Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée (la << fonctionnaire >>) a occupé le poste d’agente principale de programmes à la Direction générale du Programme d’appui aux langues officielles (le << PALO >>) au ministère du Patrimoine canadien lorsqu’elle a accédé à la présidence d’un nouvel organisme qui vise à promouvoir la souveraineté du Québec - l’employeur lui a demandé de renoncer à cette présidence tout en lui permettant de demeurer membre de l’organisme en question puisqu’il a vu un conflit d’intérêt apparent ou potentiel avec ses activités personnelles qui sont de nature politique et ses fonctions au ministère du Patrimoine canadien, et plus précisément avec le PALO qui a pour but de favoriser l’unité canadienne - la fonctionnaire a refusé de se conformer à cette demande puisqu’elle serait en train de renoncer à ses droits fondamentaux de liberté d’expression et d’association protégés par les alinéas 2b) et d) de la Charte - par conséquent, l’employeur a considéré la conduite de la fonctionnaire comme une violation du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, dont le respect constitue une condition d’emploi, et l’a licencié - l’employeur soumet que la fonctionnaire est assujettie à un devoir de loyauté envers son employeur, qui constitue une limite raisonnable à son droit fondamental à la liberté d’expression, tel qu’entendu par l’article premier de la Charte - de l’avis de l’employeur, la seule question à examiner est la justesse de la mesure disciplinaire - la fonctionnaire, quant à elle, a plaidé qu’il fallait pondérer ses droits fondamentaux avec son devoir de loyauté envers son employeur selon le principe de la limite raisonnable (l’article premier de la Charte) - de plus, elle a soumis qu’elle ne critiquait pas les politiques ou les décisions de l’employeur, que ce dernier n’a pas imposé une discipline progressive et par conséquent, la sanction imposée n’est pas appropriée - l’arbitre de grief a évalué, en premier lieu, la portée du droit d’un fonctionnaire à la participation à l’activité politique dans le cas où cette activité politique, non partisane, est en conflit fondamental avec la politique et les programmes de l’employeur et, en second lieu, la justesse de la mesure disciplinaire - l’arbitre de grief a statué que l’employeur avait reconnu le droit de la fonctionnaire à sa pensée politique et à une certaine activité partisane puisqu’il a reconnu son droit d’être membre de l’organisme en autant qu’elle ne critique pas les politiques du ministère pour lequel elle est employée - l’arbitre de grief était d’avis que du point de vue de toute personne raisonnable, un conflit d’intérêts peut être perçu, d’une part, entre les activités personnelles de la fonctionnaire au niveau de la présidence d’un organisme souverainiste, tenant compte du symbole et de la visibilité que cette tâche et ces responsabilités impliquent et, d’autre part, ses fonctions de représentante du ministère mandaté pour promouvoir l’unité nationale, et ce malgré le fait que son niveau et son pouvoir décisionnel soient peu importants - l’arbitre de grief a déterminé que des limites légitimes à certaines activités peuvent être imposées aux fonctionnaires puisque ces derniers ont le devoir de préserver une perception réelle et apparente d’une fonction publique impartiale et efficace - de plus, l’arbitre de grief a conclu qu’étant donné la perception du public, la prise de position publique de la fonctionnaire engendre un impact néfaste sur son aptitude à accomplir ses fonctions d’une manière efficace - par conséquent, l’employeur était justifié d’être d’avis que les activités extérieures de la fonctionnaire et ses responsabilités professionnelles étaient incompatibles et pouvaient avoir un impact néfaste pour l’employeur - quant à la justesse de la mesure imposée, l’employeur avait le devoir de rechercher une solution qui pondérerait les droits de la fonctionnaire et ses obligations envers l’employeur - étant donné que la fonctionnaire ne s’est pas rendue inhabile à exercer d’autres fonctions dans un autre poste, moins visible et moins directement lié à l’objectif d’unité canadienne mis de l’avant par le ministère du Patrimoine canadien, l’arbitre de grief a conclu que le licenciement par l’employeur, sans avoir exploré ou offert à la fonctionnaire l’option d’un autre poste comparable au sein d’un autre programme du ministère, ne satisfait pas au critère de l’atteinte minimale, et donc, ne rencontre pas le test de l’article premier de la Charte - toutefois, ayant également conclu à l’existence d’un impact néfaste des activités personnelles de la fonctionnaire sur la crédibilité des objectifs et programmes de l’employeur, l’arbitre de grief a déterminé que la fonctionnaire ne peut être réintégrée dans le poste qu’elle occupait au moment de son licenciement tant qu’elle est présidente de l’organisme en question - l’arbitre de grief a donc ordonné à l’employeur de réintégrer la fonctionnaire avec salaire et avantages sociaux et de lui offrir un poste de même niveau ou de niveau équivalent qui ne créera pas un conflit d’intérêt apparent en regard de ses fonctions ou des objectifs et programmes du ministère du Patrimoine canadien visant la promotion de l’unité canadienne - quant à la fonctionnaire, il lui est ordonné de collaborer de bonne foi, d’accepter toute solution raisonnable et de limiter ses communications publiques de manière à ne pas jeter de discrédit sur les programmes de l’employeur visant la promotion de l’unité canadienne. Grief accueilli partiellement.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-03-09
  • Dossier:  166-02-34747
  • Référence:  2006 CRTFP 27

Devant un arbitre de grief



ENTRE

EDITH GENDRON

fonctionnaire s’estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère du Patrimoine canadien)

employeur

Répertorié
Gendron c. Conseil du Trésor (ministère du Patrimoine canadien)

Affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Sylvie Matteau, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée :  James G. Cameron, avocat

Pour l'employeur : Michel LeFrançois, avocat


Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 27 au 29 avril 2005, le 18 mai 2005,
du 23 au 25 août et le 29 août 2005.


I. Grief renvoyé à l'arbitrage

[1]   Madame Édith Gendron a présenté un grief à l’encontre de son licenciement le 2 juin 2004. Celui-ci a été renvoyé à l’arbitrage le 26 octobre 2004. La fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire ») demande que la lettre de licenciement datée du 29 avril 2004 soit retirée de son dossier, que toutes copies soient détruites en sa présence et qu’elle soit réintégrée dans ses fonctions sans perte de salaire et avantages sociaux.

[2]   La fonctionnaire travaillait au ministère du Patrimoine canadien. Les motifs du licenciement sont exposés dans la lettre de la sous-ministre adjointe à la Citoyenneté et patrimoine, Mme Eileen Sarkar (pièce G-1) :

[ … ]

Tel qu’en font foi mes lettres du 13 février et du 13 avril 2004, je vous ai indiqué qu’en vertu des dispositions du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique , il a été établi que le rôle de représentation de la présidente de l’organisme « Le Québec, un pays! » est incompatible avec les tâches du poste que vous occupez présentement à la direction générale des Programmes d’appui aux langues officielles.

Vos responsabilités en tant qu’Agent principal du programme consistent, entre autres, à représenter le ministère relativement à la négociation et à la mise en œuvre d’ententes en langues officielles avec les représentants des provinces ainsi que ceux d’organismes gouvernementaux et non-gouvernementaux. Ces responsabilités sont en conformité avec le mandat du ministère du Patrimoine canadien, qui est de mettre de l’avant les valeurs d’une citoyenneté partagée permettant de tisser des liens plus étroits entre tous les Canadiens dans toutes les provinces et les territoires du pays. Par conséquent, vos activités extérieures peuvent raisonnablement être perçues comme étant susceptibles d’entraîner un conflit d’intérêts et mettre ainsi en cause votre capacité d’accomplir objectivement vos fonctions ministérielles.

Je vous ai également mentionné que, conformément aux méthodes d’observation prévues au Code, dans la mesure où vous auriez l’intention de conserver votre poste au sein du ministère, vous devrez abandonner les activités extérieures que vous exercez et qui contreviennent au Code en renonçant à votre poste de présidente de l’organisation. Vous avez cependant décidé de continuer à exercer ces activités extérieures, ce qui a pour effet de maintenir la situation de conflit d’intérêts qu’il vous avait été demandé de résoudre.

Par conséquent, puisque vous ne vous êtes pas conformée aux dispositions du Code ainsi qu’aux mesures d’observation de ce dernier qu’il vous avait été demandé de prendre, en vertu des pouvoirs qui me sont délégués par la Sous-ministre du Patrimoine canadien aux termes des paragraphes 11(2) (f) et 12(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques , je vous avise de ma décision de vous licencier de votre emploi comme Agent principal des Programmes d’appui aux langues officielles du ministère du Patrimoine canadien.   Votre emploi prendra fin aujourd’hui le 29 avril 2004 aux heures de fermeture.

[…]

[3]   L’employeur soutient que les activités et responsabilités propres à la tâche de président de l’organisme « Le Québec, un pays! », qui vise à promouvoir la souveraineté du Québec, sont en conflit avec le mandat particulier du ministère du Patrimoine canadien, dont la fonctionnaire est une employée.   Plus précisément, il soutient que le programme dont elle est responsable est la pierre angulaire de la démarche du gouvernement fédéral pour favoriser l’unité canadienne.  La conduite de la fonctionnaire contreviendrait au Code des valeurs et d’éthique de la fonction publique (le « Code »).  Le respect de ce Code constitue une condition d’emploi.

[4]   Bien que l’employeur reconnaisse le droit à la liberté d’opinion et d’expression de la fonctionnaire, il soutient que celle-ci est assujettie au devoir de loyauté qui constitue une limite raisonnable à ses droits fondamentaux tel qu’entendu par l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.U.) (la « Charte »). Le licenciement était donc justifié.

[5]   La fonctionnaire soutient que la décision de l’employeur contrevient à ses droits fondamentaux de liberté d’expression et d’association.   Elle considère que ses activités personnelles pouvaient être accommodées de manière à ne pas entrer en conflit avec son devoir de loyauté envers l’employeur. Selon elle, l’employeur a admis qu’il avait brimé ses droits en vertu de la Charte. Il a donc le fardeau de démontrer que la mesure imposée était justifiée dans les circonstances et qu’il n’avait pas d’autres choix.

[6]   La fonctionnaire a présenté trois arguments au soutien de son grief. Le premier est à l’effet qu’étant donné la nature de son travail, les limites de son pouvoir décisionnel et ses responsabilités, il n’y a pas de véritable conflit entre ses activités personnelles et son travail. Par le second, elle soutient qu’elle a fait de nombreux efforts et qu’elle a fait des propositions à l’employeur pour éviter l’apparence de conflit. Ce dernier les a refusées sans motif raisonnable. Elle soutient que même si un conflit d’intérêts apparent était reconnu, l’employeur n’a pas démontré qu’il n’y avait pas moyen de conjuguer les droits de la fonctionnaire et son devoir de loyauté et qu’il a fait des efforts en ce sens. Enfin, elle soutient que l’employeur n’a pas procédé par mesures disciplinaires progressives et que le licenciement est prématuré et ne peut donc être maintenu.

[7]   Les parties ont reconnu qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts réel. Il y a plutôt désaccord sur la question d’un conflit d’intérêts apparent ou potentiel. Les convictions politiques de la fonctionnaire étaient les mêmes lorsqu’elle a obtenu son poste en 2000. Elle avait avisé son directeur à l’époque. Ce qui a changé la situation, c’est le fait qu’elle a accepté les fonctions de présidente de ce nouvel organisme souverainiste, un poste lui conférant une certaine visibilité.

[8]   Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur.   En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l'arbitrage de grief doit être décidé conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35.

II. Résumé de la preuve

[9]   D’entrée de jeu, plusieurs pièces ont été déposées avec le consentement des parties. Elles incluent le Code (pièce E-1), un cartable de coupures de presse (pièce E-2), des documents émanant du site Web de l’organisme « Le Québec, un pays! » (pièce E-3), le journal Le Québec, un pays!, vol 1 n o 1, juin 2004 (pièce E-4), le rapport du groupe de travail sur les valeurs et l’éthique dans la fonction publique (le « groupe Tait ») intitulé : « De solides assises » (pièce E-5) et une chronologie des faits préparée par l’employeur, sous réserve de la valeur probante des faits qui y sont contenus (pièce E-6).

[10]   Les parties ont demandé l’exclusion des témoins; elle a été accordée. L’employeur a fait entendre cinq témoins : M. Hilaire Lemoine, directeur général du Programme d’appui aux langues officielles (le « PALO ») de 1993 à juin 2004; Mme Denise Lajoie, gestionnaire en relations de travail à Patrimoine Canada depuis 2003; Mme Eileen Sarkar, sous-ministre adjointe, responsable des politiques et programmes, incluant le PALO; M. Ralph Heintzman, vice-président, valeurs et éthique de la fonction publique, à l’Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Canada; et M. Denis Thompson, directeur général, gestion des ressources humaines et du milieu de travail, Patrimoine canadien.

[11]   La fonctionnaire a témoigné et a fait entendre M. Patrick Balsam, directeur, ministère de l’Éducation de Terre-Neuve et du Labrador, responsable du programme des langues et M. Ed Cashman, vice-président exécutif, région de la Capitale nationale, de l’Alliance de la Fonction publique du Canada.

A.   Le contexte

[12]   La mission du ministère du Patrimoine canadien vise à concrétiser un Canada plus cohésif et créatif. Voici ses quatre objectifs stratégiques (pièce E-11) :

Contenu canadien : Favoriser la création, la diffusion et la préservation de divers œuvres, histoires et symboles culturels canadiens qui reflètent notre passé et qui soient l’expression de nos valeurs et de nos aspirations ;

Participation et engagement dans le domaine culturel : Favoriser l’accès et la participation des Canadiens et Canadiennes à la vie culturelle de notre pays ;

En relations les uns avec les autres : Multiplier et raffermir les liens entre les Canadiens et les Canadiennes et approfondir la compréhension entre les diverses collectivités;

Citoyenneté active et participation communautaire : Promouvoir la compréhension des droits et responsabilités qui se rattachent à la citoyenneté partagée et favoriser les occasions de participer à la vie en société canadienne.

[13]   Le PALO du ministère du Patrimoine canadien s’inscrit dans le troisième objectif stratégique du ministère. Il vise à favoriser l’épanouissement des communautés francophones et anglophones qui vivent en situation minoritaire dans la société canadienne. Le ministère intervient en partenariat avec les autres gouvernements sous forme d’ententes bilatérales. Celles-ci visent à permettre aux communautés de langue officielle en situation minoritaire d’avoir accès à l’instruction dans leur propre langue et de recevoir des services provinciaux et territoriaux dans leur langue. Elles permettent également aux jeunes Canadiens d’apprendre le français ou l’anglais comme langue seconde.

[14]   La direction générale du PALO assure la cohérence et l’interprétation des objectifs et orientations des programmes partout au pays. L’agent de programme a un rôle d’agent de développement social. L’agent gère les programmes en étroite collaboration avec la direction générale qui s’assure que les représentations faites dans toutes les régions le sont dans le même contexte et avec les mêmes orientations partout au pays.

[15]   La fonctionnaire œuvrait dans le cadre de deux types d’ententes fédérales-provinciales, soit en éducation et services en français. Elle œuvrait à titre d’agent de programme au pupitre régional de l’Est, responsable pour Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse. À partir de sa description de travail, déposée en tant que pièce E-10, tant l’employeur que la fonctionnaire ont expliqué ses rôles et responsabilités.

[16]   Les parties ne s’entendent pas sur l’ampleur des responsabilités de la fonctionnaire, sur son pouvoir discrétionnaire et sur l’importance de son rôle dans l’analyse et le cheminement d’une demande. Ils ont fait une interprétation différente des termes utilisés dans sa description de tâches.

[17]   Cette description prévoit que l’agent administre des programmes d’appui aux langues officielles. Ses tâches visent l’élaboration et la gestion de subventions et contributions sous forme d’ententes fédérales-provinciales et d’ententes spéciales de collaboration, ainsi que l’élaboration et l’amélioration de politiques liées au développement des communautés minoritaires de langues officielles de même que la promotion de la reconnaissance et de l’usage des deux langues officielles au Canada.

[18]   Selon la documentation fournie, les activités principales de l’agent consistent à participer à la planification et à la mise en œuvre des programmes d’appui aux langues officielles, de concert avec les autres bureaux régionaux. L’agent participe à l’évaluation de diverses ententes, à leur négociation et à l’administration de l’aide aux communautés minoritaires. Toujours selon cette description de tâches, l’agent élabore des stratégies de négociation, dirige des négociations avec divers intervenants, dont les gouvernements provinciaux et y participe, afin de conclure et modifier des ententes et d’élaborer et améliorer les politiques et programmes existants.

[19]   Cette description prévoit également que l’agent participe à la détermination des priorités à être incluses dans le plan de travail de la direction générale. L’agent élabore et rédige les recommandations de financement dans le cadre des ententes fédérales-provinciales conformément aux exigences du Conseil du Trésor et fournit des conseils et recommandations à la gestion et à la haute direction sur les politiques se rapportant aux langues officielles. L’agent doit aussi observer l’environnement dans lequel s’inscrivent les priorités et les questions sur les langues officielles. Enfin, l’agent rédige, pour et au nom du ministre, des rapports, des notes d’information et des lettres à caractère délicat sur des sujets liés au mandat et à l’action du ministère sur les questions de langues officielles.

[20]   M. Lemoine a expliqué que plusieurs des responsabilités attribuées aux agents principaux dans cette description de tâches appartiennent en fait à la direction générale ou à l’équipe du pupitre, plutôt que seulement à l’agent. Par exemple, l’élaboration des ententes sur les services linguistiques se fait à la direction générale. Des équipes de travail ont été créées. Les agents principaux sont associés à ces travaux, car ils ont la tâche d’administrer par la suite ces programmes. Ils apportent aux travaux des comités leurs connaissances du milieu et leur expertise. Ils y reflètent les enjeux et préoccupations du terrain.

[21]   M. Lemoine a également expliqué la nature des ententes fédérales-provinciales que le ministre signe avec ses homologues provinciaux. Elles constituent des outils qui permettent le transfert de contributions monétaires en retour d’activités et initiatives mises en place dans les provinces. C’est le document officiel qui décrit ultimement les engagements des deux gouvernements : d’une part, la portée du financement et son ampleur dévolue à la province et d’autre part, les activités qu’entreprendra la province.

[22]   Pour le titulaire du poste d’agent principal, ses fonctions en ce qui concerne l’élaboration des ententes sont celles de conseiller et de rédacteur. L’agent est la source d’expertise du milieu. Il rédige les ébauches du document qui est soumis pour approbation aux niveaux plus élevés. Ses fonctions administratives consistent à veiller au suivi des ententes. Il assure le travail régulier de liaison et de vérification pour assurer le respect des engagements et les rapports périodiques sur les activités et déboursés. Selon M. Lemoine, les agents principaux sont régulièrement en négociations avec les gens des provinces ou de la communauté locale en regard de ces tâches.

[23]   M. Lemoine a expliqué le caractère délicat de la tâche. Selon lui, il s’agit de dossiers complexes et difficiles à livrer selon la capacité et les sensibilités des autorités provinciales. La tâche varie selon les régions. C’est plus délicat lorsque le milieu est plus unilingue et lorsqu’on s’éloigne du Canada central. L’agent principal travaille à encourager et conseiller les institutions provinciales à adopter des politiques et des programmes pour ses minorités linguistiques. L’agent joue un rôle d’ambassadeur et doit avoir une très bonne compréhension des responsabilités et engagements du gouvernement fédéral en ce qui concerne les langues officielles. Ceci exige, selon lui, une grande capacité de persuasion, une conviction et une intégrité reconnue par les interlocuteurs. La tâche n’est pas d’imposer quoi que ce soit aux provinces, mais de les amener à participer volontairement aux programmes. Selon lui : « [l]es agents principaux sont sur la ligne de front ».

[24]   M. Heintzman a témoigné sur le contexte du présent dossier et le cheminement du gouvernement fédéral sur la question fondamentale des langues officielles. Il a expliqué comment cette dernière politique est au cœur de la stratégie du gouvernement fédéral pour promouvoir l’unité nationale.

[25]   M. Heintzman, parmi ses différentes fonctions, a été vice-président du groupe Tait, ainsi que conseiller constitutionnel délégué pour le Comité mixte spécial sur le renouvellement du Canada. Historien et spécialiste en histoire du Québec, il a été chercheur principal et membre du comité directeur de recherche à la Commission sur l’unité canadienne (1978-1979).

[26]   Il a expliqué que le groupe Tait avait été mis sur pied en 1994 en réponse à une crise existentielle de la fonction publique canadienne. La fonction publique était en train de perdre sa voix. Les valeurs du secteur privé prenaient le dessus et on oubliait les fondements de la fonction publique. Dans un contexte où quelque 40 000 emplois allaient être éliminés, où des questions d’imputabilités avaient surgi et où on faisait face à la diversification des modes de service, la question se posait : qu’est-ce que c’est que d’être fonctionnaire? Il s’agissait de redécouvrir les principes et valeurs de base de la fonction publique. Le rapport de ce groupe de travail a été publié en 1996, puis à nouveau en 2000.

[27]   Le groupe s’est penché sur le Code régissant les conflits d’intérêts et l’après-mandat qui s’appliquait alors à la fonction publique (pièce E-16). Ce code contient neuf principes. Ils englobent des notions fondamentales (page 48 du rapport, pièce E-5), dont :

Les employés doivent exercer leurs fonctions officielles et organiser leurs affaires personnelles de façon à préserver et à faire croître la confiance du public dans l’intégrité, l’objectivité et l’impartialité du gouvernement;

Les employés doivent agir d’une manière si irréprochable qu’elle puisse résister à l’examen minutieux; pour s’acquitter de cette obligation, il ne suffit pas simplement d’observer la Loi;

[… ]

L’intérêt public doit toujours prévaloir dans le cas où les intérêts de l’employé entrent en conflit avec ses fonctions officielles.

[28]   M. Heintzman a confirmé que le groupe n’avait proposé aucun changement à ces principes. Au contraire, ils ont été confirmés et intégrés dans le nouveau Code.

[29]   En ce qui concerne le principe de la loyauté en regard de l’intérêt public, M. Heintzman a expliqué que le groupe Tait l’avait redécouvert comme « un principe cardinal » (page 33 du rapport, pièce E-5). Il repose sur l’intérêt public tel que représenté et interprété par le gouvernement démocratiquement élu, et tel qu’exprimé par la législation et la Constitution. En ce sens, les valeurs démocratiques qui sous-tendent ce principe signifient que les citoyens doivent avoir entière confiance dans la fonction publique et doivent percevoir qu’ils ont affaire à des gens capables, neutres, sans le moindre parti pris. Pour M. Heintzman, dans le domaine public, la perception de cette loyauté est fondamentale et plus importante que la réalité. Cette famille de valeurs démocratiques se retrouve à la page 8 du Code :

[…]

Valeurs démocratiques : Aider les ministres, dans le cadre de la loi, à servir l’intérêt public.

Les fonctionnaires fourniront aux ministres des conseils honnêtes et impartiaux, et mettront à leur disposition tous les renseignements pertinents à la prise de décisions.

Ils mettront en œuvre avec loyauté les décisions des ministres qui ont été prises conformément à la loi.

Les fonctionnaires aideront les ministres, à la fois individuellement et collectivement, à s’acquitter de leur obligation de rendre des comptes et fourniront au Parlement et à la population canadienne l’information concernant les résultats de leur travail.

[…]

[30]   En ce qui a trait au processus habituel sur la détermination du conflit d’intérêts, Mme Lajoie a expliqué que normalement, le fonctionnaire fait une demande et avise son gestionnaire afin de vérifier s’il y a conflit d’intérêts réel, apparent ou potentiel par rapport à ses activités personnelles. La demande est référée à la division des relations de travail qui en fait le suivi. Des renseignements supplémentaires peuvent être requis de la part du fonctionnaire. La gestion est parfois consultée pour bien comprendre les fonctions de l’employé. Si nécessaire, le dossier est acheminé aux services juridiques. Un rapport est préparé pour décision du sous-ministre ou de la personne déléguée.

[31]   La fonctionnaire a expliqué le processus de son embauche au ministère en décembre 1999. Elle avait été approchée par le directeur des opérations du PALO de l’époque, M. Pierre Gaudet. Elle a dit qu’elle avait informé ce dernier de ses convictions souverainistes et du fait que son conjoint allait être candidat aux élections fédérales sous la bannière du Bloc québécois. Elle a reçu une offre d’emploi pour un poste de groupe et niveau PM-05, pour une période déterminée, à titre d’agente principale de programmes à la Direction générale du PALO, le 2 mai 2000 (pièce E-14). Elle a été nommée à ce même poste, pour une période indéterminée, le 19 décembre 2001 (pièce E-15). Elle a occupé ce poste jusqu’au jour de son licenciement. Elle a, à quelques reprises, agi à titre intérimaire en remplacement de sa gestionnaire immédiate, Mme Paula Doyon, aux groupe et niveau PM-06.

[32]   Les compétences de la fonctionnaire ont deux composantes. Elle possède une expertise professionnelle et une expertise administrative. Elle a expliqué que concrètement, son expertise professionnelle et sa connaissance des milieux culturels minoritaires lui permettaient, d’une part, d’analyser les demandes et de faire des recommandations. Elle procédait à une première analyse vérifiant les convergences avec les programmes du ministère, les enjeux et les circonstances pertinentes. Elle vérifiait la validité de la demande et la priorité qui devait lui être accordée par rapport aux objectifs du ministère. D’autre part, son expertise administrative lui permettait de gérer les demandes tout au long du processus d’approbation du ministère et de vérifier les budgets et rapports financiers soumis par les bénéficiaires des fonds.

B.   Les faits

[33]   Le 4 février 2004, la fonctionnaire a fait une demande pour rencontrer ses gestionnaires, M. Guylain Thorne et Mme Doyon, pour discuter d’un projet personnel avant le 15 février 2004 (pièce E-21). Cette rencontre a eu lieu le 10 février 2004. M. Benoît Corbeil, le représentant syndical de la fonctionnaire, était aussi présent. La fonctionnaire a informé ses gestionnaires qu’elle allait se présenter à la présidence d’un nouvel organisme « Le Québec, un pays! » lors d’une élection qui devait se tenir le dimanche 15 février suivant. Cette rencontre aurait duré de 10 à 15 minutes.

[34]   En raison de la sensibilité du ministère sur la question de l’unité canadienne, la fonctionnaire a déclaré que son intention était d’aviser ses supérieurs de ses intentions et de déclencher ainsi le processus pour le dépôt d’un rapport confidentiel en conformité avec le Code. Elle voulait être rassurée de l’impact de ces activités sur son emploi et vérifier avec eux ce qui pouvait être fait étant donné qu’elle était une employée du gouvernement fédéral.  

[35]   Selon la fonctionnaire, la première réaction de ses supérieurs avait été très simple : comme elle ne traitait pas de dossiers avec le Québec, il n’y avait pas, à première vue, de conflit d’intérêts. Toutefois, on lui a dit que des consultations et vérifications devaient être faites. Elle dit avoir jugé cette approche tout à fait légitime. Il a donc été convenu de se rencontrer à nouveau.

[36]   Des consultations ont eu lieu au sein du ministère pour évaluer la situation de la fonctionnaire. Les gestionnaires ont expliqué que la procédure usuelle n’avait pas été suivie étant donné le délai très court.

[37]   Une deuxième rencontre d’environ 30 minutes a eu lieu le 12 février 2004. Mme  Lajoie a alors pris part à la discussion. Elle a pris des notes lors de cette rencontre. Elle a mentionné que le climat de la rencontre était à la confrontation alors que selon elle, ceci n’était pas justifié, surtout à ce point des discussions. Il devait s’agir d’une réunion d’information. Elle a senti qu’il n’y avait aucune ouverture de la part de la fonctionnaire. M. Thorne aurait demandé à la fonctionnaire de renoncer à la présidence, tout en lui indiquant que l’employeur ne voyait aucun problème à ce qu’elle demeure membre du groupe. Mme Lajoie l’a ensuite avisée que des mesures disciplinaires pourraient être prises si elle ne se conformait pas à cette demande.

[38]   Selon la fonctionnaire, on ne lui a pas expliqué comment cette activité personnelle pouvait avoir un impact sur sa façon impartiale et objective de continuer à faire son travail comme avant. On lui aurait simplement indiqué qu’il s’agissait d’un problème de perception de la part du public. L’impartialité du ministère serait remise en question. Elle dit avoir demandé clairement en quoi consistait le conflit d’intérêts. Il a été question de la décision de la Cour suprême dans l’affaire Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69. Les gestionnaires lui auraient répondu qu’il y avait un risque que la situation nuise aux relations fédérales-provinciales, que la fonctionnaire serait en position de critiquer le gouvernement fédéral.

[39]   Mme Lajoie ne se souvenait pas des termes dans lesquels la décision de l’employeur avait été expliquée à la fonctionnaire. Toutefois, elle a confirmé qu’il avait été question d’une perception raisonnable du public à l’effet qu’il y aurait conflit d’intérêts. Dans le cas de la fonctionnaire, il ne s’agissait pas d’appartenance à un parti politique, mais plutôt d’une action politique au sens plus large. En contre-interrogatoire, elle a reconnu que le gouvernement avait parfois des stratégies et des objectifs différents selon les partis politiques au pouvoir, toutefois, au niveau du travail des fonctionnaires, ces derniers doivent faire abstraction de leurs allégeances politiques dans l’accomplissement de leur travail et respecter les objectifs du gouvernement élu.

[40]   À la fin de cette rencontre, la fonctionnaire a proposé le dépôt de ce qu’elle a appelé un rapport confidentiel, tel que prévu au code. Elle aurait reçu de l’information contradictoire à ce sujet pendant la rencontre. Le code auquel elle faisait référence n’existait plus. Elle a demandé du temps pour effectuer des recherches et consultations avant de donner sa décision finale.

[41]   Une brève rencontre a eu lieu le 13 février 2004. Elle avait pour but de communiquer la réponse de la fonctionnaire. Les mêmes personnes étaient présentes. Ayant confirmé ses intentions de briguer la présidence du regroupement, la fonctionnaire a reçu une lettre la même journée signée par Mme Sarkar (pièce G-2). Elle exige que la fonctionnaire renonce au poste de présidente et précise qu’elle peut demeurer membre de l’organisation en autant qu’elle s’abstienne de faire des déclarations publiques relativement à cette organisation ou aux buts recherchés par celle-ci. Elle cite le Code au soutien de sa demande. Elle précise également que la question a été examinée par le comité d’examen des conflits d’intérêts qui avait conclu que ces activités de la fonctionnaire pouvaient vraisemblablement être perçues comme étant susceptibles d’entraîner un conflit d’intérêts de nature à compromettre la neutralité politique de la fonction publique. Selon le comité, il y avait aussi possibilité de mettre en cause sa capacité d’accomplir objectivement ses fonctions ministérielles.

[42]   La fonctionnaire a trouvé cet ordre injuste et déraisonnable en raison de la nature de son poste subalterne. Elle a déclaré avoir été, dès le début, consciente des sensibilités du ministère au niveau des médias. Elle s’est dite prête à s’engager à ne pas faire de déclarations publiques par rapport au ministère; au fait qu’elle était employée du gouvernement fédéral. Elle était disposée à explorer toute condition qui serait versée au rapport confidentiel et qui constituerait un engagement personnel envers son employeur dans les circonstances. Elle soutient qu’on ne lui a pas permis de faire ce rapport.

[43]   En toute fin de journée, le 13 février 2004, la fonctionnaire a informé ses supérieurs par courrier électronique qu’elle n’avait pas l’intention de se conformer à l’ordre qui lui avait été donné de renoncer à la présidence de l’organisme (pièce E-18). Elle y indique « que cet ordre est une atteinte à mes droits fondamentaux de liberté de pensée, d’action et d’association en dehors de mes heures de travail». Elle précise également que cet organisme « d’éducation et de promotion » n’a « aucun lien structurel avec quelques partis politiques  fédéral ou provincial que ce soit [sic pour l’ensemble de la citation] ».

[44]   Le 15 février 2004, la fonctionnaire a été élue par acclamation au poste de présidente de l’organisme « Le Québec, un pays! ». Étant donné la situation irrésolue avec son employeur, elle s’est volontairement abstenue de toute déclaration publique après son élection. Elle respectait ainsi l’engagement qu’elle avait pris dans son courrier du 13 février 2004 (pièce E-18).

[45]   Une rencontre disciplinaire a aussitôt été convoquée par l’employeur (pièce E-19). Elle a eu lieu le 17 février 2004. Mme Sarkar était présente à cette rencontre, ainsi que Mme Lajoie. La fonctionnaire était accompagnée de M. Corbeil et d’un représentant de l’élément national, M. Donald Roy.

[46]   Pour la fonctionnaire, le but de la rencontre était clair. Elle allait recevoir une sanction disciplinaire. Ce n’est pourtant pas ce qui s’est passé. Au début de la rencontre, Mme Lajoie aurait indiqué qu’il n’y aurait pas nécessairement de sanction. Mme  Sarkar lui aurait alors demandé si elle avait changé sa position. La fonctionnaire a demandé cinq minutes, sans interruption, pour lire une déclaration (pièce G-5).

[47]   La fonctionnaire y proposait trois scénarios lui permettant de conserver la présidence de l’organisme. Elle favorisait le premier qui lui procurait une lettre d’excuses et lui permettait de déposer un rapport confidentiel démontrant que ses activités personnelles n’affectaient pas ses capacités d’exercer ses fonctions objectivement. Le second scénario visait un grief contre l’ordre donné le 12 février 2004, qui serait traité en vertu de la procédure interne de grief. Le troisième prévoyait un grief contre la mesure disciplinaire annoncée et la médiatisation de l’affaire. Elle a ensuite demandé que la discussion se poursuive avec ses représentants, à la suggestion de ses avocats.

[48]   Mme Sarkar a remercié la fonctionnaire de sa déclaration et s’est adressée à M. Roy. Pour Mme Sarkar, cette rencontre était une occasion pour discuter et comprendre l’organisme en question. Les trois scénarios ont été discutés. M. Roy aurait indiqué que Mme Sarkar allait perdre le contrôle de la situation si la décision de médiatiser l’affaire, le scénario 3, était mise en marche.

[49]   Selon Mme Sarkar, les représentants de la fonctionnaire lui auraient dit qu’elle avait été mal conseillée par rapport à l’impact de la Charte et aux droits fondamentaux de la fonctionnaire. Il y aurait eu des accusations de partisanerie libérale contre Mme  Sarkar. Sa perception de la discussion était à l’effet que le ton était plutôt agressif et que certaines paroles étaient inappropriées. Toutefois, elle a reconnu que la fonctionnaire avait été intègre et transparente dans ses gestes et dans sa déclaration. Malgré cela, il y avait toujours un conflit d’intérêts apparent.

[50]   Il était clair pour Mme Sarkar que, dans ses relations avec les provinces, la fonctionnaire était « le visage du ministère – du programme » et en même temps porte-parole et représentante d’un organisme souverainiste. Mme Sarkar était d’avis que la fonctionnaire ne semblait pas voir cet aspect du dossier; elle voulait négocier une entente lui permettant de poursuivre ses activités personnelles. D’après les conseils que Mme Sarkar avait reçus, la seule option possible était que la fonctionnaire renonce à la présidence et demeure membre de l’organisme si elle le désirait, car il y avait autrement conflit d’intérêts.

[51]   Lorsqu’elle a constaté une impasse dans le débat, la fonctionnaire a déclaré être intervenue, malgré qu’elle ait d’abord demandé que la discussion se poursuive avec ses représentants. Elle a rappelé à ses gestionnaires qu’elle avait agi de bonne foi en les avisant de la situation à l’avance. Elle a répété qu’elle comprenait les sensibilités du ministère sur la question de la souveraineté du Québec et a ajouté qu’elle était disposée à prendre toute mesure appropriée.

[52]   Elle renonçait entre autres au télétravail de manière à rassurer l’employeur qu’elle n’utiliserait pas les outils du ministère au bénéfice de ses activités personnelles. Elle renonçait également à agir à titre intérimaire au poste de sa gestionnaire immédiate, comme elle l’avait fait dans le passé. Elle s’assurait ainsi de ne pas participer à des discussions ou décisions concernant la mise en œuvre des programmes. Elle évitait ainsi son accès à des documents ou renseignements confidentiels sur les décisions ou stratégies de l’employeur. Elle a témoigné à l’effet qu’elle avait pris pour acquis que sa carrière allait s’arrêter au niveau PM-05, le plus haut niveau subalterne, vu son choix personnel. Enfin, elle était disposée à s’engager à ne faire aucune déclaration publique au sujet du ministère, ses stratégies et politiques, et du fait qu’elle y travaillait.

[53]   La fonctionnaire a reconnu que Mme Sarkar l’avait remerciée de son intégrité, sa transparence et sa bonne foi. À ce stade des discussions, la fonctionnaire avait espoir que le premier scénario qu’elle avait proposé lors de cette rencontre, le dépôt d’un rapport confidentiel, allait être adopté par Mme Sarkar qui lui a déclaré en fin de réunion qu’elle allait réfléchir à la situation.

[54]   M. Heintzman a expliqué comment l’employeur en était venu à la conclusion qu’il y avait conflit d’intérêts. Ce conflit peut être présent à trois niveaux : le conflit réel, le conflit apparent et le conflit potentiel. Il a rappelé que dans le secteur public, il est bien établi qu’il ne s’agit pas de démontrer que le conflit d’intérêts est réel, mais plutôt qu’il peut y avoir perception de conflit. Ceci découle de l’importance de maintenir la confiance des citoyens dans l’impartialité de l’administration publique, ses programmes et services. Il y a donc conflit d’intérêts aussitôt que les activités personnelles du fonctionnaire peuvent mettre en doute cette impartialité et transparence et aussitôt qu’elles peuvent soulever une controverse publique qui entache la crédibilité ou la légitimité du gouvernement. Les instruments mis en place à cet égard visent principalement à prévenir ces situations plutôt qu’à les corriger.

[55]    La jurisprudence aurait fait ressortir trois facteurs internes et externes à examiner dans l’analyse d’une situation de conflit d’intérêts : la nature et le domaine des activités, la visibilité et le rôle de la personne devant le public, dans son incarnation du gouvernement, et son niveau d’influence sur le processus décisionnel du gouvernement. M. Heintzman a ensuite illustré l’application de ces facteurs dans le cas de la fonctionnaire.

[56]   Du côté personnel, premièrement, elle a accepté la présidence d’un organisme qui a pour but de promouvoir l’indépendance du Québec. Il ne s’agit pas d’une formation politique, mais d’un organisme ayant des visées politiques. Deuxièmement, à titre de présidente, elle en était, de par nature, la porte-parole, ce qui signifiait une grande visibilité. Troisièmement, à titre de présidente, elle avait un niveau élevé d’influence.

[57]   Du côté professionnel, premièrement, elle œuvrait dans un ministère où la question de l’unité nationale est une question sensible. Cela touche au cœur même du mandat de ce ministère. Les objectifs des deux organisations sont donc de toute évidence en conflit réel. La fonctionnaire œuvrait, de plus, dans le domaine des langues officielles. Celui-ci est intimement lié à la stratégie fondamentale du gouvernement pour l’unité du pays. Deuxièmement, à titre d’agent principal de pupitre régional et d’analyste, la fonctionnaire avait un rôle de représentante du ministère, un rôle visible dans la communauté régionale. Elle représentait le gouvernement fédéral devant ses interlocuteurs régionaux. Troisièmement, la fonctionnaire était de niveau PM-05. Bien qu’il soit loin du niveau du sous-ministre, il n’est tout de même pas un niveau négligeable. La fonctionnaire avait une influence certaine d’après ses fonctions de négociation, d’analyse, de préparation des dossiers et son pouvoir de recommandations.

[58]   M. Heintzman a conclu ainsi qu’il y avait tant conflit d’intérêts apparent que potentiel. Selon lui, si la situation était tolérée et que la fonctionnaire continuait dans ces doubles rôles, quelqu’un aurait pu dénoncer la contradiction évidente entre la promotion d’un Québec indépendant et la gestion d’un programme visant essentiellement la cohésion et l’unité du Canada.

[59]   Selon M. Heintzman, la suggestion que la fonctionnaire prenne la présidence de cet organisme tout en renonçant à en être la porte-parole ne changeait rien à l’apparence de conflit ou au potentiel de conflit du point de vue de tout citoyen. Le titre seul, quant à lui, laissait percevoir l’apparence de conflit. C’était incontournable.

[60]   M. Heintzman a expliqué en détail la mission et le mandat particulier du ministère du Patrimoine canadien, car cet élément est très important dans l’analyse de la situation de la fonctionnaire. Sa vocation primordiale est de renforcer les liens entre les citoyens du pays. Il s’agit d’un objectif qui s’oppose donc à celui de l’organisme que présidait la fonctionnaire.

[61]   De plus, il est important d’examiner le contexte particulier dans lequel travaillait la fonctionnaire à l’intérieur du ministère. Il a abordé cette analyse sous deux angles différents : le point de vue théorique et historique, et le point de vue pragmatique et politique.

[62]   Du premier point de vue, il rappelle que l’idéologie qui veut protéger les droits des minorités linguistiques au Canada remonte à l’honorable Henry Bourassa, au tournant du 20 e siècle. Celle-ci veut que les Canadiens de langue française soient chez eux partout au Canada. Dans les années 60 André Laurendeau, coprésident de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (Commission Laurendeau – Dunton), a repris le flambeau de Henry Bourassa et en a fait une stratégie d’unité canadienne en offrant ainsi une alternative à la séparation du Québec. Donc, historiquement et théoriquement, cette stratégie de l’expansion du bilinguisme a toujours été présente et mise de l’avant par des gens qui prônaient l’unité du pays.

[63]   Du point de vue pragmatique et politique, M. Heintzman a entamé ses commentaires en soulignant que les pays multilingues sont des pays qui vivent des tensions constantes. Cette situation exige un effort continu et un consensus national. L’équilibre est souvent délicat et doit être maintenu avec soin. Selon lui, il serait juste de dire que le consensus canadien est lié à la théorie de Bourassa et Laurendeau, c'est-à-dire que si les droits des minorités francophones ne sont pas respectés, l’unité du pays est compromise. La menace de séparation est une menace à ce consensus. Si les autorités politiques provinciales ne croient plus que leurs efforts aident à maintenir l’unité du pays, cela devient beaucoup plus difficile de maintenir les droits des minorités linguistiques partout au pays. La motivation n’y est plus.

[64]   Donc, en ce qui concerne la fonctionnaire et ses responsabilités au PALO, M. Heintzman reconnaît qu’il n’avait aucune preuve que celle-ci n’était pas convaincue du programme ou qu’elle ne livrait pas ses services avec compétence. Le conflit se situe à un autre niveau. Il découle plutôt du fait que le développement des langues officielles et le soutien aux communautés minoritaires sous-tendent l’unité du pays, non son démantèlement.

[65]   Le niveau PM-05 de la fonctionnaire est un élément non connu du public. Ainsi, bien que le niveau hiérarchique et le degré d’influence de la fonctionnaire soient des facteurs dont il faut tenir compte dans l’évaluation du conflit, le problème ici se pose au niveau de la perception du public plutôt qu’au niveau de la réalité de la tâche et des responsabilités de la fonctionnaire.

[66]   En contre-interrogatoire, M. Heintzman a précisé que chaque cas était un cas particulier. Il n’a pas exclu la possibilité que d’autres postes de PM-05 au ministère du Patrimoine canadien ne seraient pas dans la même situation de conflit d’intérêts que la fonctionnaire. Il faut, selon lui, examiner chaque situation.

[67]   Il a aussi confirmé, qu’en vertu du Code, le devoir du fonctionnaire est de porter à l’attention de ses gestionnaires toutes situations possibles de conflit d’intérêts. Il a expliqué que le rapport confidentiel est l’outil utilisé pour porter cette information à l’attention de la gestion. Ce rapport ne fait pas partie de la solution, mais en est uniquement le déclencheur. Enfin, il a reconnu qu’à sa connaissance l’alternative qui a été offerte à la fonctionnaire était de simplement rester membre de l’organisme. Un conflit conceptuel persistait tout de même selon lui.

[68]   Mme Sarkar a brièvement résumé la description de la tâche de la fonctionnaire : « Elle est responsable de la colle du Canada ». C’est en grande partie une question d’image. Il n’apparaît pas crédible que la fonctionnaire, sur la place publique, exerce la présidence de l’organisme « Le Québec, un pays! » et le lendemain s’assoit à la table avec les provinces et participe à une négociation avec eux pour les convaincre que la dualité linguistique est une priorité pour l’unité nationale.

[69]   M. Lemoine a expliqué que le mandat du ministère veut que le français soit une réalité partout au Canada. Pour se faire, les ententes avec les provinces, autres que le Québec, visent à faire reconnaître l’importance du français, le bien-fondé d’offrir des services en français et de créer des milieux où la langue française est reconnue pour assurer un accueil aux francophones partout au pays. Face à la société, il s’agit d’amener les divers groupes à comprendre l’importance de représenter et refléter la dualité linguistique du pays. Le rôle de l’agent de programme est donc celui d’ambassadeur. Il doit amener les gouvernements provinciaux à être généreux envers leurs minorités linguistiques. Cela exige du doigté, de la crédibilité et des efforts. Il faut être en mesure de comprendre leurs contraintes.

[70]   Les agents principaux sont, selon lui, en contact privilégié avec les autorités provinciales et les groupes communautaires. Ceux-ci doivent pouvoir se fier sur les agents, qui sont leur porte-parole auprès du ministère fédéral, pour faire avancer leurs projets. Ces agents doivent agir en cohérence avec le gouvernement fédéral et son idéologie d’unité nationale qui sous-tend ses stratégies de dualisme linguistique. Selon lui, un agent ne peut donc se présenter devant les autorités provinciales sans une crédibilité intacte et inattaquable.

[71]   M. Lemoine a illustré le rôle de la fonctionnaire dans deux dossiers importants, l’un en éducation en Nouvelle-Écosse et l’autre, pour un centre communautaire à Terre-Neuve. La fonctionnaire a travaillé à la préparation des dossiers. Elle a agi à titre de conseillère sur les stratégies et approches à prendre sur la base de ses connaissances du milieu et ses discussions préalables avec les gens des ministères provinciaux.

[72]   Selon M. Lemoine, il était impossible pour la direction générale de composer avec la situation dans laquelle se trouvait la fonctionnaire. Voilà un agent, ambassadeur du PALO, outil de la stratégie d’unité nationale, qui allait prendre publiquement une position diamétralement opposée à celle du ministère, la souveraineté du Québec. Cette séparation remettrait en question le projet de société que veut promouvoir la Loi sur les langues officielles depuis 1968.

[73]   La présence du Québec et le désir de lui assurer une place au sein de la Confédération sont un incitatif pour amener les gouvernements provinciaux à mettre en place ces programmes. Les interlocuteurs provinciaux sont déjà sensibles à la question de la langue et pourraient avoir une volonté fragile par rapport à ces dossiers. La crédibilité du programme ne peut être mise en doute. Cela mettrait à risque la capacité du ministère d’accomplir son mandat. La question linguistique est délicate sur le plan politique au niveau provincial. Il pourrait devenir très difficile de justifier ces programmes sans la présence du Québec. Celui-ci assure une population francophone au Canada se situant à quelque 20 à 25 %.

[74]   Le mandat de promouvoir la dualité linguistique partout au pays revient exclusivement au ministère du Patrimoine canadien. La direction générale est l’unique entité qui véhicule ces valeurs au pays. Dans la mesure où une employée clé s’engage à promouvoir des valeurs fondamentales opposées, il y a incompatibilité. Selon M. Lemoine, il faut aller au-delà de ce que représente l’individu; l’ensemble de la direction générale était mis en cause.

[75]   Cette incompatibilité existerait pour tout autre employé, à différents niveaux, qui est en relation à l’extérieur du ministère. L’apparence de conflit de la part du public est le facteur clé. De plus, le rôle plus général de l’unité de travail est à examiner lorsqu’il s’agit d’un employé d’un niveau inférieur. Si le rôle de cette unité est incompatible avec les activités personnelles de l’employé, il y a tout de même apparence de conflit d’intérêts malgré son niveau peu élevé. Selon M. Lemoine, une modification des tâches de la fonctionnaire, ou son déplacement vers des tâches qui ne seraient pas publiques, ne changeait rien à la situation compte tenu de la mission primordiale du ministère.

[76]   En contre-interrogatoire, M. Lemoine a précisé que selon lui, le public qui n’a pas tous les détails de la tâche et des responsabilités de la fonctionnaire pourrait percevoir une contradiction dans les missions des deux organismes, en d’autres mots un conflit d’intérêts. Le ministère aurait alors à se défendre et expliquer la situation. La direction générale tentait d’éviter une telle situation.

[77]   Du point de vue hiérarchique, il est entendu qu’il existe six niveaux et que la fonctionnaire en est au niveau le plus bas (pièce E-9). Deux agents de groupe et niveau PM-03 et PM-04 apportent leur soutien aux activités des agents de niveau PM-05, mais il n’y a pas de lien hiérarchique entre eux. De plus, la fonctionnaire était, à l’occasion, appelée à exercer les fonctions de sa superviseure, Mme Doyon, au niveau PM-06, à titre intérimaire.

[78]   La fonctionnaire n’était responsable d’aucun budget. Elle n’avait pas non plus de pouvoir de signature d’ententes formelles. Elle avait un pouvoir de recommandation et un certain degré d’influence de cette façon. La fonctionnaire participait à certaines rencontres fédérales-provinciales. Elle a accompagné ses supérieurs dans certaines rencontres provinciales. Bien que la fonctionnaire a dit qu’elle n’y était qu’à titre d’observatrice et que son rôle ne consistait qu’à prendre des notes, M. Lemoine a dit que les attentes étaient que tous ceux qui étaient à la table aident à faire avancer la négociation et que l’agent y était présent pour donner des conseils. Elle participait régulièrement à la préparation de ces rencontres.

[79]   La procédure de préparation des documents au soutien des demandes de financement des projets a été examinée en contre-interrogatoire et le rôle de la fonctionnaire y a été précisé. De toute évidence, elle n’a aucun pouvoir décisionnel sur le sort du dossier.   Toutefois, elle exerce certainement une influence étant donné son rôle d’analyste et son expertise du milieu.

[80]   M. Balsam a témoigné sur le processus de négociation des ententes fédérales-provinciales et le processus décisionnel. Il connaît la fonctionnaire depuis l’an 2000. Il a déclaré avoir été surpris d’apprendre son licenciement par les médias et le fait qu’elle était souverainiste. Il n’avait constaté aucun changement dans son travail entre le mois de février 2004 et le moment de son licenciement.

[81]   Mme Sarkar a précisé que le 13 février 2004, elle avait suffisamment de renseignements pour demander à la fonctionnaire d’abandonner sa course à la présidence. Elle n’avait toutefois pas suffisamment de renseignements sur les responsabilités précises de la fonctionnaire au ministère et sur l’organisme dont elle briguait la présidence pour prendre toute autre décision en conséquence du choix de la fonctionnaire de poursuivre son projet personnel. Il y avait peu de temps avant l’élection. Le comité d’examen sur les conflits lui a fait rapport verbalement.

[82]   Lors d’une rencontre le 19 février 2004, Mme Lajoie a remis à la fonctionnaire et son représentant syndical une liste de cinq questions. Elles visaient la clarification du mandat de l’organisme et sa description. Elles visaient également la clarification du rôle et des responsabilités de la présidente et de son engagement prévu. Enfin, on lui demandait comment elle entendait éviter tout conflit réel, potentiel ou apparent entre ses fonctions officielles et l’exercice de ses fonctions de présidente. Mme Lajoie a également expliqué que Mme Sarkar était en réflexion et consultation afin de prendre une décision sur la suite des événements. Cette dernière a fait un rappel dans une lettre du 3 mars 2004 à la fonctionnaire (pièce E-24). La fonctionnaire a répondu à ces questions le 9 mars 2004 (pièce E-23).

[83]   Avec ses réponses, la fonctionnaire a remis le règlement général de l’organisme « Le Québec, un pays! ». On peut y lire entre autres ce qui suit :

3. OBJET
Le groupe est un organisme sans but lucratif non partisan qui a pour objet essentiel de promouvoir, par des moyens pédagogiques, éducatifs et culturels, la souveraineté du Québec.

À ce propos, il peut notamment :

a) Informer, sensibiliser la population de l’Outaouais sur les fondements de la souveraineté;

b) Mener des campagnes publiques sous forme notamment de campagnes publicitaires ou de campagnes d’information pour la souveraineté du Québec;

c) Organiser des réunions, forums ou colloques pour informer et sensibiliser la population sur la souveraineté du Québec;

d) Commander ou diffuser des recherches ou rapports sur divers aspects de la réalité québécoise;

e) Organiser des activités spéciales, notamment de nature culturelle et éducative, pour la promotion de la souveraineté du Québec dans certains milieux;

f) Recevoir des dons, legs et contributions en argent, en valeurs mobilières ou sous d’autres formes, les administrer et organiser des campagnes de souscription dans le but de recueillir des fonds.

[84]   Plus loin on peut aussi y lire :

7. ADMINISTRATEURS ET ADMINISTRATRICES
7.1Présidence
a)La présidence représente le Groupe
b)Elle préside les réunions de Conseil d’administration et du Groupe
c)Elle voit au respect des règlements du Groupe
d)Elle signe avec un autre administrateur les documents du Groupe, le cas échéant .

[85]   Le 24 mars 2004, des articles ont paru dans les journaux (pièce E-2) traitant de la situation de la fonctionnaire. Le lendemain, celle-ci tenait une conférence de presse accompagnée de M. Cashman ainsi que de M. Ed Broadbent, alors candidat du NPD, M. Mario Laframboise du Bloc Québécois, M. Scott Reid du Parti Conservateur et Mme  Jocelyne Gadbois du Parti Québécois. D’autres articles ont été rédigés dans les journaux à la suite de cette conférence.

[86]   Le 13 avril 2004, Mme Sarkar a écrit à nouveau à la fonctionnaire (pièce E-26). Elle lui a indiqué que le ministère maintenait sa position en ce qui regarde le conflit d’intérêts dans lequel il estimait que la fonctionnaire s’était placée et lui demandait à nouveau de renoncer à son poste de présidente. Sous réserve de s’abstenir de toute déclaration publique relativement à l’organisme, il n’y avait pas d’objection à ce qu’elle en demeure membre. Enfin, Mme Sarkar invitait la fonctionnaire à faire des suggestions qui permettraient de résoudre le conflit d’intérêts en conformité avec le Code. On a demandé à la fonctionnaire de communiquer sa position avant le 23 avril 2004.

[87]   Le 23 avril 2004, la fonctionnaire a répondu à Mme Sarkar (pièce E-27). Elle réitérait qu’elle ne comprenait toujours pas pourquoi elle devrait abandonner ses activités de présidente et ainsi renoncer à ses droits fondamentaux de liberté d’expression et d’association. Selon elle, il n’y avait aucune preuve relative au conflit d’intérêts. Elle a donc réaffirmé son désir de conserver son emploi tout en continuant d’assumer son rôle de présidente conformément à son engagement du 9 mars 2004 soit à ne faire « aucune déclaration publique ou corporative liée directement au ministère du Patrimoine canadien dans le cadre de [ses] fonctions de porte-parole du groupe d’action politique communautaire régional dont [elle est] présidente ».

[88]   À la demande de Mme Sarkar, une rencontre a eu lieu le 28 avril 2004 pour discuter de suggestions pour résoudre la situation. La fonctionnaire a été avisée que M. Thompson serait présent à cette rencontre. C’est ce dernier qui a entamé la réunion en exposant les buts de celle-ci, soit la confirmation des positions de chacun et l’exploration des suggestions de la fonctionnaire. Mme Sarkar a lu une déclaration qui avait été préparée (pièce E-33). Elle se lit comme suit :

Vos responsabilités en tant qu’agent principal du programme consistent, en [ sic ] autres, à représenter le ministère relativement à la négociation et à la mise en œuvre d’ententes en langues officielles avec les représentants des provinces ainsi que ceux d’organismes gouvernementaux et non gouvernementaux.

Ces responsabilités sont en conformité avec le mandat du ministère du Patrimoine canadien, qui est de mettre de l’avant les valeurs d’une citoyenneté partagée permettant de tisser des liens plus étroits entre tous les Canadiens dans tous les provinces et les territoires du pays.

Par conséquent, vos activités extérieures peuvent raisonnablement être perçues comme étant susceptibles d’entraîner un conflit d’intérêts et mettre ainsi en cause votre capacité d’accomplir objectivement vos fonctions ministérielles.

[89]   La fonctionnaire et ses représentants ont indiqué qu’ils ne comprenaient toujours pas la position du ministère et ont demandé des preuves de conflit d’intérêts. Elle a précisé qu’elle et le ministère ne s’entendaient pas sur ses tâches et responsabilités. Mme Sakaar a témoigné que cet aspect était secondaire puisque, pour le ministère, ce qui importait était plutôt la question de l’image. Considérant l’atteinte à ses droits et le manque de preuve, la fonctionnaire a réitéré sa position et ses engagements du 9 mars 2004. M. Thompson l’a avisé que le ministère devrait prendre une décision dans les plus brefs délais et la lui communiquer.

[90]   Lors d’une rencontre le 29 avril 2004, une lettre de licenciement a été présentée à la fonctionnaire après qu’elle eu été invitée à changer sa position ou à faire d’autres suggestions.

[91]   Mme Sarkar a déclaré avoir examiné d’autres solutions. Toutefois, puisque le conflit porte principalement sur l’apparence et que la situation a été médiatisée dès le mois de mars 2004, elle ne voyait pas de possibilité de trouver au ministère un poste alternatif pour la fonctionnaire. Le fait que la situation avait déjà été médiatisée a rendu l’exercice encore plus difficile. Le mandat du ministère et l’impact qu’une nouvelle position pourrait avoir sur les autres employés et sur les services à la clientèle externe ont été pris en considération. Mme Sarkar a rappelé que ces décisions étaient prises tenant compte du fait que le ministère est considéré comme la « colle du pays ».

[92]   La possibilité d’offrir un poste de niveau inférieur ou la possibilité d’emploi de la fonctionnaire auprès d’autres ministères n’ont pas été explorées. Une telle mutation ne peut être imposée, ni à l’employé, ni à un ministère hôte. Selon Mme Sarkar, la fonctionnaire ou ses représentants n’ont pas non plus suggéré d’alternatives. Tout au long des discussions, la fonctionnaire insistait pour garder son poste puisqu’elle ne voyait pas de conflit.

[93]   M. Cashman, au contraire, a témoigné qu’il était intervenu dans le dossier en contactant M. Thompson dans le but de trouver une solution pour la fonctionnaire. Il aurait été question de différentes options et de trouver un autre poste de PM-05 ailleurs au sein du ministère ou du gouvernement. Il aurait aussi été question de modifier les tâches de la fonctionnaire. Ces discussions n’ont pas porté fruits. L’employeur est resté sur ses positions, selon le témoin.

[94]   Devant l’attitude de l’employeur et admettant sa frustration devant son manque de coopération habituelle, M. Cashman a alors opté pour une conférence de presse. Son idée était de faire comprendre aux gens du ministère que des droits fondamentaux étaient en jeu et de les rappeler à l’ordre. Il y a invité des représentants de tous les partis politiques dans le but de présenter le dossier sur la base des droits fondamentaux de la fonctionnaire plutôt que sur la base du conflit fédéral-provincial.

[95]   Selon M. Cashman, deux éléments sont à l’origine de la situation. D’une part, il y a un manque de respect des droits fondamentaux de la fonctionnaire, de ses droits d’association et d’expression et d’autre part, l’employeur ne s’est jamais expliqué et n’a présenté aucune preuve de conflit d’intérêts. L’employeur n’a pas voulu discuter et résoudre le problème. Sa position a été ferme, alors que selon M. Cashman, une solution était possible.

[96]   En contre-interrogatoire, M. Cashman a reconnu qu’il n’avait pas mentionné ces options à Mme Sarkar, bien qu’il ait été présent aux dernières rencontres, dont celle du 28 avril 2004, et bien que Mme Sarkar ait demandé des pistes de solution à la fonctionnaire. C’était le but des rencontres selon l’employeur. Il a également reconnu avoir mentionné que [traduction] « l’affaire pouvait devenir laide si les médias s’y intéressaient ». Selon M. Cashman, la rencontre du 28 avril 2004 était la rencontre disciplinaire; il n’était plus question de négocier. L’attitude du ministère le rendait perplexe. Il a conclu que l’idée de l’employeur était faite.

[97]   M. Cashman a longuement été contre-interrogé sur les circonstances entourant son offre de négociation et ses trois options présentées à M. Thompson lors d’une conversation téléphonique. Rappelé à la barre et mis en garde en vertu de la règle établie dans Browne c. Dunn, (1894) 6 R. 67 (H.L.), il a confirmé avoir fait ces offres. Sous réserve d’une objection à son témoignage, M. Thompson, qui avait été présent dans la salle tout au long de l’audience, a témoigné sur cette question. Il a affirmé que M. Cashman n’avait jamais fait de telles suggestions. Aucune option de ce genre ne lui a été présentée. M. Thompson a présenté les notes prises lors d’une discussion téléphonique avec M. Cashman le 2 mars 2004 (pièce E-39). Elles ne font pas référence à une telle suggestion. Il affirme qu’il aurait certainement noté cet aspect important de la discussion, surtout que cela aurait exigé un suivi de sa part. Ayant pris les objections sous réserve, je traiterai de cette question dans mes motifs.

[98]   La preuve démontre également que, le 30 avril 2004, la fonctionnaire tenait une autre conférence de presse accompagnée de son époux, de M. Richard Nadeau, de M. Stéphane Bergeron et de M. Mario Laframboise, députés du Bloc Québécois. Les propos tenus lors de cette conférence de presse et lors d’entrevues subséquentes de la fonctionnaire dans les médias ont été produits sous la pièce E-2.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

[99]   L’employeur souligne d’emblée que seule la liberté d’expression protégée à l’alinéa 2b) de la Charte, est pertinente au présent débat. Le droit d’association de la fonctionnaire n’a pas été atteint, car il lui a été permis de demeurer membre de l’organisation en question. Par ailleurs, le droit fondamental d’expression doit être mis en rapport avec le devoir de loyauté des employés tel que défini par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Fraser c. C.R.T.F.P., [1985] 2 R.C.S. 455. Dans le présent cas, l’employeur a sévi dans le but de prévenir une situation qui, objectivement, présenterait une apparence d’impartialité pour le public.

[100]   La Cour fédérale, dans Haydonc.Canada, [2001] 2 C.F. 82 (1 re inst.), dans Haydon c. Canada (Conseil du Trésor), [2004] C.F. 749 (1 re inst.) (confirmée par la Cour d’appel [2005] C.A.F. 249; demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada rejetée le 19 janvier 2006) et dans Chopra c.Canada (Conseil du Trésor), [2005] C.F. 958 (1 re inst), a également reconnu que le devoir de loyauté du fonctionnaire constitue une limite raisonnable et permise à l’application des dispositions de la Charte. Selon l’employeur, ce débat n’a pas à être refait. Le principe est accepté. Le devoir de loyauté est reconnu comme règle de droit.

[101]   De plus, la Cour suprême a clairement indiqué dans Fraser que la preuve directe du conflit d’intérêts ou de l’incidence néfaste sur la capacité générale d’agir en tant que fonctionnaire n’était pas nécessaire dans le cas du conflit apparent ou potentiel. Dans le présent cas, le fond, la forme et le contexte des critiques peuvent amener à conclure à une incidence néfaste. Il faut retenir que le public ne connaît pas les détails des responsabilités de la fonctionnaire. Tout se joue sur les apparences en ce qui concerne le public. L’employeur n’a jamais prétendu dans le présent cas qu’il y a eu conflit d’intérêts réel.

[102]    Le conflit apparent est toutefois très important tel que l’ont déclaré les témoins de l’employeur. Le rôle de la fonctionnaire en fait la représentante du ministère auprès des communautés clientes. Elle est l’ambassadrice du PALO, un programme mis en place pour renforcer l’unité nationale. En plus des témoins de l’employeur ayant expliqué en détail la position du ministère et sa mission particulière, les journaux ont publié des opinions de citoyens, commentaires et éditoriaux qui permettent de constater le potentiel, sinon l’apparence de conflit d’intérêts. La crainte de l’employeur est ainsi confirmée et prouvée.

[103]   Dans la décision Osborne, concernant le droit du fonctionnaire de travailler pour ou contre un parti politique ou un candidat, la Cour suprême du Canada a identifié trois facteurs pour déterminer les droits du fonctionnaire. Ceux-ci doivent être examinés sous deux angles, soit les activités professionnelles et les activités personnelles du fonctionnaire. M. Heintzman a témoigné sur l’application méticuleuse de ce test par l’employeur dans le présent cas.

[104]   En regard des activités personnelles, selon l’employeur, la preuve a établi que l’objectif premier de la fonctionnaire, à travers l’organisme qu’elle préside, est la souveraineté du Québec, et partant, l’effritement du Canada tel qu’on le connaît. De plus, la fonctionnaire ne peut être présidente de l’organisme sans en être la porte-parole; c’est incontournable. L’employeur souligne d’ailleurs qu’à la suite de la conférence de presse du 25 mars 2004, cette dernière question devenait rhétorique.

[105]   Quant aux fonctions professionnelles, il s’agit d’un poste d’administrateur de programme, le PALO. Ce programme vise l’élaboration et la gestion de subventions et d’ententes fédérales-provinciales. C’est un travail d’équipe et le PM-05 participe aux négociations avec les homologues provinciaux ou les prépare. Il est vrai que la fonctionnaire n’a pas de pouvoir décisionnel final. Toutefois, cet élément n’est pas requis pour se trouver en conflit d’intérêts. C’est plutôt le fait qu’elle est en constante relation avec ses homologues provinciaux à titre de représentante du ministère et du fait que c’est sur la base de son analyse et de ses recommandations que le ministre prend une décision. Elle-même a caractérisé sa relation avec ses homologues provinciaux de « courroie de transmission ». Elle a témoigné de son expertise et de ses compétences à faire les recommandations et les suivis dans les dossiers. Enfin, le poste de la fonctionnaire est de niveau assez important pour lui permettre de remplacer de façon intérimaire son superviseur qui est de niveau PM-06, un niveau qui est visé par les mesures d’observation concernant l’après-mandat au chapitre 3 du Code.

[106]   Bien plus important, selon l’employeur, cette distinction dans les tâches de la fonctionnaire est faite par les initiés. Ce n’est pas une distinction que le public peut faire. Encore une fois, l’apparence est la question primordiale. La fonctionnaire a reconnu l’apparence de conflit en offrant de ne pas prendre le rôle de porte-parole du groupe parce qu’elle voulait épargner les sensibilités de l’employeur. Quant à la visibilité du poste, elle est claire pour l’employeur. La fonctionnaire œuvre dans le milieu restreint des minorités linguistiques. Il s’agit des communautés clientes du ministère et il a été prouvé qu’il y a au moins une rencontre annuelle avec les agents principaux, comme la fonctionnaire.

[107]   En fait, l’employeur soutient que l’affaire est maintenant sur la scène publique et que pour « le commun des mortels », la contradiction entre les activités professionnelles et les activités personnelles de la fonctionnaire est fondamentale. L’employeur devait agir, devait éviter que l’affaire éclate et qu’une telle controverse vienne nuire à la crédibilité du ministère et de son programme.

[108]   De l’avis de l’employeur, toutes les questions constitutionnelles ayant déjà été décidées par la Cour suprême du Canada, la seule question à examiner est donc celle de la justesse de la mesure disciplinaire, qui est purement une question de relations de travail.

[109]   À ce sujet, l’employeur rappelle l’approche des gestionnaires et le court délai que la fonctionnaire leur a donné pour analyser la situation et prendre une décision. Selon l’employeur, la fonctionnaire avait pris la décision de se présenter à la présidence. Il n’était pas question pour elle d’y renoncer par la suite. Selon elle, l’arrêt Osborne lui procurait une armure. Son approche, ainsi que celle de ses représentants en a été une de confrontation. Pour eux, il ne s’agissait que de compléter un rapport confidentiel. Ce qu’elle n’a jamais fait d’ailleurs. Des accusations de partisanerie ont été proférées contre les gestionnaires. Des menaces de médiatiser le dossier ont également été prononcées. Aucune sanction n’avait encore été imposée. Les rencontres se poursuivaient pour discuter et obtenir de l’information sur les activités du regroupement en question.

[110]   Conformément à la décision Gannon c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CAF 417 sur laquelle l’arbitre de grief avait demandé des commentaires aux parties, l’employeur a soutenu qu’étant donné la rupture du lien de confiance, il n’y a pas lieu à la réintégration. Selon lui, il a été établi de façon claire et sans équivoque que la fonctionnaire avait décidé de demeurer présidente de l’organisme et de demeurer dans son poste. La fonctionnaire a refusé d’obéir aux ordres de l’employeur et a affirmé publiquement que l’employeur était motivé par la mauvaise foi et la partisanerie politique. De plus, elle a exigé des sanctions disciplinaires contre tous ses gestionnaires par le biais de nombreux autres griefs. L’employeur a également mis en doute la franchise de la fonctionnaire, rendant évidents le bris du lien de confiance et la réintégration de la fonctionnaire impossible.

[111]   Quant à l’obligation de l’employeur de trouver un autre poste à la fonctionnaire ou de le modifier, elle n’existe pas puisqu’il s’agit ici d’une mesure disciplinaire et non d’une obligation de prendre des mesures d’adaptation. D'ailleurs, le sous-ministre n’a aucun pouvoir ou autorité en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique pour nommer ou muter un fonctionnaire dans un autre ministère.

B. Pour la fonctionnaire

[112]   Selon la fonctionnaire, il y a trois points en litige : 1) Puisqu’il est admis qu’il n’y avait pas de conflit d’intérêts réel, y avait-il, toutefois, apparence de conflit? 2) Quelles étaient les solutions possibles quant à l’apparence de conflit, s’il y en a une, et quelles étaient les responsabilités de chacun par rapport aux solutions possibles? 3) Est-ce que la sanction ultime du licenciement était appropriée dans les circonstances?

[113]   Il s’agit, en fait, de voir comment pondérer les droits fondamentaux de la fonctionnaire avec son devoir de loyauté envers l’employeur. Dans la décision Fraser à la page 466, la Cour suprême du Canada a statué ce qui suit :

Pour ce qui est de l’équilibre à respecter, il faut tout d’abord tenir compte de la proposition selon laquelle il est permis aux fonctionnaires de s’exprimer dans une certaine limite sur des questions d’intérêt public. Les fonctionnaires ne peuvent être, pour employer l’expression appropriée de M. Fraser, [ traduction ] « les membres silencieux de la société ». [ … ]

[114]   Contrairement à la situation de M. Fraser, la fonctionnaire n’avait pas un poste de nature importante et délicate et elle n’a pas prononcé de critiques dont le fond, la forme ou le contexte étaient extrêmes au point d’en déduire une influence néfaste sur son travail.

[115]   L’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Osborne est aussi appelé au soutien de l’argument de la fonctionnaire. Le principe de la limite raisonnable à la liberté d’expression du fonctionnaire n’a pas été respecté en l’espèce. Les critères de la décision R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, qui y sont discutés, est d’intérêt particulier. La fonctionnaire réfère également, entre autres, aux décisions Chopra (supra), Threader c.Canada (Conseil du Trésor), [1987] 1 C.F. 41 (C.A.), Cent. Okanagan Sch. Dist. No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, Horn c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), dossier de la CRTFP 166-2-21068 (1992) et Singh c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2001 CFPI 577.

[116]   L’arrêt Threader nous enseigne que le test à utiliser pour déterminer la présence d’un conflit d’intérêts est celui de la personne raisonnable et bien informée, et non monsieur ou madame Tout-le-Monde. Ce ne sont donc pas les articles de journaux, plus ou moins bien informés, qui devraient guider la présente décision. L’employeur n’a pas fait la preuve que des gens avec qui travaille la fonctionnaire en arriveraient à la conclusion qu’il y a conflit d’intérêts. Au contraire, M. Balsam a déclaré qu’il ne savait pas que la fonctionnaire était souverainiste et que depuis son élection à la présidence de l’organisme, il n’avait constaté aucun changement dans son attitude ou son approche face aux dossiers.

[117]   La fonctionnaire est au niveau PM-05. Ce n’est pas un niveau de gestion. Elle n’a pas de pouvoir décisionnel. Son travail est de nature technique. Il a été admis que le ministère pour lequel elle travaille est particulièrement sensible à ces questions politiques contrairement à d’autres ministères. Devant ce fait, la fonctionnaire a été transparente et a fait volontairement les démarches pour aviser son employeur et prendre les mesures appropriées dans le but de minimiser les conséquences de son geste pour elle et pour l’employeur, conformément au Code.

[118]   Du point de vue de la visibilité de son poste, la fonctionnaire souligne que la présidence de l’organisme était une activité externe à son travail et qu’à ce titre, elle ne parlait pas contre le ministère, contrairement à d’autres cas retrouvés dans les jurisprudences citées. Elle ne critiquait pas les politiques ou les décisions de son ministère.

[119]   La fonctionnaire soutient que l’employeur a fait défaut dans son approche en n’imposant pas une discipline progressive. Elle cite au soutien de cet argument l’affaire Fraser. Dans ce dossier, une telle discipline progressive avait été imposée au fonctionnaire. À plusieurs reprises, l’employeur avait imposé une mesure disciplinaire dans le but de faire cesser les agissements du fonctionnaire, ce qui n’a pas été le cas dans la présente affaire. L’employeur s’est rendu d’un seul trait à la peine capitale, le licenciement.

[120]   En ce qui concerne les solutions à la situation, il s’agissait de l’examiner en fonction de plusieurs possibilités. La fonctionnaire a fait des suggestions; elle était ouverte à trouver une solution qui respecterait les sensibilités du ministère. Elle cherchait à comprendre les motifs de la décision du ministère pour trouver une solution qui satisferait les deux parties. L’employeur n’a pas collaboré; il n’a pas expliqué sa position, rendant impossible la recherche d’une solution.   Il a répété sa demande et sa déclaration à l’effet qu’il y avait conflit d’intérêts.

[121]   Conformément à la décision Renaud, si l’employeur avait fait des suggestions et que la fonctionnaire les avait refusées, l’arbitre de grief aurait donné raison à l’employeur. Dans le présent cas, l’employeur n’a pas fait cet effort; il n’a fait aucun effort pour conjuguer les droits fondamentaux de la fonctionnaire avec son devoir de loyauté.

[122]   La sanction n’est pas appropriée. La fonctionnaire a rappelé qu’elle n’avait aucune mesure disciplinaire à son dossier. Il n’y a eu aucune mesure progressive pour l’amener à changer sa décision. On ne lui en a pas donné l’occasion. C’est pourtant la raison d’être de la mesure disciplinaire. Vu l’importance des droits en jeu, l’employeur devait faire plus.

[123]   L’employeur fait grand état du devoir de loyauté des fonctionnaires. Ce n’est pas contesté par la fonctionnaire, mais selon elle, c’est de poser la mauvaise question. Le vrai exercice consiste à conjuguer les droits fondamentaux des fonctionnaires avec leur devoir de loyauté. Dans le présent cas, la fonctionnaire n’attaquait pas directement l’employeur. Il s’agissait pour elle d’un projet personnel.

[124]   En ce qui concerne la question de la réintégration de la fonctionnaire, dans le contexte de la décision Gannon, la fonctionnaire soumet que la compétence de l’arbitre de grief est limitée à la question du bien-fondé du licenciement. Si la conclusion à laquelle en vient l’arbitre de grief est que le licenciement n’était pas justifié, elle doit réintégrer la fonctionnaire. Selon la fonctionnaire, le lien de confiance n’est pas brisé puisque l’employeur examinait des possibilités de règlement jusqu’en avril 2004.

IV. Motifs

[125]   La mesure disciplinaire imposée à la fonctionnaire est basée sur une décision de l’employeur à l’effet qu’il y a conflit d’intérêts apparent ou potentiel entre ses fonctions au ministère du Patrimoine canadien et ses activités personnelles. Ces activités sont de nature politique, mais non partisane.

[126]   La fonctionnaire conteste la détermination de conflit d’intérêts faite par l’employeur et soutient que la mesure disciplinaire imposée est injustifiée. Cette mesure nie ses droits fondamentaux d’expression et d’association ainsi que son droit à participer à des activités politiques tel que reconnu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Osborne, précitée. Selon elle, il était possible de composer avec ses droits fondamentaux et son devoir de loyauté envers l’employeur.

[127]   Quel est donc l’état du droit et de la jurisprudence en regard de ces concepts : le droit à la participation du fonctionnaire à la vie politique du pays et plus précisément les limites permises à la liberté d’expression garantie par la Charte par le biais du devoir de loyauté des fonctionnaires, ainsi que des principes du conflit d’intérêts?

A. L’état du droit et de la jurisprudence

1. Le droit à la participation à la vie politique du pays par les fonctionnaires

a) La liberté d’expression et ses limites

[128]   Outre le droit de tout fonctionnaire à travailler pour ou contre un candidat ou un parti politique reconnu depuis 1991 par l’arrêt Osborne, plusieurs autres questions ont été tranchées par la Cour suprême du Canada. Dès 1985, celle-ci a reconnu aux fonctionnaires le droit de s’exprimer, dans une certaine limite, sur des questions d’intérêt public dans l’affaire Fraser, précitée - il s’agit d’une cause qui ne porte pas sur la Charte puisque les événements en question s’étaient produits avant sa proclamation en 1982. Le juge en chef Dickson y a confirmé que les fonctionnaires ne peuvent être « les membres silencieux de la société »; cela ne serait compatible ni avec les principes bien ancrés qui permettent une discussion libre et franche dans une société démocratique, ni avec la taille de la fonction publique, et le simple bon sens. Le juge précise :

[…] Une règle absolue interdisant toute participation et discussion publique par tous les fonctionnaires aurait pour effet d’interdire des activités qu’aucune personne sensée dans une société démocratique ne voudrait interdire. […] (p. 467)

[129]   La Cour suprême, dans l’affaire Ross c.Conseil scolaire du district no. 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, au paragraphe 60, a réitéré ce qu’elle entend par « expression » :

Sauf en ce qui concerne les rares cas où on a recours à la violence physique pour s'exprimer, notre Cour a statué que dans la mesure où une activité transmet ou tente de transmettre une signification, elle a un contenu expressif et relève à première vue du champ de la garantie; voir l'arrêt Irwin Toy, précité, à la p. 969. La protection constitutionnelle de l'expression a donc une portée très large. […]

[130]   En revanche, l’affaire Fraser reconnait que cette liberté de parole ou d’expression n’est point absolue ou inconditionnelle. Ce principe a subséquemment été confirmé dans Osborne . Cette liberté doit être restreinte et évaluée en fonction d’autres valeurs importantes et concurrentes, soit le devoir d’un fonctionnaire de faire en sorte que la fonction publique envers laquelle il a une obligation de loyauté soit impartiale et efficace :

La fonction publique fédérale au Canada fait partie de l'exécutif du gouvernement. À ce titre, sa tâche fondamentale est d'administrer et d'appliquer les politiques. Pour bien accomplir sa tâche, la fonction publique doit employer des personnes qui présentent certaines caractéristiques importantes parmi lesquelles les connaissances, l'équité et l'intégrité.

Comme l'arbitre l'a indiqué, il existe une autre caractéristique qui est la loyauté. En règle générale, les fonctionnaires fédéraux doivent être loyaux envers leur employeur, le gouvernement du Canada. Ils doivent être loyaux envers le gouvernement du Canada et non envers le parti politique au pouvoir. Un fonctionnaire n'est pas tenu de voter pour le parti au pouvoir. Il n'est pas non plus tenu d'endosser publiquement ses politiques. En fait, dans certaines circonstances, un fonctionnaire peut activement et publiquement exprimer son opposition à l'égard des politiques d'un gouvernement. Ce serait le cas si, par exemple, le gouvernement accomplissait des actes illégaux ou si ses politiques mettaient en danger la vie, la santé ou la sécurité des fonctionnaires ou d'autres personnes, ou si les critiques du fonctionnaire n'avaient aucun effet sur son aptitude à accomplir d'une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude. Toutefois, ayant énoncé ces qualités (et il peut y en avoir d'autres), je suis d'avis qu'un fonctionnaire ne doit pas, comme l'a fait l'appelant en l'espèce, attaquer de manière soutenue et très visible des politiques importantes du gouvernement. Selon moi, en se conduisant de cette manière, l'appelant a manifesté envers le gouvernement un manque de loyauté incompatible avec ses fonctions en tant qu'employé du gouvernement.

Comme l'a souligné l'arbitre, il existe un motif important à l'appui de cette règle générale de loyauté, savoir l'intérêt du public vis-à-vis de l'impartialité réelle et apparente de la fonction publique. […] (Fraser, p. 470)

[Je souligne]

[131]   Cette liberté d’expression est aussi circonscrite par le niveau du fonctionnaire et par l’incidence néfaste que peut avoir la situation sur son habileté d’exercer ses fonctions de manière neutre et objective, tenant compte du fond, de la forme et du contexte de la critique du fonctionnaire :

En ce qui a trait à l'empêchement d'accomplir le travail précis, je crois que selon la règle générale la preuve directe de l'incidence néfaste devrait être exigée. Toutefois, cette règle n'est pas absolue. On peut déduire qu'il y a eu incidence néfaste lorsque, comme en l'espèce, la nature du poste du fonctionnaire est à la fois importante et délicate et lorsque comme en l'espèce, le fond, la forme et le contexte de la critique du fonctionnaire est extrême. […]

Si on examine l'incidence néfaste dans un sens plus large, je suis d'avis qu'une preuve directe n'est pas nécessairement exigée. […] Un arbitre peut déduire qu'il y a une incidence néfaste d'après l'ensemble de la preuve si des éléments de preuve indiquent un type de conduite qui peut raisonnablement l'amener à conclure qu'elle est de nature à diminuer l'efficacité du fonctionnaire. Y avait-il en l'espèce de tels éléments de preuve sur la conduite? Pour répondre à cette question, il devient pertinent d'examiner le fond, la forme et le contexte des critiques de M. Fraser contre les politiques du gouvernement. (Fraser, p. 472-473)

[132]   Par conséquent, lorsque l’existence de valeurs opposées nécessite une restriction à un droit fondamental garanti par la Charte, une analyse fondée sur l’article premier de la Charte doit être entamée.

b) L’article premier de la Charte et la convention constitutionnelle de neutralité de la fonction publique

[133]   La Cour suprême, dans la décision Osborne, a procédé à l’analyse de l’article premier de la Charte, soit « l’existence d’une restriction, prescrite par une règle de droit, dans des limites raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. » La Cour, dans la même décision, réfère au test établi par le juge en chef Dickson dans l’arrêt Oakes, précité :

[…] pour établir l’existence d’une restriction raisonnable, il faut satisfaire à deux critères fondamentaux : premièrement, l’objectif visé par le gouvernement doit être « suffisamment important pour justifier la suppression d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution » et, deuxièmement, les moyens choisis doivent être raisonnables et leur justification doit pouvoir se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. (Osborne, p. 97)

[134]   Pour déterminer s'il y a lieu de restreindre des droits et libertés garantis par la Charte, le juge en chef Dickson a affirmé dans l’arrêt Oakes, ce qui suit :

[…] [l]es tribunaux doivent être guidés par des valeurs et des principes essentiels à une société libre et démocratique, lesquels comprennent, selon moi, le respect de la dignité inhérente de l'être humain, la promotion de la justice et de l'égalité sociales, l'acceptation d'une grande diversité de croyances, le respect de chaque culture et de chaque groupe et la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société.   Les valeurs et les principes sous-jacents d'une société libre et démocratique sont à l'origine des droits et libertés garantis par la Charte et constituent la norme fondamentale en fonction de laquelle on doit établir qu'une restriction d'un droit ou d'une liberté constitue, malgré son effet, une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer. (p. 136)

[135]   Dans l’affaire Ross, précitée, au paragraphe 78, le juge La Forest a convenu qu’en appliquant le critère de l'arrêt Oakes il faut éviter d'adopter un critère formaliste qui s'appliquerait de façon uniforme dans toutes les circonstances. Le critère doit plutôt être appliqué avec souplesse de manière à établir un juste équilibre entre les droits individuels et les besoins de la collectivité. Le juge ajoute : « Dans cette tâche, les tribunaux doivent tenir compte à la fois de la nature du droit violé et des valeurs spécifiques que le ministère public invoque pour justifier la violation. » Il faut donc situer les valeurs opposées dans leur contexte factuel et social au moment de procéder à une analyse fondée sur l'article premier.

[136]   La Cour suprême du Canada a reconnu que les objectifs du gouvernement visant à préserver « la neutralité de la fonction publique dans la mesure qui s’impose pour s’assurer de sa loyauté envers le gouvernement du Canada et, partant, de l’utilité des fonctionnaires au sein de la fonction publique » avaient déjà fait l’objet d’une étude exhaustive dans l’arrêt Fraser et avait été reconnus comme légitimes (Osborne, p. 97).

[137]   Selon le juge en chef Dickson dans Fraser, à la page 469, « [u]n emploi dans la fonction publique comporte deux dimensions, l'une se rapportant aux tâches de l'employé et à la manière dont il les accomplit, l'autre se rapportant à la manière dont le public perçoit l'emploi ». Il a également été reconnu, dans cette décision, que les fonctionnaires doivent savoir, ou du moins sont présumés savoir, que l’emploi dans la fonction publique comporte l’acceptation de certaines restrictions afin de maintenir chez le public, la perception de neutralité de la fonction publique. Il s’agit donc d’un devoir de loyauté qui constitue une limite raisonnable aux droits fondamentaux des fonctionnaires.

[138]   La seconde partie de l’analyse fondée sur l’article premier, soit l’application du « critère de proportionnalité », exige l'établissement de trois éléments :

[…] à savoir que la mesure adoptée a un lien rationnel avec l'objectif en question (le lien rationnel), que cette mesure porte le moins possible atteinte au droit ou à la liberté en cause (l'atteinte minimale), et qu'il y a proportionnalité entre les effets de la mesure et l'objectif visé [la proportionnalité]. (Ross, par. 99)

[139]   Comme l'illustrent bien les arrêts Fraser et Osborne, il est incontestable qu'il y a un lien rationnel entre l'obligation de loyauté en common law et l'objectif de promouvoir une fonction publique impartiale et efficace. Selon le juge en chef Dickson dans Fraser, à la page 471, « […] il existe au Canada une tradition semblable en ce qui a trait à notre fonction publique [en parlant de la situation au Royaume-Uni]. La tradition met l'accent sur les caractéristiques d'impartialité, de neutralité, d'équité et d'intégrité. »

[140]   Selon la Cour suprême du Canada dans Osborne, la nécessité de préserver l'impartialité et même l'apparence d'impartialité diffère selon le poste qu’occupe le fonctionnaire au sein de la fonction publique :

Il résulte des termes généraux et de la large portée de la disposition en cause que les restrictions s'appliquent à un grand nombre de fonctionnaires qui, dans une fonction publique moderne, remplissent des tâches de bureau ou des tâches techniques ou industrielles n'ayant absolument rien à voir avec l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire susceptible d'être influencé de quelque manière par des considérations d'ordre politique. La nécessité de l'impartialité et même de l'apparence d'impartialité n'est pas uniforme à tous les échelons de la fonction publique.   Comme l'affirme le juge en chef Dickson dans l'arrêt Fraser, précité: "Il ressort implicitement des motifs de l'arbitre que le degré de modération dont on doit faire preuve dépend du poste et de la visibilité du fonctionnaire" (p. 466). Appliquer à un sous-ministre et à un employé de cafétéria une norme identique me paraît aller vraiment trop loin; de plus, cela ne satisfait pas au critère selon lequel une mesure doit, dans des limites raisonnables, être soigneusement conçue pour porter le moins possible atteinte à la liberté d'expression. (p. 99)

[Je souligne]

[141]   La disposition contestée dans Osborne, interdisait à tout fonctionnaire tout travail de caractère partisan, sans égard à la nature du travail et sans tenir compte de son rôle, rang ou importance dans la hiérarchie de la fonction publique, d’où la décision de la Cour suprême :

[…] Les restrictions imposées à la liberté d’expression en l’espèce ont une portée excessive et dépassent ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’une fonction publique impartiale et loyale. (p. 100)

[142]   Sous réserve des exceptions à l'obligation de loyauté soulevées dans l’arrêt Fraser, la liberté d'expression ne peut être restreinte que dans la mesure nécessaire à la poursuite de l'objectif d'une fonction publique impartiale et efficace. Néanmoins, la restriction doit être minimale de façon à ce que l'atteinte au droit ne dépasse pas ce qui est nécessaire.

[143]   Le devoir de loyauté a récemment été discuté par cette Commission dans les décisions Haydon c.Conseil du Trésor (Santé Canada), 2002 CRTFP 10 et Choprac.Conseil du Trésor (Santé Canada), 2003 CRTFP 115. La Cour fédérale dans la décision Haydonc.Canada (Conseil du Trésor), [2001] 2 C.F. 82 (1 re inst.), a confirmé à la page 110, ce qui suit :

[…] l'obligation de loyauté en common law, telle qu'elle est énoncée dans l'arrêt Fraser, respecte suffisamment la liberté d'expression qui est garantie par la Charte et donc qu'elle constitue une limite raisonnable au sens de l'article premier de la Charte.

[144]   La présente affaire soulève également la question du conflit d’intérêts entre les activités personnelles de la fonctionnaire et ses activités professionnelles. Un bref examen des décisions à ce sujet s’impose donc aussi.

2. Le conflit d’intérêts

[145]   La Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la question de conflit d’intérêts, entre autres, dans l’affaire Threader, précitée. Le juge Mahoney, au nom de la Cour, a soutenu que l’apparence de conflit d’intérêts est légalement un motif de mesures disciplinaires :

La Couronne [est] légalement autorisée à interdire à ses employés de se placer dans des situations entraînant une apparence de conflit d'intérêts; ses motifs pour ce faire ressortent à l'évidence. Comme l'a dit le juge en chef Dickson dans l'affaire Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455, à la page 466, en regard d'une situation de fait très différente de celle en l'espèce :

L'arbitre a reconnu qu'il faut établir un équilibre entre la liberté d'expression de l'employé et le désir du gouvernement de maintenir une fonction publique impartiale et efficace.

[…]

Manifestement, la fonction publique ne sera pas considérée comme impartiale et efficace dans l'exécution de ses fonctions si l'on tolère l'existence de conflits apparents entre l'intérêt personnel des fonctionnaires et leurs obligations à l'endroit du public. (p. 53)

[146]   La Cour ajoute que l’existence de cette apparence de conflit d’intérêts doit être déterminée par une personne renseignée et cela de façon objective et rationnelle. La question que la Cour d’appel fédérale s’est posée et qui se pose en l’espèce, est la suivante :

Est-ce qu'une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que, selon toute vraisemblance, le fonctionnaire, consciemment ou non, sera influencé par des considérations d'intérêt personnel dans l'exercice de ses fonctions officielles? (p. 57)

3. L’obligation de prendre des mesures d’adaptation

[147]   La fonctionnaire a suggéré que l’employeur avait, en quelque sorte, un devoir de prendre des mesures d’adaptation envers elle. Elle a porté à mon attention la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Renaud, précitée, où le fonctionnaire avait déposé des plaintes contre son employeur et son syndicat en vertu de la [traduction] Loi sur les droits de la personne de la Colombie-Britannique. Il s’agissait de l’obligation de composer avec les croyances religieuses d’un employé lorsque cela nécessiterait une modification d’une convention collective. La nature de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation ainsi que la participation du fonctionnaire à la recherche de solutions à une situation où il y a discrimination sont donc abordées dans cette décision. Les obligations de l’employeur y sont énoncées :

L’obligation qui incombe à l'employeur de composer avec les croyances et pratiques religieuses des employés exigent qu'il prenne des mesures raisonnables sans s'imposer de contrainte excessive.  

[…]

[…] Il faut plus que de simples efforts négligeables pour remplir l'obligation d'accommodement. L'utilisation de l'adjectif "excessive" suppose qu'une certaine contrainte est acceptable; seule la contrainte "excessive" répond à ce critère. […] Ce qui constitue des mesures raisonnables est une question de fait qui variera selon les circonstances de l'affaire.

[…]   (p. 982 à 984)

[148]   La Cour indiquait, aux pages 994 et 995, qu’outre l’employeur et le syndicat, le plaignant a également l'obligation d'aider à en arriver à un compromis convenable :

[…]

La participation du plaignant à la recherche d'un compromis a été reconnue par notre Cour dans l'arrêt O'Malley. Le juge McIntyre y affirme, à la p. 555:

Cependant, lorsque ces mesures ne permettent pas d'atteindre complètement le but souhaité, le plaignant, en l'absence de concessions de sa propre part, comme l'acceptation en l'espèce d'un emploi à temps partiel, doit sacrifier soit ses principes religieux, soit son emploi.

Pour faciliter la recherche d'un compromis, le plaignant doit lui aussi faire sa part.   À la recherche d'un compromis raisonnable s'ajoute l'obligation de faciliter la recherche d'un tel compromis. Ainsi, pour déterminer si l'obligation d'accommodement a été remplie, il faut examiner la conduite du plaignant.

Cela ne signifie pas qu'en plus de porter à l'attention de l'employeur les faits relatifs à la discrimination, le plaignant est tenu de proposer une solution.   Bien que le plaignant puisse être en mesure de faire des suggestions, l'employeur est celui qui est le mieux placé pour déterminer la façon dont il est possible de composer avec le plaignant sans s'ingérer indûment dans l'exploitation de son entreprise.   Lorsque l'employeur fait une proposition qui est raisonnable et qui, si elle était mise en œuvre, remplirait l'obligation d'accommodement, le plaignant est tenu d'en faciliter la mise en œuvre.   Si l'omission du plaignant de prendre des mesures raisonnables est à l'origine de l'échec de la proposition, la plainte sera rejetée.   L'autre aspect de cette obligation est le devoir d'accepter une mesure d'accommodement raisonnable.   C'est cet aspect que le juge McIntyre a mentionné dans l'arrêt O'Malley. Le plaignant ne peut s'attendre à une solution parfaite. S'il y a rejet d'une proposition qui serait raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, l'employeur s'est acquitté de son obligation.

[149]   Bien que ces principes puissent éclairer la détermination de la mesure appropriée en la présente instance, il ne s’agit pas dans la présente affaire d’une question de discrimination contre la fonctionnaire et l’employeur n’a pas en ce sens un devoir de prendre des mesures d’adaptation. Il s’agit plutôt d’une question d’application de l’article premier de la Charte en regard de la liberté d’expression de la fonctionnaire dans les circonstances.

4. Les principes et critères à retenir 

[150]   En résumé, on peut retenir que la convention constitutionnelle de neutralité de la fonction publique est reconnue comme essentielle au principe du gouvernement responsable. Il s’agit donc d’une limite légitime à l’exercice des droits fondamentaux des fonctionnaires.

[151]   Ainsi, le droit du fonctionnaire à participer à des activités de nature politique, en dehors de ses heures de travail, est reconnu en autant que ce droit ne porte pas atteinte à l’objectif légitime d’une fonction publique impartiale et efficace et perçue comme telle. Ce droit s’inscrit dans le cadre de la liberté d’expression garantie par la Charte. Une restriction imposée à son exercice doit se justifier dans le cadre de l’article premier de la Charte.

[152]   La Cour suprême du Canada, dans l’affaire Ross, au paragraphe 61, résumait ainsi son approche en de telles circonstances :

Dans l'arrêt Irwin Toy, précité, et plus récemment dans R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, notre Cour a adopté une analyse en deux étapes pour déterminer s'il y a eu violation de la liberté d'expression d'un particulier. La première étape consiste à déterminer si l'activité du particulier est visée par la liberté d'expression protégée par la Charte. La seconde étape consiste à déterminer si l'action gouvernementale attaquée a pour objet ou pour effet de restreindre cette liberté.

[153]   La liberté d’expression ne constituant pas une valeur absolue, une analyse fondée sur l’article premier de la Charte doit être effectuée pour déterminer dans chaque cas si l’atteinte à cette liberté est raisonnable. La restriction raisonnable est déterminée par l’application aux circonstances de deux critères fondamentaux mis en place par l’arrêt Oakes. En termes de proportionnalité, trois éléments doivent être examinés. Les tribunaux ont, depuis, régulièrement utilisé ces critères en illustrant l’application.

[154]   Il ressort également de ces arrêts, dont Ross, que la Cour suprême a placé la barre très haute en ce qui concerne l’atteinte minimale aux droits fondamentaux protégés par la Charte.

[155]   Enfin, dans le cas d’un conflit d’intérêts apparent, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’une preuve directe de l’empêchement d’accomplir le travail, n’est pas requise. L’incidence néfaste sur la capacité générale d’agir en tant que fonctionnaire peut donc être déduite de la forme, du fond et du contexte de la critique, cette détermination devant être faite du point de vue d’une personne raisonnable et raisonnablement bien informée.

[156]   Voyons maintenant comment ces principes s’appliquent à la situation de la fonctionnaire et du ministère du Patrimoine canadien.

B. La situation de la fonctionnaire

[157]   L’employeur a longuement expliqué la mission particulière conférée au ministère du Patrimoine canadien. MM. Heintzman et Lemoine ont éloquemment expliqué la principale stratégie du gouvernement fédéral pour la promotion de l’unité nationale par la Loi sur les langues officielles et le PALO. D’autre part, la Charte de l’organisme « Le Québec, un pays! » déclare que son principal objectif est la promotion de la souveraineté du Québec. Son porte-parole, M. Luc Côté, a indiqué à la presse que le rôle de l’organisme consistait à prendre la relève du Parti Québécois, pendant que celui-ci faisait partie de l’opposition au Québec (pièce E-2, onglets 1 et 2).

[158]   L’acceptation de la présidence par la fonctionnaire constituait une prise de position publique. La fonctionnaire passait ainsi à l’action politique auprès d’un organisme ayant des visées contraires à celles de l’employeur. Face à cette situation, l’employeur a appliqué les critères de la doctrine Fraser. Assimilant les gestes de la fonctionnaire à une critique des politiques et programmes du gouvernement, l’employeur a conclu qu’il y avait un conflit d’intérêts tel que les activités personnelles de la fonctionnaire ne pouvaient coexister avec ses fonctions professionnelles. L’employeur a alors demandé à la fonctionnaire d’abandonner ce projet personnel. La fonctionnaire a refusé de renoncer à la présidence de l’organisme en question et a fait des démarches auprès des médias. L’employeur a imposé une mesure disciplinaire en réaction à la décision de la fonctionnaire, d’où le présent grief.

[159]   Le présent dossier est bien différent des dossiers cités en jurisprudence. D’une part, les gestes posés par la fonctionnaire ne constituent pas une critique directe des politiques ou décisions du gouvernement, comme dans le cas de M. Fraser, ou des Drs. Haydon et Chopra, ni ne constitue une critique malicieuse. Dans le présent cas, la fonctionnaire a adopté une philosophie politique qui est défendue par deux partis politiques, l’un sur la scène fédérale et l’autre sur la scène provinciale, au Québec. Le regroupement qu’elle présidait soutenait cette action politique de manière non partisane, tel qu’en font foi le témoignage de la fonctionnaire, la Charte de l’organisme et son site Internet. La particularité du présent dossier vient donc du fait que c’est dans l’exercice légitime de ses droits à la liberté d’expression et de participation à la vie politique que se trouve la perception d’un conflit de valeurs et d’objectifs entre la fonctionnaire et son employeur.

[160]   D’autre part, l’employeur avait reconnu le droit de la fonctionnaire à sa pensée politique et à une certaine activité partisane. Il avait engagé la fonctionnaire sachant qu’elle était souverainiste et il a reconnu son droit d’être membre de l’organisme en autant qu’elle ne critiquerait pas les politiques du ministère où elle est employée.

[161]   La question ne se situe donc pas au niveau d’un déni d’exercice du droit fondamental d’association ou d’un déni de participation à la vie politique du pays. La doctrine Osborne permet, en effet, à la fonctionnaire d’exercer des activités politiques en dehors de ses heures de travail. Ce qui est en cause, en premier lieu, c’est plutôt le degré de sa participation à la vie politique et son impact sur les activités de l’employeur et en second lieu, la réaction de l’employeur face à la situation.

C. La question en litige

[162]   Quelle est donc la portée du droit à la participation à l’activité politique en vertu de la doctrine Osborne et de l’article premier de la Charte dans le cas où cette activité politique, non partisane, est en conflit fondamental avec la politique et les programmes de l’employeur?

[163]   Dans l’analyse qui suit, je me pencherai d’abord sur la question du conflit d’intérêts et du devoir de loyauté. Suivra l’analyse de la situation ainsi définie en rapport avec les principes de droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment la liberté d’expression, et ses limites prévues à l’article premier telles que définies par la jurisprudence, ainsi qu’en rapport au droit des fonctionnaires à la participation à la vie politique. Enfin, la mesure disciplinaire imposée par l’employeur sera examinée à la lumière de cette analyse.

1. Le conflit d’intérêts et le devoir de loyauté

[164]   La jurisprudence a développé un schéma analytique pour déterminer l’existence d’un conflit d’intérêts. D’une part, tel qu’indiqué dans l’arrêt Threader, cette détermination doit se faire du point de vue d’un tiers raisonnable et raisonnablement informé et, d’autre part, par un examen de l’impact des activités personnelles du fonctionnaire sur sa capacité d’accomplir ses tâches et sur la crédibilité des programmes ou politiques que met en œuvre le fonctionnaire au nom de l’employeur (Fraser et Osborne).

[165]   La prise de position publique de la fonctionnaire par son rôle de présidente, peut être assimilée à une critique indirecte du PALO et de ses objectifs. Le test développé dans l’arrêt Fraser est donc utile à l’analyse. On y apprenait qu’une preuve directe d’impact néfaste n’est pas requise quant à la capacité d’un fonctionnaire d’exécuter ses fonctions de façon impartiale ou quant à l’atteinte à la crédibilité des programmes de l’employeur, mais qu’elle peut être inférée. La situation doit alors être examinée dans son ensemble : la forme, le fond et le contexte de la critique.

[166]   Plusieurs facteurs prêtent assistance à cette analyse soit, la nature et le domaine des activités en question (mission et objectifs), la visibilité et le rôle incarné par le fonctionnaire (tâches et responsabilités) et enfin son niveau de pouvoir et d’influence.

[167]   Les parties ont reconnu qu’il n’est pas question, dans la présente affaire, d’un conflit d’intérêts réel, mais d’un conflit apparent ou potentiel. À cet égard, les parties, ayant procédé à l’analyse de la situation, concluent à partir de deux points de vue différents. L’employeur perçoit le conflit au niveau des grands objectifs et missions des deux organismes, le ministère et « Le Québec, un pays! ». La fonctionnaire regarde la situation à partir de ses tâches et responsabilités au niveau du PALO et de la présidence de l’organisme en question. Or, bien que la fonctionnaire puisse ne voir aucun conflit entre ses fonctions professionnelles et ses activités personnelles et que l’employeur soit convaincu de l’inverse, la détermination de l’apparence de conflit ne se fait ni du point de vue de la fonctionnaire, ni du point de vue de l’employeur; elle doit se faire du point de vue d’une personne raisonnable et raisonnablement informée.

[168]   Certains verront, comme l’employeur, le conflit dans la mission et les objectifs des deux organisations et en déduiront un conflit chez la fonctionnaire compromettant son habileté de représenter l’employeur et risquant de compromettre la crédibilité des programmes pour lesquels elle œuvre. D’autres, comme la fonctionnaire, ne percevront aucun conflit entre son rôle dans la promotion du français et des services francophones en dehors du Québec, son soutien aux communautés linguistiques minoritaires hors Québec et le projet souverainiste. Ils concluront qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts chez la fonctionnaire et qu’elle peut très bien continuer d’accomplir ses tâches de manière neutre et objective. Je n’ai pas à trancher sur cette question, mais seulement à m’interroger sur la possibilité d’existence raisonnable d’une telle perception.

[169]   La preuve révèle que les opinions sont partagées. Il y a tout de même apparence de conflit dès que le premier groupe d’opinions peut raisonnablement exister. Les articles de journaux de l’époque confirment l’existence de ce groupe. Les opinions et commentaires exprimés dans les journaux au cours de cette période démontrent qu’il peut y avoir, de la part du public, une perception de conflit d’intérêts, à tort ou à raison.

[170]   Selon la preuve, en fonction du premier facteur, soit celui des missions et objectifs respectifs, il est, à mon avis, juste de conclure qu’une personne raisonnable et raisonnablement informée peut voir une apparence de conflit qui pourrait avoir une influence néfaste sur le travail de la fonctionnaire ou sur la crédibilité du programme dont la mise en œuvre est sa responsabilité. Ces missions apparaissent diamétralement opposées.

[171]   La preuve non contredite de l’existence d’un consensus canadien lié à la théorie de Bourassa et Laurendeau, c'est-à-dire que l’unité canadienne passe par la protection et la promotion des droits linguistiques des minorités francophones a également démontré l’importance du PALO. La crédibilité de ce programme est cruciale pour le ministère. Les autorités politiques provinciales doivent croire que leurs efforts aident à maintenir l’unité du pays. En ce sens, Mme Sarkar a illustré la tâche de la fonctionnaire de façon percutante : « Elle est responsable de la colle du pays ». Comme c’est bien une question d’image, il n’apparaît pas crédible que la fonctionnaire, sur la place publique, exerce la présidence de l’organisme « Le Québec, un pays! » et le lendemain s’assoit à la table des négociations avec ses homologues et participe à les convaincre que la dualité linguistique est une priorité pour l’unité nationale. Il peut en effet être très difficile, voir impossible, pour la direction générale de composer avec la situation dans laquelle se trouvait la fonctionnaire, à la fois ambassadrice du PALO, outil d’unité nationale, et ambassadrice du projet de souveraineté du Québec.

[172]   En ce qui concerne les deux autres facteurs, soit les tâches et responsabilités de la fonctionnaire, ainsi que son niveau et pouvoir d’influence, la preuve est à l’effet que la fonctionnaire œuvrait dans le cadre du PALO dans la région des Maritimes à titre d’agent principal de programme (PM-05). Elle travaillait au cœur du programme et de la stratégie pour l’unité nationale et elle représentait le gouvernement fédéral auprès de ses interlocuteurs provinciaux. Ses fonctions consistaient à analyser les demandes reçues, à conseiller les dirigeants du programme, à préparer la documentation requise aux fins de signature des ententes fédérales-provinciales, à scruter les budgets et rapports et à faire des recommandations. Tant que les demandes, les projets d’ententes et les rapports étaient conformes, elle n’avait aucun pouvoir discrétionnaire quant à leur sort. Son niveau PM-05 exige d’elle qu’elle administre le programme tel que défini. Elle n’a pas d’influence ou pouvoir sur la définition de ce programme. Son rôle se limite à son interprétation et son application.

[173]   Bien que la preuve ait ainsi établi que la fonctionnaire n’avait pas de pouvoir décisionnel final, de rôle dans la définition des politiques du ministère et leur application, ni un niveau comparable à celui de sous-ministre ou sous-ministre délégué, le conflit d’intérêts est tout de même apparent. En effet, ce que je retiens, c’est le fait qu’elle était en constante relation avec ses homologues provinciaux à titre de représentante du ministère et du fait que c’était sur la base de son analyse et de ses recommandations que le ministre prenait une décision.

[174]   Par conséquent, du point de vue de toute personne raisonnable, un conflit peut ainsi être perçu, d’une part, entre les activités personnelles de la fonctionnaire au niveau de la présidence d’un organisme souverainiste, tenant compte du symbole et de la visibilité que cette tâche et ces responsabilités impliquent et, d’autre part, ses fonctions de représentante du ministère mandaté pour promouvoir l’unité nationale, et ce, malgré le fait que son niveau et son pouvoir décisionnel soient peu importants.

[175]   En effet, l’employeur soutient, à bon droit, qu’une preuve directe d’impact néfaste n’est pas exigée dans le cas du conflit apparent et que, dans les circonstances, je peux inférer que la situation de la fonctionnaire met en péril la crédibilité du PALO qui constitue la principale stratégie du gouvernement fédéral pour l’unité canadienne. Les objectifs du programme sont remis en question par les choix personnels de la fonctionnaire. La présence du Québec au sein de la fédération est essentielle pour convaincre les provinces de l’importance du programme. Sans la participation du Québec, il serait plus difficile de motiver les provinces à contribuer à ce programme et à élargir leurs services aux minorités linguistiques.

[176]   Aucun fonctionnaire n’a l’obligation de faire siennes les convictions de l’employeur. Il s’agit d’un choix personnel pour le fonctionnaire d’accepter un poste qui fait évoluer des valeurs et des intérêts « corporatifs » qui peuvent être en contradiction avec ses valeurs et intérêts personnels. Toutefois, un fonctionnaire ne peut, par devoir de loyauté, laisser ses propres actions affecter de façon néfaste l’accomplissement de son travail ou la crédibilité des actions de son employeur, directement ou indirectement, ou créer une telle perception. En effet, selon la convention constitutionnelle reconnue par la Cour suprême du Canada dans les affaires Fraser et Osborne, un fonctionnaire a le devoir de préserver une perception réelle et apparente d’une fonction publique impartiale et efficace. C’est pour cette raison que des limites légitimes à certaines activités peuvent être imposées aux fonctionnaires, comme à tout autre employé.  

[177]   La fonctionnaire, de par son lien d’emploi, est soumise à un devoir de loyauté envers son employeur. Selon la doctrine Fraser, l’arrêt Threader et le Code, le conflit d’intérêts se résout en accordant la priorité à l’intérêt public sur l’intérêt privé. En ce sens, la fonctionnaire ne peut compromettre l’exercice neutre et objectif de ses tâches ni la crédibilité des programmes, stratégies ou politiques de son employeur, sauf dans des circonstances très précises, entre autres dans l’intérêt du public, tel que défini par les affaires Fraser, Chopra et Haydon. Ces circonstances ne se trouvent pas dans le présent dossier.

[178]   L’examen des trois éléments énoncés dans l’arrêt Fraser, m’amène donc à conclure qu’étant donné la perception du public, la prise de position publique de la fonctionnaire engendre un impact néfaste sur son aptitude à accomplir ses fonctions d’une manière efficace : en fonction de la forme de la critique, soit la présidence de l’organisme, une prise de position publique et symbolique; en fonction du fond, soit l’opposition des valeurs et missions des organismes que la fonctionnaire représente; et enfin, en fonction du contexte, soit le consensus établi pour préserver l’unité canadienne, l’assise même du PALO.

[179]   Par conséquent, la question de savoir si dans les faits la fonctionnaire croit pouvoir exécuter ses fonctions de façon neutre et efficace, n’est pas pertinente. En conclusion, l’employeur était justifié d’être d’avis que les activités extérieures de la fonctionnaire à titre de représentante d’un organisme qui vise la promotion de la souveraineté et ses responsabilités comme fonctionnaire, à titre d’analyste principale au sein du PALO et représentante du ministère à l’égard de ce programme de promotion de l’unité nationale, étaient incompatibles et pouvaient avoir un impact néfaste pour l’employeur. Par ses actions, la fonctionnaire s’est placée dans une situation qui créait une perception raisonnable que ses activités personnelles étaient susceptibles d’affecter la crédibilité des objectifs et programmes pour lesquels elle agit à titre de représentante du PALO et envers lesquels elle a un devoir de loyauté.

2. Le caractère approprié de la mesure disciplinaire en regard de la liberté d’expression, le droit à la participation à la vie politique et leurs limites

[180]   La question qui se pose maintenant est de déterminer si les actions de l’employeur face à cette situation de conflit d’intérêts apparent sont appropriées. Encore une fois, l’employeur a exigé que la fonctionnaire se désiste de ses responsabilités de présidente de l’organisme « Le Québec, un pays! » et l’a licenciée à la suite de son refus de donner suite à cette demande.

[181]   La réponse à donner à cette question résulte de l’application des principes et critères élaborés par la jurisprudence dans le cas où une liberté fondamentale enchâssée dans la Charte est en jeu. En effet, la demande de l’employeur et le licenciement imposé à la fonctionnaire dans les circonstances exposées ci-dessus, constituent a priori une restriction à sa pleine jouissance de la liberté d’expression et la justesse de la mesure doit être évaluée en fonction d’une analyse de sa conformité avec l’article premier de la Charte et les conditions de ses limites raisonnables.

[182]   Tel que mentionné ci-dessus, la Cour suprême du Canada a été interpellée à plusieurs reprises sur la question de la liberté d’expression. Ce qui ressort à la lecture de ces décisions, dont la décision Ross, c’est que la Cour considère qu’une atteinte à cette liberté ne se justifie que très exceptionnellement. Le test établi par la Cour dans l’arrêt Oakes et repris dans Osborne, requiert trois éléments : 1) l’existence d’un objectif légitime à la mesure limitant cette liberté fondamentale, 2) une atteinte minimale à la liberté protégée par la Charte et 3) un lien rationnel établissant une proportionnalité entre les effets de la mesure et l’objectif visé par cette dernière.

[183]   L’objectif visé par l’employeur cherchant à préserver la neutralité politique et l’impartialité de la fonction publique et la perception qu’en a le public a été reconnu légitime par la Cour suprême du Canada. L’objectif du gouvernement visant la promotion de l’unité canadienne n’est pas non plus remis en question. De plus, la stratégie du gouvernement canadien véhiculée par le PALO est conforme au consensus national. Cette première partie du test est satisfaite.  

[184]   Quant à l’atteinte minimale à la liberté, l’employeur avait une obligation de veiller à ne porter atteinte que de façon minimale aux droits de la fonctionnaire. Je dois conclure que dans les circonstances, l’employeur n’a pas veillé à une telle pondération de la situation. Puisque cet élément du test n’a pas été satisfait en l’espèce, je n’ai pas à me pencher sur le troisième élément. Je vais plutôt élaborer sur l’analyse du second.

[185]   L’employeur a eu recours à une solution qui a mis fin à l’emploi et au revenu de la fonctionnaire. Il s’agit d’une atteinte importante en conséquence de l’exercice de sa liberté d’expression et son droit à la participation à la vie politique. De toute évidence, le licenciement est une solution extrême qui ne porte pas atteinte de façon minimale aux droits de la fonctionnaire. Je suis d’avis, qu’en l’espèce, il y avait plusieurs solutions qui auraient dû être présentées à la fonctionnaire avant d’avoir recours au licenciement. Il fallait tenter de rechercher une solution qui permettait l’exercice des droits de la fonctionnaire tout en préservant les intérêts de l’employeur et la crédibilité de son programme.

[186]   La preuve a démontré les capacités et compétences de la fonctionnaire. Elle a également démontré que le ministère du Patrimoine canadien œuvre en fonction de quatre différents objectifs stratégiques. Tenant compte du fait que ce sont les activités de représentation de la fonctionnaire, tant dans ses activités personnelles que dans ses fonctions au ministère qui sont à l’origine du conflit d’intérêts, il doit y avoir place pour ajuster ses tâches et fonctions de manière à s’assurer que celles-ci n’incluent pas la représentation du PALO ou ne concernent pas la stratégie d’unité nationale du ministère.

[187]   Je conclus donc, devant ces faits, qu’il y avait d’autres options qui n’ont pas été explorées et qui auraient éliminé le conflit tout en permettant à la fonctionnaire de se livrer à ses activités extérieures. La mesure imposée par l’employeur me semble donc excessive compte tenu des circonstances de ce dossier, notamment face à une employée dont la qualité de l’exécution du travail n’a pas été remise en question. La fonctionnaire a été embauchée en raison de son expertise, ses connaissances et son expérience des milieux francophones minoritaires de la Saskatchewan. Sa compétence et son rendement professionnel n’ont pas été remis en question par l’employeur. Au contraire, M. Lemoine a indiqué qu’il comptait définitivement sur le bon jugement et l’expertise de la fonctionnaire pour l’assister dans ses propres fonctions.

[188]   La fonctionnaire ne s’est pas non plus livrée à des critiques publiques des programmes et politiques de l’employeur, contrairement aux autres cas de jurisprudence invoqués par l’employeur au soutien de sa mesure disciplinaire. De plus, le conflit d’intérêts est apparent et porte plutôt sur la perception que son rôle de présidente de l’organisme « Le Québec, un pays! » est incompatible avec les grands objectifs du gouvernement en ce qui concerne l’unité canadienne et le programme du ministère qui l’incarne principalement.

[189]   La fonctionnaire n’a pas utilisé ou divulgué des renseignements obtenus dans le cadre de ses fonctions, ni les ressources de l’employeur, au bénéfice de l’organisme pour lequel elle milite en dehors de ses heures de travail. L’honnêteté de la fonctionnaire à cet égard n’a pas été mise en question.

[190]   Bref, la fonctionnaire ne s’est pas rendue inhabile (contrairement à l’affaire Fraser) à exercer d’autres fonctions dans un autre poste, moins visible et moins directement lié à l’objectif d’unité canadienne mis de l’avant par le ministère du Patrimoine canadien.

[191]   Par conséquent, je suis d’avis que la mesure disciplinaire de licenciement imposée par l’employeur, sans avoir exploré ou offert à la fonctionnaire l’option d’un autre poste comparable au sein d’un autre programme du ministère, ne satisfait pas au critère de l’atteinte minimale. Elle ne rencontre pas le test de l’article premier de la Charte à l’encontre d’une atteinte à la liberté d’expression de la fonctionnaire, et ne saurait être maintenue.

D.   Le redressement

[192]   Tenant compte de la hiérarchie normative, c’est la Charte qui a préséance en l’instance sur le devoir de loyauté et le code d’éthique de l’employeur. La forme de redressement qui doit être mise en place en découle également.   Ainsi, l’employeur avait le devoir de rechercher une solution qui pondérerait les droits de la fonctionnaire et ses obligations envers l’employeur. La fonctionnaire avait l’obligation de collaborer de bonne foi et d’accepter toute solution raisonnable.

[193]   La fonctionnaire a été transparente dans ses démarches initiales. Elle a demandé une rencontre avec ses superviseurs pour leur communiquer ses intentions. Elle a cru suffisant d’offrir de compléter un rapport confidentiel, tel que dicté par le Code.

[194]   Son témoignage est sans équivoque. Elle n’avait aucunement l’intention d’abandonner son projet personnel. Elle était toutefois disposée à discuter de solutions pour assurer l’équilibre entre ses droits fondamentaux et son devoir de loyauté.

[195]   Il me semble que les événements se sont précipités à la suite des déclarations publiques de la fonctionnaire en mars 2004. L’employeur n’a vu d’autre solution que le licenciement devant l’attitude de la fonctionnaire, ses déclarations publiques et sa position ferme face à son projet personnel.

[196]   Le témoignage de M. Cashman, à l’effet qu’il aurait proposé des solutions à l’employeur, en la personne de M. Thompson, a été contredit par le témoignage de ce dernier. L’objection au témoignage de M. Thompson avait été prise sous réserve. Étant donné mes conclusions, je n’ai pas à me prononcer sur cette objection.

[197]   La Cour d’appel fédérale dans l’affaire Gannon, précitée, a déterminé qu’il fallait réintégrer le fonctionnaire si on arrivait à la conclusion que le licenciement n’était pas justifié. Les parties ont été appelées à commenter cette dernière décision. Leurs représentations écrites se trouvent au dossier de la Commission. Je les ai prises en considération.

[198]   Comme je suis d’avis que la mesure disciplinaire imposée par l’employeur est injustifiée parce qu’elle est excessive, mais ayant également conclu à l’existence d’un impact néfaste des activités personnelles de la fonctionnaire sur la crédibilité des objectifs et programmes de l’employeur, j’estime que la fonctionnaire ne peut être réintégrée dans le poste qu’elle occupait au moment de son licenciement tant qu’elle est présidente de l’organisme en question.

[199]   La Cour fédérale dans l’affaire Singh, précitée, a déterminé la portée de la compétence d’un arbitre de grief pour ordonner à un employeur de nommer un fonctionnaire licencié dans un autre poste ou du moins pour ordonner qu’il fasse une recherche exhaustive afin de lui trouver un autre poste. Bien qu’elle ait convenu qu’un arbitre de grief ne peut ordonner la nomination d’un fonctionnaire à un autre poste, la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 16 :

[…] l'arbitre ne pouvait pas ordonner que la demanderesse soit nommée à un autre poste. Cependant, cela ne veut pas dire qu'il n'avait pas compétence pour conclure que l'employeur ne pouvait pas limiter sa recherche d'un autre poste à l'intérieur d'une direction où un tel poste ne pouvait possiblement pas être disponible pour la demanderesse à cause du niveau de sécurité "Secret" qui était obligatoire. […]

[200]   La Cour fédérale a conclu dans les termes suivants aux paragraphes 18 et 19 :

La jurisprudence en matière de relations de travail dans le secteur privé suit une pratique semblable selon laquelle il faut que, dans les cas où un employé est incapable d'exercer son emploi sans qu'il soit responsable de cette incapacité, des efforts soient faits afin qu'il puisse être affecté à un autre poste. […] On cherche par cette pratique à trouver le juste milieu entre l'objectif d'un employeur de maintenir la productivité et l'intérêt de l'employé à conserver son emploi.

À mon avis, l'alinéa 92(1)b) de la [Loi sur les relations de travail dans la fonction publique] et l'alinéa 11 (2)g) de la [Loi sur la gestion des finances publiques] donnent à un arbitre la compétence lui permettant d'enquêter afin d'établir si le Conseil du Trésor a diligemment cherché d'autres postes. Le licenciement devrait être le dernier choix. […]

[201]   Bien que dans le présent cas, on peut conclure que la fonctionnaire était responsable de son incapacité, puisqu’elle pouvait toujours choisir de ne pas assumer la présidence de l’organisme en question, le fait que ce choix s’inscrit dans une démarche protégée par la Charte la place dans une situation comparable et l’employeur doit composer avec ce choix.

[202]   Tenant compte des faits en l’espèce, de la jurisprudence et de la hiérarchie normative, je conclus donc que, conformément à ses obligations découlant de la Charte, l’employeur n’a pas démontré qu’il a satisfait à son devoir de pondération et d’atteinte minimale aux droits fondamentaux de la fonctionnaire. Le licenciement est une mesure disciplinaire excessive qui n’est pas justifiée dans les circonstances particulières de ce cas.

[203]   Ainsi, à moins que la fonctionnaire au moment de sa réintégration ne soit plus en poste à la présidence de l’organisme « Le Québec, un pays! », l’employeur devra faire une recherche exhaustive afin de lui trouver un autre poste. L’employeur devra donc lui offrir un poste de même niveau ou de niveau équivalent qui ne créera pas une perception d’impact néfaste sur ses fonctions ou sur les objectifs et programmes du ministère du Patrimoine canadien visant la promotion de l’unité nationale. Pendant cette recherche, la fonctionnaire devra être placée en congé avec solde.

[204]   Enfin, tel que le souligne la Cour suprême du Canada dans l’affaire Renaud, invoquée par la fonctionnaire au soutien de son grief et tenant compte des principes qui s’y trouvent et qui peuvent nous guider en l’instance, il est entendu qu’elle devra offrir sa pleine coopération à ce processus de recherche et aura le devoir d’accepter toute offre raisonnable qui lui sera faite par l’employeur. En fin de compte, elle ne peut s’attendre à une situation parfaite.

[205]   De plus, conformément à ses devoirs en relation avec la convention constitutionnelle de neutralité et d’impartialité de la fonction publique, elle devra limiter ses communications publiques de manière à ne pas jeter de discrédit sur les programmes de l’employeur visant la promotion de l’unité canadienne.

[206]   Je sais que les parties sont favorables au processus de médiation pour y avoir participé au tout début de la présente affaire. Je les encourage à avoir recours, à nouveau, à la médiation afin de résoudre tout différend pouvant découler de la mise en œuvre de la présente décision.

[207]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

[208]   Il est fait droit au présent grief dans la mesure indiquée ci-dessus. Bien que l’employeur ait été justifié de conclure que la fonctionnaire s’est placée dans une situation de conflit d’intérêts apparent en raison de ses activités personnelles, le licenciement est une mesure disciplinaire excessive eu égard à la Charte, compte tenu des circonstances de cette affaire. En conséquence :  

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J’ordonne à l’employeur de réintégrer la fonctionnaire avec salaire et avantages sociaux à compter de la date de son licenciement, avec évidemment, comme c’est la pratique, mitigation des sommes dues;
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J’ordonne à l’employeur d’offrir à la fonctionnaire, dans les meilleurs délais, un poste de même niveau ou de niveau équivalent qui ne créera pas un conflit d’intérêts apparent en regard de ses fonctions ou des objectifs et programmes du ministère du Patrimoine canadien visant la promotion de l’unité canadienne;
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J’ordonne à la fonctionnaire de faciliter et de coopérer pleinement à cette recherche, et d’accepter toute offre raisonnable de l’employeur;
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J’ordonne à la fonctionnaire de limiter ses communications publiques de manière à ne pas jeter de discrédit sur les programmes de l’employeur visant la promotion de l’unité canadienne;
-
Je demeure saisie de l’affaire pour trancher toute question découlant de la mise en œuvre de ma décision pour une période de 120 jours à compter de la date de celle-ci.

Le 9 mars 2006.

Sylvie Matteau,
arbitre de grief

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