Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’employeur a congédié l’auteur du grief en cours de stage - l’employeur a objecté qu’un arbitre de grief n’a pas la compétence d’instruire un grief portant sur un renvoi en cours de stage - l’employeur a présenté un minimum de preuve démontrant que le congédiement de l’auteur du grief était un renvoi en cours de stage motivé par une raison liée à l’emploi - l’auteur du grief n’a pas démontré que l’employeur a agi de mauvaise foi ou a eu recours à un subterfuge pour le renvoyer en cours de stage - dans ces circonstances, l’arbitre de grief a conclu qu’elle n’avait pas la compétence d’instruire le grief. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-03-24
  • Dossier:  166-02-31281
  • Référence:  2006 CRTFP 35

Devant un arbitre de grief



ENTRE

DOMINICK MORIN

fonctionnaire s’estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Pêches et des Océans)

employeur

Répertorié
Morin c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans)

Affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Sylvie Matteau, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé : Kim Patenaude Lepage, avocate

Pour l'employeur : Karl G. Chemsi, avocat


Affaire entendue à Québec le 20 octobre 2004,
à Gaspé du 4 au 7 octobre 2005
et à Ottawa les 10 et 11 janvier 2006.


Grief renvoyé à l'arbitrage

[1]   Le fonctionnaire s’estimant lésé, Dominick Morin (l’ « auteur du grief »), conteste son congédiement du 25 juillet 2001, alléguant qu’il s’agit d’une mesure disciplinaire déguisée et que l’employeur a agi de mauvaise foi.

[2]   L’auteur du grief a renvoyé son grief à l’arbitrage le 8 mai 2002 et a demandé qu’il soit gardé en attente d’une décision de la Commission canadienne de droits de la personne (C.C.D.P.) sur une plainte qu’il avait déposée devant elle.   Le 16 septembre 2003, la C.C.D.P. enjoignait l’auteur du grief, conformément au paragraphe 41(1)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, d’épuiser la procédure de règlement des griefs.   Les parties au grief ont alors eu recours aux services de médiation de la Commission, sans cependant en arriver à un règlement de cette affaire.   Le 30 juin 2004, l’auteur du grief demandait la mise au rôle de ce dossier.

[3]   L’employeur a soulevé des objections préliminaires lors de la première journée d’audience, le 20 octobre 2004. L’une concernait la situation d’employé de l’auteur du grief. L’employeur considérait que ce dernier était toujours en période de stage au moment de son congédiement, alors que l’auteur du grief prétendait que sa période de stage avait pris fin plusieurs mois plus tôt. Selon l’auteur du grief, l’employeur avait confirmé cet état de fait par écrit. Le grief aurait donc dû être traité en conséquence. Les parties se sont entendues pour clarifier cette question avant de présenter leur preuve sur le fond du grief. La preuve a donc été entendue uniquement sur cet aspect du dossier et la décision 2004 CRTFP 168 a été rendue à ce sujet. Cette décision confirme que l’auteur du grief était en période de stage au moment de son congédiement.

[4]   Les parties n’étaient disponibles pour la reprise de l’audience qu’à compter d’octobre 2005.

[5]   L’employeur a maintenu son objection préliminaire à la compétence de l’arbitre de grief puisque, selon lui, le renvoi de l’auteur du grief en cours de stage est dû uniquement à des circonstances liées à son emploi. L’arbitre de grief n’aurait pas compétence pour décider si le renvoi d’un fonctionnaire en cours de stage s’est fait conformément au paragraphe 28(2) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33. Pour sa part, l’auteur du grief soutient que son congédiement constitue un licenciement disciplinaire déguisé, ce qui donnerait ouverture à la compétence de l’arbitre de grief. Cette objection a été prise sous réserve de la preuve à être présentée sur le fond du grief.

[6]   L’employeur a fait entendre deux témoins.   L’auteur du grief a témoigné en sa faveur.

[7]   Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur.   En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l'arbitrage de grief doit être décidé conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’ « ancienne Loi »).

Résumé de la preuve

[8]   L’auteur du grief, un employé saisonnier, a commencé à travailler au ministère des Pêches et des Océans en mars 1999. Il était alors affecté à Ste-Anne-des-Monts. Il a expliqué que le climat de travail y était très difficile. Il y avait beaucoup de conflits dans le bureau; personne ne se parlait. Un agent des pêches venait de s’y suicider. La situation personnelle de l’auteur du grief était difficile, car sa famille habitait près de Grande-Rivière, à plusieurs kilomètres de là. Il a demandé d’y être transféré pour la saison d’emploi de 2000, demandant aussi de participer au Programme de développement de carrière des agents des pêches (le « programme ») pour atteindre les groupe et niveau GT-03 plus rapidement. Ceci lui a été refusé et l’auteur du grief a dû progresser normalement aux groupe et niveau GT-02.

[9]   Vincent Malouin, directeur de secteur pour Gaspé depuis le 4 avril 2001, a longuement témoigné sur le programme et les circonstances entourant le renvoi de l’auteur du grief en cours de stage. Il a dit connaître l’auteur du grief depuis 1998. Il a décrit la structure hiérarchique du ministère dans le secteur Gaspésie-Bas St-Laurent, de son poste jusqu’à celui de l’agent des pêches. Le témoin a souligné que tout agent des pêches est également un agent de la paix en vertu du Code criminel.

[10]   Le programme a été établi parce que le travail d’agent des pêches de groupe et niveau GT-03 exige une formation significative. L’auteur du grief a expliqué qu’Alain Duguay, en poste à Grande-Rivière, avait été désigné pour suivre sa formation et sa progression de carrière, mais que ce dernier n’avait pas les qualifications de moniteur à l’emploi. De plus, l’auteur du grief devait se déplacer, en dehors de ses heures de travail, pour aller rencontrer M. Duguay pour compléter les documents requis. Selon l’auteur du grief, tout ceci n’était qu’une formalité. M. Duguay, qui n’a jamais travaillé avec lui, ne lui a été d’aucune assistance en termes de formation. L’employeur a reconnu que ce suivi avait fait défaut à l’auteur du grief.

[11]   L’employeur a eu l’idée d’un plan de redressement pour l’auteur du grief lorsqu’il a constaté des lacunes importantes dans la prestation de travail de ce dernier. Ce plan de redressement a été mis en place pour aider l’auteur du grief à rencontrer l’énoncé de qualités de son poste et l’amener à faire son travail selon les normes et compétences requises, dans un cadre bien défini, puisqu’il n’avait pas bénéficié de supervision adéquate.

[12]   M. Malouin a expliqué les aspects particuliers du travail des agents des pêches de groupe et niveau GT-03. Ceux-ci sont très près de la clientèle puisque, en fonction des besoins opérationnels, leurs bureaux sont décentralisés. Ils sont les yeux et les oreilles du ministère auprès de la clientèle. M. Malouin a souligné que l’employeur recherche des agents des pêches de groupe et niveau GT-03 très fiables, qui peuvent travailler de manière autonome. En effet, les agents des pêches de groupe et niveau GT-03 travaillent dans des lieux isolés, seuls ou en équipe de deux. Leurs tâches étant liées à l’application des lois et des règlements, ils doivent en avoir une bonne connaissance et être en mesure de s’adapter et de réagir de façon appropriée en toute circonstance. Ils doivent avoir un bon jugement.

[13]   Selon M. Malouin, le travail d’un agent des pêches de groupe et niveau GT-03 est hautement spécialisé et fait appel à un ensemble de compétences uniques. La formation des agents des pêches de groupe et niveaux GT-01 et GT-02 est donc un investissement important de la part du ministère. Ces agents sont supervisés jusqu'à l’obtention d’un niveau d’autonomie et de fiabilité essentiels aux agents des pêche de groupe et niveau GT-03.

[14]   M. Malouin a ensuite expliqué qu’un premier incident concernant l’auteur du grief a été porté à son attention au mois d’avril 2000. Il s’agissait d’un accident de la route. Puisque, à cette occasion, le taux d’alcoolémie sanguine de l’auteur du grief dépassait la limite légale, cet accident a automatiquement déclenché une enquête interne en vertu du code de conduite du ministère, auquel sont soumis tous les agents des pêches.

[15]   M. Malouin a commenté les questions que les actions de l’auteur du grief ont soulevées à la suite de cet accident. On reprochait à l’auteur du grief d’avoir omis d’informer son supérieur dès qu’il fut accusé d’une infraction criminelle. On lui reprochait également d’avoir conduit quelques jours après l’accident, le ou vers le 14 avril 2000, un véhicule du ministère, alors que son permis de conduire était sous le coup d’une suspension administrative en vertu du paragraphe 202.4 du Code de la sécurité routière du Québec.

[16]   Une rencontre a eu lieu avec l’auteur du grief et le représentant de son agent négociateur le 18 avril 2000. Le but de la rencontre était d’obtenir la version de l’auteur du grief concernant l’accident ainsi que sur les évènements jusqu’au 14 avril 2000. Un compte rendu de cette rencontre a été préparé le même jour et contient la version des faits de l’auteur du grief sous forme de questions et réponses (pièce E-5).

[17]   L’auteur du grief a déclaré que cette rencontre avait été d’une durée d’environ deux heures. M. Malouin lui aurait demandé s’il avait un problème d’alcool. L’auteur du grief affirme lui avoir répondu sans hésitation que c’était en effet le cas. C’est à ce moment que M. Malouin lui aurait proposé d’avoir recours aux services du Programme d’aide aux employés. Il s’en est d’ailleurs prévalu.

[18]   Le 20 avril 2000, l’auteur du grief était avisé que, à la suite des manquements allégués au code de conduite des agents des pêches, un comité serait formé afin de procéder à une enquête plus poussée et qu’il était suspendu pendant la durée de cette enquête ( pièce E-6). Le 25 avril 2000, l’auteur du grief a écrit une lettre d’excuses. Il y explique qu’il n’avait pas, jusqu’alors, compris l’impact de ses gestes et y souligne qu’il s’engage à ne pas les répéter (pièce E-8).

[19]   L’auteur du grief a rencontré Madeleine Rioux, psychothérapeute, à trois reprises, pour une durée totale de 2 h 30 minutes, les 1er, 11 et 26 mai 2000 (pièce G-20). Il a aussi déclaré s’être rendu à des rencontres du groupe Alcooliques Anonymes à quelques reprises.

[20]   Entre-temps, le 15 mai 2000, le comité d’enquête a présenté ses conclusions et recommandations sur les manquements allégués au code de discipline des agents des pêches ( pièce E-9) . Son enquête portait sur les reproches faits à l’auteur du grief et mentionnés plus haut, soit la conduite du véhicule du ministère alors que son permis de conduire était suspendu et l’omission d’informer son supérieur de la situation.

[21]   Après étude des circonstances, examen du témoignage de diverses personnes, analyse de la jurisprudence et des normes du ministère ainsi que celles du Conseil du Trésor, le comité d’enquête a conclu que l’une des trois mesures disciplinaires suivantes pourrait être appliquée, soit :

  1. la confiscation de la solde pour une période de 10 jours de travail;
  2. la confiscation de la solde pour une période entre 10 et 20 jours de travail;
  3. le renvoi en cours de stage.

[22]   Le comité d’enquête a recommandé la confiscation de la solde de l’auteur du grief pour une période de 10 jours sur la base des directives du Conseil du Trésor et du ministère en pareils cas et de la jurisprudence. Le comité d’enquête se basait aussi sur le dossier disciplinaire de l’auteur du grief, qui était sans tache. Il est à noter que le comité d’enquête a également tenu compte du fait que les superviseurs immédiats de l’époque n’avaient pas adéquatement encadré l’auteur du grief.

[23]   Le comité d’enquête proposait aussi que plusieurs autres mesures soient prises à l’égard de l’auteur du grief. En plus de la confiscation de solde, le comité d’enquête recommandait la prolongation de la période de stage et la mise en place d’un plan de redressement rigoureux fixant des conditions de bonne conduite. Il suggérait également que, conformément au programme, un moniteur à l’emploi soit assigné à l’auteur du grief. Il recommandait de plus que l’employeur rappelle et propose à l’auteur du grief les services du Programme d’aide aux employés et l’encourage à adopter une attitude plus convenable et à donner un meilleur rendement. Enfin, si l’auteur du grief était reconnu coupable de conduite avec facultés affaiblies et que son permis de conduire était suspendu, le comité d’enquête recommandait que l’employeur suspende l’auteur du grief sans solde   pendant la même période.

[24]   Le comité d’enquête recommandait de plus, qu’après analyse de son rapport, l’employeur procède à une nouvelle enquête concernant d’autres allégations de lacunes de l’auteur du grief en ce qui concerne ses comptes de dépenses, ses rapports hebdomadaires, ses cahiers de notes et sa ponctualité. Le comité d’enquête recommandait finalement que des mesures disciplinaires soient immédiatement prises à l’égard de l’auteur du grief, pour insubordination, du fait qu’il ne s’était pas présenté à l’enquête, malgré la demande claire de l’employeur.

[25]   M. Malouin a été mandaté pour mener une enquête complémentaire. L’auteur du grief a donc été avisé que sa suspension serait prolongée pendant cette deuxième enquête. M. Malouin a coordonné les vérifications suivantes : les comptes de dépenses, le temps supplémentaire, les rapports hebdomadaires du 15 août 1999 au 15 avril 2000, les livres de bord des véhicules, diverses anomalies concernant l’équipement de protection, les appels téléphoniques en soirée pendant la période où l’auteur du grief résidait au bureau du ministère à Ste-Anne-des-Monts, les congés de maladie, les rapports de présence et les allégations de retard continuel au travail. M. Malouin a également vérifié les divergences entre le carnet de notes de l’auteur du grief et les rapports de temps supplémentaire, les comptes de dépenses et les rapports hebdomadaires. Enfin, M. Malouin a vérifié auprès du superviseur que l’auteur du grief avait résidé au bureau pendant un certain temps.  

[26]   Les constatations de ces diverses vérifications ont été consignées dans un rapport et ont été présentées à l’auteur du grief le 31 mai 2000. Il a alors eu l’occasion de présenter sa version des faits et de s’expliquer sur chacun des neuf points qui ont fait l’objet de conclusions (pièce E-10).

[27]   M. Malouin a expliqué l’importance de certains des points qui ont été soulevés. Entre autres, la tenue méticuleuse du carnet de notes d’un agent des pêches est essentielle selon lui. Compte tenu du fait qu’un agent des pêches est souvent appelé à témoigner devant les tribunaux, cet outil lui permet de se situer dans le temps et de fournir un témoignage précis. Des manquements importants concernant l’entreposage des munitions, armes à feu et autres ont également été notés. L’auteur du grief a reconnu avoir entreposé son arme de service sans l’avoir déchargée, ne pas avoir placé sous clé un chargeur de pratique rempli de munitions et avoir laissé une « cannette d’AOC actif » dans le tiroir de son bureau, sans le verrouiller; tout ceci contrairement à la procédure normale.

[28]   Enfin, l’enquête a conclu que l’auteur du grief avait réclamé 7,5 heures de temps supplémentaire le 9 octobre 1999, alors qu’il n’aurait effectué qu’environ quatre heures de travail, et aurait réclamé dix heures de temps supplémentaire le 10 octobre 1999, alors qu’il n’aurait travaillé que durant ses heures régulières. Il y était également question du fait que l’auteur du grief se soit absenté pendant sept jours, en congé de maladie, sans avoir obtenu de certificat médical et sans avoir soumis de demande à cet effet.

[29]   Lors de la rencontre du 31 mai 2000, M. Malouin a avisé l’auteur du grief que l’employeur jugeait que ses lacunes étaient importantes. Il l’a informé que le dossier serait envoyé au niveau régional pour une décision et qu’on envisageait des mesures disciplinaires ainsi que la possibilité de soumettre l’auteur du grief à un plan de redressement prévoyant de le réintégrer dans son poste à Ste-Anne-des-Monts.

[30]   Selon M. Malouin, l’auteur du grief s’était déclaré très ouvert au plan de redressement; il s’y est montré très intéressé. Ce dernier a témoigné dans les mêmes termes. M. Malouin lui a expliqué les conséquences que le plan de redressement aurait sur sa progression de carrière et les conséquences possibles de manquements à ce plan.

[31]   Le 20 juin 2000, M. Malouin a remis à l’auteur du grief deux avis disciplinaires datés du 19 juin 2000. Le premier avis consiste en une suspension d’une journée, le 18 mai 2000, en raison de son omission de se présenter devant le comité d’enquête le 28 avril 2000, contrairement à la demande claire de l’employeur (pièce E-11(a)). Le deuxième avis disciplinaire consiste en une suspension de 20 jours, du 20 avril au 17 mai 2000, en conséqu ence de sa conduite à la suite de la suspension administrative de son permis de conduire (pièce E-11(b)) . Ces avis informent également l’auteur du grief de la possibilité que ses actions, advenant une récidive, puissent entraîner des mesures disciplinaires plus sévères pouvant aller jusqu'au congédiement.

[32]   M. Malouin a déclaré avoir expliqué à l’auteur du grief que l’employeur prenait la situation au sérieux et que l’employeur était disposé à aider l’auteur du grief à corriger les lacunes qui avaient été identifiées. Celles-ci se présentaient sous deux catégories. La première vise les normes de conservation et de protection et la deuxième vise les normes administratives du ministère. M. Malouin a alors remis à l’auteur du grief une ébauche du plan de redressement. Ce plan incluait la description de divers volets du travail de l’auteur du grief ainsi que les objectifs clairs que ce dernier devait satisfaire.

[33]   Un troisième avis disciplinaire, daté du 6 juillet 2000, a été remis à l’auteur du grief. Cet avis consiste en une suspension de huit jours, du 19 au 30 mai 2000 (pièce E-11(c)). Il concerne des manquements graves, identifiés lors de l’enquête complémentaire et que l’auteur du grief a qualifié de « nonchalances ». Il s’agit de la tenue inappropriée des notes et rapports ainsi que d’habitudes au niveau des équipements dits « en force continue ». L’auteur du grief était aussi avisé que le plan de redressement lui serait présenté. Le directeur régional signait ce troisième avis disciplinaire et concluait en rappelant à l’auteur du grief que toute récidive pouvait faire l’objet de sanctions plus sévères pouvant aller jusqu’au congédiement. M. Malouin a expliqué que, lorsqu’il a remis ces trois avis disciplinaires à l’auteur du grief, il lui en a expliqué le contenu et la portée.

[34]   L’auteur du grief a déclaré qu’il n’a pas voulu déposer de grief contre ces mesures disciplinaires car il a eu peur. Selon lui, il n’avait d’autre choix que de les accepter. Il craignait que d’autres mesures plus sévères lui soient alors imposées.

[35]   M. Malouin a expliqué le plan de redressement suggéré à l’auteur du grief (pièce E-12a)). Ce document identifie les points à corriger ainsi que les mesures proposées à cet effet. L’objectif de chaque mesure y apparaît. Le document prévoit également une case où les superviseurs et l’auteur du grief peuvent écrire leurs commentaires et évaluations. Ils peuvent ainsi faire des commentaires réguliers sur la progression du plan. Ce plan prévoyait également une formation sur le maniement des armes à feu. L’auteur du grief a d’ailleurs suivi cette formation du 20 au 24 juin 2000 et il a réussi les examens s’y rattachant.

[36]   Le premier volet du plan de redressement vise la période du 17 juillet au 13 août 2000 (pièce E-12b)). Il a été remis à l’auteur du grief le 17 juillet 2000. Un deuxième volet couvre la période du 16 octobre au 22 décembre 2000 (pièce E-12c)). Il a été remis à l’auteur du grief le 13 octobre 2000.

[37]   L’auteur du grief a expliqué que, le 20 juin 2000, M. Malouin l’a informé qu’il pourrait consulter un médecin de Montréal pour traiter son problème d’alcoolisme. Il a accepté immédiatement. Toutefois, il n’a plus jamais été question de cette initiative par la suite. L’auteur du grief crois qu’il ne lui revenait pas de prendre l’initiative de ce projet puisqu’on le lui imposait. Il attendait plutôt la suite des événements.

[38]   M. Malouin a témoigné qu’il avait évoqué, le 20 juin 2000, la possibilité pour l’auteur du grief de consulter un médecin du ministère de la Santé à Montréal. Il devait discuter à nouveau de cette option avec l’auteur du grief à la suite de son retour d’un détachement de trois semaines sur la Basse-Côte-Nord. À ce moment, lorsque M. Malouin a voulu à nouveau préciser son intérêt pour une telle consultation, l’auteur du grief lui aurait répondu qu’il n’avait pas de problème, qu’il n’avait pas besoin de cette démarche.

[39]   M. Malouin a déclaré que le plan de redressement du 17 juillet au 13 août 2000 n’a soulevé aucun problème. L’auteur du grief a confirmé cet élément. Le plan a donc été prolongé jusqu’en décembre 2000. Andrew Rowsell, alors superviseur de l’auteur du grief, faisait le suivi du plan. M. Malouin a expliqué que, du mois d’août au mois d’octobre 2000, le plan n’était pas en place puisque certains événements ont exigé beaucoup d’attention, dont ceux de Burnt Church au Nouveau-Brunswick.   De plus, M. Rowsell a dû s’absenter et les vacances sont arrivées. En fait, le plan n’a été remis en place qu’en octobre 2000.

[40]   Selon M. Malouin, des lacunes ont commencé à apparaître au mois d’octobre 2000 en ce qui concerne certaines absences. Les 13 et 16 octobre 2000, des demandes de congé compensatoire ont été faites alors que l’auteur du grief n’avait pas de crédits de temps compensatoire dans sa banque de congés. Par la suite, les 8 et 18 décembre 2000, l’auteur du grief a pris des congés qui ont semblé douteux.

[41]   Le 7 décembre 2000, l’auteur du grief aurait demandé un congé à M. Rowsell pour rencontrer son institution financière le 8 décembre 2000. Celui-ci étant en réunion, il ne pouvait approuver cette demande. Étant en communication avec Daniel Perron, du bureau régional de Québec, l’auteur du grief lui a demandé congé au motif qu’il avait un rendez-vous chez son médecin le 8 décembre 2000, donc pour un motif différent de celui présenté à M. Rowsell. L’auteur du grief aurait, par la suite, à la demande de la gestion, présenté un certificat médical par télécopieur. Toutefois, l’auteur du grief n’a pu faire la preuve de cette transmission par télécopieur.

[42]   L’auteur du grief a expliqué qu’il avait fait sa demande de congé à MM. Rowsell et Perron, en mentionnant la même raison. Il ne peut expliquer pourquoi M. Perron n’a mentionné qu’un seul motif dans son rapport à M. Rowsell. L’auteur du grief a déclaré qu’il avait informé les deux gestionnaires qu’il devait aller chez le médecin et qu’il en profiterait pour se rendre à une institution financière.

[43]   Le 18 décembre 2000, l’auteur du grief ne s’est pas présenté à un atelier obligatoire de formation en techniques de premiers soins. Il s’agit de techniques pour lesquelles tous les agents des pêches doivent être certifiés. Il n’a pas avisé ses superviseurs de son absence. MM. Malouin et Rowsell, qui étaient présents à cet atelier, ont donc constaté l’absence de l’auteur du grief. M. Rowsell a tenté de contacter ce dernier, mais sans succès.

[44]   L’auteur du grief s’est présenté à l’atelier de formation le 19 décembre 2000, mais il a dû partir immédiatement, à la demande de l’instructeur, puisqu’il n’avait pas assisté au début de l’atelier et ne pouvait donc obtenir son certificat. M. Malouin a donc convoqué l’auteur du grief à une rencontre pendant l’heure du midi le même jour.

[45]   M. Malouin a alors demandé à l’auteur du grief des explications concernant son absence et le fait qu’il n’en avait pas avisé ses supérieurs. L’auteur du grief lui aurait indiqué qu’il avait dû se présenter à la clinique médicale, s’étant blessé lors d’une partie de hockey au cours de la fin de semaine précédente. Quant à l’omission d’aviser ses superviseurs, l’auteur du grief n’aurait pas fourni d’explication. Celui-ci n’avait pas non plus de certificat médical en sa possession.

[46]   M. Malouin a alors avisé l’auteur du grief que, en raison de ces événements et d’autres lacunes constatées au cours des mois précédents, il y aurait lieu de faire une nouvelle évaluation de son dossier et qu’il pourrait y avoir des conséquences disciplinaires. M. Rowsell a confirmé la tenue de cette rencontre et les informations communiquées à l’auteur du grief. Il a également confirmé que ce dernier avait dit s’être blessé lors d’une partie de hockey durant la fin de semaine précédente.

[47]   M. Malouin a déclaré qu’il se doutait que l’auteur du grief avait certaines difficultés personnelles. Il lui a demandé à deux ou trois reprises s’il avait certains problèmes financiers, d’alcool ou de drogue. Chaque fois, l’auteur du grief aurait nié tout problème. M. Malouin a déclaré l’avoir tout de même référé au Programme d’aide aux employés. Cette suggestion avait été faite dans une lettre du 9 juin 2000, ainsi que lors des rencontres du 20 juin et du 17 juillet 2000. M. Malouin a également demandé aux collègues et autres superviseurs de l’auteur du grief de s’informer à ce sujet.

[48]   M. Rowsell a déclaré qu’il se doutait également que l’auteur du grief vivait certains problèmes. Il s’en est informé à deux reprises. L’auteur du grief lui aurait répondu par la négative. M. Rowsell a de plus souligné que, lors du stage de trois semaines de l’auteur du grief à Blanc Sablon, un agent de la Sureté du Québec l’avait avisé que l’auteur du grief et un autre agent des pêches avaient conduit dans le village en excédant la vitesse permise. L’agent de la Sureté du Québec mettait M. Rowsell en garde. M. Rowsell s’est chargé de réprimander les deux agents des pêches en question. L’auteur du grief a reconnu cet incident, mais a spécifié qu’il n’était pas le conducteur du véhicule à cette occasion.

[49]   Le 9 janvier 2001, à Québec, MM. Malouin et Rowsell ont rencontré Lucie Aubain, Martine Demers et Christianne Perron, de la direction régionale des ressources humaines. Le but de cette rencontre était de discuter du problème de rendement de l’auteur du grief, tel que constaté au cours de la dernière portion du plan de redressement. Il s’agissait de faire le point. M. Malouin a indiqué qu’il avait finalement été décidé d’examiner les allégations concernant les événements d’octobre et de décembre 2000 et de réévaluer de quelle façon l’auteur du grief pouvait poursuivre sa carrière au ministère.

[50]   Au cours du mois de janvier 2001, M. Malouin a donc coordonné cette évaluation. M. Malouin a fait rapport de ses conclusions et a présenté une analyse du dossier de l’auteur du grief depuis le mois d’août 1999, date de son embauche, jusqu'à janvier 2001 (pièce E-18).

[51]   M. Rowsell a vérifié auprès de la compagnie de crédit American Express, qui avait avisé l’employeur que le compte de l’auteur du grief était en souffrance depuis un an. Il a alors été avisé que la compagnie de crédit s’apprêtait à entreprendre des poursuites judiciaires en recouvrement de dette. L’auteur du grief a déclaré qu’il avait encouru ces dépenses alors qu’il était au bureau de Grande-Rivière. Il a eu par la suite des problèmes financiers et a déclaré faillite. Ce montant aurait été déclaré dans la faillite.

[52]   M. Malouin a communiqué avec l’auteur du grief le 2 février 2001 pour l’aviser du résultat de ses recherches et de ses recommandations, tel que discuté avec lui le 19 décembre 2000. Ce dernier avait terminé sa saison d’emploi le 22 décembre 2000. Il devait reprendre le travail à la fin février 2001.

[53]   À la même époque, M. Malouin a appris que l’auteur du grief avait été arrêté une deuxième fois pour conduite en état d’ébriété. Il était possible que son permis de conduire soit suspendu à nouveau et qu’il séjourne en centre de désintoxication. Bien que sa nouvelle saison d’emploi n’ait pas commencé, l’auteur du grief a laissé plusieurs messages à différents gestionnaires pour les aviser de la situation. La date de reprise d’emploi, prévue pour le 26 février 2001, a donc été reportée de façon indéfinie, à la demande de l’auteur du grief (pièce E-17).

[54]   Le rapport de M. Malouin relate les préoccupations de l’employeur par rapport à diverses catégories de tâches et responsabilités identifiées dans l’énoncé de qualités pour les agents des pêches de groupe et niveau GT-01. Ce rapport recommande que l’auteur du grief soit renvoyé en cours de stage, dés le 1er avril 2001. M. Malouin dit avoir rencontré l’auteur du grief à Ste-Anne-des-Monts avec M. Rowsell, le 6 mars 2001, pour lui faire part de la recommandation faite au niveau régional. Il lui a alors clairement indiqué que la recommandation consistait en un renvoi en cours de stage. M. Rowsell a témoigné à cet effet.

[55]   L’auteur du grief a déclaré que, lorsque ses supérieurs lui ont expliqué qu’ils recommandaient son renvoi en cours de stage, il avait compris qu’il retournerait en période de stage, croyant, à l’époque, que son stage était déjà terminé. Ce n’était donc pour lui qu’un retour en arrière et non pas une fin d’emploi.

[56]   La recommandation de M. Malouin a été suivie et confirmée par une lettre datée du 25 juillet 2001 (pièce E-19).   Cette lettre est à l’origine du présent grief. M. Malouin soutient que le renvoi de l’auteur du grief en cours de stage est basé sur l’ensemble du dossier de ce dernier et répond à son problème de rendement. M. Malouin croit que le ministère a offert à l’auteur du grief toute l’aide possible pour régler son problème de rendement. L’auteur du grief avait des directives claires, mais ne les a pas suivies.

[57]   Selon M. Malouin, la seconde arrestation de l’auteur du grief pour conduite en état d’ébriété et son entrée au centre de désintoxication Le Pavillon Chaleurs Inc. n’a eu aucun effet sur la recommandation de le renvoyer en cours de stage. Ces événements étant postérieurs à la préparation de son rapport et étant en dehors de la période de son analyse, ils n’étaient pas pertinents à la décision qui devait être prise.

[58]   L’auteur du grief soutient le contraire et souligne que, dans une lettre datée du 27 septembre 2000 (pièce E-20), il avait informé l’employeur de ses problèmes financiers. Dans cette lettre, il demandait d’être réaffecté à Grande-Rivière pour être plus près de sa famille. En contre-interrogatoire, M. Malouin a reconnu que le climat de travail à Ste-Anne-des-Monts était difficile en raison de la restructuration des bureaux du ministère et des événements tragiques qui y avaient eu lieu : l’un des agents des pêches s’y était suicidé.

[59]   M. Malouin reconnaissait également que, contrairement aux termes du programme, l’auteur du grief n’avait pas eu de moniteur d’emploi au cours de l’an 2000 (pièce E-4). Il a également convenu que, au cours de sa deuxième saison d’emploi, l’auteur du grief n’avait pas fait l’objet d’une évaluation tous les trois mois, contrairement à ce que prévoyait le programme.

[60]   M. Malouin a expliqué que deux agents des pêches de Ste-Anne-des-Monts  avaient commencé leur formation en même temps que l’auteur du grief . À cette époque, les ressources faisaient en sorte qu’il n’était pas exceptionnel que les agents des pêches de groupe et niveau GT-01 et GT-02 n’aient pas de moniteur d’emploi assigné. Les superviseurs de terrain exerçaient les responsabilités de moniteur d’emploi. Les deux autres agents des pêches ont bénéficié du programme et ont été promus aux groupe et niveau GT-03. Cet avancement n’a pas été accordé à l’auteur du grief , compte tenu de ses difficultés à la même époque.

[61]   L’auteur du grief a déclaré qu’il voyait le programme comme une simple formalité. Les superviseurs n’étaient pas présents et ils remplissaient les documents de façon très aléatoire, sans faire les vérifications appropriées avec les agents des pêches et sans leur apporter quelque appui que ce soit.

Résumé de l’argumentation

Arguments de l’employeur

[62]   L’employeur soutient que je devrais déclarer le grief devant moi non arbitrable puisqu’il conteste le renvoi de l’auteur du grief en cours de stage pour des motifs liés à l’emploi et à sa compétence. Il n’y aucune preuve de camouflage ou de subterfuge qui puisse donner compétence à un arbitre de grief.

[63]   Bien qu’un arbitre de grief soit justifié d’examiner les circonstances entourant un renvoi en cours de stage pour décider de sa compétence, une jurisprudence claire et abondante a établi de façon précise les critères d’une telle  analyse. La jurisprudence a également établi que le fardeau de la preuve appartient à l’employeur, qui doit démontrer que le renvoi en cours de stage est lié à l’emploi. Cette tâche, toutefois, n’exige pas de l’employeur qu’il démontre un motif valable de renvoi.

[64]   Dès que cette preuve est satisfaite, il y a renversement du fardeau de la preuve, et l’auteur du grief doit démontrer que le renvoi en cours de stage est en réalité un camouflage ou une supercherie. Ce fardeau est très lourd pour l’auteur du grief, qui doit établir de façon claire et convaincante qu’il y a mauvaise foi de la part de l’employeur et qu’il s’agit d’une manœuvre de sa part pour le renvoyer.

[65]   Dans la présente affaire, l’auteur du grief a invoqué que le motif réel de son renvoi en cours de stage est lié à son problème admis d’alcoolisme, un motif illégal de licenciement, pour lequel il a par ailleurs déposé une plainte devant la C.C.D.P. L’auteur du grief base donc son grief sur deux arguments, soit le subterfuge et l’incapacité de l’employeur d’aider l’auteur du grief à surmonter ses difficultés de rendement dues à ses problèmes personnels, incluant son alcoolisme.

[66]   Or, en avril 2000, à la suite des manquements graves de l’auteur du grief lors du premier accident d’automobile, l’employeur a décidé d’imposer une mesure disciplinaire. Il avait le choix entre une mesure disciplinaire et le renvoi en cours de stage, tel que décidé dans Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.). L’employeur a fait ce choix, compte tenu de certaines circonstances propres à l’emploi de l’auteur du grief. Il est à noter que l’enquête disciplinaire portait sur la conduite de ce dernier dans le cadre de son emploi, et non sur le fait d’avoir été arrêté pour conduite en état d’ébriété.

[67]   L’employeur avait alors reconnu un certain manque de supervision et une situation intérimaire difficile. L’auteur du grief n’avait pas de moniteur à l’emploi et des événements bouleversants avaient eu lieu au bureau. L’employeur a donc décidé d’accorder une deuxième chance à l’auteur du grief. Toutefois, il a aussi décidé de bien encadrer ce dernier et a mis en place un plan de redressement.

[68]   À partir de ce moment, l’auteur du grief avait très peu de marge de manœuvre en ce qui concerne son comportement. Cette marge était également très mince en ce qui concerne la démonstration de sa compétence et de son bon jugement à titre d’agent des pêches et, plus particulièrement, d’agent de la paix. À partir de ce moment,   un suivi plus serré de sa formation a été effectué. Le plan de redressement avait clairement identifié ses faiblesses et ses manquements.

[69]   Selon le témoignage de M. Malouin, il était très clair qu’il s’agissait d’une chance ultime pour l’auteur du grief de prouver qu’il avait les compétences et les qualités pour accomplir les fonctions de son poste. Il n’y avait aucune ambiguïté que l’échec de ce plan de redressement pouvait signifier son renvoi. Les éléments de ce plan sont clairement liés à l’accomplissement des tâches et aux responsabilités du poste de l’auteur du grief.

[70]   L’auteur du grief a également été avisé, lors de la rencontre du 19 décembre 2000, que son inconduite de la veille était inacceptable, qu’une enquête plus approfondie sur tout autre manquement ou inconduite serait menée et qu’il serait avisé de toute décision en découlant, qui pourrait aller jusqu’à son congédiement. L’employeur note que, à cette époque, il n’est déjà plus question de problème d’alcool chez l’auteur du grief, ce problème remontant à avril 2000. C’est la question de la compétence de l’auteur du grief au regard de son bon jugement et de sa fiabilité qui préoccupe alors l’employeur.

[71]   Selon l’employeur, la crédibilité de l’auteur du grief est un facteur à considérer dans l’analyse du présent dossier. Ce facteur est pertinent pour jauger la divergence des témoignages et pour évaluer la crédibilité de l’auteur du grief lors des enquêtes et tout au long de son stage. Enfin, il est pertinent pour comprendre l’opinion que l’employeur s’est faite sur le manque de fiabilité de l’auteur du grief. L’employeur a souligné un bon nombre de contradictions dans le témoignage de l’auteur du grief ainsi que dans la preuve, incluant la nature des documents que l’auteur de grief a présentés à l’audience. En effet, le poste d’agent des pêches exige un très haut degré de fiabilité et de transparence tant envers l’employeur et le public, qu’envers les autres forces de l’ordre.

[72]   En ce qui concerne le problème d’alcoolisme de l’auteur du grief, la seule preuve présentée par celui-ci consiste en un certificat du Pavillon Chaleurs Inc., accompagné d’un rapport de séjour (pièce G-18). Aucune preuve n’a été présentée au support d’un diagnostic d’alcoolisme et le fait d’avoir été arrêté en état d’ébriété, à deux occasions, ne permet pas de conclure à un problème d’alcoolisme. Selon les témoins de l’employeur, l’auteur du grief a toujours refusé d’admettre un tel problème.

[73]   L’employeur soumet qu’il a prouvé que les motifs du renvoi de l’auteur du grief en cours de stage sont liés à l’incompétence et à l’attitude de ce dernier face aux tâches et responsabilités d’un agent des pêches. Il n’y a pas de preuve de mauvaise foi ou de supercherie de la part de l’employeur lorsqu’il a pris la décision de renvoyer l’auteur du grief en cours de stage. L’objection de l’employeur devrait donc être maintenue.

[74]   Au soutien de sa position, l’employeur soumet les décisions Penner, précitée; Canada (procureur général) c. Leonarduzzi, 2001 CFPI 529; Owens c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2003 CRTFP 33, Ross c. Conseil du Trésor (Service correctionnel Canada), 2003 CRTFP 97; Lundin c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2004 CRTFP 167; Wright c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 139.

Arguments de l’auteur du grief

[75]   L’auteur du grief soutient que l’employeur a agi de mauvaise foi en décidant de le renvoyer en cours de stage. Un arbitre de grief aurait donc compétence pour ordonner sa réintégration, rétroactivement au 25 juillet 2001. Il souligne que la preuve a démontré, documents à l’appui (pièces E-30 et E-9), qu’il n’a pas obtenu le suivi ni la formation appropriés avant l’incident d’avril 2000, ni par la suite. On ne peut donc conclure à son inaptitude à remplir ses fonctions.

[76]   L’employeur a admis que l’auteur du grief n’avait pas eu de moniteur à l’emploi,  contrairement aux termes du programme. La preuve a également démontré que le Registre de formation sur le terrain de l’auteur du grief n’a pas été rempli de façon appropriée (pièce G-14). L’auteur du grief a même dû se déplacer lui-même pour aller rencontrer M. Duguay au bureau de Grande-Rivière, pour remplir ce document, alors que M. Duguay n’est pas moniteur à l’emploi et n’a jamais travaillé avec l’auteur du grief.

[77]   Lorsqu’un plan de redressement a été présenté à l’auteur du grief, celui-ci l’a accueilli avec enthousiasme. Il a témoigné qu’il était heureux de ce suivi et que, en fait, tout allait bien. D’ailleurs, l’employeur n’avait aucun reproche à lui faire avant le 18 décembre 2000. L’auteur du grief a également noté que le plan de redressement pour la période d’octobre à décembre 2000 ne lui a jamais été présenté. Il a été rempli à la fin de la saison d’emploi, le 22 décembre 2000.

[78]   L’auteur du grief a également souligné qu’il est saugrenu de souscrire à l’argument de l’employeur voulant que son problème d’alcoolisme lui ait servi d’excuse. La reconnaissance d’un tel problème ne se fait pas si facilement et se communique encore moins facilement.

[79]   Lorsqu’il a été arrêté une deuxième fois pour conduite en état d’ébriété, l’auteur du grief en a immédiatement avisé l’employeur, même si sa nouvelle saison d’emploi n’avait pas encore débuté, puisque c’est ce qu’on lui avait reproché la première fois. Il s’est immédiatement inscrit en thérapie au Pavillon Chaleurs Inc. C’était donc un choc pour lui de recevoir la lettre du 2 février 2001, l’avisant des manquements au plan de redressement du mois d’octobre au mois de décembre 2000.

[80]   L’auteur du grief a commenté la crédibilité de son témoignage et de ses gestes. Il a fait remarquer que les événements dataient déjà d’environ quatre ans au moment de l’audience. Il soutient, par ailleurs, que les reproches qui lui auraient été faits après le 19 décembre 2000 ne lui ont jamais été communiqués et qu’il n’a jamais eu d’occasion de s’expliquer.

[81]   Enfin, l’auteur du grief souligne que l’employeur a reconnu des manquements à son suivi et à sa formation dans son rapport du 29 mai 2000 et a aussi reconnu son problème d’alcoolisme lorsqu’il lui a été proposé de rencontrer un médecin de Santé Canada. Enfin, dans le rapport déposé sous la cote E-18, dans lequel M. Malouin recommande de mettre fin à l’emploi de l’auteur du grief, plusieurs allusions sont faites à son problème d’alcoolisme et à son impact sur la décision de l’employeur. Il ne s’agit donc pas exclusivement d’une question de compétence et de qualifications pour exécuter les fonctions de son poste d’agent des pêches.

[82]   Contrairement à ce que soutient l’employeur, il a été établi que l’auteur du grief connaît un problème d’alcoolisme. Ce dernier l’a admis. Le résumé de stage au Pavillon Chaleurs Inc. prouve un suivi en centre de détoxication (pièce G-18).   M. Malouin a témoigné qu’il se doutait que l’auteur du grief avait un problème d’alcoolisme. Il a recommandé à plusieurs reprises le recours au Programme d’aide aux employés. De plus, il a déclaré s’être informé auprès d’autres employés concernant le problème d’alcoolisme de l’auteur du grief. L’auteur du grief allègue que la preuve permet de conclure qu’il avait un problème d’alcoolisme ou, du moins, que l’employeur s’en doutait. C’est pour cette raison qu’il a renvoyé l’auteur du grief en cours de stage.

[83]   L’auteur du grief soutient donc que la preuve est concluante à l’effet que l’employeur a agi de mauvaise foi. La compétence de l’arbitre de grief est établie. Il demande à être réintégré dans son poste, en date du 25 août 2001 et sans perte de salaire ou d’avantages sociaux.

[84]   Au soutien de sa position, l’auteur du grief soumet les décisions Leonarduzzi, précitée; Dekoning c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-22971 et 149-02-129 (1993) (QL); Holden c. Canadian National Railway Co., [1990] F.C.J. No. 419 (C.A.), et English c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 72.

Réplique de l’employeur

[85]   L’employeur soutient qu’il a toujours été très transparent en ce qui concerne les manquements ou suivis de l’auteur du grief. C’est pour cette raison qu’il n’a pas procédé à son renvoi en cours de stage à la suite de l’inconduite grave d’avril 2000. L’employeur avait également été transparent quant à son évaluation des compétences et qualités de l’auteur du grief. Il lui avait refusé de participer au programme, contrairement à ses deux collègues.

[86]   Enfin, l’employeur souligne que, contrairement aux décisions Dhaliwal c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Services correctionnels), 2004 CRTFP 109 et Dekoning, précitée, le présent dossier n’a pas démontré que l’auteur du grief possède les compétences et habiletés nécessaires à la bonne exécution des fonctions de son poste d’agent des pêches; bien au contraire.

Motifs

[87]   L’employeur a congédié l’auteur du grief alors que ce dernier était en période de stage (2004 CRTFP 68). L’employeur allègue qu’il a renvoyé l’auteur du grief en cours de stage, conformément aux dispositions du paragraphe 28(2) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, et que je n’ai pas compétence pour instruire le grief devant moi. Quant à lui, l’auteur du grief prétend que son congédiement constitue un licenciement disciplinaire déguisé. Le paragraphe 92(1)b) de l’ancienne Loi donne compétence à un arbitre de grief pour instruire un grief portant sur un licenciement.

[88]   Je dois d’abord me prononcer sur l’objection à la compétence d’un arbitre de grief soulevée par l’employeur. La Cour fédérale a décidé dans Leonarduzzi, précitée,   qu’un arbitre de grief a compétence pour décider si un congédiement constitue effectivement un renvoi en cours de stage. Le fardeau initial de la preuve incombe alors à l’employeur, qui doit produire un minimum de preuve démontrant que le congédiement est motivé par une raison liée à l’emploi du fonctionnaire.   Lorsqu’une telle preuve est faite, le fardeau de la preuve est alors renversé et le fonctionnaire doit établir que l’employeur a agi de mauvaise foi ou que les motifs invoqués au soutien du congédiement constituent un subterfuge.

[89]   La lettre de l’employeur du 25 juillet 2001, qui informait l’auteur du grief de son renvoi en cours de stage, invoquait des motifs qui semblaient essentiellement de nature disciplinaire. Cette lettre de renvoi fait cependant référence à une mise en garde adressée à l’auteur du grief le sommant d’adopter un comportement plus rigoureux, faute de quoi des mesures plus sévères pouvaient être prises, incluant la fin de son emploi. Ses contraventions au code de conduite des agents des pêches ont été interprétées par l’employeur comme démontrant son inaptitude et son manque de rigueur dans l’accomplissement de ses fonctions d’agent des pêches. Au cours de l’audience, l’employeur s’est donc efforcé de démontrer que l’auteur du grief avait un rendement insuffisant au regard des objectifs qui lui avaient été fixés.

[90]   De plus, le dossier devant moi indique que les réponses données aux deuxième et dernier paliers de la procédure applicable aux griefs mentionnent expressément les problèmes de compétence et de rendement de l’auteur du grief. Puisque les parties ont discuté de l’insuffisance de rendement et des aptitudes personnelles de ce dernier dans le cadre de la procédure applicable aux griefs, j’en conclus que le grief renvoyé à l’arbitrage n’est pas différent de celui qui a été traité dans le cadre de la procédure applicable aux griefs.

[91]   La preuve des difficultés de rendement de l’auteur du grief présentée par l’employeur m’a démontré, témoignages et rapports à l’appui, que l’auteur du grief a été renvoyé en cours de stage pour des motifs liés à son inaptitude. En effet, l’auteur du grief a été soumis à un plan de redressement qui a servi de plan de formation subsidiaire. Les objectifs qu’il devait rencontrer y étaient clairement énoncés. Ce plan a été élaboré compte tenu de ses besoins particuliers. L’auteur du grief était alors très étroitement encadré.

[92]   Ces éléments sont liés à l’emploi de l’auteur du grief et un arbitre de grief n’a pas à substituer son jugement à celui de l’employeur dans ces circonstances, à moins que l’auteur du grief puisse démontrer la mauvaise foi de l’employeur ou que les motifs de renvoi en cours de stage invoqués par ce dernier constituent un subterfuge.

[93]   La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Penner, précité, a établi qu’un arbitre de grief n’a pas compétence pour se pencher sur la question de savoir si la décision de renvoyer le fonctionnaire était appropriée ou bien fondée, dès qu’il est convaincu que la décision contestée procédait d’une insatisfaction éprouvée de bonne foi à l’égard de l’aptitude du fonctionnaire.

[94]   Il est bien établi en droit que la mauvaise foi ne se présume pas : elle doit être démontrée. Or, l’auteur du grief ne m’a présenté aucune preuve qui puisse me permettre de conclure, sur une prépondérance des probabilités, de la mauvaise foi de l’employeur. L’arrêt Penner, précité, a également indiqué que le choix d’imposer des mesures disciplinaires ou de renvoyer un fonctionnaire en cours de stage appartient à l’employeur, en autant, encore une fois, qu’il soit de bonne foi. Le seul fait que le comportement soit passible de mesures disciplinaires ne constitue donc pas une preuve à l’effet que le congédiement soit effectivement une mesure disciplinaire.

[95]   L’auteur du grief prétend que les motifs invoqués par l’employeur au soutien de sa décision de le renvoyer en cours de stage constituent un subterfuge : il prétend que l’employeur l’a vraiment congédié parce que ce dernier se doutait qu’il avait un problème d’alcoolisme. Ici encore, l’auteur du grief n’a pas rencontré son fardeau de preuve. Bien qu’il soit établi que l’employeur soupçonnait que l’auteur du grief connaissait des problèmes d’alcool, la preuve devant moi ne me permet pas de conclure, sur une prépondérance des probabilités, que l’employeur a mis fin à son emploi pour cette raison. L’auteur du grief n’a d’ailleurs pas fait la preuve d’un problème d’alcoolisme.

[96]   Je conclus, selon la preuve et les témoignages qui m’ont été présentés, que les motifs à l’appui de la décision de l’employeur de renvoyer l’auteur du grief en cours de stage sont liés à l’emploi de ce dernier. L’auteur du grief n’a pas démontré, sur une balance des probabilités, de la mauvaise foi de la part de l’employeur ou que ce dernier a eu recours à un subterfuge pour le renvoyer en cours de stage. Ainsi, compte tenu de la jurisprudence, je fais droit à l’objection de l’employeur, et rejette le grief pour défaut de compétence.

[97]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[98]   Le grief est rejeté.

Le 24 mars 2006.

Sylvie Matteau,
arbitre de grief

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