Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant était un agent correctionnel affecté à un centre régional de traitement du Service correctionnel du Canada (SCC) - il a été muté du centre régional de traitement à un poste dans une autre installation - le 17 février 2003, il a déposé une plainte aux termes de l’ancienne Loi alléguant qu’il avait été victime de harcèlement et qu’il avait été muté après avoir soulevé des questions auprès du SCC - la première question concernait l’introduction de tabac de << contrebande >> au centre pour les patients souffrant d’une maladie mentale qui étaient prises avec une dépendance à la nicotine - le plaignant et son agent négociateur ont également déposé des plaintes relativement à cette question auprès de l’agent de l’intégrité de la fonction publique, du ministre responsable du SCC, du SCC et de la Gendarmerie royale du Canada - la deuxième question concernait le manque de sérieux manifesté par les gestionnaires du SCC lorsqu’une arme a été saisie entre les mains d’un détenu qui avait l’intention de poignarder le plaignant - le plaignant a également déposé une plainte fondée sur la partie II du Code canadien du travail relativement à cette question - la nouvelle Loi est entrée en vigueur pendant que la Commission délibérait sur la plainte - la Commission a conclu que les dispositions transitoires de la LMFP prévoyaient clairement que le traitement de la plainte devait se poursuivre devant la Commission - elle a aussi conclu que la situation des parties était constituée avant l'entrée en vigueur de la nouvelle Loi et que la plainte devait être décidée sur la base des droits et obligations découlant de l'ancienne Loi, ce qui signifiait qu’il incombait au plaignant d’établir que sa plainte était fondée - la Commission a conclu que le plaignant n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, le bien-fondé de sa plainte - à son avis, les intimés n’avaient pas manifesté de sentiment antisyndical. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-02-27
  • Dossier:  561-2-8
    161-2-1252
  • Référence:  2006 CRTFP 20

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

DAN DUBREUIL

plaignant

et

CONSEIL DU TRÉSOR (Service correctionnel du Canada),
LUC DOUCET, DAVID LEWIS ET DAVE NILES

défendeurs

Répertorié
Dubreuil c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada ) et al.

Affaire concernant une plainte visée à l'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Thomas Kuttner, c.r., commissaire

Pour le plaignant :  John Mancini, UNION OF CANADIAN CORRECTIONAL OFFICERS — SYNDICAT DES AGENTS CORRECTIONNELS DU CANADA — CSN

Pour les défendeurs :  Karl Chemsi, avocat


Affaire entendue à Moncton (Nouveau–Brunswick),
les 17 et 18 février et les 8 et 9 mars 2004.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Plainte devant la Commission

[1]   Dans la présente plainte, M. Dan Dubreuil, plaignant, demande réparation au titre du harcèlement dont il estime avoir fait l’objet durant une période prolongée et qui a entraîné sa réaffectation, en mai 2003, du poste d’agent correctionnel II au Centre de rétablissement Shepody (CRS), au poste d’agent correctionnel II au pénitencier de Dorchester, situé au Nouveau–Brunswick.  À cette fin, il présente une plainte visée à l’article 23 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Loi »), dans laquelle il allègue avoir été harcelé puis muté par le Service correctionnel du Canada, soit MM. Luc Doucet, David Lewis et Dave Niles, en représailles au fait qu’il s’était employé à ce que la direction ménage un environnement de travail sûr et sain, ainsi qu’elle y est tenue en vertu de la loi.  Il s’agit, à son avis, de mesures discriminatoires et de manœuvres d’intimidation qui vont à l’encontre des dispositions de l’ancienne Loi interdisant les pratiques déloyales de travail, notamment l’alinéa 8(2)a) et le sous–alinéa 8(2)c)(ii). 

[2]   La plainte a été directement mise au rôle sans processus de médiation préalable. Cependant, après la déposition du premier témoin des défendeurs, M. Doucet, les parties m’ont demandé d’un commun accord d’essayer de régler d’abord le différend par la médiation.  Elles ont aussi consenti à ce que j’endosse à nouveau mon rôle d’arbitre de grief si ce processus se révélait un échec.  Une bonne partie de la première journée d’audience a été consacrée à la médiation, mais en dépit de leur bonne foi, les parties ont été incapables de régler leurs différends par ce moyen; ainsi donc, avec leur consentement, j’ai repris mon rôle d’arbitre de grief, en vertu de l’article 23 de l’ancienne Loi, pour rendre une décision définitive et exécutoire.

[3]   Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « nouvelle Loi »), édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur.  En vertu de l'article 39 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, la Commission demeure saisie de cette plainte, qui doit être décidée conformément à la nouvelle Loi.

[4]   Pour les motifs exposés ci–après, je conclus que la plainte doit être rejetée.

Résumé de la preuve

[5]   Outre la cinquantaine de pièces justificatives produites, la Commission a entendu  cinq témoins, dont deux des défendeurs nommément désignés, M. Doucet, directeur exécutif du CRS, le Centre régional de traitement (CRT) de l’Atlantique de SCC, et M. Lewis, qui était à l’époque infirmier surveillant à l’unité d’évaluation aiguë et de thérapie comportementale dialectique (unité ÉATCD) au CRS.  Outre le plaignant lui–même, la Commission a entendu le témoignage, pour son compte, de son supérieur immédiat, M. David Price, gestionnaire de l’unité 1 au pénitencier de Dorchester, et responsable des agents correctionnels affectés au CRS, et de M. Clayton McGougan, un collègue agent correctionnel, qui occupe le poste de vice–président de la section locale de Dorchester du UNION OF CANADIAN CORRECTIONAL OFFICERS – SYNDICAT DES AGENTS CORRECTIONNELS DU CANADA – CSN (UCCO–SACC–CSN) et de coordonnateur régional des griefs. Le résumé du contexte factuel et des circonstances ayant donné lieu à la plainte présenté ci–après est tiré des témoignages entendus et des pièces justificatives produites.

[6]   Bien qu’il soit situé à l’intérieur des murs du pénitencier de Dorchester et occupe donc une partie de l’immeuble (immeuble B–6), le CRS ne fait plus partie intégrante du pénitencier.  En fait, depuis la fin de 2001, c’est une institution distincte dotée de sa propre structure hiérarchique. Le directeur exécutif en est M. Doucet, qui relève directement du sous–commissaire régional (région de l’Atlantique), M. Rémi Gobeil, au même titre que le directeur du pénitencier de Dorchester, M. Gary Mills.  Le CRS est l’un des cinq centres de soins exploités par SCC; on y dénombre 40 lits, dont 34 sont réservés au service de santé mentale pour le traitement des détenus aux prises avec des problèmes de santé mentale et des troubles de comportement; les autres lits se trouvent dans le service de santé physique.  L’établissement offre des soins comportant hospitalisation à l’ensemble de la région de l’Atlantique et des services externes aux détenus du pénitencier de Dorchester et de l’Établissement Westmoreland, tous deux situés au Nouveau–Brunswick.

[7]   Le personnel est composé principalement de psychologues, d’infirmiers et infirmières et de travailleurs sociaux; on fait également appel à des psychiatres et des omnipraticiens de la région locale, de même qu’à d’autres médecins praticiens et auxiliaires offrant leurs services sur demande. Le CRS et le pénitencier de Dorchester ont conclu plusieurs ententes de services communs en vertu desquelles le pénitencier fournit des services de gestion, ainsi que des services et programmes et correctionnels au CRS, dont des agents et un surveillant correctionnels (pièces C–28A, 28B, 28C, protocole d’entente de février 2002).  Les deux établissements sont gérés séparément sur le plan financier, chacun ayant son propre budget. 

[8]   Le service de santé mentale du CRS compte plusieurs unités et offre divers modules et programmes de traitement. La principale unité est celle de l’ÉATCD, où le défendeur, M. Lewis, maintenant chef des Services de santé, occupait le poste d'infirmier surveillant durant la période visée par la plainte.  Le personnel de cette unité a conçu et mis en œuvre un programme de modification comportementale, la thérapie comportementale dialectique (TCD), sous la direction du D r Donna McDonagh d’Ottawa, gestionnaire du programme national de santé mentale de SCC. La TCD est une méthode multidisciplinaire de modification du comportement qui nécessite la collaboration et l’homogénéité d’action de tous ceux qui travaillent avec les patients, c’est–à–dire non seulement les professionnels de la santé, mais aussi les agents correctionnels, dont la participation et la collaboration sont indispensables au succès du programme.  À cette fin, les agents correctionnels affectés à la sécurité au CRS prennent part à un programme de formation de cinq jours, conçu par le D r McDonagh, afin de se familiariser avec la philosophie et la théorie qui sous–tendent la TCD et d’apprendre des techniques utiles pour interagir avec les patients de manière à encourager les comportements acceptables au lieu d’exacerber les comportements indésirables. Les patients de l’unité ÉATCD ont souvent de graves problèmes de santé mentale et sont parfois en proie à des crises de délire, de paranoïa et de schizophrénie, qui peuvent être déclenchées par des réactions inappropriées du personnel, y compris les agents correctionnels, à leur comportement.  Le TCD est adapté aux besoins et comportements particuliers de chaque patient, dont les progrès sont étroitement surveillés et évalués chaque semaine par l’équipe de soins afin d’apporter les correctifs nécessaires aux méthodes de traitement.  MM. Doucet et Lewis ont tous deux indiqué à quel point il était important que le personnel, y compris les agents correctionnels affectés à la sécurité au CRS, adhère à la philosophie du TCD et collabore à son application. 

[9]   La plainte en soi a été déposée auprès de la Commission le 17 février 2003 (pièce C–1).  Cependant, les allégations de manquement aux règles de santé et sécurité de SCC et de représailles contre le plaignant pour avoir signalé sans relâche ces problèmes, avant et après le dépôt de la plainte, montrent qu’il s’agit d’un des aspects d’une série d’incidents qui opposent le plaignant et l’UCCO–SACC–CSN à SCC. 

[10]   La Commission décrit ci–après la suite des événements, y compris les diverses mesures prises par l’UCCO–SACC–CSN et le plaignant pour remédier à ce qui leur paraissait être de graves manquements de la part de la direction du pénitencier de Dorchester et du CRS, de même que les mesures prises en retour par la direction.

[11]   Le 10 juin 2002, M. McGougan, pour le compte de l’UCCO–SACC–CSN, a déposé une plainte auprès du haut responsable des valeurs et de l'éthique, à l’administration centrale de SCC, dans laquelle il accusait la direction du pénitencier de Dorchester et du CRS de graves manquements sur le plan de la gestion et de non–respect des lois et règlements. Les allégations étaient nombreuses; plusieurs concernaient le présent plaignant et ont été reprises comme une ritournelle dans les nombreuses procédures engagées ultérieurement par le plaignant ou pour son compte (pièce C–29. i–iv; xxiii). 

[12]   Il était d’abord allégué que MM. Doucet et Lewis avaient demandé au personnel infirmier d’apporter du tabac pour les patients du CRS. 

[13]   Il était ensuite allégué que, le 21 mars 2002, M. Lewis avait menacé le plaignant de l’éloigner du CRS parce qu’il lui avait manqué de respect en lui disant qu’il était illégal d’introduire du tabac « de contrebande » dans l’établissement sans autorisation et que les articles seraient saisis. 

[14]   En dernier lieu, il était allégué que M. Doucet avait rejeté à tort des accusations internes déposées par le personnel correctionnel, dont le plaignant, contre des détenus. Ces allégations ont ultérieurement été remplacées par des accusations de violation de la partie II du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L–2, régissant la santé et la sécurité au travail, dans une lettre adressée par M. McGougan à la Commissaire de SCC de l’époque, Mme Lucie McClung, le 22 juillet 2002, afin qu’il soit donné suite aux doléances de l’UCCO–SACC–CSN (pièce C–29. xxxvii).

[15]   En ce qui concerne les allégations relatives au tabac de « contrebande », M. Hubert Danis, directeur exécutif par intérim du CRS, a ultérieurement envoyé une note de service, en date du 2 août  2002, au personnel infirmer et aux agents correctionnels de l’unité ÉATCD (pièce C–25), dans laquelle il indiquait que la direction entendait faire le nécessaire pour que les patients déclarés non entièrement responsables de leurs actions en vertu de la Loi sur la santé mentale, L.R.N.–B. 1973, chap. M–10, et souffrant de dépendance à la nicotine puissent compter sur un approvisionnement suffisant en tabac en sus de ce à quoi les détenus ont généralement droit. Cette note de service a provoqué une réaction immédiate du plaignant, qui, dès le lendemain, a envoyé un courriel au personnel du CRS, y compris la direction, indiquant qu’il était illégal, en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la LSCMLC), d’introduire des articles de contrebande dans l’établissement, que ce soit à la demande d’un détenu, d’un collègue de travail ou de la direction. En effet, la possession de tels articles passé le point de contrôle des visiteurs et leur distribution à des détenus constituaient des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire (pièce R–19).  Pour avoir envoyé cette note, le plaignant a été contraint de prendre part à des séances de counselling; il a ensuite déposé un grief, le 24 août 2002, dans lequel il alléguait que cette mesure était injuste et demandait, à titre de réparation, des excuses écrites de l’employeur (pièce C–16).  

[16]   La situation a considérablement empiré à l’automne de 2002.  Tout d’abord, le 22 octobre 2002, M. McGougan, agissant encore une fois au nom de l’UCCO–SACC–CSN, a envoyé à M. Edward Keyserlingk, agent de l'intégrité de la fonction publique pour le gouvernement du Canada, une copie de la plainte initiale adressée au haut responsable des valeurs et de l'éthique de SCC, le 22 juin 2002. Dans sa lettre d’accompagnement, il alléguait que le plaignant avait été victime de représailles au travail de la part de MM. Doucet et Lewis et du surveillant de l’unité à l’époque, M. Niles, à cause de ses actions et demandait la tenue d’une enquête indépendante pour faire la lumière sur l’affaire (pièce C–29.xl). 

[17]   Le lendemain, soit le 23 octobre 2002, M. McGougan a écrit au solliciteur général du Canada pour demander la tenue d’une enquête impartiale en vue de faire la lumière sur l’affaire (pièce R–12.i).  Le même jour, il a déposé une plainte officielle de harcèlement, pour le compte du plaignant, contre MM. Doucet, Lewis et Niles, conformément à la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail du Conseil du Trésor (pièce R–15). 

[18]   La plainte de harcèlement reprenait essentiellement le libellé des plaintes adressées au haut responsable des valeurs et de l'éthique et alléguait que le plaignant avait fait l’objet de représailles de la part de trois gestionnaires après s’être plaint que la direction avait agi de manière répréhensible en demandant d’abord au personnel d’apporter du tabac de « contrebande » pour les patients du CRS et en rejetant ensuite les rapports d’infraction soumis par les agents correctionnels concernant des patients du CRS (pièce  R–1).

[19]   La plainte de harcèlement a été reçue par M. Gobeil, sous–commissaire régional (région de l’Atlantique), le 5 novembre 2002.  Dans l’intervalle, l’UCCO–SACC–CSN a poursuivi ses démarches.  Le 2 novembre 2002, M. McGougan a déposé une plainte contre MM. Doucet et Lewis auprès du détachement de Sackville de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).  Le texte en est reproduit ci–dessous (pièce R–6) :

[Traduction]

[...]

Concernant M. Luc Doucet – Directeur, Centre régional de traitement de l'Atlantique

M. David Lewis – infirmier surveillant, Centre régional de traitement de l'Atlantique

Veuillez considérer la présente comme une demande officielle d’enquête en vue de faire la lumière sur la violation possible, par les personnes susmentionnées, du paragraphe 126(1), de l’article 128, ainsi que de l’alinéa 129 a ) et le paragraphe 139(2) du Code criminel du Canada .

Les agents correctionnels actuels et anciens affectés au CRT et l'agent de sécurité préventive de l'établissement fourniront la preuve que les accusations déposées comme il se doit en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC) et du règlement d’application sont illégalement rejetées.

La liste complète des témoins et la preuve documentaire connexe disponible seront fournis, sur demande, à l’agent enquêteur.  Veuillez prendre note que, par crainte de représailles, bien des agents hésiteront à fournir de l’information, à moins qu’on les informe qu’il s’agit d’une enquête « officielle ».

[...]

Les dispositions du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C–46, dont il est fait mention, concernent les actes répréhensibles commis par des agents de la paix (paragr. 126(1) et art. 128), le fait d’entraver un agent de la paix ou de lui résister (alinéa 129a)), des infractions passibles d’un emprisonnement de deux ans; de même que le fait de tenter volontairement d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice (paragr. 139(2)), une infraction passible d’un emprisonnement de dix ans.

[20]   Le 13 novembre 2002, M. Doucet a officiellement demandé la réaffectation du plaignant du CRS au pénitencier de Dorchester car sa présence continue nuisait au bon fonctionnement du CRS et en perturbait les activités.  Pour ce faire, il a adressé une note de service par courrier électronique, dont le texte est reproduit ci–dessous, à M. Mills et au sous–directeur, M. Hal Davidson, avec copie à M. Gobeil (pièce C–8) :

[Traduction]

[...]

L’équipe de gestion du Centre de rétablissement Shepody en est arrivée à la conclusion que la présence de l’agent correctionnel Dan Dubreuil nuit au bon fonctionnement du centre. L’agent Dubreuil a régulièrement contesté les décisions de la direction, pris des mesures contraires aux décisions collectives, décidé de sa propre initiative de ne pas emmener des détenus à l’extérieur pour leur heure d’exercice, en contravention de l’article 83 de la LSCMLSC.  Hier encore, alors que je faisais la tournée du CRS avec la S.–C, l’agent Dubreuil a indiqué que les détenus ne seraient pas conduits à l’extérieur pour la période quotidienne d’exercice à laquelle ils ont droit.  Je lui ai indiqué que le directeur et le sous–directeur s’étaient engagés à respecter la LSCMLC en tout temps et lui ai conseillé d’en discuter avec le sous–directeur. L’attitude et les comportements de l’agent Dubreuil ont été signalés régulièrement à ses supérieurs; il a d’ailleurs pris part à des séances de counselling, mais sans succès semble–t–il.  Cette situation est inacceptable; nous n’admettons pas qu’une personne perturbe ainsi nos activités.  Nous demandons dès lors que l’agent Dubreuil soit éloigné du CRS et réaffecté dans un autre service. 

[...]

[21]   M. Davidson a réagi sans tarder en demandant au supérieur immédiat du plaignant, M. Price, de se pencher sur les allégations de M. Doucet. M. Price lui a répondu, dans une note de service en date du 14 novembre 2002, avec copie à M. Doucet, qu’après avoir interrogé le plaignant, il en était arrivé à la conclusion que les allégations, qu’il qualifiait de ouï–dire et de prétentions subjectives et personnelles avant tout, n’étaient corroborées par aucun fait particulier et qu’il n’était pas nécessaire d’y donner suite. (pièce  C–8.ii–iv).  M. Doucet n’a reçu aucune réponse officielle des autorités pénitentiaires à sa lettre en date du 13 novembre 2002 et sa demande est demeurée sans suite.

[22]   Par ailleurs, M. Gobeil a pris des mesures concrètes, durant le mois de novembre, en réponse à la plainte de harcèlement déposée par M. McGougan pour le compte du plaignant, le 23 octobre 2002, comme en témoigne la note de service au plaignant en date du 2 décembre 2002 (pièce R–1).  M. Gobeil y informe le plaignant que, après examen et analyse de la plainte initiale et des renseignements fournis le 13 novembre 2002, les seules allégations qui pourraient être retenues en vertu de la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail du Conseil du Trésor sont celles voulant que M. Lewis ait été méprisant à l’endroit du plaignant et l’ait menacé de l’éloigner du CRS en mars  2002, et que M. Doucet ait cherché à deux reprises à le faire retirer du lieu. 

[23]   Des dispositions ont été prises afin de régler ces plaintes par la voie de la médiation avec le concours de la Commission de la fonction publique (CFP), à la mi–décembre 2002. M. Gobeil a refusé de donner suite aux autres plaintes déposées en vertu de la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail du Conseil du Trésor.  Une allégation de mesure disciplinaire injustifiée relativement à l’utilisation du courrier électronique faisait déjà l’objet d’un grief en vertu de la convention collective (pièce C–16). 

[24]   L’allégation concernant une appréciation de rendement jugée inacceptable était censée être renvoyée à un comité d’examen du rendement, en conformité avec la politique interne du SCC (cette question a ultérieurement été réglée à la satisfaction du plaignant à l’issue d’un examen du rendement en janvier 2003) (pièces C–1, C–2, C–3 et C–5). 

[25]   M. Gobeil avait demandé à M. Doucet, dans une note de service en date du 15 novembre 2002 (pièce R–9), de lui fournir des précisions au sujet des allégations du plaignant concernant l’introduction non autorisée de tabac de « contrebande » pour des patients du CRS et le rejet injustifié d’accusations internes déposées contre des patients par le personnel correctionnel.  En guise de réponse, M. Doucet a indiqué, dans une note de service en date du 18 novembre 2002, qu’on avait officiellement cessé, en juin 2002, de demander au personnel d’apporter du tabac pour les patients et qu’un protocole sur la gestion des besoins des patients souffrant de dépendance au tabac était en cours de préparation. 

[26]   En ce qui concerne l’allégation concernant le rejet d’accusations internes sans raison valable, M. Doucet indiquait que toutes les accusations fondées étaient traitées comme il se devait mais que, à deux occasions, il avait rejeté des accusations qui visaient à tort des patients déclarés mentalement incapables par le psychiatre traitant.  Voici ce qu’il écrivait (pièce R–10) :

[Traduction]

Le Centre de rétablissement Shepody n’est pas seulement un établissement correctionnel, mais aussi un hôpital psychiatrique; nous devons donc nous conformer aux normes établies par la communauté en matière de soins, de services et de traitements offerts et en ce qui concerne la gestion des personnes atteintes de troubles mentaux.

[27]   M. Gobeil indique au plaignant, dans sa note de service en date du 2 décembre 2002, que les précisions fournies l’ont convaincu que la question du tabac avait été réglée et qu’il n’y aura donc pas d’autre processus en vertu de la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail du Conseil du Trésor.

[28]   Quant aux allégations concernant les accusations internes rejetées sans raison valable, M. Gobeil indique au plaignant que SCC attend de connaître les conclusions de l’enquête de la GRC demandée par l’UCCO–SACC–CSN.  À ce moment–là, l’enquête de la GRC était devenue une affaire publique.  Un député local avait soulevé la question en Chambre, puis transmis à la presse la lettre de M. McGougan, en date du 23 octobre, au solliciteur général et celle, en date du 29 novembre, à la GRC, dont M. McGougan lui avait fait tenir copie. 

[29]   L’affaire a fait les manchettes dans la presse du Nouveau–Brunswick. Le Times & Transcript de Moncton et le Telegraph Journal de Saint–John ont publié des articles de fond sur les plaintes déposées contre deux dirigeants du pénitencier de Dorchester (pièce R–12.1 (i)(ii)). 

[30]   Deux mois plus tard, soit le 28 janvier 2003, le Times & Transcript rapportait que la GRC avait conclu, au terme de son enquête, que rien ne justifiait le dépôt d’accusations criminelles (pièce R–12 (iii)).

[31]   Le 2 décembre 2002, M. Gobeil avait aussi informé MM. Doucet et Lewis de la plainte de harcèlement du plaignant et les avait également invités à recourir à la médiation pour régler leur différend, mais tous deux avaient refusé de procéder (pièces R–16 et R–17).  Quoi qu’il en soit, M. Gobeil et Mme Denise Thériault, spécialiste du harcèlement, services des ressources humaines de SCC, ont rencontré le plaignant et M. McGougan le 18 décembre 2002 pour discuter à nouveau des moyens à prendre pour régler l’affaire.

[32]   Durant cette réunion, le plaignant s’est de nouveau plaint de M. Doucet, qui avait récemment essayé de le faire retirer de son poste au CRS, et de M. Lewis, qui s’était prétendument moqué de lui dans une chanson le 17 novembre 2002.  Dans ce dernier cas, la plainte découlait d’un incident où on avait confisqué une arme tranchante à un patient qui projetait, semble–t–il, de poignarder le plaignant.  M. Dubreuil a formulé ces dernières allégations dans une lettre en date du 19 décembre 2002 (pièce R–2), et confirmé par la même occasion qu’il tenait à ce que les plaintes soient traitées dans le cadre du processus prévu par la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail du Conseil du Trésor, au lieu d’être « morcelées » en plusieurs processus distincts comme M. Gobeil le proposait dans sa lettre en date du 2 décembre 2002.  Dans la note de service de M. Gobeil, en date du 9 janvier 2003, au plaignant, il est indiqué que ces nouvelles plaintes de harcèlement ont été réunies avec la plainte initiale et que le dossier a été transmis à l’agent enquêteur de la CFP en vue d’une enquête officielle (pièce R–3). 

[33]   Durant la réunion du 18 décembre 2002, il avait été question d’une réaffectation temporaire du plaignant à l’extérieur du CRS, jusqu’à la fin de l’enquête prévue pour la fin de février 2003.  Le plaignant a rejeté cette éventualité en demandant plutôt qu’on éloigne MM. Doucet et Lewis.  Le plaignant a confirmé tout cela dans une lettre, en date du 6 janvier 2003, à M. Gobeil, dans laquelle il indique notamment ce qui suit (pièce C–17) :

[Traduction]

[...]

Pour faire suite à votre lettre en date du 20 décembre 2002, je tiens à fournir les précisions suivantes :

[...]

Je ne souscris pas à votre décision de laisser MM. Doucet et Lewis continuer d’exercer des fonctions qui leur offrent la possibilité de continuer à me harceler.  Comme je l’ai clairement indiqué à la réunion, je ne crois pas que le harcèlement cessera.

Dans ce cas–ci, le harcèlement ne constitue pas un « problème complexe ».  Je suis harcelé parce que je me suis employé à m’acquitter de mes fonctions à titre d’agent de la paix.

Comme je l’ai indiqué à la réunion, je n’accepte pas d’être affecté ailleurs jusqu’à la fin de l’enquête, car je n’ai rien fait de mal. Je vous demande à nouveau de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour éloigner MM. Doucet et Lewis de mon lieu de travail.

[...]

[34]   Cette lettre a suscité la réponse suivante de M. Price, envoyée par courrier électronique le 7 janvier 2003 (pièce R–7) :

[Traduction]

M. Dubreuil; avec tout le respect que je vous dois, je suis désormais au courant de votre situation et je me préoccupe véritablement du fait que vous estimez que le harcèlement ne cessera pas tant que MM. Doucet et Lewis ne seront pas tenus à l’écart de votre lieu de travail.  Aucun fait récent ne me permet de conclure que vous êtes victime de harcèlement et rien ne m’indique que les processus ou les enquêtes ont confirmé que vous étiez victime de harcèlement.

En ma qualité de gestionnaire responsable de la gestion et de la supervision du personnel de l’unité, il est de mon devoir de veiller à ce que le milieu de travail soit propice au respect des normes professionnelles.

Je peux comprendre que vous soyez insatisfait du processus, mais il ne vous appartient pas de décréter qui devrait aller où et où vous–même devriez aller.  Vous devez comprendre que nous avons une obligation de services et je trouve de plus en plus difficile d’observer le mutisme dans ce cas–ci étant donné qu’aucune conclusion n’a encore été tirée.

Or, il ressort clairement de votre courriel que vous avez conclu que vous étiez harcelé et alliez continuer de l’être si les autres employés restaient en place.  Je ne partage pas votre point de vue à cet égard car je suis la situation de près; j’envisage actuellement de vous réaffecter dans un autre service à l’extérieur du Centre de rétablissement Shepody afin de m’assurer que vous ne faites pas l’objet de harcèlement, réel ou perçu.

Vous ne devez en aucun cas considérer ou interpréter cela comme une décision visant à faire obstacle à vos plaintes. Comme vous le savez certainement, MM. Doucet et Lewis ne travaillent pas au pénitencier de Dorchester, mais au Centre de rétablissement Shepody.  Vous êtes, quant à vous, un employé du pénitencier et relevez des Opérations correctionnelles lorsqu’un problème comme le vôtre m’est signalé.

Je suis confiant que vous respectez mon point de vue autant que je comprends votre situation en ce qui concerne vos allégations de harcèlement.  Comme je l’ai déjà indiqué, vous pouvez être assuré que si je décide d’intervenir, ma décision sera fondée non seulement sur les meilleurs intérêts des parties en cause mais tiendra compte également de l’obligation qui nous est faite de veiller à ce que nous nous acquittions tous de nos fonctions dans un environnement libre de harcèlement.  En ce qui vous concerne, je n’ai pas été informé que le dossier était clos et si j’en juge par votre courriel, je crois que nous devrions poursuivre notre discussion afin de trouver le meilleur moyen de limiter au minimum, de manière raisonnable, toute possibilité de conflit dans l’avenir.

Le jour de votre retour au travail, j’aimerais que vous communiquiez avec Mme Susan Spence pour prendre rendez–vous avec moi afin que nous examinions la situation actuelle. Veuillez prendre note que vous avez le droit de vous faire accompagner par votre représentant syndical.

[...]

[35]   L’enquête interne de la CFP a commencé à la fin de janvier.  À l’issue d’une première rencontre avec l’agent enquêteur de la CFP, M. McGougan, en tant que représentant de l’UCCO–SACC–CSN, a écrit à Mme Thériault, spécialiste du harcèlement, RH, SCC, pour l’informer que, dans la mesure où l’enquête se limitait aux questions transmises par M. Gobeil pour suite à donner conformément à la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail du Conseil du Trésor, ni l’UCCO–SACC–CSN ni le plaignant n’entendaient prendre part au processus. 

[36]   M. McGougan alléguait que M. Gobeil cherchait à faire obstacle à l’introduction d’éléments de preuve pertinents corroborant des actes répréhensibles, par manipulation et ingérence, et à empêcher, par le fait même, la tenue d’une enquête complète et impartiale (pièce C–22).  Le même jour, SCC a retenu les services de McIntyre Consulting à Halifax (Nouvelle–Écosse) pour faire toute la lumière sur la plainte de harcèlement.  Mme Thériault, à titre de spécialiste du harcèlement au SCC, a informé le plaignant, au moyen d’une note de service en date du 11 février 2003, avec copie à M. McGougan, que l’enquête de Mme McIntyre allait suivre son cours, même s’il refusait d’y participer et que, dans tous les cas, on le tiendrait au courant du processus (pièce R–4).  C’est peu de temps après, soit le 16 février 2003, que le plaignant a déposé, auprès de l’ancienne Commission, la présente plainte de pratique déloyale de travail en vertu de l’ancienne Loi (pièce C–1). 

[37]   McIntyre Consulting a remis son rapport final sur la plainte de harcèlement le 28 mars 2003 (pièce R–18).  Mme McIntyre y expose minutieusement les conclusions de son enquête sur place, laquelle a nécessité l’examen de la volumineuse preuve documentaire, dont celle du plaignant, et les résultats de ses entrevues avec les 11 témoins dont les noms lui avaient été communiqués par le plaignant et les deux défendeurs, MM. Doucet et Lewis.  Les témoins comprenaient des cadres supérieurs du pénitencier de Dorchester, les supérieurs immédiats et d’autres membres du personnel.  Le dossier transmis à Mme McIntyre pour fins d’enquête comportait trois volets (pièce R–18) :

[Traduction]

[...]

  1. les défendeurs lui ont fait des menaces, ont cherché à l’intimider et ont exercé des représailles contre lui parce qu’il avait fait part de ses préoccupations au sujet de comportements au travail qui lui paraissaient contraires à l’éthique et interdits par la loi;

  2. le défendeur, M. Doucet, l’a harcelé en essayant de l’éloigner à tort du Centre de rétablissement Shepody.  M. Doucet a inventé de toutes pièces une fausse plainte et l’a accusé de nombreuses infractions qui, après enquête, se sont révélées sans fondement.

  3. le défendeur, M. Lewis, l’a harcelé en chantant une chanson dans laquelle il était question de la découverte d’une arme dans l’unité qui devait prétendument servir à poignarder le plaignant, et en se moquant de cet incident.

[38]   Concernant la première allégation, Mme McIntyre a conclu que rien ne corroborait les allégations d’intimidation et de représailles.  Au sujet de la deuxième allégation, Mme McIntyre a conclu que la prépondérance de la preuve confirmait la thèse des défendeurs selon laquelle les demandes de réaffectation résultaient d’une décision de la direction visant à ce que le personnel affecté à l’unité ÉATCD possède les compétences requises pour accomplir le travail avec efficacité.  Pour ce qui est de la troisième allégation, Mme McIntyre a conclu qu’elle n’était pas fondée, faute de preuve.  En conséquence, Mme McIntyre a considéré que les plaintes de harcèlement étaient non justifiées et sans fondement.

[39]   Le 18 mars 2003, Mme McIntyre avait fait tenir au plaignant copie de son rapport préliminaire afin de lui donner l’occasion d’y répondre, ce qu’il a fait dans une lettre en date du 22 mars 2003, dans laquelle il formule de graves allégation contre MM. Doucet et Lewis, qu'il accuse de s’être livrés à des actes répréhensibles durant le processus d’enquête comme tel.  Il écrit entre autres choses ce qui suit :

[Traduction]

Concernant votre lettre en date du 18 mars 2003 et le rapport préliminaire que vous y avez annexé.

[...]

Il est manifeste que MM. Doucet et Lewis, convaincus que les infractions ont été camouflées avec succès, se servent de cette enquête pour exercer des représailles.  Je vous prie de noter qu’aucune de leurs accusations ou déclarations n’est corroborée par un élément de preuve ou un document quelconque. C’est seulement après que M. McGougan et moi–même avons commencé à produire des preuves documentaires et à nous plaindre des infractions qu’ils ont commencé à mettre en doute mes compétences.  Vous trouverez ci–joint, à titre d’exemple, les résultats de l’enquête menée par le gestionnaire de l’unité, M. D. Price, au sujet de la fausse plainte déposée par M. Doucet le 12 novembre 2002, et la plainte initiale adressée au haut responsable des valeurs et de l'éthique.

Les déclarations des personnes interrogées, ainsi que la preuve documentaire comme telle constituent des preuves supplémentaires de la conduite répréhensible et des tromperies de MM.   Doucet et Lewis.  En vous mentant durant le déroulement de l’enquête, ils ont contrevenu à nouveau aux dispositions du code de conduite du SCC; des procédures sont actuellement en cours à cet égard.

[40]   Le plaignant a aussi répondu au rapport final, dont il a contesté les conclusions, dans une lettre en date du 15 avril 2003.  Dans sa réponse à la plainte, M. Gobeil indique qu’il accepte le rapport sans réserves, Mme McIntyre étant un agent enquêteur impartial et indépendant (pièce R–5).

[41]   Le même jour, M. Gobeil a écrit à M. Mills pour l’informer que le rapport d’enquête McIntyre sur la plainte de harcèlement indiquerait que l’environnement de travail du CRS ne convenait peut–être pas au plaignant et qu’il y aurait lieu d’envisager sérieusement la possibilité de le réintégrer dans son poste d’attache à la Division des opérations. Il demandait également à M. Mills de le tenir au courant de la suite donnée au rapport au plus tard le 23 mai 2003 (pièce R–13).  Le sous–directeur par intérim, M. Ed Muise, a remis le dossier au gestionnaire de l’unité, M. Price, qui s’est initialement opposé à la réaffectation car cette mesure serait inévitablement perçue, a–t–il prévenu, comme un châtiment imposé par la direction (pièce C–26).  Il reste que, le 26 mai 2003, M. Price a avisé le plaignant qu’il était muté du CRS au pénitencier de Dorchester, comme suit (pièce C–7) :

[Traduction]

Pour faire suite à notre conversation téléphonique du 23 mai 2002, veuillez prendre note qu’après avoir pris en considération les conclusions de l’enquête sur la plainte de harcèlement personnel, j’ai décidé de vous muter du Centre de rétablissement Shepody au pénitencier de Dorchester.

Pour le moment, vous ne pouvez pas être affecté au Centre de rétablissement Shepody tant que je ne serai pas convaincu que l’harmonie règnera au travail.

Je vous prie de comprendre que je considère de mon devoir, en tant que gestionnaire, de m’assurer qu’il n’existe aucune possibilité de conflit dans l’avenir.

Ce n’est pas de gaieté de cœur que j’ai pris la décision de vous muter.  Mais il est de mon devoir de veiller à ce que l’harmonie règne au travail; or, à l’heure actuelle, je ne suis pas convaincu que ce soit possible.

Je ne dis pas qu’une personne manquerait de professionnalisme ou agirait de manière répréhensible, mais compte tenu de la situation et des conclusions de l’enquête, je ne suis pas disposé à courir ce risque.

En terminant, j’ai clairement indiqué qu’il n’était pas question de vous interdire à jamais de travailler au Centre de rétablissement Shepody.

Comme je l’ai déjà indiqué, nous réévaluerons la situation à une date ultérieure lorsque j’aurai déterminé que les problèmes ont disparu et que le calme est revenu.

N’hésitez pas à communiquer avec moi pour me faire part de vos questions, idées ou suggestions.

[42]   L’avis de réaffectation a suscité deux réactions chez le plaignant.  Premièrement, le 16 juin 2003, il a présenté une plainte de harcèlement contre M. Price, dans laquelle il alléguait avoir été réaffecté en représailles à la plainte de harcèlement contre MM. Doucet et Lewis et demandait d’être réintégré dans ses fonctions au CRS (pièce C–21).  Deuxièmement, le 24 juin 2003, il a présenté un grief en vertu de la convention collective en vue d’obtenir la même réparation (pièce R–8).  Aucune preuve n’a été produite à l’audience quant à l’état d’avancement de la plainte et du grief.

Résumé de l’argumentation

Pour le plaignant

[43]   Le plaignant affirme que le présent cas est clairement régi par les dispositions de l’alinéa 23(1)a) de l’ancienne Loi.  Les éléments de preuve corroborent les allégations du plaignant selon lesquelles MM. Doucet et Lewis ont exercé des représailles contre lui parce qu’il avait exercé le droit qui lui est reconnu par l’article 6 de l’ancienne Loi d’adhérer au UCCO–SACC–CSN et de participer à ses activités légitimes. 

[44]   Les rapports d’appréciation du rendement (pièces C–2, C–3, C–4) brossent le portrait d’un employé modèle et ne font aucune mention d’une quelconque incapacité à participer au programme de réadaptation de l’unité ÉATCD en tant que membre de l’équipe.  Les éléments de preuve montrent que le plaignant a fait part, sans relâche et à répétition, de ses préoccupations à MM. Doucet et Lewis concernant le non–respect des règles relatives aux activités récréatives (pièce C–12) et au tabac (pièces C–9, C–10 et C–11), de même que des comportements violents et perturbateurs des détenus (pièce C–20) justifiant la prise de mesures disciplinaires en vertu de la LSCMLC.  Il s’agit dans tous les cas de questions qui concernent la santé et la sécurité au travail des agents correctionnels, lesquels sont les premiers intervenants en matière de sécurité dans les établissements pénitentiaires de SCC, dont le CRS. 

[45]   L’importance que MM. Doucet et Lewis attachent à la qualité de patient de ceux qui reçoivent des traitements au CRS ne peut l’emporter sur le fait qu’il s’agit d’abord et avant tout de détenus dans un pénitencier fédéral.  À titre d’agent correctionnel, le plaignant doit veiller à ce que les mesures de sécurité pertinentes soient appliquées à ces détenus pour la protection non seulement des membres du UCCO–SACC–CSN, mais aussi de tout le personnel soignant de l’unité ÉATCD. 

[46]   Sous prétexte de sa soi–disant incapacité à travailler en équipe avec le personnel du programme DCT de l’unité ÉATCD, MM. Doucet et Lewis ont exercé des représailles contre le plaignant et l’ont fait transférer du CRS au pénitencier de Dorchester parce qu’il insistait pour que la direction se conforme aux normes de sécurité et de santé fondamentales applicables dans tous les établissements pénitentiaires.  Il importe peu que le plaignant n’agissait pas à titre de représentant du UCCO–SACC–CSN lorsqu’il a fait part de ses préoccupations à la direction.  L’article 8 de l’ancienne Loi interdit à l’employeur d’user de représailles contre un fonctionnaire de l’unité de négociation qui exerce le droit qui lui est accordé par l’article 6 de l’ancienne Loi de participer aux activités du UCCO–SACC–CSN — un droit qui doit être interprété de manière libérale afin d’inclure le droit de faire valoir les préoccupations des membres du UCCO–SACC–CSN en matière de santé et de sécurité.

[47]   La conduite de MM. Lewis et Doucet constituait du harcèlement et a causé beaucoup de stress psychologique au plaignant, ce qui l’a contraint à faire appel au Programme d’aide aux employés.  Il a ainsi pris plus de 200 heures de congés de maladie entre novembre 2002 et avril 2003 et a reçu de l’aide psychologique (pièce C–24).  Le stress a nui à son mariage et affecté négativement son estime de soi en tant qu’agent correctionnel.  De plus, les mesures prises contre le plaignant sont de nature à lui donner droit à des dommages–intérêts alourdis conformément à la décision rendue dans l’affaire Chénier c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 27

Pour les défendeurs

[48]   Les défendeurs prétendent que la question limitée sur laquelle la Commission doit statuer est de savoir si les défendeurs se sont livrés à des pratiques déloyales de travail en contravention des dispositions de l’ancienne Loi.  Le fardeau de la preuve incombe au plaignant; il s’agit d’un fardeau exigeant puisqu’il doit établir, au moyen de preuves limpides et convaincantes, que les défendeurs ont agi de manière discriminatoire à son endroit et ont cherché, par des menaces et par intimidation, à l’empêcher de participer aux activités légitimes du UCCO–SACC–CSN, en violation de l’alinéa 8(2)a) et du sous–alinéa 8(2)c)(ii) de l’ancienne Loi

[49]   Il n’existe pas la moindre preuve que le plaignant agissait à titre de représentant du UCCO–SACC–CSN lorsqu’il a fait part à la direction de ses préoccupations en matière de santé et de sécurité; même si c’était le cas, comme le soutiennent le plaignant et M. McGougan, l’employeur n’a jamais été informé qu’il avait été désigné représentant du UCCO–SACC–CSN.  Les témoignages de MM. Doucet et Lewis à cet égard sont confirmés par celui de M. Price, qui a témoigné pour le compte du plaignant et qui a déclaré que tous avaient compris que le plaignant agissait de sa propre initiative et certainement pas à titre de représentant du UCCO–SACC–CSN.  La plainte n’est tout simplement pas visée à l’alinéa 23(1)a) de l’ancienne Loi et devrait donc être rejetée pour cette seule raison.

[50]   Les défendeurs observent que la réaffectation du plaignant n’a eu aucune incidence négative sur ses conditions de travail puisqu’il a conversé sa rémunération, sa classification et les autres droits et avantages qui lui sont accordés par la convention collective.  La décision de M. Price de réaffecter le plaignant ne se voulait qu’une réaffectation de tâches dans l’exercice des droits qui sont accordés à la direction par l’article 7 de l’ancienne Loi « quant à l'organisation de la fonction publique, à l'attribution des fonctions aux postes et à la classification de ces derniers ».  En fait, les questions de fond découlant de la présente plainte ne peuvent être considérées comme visées à l’article 8 de l’ancienne Loi, car le plaignant est incapable de mentionner un « droit que lui accorde la présente loi » dont l’exercice aurait provoqué la prétendue conduite répréhensible des défendeurs. 

[51]   Au demeurant, les prétentions du plaignant sont analogues à celles soulevées dans le cadre d’autres recours et jugées sans fondement.  Il s’agit, en premier lieu de la plainte présentée en novembre 2002 à la GRC, dans laquelle le plaignant alléguait que MM. Doucet et Lewis avaient contrevenu aux dispositions du Code criminel et de la LSCMLSC, et qui, après enquête, a été déclarée sans fondement (pièce R–12 iii) et, en deuxième lieu, de la plainte de harcèlement contemporaine déposée contre MM. Doucet et Lewis, qui s’est également révélée sans fondement, après enquête, en mars 2003 (pièce R–18).  Cela dit, même si la plainte en instance était accueillie, les indemnités demandées par le plaignant sont de nature punitive et hors la compétence de la Commission.

[52]   Au soutien de leur argumentation relativement au bien–fondé de la plainte, les défendeurs renvoient aux décisions de la Commission dans les affaires Hamelin c. le Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada — Service correctionnel) et autres, dossier de la CRTFP 161–02–591 (1991) (QL); Moore c. Caloia et autres, dossier de la CRTFP 161–02–716 (1994) (QL); Chopra et autres c. Nymark, dossiers de la CRTFP 161–02–858 et 860 (1998) (QL); et Day c. Blattman et autres, dossiers de la CRTFP 161–02–809, 810 et 812 (1998) (QL).  Concernant la question de l’indemnisation, ils renvoient aux arrêts Canada (Procureur général) c. Lussier, [1993] A.C.F. n o 64 (C.A.) (QL); Canada (Procureur général) c. Hester, [1997] 2 C.F. 706 (1 re instance); et aux affaires Marinos c. le Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada — Service correctionnel), dossier de la Commission 166–02–27446 (24 décembre  1997) (QL); et Chénier (supra).

Motifs

Questions préliminaires

[53]   Il s’agit d’une affaire dont la Commission a été saisie immédiatement avant l’entrée en vigueur, le 1 er avril 2005, d’un nouveau régime législatif substantiel en vertu de la nouvelle Loi et de la LMFP.  La LMFP régit la transition de l’ancienne Loi, elle–même abrogée par l’article 285 de la LMFP, à celle qui lui a succédé, c’est–à–dire la nouvelle Loi.  Cela dit, la Commission doit déterminer en vertu de quel régime législatif doit être tranchée l’affaire dont elle est saisie.  Le paragraphe 39(1) de la LMFP définit les paramètres applicables comme suit :

39. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente section, les affaires dont l'ancienne Commission était saisie à l'entrée en vigueur de l'article 12 de la nouvelle loi se poursuivent devant la nouvelle Commission qui en décide conformément à la nouvelle loi.

[54]   Le paragraphe 39(1) de la LMFP indique expressément que la nouvelle CRTFP est habilitée à statuer sur les affaires dont l’ancienne Commission était saisie mais qui n’avaient pas encore fait l’objet d’une décision afin d’assurer le transfert en douceur, au nouveau tribunal, de tous les dossiers en instance devant son prédécesseur, et ce en douceur.  L’affaire doit donc être tranchée en conformité avec les dispositions de la nouvelle Loi.

[55]   Il reste que pour déterminer les règles du droit positif qui doivent s’appliquer en l’espèce, il faut se reporter aux décisions pertinentes faisant autorité et aux dispositions de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I–21.  Celles–ci sont libellées de manière à garantir la survie atténuée du texte législatif abrogé, lequel continue de s’appliquer aux événements survenus avant l’abrogation, pour autant qu’ils concernent des droits acquis.  Par contre, les questions de procédure ne survivent pas à l’abrogation et sont immédiatement régies par les dispositions de la nouvelle loi, même s’il s’agit d’événements survenus avant leur entrée en vigueur.  À cet égard, l’article 43 de la Loi d’interprétation prévoit notamment ce qui suit :

43. L’abrogation, en tout ou en partie, n’a pas pour conséquence :

[...]

c) de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé;

[...]

e) d’influer sur les enquêtes, procédures judiciaires ou recours relatifs aux droits, obligations, avantages, responsabilités ou sanctions mentionnés aux alinéas c) et d) . [...]

Les enquêtes, procédures ou recours visés à l’alinéa e) peuvent être engagés et se poursuivre, et les sanctions infligées, comme si le texte n’avait pas été abrogé.

[56]   Les décisions faisant autorité confirment que la loi érige en principe la présomption de common law voulant que, en l’absence de disposition législative expresse à l’effet du contraire, une nouvelle loi n’a aucune incidence sur les droits acquis, lesquels survivent à l’abrogation d’une loi habilitante, qui continue alors de s’appliquer comme si elle n’avait pas été abrogée.  Dans le cas des questions de procédure, la loi abrogée n’a plus force ni effet et c’est la nouvelle loi qui s’applique.  Les décisions sont analysées par Sullivan dans l’ouvrage intitulé Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4th ed., 2002), aux pages 565–589, et par Côté dans l’ouvrage intitulé Interpretation of Legislation in Canada (2nd ed., 1992), aux pages 137–169.  S’agit–il de droits acquis en l’espèce ou de simples questions de procédure?  Cela nous amène à la question du fardeau de la preuve et de sa qualification.

[57]   Par rapport aux dispositions de l’ancienne Loi régissant les plaintes de pratique déloyale de travail, celles de la nouvelle Loi transfèrent, dans certains cas, le fardeau de la preuve du plaignant au défendeur.  À cet égard, le paragraphe 191 (3) de la nouvelle Loi prévoit ce qui suit :

(3) La présentation par écrit, au titre du paragraphe 190(1) [paragraphe 23 i ) de l’ancienne Loi ] , de toute plainte faisant état d'une contravention, par l'employeur ou la personne agissant pour son compte, du paragraphe 186(2) [paragraphe 8(2) de l’ancienne Loi ] , constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle–ci de prouver le contraire.

[58]   Ce déplacement du fardeau de la preuve constitue–t–il une simple question de procédure ou s’agit–il d’un point de fond ayant une incidence sur des droits acquis?  En général, les règles de la preuve sont considérées comme des règles de procédure en ce qu’elles ont une incidence sur les droits procéduraux, mais non sur les droits substantiels.  Côté observe toutefois que la jurisprudence sur la question de savoir si l’inversion du fardeau de la preuve constitue une simple question de procédure ou un point de fond ayant une incidence sur les droits n’est pas univoque (supra, à la p. 167, renvoi 403).  Or, depuis la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Wildman c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 311, il est plus exact de dire qu’il s’agit d’un point de fond.  Dans cet arrêt, le juge Lamer (tel était alors son titre) écrit ce qui suit, à la page 331 :

[...]

Certaines règles de preuve doivent néanmoins être exclues car elles ne sont pas de simples règles de procédure, elles créent des droits et non simplement des expectatives et, comme telles, elles sont non seulement des règles de forme mais également des règles de fond. On a jugé qu'il en était ainsi des règles ou des lois créant des présomptions découlant de certains faits. (p. 657) [...]

[...]

[59]   L’argument avancé est donc le suivant : en imposant aux défendeurs le fardeau inverse de la preuve introduit par la nouvelle Loi, on porterait atteinte à leur droit acquis d’invoquer le principe de common law fondamental selon lequel le fardeau de la preuve incombe à l’auteur des allégations.  Cela est corroboré par le fait que la présentation de l’affaire et les plaidoiries se sont déroulées 12 mois avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi.  Dans un cas comme celui–ci, la lenteur de la Commission à rendre une décision ne devrait pas porter préjudice à l’une des parties en cause.

[60]   Après examen de la question et de la jurisprudence, la Commission conclut que le fardeau de la preuve incombe au plaignant dans l’affaire dont elle est saisie (voir les affaires Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale et section locale 147 de l’Association nationale des travailleurs correctionnels fédéraux c. Service correctionnel Canada, Conseil du Trésor et Don Graham, 2005 CRTFP 50; Lamarche c. Marceau, 2005 CRTFP 153; Cloutier c. Leclair, 2006 CRTFP 5; et Rioux c. Leclair, 2006 CRTFP 12).  Cela étant dit, même si la Commission avait conclu le contraire, il lui apparaît que les défendeurs se seraient acquittés de ce fardeau de manière décisive. À cet égard, la Commission des relations de travail de l’Ontario fait observer dans l’affaire Barrie Examiner v. Typographical Union, Local 873, [1975] OLRB Rep. October 745 (QL), relativement à une plainte de pratique déloyale de travail dans laquelle l’employeur était accusé de nourrir un sentiment antisyndical, que la question de savoir à qui incombe le fardeau de la preuve importe seulement lorsque la preuve dont dispose la Commission joue à l’avantage de l’une et l’autre des parties. Dans ces circonstances, il est difficile de déterminer si les actes répréhensibles reprochés étaient inoffensifs ou s’ils étaient motivés par un sentiment antisyndical; c’est pourquoi on a recours au fardeau de la preuve pour en arriver à une décision.  Mais cela ne s’applique pas en l’espèce.

[61]   Dans la présente affaire, l’ensemble de la preuve confirme de façon concluante la thèse des défendeurs, à savoir que les mesures prises dans le cas du plaignant procédaient de décisions de gestion valables.  Vu que le défendeur Dave Niles n’a pas été appelé à témoigner et qu’aucune observation n’a été présentée à son sujet, la Commission considère que, quoi qu’il en soit, la plainte contre lui a été abandonnée.

Le bien–fondé de la plainte

[62]   Les dispositions essentielles de l’ancienne Loi qui s’appliquent en l’espèce sont l’article 23 et le paragraphe 8(2), dont le texte est reproduit ci–dessous :

23. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle l'employeur ou une organisation syndicale ou une personne agissant pour le compte de celui–là ou de celle–ci n'a pas, selon le cas :

a ) observé les interdictions énoncées aux articles 8, 9 ou 10;

(2) Dans les cas où, en application du paragraphe (1), elle juge l'employeur, une organisation syndicale ou une personne coupable d'un des manquements qui y sont énoncés, la Commission peut, par ordonnance, lui enjoindre d'y remédier ou de prendre toute mesure nécessaire à cet effet dans le délai qu'elle estime approprié.

8 . (2) Sous réserve du paragraphe (3), il est interdit :

a ) de refuser d'employer ou de continuer à employer une personne, ou encore de faire des distinctions injustes fondées, en ce qui concerne l'emploi ou l'une quelconque des conditions d'emploi d'une personne, sur l'appartenance de celle–ci à une organisation syndicale ou sur l'exercice d'un droit que lui accorde la présente loi;

[...]

c ) de chercher, notamment par intimidation, par menace de destitution ou par l'imposition de sanctions pécuniaires ou autres, à obliger un fonctionnaire :

[...]

(ii) à s'abstenir d'exercer tout autre droit que lui accorde la présente loi.

[63]   Dans le cadre de leur argumentation, les défendeurs ont déclaré que la plainte actuelle est hors de la compétence de la Commission pour deux motifs; en premier lieu, il n’existe tout simplement pas de preuve que les actes prétendument répréhensibles des défendeurs s’expliquaient par le fait qu’ils savaient que le plaignant faisait partie d’une organisation syndicale; en deuxième lieu, rien ne prouve que le plaignant exerçait un droit qui lui était accordé par l’ancienne Loi.  Les défendeurs demandent à la Commission de ne pas statuer sur l’affaire au fond. 

[64]   Le plaignant soutient pour sa part que son seul objectif était de faire valoir les préoccupations du UCCO–SACC–CSN et de ses membres en matière de santé et de sécurité et qu’il exerçait ainsi son droit de « participer à l’activité légitime de [l’organisation syndicale], en vertu de l’article 6 de l’ancienne Loi.

[65]   Les affaires Moore c. Caloia et autres (supra) et Day c. Blattman et autres (supra) peuvent toutes deux être considérées comme fondées sur le principe de la compétence limitée, c’est–à–dire que la Commission ne pouvait pas se pencher sur les plaintes en cause parce que les plaignants n’exerçaient pas un « droit que [leur] accord[ait] la [...] loi ».  L’article 6 de l’ancienne Loi n’avait pas été invoqué dans les deux affaires, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[66]   Dans la présente affaire, l’article 6, qui peut être considéré comme le point clé de l’ancienne Loi, et qui garantit à chaque fonctionnaire le droit d’adhérer à l’organisation syndicale de son choix et de participer à son activité légitime, a été invoqué.  Selon les principes habituels d’interprétation législative, le texte « s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit » (voir l’article 12 de la Loi d’interprétation), comme en témoignent d’ailleurs les principes enchâssés dans la Charte canadienne des droits et libertés, laquelle garantit la liberté d’association, au paragraphe 2d) (voir l’arrêt Dunmore c. Ontario(Procureur général), 2001 CSC 94). 

[67]   Au demeurant, le juge en chef Dickson a fait observer, il y a fort longtemps, dans l’arrêt Le Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. La Société des alcools du Nouveau–Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, qu’« [i]l est souvent très difficile de déterminer ce qui constitue une question de compétence ».  Tout cela amène la Commission à conclure qu’au lieu de rendre sa décision en partant du principe que sa compétence est limitée, la Commission devrait examiner la plainte au fond à tous égards et déterminer si les défendeurs ont contrevenu à l’article 8 de l’ancienne Loi, tel qu’il est allégué.

[68]   La présente plainte a été déposée le 17 février 2003; le plaignant y alléguait que les défendeurs avaient contrevenu à l’ancienne Loi jusqu’à cette date.  Dans l’affaire dont je suis saisi, les défendeurs étaient bien aises que j’instruise la plainte en tenant compte des allégations d’actes répréhensibles contrevenant à l’ancienne Loi commis par les défendeurs après cette date et qui ont précipité la réaffectation du plaignant du CRS au pénitencier de Dorchester à compter du 26 mai 2003. 

[69]   La plainte elle–même n’a jamais été modifiée officiellement à cet effet, mais, quoi qu’il en soit, la Commission est habilitée d’office à se pencher sur les nouvelles allégations.  C’est ce qui ressort clairement de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Via Rail Canada Inc. c. Cairns, 2004 CAF 194, qui portait sur la compétence du CCRI de rendre des ordonnances réparatrices dans le cadre d’une demande de réexamen afin de tenir compte d’événements survenus après la violation originale de la loi applicable.  En confirmant le bien–fondé de la décision du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) — et, en fait, son opportunité dans le contexte des relations du travail — le juge Evans fait observer ce qui suit aux paragraphes 75–78 :

[...]

(iii) Le Conseil pouvait–il prendre en considération des événements postérieurs à la décision 35 ?

[75]   L'avocat de VIA a insisté sur le fait que le seul manquement au Code auquel la décision 35 devait remédier avait eu lieu dans la période qui avait conduit à l'ECE. Par conséquent, le Conseil a outrepassé sa compétence lorsque, dans la conception de l'ordonnance de réparation de la décision 230 , il a tenu compte d'événements survenus après la date où la FIL avait commis le manquement au Code.

[76]   Je ne puis souscrire à cette position. Dans le « domaine dynamique, complexe et délicat » des relations du travail ( Royal Oak Mines au paragraphe 57 [ [1996] 1 R.C.S. 369] ), les conseils des relations du travail doivent être en mesure de prendre en compte l'évolution des circonstances s'ils doivent remplir le mandat que leur confère la loi à l'égard du « règlement positif des différends pour le bien des parties et de la population » (Royal Oak Mines , au paragraphe 55). Ainsi, faisant référence aux larges pouvoirs conférés au Conseil par le paragraphe 99(2), le juge Cory a dit dans l'arrêt Royal Oak Mines (au paragraphe 55) :

À mon avis, le législateur a agi ainsi pour donner au Conseil toute latitude pour tenir compte des circonstances toujours différentes des litiges très variés dans le domaine délicat des relations du travail.

[77]   Restreindre les pouvoirs du Conseil à concevoir une réparation en rapport avec l'état des faits au moment du manquement inciterait au dépôt d'une multitude de plaintes relatives à diverses périodes de temps. Enfermer le Conseil dans ce type de camisole de force irait à l'encontre de l'intention du législateur, qui a conféré au Conseil un pouvoir de réparation large et souple, notamment pour lui permettre de faciliter le règlement positif des conflits du travail dans des situations de relations du travail en évolution.

[78]   L'avocat n'a cité aucune jurisprudence à l'appui de la position que, dans la conception d'une réparation afférente à un manquement au Code, le Conseil ne peut prendre en considération des événements survenus après la date du manquement. À mon avis, il n'était pas manifestement déraisonnable que le Conseil, dans la décision 230 , tienne compte d'événements postérieurs au manquement au Code de la FIL.

. . .

Puisque ces principes s’appliquent à une demande de réexamen, ils s’appliquent à plus forte raison à une plainte initiale.  Voir également l’affaire Re Saint John Shipbuilding, a division of Irving Shipbuilding Inc., [2004] N.B.L.E.B.D. n o 28 (QL).

[70]   La Commission a déjà indiqué que le fardeau de la preuve en l’instance incombait au plaignant.  Il s’agit d’un fardeau appréciable, car, ainsi que la Commission le fait observer dans l’affaire Gennings c. Milani, dossier de la CRTFP 161–02–87 (1971) (QL), « [...] [il] faut se rappeler qu'une plainte formulée en vertu de l'article 8 de la Loi a des aspects pratiquement criminels ».  Il reste que le critère applicable est celui qui a cours dans les affaires civiles, soit la prépondérance des probabilités.  Ce critère est facilement adaptable, sa forme et ses paramètres étant subordonnés à la nature et aux circonstances de l’affaire en cause.  Bref, la notion de « prépondérance des probabilités » comporte divers degrés, bien que la norme comme telle demeure la même.  Cette proposition reçoit d’ailleurs la caution de l’instance suprême.  Dans l’arrêt Bater v. Bater, [1950] 2 All E.R. 458 (C.A.), lord juge Denning, déclare ce qui suit :

[Traduction]

[...]

[...] Nombre de grands juges ont dit que plus le crime est grave, plus la preuve doit être claire. Il en va de même pour les affaires civiles. On peut établir le bien–fondé de la demande suivant la prépondérance des probabilités, mais cette norme peut comporter des degrés de probabilité. Le degré est fonction de l'objet du litige. Il est naturel qu'une cour de juridiction civile, lorsqu'elle est saisie d'une accusation de fraude, exige un degré plus élevé de probabilité qu'elle n'exigerait s'il s'agissait de décider si l'on a prouvé la négligence. Le degré de probabilité qu'elle exige n'est pas aussi élevé que celui qu'exigerait une cour de juridiction criminelle, même lorsqu'elle est saisie d'une accusation de nature criminelle, mais il reste qu'elle exige un degré de probabilité qui correspond à la gravité de la situation.  [...]

[...]

[71]   Les tribunaux canadiens ont confirmé que ce principe s’appliquait aux affaires telle celle qui nous occupe.  Ainsi, le juge O’Leary, de la Cour divisionnaire de l’Ontario, a déclaré dans l’affaire Re Canadian Union of Public Employees, Local 1 and Toronto Hydro Electric Systemet al., (1978), 84 D.L.R. (3d) 601 :

[Traduction]

[...]

Dans l’affaire Re Bernstein and College of Physicians & Surgeons of Ontario (1977), 15 O.R. (2d) 447, 76 D.L.R. (3d) 38, la Cour divisionnaire a essayé d’apporter son aide aux arbitres et aux organismes analogues en interprétant pour leur bénéfice la proposition selon laquelle le critère applicable, dans les affaires civiles, est celui de la prépondérance des probabilités. Je cite en particulier un passage de cette décision, à la page p. 470 O.R., p. 61 D.L.R :

[Traduction]

 

À mon sens, les comités de discipline dotés de pouvoirs suffisants pour détruire la vie professionnelle d’un homme ou d’une femme doivent être davantage encadrés par les tribunaux; il ne suffit pas de leur dire qu’ils [traduction] « ont le droit de s’appuyer sur la prépondérance des probabilités ». En renvoyant aux décisions de plusieurs distingués juristes, j’espère les avoir aidés à mieux comprendre le genre de preuve requise avant d’inscrire une condamnation dans un dossier donné.

La chose importante à retenir, c’est que, dans les affaires civiles, il n’existe pas de formule précise pour déterminer la norme de preuve requise pour établir un fait.

Dans tous les cas, avant d’en arriver à une conclusion de fait, le tribunal doit être raisonnablement convaincu que le fait est survenu; pour ce faire, il doit s’appuyer sur l’ensemble des circonstances, dont la nature et les conséquences du ou des faits à prouver, le bien–fondé d’une allégation, ainsi que la gravité des conséquences découlant d’une conclusion particulière.

[...]

[72]   Ces considérations revêtent une importance particulière dans les affaires telles que celle–ci, où on demande à la Commission de tirer des conclusions défavorables à partir d’éléments de preuve qui, à première vue, ne corroborent pas les allégations qui ont été faites.

[73]   En bout de ligne, il s’agit d’un malheureux cas de choc des cultures dans une même entreprise – SCC.  D’une part, il y a la culture axée sur la sécurité des agents correctionnels formés pour fournir la gamme complète de services de sécurité dans l’environnement à risque élevé d’un établissement correctionnel.  Et d’autre part, il y a la culture de réhabilitation du personnel soignant formé pour traiter des détenus atteints de troubles mentaux dans un établissement correctionnel.

[74]   Après sa réaffectation du pénitencier de Dorchester au CRS, le plaignant s’est malheureusement trouvé au confluent de ces deux cultures.  Il est incontestable que le plaignant est un agent correctionnel fort compétent qui, compte tenu de la preuve dont je dispose et des témoignages que j’ai entendus, s’acquittait de façon louable de ses fonctions principales en matière de sécurité.  Or, dans l’environnement du CRS, il devait également s’intégrer à l’unité ÉATCD en tant que participant à part entière au programme de modification du comportement —  le TCD —  qui y était appliqué en vue de favoriser la réadaptation des détenus. 

[75]   Il était donc nécessaire de moduler les mesures de sécurité généralement appliquées par les agents correctionnels dans les établissements correctionnels de manière à tenir compte des comportements et des besoins des patients de l’unité ÉATCD.  Il ressort clairement de la preuve que le plaignant avait de la difficulté à s’adapter à la philosophie sous–jacente du TCD et à s’intégrer à l’environnement thérapeutique.  Il préférait un environnement davantage axé sur la sécurité.  Déjà, au printemps de 2002, son empressement à faire appliquer les règles, après avoir relevé ce qu’il considérait comme de graves infractions à la sécurité au CRS, était évident.  La question du tabac « de contrebande » fourni aux patients par le personnel soignant et le refus de la direction du CRS de donner suite à des accusations internes contre des détenus figurent en tête de liste de ces prétendues infractions.

[76]   Dans sa lettre en date du 6 janvier 2003 à M. Gobeil, le plaignant indique que, durant sa réaffectation au CRS, il s’est employé à s’acquitter de ses fonctions à titre d’agent de la paix (pièce C–17). 

[77]   Or, il y des façons convenables et des façons inappropriées de s’acquitter de ces fonctions et le plaignant a choisi la deuxième voie.  Puisque ses préoccupations concernaient la sécurité, il aurait dû en faire part directement à son supérieur immédiat, M. Price, afin que la direction des deux établissements, le pénitencier de Dorchester et le CRS, puissent prendre les mesures nécessaires. 

[78]   Le plaignant a plutôt décidé de sa propre initiative, dans le cas du tabac de « contrebande », de faire savoir au personnel du CRS ce qu’il pensait de cette pratique en indiquant qu’il s’exposait à des poursuites criminelles (pièce R–19). 

[79]   De même, en ce qui concerne le prétendu refus de donner suite aux accusations internes, le plaignant s’est abstenu de signaler officiellement le problème à son supérieur immédiat, comme il aurait dû le faire.  Il a préféré offrir sa collaboration à M. McGougan, en lui fournissant une grande partie de l’information que l’UCCO–SACC–CSN a utilisée pour poursuivre l’affaire en présentant une série de plaintes. 

[80]   La première plainte a été adressée au haut responsable des valeurs et de l’éthique du SCC en juin 2002 (pièce C–29.i–iii; xxiii); et la seconde, à la commissaire McClung de l’époque, le 22 juillet 2002 (pièce C–29.xxvii).  Plusieurs mois plus tard, soit à la fin d’octobre, le plaignant a adressé de nouvelles plaintes à l’agent de l’intégrité de la fonction publique pour le gouvernement du Canada (pièce C–29.xl) et au solliciteur général du Canada (pièce R–12.i).  À ce moment–là, le climat de travail au CRS était devenu tendu, voire instable.

[81]   Cette façon conflictuelle d’attirer l’attention sur ces graves questions a conduit, le 2 novembre 2002, au dépôt de la plainte contre MM. Doucet et Lewis auprès de la GRC afin que soit instituée une enquête pour déterminer s’il y avait eu violation du Code criminel.  C’est peu de temps après que M. Gobeil a reçu la plainte de harcèlement contre MM. Doucet, Lewis et Niles.  La plainte à la GRC constituait une affaire très grave qui a eu un effet dévastateur sur MM. Doucet et Lewis, dont l’intégrité professionnelle était publiquement mise en doute, et ce, sans aucune raison, puisque la GRC a conclu, deux mois plus tard, au terme de son enquête, que rien ne justifiait le dépôt d’accusations criminelles (pièce R–12.iii). 

[82]   Il n’est donc pas surprenant que M. Doucet en soit arrivé à la conclusion, face à ce barrage de plaintes attaquant l’intégrité de la direction, que la présence continue du plaignant au CRS nuisait au bon fonctionnement du centre et en perturbait les activités.  C’est ce qu’il indique dans la demande adressée au directeur et au sous–directeur du pénitencier de Dorchester en vue d’éloigner le plaignant du CRS et de le réaffecter dans un autre service (pièce C–8).

[83]   La preuve indique que M. Gobeil a pris toutes les mesures raisonnables pour que les allégations formulées par le plaignant dans sa plainte de harcèlement soient traitées par les canaux appropriés, qu’il s’agisse de la procédure de règlement des griefs, dans le cas de la prétendue mesure disciplinaire injuste, d’un examen du dossier, dans le cas du rendement jugé insatisfaisant, d’une révision de la politique, dans le cas du tabac « de contrebande », et d’un renvoi à la GRC, dans le cas du prétendu rejet injustifié des accusations internes (pièce R–1). 

[84]   Les principales allégations contre MM. Lewis et Doucet — voulant qu’ils aient demandé la réaffectation du plaignant en représailles à ses actions – ont fait l’objet comme il se devait d’une enquête indépendante conformément à la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail du Conseil du Trésor.  Le plaignant a refusé d’y participer; il ne peut donc pas prétendre aujourd’hui qu’il n’a pas eu l’occasion de présenter son argumentation.   

[85]   Bien que le plaignant pense le contraire, il n’existe pas la moindre preuve de manipulation ou d’ingérence dans l’enquête menée par M. Gobeil, et encore moins de tentative de supprimer des preuves pertinentes corroborant les actes répréhensibles (pièce C–22). 

[86]   De même, la lettre intempestive, en date du 22 mars  2003, adressée à l’agent enquêteur, Mme McIntyre, dans laquelle le plaignant accuse MM. Doucet et Lewis d’avoir commis des actes répréhensibles et manqué de loyauté, de même que d’avoir menti à l’agent enquêteur, était sans fondement (pièce C–18).  Cette lettre s’inscrit dans la même ligne de pensée que la déclaration surprenante du plaignant à l’audience selon laquelle la GRC avait conclu à tort à l’absence de preuves justifiant le dépôt d’accusations criminelles contre MM. Doucet et Lewis.

[87]   Bref, la preuve révèle que le plaignant avait une perception totalement erronée des circonstances de sa réaffectation du CRS au pénitencier de Dorchester.  Par sa conduite, il a démontré que, même s’il était motivé par la conviction vertueuse qu’il s’acquittait de son devoir d’assurer la santé et la sécurité du personnel du CRS, il était incapable de s’intégrer au programme TCD qui y était appliqué pour venir en aide aux patients.  Les tentatives de MM. Doucet et Lewis de faire réaffecter le plaignant du CRS procédaient d’une préoccupation légitime et d’une opinion professionnelle que sa présence continue nuisait à l’efficacité du programme en soi et au fonctionnement du CRS.

[88]   L’appréciation de la situation par le supérieur immédiat du plaignant, M. Price, qui a témoigné pour son compte, est révélatrice à cet égard. Sa réaction initiale, en apprenant que M. Doucet avait demandé la réaffectation du plaignant, a été qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour justifier une telle mesure.  On était alors à la mi–novembre 2002 (pièce C–8.ii–iv). 

[89]   Or, au début de janvier 2003, après avoir appris que le plaignant avait demandé que MM. Doucet et Lewis soient éloignés du CRS, M. Price a indiqué que, afin d’instaurer un climat de travail propice au respect des normes professionnelles, il était souhaitable qu’ils se rencontrent pour discuter du meilleur moyen de limiter au minimum, de manière raisonnable, les possibilités de conflit dans l’avenir (pièce R–7).  Quoi qu’il en soit, la réunion n’a pas eu lieu car le plaignant était en congé de maladie pendant la majeure partie des premiers mois de l’année 2003.

[90]   Dans sa lettre en date du 26 mai 2003 au plaignant, après la remise du rapport d’enquête McIntyre sur la plainte de harcèlement, pour l’informer de sa réaffectation du CRS au pénitencier de Dorchester, M. Price insiste sur le fait qu’il prend cette mesure dans le but de préserver l’harmonie au travail et qu’il n’est pas convaincu que cela est possible dans l’état actuel des choses.  Il ajoute cependant qu’il n’a pas l’intention de lui interdire à tout jamais de travailler au Centre de rétablissement Shepody, mais qu’il devra d’abord obtenir la conviction que l’harmonie peut régner au travail (pièce C–7). 

[91]   À l’audience, M. Price a indiqué à nouveau que la réaffectation du plaignant n’était pas une mesure permanente et que son retour au CRS pourrait être envisagé dans l’avenir.  Ce témoignage, conjugué à la lettre de M. Price en date du 26 mai 2003, confirme à mon avis que les faits et gestes des défendeurs visés par la plainte avaient pour but de préserver l'intégrité du programme TCD au CRS.

[92]   Pour l’ensemble des motifs exposés ci–dessus, je suis convaincu que la conduite reprochée à chacun des défendeurs, M. Luc Doucet et M. David Lewis, et au défendeur institutionnel, le Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada — Service correctionnel), était non blâmable à tous égards et dénuée de sentiment antisyndical.  Du début à la fin, les défendeurs ont agi comme il se devait dans l’exercice des droits que l’article 7 de l’ancienne Loi accorde à la direction.  J’ai indiqué au paragraphe 61 que la plainte contre M. Dave Niles était réputée avoir été abandonnée.  Bref, il n’y a pas eu de violation de l’alinéa 8(2)a) ni du sous–alinéa 8(2)c)(ii) de l’ancienne Loi.

[93]   Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[94]   Par les présentes, la plainte est rejetée.

Le 27 février 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Thomas Kuttner, c.r.,
commissaire

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