Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a engagé des frais à l’égard de la garde de ses deux fils lors d’un voyage d’affaires - son épouse était aussi en voyage d’affaires - elle ne travaillait pas dans la fonction publique - l’employeur a rejeté la demande de remboursement de frais de garde de personnes à charge présentée par le fonctionnaire s’estimant lésé - l’arbitre de grief a conclu que, dans les circonstances, le fonctionnaire s’estimant lésé était le seul fournisseur de soins pour ses enfants à l’époque du voyage et qu’il était en droit d’être remboursé des frais de garde de personnes à charge qu’il avait engagés en raison du voyage d’affaires. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-12-14
  • Dossier:  166-02-36367
  • Référence:  2006 CRTFP 136

Devant un arbitre de grief



ENTRE

SOHAIL ALFRED UMAR-KHITAB

fonctionnaire s’estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère du Développement social)

employeur

Répertorié
Umar-Khitab c. Conseil du Trésor (ministère du Développement social)

Affaire concernant un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

 

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Barry D. Done, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé :  Dan Rafferty, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l’employeur :  Andrew Unger, Secrétariat du Conseil du Trésor


Affaire entendue à Kingston (Ontario),
le 25 octobre 2006.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

I.   Grief renvoyé à l’arbitrage

[1]   Le fonctionnaire s’estimant lésé, Sohail Alfred Umar-Khitab, travaille comme spécialiste en micro-informatique pour le ministère du Développement social, à Kingston (Ontario). Il occupe un poste de CS-01 (groupe et niveau). La convention collective applicable aux faits de l’espèce est celle signée par le Conseil du Trésor et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada le 3 juin 2003, pour l’unité de négociation du groupe Systèmes d’ordinateurs.

[2]   Le 5 août 2004, le Dr Umar-Khitab, a déposé le grief suivant :

[Traduction]

[…]

Voici un grief présenté au Conseil national mixte (Directive sur les voyages, paragr. 3.3.5 – Garde des personnes à charge)

Je conteste le refus de l’employeur de me rembourser des frais de garde d’enfants d’un montant de 240 $ engagés en raison de mon voyage en service commandé du 6 au 8 juillet 2004. Pendant cette période, ma femme était en mission à l’étranger.

[…]

Je dois être remboursé de mes frais de garde d’enfants d’un montant de 240 $.

[…]

[3]   La Directive sur les voyages à laquelle fait référence le grief est un accord du Conseil national mixte (CNM) incorporé dans la convention collective conformément à la clause 34.03 de la convention collective, laquelle clause se lit comme suit :

34.03  Les directives, politiques ou règlements suivants, qui peuvent être modifiés à la suite d’une recommandation du Conseil national mixte et qui ont été approuvés par le Conseil du Trésor du Canada, font partie de la présente convention collective :

[…]

 (2)  Directives sur les voyages du gouvernement et charges des logements

[…]

[4]   Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l’arbitrage de grief doit être décidé conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »).

II.   Résumé de la preuve

[5]   Les parties ont présenté un « exposé conjoint des faits », soit le document suivant en date du 25 octobre 2006 (pièce 1) :

[Traduction]

Exposé conjoint des faits

    Dr Sohail Umar-Khitab (dossier de la CRTFP 166-02-36367)

  1. Le fonctionnaire s’estimant lésé, Dr Umar-Khitab, travaillait pendant toute la période pertinente comme administrateur d’informatique CS-01 pour Développement social Canada (maintenant Service Canada) à Kingston (Ontario).

  2. Le fonctionnaire s’estimant lésé est couvert par la convention collective de Systèmes d’ordinateurs (date d’expiration : 21 décembre 2004).

  3. Son épouse a été employée à contrat par une école Montessori à Kingston jusqu’à la fin de l’année scolaire 2003-2004.

  4. Durant l’été 2004, Mme Umar-Khitab a été tenue d’aller au Pakistan à une conférence liée à son travail pour laquelle elle a été une présentatrice ainsi qu’une coordonnatrice et qui avait été prévue depuis janvier 2004.

  5. Les Umar-Khitab ont deux fils, qui étaient âgés de treize (13) et neuf (9) ans respectivement à l’été 2004. Ils habitaient à temps plein avec le fonctionnaire s’estimant lésé et son épouse.

  6. Le fonctionnaire s’estimant lésé, pendant l’absence de son épouse, était responsable de la garde de ses deux fils. Il a pu demander à ses parents de s’occuper des enfants pendant la plus grande partie de cette période tandis qu’il était au travail.

  7. Le fonctionnaire s’estimant lésé a été tenu de faire un voyage en service commandé du 6 au 8 juillet 2004. Ses parents n’étaient pas disponibles pour s’occuper de ses fils pendant ces journées-là.

  8. Durant son absence, il a pu mettre ses fils dans une garderie exploitée par l’épouse d’un cousin. Le coût a été de 40 $ par jour par enfant, soit au total 240 $ pour les trois jours.

  9. Une fois revenu de son voyage en service commandé, le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté une demande de remboursement de frais de 240 $, accompagnée d’un reçu.

  10. La demande d’indemnité a été rejetée, au motif que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas été considéré comme « seul fournisseur de soins » aux fins du paragraphe 3.3.5 de la Directive sur les voyages, lequel paragraphe se lit comme suit :

    Un fonctionnaire tenu d’effectuer un voyage en service commandé doit toucher le remboursement pour les dépenses réelles et raisonnables engagées pour la garde des personnes à charge. À cet effet, une indemnité quotidienne jusqu’à concurrence de 35 $CAN par ménage est remboursable si une déclaration est fournie et si un reçu est fourni, l’indemnité quotidienne est remboursable jusqu’à concurrence de 75 $CAN par ménage. Le fonctionnaire a droit à ces indemnités si :

    a) le fonctionnaire est le seul fournisseur de soins d’une personne à charge âgée de moins de 18 ans ou ayant une déficience physique ou intellectuelle; ou

    b) les deux fonctionnaires vivant sous le même toit sont les seuls fournisseurs de soins d’une personne à charge âgée de moins de 18 ans ou ayant une déficience physique ou intellectuelle et doivent effectuer un voyage en service commandé pendant la même période.

    L’indemnité de garde des personnes à charge s’applique uniquement aux dépenses encourues en raison d’un voyage et qui sont des dépenses additionnelles encourues par le fonctionnaire quand il ne voyage pas.

  11. Les parties se réservent le droit de produire une preuve supplémentaire, orale ou documentaire, selon les besoins.

[…]

[6]   Sharon Tuckey a été appelée comme témoin par l’employeur. Mme Tuckey est l’analyste principale de programmes et de politiques de voyage au Conseil du Trésor depuis le 4 mai 1998. Elle est notamment chargée de répondre aux demandes de renseignements concernant l’esprit de la Directive sur les voyages (pièce 2), d’interpréter cette directive et d’en négocier les dispositions en tant que membre du Comité des voyages du CNM.

[7]   Mme Tuckey a expliqué que la Directive sur les voyages est entrée en vigueur le 1er octobre 2002 et s’appliquait encore en juillet 2004. Ce document fait partie de la convention collective. Mme Tuckey a commenté brièvement deux des six principes qui aident les gestionnaires à établir des pratiques de voyage justes, raisonnables et modernes dans toute la fonction publique. Ces deux principes sont la souplesse et la valorisation des gens.

[8]   Mme Tuckey a ensuite formulé des observations sur le paragraphe 3.3.5, « Garde des personnes à charge », de la Directive sur les voyages. Il s’agissait d’une nouvelle clause remplaçant la disposition en matière de garde d’enfants de parents uniques qui était prévue dans la précédente directive. Le libellé du paragraphe 3.3.5 est conforme aux principes de justice et de valorisation des gens. D’après Mme Tuckey, l’expression « seul fournisseur de soins » figurant dans le paragraphe 3.3.5 désigne [traduction] « le seul adulte qui dans un ménage est financièrement et mentalement capable de s’occuper d’une personne à charge ». L’expression « seul fournisseur de soins » a remplacé le terme « parent » figurant dans la précédente directive, de manière à inclure d’autres situations. Si un conjoint est absent, l’autre ne devient pas seul fournisseur de soins aux fins de la Directive sur les voyages.

[9]   Mme Tuckey a expliqué que l’esprit du paragraphe 3.3.5 de la Directive sur les voyages est de couvrir financièrement les frais du « seul fournisseur de soins » quand il y a seulement un revenu dans le ménage et que ce fournisseur de soins engage déjà les frais de garderie et doit prendre en charge les frais supplémentaires relatifs à la garde de nuit.

[10]   On a demandé à Mme Tuckey quelle était la différence entre la situation factuelle du Dr Umar-Khitab et celle d’une personne divorcée ou ayant perdu son conjoint, étant donné que le coût serait le même dans les deux cas. Elle a répondu que, dans le cas du fonctionnaire s’estimant lésé, il y avait deux adultes ainsi que deux revenus et que l’autre conjoint bénéficiait peut-être d’une couverture à l’égard de cette situation — le cumul était une préoccupation. La différence dans le cas du fonctionnaire s’estimant lésé était qu’il y avait deux revenus.

[11]   Mme Tuckey a conclu son témoignage en déclarant que, de toute manière, la Directive sur les voyages assure un filet de sécurité pour les frais non couverts par ailleurs, par l’inclusion d’une indemnité accessoire de 17,30 $ par jour.

III.   Résumé de l’argumentation

A.   Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[12]   Le fonctionnaire s’estimant lésé soutenait que, par son grief, il demande un remboursement d’un montant total de 240 $ pour trois jours (6 au 8 juillet 2004). Il reconnaissait que l’indemnité maximale pour trois jours était de 225 $. Toutefois, il faisait remarquer que la question tenait au droit à un remboursement et non au montant précis du remboursement.

[13]   La disposition applicable de la Directive sur les voyages est le paragraphe 3.3.5. Les parties conviennent que les enfants du Dr Umar-Khitab entrent dans la définition de « personne à charge » figurant dans la Directive sur les voyages (« Exposé conjoint des faits », au point 5) :

[Traduction]

  1. Les Umar-Khitab ont deux fils, qui étaient âgés de treize (13) et neuf (9) ans respectivement à l’été 2004. Ils habitaient à temps plein avec le fonctionnaire s’estimant lésé et son épouse.

[14]   L’expression « seul fournisseur de soins » n’est pas définie dans la Directive sur les voyages, et aucune autre définition de cette expression n’est incorporée par renvoi. Sa signification doit alors être interprétée selon le contexte et les circonstances. Le préambule de la Directive sur les voyages ainsi que les principes énoncés dans ladite directive donnent le ton de ce document : respect, justice, équité et caractère raisonnable concernant les besoins individuels des fonctionnaires. En outre, la section « Objet et portée » de la Directive sur les voyages indique que cette dernière vise à garantir un traitement juste.

[15]   L’intention et l’esprit qui sous-tendent la Directive sur les voyages se trouvent dans les principes de celle-ci de même que dans la section « Objet et portée ».

[16]   Il y a une caractéristique commune dans les réponses données à chaque palier de la procédure de règlement des griefs : la Directive sur les voyages ne s’applique pas au fonctionnaire s’estimant lésé dont la conjointe s’est absentée pendant l’été, parce qu’il n’est pas un parent unique. Le critère du parent unique est contestable, car il fait fi des principes, de l’objet et de l’intention qui sous-tendent la Directive sur les voyages. La clause 33.01 de la convention collective dit que les griefs résultant de l’interprétation ou de l’application d’une entente conclue par le CNM seront traités conformément à l’article 14.0 du Règlement du CNM. Le paragraphe 14.1.2 de ce règlement stipule que les griefs « […] sont tranchés en conformité avec l’esprit de la directive ou de la politique ayant donné lieu au litige ». Il n’y a aucune raison de déterminer qu’une personne mariée dont le conjoint n’est pas disponible est moins digne d’un remboursement qu’un parent unique.

[17]   La Directive sur les voyages n’étaye aucune des réponses données dans la procédure de règlement des griefs. Il n’y a aucune explication sur la question de savoir comment l’employeur est passé du concept de « seul fournisseur de soins » à celui de parent unique. Le sens de l’expression « seul fournisseur de soins » ne peut être déterminé qu’en examinant les circonstances individuelles. Dans la situation du fonctionnaire s’estimant lésé, l’épouse de ce dernier était à l’étranger, et le fonctionnaire pouvait ainsi être assimilé à un parent unique pendant cette période. Comme il a dû faire garder ses enfants à charge pendant trois jours tandis qu’il effectuait un voyage en service commandé, pourquoi ne devrait-il pas être remboursé?

[18]   Le fonctionnaire s’estimant lésé arguait qu’aucune décision arbitrale n’a traité du concept de « seul fournisseur de soins » depuis l’entrée en vigueur de la Directive sur les voyages en octobre 2002. Cependant, il a invoqué trois décisions du CNM sur ce nouveau libellé, dont une accueillant un grief sur le fondement d’une séparation géographique involontaire.

B.   Pour l’employeur

[19]   L’employeur a reconnu que les dispositions en matière de garde des personnes à charge de la Directive sur les voyages doivent être interprétées selon l’esprit et l’objet de ladite directive, mais il a ajouté que chaque disposition comporte son propre esprit. Les dispositions du paragraphe 3.3.5 consistent à veiller à ce que le « seul fournisseur de soins » ne se heurte pas aux obstacles financiers aux possibilités de carrière et à l’avancement que n’ont pas les autres fonctionnaires. Le paragraphe 3.3.5 est conçu pour les familles/ménages à revenu unique où un fournisseur de soins doit effectuer un déplacement.

[20]   Les dispositions du paragraphe 3.3.5 de la Directive sur les voyages sont très restrictives et s’appliquent dans des circonstances limitées. Bien que l’alinéa 3.3.5b) ne s’applique pas en l’espèce, il fournit un contexte pour l’interprétation :

b)  les deux fonctionnaires vivant sous le même toit sont les seuls fournisseurs de soins d’une personne à charge âgée de moins de 18 ans ou ayant une déficience physique ou intellectuelle et doivent effectuer un voyage en service commandé pendant la même période.

Ce scénario s’applique seulement lorsque des conjoints qui sont tous les deux des fonctionnaires doivent effectuer un voyage en même temps. Il ne s’applique pas quand un conjoint n’est pas disponible pour des raisons autres qu’un voyage.

[21]   Le fonctionnaire s’estimant lésé demande le remboursement de 40 $ par enfant par jour tandis que ses enfants étaient en garderie. Une garderie est nécessaire pendant le jour. Si le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas été tenu d’effectuer un voyage, il aurait normalement engagé ces frais tandis qu’il était au travail. À cet égard, la dernière phrase du paragraphe 3.3.5 de la Directive sur les voyages s’applique à sa situation :

L’indemnité de garde des personnes à charge s’applique uniquement aux dépenses encourues en raison d’un voyage et qui sont des dépenses additionnelles encourues par le fonctionnaire quand il ne voyage pas.

Comme le fonctionnaire s’estimant lésé aurait engagé de toute manière une partie de ces frais, cette partie ne correspond pas à la portée du paragraphe 3.3.5. L’employeur soutenait que la seule décision du CNM accueillant un grief sur le fondement de la signification de « seul fournisseur de soins » peut être nettement distinguée des faits relatifs au fonctionnaire s’estimant lésé. Dans ce cas, les deux conjoints vivaient séparément, engageant ainsi des frais en double. Dans la présente espèce, aucune preuve n’indique que l’épouse du fonctionnaire s’estimant lésé ait établi sa propre résidence ou payé des pièces d’habitation distinctes. Il n’y a pas de preuve non plus qu’elle ait acquis un intérêt financier dans un immeuble au Pakistan, ce qui est exigé par la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), dans sa forme modifiée. L’employeur arguait que les circonstances du fonctionnaire s’estimant lésé n’entraient pas dans la définition élargie de « seul fournisseur de soins » figurant dans le communiqué du CNM en date du 2 août 2006 sur les frais de garde de personnes à charge :

[…]

Aux fins d’établir l’objet des dispositions relatives à la « garde des personnes à charge », le Comité exécutif convient que, à court terme, l’expression « seul fournisseur de soins » peut s’entendre également des personnes qui sont involontairement séparées au sens où les mots « séparation involontaire » sont définis par l’Agence du revenu du Canada (impôt sur le revenu) :

Définition – séparation involontaire :

« Même si vous avez indiqué dans votre déclaration que votre état civil était marié ou conjoint de fait, vous et votre conjoint avez peut-être occupé des résidences principales distinctes pendant la totalité ou une partie de l’année pour des raisons médicales, d’éducation ou d’affaires. »

[…]

C.   Réfutation du fonctionnaire s’estimant lésé

[22]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a répliqué qu’il n’invoque pas une séparation involontaire selon la Loi de l’impôt sur le revenu et que la notion de revenu double par opposition au revenu unique est une diversion, non envisagée par la Directive sur les voyages.

IV.   Motifs

[23]   La Directive sur les voyages, au paragraphe 3.3.5, établit les cinq éléments qu’il faut réunir pour être remboursé de frais de garde de personnes à charge.

[24]   Le premier élément a trait au statut de « fonctionnaire ». Ce terme est défini dans l’article des définitions de la Directive sur les voyages comme désignant une « [...] personne au service de la fonction publique fédérale ». Les parties ont reconnu que le Dr Umar-Khitab entre dans cette définition (« Exposé conjoint des faits », au point 1) :

[Traduction]

  1. Le fonctionnaire s’estimant lésé, Dr Umar-Khitab, travaillait pendant toute la période pertinente comme administrateur d’informatique CS-01 pour Développement social Canada (maintenant Service Canada) à Kingston (Ontario).

[25]   Le deuxième élément se rapporte à l’exigence du voyage en service commandé. Là encore, les parties ont reconnu que cet élément est présent (« Exposé conjoint des faits », au point 7) : [traduction] « Le fonctionnaire s’estimant lésé a été tenu de faire un voyage en service commandé du 6 au 8 juillet 2004 […] »

[26]   Le troisième élément concerne le statut de personne à charge. L’expression « personne à charge » est définie comme suit dans la Directive sur les voyages :

Personne à charge (dependant) – personne qui habite en permanence avec le ou la fonctionnaire à sa résidence et :

[…]

b)  qui est un enfant naturel, un enfant issu d’un mariage antérieur de son conjoint, un enfant adopté, incluant un enfant adopté par des Autochtones en vertu de la pratique courante d’adoption selon les coutumes autochtones, ou un enfant en tutelle de ce fonctionnaire ou du conjoint du fonctionnaire qui est à la fois à la charge du fonctionnaire et

  1. qui est âgé d’au plus 18 ans; ou

[…]

[27]   Les parties ont reconnu que les fils du fonctionnaire s’estimant lésé sont des personnes à charge (« Exposé conjoint des faits », au point 5) :

[Traduction]

  1. Les Umar-Khitab ont deux fils, qui étaient âgés de treize (13) et neuf (9) ans respectivement à l’été 2004. Ils habitaient à temps plein avec le fonctionnaire s’estimant lésé et son épouse.

[28]   La question de savoir si le Dr Umar-Khitab satisfait aux éléments restants du paragraphe 3.3.5 de la Directive sur les voyages n’est pas aussi claire, et je dois donc répondre aux questions suivantes :

  1. Du 6 au 8 juillet 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé était-il « seul fournisseur de soins »?

  2. Les frais qu’il a engagés ces jours-là sont-ils couverts par la Directive sur les voyages ou, en d’autres termes, les frais ont-ils été engagés en raison d’un voyage et s’ajoutent-ils aux frais qu’il aurait engagés s’il n’avait pas voyagé?

A.   « Seul fournisseur de soins »

[29]   Bien que la question dépende en grande partie du sens de l’expression « seul fournisseur de soins », la Directive sur les voyages elle-même ne définit pas cette expression. Le terme anglais « caregiver » (« fournisseur de soins ») ne semble pas être le problème, et j’y accorde son sens ordinaire. On ne m’a pas fait valoir que le Dr Umar-Khitab ne s’occupait pas de ses deux fils pendant l’été 2004. En réalité, les parties ont reconnu ceci (« Exposé conjoint de faits », aux points 4 à 6) : l’épouse du fonctionnaire s’estimant lésé est allée à l’étranger au cours de l’été 2004; les fils du fonctionnaire avaient 13 et 9 ans à l’époque; ces enfants habitaient avec le fonctionnaire; pendant l’absence de l’épouse du fonctionnaire, ce dernier était responsable de s’occuper de ses deux fils.

[30]   La difficulté dans l’application du paragraphe 3.3.5 de la Directive sur les voyages tient à l’adjectif anglais « sole » (« seul ») qui qualifie le mot « caregiver » (« fournisseur de soins »). Comme la demande d’indemnité du fonctionnaire s’estimant lésé est une demande de remboursement de frais de garde de personnes à charge pour la période du 6 au 8 juillet 2004, le fonctionnaire a le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que pendant cette période il était le « seul fournisseur de soins » de ses deux fils.

[31]   En l’absence d’une définition de l’expression litigieuse, la prochaine étape traditionnelle consiste à examiner la Directive sur les voyages dans son ensemble pour dégager le sens de cette expression. Toutefois, ce n’est d’aucune utilité en l’espèce. Le New Shorter Oxford English Dictionary définit comme suit le mot « sole » : [traduction] « […] non accompagné d’une ou plusieurs autres personnes; seul; solitaire […]; être une personne seulement ou consister en une personne seulement; unique; singulier […] ». On ne conteste pas que, dans la norme, le fonctionnaire s’estimant lésé est un des deux fournisseurs de soins chez lui — l’autre est son épouse. Cependant, les parties ont reconnu que l’été 2004 n’était pas la norme (« Exposé conjoint des faits », au point 4), car [traduction] « […] Mme Umar-Khitab a été tenue d’aller au Pakistan à une conférence liée à son travail […] ».

[32]   Les parties ont aussi reconnu que les parents du fonctionnaire s’estimant lésé se sont occupés de ses fils la plus grande partie du temps qu’il était au travail mais n’ont pas été disponibles pour s’occuper de ses fils du 6 au 8 juillet 2004 inclusivement (« Exposé conjoint des faits », aux points 6 et 7). Même quand ils étaient disponibles, ils l’ont été seulement [traduction] « […] tandis qu’il [le fonctionnaire s’estimant lésé] était au travail ». Cela pose la question suivante : si le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas « seul fournisseur de soins » à cette époque, c’est-à-dire d’après la définition de Mme Tuckey « le seul adulte qui dans un ménage est financièrement et mentalement capable de s’occuper d’une personne à charge », alors quel autre fournisseur de soins y avait-il? L’épouse du fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas à la maison et ne pouvait s’occuper de leurs fils. Les parties ont reconnu qu’elle était en voyage au Pakistan à cette époque (« Exposé conjoint des faits », au point 4). Je n’ai pas de preuve qu’elle était financièrement capable de s’occuper d’une personne à charge à partir d’un autre pays en employant quelqu’un comme fournisseur de soins.

[33]   Je souscris à l’argument du fonctionnaire s’estimant lésé selon lequel la question de savoir si l’on est « seul fournisseur de soins » est une question de fait à trancher selon les circonstances individuelles de chaque cas. À mon avis, on n’a pas à être « seul fournisseur de soins » tout le temps et dans toutes les circonstances pour être en droit d’être remboursé de frais de garde de personnes à charge en vertu de la Directive sur les voyages. C’est un rôle non pas statique mais dynamique, et le fait que le fonctionnaire s’estimant lésée soit marié est un élément à prendre en considération mais n’est pas automatiquement un empêchement au droit à un remboursement. Bien que je ne sois pas d’accord avec le fonctionnaire s’estimant lésé pour dire qu’à partir du moment où un conjoint devient non disponible l’autre devient « seul fournisseur de soins », il y a des circonstances dans lesquelles un conjoint peut devenir « seul fournisseur de soins ». Je signale que le CNM est arrivé à la même conclusion en août 2006 quand il a interprété l’expression « seul fournisseur de soins » comme incluant « […] des personnes qui sont involontairement séparées […] ».

[34]   L’employeur me demande d’établir une distinction entre les familles/ménages à revenu unique et les familles/ménages à revenu double. Je ne vois rien dans la Directive sur les voyages qui étaye une telle distinction. Assurément, si le CNM avait voulu que les frais de garde de personnes à charge ne soient pas remboursés dans le cas des familles à revenu double, il aurait été facile de l’indiquer clairement dans la Directive sur les voyages. Pourtant, Mme Tuckey a dit que la différence entre le fonctionnaire s’estimant lésé et un fonctionnaire divorcé ou veuf est que le ménage du fonctionnaire s’estimant lésé avait deux revenus.

[35]   En ce qui a trait au point de vue avancé par le fonctionnaire s’estimant lésé et reconnu sans hésitation par l’employeur, les griefs relatifs à l’interprétation ou à l’application d’un accord du CNM doivent être tranchés sur le fondement de l’intention sous-jacente à cet accord. L’intention sous-jacente à la Directive sur les voyages est clairement énoncée dans le préambule de ladite directive. Des termes comme « juste », « raisonnable », « respectent l’obligation d’adaptation, répondent au mieux aux besoins », « sensible », « appropriés » et « latitude » militent fortement en faveur d’une interprétation des dispositions de ce document qui soit vaste, libérale et inclusive, par opposition à une interprétation étroite et exclusive. Il me semble que c’est seulement en adoptant une telle approche que l’on peut respecter l’esprit et l’objet de la Directive sur les voyages, c’est-à-dire agir de façon juste, sensible, raisonnable et favorable. Je note que le principe de confiance énoncé dans la Directive sur les voyages vise à accroître « […] le pouvoir et la latitude des employés et des gestionnaires d’agir d’une manière juste et raisonnable ».

[36]   Le CNM a clairement décidé à l’automne 2002 d’accroître le pouvoir et la latitude des gestionnaires et non de restreindre ou diminuer leur latitude. Ce changement d’approche se reflète de bien des manières, y compris dans ce qui suit :

  1. une décision du CNM en date du 28 avril 2005 selon laquelle un fonctionnaire a été considéré comme « seul fournisseur de soins » du fait que sa conjointe a habité ailleurs que chez elle pendant huit à neuf heures au cours d’une période de moins de deux ans;

  2. l’élargissement de la définition de « seul fournisseur de soins » en août 2006 de manière à inclure des personnes qui sont involontairement séparées, selon la définition donnée par l’Agence du revenu du Canada;

  3. le passage du mot « parent » à l’expression « seul fournisseur de soins » pour prendre en compte des situations familiales modernes, comme s’occuper d’un parent;

  4. ainsi que nous l’avons précédemment mentionné, l’utilisation répétée d’adjectifs comme « justes », « raisonnables » et « favorables » tout au long de la section « Principes » de la Directive sur les voyages.

Ces exemples appuient beaucoup non seulement une interprétation vaste et libérale des dispositions mais aussi le fait que le rôle de « seul fournisseur de soins » est un rôle dynamique, en mouvement, qui change au fur et à mesure que de nouvelles situations se présentent.

[37]   Pour ces motifs, je considère que le fonctionnaire s’estimant lésé était, du moins pendant les trois jours à l’égard desquels il a demandé un remboursement de frais relatifs à la garde de ses fils, « seul fournisseur de soins » aux fins du paragraphe 3.3.5 de la Directive sur les voyages.

B.   Les frais dont le remboursement est demandé ont-ils été engagés en raison d’un voyage?

[38]   Comme l’a signalé l’employeur, certaines des restrictions de la Directive sur les voyages traitent non pas d’un droit mais d’un montant. Autrement dit, ayant déterminé que le Dr Umar-Khitab est en droit d’être remboursé de ses frais de garde de personnes à charge, il reste à déterminer quels frais sont couverts par le paragraphe 3.3.5 de la Directive sur les voyages, qui conclut :

[…]

L’indemnité de garde des personnes à charge s’applique uniquement aux dépenses encourues en raison d’un voyage et qui sont des dépenses additionnelles encourues par le fonctionnaire quand il ne voyage pas.

[39]   Les parties ont reconnu que les parents du fonctionnaire s’estimant lésé, sur qui ce dernier avait pu compter pendant la plus grande partie de l’absence de son épouse, n’ont pas été disponibles pour s’occuper de ses fils du 6 au 8 juillet 2004 (« Exposé conjoint des faits », au point 7). Étant donné que son épouse était à l’étranger au cours de ces journées-là, le fonctionnaire s’estimant lésé aurait eu des frais de garde de personnes à charge même s’il n’avait pas été tenu d’effectuer un voyage en service commandé. Les seules dépenses « additionnelles », au sens de la Directive sur les voyages, sont des frais de garde de personnes à charge qui commençaient après les heures de travail quotidiennes du fonctionnaire s’estimant lésé et se terminaient au début du jour de travail suivant. On ne m’a présenté à l’audience aucune preuve qui m’aiderait à faire ce calcul et, les parties ayant convenu de ceci à l’audience, je leur laisse le soin de déterminer le montant approprié. Je demeurerai saisi de l’affaire pendant une période de 90 jours au cas où les parties n’arriveraient pas à s’entendre sur le montant du remboursement de frais de garde de personnes à charge auquel le fonctionnaire s’estimant lésé a droit, compte tenu du maximum quotidien de 75 $ lorsqu’un reçu est fourni, comme en l’espèce.

[40]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V.   Ordonnance

[41]   J’ordonne à l’employeur de rembourser au fonctionnaire s’estimant lésé les frais réels et raisonnables engagés pour la garde de personnes à charge en raison d’un voyage du 6 au 8 juillet 2004.

[42]   Je conserve ma compétence pour une période de 90 jours à partir de la date de la présente décision pour résoudre toute question liée à l’interprétation ou à l’application de la présente ordonnance.

Le 14 décembre 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Barry D. Done,
arbitre de grief

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