de notre pays, va être sorti de leurs poches et utilisé pour réduire les services communautaires, cet argent devant être remis au secteur privé. C’est le programme que l’on affiche. Il ne faut pas s’y méprendre. Il s’agit d’argent qui va être transféré des poches des travailleurs dans la marge bénéficiaire de sociétés qui vont y voir un bon filon de l’industrie de la pauvreté; c’est ce vers quoi on se dirige.

Je voulais que mes propos restent brefs, mais je viens de vivre un processus de ratification, et on s’échauffe quand on parle de cet employeur. D’ailleurs, je devais me présenter comme étant quelqu’un qui travaille avec les salauds, mais je pense que nous devons examiner ce que cela représente véritablement, de sorte qu’il me suffit d’attirer l’attention sur un rapport demandé par RHDCC à IBM (International Business Machines). C’est la même organisation qui a établi ce genre de rapport pour le gouvernement Campbell en Colombie-Britannique. Et ce qu’IBM a présenté à RHDCC est une série d’observations et de recommandations sur ce que le ministère devait faire pour améliorer et rationaliser ses services, et l’une des choses que cette organisation a dites à RHDCC dans ce rapport il y a quelques années est que le problème de ce ministère au fil des ans a été qu’il mettait l’accent sur les services publics, les services directs à la clientèle. Ce qu’il lui fallait faire, c’était de se pencher sur la question de savoir comment en arriver aux plus bas coûts unitaires de production. Tel était le langage d’IBM, et ça devient vrai au ministère.

Actuellement, nos membres vivent dans un climat de peur et d’intimidation. On dit aux agents de projet qu’ils seront personnellement tenus pour responsables si les chiffres ne font pas le compte exact ou si des frais sont engagés par eux pour des choses comme de l’eau. Nous avons eu des personnes qui ont été mises sur la sellette parce qu’elles avaient financé dans une organisation communautaire une sacrée bouteille d’eau.

C’est un résultat du type d’approche que recommandait IBM. On parlait de sous-traitance accrue et du recours à des organismes à but lucratif pour l’accomplissement du travail. Voilà le programme.

L’impact sur nos membres est négatif, mais nous avons bel et bien des personnes qui veulent dire franchement ce qu’elles pensent et se joindre à vous. Et je crois aujourd’hui – [comme dit l’adage dans le mouvement ouvrier]   : plus la ligne est longue, plus la grève est courte. Je veux que toutes les personnes ici présentes sachent que ce matin le SEIC va se joindre à votre ligne dans cette bataille. Merci beaucoup.

[19]   M. Wojick a témoigné qu’il a reçu une copie de la transcription de ces propos et qu’il était préoccupé au sujet d’un grand nombre des déclarations de M. Shaw. En particulier, il a attiré l’attention sur la mention d’« une série de tricheries de la part de cadres moyens ou supérieurs du ministère », au troisième paragraphe, sur la déclaration selon laquelle le nouveau système ouvrait la voie « au secteur privé pour qu’il fasse de l’argent en profitant des chômeurs », au sixième paragraphe, sur l’allusion à l’employeur comme étant « les salauds », au huitième paragraphe, et sur la déclaration voulant que les employés « vivent dans un climat de peur et d’intimidation », au neuvième paragraphe. Il était particulièrement préoccupé de ce que les déclarations aient été faites lors d’une réunion publique à laquelle assistaient à la fois des bénéficiaires et des fournisseurs de services de programmes dont son ministère était responsable; il estimait que les déclarations pouvaient miner la crédibilité et l’efficacité du ministère.

[20]   M. Wojick a dit qu’il avait évalué la conduite de M. Shaw à la lumière du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique (pièce E-2), qui s’applique à tous les fonctionnaires. Il a donné les exemples suivants des principes que les fonctionnaires doivent observer :

[…]

  • Il incombe aux fonctionnaires de respecter les lois du Canada et de préserver la tradition de neutralité politique de la fonction publique […]

  • Les fonctionnaires doivent exercer leurs fonctions officielles et organiser leurs affaires personnelles de façon à préserver et à accroître la confiance du public à l’égard de l’intégrité, de l’objectivité et de l’impartialité du gouvernement […]

  • S’il y a d’éventuels conflits entre l’intérêt personnel du fonctionnaire et ses fonctions et responsabilités officielles, l’intérêt public doit primer dans le règlement desdits conflits […]

  • Le respect de la dignité humaine et la reconnaissance de la valeur de chaque personne doivent toujours inspirer l’exercice de l’autorité et de la responsabilité.

[…]

[21]   M. Wojick a déclaré qu’il avait conclu que, avec les déclarations faites lors de la réunion du 28 janvier 2005 par M. Shaw, ce dernier avait manqué à ces obligations, et ce, de diverses manières. M. Wojick a affirmé que, d’après son interprétation, ces propos étaient irrespectueux et personnellement blessants pour les gestionnaires, qu’ils pouvaient saper la confiance du public dans le ministère et qu’ils véhiculaient un point de vue politique sur des questions au sujet desquelles M. Shaw était tenu à une neutralité publique. Bien qu’il ait concédé n’avoir reçu aucune plainte directe de membres du public ou d’organisations clientes, M. Wojick croyait comprendre que les affirmations de M. Shaw avaient causé de la détresse et de l’anxiété parmi les personnes et les organisations qui comptaient sur l’unité pour un service. En consultation avec ses supérieurs au ministère, M. Wojick avait décidé d’avoir une réunion pour enquêter davantage sur la conduite de M. Shaw. Ce dernier a assisté à la réunion, avec un représentant du SEIC, et le directeur général de la région était également là. M. Wojick a dit que M. Shaw n’avait pas donné d’explication satisfaisante quant à sa conduite, de sorte que la décision avait été prise d’imposer la sanction consistant à le suspendre pendant dix jours.

Résumé de l’argumentation

[22]   Le principal argument de l’avocat de l’employeur était que la conduite de M. Shaw lors de la réunion du 28 janvier 2005 contrevenait aux obligations qu’il avait comme fonctionnaire de ne pas miner la crédibilité du ministère et de montrer du respect pour son employeur. L’avocat de l’employeur a fait valoir que le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique énonce clairement les obligations des fonctionnaires à cet égard et dit que l’employé doit mettre de côté ses opinions personnelles, afin de maintenir la confiance du public dans les programmes et services gouvernementaux, et qu’il doit traiter les autres avec respect et se conduire avec circonspection. À ce sujet, l’avocat a attiré mon attention sur la décision rendue par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») dans Stewart c. Canada (Conseil du Trésor), dossier de la CRTFP 168-2-108 (1976) (QL), laquelle décision a confirmé la sanction disciplinaire imposée à un fonctionnaire pour avoir écrit dans un journal un article dans lequel il critiquait son employeur. La Commission a cité l’extrait suivant d’une décision rendue par la Cour suprême des États-Unis dans Pickering v. Board of Education of Township High School District, 391 U.S. 563, 88 S. Ct. 1731 (1968) :

[Traduction]

[…]

D’autre part, on ne peut pas nier que l’État soit animé d’intérêts très différents lorsqu’il réglemente la liberté de parole de ses employés et celle des citoyens en général. Le problème est d’en arriver à un juste équilibre entre les intérêts du professeur-citoyen commentant des questions d’ordre public et ceux de l’État-employeur désirant améliorer les services publics qu’il assure par l’intermédiaire de ses employés.

[…]

[23]   La Commission a poursuivi en faisant remarquer, au paragraphe 22 de la décision Stewart :

[…]

L’arbitre en chef a valablement déduit de la preuve que l’article comprenait une série d’attaques contre le ministre des Approvisionnements et Services et qu’il était « entièrement incompatible avec le rôle d’un fonctionnaire (…) » […]   Si nous avions été appelés à nous prononcer sur le fond, nous serions arrivés sans hésitation à la même conclusion. Nous ne sommes pas persuadés, pas plus que ne l’était l’arbitre en chef « que la Déclaration des droits de l’homme ait aboli la tradition selon laquelle un fonctionnaire doit s’abstenir d’attaquer publiquement la politique ou l’intégrité de son propre gouvernement. Il peut voter contre celui-ci, mais non entreprendre en ce sens une campagne de presse ».

[…]

[24]   L’avocat a également attiré mon attention sur plusieurs décisions dans lesquelles ont été explorées les obligations d’un fonctionnaire dans le contexte de la « défense de dénonciateur ». Dans Fraser c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique), [1985]   2 R.C.S. 455, le juge en chef Dickson a avancé la proposition suivante, au paragraphe 41, envisageant qu’il peut y avoir des circonstances dans lesquelles il est approprié qu’un fonctionnaire critique le gouvernement :

[…]

En fait, dans certaines circonstances, un fonctionnaire peut activement et publiquement exprimer son opposition à l’égard des politiques d’un gouvernement. Ce serait le cas si, par exemple, le gouvernement accomplissait des actes illégaux ou si ses politiques mettaient en danger la vie, la santé ou la sécurité des fonctionnaires ou d’autres personnes, ou si les critiques du fonctionnaire n’avaient aucun effet sur son aptitude à accomplir d’une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude. Toutefois, ayant énoncé ces qualités (et il peut y en avoir d’autres), je suis d’avis qu’un fonctionnaire ne doit pas, comme l’a fait l’appelant en l’espèce, attaquer de manière soutenue et très visible des politiques importantes du gouvernement.

[…]

[25]   Dans Stenhouse c. Canada (Procureur général), 2004 CF 375 (C.F.), le juge Kelen a dit ceci à cet égard :

[…]

Le juge en chef Dickson […] a identifié deux situations où la liberté d’expression prime l’obligation de loyauté, savoir, lorsque le gouvernement accomplit des actes illégaux ou qu’il adopte des politiques mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité du public, ou lorsque les critiques n’ont aucun effet sur l’aptitude du fonctionnaire à accomplir ses fonctions d’une manière efficace ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude.

[…]

Dans ce passage — lu, en anglais, avec un « and » conjonctif au lieu d’un « or » disjonctif entre la première et la dernière partie du commentaire du juge en chef Dickson —, l’aptitude à accomplir les fonctions d’une manière efficace est une condition pour pouvoir parler franchement d’actes illégaux ou dangereux du gouvernement et non un motif en soi pour pouvoir parler librement.

[26]   Quoique cette question n’ait pas été examinée explicitement dans la décision plus récente rendue par la Cour d’appel fédérale dans Haydon c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CAF 249, la juge d’appel Desjardins a, au paragraphe 13, bel et bien dit au sujet du passage précité de Fraser :

[…]

La Cour suprême du Canada a affirmé que la liberté d’expression l’emportait sur l’obligation de loyauté dans trois cas, à savoir si le gouvernement accomplissait des actes illégaux ou si ses politiques mettaient en danger la vie, la santé ou la sécurité du public, ou si les critiques du fonctionnaire n’avaient aucun effet sur son aptitude à accomplir d’une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le public percevait cette aptitude.

[…]

[27]   L’avocat de l’employeur a concédé que, lorsque les employés sont représentés par un agent négociateur, les dirigeants de ce dernier peuvent se voir accorder une certaine latitude quant au degré de déférence dont ils sont tenus de faire preuve envers leur employeur. Même si c’est le cas, toutefois, l’avocat a argué qu’une telle latitude ne donne pas à un représentant carte blanche pour faire fi de ses responsabilités comme employé. Dans la décision qu’il a rendue dans l’affaire Stewart c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 166-2-2000, l’arbitre de grief a déclaré :

[Traduction]   

[…]

[…] les employés autorisés à négocier collectivement ont sûrement le droit de dire leur pensée au sujet des questions négociées et de critiquer la position adoptée par les négociateurs de l’employeur. Il ne s’ensuit pas qu’ils ont le droit d’attaquer publiquement un ministre, un sous-ministre ou un ministère relativement à des questions qui n’ont aucun rapport avec la négociation collective et qui ressemblent beaucoup à une polémique politique.

Il faut aborder le problème avec bon sens. L’employeur a des obligations envers ses employés. En retour, les employés ont certaines obligations envers l’employeur, que celles-ci soient ou non mentionnées dans une loi, un règlement ou une convention collective. Au nombre de ces obligations est celle d’assurer un service utile et celle de s’abstenir de faire échec ou obstacle aux objectifs de l’employeur, que ceux-ci soient sages ou non.

[…]

[28]   Ce commentaire a été approuvé dans Chedore v. Treasury Board (Post Office Department) (1980), 29 L.A.C. (2d) 42, où l’arbitre de grief a statué que le recours approprié pour les représentants syndicaux passait par la négociation avec l’employeur ou par la procédure de règlement des griefs plutôt que par la presse.

[29]   Dans la décision School District No. 22 (Vernon) and C.U.P.E., Local 5523 (Hegler) (2002), 104 L.A.C. (4th) 435 (Taylor), la majorité des membres du conseil d’arbitrage ont également indiqué (aux pages 443-444) qu’il y a des limites à la latitude du dirigeant syndical :

[Traduction]

[…]

Les textes faisant autorité n’étayent pas la proposition selon laquelle un représentant syndical est à l’abri des sanctions disciplinaires pour insubordination. Ces textes établissent que les délégués syndicaux doivent être libres de représenter adéquatement et pleinement leurs membres dans les affaires de grief, d’arbitrage et de négociation collective, sans être l’objet de sanctions disciplinaires pour des actes entrant dans le cadre de l’exercice de ces fonctions et d’autres fonctions syndicales légitimes. La protection n’englobe pas une conduite débordant l’étendue appropriée de la responsabilité syndicale.

[…]

L’avocat de l’employeur a argué que la conduite de M. Shaw débordait bel et bien l’étendue de ses responsabilités comme dirigeant syndical. L’avocat a signalé que les propos contestés ont été tenus par M. Shaw lors d’une réunion à laquelle assistaient des clients et des entrepreneurs, soit un cadre très public, et non à la table des négociations ou dans le cadre d’une réunion relative aux griefs. Il a par ailleurs établi une distinction — comme M. Wojick en expliquant les motifs pour imposer une mesure disciplinaire — entre la position de M. Shaw en tant que dirigeant élu de section locale de l’agent négociateur et celle d’un membre du personnel à temps plein de l’agent négociateur. Une personne qui est employée à temps plein pour parler pour l’agent négociateur est susceptible d’être l’objet de relativement peu de limites. Cependant, une personne dans la position de M. Shaw doit toujours concilier ses fonctions de représentant avec ses responsabilités d’employé, et l’on s’attend que ses obligations envers l’employeur priment quelque obligation qu’elle peut avoir envers l’agent négociateur ou les autres employés.

[30]   L’avocate du fonctionnaire s’estimant lésé/plaignant a argué que la norme en fonction de laquelle la conduite des représentants est maintenant mesurée à changée considérablement depuis les observations formulées dans des cas comme Chedore. À cet égard, soutenait-elle, les cas de « dénonciateur » comme Fraser, Haydon et Stenhouse, qui indiquent que les fonctionnaires peuvent seulement contester leurs employeurs lorsqu’une illégalité ou une menace à la santé ou à la sécurité est en cause, ne sont pas pertinentes en l’espèce. La position des représentants est bien différente de celle d’employés ordinaires ayant une divergence d’opinions avec leur employeur. Dans les affaires touchant les conditions d’emploi des employés qu’ils représentent, les dirigeants syndicaux doivent pouvoir franchement et ouvertement contester les décisions de l’employeur et avoir une certaine protection contre les représailles quand ils le font.

[31]   Le raisonnement fondamental à ce sujet a été exposé dans Re Firestone Steel Products of Canada and U.A.W., Local 27 (1975), 8 L.A.C. (2d) 164 (Brandt), aux pp. 167-68 :

[Traduction]

[…]

Pour évaluer si une conduite est, ou non, un acte d’insubordination, la norme de conduite à laquelle l’entreprise est en droit de s’attendre devrait être différente quand elle est appliquée aux actes de membres de comité syndical qui s’acquittent légitimement de leurs fonctions […] en cherchant à régler des griefs entre les employés et le personnel de la société, un membre d’un comité syndical est toujours à la limite de l’insubordination. Son rôle consiste à contester des décisions de la société et à en débattre; si, en jouant ce rôle, il s’expose à la menace d’une mesure disciplinaire pour insubordination, sa capacité à jouer ce rôle sera considérablement compromise.

[…]

[32]   Dans Burns Meats Ltd. v. Canadian Food & Allied Workers, Local P139 (1980), 26 L.A.C. (2d) 379 (Picher), qui se rapportait à des déclarations faites dans un communiqué syndical par la partie s’estimant lésée, le conseil a commenté :

[Traduction]

[…]

Bien que, de manière générale, une entreprise puisse être en droit de s’attendre à un degré de fidélité et de respect des employés dans les déclarations qu’ils font après les heures de travail, il est clair qu’un employeur ne peut obliger les employés à une norme de loyauté absolue, notamment lorsque des questions syndicales sont en cause. Il serait irréaliste de ne pas s’attendre que, dans une allocution ou un communiqué, un délégué syndical exprime parfois un profond désaccord avec l’entreprise et ses cadres et qu’il le fasse en des termes saisissants et peu flatteurs. Étant au premier plan des rencontres avec les cadres, le délégué syndical devient particulièrement vulnérable en matière de discipline.

[…]

[33]   Dans Canada Post Corp. v. C.U.P.W. (Van Donk) (1990), 12 L.A.C. (4th) 336 (Burkett), l’arbitre a cité un certain nombre de décisions de commission des relations de travail reconnaissant que la communication avec le public et les médias est souvent un aspect du processus de négociation collective et qu’une protection doit être assurée aux dirigeants syndicaux parlant dans ce contexte ainsi qu’à la table des négociations. L’arbitre a déclaré, à la page 344 :

[Traduction]

[…]

Pour que les délégués syndicaux aient la liberté de s’acquitter de leurs responsabilités dans un système de négociation collective antagoniste, ils ne doivent pas être enfermés dans un mutisme d’autosatisfaction tranquille par la menace de sanctions disciplinaires de l’employeur. À notre avis, les principes élaborés par les décisions arbitrales que nous avons examinées précédemment et qui ont été examinées par la Cour dans [Linn v. United Plant Guard Workers (1966), 383 U.S. 53]   révèlent la norme à appliquer. Les déclarations des délégués syndicaux doivent être protégées, mais cette protection ne s’étend pas aux déclarations qui sont malveillantes en ce sens qu’il s’agit de faussetés dites sciemment ou avec insouciance. Le privilège dont doivent bénéficier les déclarations faites par les délégués syndicaux dans l’exercice de leurs fonctions ne constitue pas une permission absolue ou une immunité contre les sanctions disciplinaires dans tous les cas.

[…]

[34]   Cette norme a également été adoptée par l’arbitre, après un examen attentif d’un certain nombre de cas, dans National Steel Car Ltd. v. U.S.W.A., Local 7135 (Ryerson) (2001), 101 L.A.C. (4th) 316 (Shime), à la page 330 :

[Traduction]

[…]

Après avoir examiné les décisions antérieures et après avoir pris en considération le rôle difficile des représentants syndicaux, qui sont aussi des employés, dans la représentation des intérêts des membres du syndicat, je suis d’avis qu’une latitude considérable doit être donnée aux employés/représentants syndicaux qui s’acquittent de responsabilités syndicales appropriées. Ces employés/représentants syndicaux sont en droit d’être à l’abri de sanctions disciplinaires et de bénéficier d’une dispense à l’égard de leurs actes et de leur comportement, et la protection peut aller de l’immunité dans certains cas jusqu’au fait d’exiger, dans d’autres cas, qu’un employeur prouve de façon stricte que l’employé/le représentant syndical a agi de manière malveillante ou insouciante.

De plus, une certaine distinction doit être établie entre les allocutions et les comportements internes et externes. Ainsi, lorsque l’employé/le représentant syndical, agissant dans le cadre de ses pouvoirs comme délégué syndical, prononce une allocution abusive lors d’une réunion à huis clos, il ou elle peut bénéficier de l’immunité contre les sanctions disciplinaires. Toutefois, les allocutions ou déclarations externes faites à des tiers, comme la presse, par un délégué syndical, peuvent donner lieu à une mesure disciplinaire seulement si l’allocution ou la déclaration dénote de la malveillance ou de l’insouciance

[…]

L’arbitre a poursuivi en signalant qu’un représentant syndical devrait également agir de bonne foi quand il s’acquitte de responsabilités syndicales.

[35]   L’avocate du fonctionnaire s’estimant lésé/plaignant m’a aussi renvoyé aux décisions rendues dans Nicole Fugère v. Québecair/Air Québec (1987), 77 di 44, 88 CLLC 16,035 (C.C.R.T.), et dans Cassellholme, Home for the Aged v. C.U.P.E., Local 146 (Campbell) (2004), 128 L.A.C. (4th) 425 (Carrier), soit une affaire dans laquelle cette norme basée sur la malveillance, l’insouciance et la mauvaise foi est également examinée.

[36]   L’avocate m’exhortait à rejeter la distinction de l’avocat de l’employeur entre les représentants élus et les membres du personnel à temps plein employés par l’agent négociateur. Elle a affirmé que, comme l’indiquent les cas mentionnés précédemment, les représentants qui sont des employés risquent d’être l’objet de sanctions disciplinaires des employeurs pour des déclarations faites en s’acquittant de leurs responsabilités de représentant. Le devoir de fidélité, envers l’employeur, d’un employé qui est aussi un représentant de l’agent négociateur doit donc être comparé par rapport à la responsabilité de représenter les autres employés, et la norme décrite dans ces cas est la manière appropriée d’évaluer cette comparaison.

[37]   L’avocate contestait également l’assertion faite pour l’employeur et selon laquelle la conduite de M. Shaw ne pouvait être considérée comme entrant dans le cadre de ses responsabilités en tant que représentant. L’agent négociateur se prononçait systématiquement depuis quelques années contre la sous-traitance de travaux préalablement accomplis par ses membres. Certes, l’une des principales préoccupations de l’agent négociateur était la perte de postes, mais il a formulé de nombreuses observations au sujet des répercussions négatives de la sous-traitance sur la qualité des services fournis. Bien que les membres de l’agent négociateur aient essayé de maintenir un niveau acceptable de service à la clientèle dans le cadre de nouvelles relations avec les entrepreneurs externes, ils trouvaient que l’introduction du système d’AP les entravait dans leur capacité à veiller à ce qu’un service de qualité puisse être offert. Les représentants tels M. Shaw considéraient qu’une critique soutenue à l’égard de la façon dont le processus d’AP fonctionnait était un élément important d’une stratégie visant à protéger les intérêts des employés qu’ils représentaient.

[38]   L’avocate arguait en outre que la décision d’imposer une sanction disciplinaire à M. Shaw était préjudiciable, non seulement au fonctionnaire s’estimant lésé, mais aussi à l’agent négociateur, et elle demandait une déclaration selon laquelle la décision constituait une pratique déloyale de travail au sens de l’article 190 de la Loi. L’imposition d’une mesure disciplinaire à un représentant de l’agent négociateur qui exerce des activités légitimement liées à la représentation d’employés constitue une ingérence dans la représentation de ces employés et peut empêcher ces représentants d’agir avec autant de détermination qu’ils le devraient.

Motifs

[39]   La question fondamentale dans l’affaire de discipline est de savoir si la conduite de M. Shaw à la réunion du 28 janvier 2005 était un manquement à ses obligations envers son employeur ou si son statut de représentant de l’agent négociateur modifiait ces obligations à tel point qu’il devrait être protégé contre les mesures disciplinaires dans ces circonstances. Les deux parties reconnaissent que les représentants de l’agent négociateur ont une certaine latitude à cet égard, mais elles ne sont pas d’accord sur l’étendue de cette latitude et sur les conséquences de celle-ci pour cette suite particulière d’événements.

[40]   Les avocats des parties ont produit un certain nombre de décisions dans lesquelles des critères ont été examinés pour l’évaluation de la conduite d’employés qui critiquent ouvertement ce que leur employeur décide ou ce qu’il adopte comme politique. L’avocat de l’employeur a argué que les plus impérieuses des décisions produites sont celles qui soulignent le devoir de loyauté d’un employé envers un employeur et qui limitent d’une manière stricte les circonstances dans lesquelles un employé sera autorisé à critiquer ouvertement ce que décide l’employeur. L’avocate du fonctionnaire s’estimant lésé, d’autre part, affirmait que je devrais être davantage influencé par les décisions produites qui font état d’une protection plus généreuse à l’égard des déclarations d’un représentant de l’agent négociateur. J’ai conclu que la norme qu’il convient d’appliquer correspond à la série de décisions produites par l’avocate du fonctionnaire s’estimant lésé et indiquant que les représentants ne devraient pas être l’objet de sanctions disciplinaires, à moins d’avoir été malveillants dans leurs affirmations ou d’avoir fait de fausses déclarations sciemment ou de façon insouciante.

[41]   La valeur de cette norme est qu’elle rend possible la prise en compte des réalités des relations de négociation collective. Il est fondamental pour une telle relation que les personnes qui parlent pour l’agent négociateur choisi par les employés pour les représenter puissent soulever des questions sur des décisions de l’employeur touchant les conditions de travail de ces employés et qu’elles puissent contester la sagesse ou la légitimité de ces décisions. La responsabilité d’un délégué syndical de représenter les employés avec détermination et franchise peut être difficilement conciliable avec le devoir d’obéissance et de fidélité du délégué ainsi que des autres employés envers l’employeur. Il faut donc énoncer une norme de conduite qui n’expose pas injustement le délégué à des mesures disciplinaires pour avoir parfois fait passer ses devoirs envers les employés qu’il représente avant la déférence due à l’employeur. Par ailleurs, cette norme indique nettement qu’aucun représentant n’est à l’abri des conséquences disciplinaires de déclarations fausses ou malveillantes.

[42]   À cet égard, je dois rejeter deux des distinctions de l’avocat de l’employeur. La première de ces distinctions est celle entre les représentants élus au niveau local, comme M. Shaw, et les membres du personnel employés à temps plein par l’agent négociateur. M. Bieniasiewicz a argué que, bien que les membres du personnel à temps plein puissent être davantage libres de critiquer leur employeur, les employés qui sont également des représentants de l’agent négociateur sont toujours limités par leur devoir de fidélité et de déférence envers leur employeur. Je suis d’avis que cette distinction n’est pas fondée. Les personnes élues au niveau local pour servir à titre bénévole sont tout autant des représentants que les personnes employées à temps plein comme membres du personnel. D’ailleurs, la tension précédemment décrite entre le devoir de déférence envers un employeur et la responsabilité de représenter les employés avec détermination est vécue presque exclusivement par les représentants élus, de sorte que le raisonnement que j’ai exposé pour ce qui est d’assurer une protection n’a de sens qu’à l’égard de ce type de représentant.

[43]   L’autre distinction de l’avocat de l’employeur est celle entre l’activité de l’agent négociateur en un sens étroit, soit principalement la négociation de conventions collectives et le traitement de griefs, et le genre de conduite qui est en cause ici, c’est-à-dire des critiques à l’égard de l’employeur faites à un auditoire public par un représentant de l’agent négociateur. Là encore, cette distinction me semble discutable. La négociation collective est un processus dans lequel chacune des parties cherche à faire pression sur l’autre pour la convaincre de changer ou non les conditions d’emploi des membres de l’unité de négociation. Quoique la table des négociations et les réunions syndicales-patronales de divers types soient les principaux moyens de la négociation collective, il est reconnu que les deux parties peuvent recourir à d’autres stratégies en vue d’influencer le cours de la négociation. Dans Canada Post, bien que l’arbitre ait émis des réserves à propos de l’efficacité de la stratégie de faire appel à un plus vaste auditoire, il a conclu que c’était une composante fréquente de la négociation collective, aux pages 345-346 :

[Traduction]

[…]

Les questions de relations de travail sont bien souvent mieux traitées directement par les parties. Exposer de telles questions sur la place publique entrave souvent un règlement, car cela encourage la roublardise, et la situation s’échauffe. Cependant, lorsque les parties adoptent des positions intransigeantes pouvant avoir une incidence sur l’intérêt public, elles peuvent chercher à faire valoir leurs positions respectives par des pressions publiques. Cette facette des relations de travail, notamment à l’égard des industries de service, est reconnue dans la jurisprudence citée dans la présente décision. Il est reconnu que les représentants syndicaux peuvent décider de rendre publiques de telles questions. Il est toutefois précisé que, une fois prise une telle décision, les déclarations publiques ne doivent pas traduire de la malveillance ou être de fausses déclarations faites sciemment ou avec insouciance.

[…]

[44]   La preuve a montré que les questions exposées par M. Shaw dans les propos qu’il a tenus lors de la réunion du 28 janvier 2005 faisaient partie d’un échange suivi entre le SEIC et cet employeur portant sur la sous-traitance de travaux de l’unité de négociation et sur les défauts allégués quant au processus d’AP. Des questions comme la perte de postes, les changements apportés aux affectations et aux rapports hiérarchiques, les relations avec les clients et la qualité des services offerts étaient toutes des questions qui avaient nettement trait aux conditions d’emploi des employés de l’unité de négociation et qui entraient donc dans le cadre de la relation de négociation collective.

[45]   Bien que l’employeur ait considéré comme généralement contestables le ton et la teneur des propos de M. Shaw, la décision d’imposer une sanction disciplinaire se fondait sur plusieurs remarques particulières : la mention de « tricheries de la part de cadres moyens ou supérieurs », le fait que l’employeur était assimilé à des « salauds », l’allusion à des entrepreneurs « profitant des chômeurs » et la déclaration selon laquelle les employés travaillaient « dans un climat de peur et d’intimidation ». Dans le cas de la première de ces déclarations, M. Shaw a signalé que ce qu’il avait affirmé en fait était que ce n’était pas une simple question de « tricheries de la part de cadres moyens ou supérieurs ». Il a déclaré que ce qu’il voulait dire était que la situation existante était attribuable non pas à la direction du ministère mais plutôt à un ensemble plus fondamental et plus idéologique de choix du gouvernement, ce qui, de l’avis de l’agent négociateur, avait donné lieu à une baisse de la qualité des programmes offerts.

[46]   Au sujet de l’utilisation du terme « salauds », M. Shaw a déclaré qu’il ne pensait pas à son propre employeur quand il a utilisé ce terme, mais qu’il l’utilisait pour souligner l’ironie de son lien apparent avec le gouvernement qu’il décrivait en termes si peu flatteurs. Quand il a affirmé que les entrepreneurs fonctionnaient « en profitant des chômeurs », il n’attaquait pas un entrepreneur en particulier, mais exprimait une opinion souvent émise par le SEIC : la sous-traitance de services en matière d’emploi ouvrait la voie à la fourniture de services par des entrepreneurs privés dont la motivation était la recherche du profit, et ce profit viendrait de l’argent versé par les employés à l’égard de ces services au moyen de leurs cotisations à l’assurance-emploi. Enfin, il a dit qu’il considérait que les employés qu’il représentait vivaient dans une atmosphère de peur et d’intimidation; il ne pensait pas que ces mots étaient trop forts pour décrire l’anxiété des employés attribuable à la pression liée à l’examen de leur travail par les comités d’examen régionaux et aux nouveaux critères en fonction desquels ils étaient tenus d’évaluer les propositions de prestation de services présentées par des entrepreneurs.

[47]   Bien que les observations formulées par M. Shaw aient été communiquées à M. Wojick – ainsi qu’à moi-même – sous la forme d’une transcription écrite, les remarques elles-mêmes ont été faites d’une manière improvisée, et M. Shaw ne parlait pas à partir d’un document écrit. Dans l’ensemble, les observations présentent bon nombre des caractéristiques de déclarations non officielles : les mentions ou allusions ne sont pas toutes claires, le conférencier présume que l’auditoire connaît les choses dont il parle, et l’accent sur la question particulière en cause n’est pas toujours cohérent. Il ne faut pas oublier, de toute manière, que c’est à l’employeur qu’il incombe de montrer que la conduite de M. Shaw débordait le cadre de la latitude accordée à l’égard d’une représentation vigoureuse, latitude qui est basée sur la reconnaissance du fait que le niveau de déférence auquel on s’attend normalement des employés peut ne pas cadrer avec le rôle du représentant de l’agent négociateur. Dans Scruby c. Staub (Emploi et Immigration Canada) (1987), dossier de la Commission no 161-2-420, la Commission a commenté :

[…]

Sans aucun doute, il existe des limites à l’immunité dont bénéficient les représentants syndicaux, dans l’exercice de leurs fonctions. Toutefois, je n’ai rien vu qui laisse entendre que celui qui parle sur un ton irrespectueux ou blessant dépasse ces limites.

[…]

Voir aussi Prante c. Staines (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel) (1987), dossiers de la CRTFP 161-2-388 à 393. Dans Scruby, tout comme dans Burns Meats et Canada Post, la limite fixée concerne les affirmations malveillantes et les fausses déclarations faites sciemment ou avec insouciance.

[48]   Il est indubitable que les remarques de M. Shaw étaient susceptibles d’être pénibles et blessantes pour M. Wojick et d’autres gestionnaires. Il n’y a aucune raison de supposer que M. Wojick et ses collègues sont moins préoccupés que M. Shaw et d’autres employés de la qualité des services en matière d’emploi assurés au public par l’unité ou qu’ils sont moins préoccupés des difficultés causées par le passage au nouveau système d’AP. L’employeur n’a toutefois pas prouvé selon la prépondérance des probabilités que les déclarations de M. Shaw étaient malveillantes ou étaient de fausses déclarations faites sciemment ou avec insouciance, et je conclus donc que l’imposition d’une sanction disciplinaire n’était pas justifiée.

[49]   L’avocate de M. Shaw a demandé en outre une déclaration qui indique que l’employeur, en imposant une mesure disciplinaire à M. Shaw, s’est livré à une pratique déloyale de travail et a enfreint la Loi. Les articles pertinents de la loi se lisent comme suit :

185. Dans la présente section, « pratiques déloyales » s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

186. (1) Il est interdit à l’employeur et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, qu’il agisse ou non pour le compte de l’employeur :

a) de participer à la formation ou à l’administration d’une organisation syndicale ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des fonctionnaires par celle-ci;

[…]

(2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, que ce dernier agisse ou non pour le compte de l’employeur :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

[…]

(iv) elle a exercé tout droit prévu par la présente partie ou la partie 2;

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

191. (3) La présentation par écrit, au titre du paragraphe 191(1), de toute plainte faisant état d’une contravention, par l’employeur ou la personne agissant pour son compte, du paragraphe 186(2), constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

[50]   Comme je l’ai mentionné précédemment, le raisonnement à l’appui de la protection des représentants de l’agent négociateur contre les mesures disciplinaires pour des déclarations critiquant l’employeur, sauf celles qui sont malveillantes ou fausses, est que de tels représentants doivent pouvoir exercer le jugement nécessaire pour s’abstenir de faire preuve du degré ordinaire de déférence envers l’employeur afin de s’acquitter d’une responsabilité de représenter les employés avec vigueur et franchise. Le but exprimé dans les dispositions législatives que j’ai citées ici est analogue. Une mesure disciplinaire faisant des distinctions à l’égard d’une personne parce qu’elle a exercé des droits prévus par la Loi constitue une intervention dans la représentation syndicale. Non seulement de telles mesures font qu’il est difficile pour les représentants de s’acquitter de leurs fonctions de représentation et leur imposent un prix personnel à payer qui peut les empêcher de contester l’employeur, mais elles envoient comme message aux autres employés qu’il est risqué d’exercer les droits que leur confère la Loi. Par conséquent, on s’attend des employeurs qu’ils ne prennent pas de décisions disciplinaires qui contreviennent aux dispositions susmentionnées.

[51]   L’argument de l’employeur en l’espèce était destiné à montrer que la conduite de M. Shaw n’entrait pas dans la catégorie des activités liées à la négociation collective. J’ai conclu que cet argument devait être rejeté et que M. Shaw exerçait ses droits selon la Loi quand il a prononcé son discours. Bien que je reconnaisse que M. Wojick et ses collègues pensaient sincèrement que la conduite de M. Shaw débordait le cadre de ses responsabilités comme représentant de l’agent négociateur et qu’ils ont évalué sa conduite en conséquence, ce n’est pas en soi une manière de s’acquitter de la charge de prouver qu’il n’y a pas eu de manquement à l’obligation de satisfaire aux exigences de la loi. En définissant unilatéralement les actes de M. Shaw comme ne constituant pas une activité syndicale, l’employeur n’a pas tenu compte pleinement du caractère délicat de la position de M. Shaw et des conséquences de l’imposition d’une mesure disciplinaire dans ces circonstances. Je conclus donc que l’employeur s’est bel et bien livré à une pratique déloyale de travail en suspendant M. Shaw.

[52]   Il est à noter que l’avocat de l’employeur insistait beaucoup dans son argumentation sur l’infraction disciplinaire de M. Shaw et qu’il n’a guère traité de ce qu’impliquait la mesure disciplinaire relativement à la plainte de pratique déloyale déposée en vertu de l’article 190 de la Loi. En particulier, l’avocat n’a invoqué aucun argument selon lequel les trois personnes nommées dans la plainte – M. Wojick, Mme Robillard et M. Wouters – ne devraient pas être considérées comme s’étant livrées à une pratique déloyale si la plainte contre le ministère était accueillie. Bien que l’avocate du fonctionnaire s’estimant lésé n’ait pas donné de détails sur une conduite de ces personnes pouvant constituer une violation de la Loi – sauf pour ce qui est de leur lien avec les niveaux de gestion au ministère, étant donné leurs postes respectifs –, il ne faut pas oublier que le paragraphe 191(3) fait de la plainte écrite une preuve, en soi, de la violation alléguée et impose à l’employeur, en l’espèce, le fardeau de réfuter l’allégation. Par conséquent, je considère n’avoir aucun autre choix que d’accueillir la plainte contre les trois personnes.

[53]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[54]   Le grief de M. Shaw, à l’égard de la suspension pendant dix jours, est accueilli.

[55]   Il est ordonné à l’employeur d’indemniser M. Shaw à hauteur du montant que représentent le salaire et les avantages qu’il a perdus à cause de la suspension.

[56]   Il est fait droit à la plainte selon laquelle Stan Wojick, Lucienne Robillard et Wayne Wouters se sont livrés à une pratique déloyale de travail, à l’encontre de l’alinéa 190(1)g) de la Loi.

Le 10 novembre 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Beth Bilson,
arbitre de grief et commissaire

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