Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée, qui détient un baccalauréat en sciences infirmières, occupait un poste de conseillère de secteur pour lequel elle était rémunérée à l’échelon supérieur de l’échelle de rémunération WP-03 - la fonctionnaire s’estimant lésée a accepté la nomination intérimaire au niveau NU-CHN-03 qui lui a été offerte par l’employeur - cette nomination représentait une promotion aux termes du Règlement sur les conditions d’emploi dans la fonction publique - l’employeur a calculé la rémunération d’intérim de la fonctionnaire s’estimant lésée en ajoutant le montant prévu à la disposition sur l’indemnité d’études à l’échelle de rémunération des infirmières afin de déterminer l’échelon auquel avait droit la fonctionnaire s’estimant lésée - le grief contestait cette méthode de calcul et la fonctionnaire s’estimant lésée a fait valoir que l’indemnité d’études ne devrait être ajoutée à son taux de rémunération qu’après le calcul de l’échelon - l’arbitre de grief a conclu que le texte de la convention collective ne précisait pas la méthode de calcul à suivre et que, en l’absence de disposition contraire très claire, il ne voyait aucun motif impérieux de modifier les taux annuels de rémunération avant d’appliquer les règles normales de promotion - en fait, l’arbitre de grief a déterminé que certaines des absurdités qui découlaient de l’application de la méthode de calcul de l’employeur laissaient croire qu’elles n’auraient pas été voulues par les parties - selon l’approche de l’employeur, une personne qui ne possède pas de diplôme d’études supérieures pourrait, dans certains cas, être rémunérée à un taux plus élevé qu’une personne qui détient un tel diplôme - de plus, d’après la méthode de calcul de l’employeur, une infirmière qui ne détient pas de baccalauréat mettrait deux ans de moins à atteindre le taux de rémunération maximal - cette situation constituait une exception à la règle d’interprétation qui veut que le sens ordinaire des mots doit être appliqué - quant à la question de l’absurdité, il faut d’abord déterminer l’objet de la disposition en cause - une indemnité vise à offrir à un fonctionnaire quelque chose de plus en raison de sa situation particulière, de ses qualifications ou de ses compétences - qu’une indemnité pénalise une personne est un résultat incongru et va à l’encontre de l’objet de la disposition - l’indemnité devrait être incorporée après la détermination de l’échelon et non avant. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-03-16
  • Dossier:  166-02-36377
  • Référence:  2006 CRTFP 28

Devant un arbitre de grief



ENTRE

Catherine Billett

fonctionnaire s'estimant lésée

et

Conseil du Trésor
(ministère des Anciens combattants)

employeur

Répertorié
Catherine Billett c. Conseil du Trésor (ministère des Anciens combattants)

Affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P 35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant : : Barry Done, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée : Neil J. Harden, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur  : Renée Roy, avocate


Affaire entendue à Regina (Saskatchewan),
le 1er février 2006.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)


Grief renvoyé à l'arbitrage

[1]   Le présent grief concerne la manière dont la rémunération d’intérim a été calculée dans le cas de la fonctionnaire s’estimant lésée. Les parties ont choisi de procéder par voie d’exposé conjoint des faits (pièces G-1 et E-1), et le Conseil du Trésor a cité un témoin, Mme Suzanne Marchand-Bigras. L’exposé conjoint des faits est reproduit ci-dessous :

[Traduction]

Exposé conjoint des faits (pièces E-1/G-1)

  1. La fonctionnaire s’estimant lésée, Catherine Billett, travaille pour Anciens combattants Canada à Regina (Saskatchewan). Elle a commencé son emploi en janvier 1999.
  2. Le 3 novembre 2004, le poste d’attache de la fonctionnaire s’estimant lésée était un poste de conseillère de secteur, de niveau WP 03.
  3. La fonctionnaire s’estimant lésée était au haut de l’échelle de rémunération WP 03.
  4. Le maximum de l’échelle de rémunération WP 03 en vigueur le 3 novembre  2004 était de 57 088 $ par an en vertu de la convention collective des Services des programmes et de l’administration conclue avec l’AFPC. Cette convention collective avait expiré le 20 juin 2003.
  5. Le 4 novembre 2004, la fonctionnaire s’estimant lésée a été nommée infirmière de district par intérim, de niveau NU-CHN 3, en vertu de la convention collective du groupe SH de l’IPFPC (dont la date d’expiration était le 30 septembre 2003).
  6. La nomination intérimaire constituait une promotion en vertu du Règlement sur les conditions d’emploi dans la fonction publique.  
  7. La fonctionnaire s’estimant lésée a un baccalauréat en sciences infirmières.
  8. L’appendice « B » de la convention collective du groupe SH de l’IPFPC prévoit des indemnités de responsabilité et de formation pour le groupe Sciences infirmières.
  9. L’employeur a déterminé que le taux de rémunération au moment de la promotion pour la fonctionnaire s’estimant lésée était de 59 134 $.
  10. Le 14 décembre 2004, Mme Billett a déposé un grief contestant le calcul de son taux de rémunération d’intérim comme NU-CHN-03 (groupe et niveau).
  11. Les parties se réservent le droit d’appeler d’autres témoins, si nécessaire.

[2]   Durant leurs observations préliminaires, les parties se sont également entendues sur la question à trancher, soit la méthode appropriée pour déterminer le taux de rémunération d’intérim de Mme Billett. Plus particulièrement, il s’agit de savoir comment devrait être incorporé le droit de Mme Billett à une indemnité de formation. Est-ce que l’indemnité de formation devrait être incorporée dans les taux de rémunération avant que l’employeur calcule l’échelon auquel la fonctionnaire s’estimant lésée devrait être placée ou est-ce que les calculs d’échelon devraient être effectués avant d’ajouter le montant de l’indemnité de formation revenant à la fonctionnaire s’estimant lésée?

[3]   L’agent négociateur a choisi de n’assigner aucun témoin. L’employeur a cité un seul témoin, Mme Suzanne Marchand-Bigras, qui a témoigné qu’elle travaillait au Conseil du Trésor comme gestionnaire, Analyse de la rémunération, données statistiques et interprétation. Elle a dit dans son témoignage que ses fonctions consistaient à gérer la section et à interpréter diverses conventions collectives ainsi que le Règlement sur les conditions d’emploi dans la fonction publique (le Règlement). Mme Marchand-Bigras a commencé au Conseil du Trésor en 1998 comme agente d’interprétation, puis est devenue analyste en convention collective. En novembre 2005, elle a commencé son emploi actuel.

[4]   En tout, six pièces ont été déposées par l’intermédiaire du témoin. La pièce E-2 est la politique du Conseil du Trésor sur les conditions d’emploi, ainsi que le Règlement. La pièce E-3 est un guide du Conseil du Trésor, non daté, concernant la manière de calculer le salaire à la promotion. La pièce E-4 est la page couverture de la convention des Services de santé ayant expiré le 30 septembre 2003, ainsi que les pages 211-215 de cette convention, soit les taux annuels de rémunération pour le groupe Sciences infirmières (NU). La pièce E-5 représente les appendices B à M, inclusivement, de la convention des Services de santé, soit les diverses indemnités relatives au groupe Sciences infirmières. La pièce E-6 est un exemple de calculs et d’échelons concernant la détermination de la rémunération d’intérim pour quelqu’un qui occupe un poste d’attache de WP-03 et qui doit agir comme NU-CHN-03 (groupe Sciences infirmières, sous-groupe Infirmières communautaires). La pièce E-7 est un exemple semblable, utilisant cette fois le cas d’un NU-CHN-5 tenu d’agir comme WP-06.

[5]   Utilisant la pièce E-2, à la page 7, le témoin a expliqué avec un certain nombre de détails la méthode utilisée pour calculer le taux de rémunération d’intérim de Mme Billett. Tout d’abord, cette méthode tenait compte de la définition de ce qu’est une promotion selon l’article 24 du Règlement sur les conditions d’emploi dans la fonction publique. D’après les points 3 et 4 de l’exposé conjoint des faits, le taux de rémunération de Mme Billett comme WP-03 était de 57 088 $. Puis le témoin a fait référence à la page 213 de la convention collective (pièce E-4), qui indique que le taux maximum pour un NU-CHN-03 en date du 1er octobre 2002 était de 62 174 $.

[6]   La disposition prise ensuite par l’employeur dans le calcul du taux de rémunération d’intérim de la fonctionnaire s’estimant lésée semble être au coeur du différend entre les parties : le témoin a expliqué que l’on doit à cette étape déterminer si la fonctionnaire s’estimant lésée avait droit à une indemnité de formation et quel en était le montant. Comme Mme Billett avait un baccalauréat en sciences infirmières, l’alinéa (B) d) de l’appendice B, indemnités de responsabilité et de formation – groupe Sciences infirmières, s’appliquait. Le montant de l’indemnité était de 3 000 $, et ce montant devait être ajouté à chaque échelon des taux de rémunération du poste d’attache pour le groupe Sciences infirmières de façon à les « modifier ». Cela, a dit le témoin, est conforme au préambule figurant à l’appendice B, à la page 266 de la convention collective du groupe Sciences infirmières :

[ ... ]

Aux fins de la rémunération, les taux annuels de rémunération des niveaux du groupe Sciences infirmières stipulés à l’appendice « A »   sont modifiés par l’addition des montants précisés ci-dessous [...]

[Je souligne]

[ ... ]

[7]   Mme Marchand-Bigras a poursuivi en disant qu’il faut alors prendre le nouveau taux, modifié, et, conformément aux règles prévues pour déterminer le salaire à la promotion, ajouter l’échelon le plus bas dans les taux de rémunération pour le groupe Sciences infirmières. C’est seulement lorsque ces dispositions ont été prises que l’on peut choisir l’échelon approprié auquel placer la fonctionnaire s’estimant lésée, soit le taux modifié de 59 134 $, le premier échelon dans les nouveaux taux. Mme Marchand-Bigras a comparé l’indemnité provisoire prévue à l’appendice C de la convention collective du groupe Sciences infirmières, à la page 268, avec l’indemnité de formation prévue à l’appendice B. Elle a souligné que l’indemnité provisoire que prévoit l’appendice C, à l’alinéa c), «  [ ... ] ne fait pas partie intégrante du traitement de l’employé ».

[8]   En contre-interrogatoire, Mme Marchand-Bigras a concédé que, si la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas eu un baccalauréat en sciences infirmières, elle aurait été placée au troisième échelon dans les taux de rémunération pour le groupe Sciences infirmières. Il en aurait été ainsi parce que l’appendice B ne se serait pas appliqué. De même, elle a concédé qu’une infirmière sans baccalauréat prendrait deux années de moins qu’une infirmière avec baccalauréat pour atteindre le taux de rémunération maximum et elle a également concédé qu’une infirmière sans diplôme gagnerait seulement 580 $ de moins à la nomination qu’une infirmière avec diplôme et que c’était possible qu’une infirmière avec diplôme gagne moins qu’une infirmière sans diplôme à la première nomination. L’exemple cité était celui d’une infirmière avec deux cours universitaires d’une année qui serait, conformément à l’appendice B, section B, sous-alinéa c) (ii) de la pièce E-5, placée au deuxième échelon dans les taux de rémunération pour le groupe Sciences infirmières.

[9]   M. Harden a ensuite demandé si une infirmière avec diplôme recevait automatiquement l’indemnité de formation. Mme Marchand-Bigras a répondu que non. Elle a déclaré que l’indemnité de formation est versée seulement lorsque certains éléments d’« instruction postscolaire » sont utilisés dans l’exercice des fonctions d’infirmière, conformément au préambule qui figure à l’appendice B (pièce E-5), à la page 266 :

[...]

B. Indemnités de formation

Lorsque les éléments suivants de formation en sciences infirmières ou d’instructi0n postscolaire en sciences infirmières sont utilisés dans l’exercice de leurs fonctions [...]

[...]

[10]   En réponse à la question de savoir si elle était une experte en interprétation de conventions collectives, Mme Marchand-Bigras a répondu que, s’il y en avait une, elle était [traduction] « ce  qui s’en approchait le plus ».  

[11]   Lors du réinterrogatoire, M e Roy a demandé au témoin de se référer à la pièce E-6, soit l’échantillonnage de calculs, et d’expliquer qu’une infirmière avec diplôme gagnerait plus qu’une infirmière sans diplôme au taux de rémunération maximum. Faisant partie du salaire, l’indemnité serait en outre maintenue pendant les périodes de congé de maternité.

[12]   Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l’arbitrage de grief doit être décidé conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »).

Résumé de l’argumentation

I.   Thèse de l’agent négociateur

[13]   M. Harden a commencé par attirer mon attention sur l’appendice D (Indemnité pour les psychiatres médico-légaux) de la convention collective (pièce E-5). Il a signalé que, d’après le paragraphe 4, une psychiatre médico-légal perdrait l’indemnité de formation pendant un congé de maternité et qu’à cet égard il n’y avait aucune différence dans le traitement des indemnités. Il a reconnu que le Règlement sur les conditions d’emploi dans la fonction publique régit la détermination des taux de rémunération dans ce cas-ci, comme l’indique la politique sur les conditions d’emploi (pièce E-2), aux articles 24 et 46 b). Il a affirmé que la méthode de calcul de la paie utilisée par l’employeur viole les préambules de l’appendice B de la convention collective (pièce E-5) ainsi que du paragraphe B de l’appendice, et conduit à un résultat absurde. Ainsi, il soumet que je devrais accorder la préférence au mode de calcul de la rémunération d’intérim proposé par l’agent négociateur, qui consiste à [traduction] « faire l’intégration, puis ajouter l’indemnité de formation ». Pour plus de clarté, il a précisé que les infirmières avec ou sans diplôme devraient être [traduction] « intégrées » au même niveau, soit dans ce cas-ci l’échelon 3, à 58 554 $. On obtient ce résultat en ajoutant le taux maximum pour le poste d’attache WP-03 (57 088 $) au plus bas échelon des taux de rémunération pour le groupe Sciences infirmières (1 204 $), ce qui donne un total de 58 292 $. Le niveau de rémunération applicable serait de 58 544 $, d’après les règles relatives à la promotion, à savoir l’échelon le plus près de 58 292 $, sans y être inférieur.

[14]   L’intention sous-jacente à l’appendice B, disait M. Harden, est d’accorder à une infirmière avec diplôme des fonds supplémentaires comparativement à une infirmière sans diplôme. La position syndicale sur les calculs correspond à cette intention (récompense pour avoir acquis des qualifications supérieures), tandis que la position de l’employeur donnerait à une telle infirmière seulement 580 $ de plus. En outre, selon la méthode de l’employeur, une infirmière ne recevrait le montant intégral de l’indemnité de 3 000 $ que lorsqu’elle aurait atteint le taux de rémunération maximum. La méthode de l’employeur nie en fait pendant une période de quatre ans le plus gros de l’indemnité, ce qui est une tentative délibérée pour éviter les modalités de la convention. M. Harden arguait que ce n’était assurément pas l’intention des parties de récompenser une infirmière sans diplôme plus qu’une infirmière avec diplôme, comme le témoin a affirmé que cela peut arriver si le mode de calcul de l’employeur est accepté.   

[15]   La position de l’employeur selon laquelle l’indemnité fait partie du salaire est vraie, qu’elle soit appliquée avant ou après l’« intégration ». Le défaut de la méthode de l’employeur est qu’elle ne tient pas compte de l’appendice B dans son ensemble et ne prend pas en considération l’étape à laquelle l’indemnité entrera en vigueur. Le libellé de l’appendice B montre que l’indemnité de formation peut entrer en vigueur seulement après l’intégration et après que l’infirmier ou l’infirmière ait commencé à utiliser ses compétences dans l’exercice de ses fonctions. Le libellé en question se lit comme suit : « Lorsque les éléments [...] d’instruction [...] en sciences infirmières sont utilisés dans l’exercice de leurs fonctions [...] ». Le temps utilisé est le présent et non le futur, et la présomption est que les parties ont bel et bien négocié le libellé qu’elles avaient à l’esprit. Il faut trois choses pour que l’employé reçoive l’indemnité :

  1. l’infirmier ou l’infirmière doit avoir un diplôme;
  2. l’infirmier ou l’infirmière doit remplir les fonctions du poste;
  3. l’infirmier ou l’infirmière doit utiliser le diplôme dans l’exercice des fonctions du poste.

[16]   Si l’un de ces éléments est absent, l’infirmier ou l’infirmière n’est pas admissible à l’indemnité; en outre, une infirmière ou un infirmier n’utilise pas le diplôme dans l’exercice de ses fonctions avant d’être « intégré ». Tel est le sens ordinaire du libellé! Une promotion est séquentielle : une personne est nommée, sa rémunération est déterminée, puis la personne commence à remplir les fonctions du poste.  

[17]   M. Harden a ensuite passé en revue de la jurisprudence : Bainbridge c. Conseil du Trésor (Santé et Bien-être social Canada), dossier de la Commission 166-2-16132, (1986) à la page 7; Sumalingc. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 32, aux paragraphes 21, 23 et 29; Gervaisc. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), dossier de la Commission 166-2-28207, (1998) au paragraphe 26; Reid c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 77; Gunn c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes, Accise et Impôt), dossier de la Commission 166-2-28657, (1999) au paragraphe 40; Parker et al. c. Conseil du Trésor (Archives nationales du Canada), 2004 CRTFP 13, au paragraphe 46.

[18]   D’après M. Harden, il ressort de la jurisprudence que, si une personne n’exerce pas les fonctions, elle n’est pas admissible à l’indemnité. L’appendice A-6 de la convention collective, au paragraphe 11, montre la nette intention des parties. Ce paragraphe, intitulé « Taux de rémunération au moment de la première (1 ère ) nomination », ne fait aucune distinction entre les taux de rémunération à la première nomination en fonction de l’instruction, ce qui étaye la position du syndicat. M. Harden se demande pourquoi il y a une distinction dans le cas d’une nomination interne et non dans le cas d’une nomination externe. Il semblerait absurde que le fait de ne pas utiliser son diplôme dans l’exercice de ses fonctions avantage financièrement une infirmière.    

[19]   Enfin, M. Harden m’a renvoyé à la décision rendue dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Lajoie, (1992) 149 N.R. 223, qui étaye la position du syndicat sur le calcul, ainsi qu’à un extrait de la page 123 de l’ouvrage de Palmer intitulé Collective Agreement Arbitration in Canada, 3 e édition.

II.   Thèse du Conseil du Trésor

[20]   Il incombe à la fonctionnaire s’estimant lésée de prouver l’existence d’un manquement à l’égard de l’appendice B de la convention collective. L’indemnité de formation fait assurément partie du salaire; sur ce point, le libellé de l’appendice est extrêmement clair :

APPENDICE « B »

INDEMNITÉS DE RESPONSABILITÉ ET DE FORMATION   – GROUPE SCIENCES INFIRMIÈRES

Aux fins de la rémunération, les taux annuels de rémunération des niveaux du groupe Sciences infirmières stipulés à l’appendice « A » sont modifiés par l’addition des montants précisés ci-dessous dans la colonne II compte tenu des circonstances exposées dans la colonne I.

Ce sont les taux annuels de rémunération prévus à l’appendice A qui doivent être modifiés.

[21]   L’agent négociateur n’a signalé aucune formulation expresse de l’appendice B qui aurait été transgressée, et de toute manière le libellé de l’appendice B n’étaye pas la thèse de l’agent négociateur selon laquelle les trois conditions préalables qui sont spécifiées devraient être réunies. La question de l’exercice des fonctions n’est pas pertinente. Ce sont les taux annuels de rémunération qui doivent être modifiés et non un taux de rémunération en particulier. La méthode de l’agent négociateur force le libellé. Il faut se conformer à la convention, c’est-à-dire modifier les taux en ajoutant l’indemnité de formation. M e Roy a affirmé que les décisions Bainbridge, Sumaling et Gervais (précitées) ne s’appliquent pas au présent grief. La question n’est pas de savoir si les fonctions sont exercées, mais tient à la pertinence de l’instruction à l’égard des fonctions du poste. Contrairement à ce qu’il en est dans le cas de toutes les autres dispositions relatives aux indemnités qui sont prévues dans la convention, seule la disposition relative à l’indemnité de formation inclut les termes « les taux de rémunération sont modifiés ». Il n’est pas simplement dit qu’un employé reçoit une indemnité d’un certain montant; il est exigé que les taux annuels de rémunération soient modifiés.

[22]   À toutes fins, les taux de rémunération de l’appendice A cessent d’exister quand on a droit à une indemnité de formation. Les parties à une convention sont liées par le libellé s’il est clair, indépendamment de l’absurdité pouvant résulter d’une lecture claire. Comme l’indique l’extrait de l’ouvrage de Palmer (précité), les difficultés ou les problèmes ne sont pas une raison pour modifier une signification claire. Le forum approprié pour l’agent négociateur consiste à renégocier la formulation.  

III.   Réplique de l’agent négociateur

[23]   C’est le préambule du paragraphe B de l’appendice B qui est clair et qui doit avoir une signification. Les taux de rémunération prévus à l’appendice A continuent d’exister même quand on est admissible à l’indemnité de formation.   

Motifs de décision

[24]   Le présent grief concerne l’application de la convention collective du groupe SH quant aux calculs de la rémunération à la promotion. Les dispositions expresses de la convention qui s’appliquent sont l’article 45 ainsi que les Notes sur la rémunération pour l’appendice A, dont les passages applicables sont reproduits ci-dessous :

Article 45

RÉMUNÉRATION

45.01 Sous   réserve des paragraphes   45.01 à 45.08 inclusivement et des notes de l’appendice « A » de la présente convention, les conditions régissant l’application de la rémunération aux employés ne sont pas modifiées par la présente convention.

45.02 Un employé a droit à une rémunération pour services rendus :  

a)au taux précisé à l’appendice « A » pour la classification du poste auquel il est nommé si la classification coïncide avec celle qui est prescrite dans son certificat de nomination,  
ou 
b)au taux précisé à l’appendice « A » pour la classification prescrite dans son certificat de nomination, si cette classification et la classification du poste auquel il est nommé ne coïncident pas.

45.03 Les taux de rémunération énoncés à l’appendice « A » entrent en vigueur aux dates qui y sont précisées.  

45.04 Seuls les taux de rémunération et la rémunération du temps supplémentaire qui ont été versés à l’employé au cours de la période de rétroactivité seront calculés de nouveau et la différence entre le montant versé d’après les anciens taux de rémunération et le montant payable d’après les nouveaux taux sera versée à l’employé.

45.05 Administration de la paie

Lorsque deux (2) ou plusieurs des événements suivants surviennent à la même date, à savoir une nomination, une augmentation d’échelon de rémunération, une révision de rémunération, le taux de rémunération de l’employé est calculé dans l’ordre suivant :  

a)il reçoit son augmentation de rémunération;
b)son taux de rémunération est révisé;
c)son taux de rémunération à la nomination est fixé conformément à la présente convention.

45.06 Taux de rémunération

a)Le présent paragraphe remplace les directives sur la rémunération avec effet rétroactif. Lorsque les taux de rémunération énoncés à l’appendice « A » entrent en vigueur avant la date de la signature de la convention collective, les dispositions suivantes s’appliquent :
(i)la « période de rétroactivité » aux fins des sous-alinéas (ii) à (v), désigne la période commençant à la date d’entrée en vigueur de la révision rétroactive à la hausse des taux de rémunération et se terminant le jour de la signature de la convention collective ou de la décision arbitrale qui s’y rattache;  
(ii)une révision rétroactive à la hausse des taux de rémunération s’applique aux employés, aux anciens employés ou, dans le cas d’un décès, à la succession de l’ancien employé qui était un employé de l’unité de négociation pendant la période de rétroactivité;
(iii)les taux de rémunération sont versés en un montant égal à ce qui aurait été versé si la convention collective avait été signée ou si la décision arbitrale avait été rendue à la date d’entrée en vigueur de la révision des taux de rémunération;
(iv)afin que les anciens employés ou, dans le cas du décès d’un ancien employé, ses représentants puissent recevoir le paiement conformément au sous-alinéa (iii), l’employeur avise, par courrier recommandé, ces personnes à leur dernière adresse connue qu’elles disposent de trente (30) jours à partir de la date de réception du courrier recommandé pour demander par écrit ce paiement, après quoi l’employeur ne sera nullement obligé de remettre le paiement;
(v)aucun paiement ni avis n’est remis en vertu du paragraphe 45.06 pour un dollar (1 $) ou moins.

45.07 Le présent article est assujetti au Protocole d’accord signé par l’employeur et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada le 21 juillet 1982, à l’égard des employés dont le poste est bloqué.

**

45.08 Paiement en trop

Si une erreur dans le calcul de la rémunération entraîne un paiement en trop, l’employeur avise au préalable l’employé par écrit des exigences et du calendrier de remboursement. L’employeur discute avec l’employé du calendrier de remboursement proposé avant de l’appliquer.  

45.09 Rémunération provisoire

a)Lorsqu’un employé est tenu par l’employeur d’exercer à titre intérimaire une grande partie des fonctions d’une classification supérieure pour le nombre de jours ouvrables stipulés en (i) ou (ii), il touche une indemnité provisoire à compter de la date à laquelle il commence à remplir ces fonctions comme s’il avait été nommé à ce niveau de classification supérieure pour la durée de la période :
(i)deux (2) jours ouvrables consécutifs pour les employés des groupes ND-DIT et OP niveau 1, et   NU-CHN et NU-HOS niveaux 1 à 4;
(ii)quatre (4) jours ouvrables consécutifs pour tous les autres employés.
b)Lorsqu’un jour férié désigné payé survient durant la période ouvrant droit à la rémunération provisoire, ce jour férié est considéré comme jour de travail aux fins de l’établissement de ladite période.  

[ ... ]

**APPENDICE « A-6 »

NU – GROUPE SCIENCES INFIRMIÈRES

NOTES SUR LA RÉMUNÉRATION

AUGMENTATION D’ÉCHELON DE RÉMUNÉRATION POUR LES EMPLOYÉS À TEMPS PLEIN ET À TEMPS PARTIEL

[...]

TAUX DE RÉMUNÉRATION AU MOMENT DE LA PREMIÈRE (1 ère) NOMINATION

11.Le taux de rémunération au moment de la première (1ère) nomination aux niveaux NU-HOS-1 à NU-HOS-3 et aux niveaux NU-CHN-1 à NU-CHN-3 sera établi de la façon suivante :
a)une infirmière sans aucune expérience ou sans expérience récente, ou comptant moins d’une (1) année d’expérience récente, sera nommée au premier (1er) échelon du niveau NU-HOS-1 ou au premier (1er) échelon du niveau NU-CHN-1;
b)une infirmière nommée aux niveaux NU-HOS-2, NU-CHN-2, NU-HOS-3 ou NU-CHN-3, sera rémunérée au moment de la nomination selon l’échelon applicable comme suit :  
(i) l’infirmière comptant plus d’une (1) année d’expérience récente mais moins de trois (3) ans est nommée au premier (1er) échelon;
(ii) l’infirmière comptant plus de trois (3) ans d’expérience récente mais moins de cinq (5) ans est nommée au deuxième (2e) échelon;
(iii) l’infirmière comptant plus de cinq (5) ans d’expérience récente est nommée au troisième (3e) échelon;
ou  
  à un niveau supérieur déterminé par l’employeur.
c) L’évaluation de l’expérience récente est laissée à la discrétion de la direction.

[ ... ]

 

Appendice « B »

INDEMNITÉS DE RESPONSABILITÉ ET DE FORMATION – GROUPE SCIENCES INFIRMIÈRES

Aux fins de la rémunération, les taux annuels de rémunération des niveaux du groupe Sciences infirmières stipulés à l’appendice « A » sont modifiés par l’addition des montants précisés ci-dessous dans la colonne II compte tenu des circonstances exposées dans la colonne I.

[ ... ]

B. Indemnités de formation
 
Lorsque les éléments suivants de formation en sciences infirmières ou d’instruction postscolaire en sciences infirmières sont utilisés dans l’exercice de leurs fonctions :

[ ... ]

 d)    Baccalauréat en sciences infirmières    3 000 $

[25]   Tout d’abord, pour ce qui est du paragraphe 45.01, je ne vois rien dans les paragraphes 45.02 à 45.08 inclusivement, qui m’aide à déterminer comment calculer la rémunération d’intérim dans un cas incluant un droit à une indemnité de formation. Ensuite, d’après le paragraphe 45.01, je dois me reporter aux Notes sur la rémunération figurant à l’appendice A, ou, dans le cas du groupe Sciences infirmières, à l’appendice A-6 plus particulièrement. L’agent négociateur a attiré mon attention sur le paragraphe 11, qui se rapporte à la rémunération au moment de la première nomination. Selon cette disposition, ce qui détermine la question du placement dans un échelon donné est le nombre d’années d’expérience récente d’une infirmière et non le nombre d’années d’études : plus l’infirmière a de l’expérience récente, plus l’échelon est élevé. Il n’est nullement mentionné ici que le placement serait déterminé seulement après la prise en compte de l’indemnité de formation. Cet article dit : « Sous réserve [...] des notes de l’appendice « A » de la présente convention, les conditions régissant l’application de la rémunération aux employés ne sont pas modifiées par la présente convention. » Le libellé semble clair. Des dispositions expresses, négociées par les parties, priment le Règlementsur les conditions d’emploi dans la fonction publique et influent bel et bien sur l’application de la rémunération aux employés.

[26]   Je dois maintenant examiner la question de savoir si le libellé de l’appendice A-6, que je considère comme étant clair, s’oppose au libellé de l’appendice B, soit le libellé invoqué par l’employeur.  

Appendice « B »

INDEMNITÉS DE RESPONSABILITÉ ET DE FORMATION – GROUPE SCIENCES INFIRMIÈRES

Aux fins de la rémunération, les taux annuels de rémunération des niveaux du groupe Sciences infirmières stipulés à l’appendice « A » sont modifiés par l’addition des montants précisés ci-dessous dans la colonne II compte tenu des circonstances exposées dans la colonne I.   

[ ... ]

B.
Indemnités de formation
 
Lorsque les éléments suivants de formation en sciences infirmières ou d’instruction postscolaire en sciences infirmières sont utilisés dans l’exercice de leurs fonctions :
 [ ... ]
 
d)    Baccalauréat en sciences infirmières    3 000 $

[27]   Je ne vois rien dans ce libellé qui traite de la question du moment. En d’autres termes, sans une disposition contraire exprimée très clairement, je ne vois aucun motif impérieux de modifier les taux annuels de rémunération avant d’appliquer les règles normales au moment de la promotion. L’appendice B exige seulement que les taux soient modifiés. Cela ne s’oppose pas selon moi à l’appendice A-6; en fait, certaines des absurdités qui s’ensuivent dans l’application de la méthode de l’employeur suggèrent que ces absurdités ne sauraient avoir été voulues par les parties qui étaient à la table de négociation.

[28]   Je ne suis pas d’accord sur l’assertion de M e Roy selon laquelle le libellé qui est clair doit être respecté, indépendamment de toute absurdité pouvant en résulter. Sur ce point, je me laisse guider par la jurisprudence en matière d’interprétation de convention. Dans l’affaire Assh, 2004 CRTFP 111, l’arbitre de grief a statué, au paragraphe 52, que, concernant les règles générales d’interprétation, il y a une exception à la règle voulant que le sens ordinaire des termes s’applique. Cette exception, a-t-elle statué, intervient lorsque l’application de la règle du sens ordinaire conduirait à un résultat absurde. Tel est le cas en l’espèce. Dans l’affaire Beal, 2002 CRTFP 93, l’arbitre de grief examinait un article en matière d’IFP et a conclu, au paragraphe 30, que l’approche de l’employeur relative au calcul pouvait mener à des résultats absurdes et injustes. L’arbitre de grief a déterminé qu’il devait alors examiner les principes généraux sur lesquels se fondait l’IFP. L’utilisation de cette approche est également approuvée dans la jurisprudence de la Cour fédérale du Canada. Cette cour a, dans l’affaire ACCTAc. Canada [Conseil du Trésor], [1985] 2 C.F.  84, statué qu’il serait injuste que deux employés effectuant les mêmes tâches et touchant la même rémunération avant une date donnée reçoivent des salaires différents pour un travail accompli après cette date parce que l’un d’eux a cessé d’être employé avant la signature d’une nouvelle convention collective. La Cour a statué que, en l’absence de dispositions très clairement exprimées, il est impossible qu’on ait voulu atteindre un résultat aussi incongru. Ce serait assurément un résultat incongru que la fonctionnaire s’estimant lésée soit payée moins que sa collègue n’ayant pas d’instruction « postscolaire » en sciences infirmières, simplement parce que la fonctionnaire s’estimant lésée a droit à l’indemnité de formation.

[29]   Concernant la question de l’absurdité, il faut d’abord déterminer l’objet de la disposition en cause. Vu ce qui est l’objet évident de la disposition, son application par l’employeur mène à un résultat absurde. Une indemnité, par sa définition même, est destinée à offrir à un employé quelque chose de plus en raison de sa situation particulière, de ses qualifications ou de ses compétences. Offrir une indemnité à un employé tout en faisant en sorte que cette indemnité le pénalise est assurément incongru et viole l’objet même de la disposition.   

[30]   Comme le souligne M. Harden, il ne semble tout simplement pas raisonnable que, comparativement à une infirmière sans diplôme, une infirmière avec diplôme soit initialement placée à un échelon inférieur, gagne moins et prenne deux années de plus pour atteindre le taux maximum de rémunération pour le poste. Si telle était l’intention des parties, pourquoi négocier une indemnité de formation? Pourquoi convenir de verser 3 000 $ de plus par année à des infirmières ayant fait l’effort d’obtenir leur diplôme? Assurément, prévoir une indemnité de formation selon une échelle mobile — plus une personne a de l’instruction, plus l’indemnité que l’employeur est disposé à verser est élevée — est une façon de reconnaître la valeur de l’instruction pour l’employeur ainsi que le fait que l’instruction favorise l’exercice des fonctions en sciences infirmières. Pourtant, les calculs de rémunération de l’employeur semblent indiquer que, pour une raison ou pour une autre, une infirmière avec un diplôme ne vaut pas autant qu’une infirmière sans diplôme et vaut même moins. Je doute sérieusement que ce soit ce que l’employeur veut envoyer comme message.

[31]   La jurisprudence qui m’a été présentée était d’une utilité restreinte, car la question qui devait être tranchée dans chacun de ces cas-là était distincte de celle qui m’est soumise. Deux de ces causes traitaient de l’effet rétroactif d’une reclassification; les autres traitaient du droit à une indemnité, ce qui n’est pas litigieux dans le cas de la fonctionnaire s’estimant lésée en l’espèce.

[32]   La méthode qui est conforme à la convention collective et dont l’application ne conduit pas à un résultat absurde est celle préconisée par le syndicat, à laquelle je souscris.   

[33]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[34]   Le présent grief est accueilli, et j’ordonne que l’employeur applique l’indemnité de formation seulement après la détermination de l’échelon approprié pour la fonctionnaire s’estimant lésée. J’ordonne aussi que l’employeur applique la présente décision à partir de la date à laquelle Mme Billett a commencé à agir.

Le 16 mars 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Barry Done,
arbitre de grief

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