Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

En janvier 2001, l’employeur a offert aux auteures des griefs des contrats de travail d’une durée de trois mois comme co-intervenantes auprès des délinquants sexuels à Service correctionnel du Canada (SCC) - ces contrats ont été renouvelés à plusieurs occasions, jusqu’au 1er juillet 2003 - les auteures des griefs travaillaient parmi les fonctionnaires et étaient supervisés au même titre qu’eux - l’Agence des douanes et du revenu du Canada, nom qu’elle portait alors, a établi que les auteures des griefs étaient des employées aux fins de la Loi sur l'assurance-emploi ainsi qu'aux fins du Régime de pensions du Canada - le SCC a mis fin aux contrats des auteures des griefs le 9 mai 2003 - les auteures des griefs demandaient d’être rétablies dans leurs postes - l’arbitre de grief a conclu que les auteures des griefs n’étaient pas des fonctionnaires au sens de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique - aucune preuve ne démontrait que les auteures des griefs avaient été nommées à des postes de la fonction publique, conformément au cadre de dotation établi par la loi s’appliquant au SCC - l’arbitre de grief a statué qu’il n’était pas compétent pour instruire les griefs sur le fond. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-02-09
  • Dossier:  166-02-35268
    166-02-35269
  • Référence:  2006 CRTFP 14

Devant un arbitre de grief



ENTRE

TANYA ESTWICK ET AMANDA QUINTILIO

fonctionnaires s'estimant lésées

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Estwick et Quintilio c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P 35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant : : D. R. Quigley, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésées : Paul Champ, avocat

Pour l'employeur  : Richard Fader, avocat


Affaire entendue à Edmonton (Alberta),
les 23 et 24 novembre 2005.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)


Griefs renvoyés à l'arbitrage

[1]   Cette affaire fait suite à la résiliation de contrats de services entre les auteures des griefs et Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre du Solliciteur général du Canada.

[2]   Les auteures des griefs demandent la mesure corrective suivante :

[Traduction]

  1. Nous demandons que les lettres de licenciement du 7 avril 2003 et du 9 mai 2003 soient annulées et qu’elles soient retirées de tous les dossiers au sein du service;
  2. Nous demandons à être réintégrées, rétroactivement à partir de la date à laquelle nous avons été licenciées, et nous demandons à être réintégrées dans notre ancien poste comme fonctionnaires à plein temps et en tant qu’intervenantes de programme à l’établissement Grande Cache du Service correctionnel du Canada;
  3. Nous demandons à être indemnisées intégralement, c’est-à-dire à être payées rétroactivement à partir de la date de notre licenciement;
  4. Nous demandons une dispense de stage, car nous sommes réputées être fonctionnaires depuis le 1er janvier 2001, et l’exigence en matière de stage est expirée (prière de se reporter à la lettre du 4 décembre 2002 de l’Agence des douanes et du revenu du Canada);
  5. Nous demandons que, lorsque nous serons réintégrées, notre ancienneté soit reconnue rétroactivement à partir du 1er janvier 2001, comme service continu;
  6. Nous demandons que, lorsque nous serons réintégrées, nous soyons classées au niveau WP-4-CPO;
  7. Nous demandons à être rémunérées rétroactivement à partir du 1er janvier 2001, y compris pour ce qui est des congés annuels et des jours fériés;
  8. Nous demandons à être rémunérées rétroactivement à partir du 1er janvier 2001 relativement à un rappel de salaire proportionné à notre niveau de classification (WP-4-CP0).

[3]   Le 8 mai 2003, Tanya Estwick et Amanda Quintilio ont déposé des griefs après avoir été licenciées comme co-intervenantes travaillant dans le cadre du programme pour délinquants sexuels à l’établissement Grande Cache (EGC), à Grande Cache (Alberta).

[4]   Les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage le 14 décembre 2004. La Commission a initialement prévu une audience pour le 31 mai-juin 2005. Par voie de lettre en date du 4 mai 2005, les auteures des griefs ont demandé que l’audience soit reportée. L’employeur était d’accord avec cette demande, à laquelle la Commission a fait droit.

[5]   À l’ouverture de l’audience, les parties ont déposé, par consentement, un exposé conjoint des faits (pièce A-1), qui comprenait 17 annexes. À la demande de l’employeur et avec l’accord des auteures des griefs, les noms de quatre détenus et leurs numéros d’établissement figurant dans la pièce E-15 ont été rayés pour des raisons de confidentialité.

[6]   L’exposé conjoint des faits est libellé comme suit :

[Traduction]

1.        Au début de décembre 2000, le Service correctionnel du Canada (« SCC ») a mis une annonce dans le Grande Cache Mountaineer , journal hebdomadaire de Grande Cache (Alberta). [...] L’annonce expliquait que l’établissement Grande Cache (EGC), pénitencier fédéral à sécurité minimale situé à Grande Cache (Alberta), cherchait deux diplômés universitaires pour travailler comme intervenants de programme auprès de délinquants sexuels, pour 22 $ l’heure.

2.        Tanya Estwick et Amanda Quintilio, qui sont en l’espèce les auteures des griefs, ont posé leur candidature pour les [postes/contrats] puis, plus tard au cours du mois, elles ont passé une entrevue à l’EGC, devant un jury dont les trois membres étaient employés à l’EGC. Les auteures des griefs ont toutes les deux été engagées par le SCC, au 1er janvier  2001. Leurs contrats indiquaient qu’elles étaient engagées non pas comme fonctionnaires mais comme « entrepreneuse(s) ».

3.        Les auteures des griefs étaient qualifiées pour les [postes/contrats]. Mme Estwick a un baccalauréat ès arts (études communautaires) que lui a décerné en 1997 le Collège universitaire du Cap-Breton, ainsi qu’un baccalauréat en éducation qu’elle a obtenu en l’an 2000 de l’Université du Maine à Fort Kent. Mme Quintilio a un baccalauréat ès arts (psychologie et anthropologie) que lui a délivré l’Université de l’Alberta en 1998.

4.        Le directeur de l’EGC était, durant toute la période pertinente, Wendell Headrick. Le directeur avait le pouvoir, délégué par la Commission de la fonction publique, de procéder à des nominations conformément à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique ( LEFP ) . [...]

5.        Le SCC a, en 2003, adopté une politique sur l’emploi pour une période déterminée . [...]

6.        Lorsque les auteures des griefs ont été engagées, le Conseil du Trésor du Canada avait une politique sur les contrats . [...]

Contrats

7.        Le SCC a offert aux auteures des griefs de travailler comme intervenantes auprès de délinquants sexuels, à compter de janvier 2001. On leur a présenté des contrats identiques pour trois mois, se terminant le 31 mars 2001. Les contrats indiquaient qu’elles étaient engagées non pas comme fonctionnaires mais comme « entrepreneuse(s) ».

8.        Les auteures des griefs ont commencé à travailler pour l’EGC le 1er janvier 2001, comme intervenantes du programme national pour délinquants sexuels élaboré par le SCC pour le traitement et la réadaptation de délinquants sexuels reconnus coupables. Leur superviseur était le chef du service de psychologie de l’EGC, M. Ford Cranwell. Le 31 mars 2001, le contrat de trois mois a expiré et M. Cranwell a donné pour instructions aux auteures des griefs de continuer à travailler jusqu’à ce que soit rédigé un nouveau contrat.

9.        En juin 2001, de nouveaux contrats ont été présentés aux auteures des griefs par l’administration de l’EGC. Il s’agissait de contrats pour un an. Ces contrats étaient par ailleurs essentiellement identiques au premier contrat de trois mois. Les auteures des griefs ont signé ces nouveaux contrats, qui devaient expirer le 1er juillet 2002.

10.      Le contrat d’un an 2001-2002 des auteures des griefs a expiré sans qu’un nouveau ait été en place. Les auteures des griefs ont continué à travailler, sans contrat écrit, jusqu’à ce que, le 31 juillet 2002, un autre contrat d’un an soit signé. Les modalités de ces nouveaux contrats indiquaient qu’il s’agissait de contrats pour la période allant du 2 juillet 2002 au 1er juillet 2003. Là encore, ces contrats étaient semblables aux précédents. Mme Quintilio a aussi signé un contrat identique à ce moment.

11.      Les contrats indiquent que les auteures des griefs sont rémunérées selon un taux horaire pour les services rendus, compte tenu d’un maximum mensuel et annuel. Aucune clause ne prévoit une rémunération à l’égard des avantages sociaux, des congés de maladie, des vacances ou des jours fériés. Les auteures des griefs n’ont jamais demandé de congés de maladie, de vacances ou de jours fériés payés, et des cotisations syndicales n’ont jamais été déduites. Les auteures des griefs présentaient une facture deux fois par mois pour être payées. Selon leurs derniers contrats, elles étaient rémunérées au taux horaire de 22,98 $, et le maximum mensuel s’élevait à 3 735,50 $.

12.      Les auteures des griefs n’ont jamais eu la possibilité de négocier leur taux de rémunération. L’EGC leur disait simplement que leur taux avait été déterminé par le SCC et qu’il avait été fixé au même niveau que le salaire normal des agents de programmes correctionnels, qui sont des fonctionnaires nommés pour une période indéterminée.

13.      Les contrats indiquaient aussi que les auteures des griefs pouvaient se faire remplacer quand elles étaient absentes. En 2002, les auteures des griefs ont interrogé leur superviseur, M. Cranwell, au sujet de cette clause. Il disait que ce n’était pas possible de recourir à cette clause parce qu’il aurait fallu que l’EGC approuve leur choix de remplaçant et que, de toute manière, personne d’autre n’était qualifié dans leur petite ville.  

Travail à l’établissement Grande Cache

14.      Pendant le temps qu’elles ont travaillé à l’EGC, les auteures des griefs s’étaient vu attribuer un bureau qu’elles partageaient, dans le service de psychologie, et leurs noms avaient été marqués, au pochoir, sur le panneau de vitre. De plus, on leur avait donné des ordinateurs, des boîtes aux lettres, ainsi qu’une ligne téléphonique comportant un poste qui leur était assigné. Leurs fournitures de bureau provenaient de l’EGC. Elles étaient en outre enregistrées dans le système de courrier électronique du SCC et elles recevaient les mêmes courriels collectifs que le personnel nommé pour une période indéterminée.

15.      Les fonctions principales des auteures des griefs comportaient la tenue de réunions périodiques avec des délinquants sexuels pour favoriser la réalisation des objectifs en matière de traitement et de réadaptation du programme national du SCC pour délinquants sexuels. À cet égard, les auteures des griefs aidaient des délinquants à comprendre l’impact de leurs crimes sur eux-mêmes, sur leurs victimes et sur la collectivité. Elles étaient également tenues d’aider des délinquants à acquérir les compétences et les techniques nécessaires pour aviver la conscience de soi et contrôler des comportements sexuels inappropriés. Enfin, elles faisaient passer des tests psychologiques et menaient des entrevues pour évaluer le progrès de délinquants et elles rédigeaient des rapports sur les résultats.

16.      Les auteures des griefs ont participé à un programme national de formation du SCC concernant la mise en œ uvre du programme national pour délinquants sexuels. L’EGC a payé les auteures des griefs pour leurs heures ainsi que pour leurs dépenses relatives à ce programme de cinq jours tenu à Edmonton (Alberta) du 13 au 17 mai 2002. L’EGC leur a fourni d’autres formations, comme celle qui se rapporte à SARA (un programme d’une journée à l’été 2002 sur l’évaluation du risque de violence conjugale) et celle qui a trait aux tests pour délinquants sexuels (un programme d’une journée sur l’évaluation du risque concernant les délinquants sexuels).

17.      Les auteures des griefs ont en outre suivi un cours de deux semaines à l’EGC pour le nouveau personnel. Ce cours leur a permis de se familiariser avec les règles, les règlements, les normes et les questions de santé se rapportant à une prison. Les auteures des griefs ont suivi ce cours avec une vingtaine de personnes qui étaient toutes des membres du personnel nommés pour une période indéterminée.

18.      Les auteures des griefs étaient tenues de signer des documents indiquant qu’elles s’engageaient à se conformer à certaines politiques. [...]

19.      En plus de leurs fonctions principales relatives au programme pour délinquants sexuels, les auteures des griefs se voyaient occasionnellement attribuer des fonctions administratives au service de psychologie. Par exemple, on s’attendait toujours de l’une des auteures des griefs qu’elle aille tous les matins chercher les clés et le courrier du service. On leur demandait aussi parfois de fournir des renseignements administratifs à l’administration centrale du SCC [...]

20.      En mai 2002, M. Cranwell a donné pour instructions aux auteures des griefs de remplir les fonctions de commis en psychologie, y compris de répondre au téléphone, de faire passer des tests, de partager des données de rapport avec des détenus, de s’occuper de la gestion des nominations et de la gestion des dossiers. Lorsque les auteures des griefs ont interrogé M. Cranwell sur ce travail supplémentaire de commis qui ne faisait pas partie de leur description de poste, M. Cranwell a apporté une modification à leur contrat, dont le renouvellement était en retard, en ajoutant, dans la section relative à l’énoncé de travail, [traduction] « autres fonctions assignées par le psychologue agissant comme superviseur ». On ne leur a pas offert de rémunération supplémentaire pour ces fonctions ni donné la possibilité de refuser d’exécuter ces fonctions.

21.      L’EGC déterminait les heures de travail des auteures des griefs, qui étaient de 8 h à 16 h, du lundi au vendredi. On s’attendait des auteures des griefs qu’elles préviennent leur superviseur, M. Cranwell, si elles prévoyaient s’absenter. M. Cranwell voulait également savoir la raison précise pour laquelle elles ne pouvaient se présenter au travail.

22.      L’EGC exigeait des auteures des griefs qu’elles assistent aux réunions du service et à celles de l’établissement tenues à divers moments, une fois par semaine ou tous les quinze jours. Ces réunions avaient habituellement trait à des questions débordant le cadre des responsabilités des auteures des griefs. [...]

23.      L’EGC confiait aux auteures des griefs des questions de sécurité importantes. Elles avaient accès à tous les dossiers des délinquants et aux mots de passe de ces derniers, ainsi qu’un accès illimité à des systèmes informatiques névralgiques comportant des registres hautement confidentiels (système de gestion des délinquants, Infonet et RADAR) et des documents du SCC en matière de sécurité. On leur avait en outre donné des cartes magnétiques leur permettant d’accéder à presque toutes les parties de l’établissement, ainsi que des clés personnelles pour accéder à leur bureau.

24.      M. Cranwell, superviseur des auteures des griefs, surveillait de près le travail de ces dernières. Les détenus dont s’occupaient les auteures des griefs étaient désignés par M. Cranwell, qui décidait des programmes appropriés. M. Cranwell fixait des délais aux auteures des griefs concernant la présentation de rapports au sujet de détenus et concernant le programme en général. Parfois, lorsque les auteures des griefs faisaient passer des entrevues à des détenus dans leur bureau, M. Cranwell entrait sans frapper ou sans s’annoncer d’une autre manière, pour surveiller ce qu’elles faisaient. Il interrompait en outre souvent leur travail, leur disant de cesser immédiatement ce qu’elles étaient en train de faire, parce que, d’après lui, quelque chose d’autre était plus important.

25.      M. Cranwell était aussi chargé de donner des avertissements. Une fois, par exemple, M.  Cranwell a informé les auteures des griefs, ainsi que d’autres personnes, que le directeur de l’EGC lui avait dit que du personnel arrivait en retard le matin et partait tôt l’après-midi. Les auteures des griefs y avaient vu une réprimande, malgré le fait que leurs contrats ne prévoyaient pas d’heures de travail précises. De plus, si les auteures des griefs omettaient un matin de vérifier auprès de l’EGC leur dispositif d’alarme personnel, M. Cranwell en était informé et leur donnait un avertissement verbal.

26.      Par ailleurs, on faisait sentir aux auteures des griefs qu’elles faisaient partie intégrante de l’EGC. Par exemple, l’établissement leur accordait des avantages comme des sacs à lunch, des stylos, des bouteilles d’eau et des sacoches de ceinture. En outre, elles étaient invitées et participaient à des barbecues du personnel soulignant des événements comme la Semaine de la fonction publique. Une fois, l’EGC a fait une avance sur sa rémunération à Mme Estwick à la demande de celle-ci.

Économies de coûts pour le SCC

27.      En octobre 2002, les auteures des griefs ont été informées que l’EGC traversait une crise financière et que tous les contrats devaient être révisés. M. Cranwell leur a suggéré d’offrir de renoncer à 40 journées prévues dans leurs contrats (soit huit semaines ou environ 7 500 $ chacune), pour garantir leurs [postes/contrats]. C’est ce qu’elles ont fait, et l’administration de l’EGC a accepté leur offre. L’approbation de M. Cranwell était nécessaire pour les journées qui ne seraient pas travaillées.

28.      M. Cranwell a, durant cette période, écrit une note au directeur de l’EGC pour justifier le fait de garder les auteures des griefs comme entrepreneuses. La note, en date du 10 octobre 2002, recommandait de les garder parce que leurs contrats représentaient des économies [traduction] « tout à fait spectaculaires ». À ce sujet, M. Cranwell a expliqué que, ensemble, les deux revenaient moins cher qu’un agent de programme nommé pour une période indéterminée, car elles n’étaient pas rémunérées à l’égard des avantages sociaux, des congés de maladie, des vacances, et ainsi de suite. [...]

Enquête de l’Agence des douanes et du revenu du Canada

29.      Le contrat pour 2002-2003 présenté aux auteures des griefs par l’EGC était un peu différent par rapport aux années précédentes en ce qu’il indiquait que la taxe sur les produits et services (« TPS ») devait s’appliquer à leurs factures. Mme Quintilio a demandé à l’ADRC et reçu de celle-ci un numéro de TPS. Mme Estwick a également demandé un numéro de TPS, en juillet 2002, mais Brenda Woo de l’ADRC a communiqué avec elle pour lui expliquer que sa demande et son contrat feraient l’objet d’une enquête de l’ADRC.

30.      Mme Estwick a été interrogée par Mme Woo au téléphone, chez elle et à l’EGC. Pour autant que s’en souvienne Mme Estwick, ces conversations ont eu lieu en août et septembre 2002. Mme Woo a posé plusieurs questions concernant le travail que Mme Estwick accomplissait, ses heures de travail, le matériel qu’elle utilisait, les instructions qu’elle recevait de l’EGC à l’égard de l’exécution de son travail, et ainsi de suite. Mme Estwick a en outre informé Mme Woo que Mme Quintilio travaillait pour l’EGC au même titre qu’elle. Mme Woo a demandé et reçu une copie du contrat de Mme Estwick.

31.      Mme Woo a fait savoir à Mme Estwick qu’elle aurait un entretien avec du personnel de la direction de l’EGC au cours de l’enquête qu’elle menait. Mme Woo s’est subséquemment entretenue avec des membres de la direction de l’EGC.

32.      Le 4 décembre 2002, Mme Estwick a été informée par Mme Woo que l’ADRC avait rendu une décision au sujet de sa situation. [...]

33.      Le 4 février 2003, Mme Estwick et Mme Quintilio ont eu pour instructions de l’EGC d’assister à une réunion avec M. Cranwell, M. Wallis et Mel Sawatsky, un vérificateur de l’ADRC. La réunion s’est tenue au bureau du sous-directeur, qui était alors absent.

34.      M. Sawatsky (de l’ADRC) a commencé la réunion en disant aux auteures des griefs qu’elles étaient non pas des contractuelles mais en fait des « fonctionnaires du gouvernement fédéral du Canada », et ce, depuis 2001. Il a ensuite remis aux auteures des griefs des feuillets T4 pour les années d’imposition 2001 et 2002 et leur a dit que leurs contrats d’entreprise étaient [traduction] « nuls et non avenus ». [...] . M. Sawatsky a en outre informé Mme Quintilio que son numéro de TPS avait été annulé.

35.      En mars 2003, l’EGC a versé à l’ADRC plus de 40 000 $ comme montant impayé à l’égard des cotisations au RPC et des cotisations d’assurance-emploi pour Mme Estwick et Mme Quintilio pour la période allant de 2001 à 2002.

36.      Malgré le paiement susmentionné, en date du 4 février 2003, l’EGC n’a jamais fait de retenues à la source à l’égard du RPC ou de l’assurance-emploi dans le cas de Mme  Estwick ou dans le cas de Mme Quintilio.

37.      Le 24 mars 2003, les auteures des griefs n’avaient pas encore eu d’information sur leur numéro d’employé, de sorte que Mme Quintilio a appelé M. Wallis, qui leur a demandé de se présenter à son bureau. Lors de cette réunion, M. Wallis a verbalement informé les auteures des griefs qu’elles continueraient d’être payées comme entrepreneuses, mais qu’il n’y aurait plus de TPS à payer. Toutefois, il leur a également dit qu’il leur faudrait produire des déclarations de revenu comme si elles étaient des fonctionnaires. Quand il a été interrogé au sujet des numéros d’employé et à propos d’une rémunération rétroactive, M. Wallis a dit que le SCC avait décidé [traduction] « qu’il ne procéderait pas de cette manière » et que les auteures des griefs n’auraient rien d’autre à titre d’indemnisation. Mme Quintilio a demandé à M. Wallis si le SCC les considérait comme des entrepreneuses ou comme des fonctionnaires. Il a répondu qu’elles n’étaient ni des entrepreneuses ni des fonctionnaires.

38.      Le 17 avril 2003, Mme Quintilio et Mme Estwick ont reçu des lettres identiques, en date du 7 avril 2003, de M. Wendell Headrick, le directeur de l’EGC. Les lettres indiquaient que, malgré le fait que l’ADRC avait déterminé qu’elles étaient des employées travaillant en vertu d’un contrat de services, il n’était pas requis qu’une nomination soit faite en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique . [...]

39.      Après cette lettre, les auteures des griefs ont demandé un entretien avec M. Headrick. À la suite de cette demande, elles ont, le 17 avril 2003, rencontré M. Headrick ainsi que M. Paul Bailey, le sous-directeur par intérim. Durant cette réunion, les auteures des griefs ont expliqué que l’ADRC les avait informées que leurs contrats étaient nuls et non avenus et qu’elles étaient des fonctionnaires du SCC.

40.      Le 23 avril 2003, Mme Quintilio a reçu une lettre de Tim Leis, le sous-commissaire des Services corporatifs du SCC dans la région des Prairies. La lettre indiquait que, malgré la décision de l’ADRC, les auteures des griefs n’avaient pas été nommées en vertu de la LEFP et qu’elles n’étaient donc pas des fonctionnaires du gouvernement fédéral. [...]

41.      Le 30 avril 2003, les auteures des griefs ont été avisées, au moyen de lettres identiques, que la Couronne désirait résilier leurs contrats, au 9 mai 2003. [...]

42.      Les auteures des griefs ont déposé un grief conjoint contre leur licenciement le 8 mai 2003. [...]

43.      La chef des Ressources humaines de l’EGC a répondu à leur grief par une lettre en date du 8 mai 2003. Elle les a avisées que leur grief était rejeté au motif qu’elles n’étaient pas des fonctionnaires en vertu de la LEFP et que la procédure de règlement des griefs ne pouvait donc pas s’appliquer. [...]

44.      Les auteures des griefs ont subséquemment demandé des relevés d’emploi à l’EGC pour pouvoir obtenir des prestations d’assurance-emploi. L’EGC a plutôt fourni des lettres indiquant des renseignements semblables à un relevé d’emploi. [...] Les auteures des griefs ont demandé et reçu des prestations d’assurance-emploi.

[...]

[7]   Initialement, les griefs n’ont pas été admis par le Service correctionnel du Canada (SCC), les auteures des griefs n’ayant pas été nommées à un poste en vertu de l’ancienne Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP), L.R.C. (1985), ch. P-33. Leur situation d’employées a été l’objet d’un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale (Estwick c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CF 970). En bref, la Cour a conclu : « [...] Les demanderesses sont obligées d’épuiser la procédure de griefs et, s’il y a lieu, la procédure d’arbitrage avant de s’adresser à la Cour. [...] Autrement dit, la demande de contrôle judiciaire des demanderesses est prématurée à ce stade-ci. » Par suite de cette décision de la Cour, le SCC et le Syndicat des employés du Solliciteur général, qui est un élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, ont convenu de renvoyer les griefs à l’arbitrage.

[8]   Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l’arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »).

[9]   L’employeur a appelé quatre témoins et déposé cinq pièces. Les auteures des griefs ont appelé un témoin mais n’ont déposé aucune pièce.

Observations préliminaires

[10]   Les auteures des griefs ont déclaré que cette affaire comporte une question préliminaire : Les auteures des griefs sont-elles des fonctionnaires ou non? Elles affirmaient que, bien que le SCC ait déterminé qu’elles étaient des entrepreneuses, l’Agence du revenu du Canada (ARC) les considérait comme étant des employées.

[11]   L’employeur a répliqué que les auteures des griefs n’avaient pas été nommées par voie d’acte officiel de nomination; elles n’ont jamais reçu d’offre officielle de nomination, et aucune nomination n’a été effectuée par voie de pouvoir délégué. Elles ont été embauchées par le SCC comme entrepreneuses et n’étaient pas des employées de Sa Majesté la Reine du chef du Canada.

Résumé de la preuve

[12]   Mel Sawatsky est examinateur de compte fiduciaire de paye à l’ARC. Ses fonctions incluent la délivrance de lettres de conformité à des employeurs au sujet de déductions à effectuer pour des employés. Ce témoin a déclaré que, bien qu’il n’ait jamais vu la lettre de Brenda Woo en date du 4 décembre 2002 (pièce A-1, onglet 10), il était au courant de la décision de Mme Woo indiquant que les auteures des griefs étaient des employées travaillant en vertu d’un contrat de services. Il a témoigné qu’il avait présenté aux auteures des griefs des feuillets T4 (pièce A-1, onglet 11) au cours d’une réunion tenue avec elles le 4 février 2003. Il a affirmé que son travail avait consisté à évaluer le montant impayé des cotisations d’assurance-emploi (AE) et des cotisations au Régime de pensions du Canada (RPC), par suite de la décision de Mme Woo.

[13]   Lors du contre-interrogatoire, au sujet des feuillets T4 des auteures des griefs, auxquels on l’a renvoyé, ce témoin a reconnu que des déductions avaient été effectuées pour le RPC (case 16) et l’AE (case 18), mais que rien n’avait été indiqué concernant le facteur d’équivalence (case 52), l’impôt sur le revenu retenu (case 22) et les cotisations syndicales (case 44). Ce témoin a expliqué que la déclaration qu’il avait faite aux auteures des griefs, pendant la réunion du 4 février 2003, selon laquelle les auteures des griefs étaient non pas des contractuelles mais en fait des « fonctionnaires du gouvernement fédéral du Canada » n’était pas un reflet fidèle de son intention. Il a dit qu’il avait cru comprendre de la décision de Mme Woo que les auteures des griefs n’étaient pas des contractuelles et qu’elles avaient une relation employeur-employé. Il n’a jamais déclaré qu’elles étaient des fonctionnaires, car il n’avait pas ce pouvoir. Il a dit que, aux fins des déductions pour l’AE et le RPC, les auteures des griefs avaient été considérées par l’ARC comme étant des employées.

[14]   Ce témoin a en outre affirmé que son expertise se rapporte à des questions financières et non à des questions d’emploi. L’ARC a des règles qui s’appliquent à une relation employeur-employé : elles servent à déterminer s’il s’agit de service ouvrant droit à pension et s’il faut effectuer des déductions pour le RPC et l’AE ou à l’égard de l’impôt sur le revenu. À propos de la portée de la décision de Mme Woo, ce témoin disait qu’il vaudrait mieux interroger Mme Woo.

[15]   Ce témoin a signalé que ce n’était pas lui qui avait annulé le contrat des auteures des griefs; seul un juge pouvait le faire. Son travail avait consisté à informer le SCC, par l’intermédiaire de William Wallis, l’agent de contrôle financier de l’EGC, du montant impayé des cotisations au RPC et des cotisations d’AE.

[16]   Ford Cranwell, le chef du service de psychologie à l’EGC, a déclaré qu’il n’avait pas de pouvoir délégué de dotation en personnel en vertu de la LEFP et qu’il n’avait jamais exercé un tel pouvoir ni prétendu le faire. Il a signalé qu’il avait été chargé du processus contractuel relatif à l’embauchage des auteures des griefs. Il avait joué un rôle clé dans la rédaction du contrat et dans la sélection des auteures des griefs comme candidates retenues. Il signait leurs factures et les supervisait pour s’assurer qu’elles répondaient aux conditions de leur contrat.

[17]   Le programme pour délinquants sexuels est un programme autorisé. Avant l’arrivée des auteures des griefs à l’EGC, deux agents correctionnels s’étaient offerts pour travailler dans le cadre du programme par intérim. Ils avaient toutefois dû retourner à leurs postes d’attache, et l’on avait donc décidé d’explorer d’autres possibilités, car les services quotidiens afférents au programme devaient être fournis.

[18]   Ce témoin a déclaré que, bien que le programme pour délinquants sexuels reçoive du financement de l’administration centrale, ce n’est pas suffisant pour payer le salaire de fonctionnaires pouvant être embauchés pour une période déterminée ou comme équivalents temps plein (ETP). Il disait que l’administration régionale du SCC lui avait signalé que, même s’il y ait eu des fonds de fonctionnement et d’entretien (F&E) disponibles, cet argent n’aurait pas pu servir à payer des salaires. Ce témoin a affirmé que les auteures des griefs avaient été embauchées en vertu des dispositions d’un contrat et non en vertu des dispositions de la LEFP. Il a fait remarquer que, bien que n’étant pas spécialiste de l’interprétation de la LEFP, il avait cru comprendre que, pour embaucher les auteures des griefs conformément à la LEFP, il lui aurait fallu le pouvoir délégué nécessaire à cette fin et il aurait fallu qu’une année-personne ou un poste ETP soit disponible.

[19]   Ce témoin a reconnu que l’annonce dans le Grande Cache Mountaineer (pièce A-1, onglet 1) pour le poste contractuel de co-intervenant auprès de délinquants sexuels, demandait que les candidats aient un diplôme de premier cycle (baccalauréat ès arts, baccalauréat ès sciences). Un certain nombre de demandes ont été envoyées, mais seulement trois personnes, dont les auteures des griefs, ont passé une entrevue pour le poste.

[20]   Ce témoin a déclaré que les auteures des griefs avaient été embauchées comme entrepreneuses pour fournir un service à l’EGC et qu’il ne les considérait pas comme des fonctionnaires du gouvernement fédéral. Il a déclaré qu’il aurait fallu qu’elles postulent un emploi par voie de concours pour devenir des fonctionnaires nommées pour une période indéterminée. Il a signalé que Mme Quintilio avait en fait postulé, par voie de concours, un emploi d’agent de libération conditionnelle, mais que sa candidature n’avait pas été retenue.

[21]   Le contrat que les auteures des griefs avaient signé avec l’EGC pouvait être résilié n’importe quand par l’une ou l’autre partie. Ce témoin a affirmé qu’il avait cru comprendre que la rémunération et les avantages sociaux des auteures des griefs étaient beaucoup moindres que dans le cas d’un ETP. Il estimait qu’embaucher des personnes sous contrat coûtait environ un tiers de moins, car ces personnes n’avaient pas droit aux mêmes avantages que les ETP.

[22]   Quand on l’a renvoyé à la pièce A-2, onglet 2, page 2, ce témoin a reconnu qu’il s’agissait d’une facture (n o TE-0009) que Mme Estwick avait présentée à l’égard des heures qu’elle avait travaillées entre le 9 et le 20 avril 2001, ce qui incluait 7,5 heures le vendredi saint et 7,5 heures le lundi de Pâques. Il a déclaré que les auteures des griefs n’ont pas été payées pour ces deux journées-là, parce que, comme entrepreneuses, elles étaient payées seulement pour les heures durant lesquelles elles fournissaient des services sur place.

[23]   Au cours du contre-interrogatoire, ce témoin a affirmé que les agents correctionnels qui travaillaient comme co-intervenants dans le programme pour délinquants sexuels le faisaient à titre intérimaire, parce qu’il n’y avait pas de poste ETP disponible.

[24]   Ce témoin a déclaré au sujet de la situation des auteures des griefs : [traduction] « On n’engage pas un contractuel; on lui attribue un contrat. » Il était d’accord pour dire que l’annonce dans le Grande Cache Mountaineer indiquait qu’il s’agissait d’un poste pour une durée déterminée.

[25]   Ce témoin a affirmé que les deux autres personnes ayant joué un rôle dans le processus de sélection étaient Jarkko Jalave (psychologue du personnel) et Judy Joachim (un des agents correctionnels ayant obtenu l’affectation intérimaire). Il a déclaré que, aucun poste ETP n’étant disponible, l’EGC voulait les meilleurs candidats pouvant satisfaire aux exigences du contrat et non les meilleurs candidats pouvant être nommés en vertu de la LEFP.

[26]   À l’époque pertinente, Wendell Headrick était le directeur à l’EGC. M. Headrick a témoigné qu’il était le seul à avoir le pouvoir délégué de dotation en personnel pour nommer une personne à un poste conformément à la LEFP. Il a déclaré qu’il n’avait jamais offert aux auteures des griefs un poste à l’EGC.

[27]   Ce témoin a reconnu une lettre qu’il avait envoyée à Mme Estwick le 7 avril 2003 (pièce A-1, onglet 12), après la décision de l’ARC, lettre dans laquelle il réitérait le statut de Mme Estwick à l’EGC. Il a signalé qu’il n’avait jamais considéré les auteures des griefs comme des fonctionnaires mais les avait toujours vues comme des entrepreneuses. Ce témoin a affirmé qu’il est encore de cet avis.

[28]   Pendant le contre-interrogatoire, ce témoin a reconnu qu’il était en définitive responsable du programme pour délinquants sexuels et que le financement nécessaire provenait de l’administration centrale. Après consultation avec les Ressources humaines, la décision d’embaucher des entrepreneurs avait été prise, car cette manière de procéder répondait aux besoins et tenait compte des ressources disponibles.

[29]   Ce témoin a reconnu que le programme pour délinquants sexuels est maintenant mis en œ uvre par des fonctionnaires de l’EGC qui ont été formés pour satisfaire aux normes fixées par l’administration centrale. Il a aussi reconnu que les fonctionnaires fournissant les services quotidiens du programme remplissent les mêmes fonctions que les auteures des griefs lorsqu’elles travaillaient à l’EGC.

[30]   Quand on l’a renvoyé à une note qu’il avait adressée à tout le personnel de l’EGC le 24 janvier 2001 (pièce A-1, onglet 6) concernant [traduction] « l’observation de la loi et des politiques », ce témoin a expliqué qu’il comptait sur les superviseurs pour veiller à ce que les personnes intéressées reçoivent la note et que son intention n’était pas que les auteures des griefs la reçoivent.  

[31]   Durant le contre-interrogatoire, lorsqu’on lui a demandé pourquoi les auteures des griefs avaient reçu sa note, ce témoin a répondu qu’il ne le savait pas, car elles n’étaient pas des fonctionnaires mais des contractuelles.

[32]   William Wallis occupait le poste d’agent de contrôle financier à l’EGC à l’époque pertinente. Il a témoigné qu’il n’avait pas de pouvoir délégué de dotation en personnel et que jamais il n’avait exercé de pouvoir de dotation en personnel ni autorisé ou prétendu autoriser l’exercice d’un tel pouvoir.

[33]   Ce témoin a confirmé qu’il avait signé le contrat, intitulé [traduction] Articles de convention (pièce A-3, onglet 1), comme étant l’autorité compétente, pour veiller à ce qu’il y ait suffisamment de fonds pour payer les auteures des griefs.

[34]   À propos de la réunion du 4 février 2003 au cours de laquelle M. Sawatsky l’a informé, ainsi que les auteures des griefs et M. Cranwell, que les auteures des griefs étaient dans une relation employeur-employé, ce témoin a déclaré qu’il avait eu un choc. Il a dit qu’il avait paniqué, car, à sa connaissance, aucun numéro de poste n’avait été assigné, de tels numéros étant générés par l’administration régionale. Après la réunion, il avait communiqué avec l’administration régionale et avait été informé que les auteures des griefs étaient non pas des fonctionnaires mais des entrepreneuses. Malgré l’affirmation de M. Sawatsky, ce témoin a déclaré qu’il lui fallait payer les auteures des griefs, car elles fournissaient un service.

[35]   Lors du contre-interrogatoire, ce témoin a confirmé que ses fonctions consistaient à fournir des conseils financiers à la haute direction au sujet des questions de savoir comment et où affecter l’argent octroyé par l’administration centrale. Les fonds accordés à l’EGC étaient des fonds de F&E et des fonds salariaux. Ce témoin a affirmé que M. Cranwell recevait un budget pour les salaires et pour le F&E et que c’était M. Cranwell qui déterminait où l’argent devait être affecté.

[36]   Interrogé au sujet de la décision de Mme Woo (pièce A-1, onglet 10), ce témoin a déclaré qu’il n’avait pas le pouvoir de porter la décision en appel. Bien qu’il ait demandé à l’administration régionale si celle-ci allait faire appel de la décision, il a été informé que cette question relevait du service juridique de l’administration centrale.  

[37]   À propos de la réunion du 4 février 2003, à laquelle on l’a renvoyé, ce témoin a déclaré qu’il n’avait pas de retenues pour le RPC ou l’AE et qu’il n’avait aucun tableau pour déterminer combien d’argent était dû à l’ARC. Il se rappelait que M. Sawatsky avait dit que les contrats des auteures des griefs étaient nuls et non avenus, mais il ne connaissait pas bien ces questions, car il n’était pas chargé de dotation en personnel ou de classification. Il a affirmé que son travail consistait à [traduction] « émettre les chèques ».

[38]   Ce témoin a également déclaré que l’EGC avait reçu une facture de l’ARC et que le SCC avait payé les montants requis à l’égard des cotisations de l’employeur et de celles de l’employé.

[39]   Dianne Bird est actuellement agente des relations de travail au SCC. Elle travaille dans la fonction publique depuis environ 29 ans et s’est occupée de dotation en personnel pendant 20 de ces années.

[40]   Elle a reconnu la pièce E-2, onglets 1 à 17, comme étant une vaste documentation en matière de dotation en personnel conçue pour aider des gestionnaires quant aux mesures à prendre pour la dotation en personnel externe d’un poste de la fonction publique. Ce témoin a déclaré qu’elle avait aidé à l’élaboration de cette documentation. Elle a également déclaré que, concernant le recrutement à l’externe, la Commission de la fonction publique (CFP) joue toujours un rôle dans le processus. Je vais brièvement résumer les autres documents pertinents auxquels elle a renvoyé :

Onglet 4 : énoncé de qualités pour un poste, lequel énoncé indique le titre, le groupe et le niveau, l’instruction et l’expérience requises, la langue officielle, les connaissances, les aptitudes, les qualités personnelles et les exigences en matière de vérification de fiabilité. D’après ce témoin, ce document doit être envoyé à la CFP toutes les fois que le SCC envisage de recruter à l’externe. Ce témoin a également dit que la CFP détermine la zone de concours.

Onglet 5 : ébauche d’avis de concours envoyée à la CFP pour approbation. Une fois qu’elle a approuvé l’avis, la CFP est chargée d’annoncer le poste. Ce peut être fait en ligne ou dans les journaux, dans les salons de l’emploi, etc. Sur la première page de l’avis, la CFP indique son numéro de référence.

Onglet 6 : demande de numéro d’autorisation à la CFP, qui détermine alors s’il convient d’approuver ou non un recrutement à l’externe ou à l’interne. Le processus de sélection ne peut commencer qu’après que la CFP a attribué un numéro d’autorisation en matière de priorité.

Onglet 7 : rapport du jury de présélection envoyé à la CFP pour que soient évalués les candidats ainsi que leurs demandes.

Onglet 8 : déclaration signée par les personnes présentes au jury de présélection. Ce document de la CFP exige que les membres du comité de sélection déclarent qu’ils sont capables de prendre une décision impartiale et qu’ils ne sont pas apparentés aux candidats.

Onglet 17 : lettre d’offre indiquant le numéro du concours, la classification du poste et le numéro d’autorisation en matière de priorité de la CFP. C’est un « document de nomination  du SCC », d’après ce témoin, ou, autrement dit, la lettre d’offre du SCC. Ce témoin a en outre signalé que cette lettre d’offre exige que le candidat retenu accepte ou refuse les modalités d’emploi. Elle a affirmé que les auteures des griefs n’ont jamais reçu une telle lettre du SCC. Elle a aussi affirmé que des offres verbales d’emploi n’ont jamais été faites aux auteures des griefs.

[41]   Ce témoin a en outre confirmé que la pièce A-1, onglet 3, est la directive du commissaire du SCC sur la délégation de pouvoir concernant le personnel et la formation. Elle a confirmé aussi que le recrutement à l’externe pour la nomination de candidats est délégué par la CFP au commissaire ainsi qu’au directeur. Elle a signalé que cette disposition n’inclut pas les directeurs intérimaires.

[42]   Au cours du contre-interrogatoire, ce témoin a reconnu que l’énoncé de qualités relatif au poste de co-intervenant auprès de délinquants sexuels était semblable à la description de travail d’un agent de programmes correctionnels (WP-4) (pièce E-2, onglet 2).

[43]   Ce témoin a réaffirmé que, pour du recrutement à l’externe, la CFP ne fait l’annonce qu’après que le SCC a obtenu un numéro d’autorisation en matière de priorité. Elle a en outre confirmé que le directeur était la seule personne à avoir eu le pouvoir délégué de dotation en personnel lorsque les auteures des griefs travaillaient à l’EGC.

Résumé de l’argumentation

Pour les auteures des griefs

[44]   Les auteures des griefs ont argué que le SCC les considérait comme des entrepreneuses indépendantes, tandis que l’ARC avait déterminé qu’elles étaient des employées. La question tient à la définition de ce qu’est un « fonctionnaire ».

[45]   Les auteures des griefs ont cité l’arrêt Canada (procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614, dans lequel il a été conclu que, en droit, il n’y a pas de place pour un fonctionnaire de fait qui ne serait ni chair ni poisson.

[46]   Les auteures des griefs ont reconnu que les nominations à des postes dans la fonction publique sont faites conformément à la LEFP. Elles arguaient qu’elles n’avaient pas été officiellement nommées en vertu de la LEFP, mais qu’il y avait eu une nomination, que cela ait été ou non l’intention expresse du SCC, car, comme l’indiquait clairement la preuve :

a)le SCC avait pris la décision de créer un poste;
b)il y avait eu une approbation financière;
c)l’annonce parue dans le journal déterminait des qualifications ainsi que des normes;
d)il y a eu une présélection de candidats ainsi qu’un processus de sélection, y compris des entrevues;
e)la sélection des candidats a été faite conformément au principe du mérite.

[47]   Le directeur a pris part à la décision de combler le poste et avait obtenu de la CFP le pouvoir délégué de dotation en personnel.

[48]   Les auteures des griefs ont fait valoir que, certes, il n’y a pas eu d’acte officiel de nomination ni de serment d’allégeance comme le prévoit la LEFP, mais que c’est un point de détail ou une question de forme. Le SCC cherchait à contourner la LEFP et la convention collective applicable.

[49]   Il ressort de la preuve que le poste de co-intervenant auprès de délinquants sexuels était et est encore nécessaire. Les auteures des griefs étaient les candidates les plus qualifiées, et le travail qu’elles accomplissaient correspondait à une relation employeur-employé. Elles étaient traitées comme des fonctionnaires par M. Cranwell à tous les égards, sauf pour ce qui était de leurs droits à des avantages sociaux. M. Cranwell les supervisait, les invitait à des réunions et leur avait fait signer la note du directeur sur [traduction] « l’observation de la loi et des politiques ». Elles ont fait valoir que, dans la relation en cause, elles n’étaient pas dans une relation d’entrepreneuses indépendantes.

[50]   La pièce A-1, onglet 9, est la justification de M. Cranwell pour le maintien du contrat de co-intervenant auprès de délinquants sexuels. M. Cranwell a dit : [traduction] « Les économies sont tout à fait spectaculaires. Dans ce document, il est indiqué que les deux intervenantes reviennent moins cher qu’un seul PO/CPO. [...]  » On voit que le SCC ne voulait pas offrir aux auteures des griefs la rémunération globale prévue dans la convention collective, de sorte qu’il a contourné la convention collective.

[51]   M. Cranwell traite dans son témoignage de l’importance d’un programme autorisé. Il avait mené un concours faisant appel au principe du mérite et avait choisi les auteures des griefs comme étant les candidates qui convenaient. Les auteures des griefs relevaient directement de lui. Il y avait de l’argent de disponible pour payer les auteures des griefs, et les chèques de ces dernières étaient financièrement approuvés par M. Wallis. Ce dernier a reconnu que M. Sawatsky avait déclaré que le contrat des auteures des griefs était nul et non avenu, mais M. Wallis a continué à payer les auteures des griefs. Le directeur savait que le programme pour délinquants sexuels était une nécessité/une obligation. De plus, il avait le pouvoir délégué de dotation en personnel.

[52]   La question préliminaire est de savoir si les auteures des griefs sont des fonctionnaires en vertu de la LEFP. L’article 10 de la LEFP indique que les nominations doivent être faites selon le principe du mérite, par voie de concours, et qu’elles doivent être faites par des personnes ayant un pouvoir délégué. M. Cranwell a utilisé le principe du mérite dans son processus de sélection et le directeur avait le pouvoir de procéder aux nominations.

[53]   Les auteures des griefs ont fait valoir que les paragraphes suivants de la politique du Conseil du Trésor sur les marchés (pièce A-1, onglet 5) sont pertinents aux fins de la présente affaire. La passation de marchés de services a toujours été considérée comme une bonne façon de réagir à des fluctuations inattendues de la charge de travail.

[...]

16.2 Marchés de services avec les particuliers et emploi dans la fonction publique

16.2.1 [...] Les facteurs susceptibles de créer des relations d’employeur à employé comprennent le niveau de supervision, la prestation de locaux et de matériel de travail, le type de travail (c’est-à-dire l’entrepreneur effectuant les mêmes fonctions que les fonctionnaires) et la formule de calcul de la rémunération et des avantages .

[...]

16.2.7 Les autorités contractantes ne peuvent pas recourir aux marchés de services pour faire échec aux exigences du régime d’emploi statutaire établi par la Loi sur l’emploi dans la fonction publique . En d’autres termes, les autorités contractantes ne peuvent pas conclure avec des particuliers des marchés qui, en l’absence du régime d’emploi de la fonction publique, créeraient des relations d’employeur à employé, selon les règles du droit coutumier.

[...]

16.3 Relations d’employeur à employé

[...]

16.3.3 Nomination en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique . Pour être nommé à un poste sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, c’est-à-dire pour être employé dans la fonction publique, il faut être en mesure de faire la preuve de ce qui suit :

de l’approbation financière (classification) du poste, accordée par le Conseil du Trésor ou par son délégué;

d’une décision administrative a été prise de procéder à une nomination à un poste;

d’un processus de sélection au mérite;

d’un processus de sélection de personnel a été mené par voie de concours ou autrement.

[...]

[54]   Les auteures des griefs m’ont renvoyé aux affaires suivantes : 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59; Bambrough c. la Commission de la Fonction publique, [1976] 2 C.F. 109 (C.A.); Canada (procureur général) c. Brault, [1987] 2 R.C.S. 489; Doré c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 503; Oriji c. Canada, 2002 CFPI 1151; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, dossiers de la CRTFP 147-02-31 et 169-02-447 (1988) (QL); Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2002 CRTFP 31.

Pour l’employeur

[55]   L’employeur a fait valoir que les ministères, les organismes et les employeurs distincts passent des contrats d’entreprise. La question ici est juridique : qu’est-ce qui est requis pour qu’une nomination soit faite conformément à la LEFP?

[56]   L’employeur a argué qu’il devait y avoir une nomination expresse, un acte officiel de nomination. L’acte officiel de nomination est un mécanisme de contrôle qui détermine si une personne est un fonctionnaire. Aucune preuve n’a été présentée pour montrer que le SCC entendait faire des auteures des griefs des fonctionnaires.

[57]   La définition de ce qu’est un fonctionnaire selon le paragraphe 2(1) de l’ancienne Loi est très claire : il est dit dans ce paragraphe que le mot « fonctionnaire »   désigne une « Personne employée dans la fonction publique [...] ». Il s’agit d’une définition unique en son genre qui a été établie par le Parlement et à laquelle il faut attribuer sa juste signification. Le paragraphe 2(1) de la LEFP dit que le mot « fonctionnaire »   désigne une « Personne employée dans la fonction publique et dont la nomination à celle-ci relève exclusivement de la [CFP]. »

[58]   L’article 8 de la LEFP confère à la CFP le pouvoir de procéder à des nominations. Il peut être argué que le mérite est l’un des plus importants facteurs en vertu de la LEFP et que le fait de savoir qui est un fonctionnaire et qui ne l’est pas est aussi un facteur important.

[59]   La Loi sur l’assurance-emploi et le Régime de pensions du Canada comportent des définitions différentes de ce qu’est un employé. Ces définitions doivent être considérées dans leur contexte; si le Parlement avait voulu définir de la même manière, dans toutes les circonstances, ce qu’est un employé ou un fonctionnaire, il l’aurait fait.

[60]   L’employeur soutenait en outre que les factures qui étaient signées et présentées par les auteures des griefs, pour paiement, montraient : [traduction] « Approuvé par l’entrepreneuse ». De plus, l’agent négociateur n’a pas demandé que des cotisations syndicales soient versées, et les auteures des griefs n’ont déposé un grief qu’après la résiliation de leur contrat.

[61]   L’employeur m’a renvoyé aux affaires suivantes : Panagopoulos c. Canada, [1990] A.C.F. n o 234 (1 re inst.) (QL); Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada (supra); Syndicat général du cinéma et de la télévision c. Canada (Office national du film – ONF), [1992] A.C.F. n o 125 (C.A.) (QL); Canada (Procureur général) c. Gaboriault, [1992] 3 C.F. 566 (C.A.); Gariépy c. Canada, [1996] A.C.F. n o 191 (1 re inst.) (QL); Association professionnelle des agents du service extérieur c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2001 CRTFP 132; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord canadien) (supra); Farrell c. Canada, 2002 CFPI 1271; Assoc. professionnelle des agents du service extérieur c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 162; Rostrust Investments Inc. c. Syndicat canadien de la fonction publique, 2005 CRTFP 1; Green-Davies v. Canada (Attorney General), 2005 BCSC 1321; Endicott c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CF 253; Ainsley Financial Corporation et al. v. Ontario Securities Commission et al. (1994), 21 O.R. (3d) 104.

Motifs

[62]   Les parties reconnaissent que ce cas dépend de la question préliminaire à savoir si les auteures des griefs sont des fonctionnaires aux fins de l’ancienne Loi ou des entrepreneuses indépendantes.

[63]   La preuve présentée par les parties faisait essentiellement écho au contenu de l’exposé conjoint des faits (pièce A-1, onglet 1).

[64]   Les auteures des griefs ont répondu à une annonce mise par l’EGC dans un journal local. Le SCC cherchait des candidats ayant un diplôme de premier cycle (baccalauréat ès arts, baccalauréat ès sciences) pour combler deux postes à plein temps pour une durée déterminée, soit des postes de co-intervenant auprès de délinquants sexuels, dont la date d’expiration devait être le 31 mars 2001. Les auteures des griefs sont arrivées première et deuxième dans le processus de sélection présidé par M. Cranwell. Le 8 janvier 2001, elles ont commencé à travailler à l’EGC, en vertu de contrats signés le 12 janvier 2001. Subséquemment, les auteures des griefs ont signé plusieurs contrats identiques aux premiers, de sorte que leurs contrats devaient être prolongés jusqu’au 1er juillet 2003. Toutefois, le 30 avril 2003, elles ont été informées, par une lettre de Dave Castle, spécialiste régional en passation de contrats, que la Couronne désirait résilier leurs contrats au 9 mai 2003 (pièce A-1, onglet 14).

[65]   La preuve montre que les auteures des griefs ont signé ces contrats. Le contrat, intitulé [traduction] Articles de convention (pièces A-2, onglet 1 et A-3, onglet 1) indique que Tanya Estwick et Amanda Quintilio sont des entrepreneuses.

[66]   La clause A13 du contrat, intitulé [traduction] Articles de convention, stipule :

[Traduction]

A13 Statut d’entrepreneur
13.1
Le présent contrat vise la prestation d’un service, et l’entrepreneuse est embauchée en vertu du contrat comme entrepreneuse indépendante, uniquement pour fournir un service. L’entrepreneuse ou son personnel n’est pas, en vertu du contrat, embauché comme employé, préposé ou mandataire de Sa Majesté. L’entrepreneuse accepte d’être seule responsable des paiements et/ou des déductions nécessaires, y compris concernant le Régime de pensions du Canada ou le Régime des rentes du Québec, l’assurance-chômage, l’indemnisation des accidents du travail ou l’impôt sur le revenu.

[Je souligne]

[67]   Les auteures des griefs ont en outre reconnu le 12 janvier 2001 que, en vertu de l’alinéa 23(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu, elles avaient « individuellement » le statut d’entrepreneur.

[68]   Les contrats que les auteures des griefs ont signés (pièce E-1) stipulaient clairement qu’elles comprenaient qu’il leur incombait de veiller à ce que la relation ne devienne pas une relation employeur-employé pendant la durée du contrat.

[69]   Le contrat, intitulé [traduction] Articles de convention (pièces A-2, onglet 1 et A-3, onglet 1), a été signé par M. Cranwell en tant que chargé de projet et par les auteures des griefs pour les entrepreneuses. De plus, les factures signées et présentées tous les quinze jours à l’EGC par les auteures des griefs montraient : [traduction] « J’atteste que j’étais présente aux heures susmentionnées. »

[70]   MM. Cranwell et Wallis ainsi que le directeur ont témoigné que des offres de nomination n’ont jamais été faites aux auteures des griefs, ce qui n’a pas été contesté par ces dernières à l’audience. Il est possible que les auteures des griefs estimaient qu’elles étaient traitées comme des fonctionnaires parce qu’elles étaient invitées à des réunions et que, par inadvertance, on leur envoyait des notes destinées à des fonctionnaires nommés pour une période indéterminée. Aucune preuve n’a toutefois été présentée pour montrer qu’on leur a déjà offert des postes pour une durée indéterminée. De plus, ayant examiné les contrats signés par les auteures des griefs, je suis d’avis que, avant la décision de Mme Woo, les auteures des griefs estimaient qu’elles étaient des entrepreneuses. Sinon, elles auraient certainement soulevé la question avant que soit résilié leur contrat.

[71]   On ne m’a présenté aucune preuve indiquant qu’une offre officielle de nomination avait été faite par le directeur, et la preuve qui a été présentée montre clairement que le directeur était le seul à avoir le pouvoir délégué de dotation en personnel pour nommer une personne à un poste à l’EGC.

[72]   Au paragraphe 2(1) de l’ancienne Loi, le mot « fonctionnaire »   est défini comme désignant une « Personne employée dans la fonction publique [...] ». Dans la LEFP, le mot « fonctionnaire » est défini comme désignant une « Personne employée dans la fonction publique et dont la nomination à celle-ci relève exclusivement de la [CFP]. » La CFP a le droit exclusif de nommer des personnes au SCC, et ce dernier fait partie de la fonction publique.

[73]   Le pouvoir de nomination est énoncé comme suit à l’article 8 de la LEFP   :

  8. Sauf disposition contraire de la présente loi, la [CFP] a compétence exclusive pour nommer à des postes de la fonction publique des personnes, en faisant partie ou non, dont la nomination n’est régie par aucune autre loi fédérale.

[Je souligne]

[74]   Le paragraphe 10(1) de la LEFP prévoit ce qui suit :

  10. (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d’une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la [CFP] , et à la demande de l’administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la [CFP] estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

[75]   D’après la preuve, M. Cranwell et les membres du comité de sélection ont choisi les auteures des griefs parmi les trois candidates admissibles. Bien que le principe du mérite ait été utilisé pour choisir les auteures des griefs, la CFP n’a joué aucun rôle dans le processus.

[76]   Je suis d’avis qu’il est généralement reconnu et accepté que, avant qu’une nomination à un poste au sein de la fonction publique puisse être faite, la CFP doit effectuer une vérification en matière de priorité pour s’assurer d’abord qu’il n’y a pas de candidats qualifiés dans son répertoire. Le répertoire doit contenir les noms de candidats qualifiés qui sont déjà employés dans la fonction publique mais ont été mis en disponibilité par suite d’un réaménagement des effectifs. De plus, dans un processus de concours, les candidats ont un droit d’appel en vertu de l’article 21 de la LEFP. Aucune preuve n’indique que la CFP a joué un rôle, que ce soit avant ou après qu’on ait embauché les auteures des griefs.

[77]   En examinant la jurisprudence fournie par les parties, je note le jugement rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Assoc. professionnelle des agents du Service extérieur c. Canada (Procureur général) (supra), concernant la structure juridique requise pour qu’une nomination soit faite à la fonction publique :

[...]

[14] La Commission devait décider ce qui était nécessaire pour qu’une personne devienne un « fonctionnaire » au sens de l’article 34 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique . Dans l’arrêt Econosult, à la page 634, Monsieur le juge Sopinka a cité en l’approuvant un passage de la décision de notre Cour qui avait été portée en appel et dans laquelle Monsieur le juge Marceau avait dit ce qui suit :

Il n’y a tout simplement pas de place dans cette construction juridique pour un fonctionnaire (i.e. un employé de la Reine, membre de la fonction publique) sans poste créé par le Conseil du Trésor, et sans nomination faite par la Commission de la fonction publique.

Pour ce motif, la Cour suprême a conclu qu’« il n’y a tout bonnement pas de place pour une espèce de fonctionnaire de fait qui ne serait ni chair ni poisson » [...]

[...]

[Je souligne]

[78]   On ne contestait pas le fait que le directeur ait eu le pouvoir délégué de nommer des candidats à un poste de co-intervenant dans le programme pour délinquants sexuels. Bien que l’employeur ait reconnu que les fonctions d’un co-intervenant auprès de délinquants sexuels étaient semblables à celles d’un agent de programmes correctionnels (WP-4), aucune preuve n’indiquait que les auteures des griefs avaient été nommées à un poste créé par le Conseil du Trésor. Aucune preuve n’a été présentée pour démontrer que le SCC ou le Conseil du Trésor avait établi le poste de co-intervenant auprès de délinquants sexuels par classification, groupe et niveau et par numéro de poste ou dans un organigramme indiquant les rapports hiérarchiques. Il n’y avait pas non plus de preuve d’intention, verbale ou écrite, voulant que le directeur ait déjà offert aux auteures des griefs un poste conformément à son pouvoir délégué selon la LEFP.

[79]   L’article 22 de la LEFP, qui régit le recrutement dans la fonction publique, prévoit qu’une nomination prend effet à la date fixée dans l’acte de nomination. Aucune preuve n’indique que l’on ait remis aux auteures des griefs un acte officiel de nomination comme une lettre d’offre.

[80]   Les auteures des griefs arguaient que l’absence d’acte officiel de nomination n’était qu’un point de détail ou une question de forme. Je ne partage pas ce point de vue.

[81]   Dans l’affaire Rostrust Investments Inc. c. Syndicat canadien de la fonction publique (supra), la Commission a fait référence à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada (supra) :

[...]

[21] Quoi qu’il en soit, depuis la décision de la Cour suprême du Canada [...] , il est clair que seuls les employés nommés conformément à la LEFP peuvent être considérés comme des employés aux fins de la LRTFP :

21. [...] S’il n’y avait pas de définition du mot « employé », on pourrait soutenir que la Commission peut décider si quelqu’un est un employé en vertu des critères généralement utilisés dans les affaires de relations de travail. Ces critères servent ordinairement à déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant. La définition expresse du mot « employé » montre cependant que le Parlement a clairement eu l’intention de déterminer lui-même la catégorie d’employés sur lesquels la Commission aurait compétence. Cette catégorie se limite aux personnes employées dans la Fonction publique et qui ne sont pas assujetties au Code canadien du travail. [...] Le rôle de la Commission consiste non pas à déterminer qui est employé, mais plutôt à déterminer si les employés qui répondent à cette définition appartiennent à une unité particulière de négociation.

[…]

24. […] La conclusion, sans plus, qu’ils sont des employés du gouvernement du Canada excéderait clairement la compétence attribuée par [la Loi ] et contredirait directement l’art. 8 de la Loi sur l’emploi [ dans la fonction publique ] qui réserve expressément cette compétence à la Commission de la Fonction publique.

 

25.      Dans le régime des relations de travail que j’ai exposé plus haut, il n’y a tout bonnement pas de place pour une espèce de fonctionnaire de fait qui ne serait ni chair ni poisson. […]

[…]

27. [...] Ceux qui peuvent soumettre des litiges à la Commission sont des employés, des organisations d’employés et des employeurs au sens des dispositions législatives qui restreignent manifestement ces litiges à la Fonction publique. [...]

[...]

[82]   Les auteures des griefs ont été considérées par l’ARC comme des employées, selon un contrat de services, aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada, comme l’avait décidé Mme Woo. Cette décision se rapportait aux déductions pour l’AE et le RPC et n’indiquait pas que les auteures des griefs étaient des fonctionnaires.

[83]   Qu’il suffise de dire que la notion de « fonctionanire » est définie différemment selon le régime législatif. En outre, il y a divers types de fonctionnaires : les fonctionnaires nommés pour une période déterminée ou indéterminée, les ETP, les fonctionnaires à temps partiel, les employés saisonniers. Ce qui n’arrange rien, comme en l’espèce, c’est que les ministères embauchent des personnes sous contrat pour répondre à des besoins pendant une période prolongée, contrairement à la politique du Conseil du Trésor sur les marchés. Cette politique stipule que « [l]a passation de marchés de services a toujours été considérée comme une bonne façon de réagir à des fluctuations inattendues de la charge de travail [...]. » Les auteures des griefs avaient été embauchées comme entrepreneuses pour répondre aux besoins d’un programme autorisé du SCC. Elles ont rempli les fonctions requises pendant deux ans et demi. Ainsi, le SCC a déboursé un tiers de moins qu’il lui aurait fallu payer pour un fonctionnaire nommé pour une période indéterminée, ce qui représentait une économie considérable selon M. Cranwell. Malgré le fait qu’elles étaient intégrées au lieu de travail, participaient aux activités sociales, suivaient des cours et faisaient parfois rapport à un superviseur, les auteures des griefs demeuraient des entrepreneuses. Je ne crois pas que la plupart des personnes embauchées par contrat comprennent la comptabilité du gouvernement qui consiste à séparer les fonds de F&E et les fonds salariaux. Elles peuvent donc penser qu’elles sont des fonctionnaires, alors qu’en réalité elles ne le sont pas.

[84]   Pour l’ensemble des motifs mentionnés plus haut, je conclus que les auteures des griefs ne sont pas des fonctionnaires aux fins de l’ancienne Loi, de sorte que les griefs sont rejetés pour défaut de compétence. J’aimerais cependant ajouter deux commentaires :

a)la CFP a accordé au SCC le pouvoir délégué de dotation en personnel. Je reconnais que le SCC a le droit d’exercer ce pouvoir. Toutefois, je ferai remarquer qu’une partie du mandat de la CFP consiste à surveiller les pratiques en matière de dotation en personnel et à réviser ou annuler tout pouvoir délégué de dotation en personnel quand il y a abus de ce pouvoir;
b)le Conseil du Trésor doit faire en sorte que le SCC et ses fonctionnaires connaissent bien la politique du Conseil du Trésor sur les marchés ainsi que l’intention qui sous-tend cette politique.

[85]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[86]   Les griefs sont rejetés.

Le 9 février 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

D. R. Quigley,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.