Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé travaillait au service de recouvrement et occupait un poste de PM-02 -- souvent, il occupait par intérim un poste de PM-03 -- il était aussi un représentant syndical -- jusqu’en 1996, son rendement était excellent et il gérait des dossiers complexes et guidait, à l’occasion, d’autres employés -- à compter de 1996 l’employeur a resserré les règles de gestion -- le fonctionnaire s’estimant lésé déplorait cette situation et trouvait que le climat de travail était oppressant -- il était aussi exaspéré par le peu de suivi apporté aux cas de deux de ses collègues de travail qu’il représentait -- en mai 1997, il consulte un médecin qui constate qu’il est en état d’épuisement et le place en congé de maladie -- le fonctionnaire s’estimant lésé devait retourner au travail en janvier 1998, mais son médecin spécialiste prolonge la période jusqu’en mai 1998 puis à l’été 1998 -- en février 1998, l’employeur exige une autre expertise et le réfère à un médecin choisi par Santé Canada, qui conclut que le fonctionnaire s’estimant lésé pouvait retourner au travail -- le diagnostic est contesté par le fonctionnaire s’estimant lésé et l’employeur accepte de faire faire une deuxième expertise, qui conclut encore qu’il est apte à retourner au travail -- ce rapport a été contesté de nouveau et l’employeur a référé le fonctionnaire s’estimant lésé pour une troisième expertise, encore par ce même médecin en juillet 1998, et il confirme encore une fois que le fonctionnaire s’estimant lésé peut reprendre ses fonctions -- le fonctionnaire s’estimant lésé a vu son médecin spécialiste en août 1998 et ce dernier a consenti au retour au travail mais suggère un autre lieu de travail -- le fonctionnaire s’estimant lésé refuse de se présenter au travail et il a été congédié -- selon l’arbitre de grief, le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas de raisons suffisantes pour refuser de retourner travailler -- le médecin spécialiste ainsi que le médecin choisi par Santé Canada sont d’avis qu’il est apte à reprendre son travail -- bien que le médecin spécialiste suggère un autre poste, il ne l’impose pas -- la décision la jurisprudence de la Cour fédérale confirme qu’un arbitre de grief n’a aucune compétence sur des questions de droits de la personne -- le fonctionnaire s’estimant lésé n’a présenté aucun élément objectif justifiant qu’il puisse refuser de se présenter à son poste de travail et exiger un transfert -- la notion d’obéir et d’ensuite déposer un grief prend toute son application. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-03-21
  • Dossiers:  166-34-29158 et 31984
  • Référence:  2006 CRTFP 30

Devant un arbitre de grief



ENTRE

GILLES SAINTE-MARIE

fonctionnaire s’estimant lésé

et

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Sainte-Marie c. Agence des douanes et du revenu du Canada

Affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Jean-Pierre Tessier, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :  Laurent Trudeau, avocat

Pour l'employeur : Stéphane Hould, avocat


Affaire entendue à Montréal (Québec),
du 25 au 28 mai 2004, du 20 au 22 octobre 2004,
les 1 et 2 mars 2005 et dépôt de documents le 1er juin 2005.


Griefs renvoyés à l'arbitrage

[1]   Gilles Sainte-Marie est à l’emploi de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’employeur) depuis 1984 (autrefois Revenu Canada).   Le 12 décembre 2005, l’Agence change encore de nom pour devenir l’Agence du revenu du Canada.

[2]   À la suite de certaines difficultés éprouvées en 1997, le fonctionnaire s’estimant lésé s’est absenté de son travail pour cause de maladie, et ce, de mai 1997 jusqu’en septembre 1998.   À l’hiver 1998, l’employeur a demandé une expertise médicale en s’adressant à Santé Canada.   Le médecin choisi par Santé Canada a indiqué que le fonctionnaire s’estimant lésé pouvait retourner au travail dès février 1998.   Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté la validité de l’expertise et l’employeur a demandé de nouveaux examens par ce même médecin en mai et août 1998.   Le même médecin a confirmé que le fonctionnaire s’estimant lésé pouvait retourner au travail en juillet 1998.   L’employeur a exigé un retour au travail dès le 10 septembre 1998.

[3]   Le 11 septembre 1998, le fonctionnaire s’estimant lésé a répliqué qu’il ne pouvait pas retourner travailler au même endroit à cause du climat de travail qui y régnait.   Le 11 septembre 1998, l’employeur l’a congédié pour refus de se présenter au travail.

[4]   Le 25 septembre 1998, le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief et ce dernier était référé à l’arbitrage en juillet 1999.

[5]   Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur.   En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l'arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l' « ancienne Loi »).

[6]   L’audience a eu lieu du 25 au 28 mai 2004, du 20 au 22 octobre 2004, et les 1 et 2 mars 2005.   Le fonctionnaire s’estimant lésé a obtenu un délai jusqu’au 1 er juin 2005 pour produire des documents supplémentaires.

[7]   Le long délai pour fixer l’audience s’explique par le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé a logé une plainte à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) du Québec.   Le fonctionnaire s’estimant lésé prétend avoir été harcelé au travail et que sa maladie est une conséquence des actes de l’employeur.   De plus, il a déposé un grief relatif au harcèlement, qui lui, a aussi été renvoyé à l’arbitrage ( dossier de la CRTFP 166-34-31984 ).   Plusieurs demandes de remises ont été formulées pour l’obtention des documents et pour que la plainte de la CSST et ensuite l’appel à la Commission des lésions professionnelles (CLP) puissent être entendus. Compte tenu du délai des procédures devant la CLP, les parties ont finalement procédé devant moi en tant qu’arbitre de grief.

Contexte

[8]   Au début de l’audience, les parties ont convenu de reporter à une date ultérieure le grief de harcèlement (dossier de la CRTFP 166-34-31984) déposé par le fonctionnaire s’estimant lésé. La présente décision porte uniquement sur le dossier de congédiement.

[9]   Pour une bonne compréhension des faits, il m’apparait important d’en situer le contexte.   Le fonctionnaire s’estimant lésé travaillait au service de recouvrement de l’employeur et jusqu’en 1996, son rendement était excellent. Bien que classifié à un poste de groupe et niveau PM-02, le fonctionnaire s’estimant lésé occupait souvent, par intérim, un poste de   PM-03.   Il gérait des dossiers complexes et guidait, à l’occasion, d’autres employés au cours des années 1996 et 1997.

[10]   À compter de 1996, l’employeur a resserré les règles de gestion. On demandait, par exemple, au fonctionnaire s’estimant lésé de respecter ses échéanciers et on surveillait davantage ses déplacements.   Ce dernier déplorait cette situation et il trouvait le climat de travail oppressant, tant pour lui-même que pour les autres employés.   Parallèlement à son travail, il agissait comme représentant syndical et confrontait la direction pour certains cas.   Le peu de suivi apporté, particulièrement aux cas de deux de ses collègues de travail qu’il représentait, l’exaspérait au plus haut point. En mai 1997, il a quitté son travail et a consulté un médecin.   Ce dernier a constaté un épuisement ( « burn out » ) et il a placé le fonctionnaire s’estimant lésé en congé de maladie et l’a référé à un spécialiste.

[11]   Le fonctionnaire s’estimant lésé devait revenir au travail en janvier 1998 mais son médecin spécialiste a prolongé la période d’invalidité jusqu’en mai 1998 puis à l’été 1998.   En février 1998, l’employeur a exigé une autre expertise et a référé le fonctionnaire s’estimant lésé à un médecin choisi par Santé Canada.   Ce dernier a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé pouvait revenir au travail. Selon lui, les difficultés du fonctionnaire s’estimant lésé portaient sur des questions de relations de travail plutôt que sur l’accomplissement de ses tâches.   Pendant son invalidité, le fonctionnaire s’estimant lésé correspondait avec l’employeur relativement aux dossiers des fonctionnaires s’estimant lésés qu’il représentait.

[12]   Le fonctionnaire s’estimant lésé contestait le diagnostique du médecin choisi par l’employeur et il a souligné que ce médecin n’avait pas en main tout son dossier médical.   L’employeur a accepté la référence du fonctionnaire s’estimant lésé pour une deuxième expertise par le même médecin.   À nouveau, ce médecin a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé était apte à retourner au travail.   Ce rapport a été contesté par le fonctionnaire s’estimant lésé et l’employeur a référé le fonctionnaire s’estimant lésé pour une troisième expertise, encore par ce même médecin, en juillet 1998.   Le médecin a maintenu son diagnostique et l’employeur exige un retour au travail à la fin de l’été 1998.

[13]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a vu son médecin spécialiste en août 1998.  Ce dernier a consenti au retour au travail mais dans un autre lieu de travail.

[14]   Après quelques échanges de correspondance, l’employeur a exigé le retour du fonctionnaire s’estimant lésé à son poste de travail.   Ce dernier ne s’est pas présenté et a été congédié.

Résumé de la preuve

[15]   Renée-France Bouliane est gestionnaire au service de recouvrement depuis juin 1997. Le fonctionnaire s’estimant lésé avait quitté le travail pour raison d’invalidité en mai 1997.   À l’été 1997, Mme Bouliane a pris connaissance du dossier du fonctionnaire s’estimant lésé. Il y a eu échange de correspondance avec ce dernier afin de régler la comptabilisation des congés de maladie et de vacances du fonctionnaire s’estimant lésé et d’un autre employé que le fonctionnaire s’estimant lésé représentait (pièces E-1 à E-3) et qui lui aussi était en congé d’invalidité.

[16]   En juillet 1997, le fonctionnaire s’estimant lésé a fait parvenir copie d’une formule de demande d’indemnisation de la CSST et a réclamé 14 jours d’indemnisation.   Il a soutenu avoir été victime d’ostracisme et de pression indue par son superviseur Patrice   Allard (pièces E-4 à E-7).

[17]   En novembre 1997, Mme Bouliane a été informée que la demande d’indemnisation du fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas été acceptée par la CSST (pièce E-9).   Le 29 janvier 1998, Mme  Bouliane a constaté que le dernier certificat médical transmis par le fonctionnaire s’estimant lésé prévoyait un retour possible au travail dès le 5 janvier 1998.   Elle a informé le fonctionnaire s’estimant lésé qu’il devait voir le DLaperrière (psychiatre choisi par Santé Canada) pour une expertise médicale (pièce E-10).

[18]   Mme Bouliane a fait parvenir au DLaperrière une lettre l’informant de la situation antérieure de travail du fonctionnaire s’estimant lésé (problème de rendement au travail et situation d’oppression qu’il dénonçait, tant pour lui-même que pour le collègue qu’il représentait (pièce E-11)) et qui était en congé d’invalidité .

[19]   En février 1998, Mme Bouliane a pris connaissance des conclusions du rapport médical rédigé par le DLaperrière. Ce dernier a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas de problème médical l’empêchant de retourner au travail.   Selon ce dernier, le fonctionnaire s’estimant lésé aurait des problèmes au niveau des relations de travail qui devaient être solutionnés au plan administratif (pièce E-12).   Mme Bouliane a fait part de la situation au fonctionnaire s’estimant lésé et a exigé un retour au travail pour le 11 mars 1998 (pièce E-13).

[20]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait parvenir une copie des certificats émis par le DOuellette, son psychiatre.   Il considérait que les demandes de l’employeur étaient des démarches excessives et constituaient un obstacle à sa guérison (pièces E-14 et E-15).

[21]   Se basant sur l’expertise du médecin choisi par Santé Canada, Mme Bouliane a écrit au fonctionnaire s’estimant lésé pour lui demander de retourner au travail pour le 23 mars 1998 (pièce E-16). Cependant, elle indique à ce dernier que s’il autorise l’accès aux documents de ses médecins traitant, un congé pour maladie pourrait être accordé, le temps d’obtenir une deuxième évaluation médicale du DLaperrière qui a été choisi par Santé Canada (pièce E-16). Le fonctionnaire s’estimant lésé a transmis l’autorisation d’accès à son dossier médical et a indiqué que le DOuellette le considérait toujours inapte à retourner au travail (pièces E-17 et E-18).

[22]   Le 2 juin 1998, la conclusion de la seconde expertise du DLaperrière a été acheminée à l’employeur. Le diagnostique du retour au travail a été maintenu (pièce E-19).   Mme Bouliane a exigé un retour au travail pour le 6 juillet 1998. Dans cette convocation, elle indique que l’horaire de travail serait discuté ainsi qu’un plan de redressement (pièce E-20).

[23]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a écrit qu’il ne pouvait retourner au travail avant septembre 1998.   Il a réitéré que son invalidité résultait des pressions indues imposées par ses supérieurs, principalement par M. Allard.   Il a contesté la validité de l’expertise du DLaperrière et a soutenu que ce dernier n’avait pas tous les éléments en main pour procéder à une évaluation (pièce E-21).

[24]   Devant ces faits, Mme Bouliane a consenti à une troisième évaluation médicale par le DLaperrière.   Celle-ci était prévue pour le 30 juillet 1998 (pièce E-22). Le fonctionnaire s’estimant lésé a répondu qu’il ne pouvait se présenter à la fin juillet; il avait besoin d’un certain repos et il demandait de reporter l’évaluation en septembre et a critiqué la qualité des expertises du DLaperrière (pièce E-23).

[25]   L’employeur a reporté l’évaluation médicale à la fin août et a envoyé une lettre au fonctionnaire s’estimant lésé, et ce dernier a répondu qu’il se présenterait à l’évaluation médicale (pièces E-24 et E-25).   À la suite de l’évaluation, le Dr  Laperrière a confirmé ses diagnostiques antérieurs (pièce E-26).

[26]   Compte tenu des conclusions de la troisième évaluation médicale du 24 août 1998, Mme Bouliane a exigé, par écrit, un retour au travail pour le 27 août 1998 (pièce E-27).   Le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’est pas présenté à cette date .   Dès le lendemain, soit le 28 août 1998, Jeannine Desbiens, directrice adjointe, a écrit au fonctionnaire s’estimant lésé et lui a demandé de se présenter au travail dès la réception de cet avis (pièce E-28).

[27]   Au même moment, le 28 juillet 1998, le fonctionnaire s’estimant lésé a écrit une lettre de cinq pages à Mme Danielle Vincent, sous-ministre adjointe de l’employeur.   Il disait déplorer la mauvaise gestion du service de recouvrement.   Il a noté les gestes dits « illégaux » posés par un gestionnaire. Il a contesté l’expertise médicale du DLaperrière et en conclusion, il a suggéré une démarche de retour au travail dans un autre secteur, une contre-expertise médicale, ainsi que le maintien de ses prestations (assurance salaire) (pièce E-30).

[28]   La sous-ministre a répondu qu’à la lumière des éléments aux dossiers elle appuyait la décision prise par la gestion (pièce E-31).

[29]   Mme Bouliane s’est dit bien au courant du dossier du fonctionnaire s’estimant lésé et de son gestionnaire, Patrice Allard. Le gestionnaire avait imposé des sanctions disciplinaires à un collègue de travail du fonctionnaire s’estimant lésé, et ce dernier, en tant que représentant syndical, n’acceptait pas cette sanction.

[30]   Relativement aux critiques formulées par le fonctionnaire s’estimant lésé à l’égard du DLaperrière, Mme Bouliane s’est informée auprès du service des ressources humaines à savoir si le DLaperrière possédait tous les renseignements pertinents pour formuler un diagnostique.   Il est vrai qu’elle a transmis au DLaperrière des renseignements sur l’évaluation du travail du fonctionnaire s’estimant lésé pour l’année 1997 ainsi que sur des incidents relatifs au travail, mais dans le seul but, selon elle, de situer le contexte entourant le départ du fonctionnaire s’estimant lésé pour son congé de maladie.

[31]   En mai 1998, Patrice Allard a quitté et a été remplacé par Mme Desbiens.   Mme Bouliane avait prévu rencontrer le fonctionnaire s’estimant lésé lors de son retour au bureau et lui présenter la nouvelle directrice adjointe.   Cette rencontre avait pour but de permettre de discuter des rapports d’évaluation du fonctionnaire s’estimant lésé et de préparer un plan de travail pour juillet 1998.

[32]   En septembre 1998, elle considérait que le fonctionnaire s’estimant lésé cherchait à régler des questions de relations de travail plutôt que de se concentrer sur un retour à ses tâches quotidiennes au service de recouvrement.   Elle a été informée de la correspondance remise à la sous-ministre adjointe, mais elle considérait que cela confirmait que le fonctionnaire s’estimant lésé ne voulait pas reprendre son travail au service de recouvrement.

[33]   Pour sa part, lors de son témoignage, Danielle Vincent, sous-ministre adjointe, a soutenu qu’elle s’est informée auprès du service des ressources humaines relativement au dossier du fonctionnaire s’estimant lésé après avoir reçu la correspondance du 28 août 1998. Elle était d’accord avec la gestion locale de considérer le rapport médical du DLaperrière.   Elle dit avoir confiance aux médecins choisis par Santé Canada, bien qu’à l’occasion, des représentants syndicaux demandaient qu’on se réfère à d’autres experts.   Quant à l’incident soulevé par le fonctionnaire s’estimant lésé, soit l’accès par un gestionnaire au rapport d’impôt d’un employé, elle convient qu’il existe maintenant une plus grande rigueur et que le gestionnaire qui désire s’en prévaloir doit recevoir l’autorisation du sous-ministre.

[34]   Le Dr Laperrière a témoigné à titre de témoin expert.   Il pratique comme psychiatre depuis 1969 et effectue des expertises médicales sur une base régulière depuis 1990.   À la demande de Santé Canada, il a rencontré le fonctionnaire s’estimant lésé le 5 février 1998.   Dans son rapport du 6 février 1998 (pièce E-3), il a noté que le fonctionnaire s’estimant lésé lui a parlé de la détérioration du climat de travail depuis 1996, causé par un « changement culturel » au niveau du travail.   De plus, en 1996, le fonctionnaire s’estimant lésé était préoccupé pendant plus de six mois à représenter un collègue du travail qui faisait face à un congédiement.   Le DLaperrière a aussi noté : « Il semble que son arrêt de travail fait suite à une rencontre qu’il a eu avec son supérieur. »   Ce dernier aurait refusé que la maladie cardiaque d’un collègue du fonctionnaire s’estimant lésé ait été causée par le travail.   Le DLaperrière a conclu qu’il a pu exister chez le fonctionnaire s’estimant lésé une symptomatologie anxio-dépressive légère, laissant croire à un trouble d’adaptation. Au moment de l’examen (février 1998), il a conclu que ce trouble s’est résorbé et a recommandé le retour au travail.   Il a cependant noté que le fonctionnaire s’estimant lésé avait des difficultés au niveau de ses relations de travail mais que cela différait des problèmes médicaux.

[35]   En avril 1998, l’employeur lui a demandé de fournir un nouveau rapport d’expertise en ayant en main les rapports médicaux émis par les médecins traitants du fonctionnaire s’estimant lésé.   Il a demandé une copie du dossier du fonctionnaire s’estimant lésé au DBennett (médecin généraliste consulté par le fonctionnaire s’estimant lésé) et au DOuellette, psychiatre.   Le DBennett lui a transmis son dossier ainsi que le rapport d’évaluation préparé par le DOuellette le 3 novembre 1997 (pièce E-35).

[36]   À partir de ces nouveaux documents qu’il a obtenus du médecin du fonctionnaire s’estimant lésé mais sans nouvel examen, il a produit, le 19 mai 1998, un rapport complémentaire.   De plus, il a expédié une nouvelle copie du même rapport en y ajoutant le paragraphe suivant dans le préambule (pièces E-38 et E-39) :  

Le présent rapport complémentaire a été rédigé après que j’ai reçu une copie des dossiers médicaux de médecins traitant le Dr. Robert Ouellette, médecin psychiatre et le Dr. Jean-Yves Bennett.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[37]   Le 30 juillet 1998, le DLaperrière a rencontré à nouveau le fonctionnaire s’estimant lésé et produit un troisième rapport d’expertise (pièce E-45).   Il avait reçu, depuis juin 1998, les rapports d’expertise du psychiatre traitant le fonctionnaire s’estimant lésé (pièces E-40 à E-43).

[38]   Le DLaperrière a maintenu les conclusions de ses rapports antérieurs à savoir que le fonctionnaire s’estimant lésé ne présentait pas de symptomatologie invalidante mais qu’il s’agissait bien d’un problème de relations de travail.   Le DLaperrière a admis que le fonctionnaire s’estimant lésé avait pu avoir des troubles d’anxiété mais considère cependant qu’après quatre à six semaines, il pouvait retourner au travail tout en ayant un suivi sur le plan psychologique.   Au niveau physique, le poids du fonctionnaire s’estimant lésé est le même en juillet 1998 que celui constaté en février 1998.   Selon lui, le DOuellette n’a fait aucune mention d’examen mental sur son patient.   Le DLaperrière a souligné que pendant son année d’absence, le fonctionnaire s’estimant lésé a continué à écrire à son employeur et s’est occupé de la défense de certains de ses collègues de travail.

[39]   En contre-interrogatoire, le DLaperrière a nié avoir eu des problèmes avec des patients et s’être vu mis à l’écart par Santé Canada.   Il a souligné avoir cessé d’accepter des mandats de Santé Canada, après qu’on lui ait eu refusé le paiement d’honoraire pour une cause où il a comparu pendant deux semaines.

[40]   Carole Gouin est directrice au Bureau des services fiscaux de Montréal depuis 1998.   En 1997-1998, ce service comptait 1 300 employés répartis dans huit divisions, dont la division du recouvrement des recettes où travaillait le fonctionnaire s’estimant lésé et qui comptait 230 employés.   En 1996-1997, il y a eu trois gestionnaires par intérim à la tête de cette division : Patrice Allard, André Bissonnette et à nouveau Patrice Allard jusqu’au printemps 1998.

[41]   Mme Gouin a eu l’occasion de communiquer avec le fonctionnaire s’estimant lésé en 1997 pour discuter du dossier d’un employé que le fonctionnaire s’estimant lésé représentait. Cet employé opérait, parallèlement à son travail, une petite entreprise de placement. On lui reprochait d’avoir accéder aux rapports d’impôt de plusieurs contribuables sans justification.   L’employeur considérait ces accès illégaux et excessifs.   Le superviseur de cet employé était Patrice Allard.   Le gestionnaire, lors de son enquête, a accédé au rapport d’impôt de l’employé afin de vérifier l’ampleur de ses activités.   Le fonctionnaire s’estimant lésé s’est offusqué des gestes posés par Patrice Allard. En juillet 1997, le fonctionnaire s’estimant lésé était en congé de maladie.   Il a soutenu à Mme Gouin que des gestionnaires voulaient « avoir sa tête » (pièce E-46).

[42]   En août, septembre et octobre 1997, il y a eu échanges de correspondance entre Mme Gouin et le fonctionnaire s’estimant lésé.   Ce dernier a demandé que son salaire soit versé ainsi que celui de son collègue de travail jusqu’à ce qu’il y ait une rencontre pour régler la situation. Mme Gouin a questionné le fonctionnaire s’estimant lésé relativement aux allégations d’harcèlement de la part de gestionnaires; ce dernier a refusé de donner les détails.   Il considérait que cela faisait partie de sa preuve.   Finalement, le 10 octobre 1997 (pièce E-49), Mme Gouin a écrit au fonctionnaire s’estimant lésé pour l’informer qu’elle ne pouvait pas consentir aux demandes formulées, compte tenu du fait qu’elle ne pouvait pas établir un lien entre sa maladie et son travail.

[43]   C’est en septembre 1998 qu’elle est intervenue auprès du fonctionnaire s’estimant lésé pour lui demander de retourner au travail (pièces E-50 et E-51).   Mme Gouin dit s’être tenue informée du dossier du fonctionnaire s’estimant lésé et avoir discuté du résultat des expertises médicales avec la gestion des ressources humaines.

[44]   Mme Gouin considérait que le fonctionnaire s’estimant lésé pouvait reprendre son travail en septembre 1998 compte tenu du fait que les gestionnaires du service n’étaient plus les mêmes qu’au moment du départ du fonctionnaire s’estimant lésé en mai 1997.   Elle a été mise au courant de la communication faite par le fonctionnaire s’estimant lésé auprès de la sous-ministre adjointe, Mme Vincent.   Elle considérait que le fonctionnaire s’estimant lésé posait des conditions et refusait toujours de se présenter à son travail.   Elle n’a eu donc d’autre choix que de le congédier à compter du 11 septembre 1998.

[45]   Questionnée sur le fait que M. Allard ait eu accès à la déclaration d’impôt d’un employé, Mme Gouin a convenu que la politique est maintenant plus sévère et qu’il faut obtenir la permission du sous-ministre.   Il est vrai qu’il y a eu un mouvement de resserrement de la part de la gestion en 1997-1998. Il y avait un manque d’encadrement des employés et des conflits entre employés. Un consultant interne a été embauché pour tenter d’harmoniser les interventions et le climat de travail entre les gestionnaires, les chefs d’équipes et les employés mais on n’a pas été satisfait des résultats de son travail.

[46]   Le fonctionnaire s’estimant lésé demandait un transfert et autres considérations dans sa lettre de septembre 1998 (pièce E-30) tout comme à l’été 1997 (pièce E-49), mais Mme Gouin a soutenu qu’il est difficile de transférer un fonctionnaire en congé de maladie et qu’on ne peut imposer un tel transfert.

[47]   Afin de faciliter le déroulement de la preuve, le témoignage du médecin du fonctionnaire s’estimant lésé a été entendu immédiatement après le témoignage du DLaperrière.

[48]   Appelé à témoigner pour le fonctionnaire s’estimant lésé, le DOuellette a indiqué qu’il était psychiatre depuis 1979.   Depuis 1994, il est membre de la Société des médecins experts.   Il a rencontré le fonctionnaire s’estimant lésé en octobre 1997.   Ce dernier était absent du travail depuis plusieurs mois (mai 1997).

[49]   Lors de l’examen, il a constaté que le fonctionnaire s’estimant lésé était anxieux.   Ce dernier lui a dit éprouver des difficultés au travail depuis 1995 et qu’au printemps 1997, il se sentait anxieux et éprouvait de la difficulté à faire face au stress aussi minime qu’il soit.   Le DOuellette n’a pas rédigé d’examen objectif mais a constaté que le patient n’avait pas d’hallucinations et n’éprouvait aucune perte de contact avec la réalité.

[50]   Le DOuellette a déposé une fiche descriptive (pièce F-12) des notes de la rencontre avec le fonctionnaire s’estimant lésé (pièce F-13).   En novembre 1997, il a produit un rapport d’expertise qu’il a transmis au médecin traitant du fonctionnaire s’estimant lésé (pièce E-36).   Le DOuellette s’est également référé à divers rapports qu’il a produits concernant le sujet du fonctionnaire s’estimant lésé (pièces E-40 à E-43).

[51]   Se référant à la pièce F-13, le DOuellette a souligné qu’en novembre 1997, la capacité du fonctionnaire s’estimant lésé de faire face au stress s’était améliorée.   Cependant, en janvier 1998, le fonctionnaire s’estimant lésé est revenu fatigué de la période des Fêtes. En février 1998, son patient était angoissé à la suite de la visite chez le DLaperrière et après avoir été rencontré par une infirmière de la compagnie SunLife.

[52]   En mars 1998, le DOuellette a suggéré un retour à temps partiel au travail.   Le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé d’attendre en mai, après le départ du gestionnaire Patrice Allard, avec qui il avait eu des problèmes.   Cependant, à la fin mai 1998 , le fonctionnaire s’estimant lésé s’est dit se sentir davantage perturbé et a dit : « Tout ce qui se passe au travail m’a tellement perturbé [...] ». Le 4 août 1998, le DOuellette a décidé de changer le contrat thérapeutique.   Il a demandé que les rendez-vous du fonctionnaire soient placés à des jours différents de ceux du collègue de travail du fonctionnaire s’estimant lésé, qui est également un patient du DOuellette et qui voyageait dans le même automobile pour aller voir le médecin. Sur ce point, le DOuellette a indiqué que le fonctionnaire s’estimant lésé avait beaucoup d’empathie pour ses collègues de travail.   Il était prêt à se dévouer pour les aider et les défendre.

[53]   Le 8 mai 1998, le fonctionnaire s’estimant lésé indique au DOuellette qu’il se sent perturbé. Le syndicat lui a recommandé de déposer une plainte de harcèlement contre l’employeur et il hésitait à le faire.   Vers la fin mai 1998, le patient se sentait un peu mieux.   Il a commencé à travailler sur son bateau (voilier).   Cependant, il disait ne pas trouver la force de déposer sa plainte de harcèlement.

[54]   Au début du mois de juin 1998, le fonctionnaire s’estimant lésé a dit avoir mis son bateau à l’eau mais il se sentait au ralenti et vers la mi-juin, il a été affecté par l’état de santé de sa mère.   Le DOuellette a noté que le patient ne pouvait pas travailler.   Le DOuellette a trouvé souhaitable que son patient reprenne goût aux loisirs. Le fonctionnaire s’estimant lésé a été faire de la voile à la fin juin 1998. Vers le 3 juillet 1998, le patient a senti son état s’améliorer.   Il en était de même lors de la visite du 17 juillet 1998.

[55]   À la fin du mois de juillet 1998, le fonctionnaire s’estimant lésé s’est senti plus stressé.   Il a reçu des documents de l’employeur l’avisant de son évaluation de rendement pour l’année 1997 et du fait que sa prestation d’invalidité avait été coupée par son assureur.

[56]   Le 5 août 1998, le fonctionnaire s’estimant lésé a indiqué au DOuellette avoir dû rencontrer le DLaperrière, qui croyait qu’il avait un problème de relations de travail mais n’était pas inapte à retourner au travail.   L’employeur lui a demandé de retourner au travail.   Malgré cela, le fonctionnaire s’estimant lésé a dit qu’il a réussi à faire des randonnées en bateau et à être plus actif.

[57]   Au début du mois de septembre 1998, le fonctionnaire s’estimant lésé s’est dit perturbé.   Il a songé à rencontrer l’employeur le jour suivant afin de s’entendre avec la directrice.   Le DOuellette a constaté que le patient était perturbé. Ce dernier craignait plus de retourner au travail que de perdre son emploi, a noté le DOuellette.

[58]   Devant cet état de fait, le DOuellette a dit avoir écrit une note à l’employeur. Le médecin considère que le fonctionnaire s’estimant lésé « est apte de revenir au travail.   Cependant, il démontre une telle fragilité sur le plan psychiatrique que nous suggérons fermement, dans son cas, qu’il soit affecté à un autre ministère. »

[59]   Le DOuellette a dit qu’il avait continué de revoir le fonctionnaire s’estimant lésé après son congédiement.

[60]   Jean-Pierre Bonin est président de la section locale du syndicat (environ 800 membres).   Il explique qu’en 1996, de nouveaux gestionnaires ont été nommés.   La direction insistait sur le respect de l’horaire et sur les échéances. Par ailleurs, des professionnels se plaignaient que les dossiers restaient trop longtemps à la direction.   L’employeur a mis en place des ateliers de discussions sans grand succès.

[61]   À cette époque, le fonctionnaire s’estimant lésé demande à s’engager au niveau du syndicat.   Il a été nommé délégué syndical et s’occupait de certains dossiers dont celui d’un autre employé menacé de sanction disciplinaire.   La direction reprochait à l’employé d’avoir accéd é sans autorisation aux déductions d’impôt des contribuables.   Cependant, lors de l’enquête, le directeur Patrice Allard aurait également accédé aux déclarations d’impôt de l’employé.   Le fonctionnaire s’estimant lésé conteste ce geste du directeur; il voulait que ce dernier soit pénalisé comme l’a été l’employé qui a reçu une sanction équivalente à six semaines sans salaire.

[62]   Martin Girard est professionnel au recouvrement des recettes.   Il a confirmé les propos du président du syndicat à l’effet qu’après 1995-1996, les méthodes de gestion avaient changé et que les dossiers cheminaient plus lentement entre la direction et les professionnels.   Selon lui, les adjoints et M. Allard avaient moins de connaissances en recouvrement que leurs prédécesseurs.   Au paravant, la direction faisait confiance aux professionnels mais en 1996-1997, on exigeait des rapports d’étapes afin de vérifier l’avancement des dossiers.

[63]   Lors de son témoignage, le fonctionnaire s’estimant lésé indique avoir commencé son travail au ministère du Revenu en 1984.   De 1984 à 1988, il était agent d’information.   Il détient une scolarité en droit mais n’a pas totalement terminé ses cours.   De 1990 à 1992, il a agi comme agent de recouvrement, était également responsable de la formation et a été promu à un poste par intérim de groupe et niveau PM-03.   De 1992 à 1993, il a participé à l’élaboration de l’énoncé de mission du ministère (pièce F-26).   L’un des buts était de laisser les employés s’engager plutôt que de donner des commandes à vérifier et contrôler.   En 1993, il a reçu un excellent rapport d’évaluation de rendement de la part de son directeur, M. Dauplaise (pièce F-19).

[64]   De 1994 à 1995, le fonctionnaire s’estimant lésé s’occupait des dossiers très compliqués. Il donnait des conférences (pièce F-26) et s’occupait de projets pilotes (pièce F-18). Il a réalisé des saisies importantes dans certains dossiers et en 1995, il s’occupait de dossiers de recouvrement international.   Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a eu aucun avis disciplinaire avant 1995.

[65]   Après 1995, il y a eu un changement de gestionnaire; M. Allard est alors devenu gestionnaire.   Les communications sont devenues plus complexes. Les employés devaient parler au chef d’équipe, qui lui allait au gestionnaire, pour ensuite se rendre au directeur adjoint.   Personne ne pouvait aller directement au gestionnaire avec les dossiers complexes.   Le fardeau des tâches était plus lourd et on n’obtenait aucune réponse rapidement.   Les gestionnaires avaient moins d’expertise sur le contenu et dans certains cas, le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas d’accord avec leurs démarches.

[66]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a eu des discussions avec M. Ladouceur, un chef d’équipe, relativement à certains incidents et ce dernier lui a dit : « après les Fêtes, ce serait ton tour. »   Par la suite, le fonctionnaire s’estimant lésé se sentait surveillé et encadré.   Il ne pouvait plus aller discuter avec les professionnels du ministère de la Justice comme il le faisait auparavant.   À la fin de l’année 1995, il a fait une demande de mutation (pièce F-29); la réponse a été négative.

[67]   Après la période des Fêtes, soit en janvier 1996, le fonctionnaire s’estimant lésé a reçu des reproches de la part des gestionnaires MM. Forget et Ladouceur.   Ils disaient qu’il n’était pas disponible et qu’il ne suivait pas les inventaires.   Le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé à voir leurs notes.   Selon le fonctionnaire s’estimant lésé, la pièce F-30 démontre que les gestionnaires consultaient ses dossiers systématiquement, ce qui était contraire à la pratique habituelle selon lui.

[68]   À la fin de l’année 1997, le fonctionnaire s’estimant lésé s’est occupé du cas d’un collègue qui faisait l’objet d’une enquête de la part de M. Allard.   On reprochait à cet employé d’avoir effectué des accès non autorisés à des rapports d’impôt.   Cet employé avait une entreprise de placements et il accédait aux dossiers des particuliers.   La direction y voyait un conflit d’intérêt et une pratique illicite.   Lors des discussions avec la direction, le syndicat soupçonne M. Allard d’avoir vérifié le rapport d’impôt de l’employé.   Le fonctionnaire s’estimant lésé était offusqué; il veut que le directeur soit puni lui aussi puisqu’il n’a pas l’autorisation d’accéder aux dossiers des employés.   La direction a laissé entendre qu’il s’agit d’une erreur de bonne foi même si le directeur aurait pu recevoir l’autorisation du sous-ministre.

[69]   En avril 1997, le fonctionnaire s’estimant lésé a pris deux semaines de vacances.   Il est allé en Floride avec son ex-directeur, M. Thibault, et deux autres personnes afin de ramener un voilier vers Montréal.   Le voilier était en mauvais état et il est tombé en panne après quelques jours. Le fonctionnaire s’estimant lésé était déçu de ne pas avoir réussi à ramener le voilier au Canada car c’était lui qui avait le plus d’expérience en navigation.   À son retour de vacances, le fonctionnaire s’estimant lésé se sentait fatigué et déçu.

[70]   M. Ladouceur a été remplacé par Lorette Kucick et le fonctionnaire s’estimant lésé a l’impression qu’elle le surveille à la trace.   En mai 1997, le fonctionnaire s’estimant lésé a été informé qu’un de ses collègues de travail est à l’hôpital à la suite d’une crise cardiaque. Il s’est empressé d’aller le visiter et ce dernier lui a mentionné que s’il était malade, c’était à cause du travail.   Il a demandé au fonctionnaire s’estimant lésé de transmettre ce message à son chef d’équipe, Alain Dion. Vers le 3 juin 1997, le fonctionnaire s’estimant lésé transmet le message à M. Dion mais ce dernier a répondu que la crise cardiaque de l’employé était plutôt causée par des problèmes avec son épouse que par le travail.   Le fonctionnaire s’estimant lésé a été troublé par cette réponse et le manque de sympathie envers l’employé.   Il se sent mal à l’aise et a été consulté un médecin.   À ce moment, il a la perception qu’il s’était battu inutilement et que rien ne réussissait en cherchant à défendre ses collègues de travail.

[71]   Le médecin consultant, le DBennett, a dit au fonctionnaire s’estimant lésé qu’il était épuisé et qu’il ne pouvait pas retourner au travail.

[72]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a dit se sentir abattu. Il s’est interrogé à savoir pourquoi tout était si difficile.   Au travail, il se sentait surveillé et isolé. Ses collègues de travail ne le consultaient plus.

[73]   Après quelques semaines d’absence, il a rencontré un psychiatre, le Dr Ouellette. Il lui a fait part de ses états d’âme par rapport au travail.   L’environnement était très difficile pour lui et certains de ses collègues.   Il a dit : « On a détruit le dynamisme et les échanges entre les professionnels. »

[74]   Relativement à la période entre novembre 1997 et juin 1998, il a dit avoir rencontré régulièrement le Dr Ouellette.   Ses échanges avec ce dernier apparaissaient dans les rapports de rencontres produits en liasse (pièce F-13).

[75]   Selon les conseils de son médecin, le fonctionnaire s’estimant lésé a repris certaines activités de loisirs, spécialement à l’été 1998 avec son voilier.

[76]   À l’été 1998, lorsque l’employeur a demandé au fonctionnaire s’estimant lésé de rencontrer à nouveau le Dr Laperrière, il a dit s’être senti harcelé; il voulait profiter d’une période de détente afin de récupérer. Il a donc demandé à l’employeur de déplacer la rencontre.

[77]   En se basant sur le rapport d’examen du Dr Laperrière, l’employeur a demandé au fonctionnaire s’estimant lésé de retourner au travail en septembre 1998.

[78]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a donc vu son médecin (Dr Ouellette) et ce dernier a confirmé que le fonctionnaire s’estimant lésé pouvait retourner au travail dès le 11 septembre 1998.   Cependant, il a émis des réserves sur son état de fragilité et de panique et a suggéré que le fonctionnaire s’estimant lésé change de lieu de travail (pièce F-14).

[79]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a confirmé avoir écrit à Mme Vincent et à Mme Gouin pour leur rappeler le climat de travail qui régnait lorsqu’il a quitté en congé de maladie et il suggère divers moyens, incluant une réévaluation médicale, le maintien de ses prestations et sa réaffectation de façon graduelle dans un secteur où ses capacités seront mises à profit (pièce E-30).

[80]   Le fonctionnaire s’estimant lésé affirme qu’il ne voulait pas revenir travailler dans son poste.   Il contestait l’approche de l’employeur et déplorait le fait qu’il ne réglait pas la situation du climat de travail.   Lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé a appris son renvoi pour ne pas s’être présenté au travail, il a attendu quelques semaines pour réagir. Finalement, le syndicat lui a conseillé de déposer un grief.

[81]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé divers documents relatifs aux politiques du ministère, à ses réalisations antérieures (pièces F-66 et F-35), des notes de comparution devant la Commission des lésions professionnelles (CLP) (pièce F-22) et une politique de normes d’évaluation de santé professionnelle (pièce F-33).

[82]   Mme Fraser est la conjointe du fonctionnaire s’estimant lésé.   Elle a confirmé qu’à compter de 1995, celui-ci semblait préoccupé par son travail. Il ne parlait plus des dossiers sur lesquels il travaillait et se contentait de relater certaines anecdotes.

[83]   Mme Fraser a confirmé le fait que son conjoint était revenu déçu de ses vacances en 1997 alors qu’il avait échoué dans sa tentative de rapporter un voilier de la Floride.

[84]   Pendant son absence pour raison de maladie, le fonctionnaire s’estimant lésé était souvent assis sans parler.   Tout lui semblait difficile, même aller chercher du lait.   À l’été 1997, il n’a pas mis son voilier à l’eau.   Elle a noté un certain progrès au printemps 1998 et à l’été de cette même année, il s’est finalement occupé du voilier et faisait certains déplacements.

[85]   À certaines occasions, son conjoint lui parlait des problèmes de ses collègues de travail, principalement du cas d’un de ces collègues. À l’été 1998, il lui a également parlé du Dr Laperrière et qu’on lui aurait demandé de retourner au travail.

Résumé de l’argumentation

Pour l’employeur

[86]   L’employeur soutient que le fonctionnaire s’estimant lésé a fait preuve d’insubordination en refusant de se présenter au travail et qu’il se devait de présenter une raison valable pour justifier un tel refus.

[87]   Il est vrai que le fonctionnaire s’estimant lésé s’est occupé de dossiers importants dans les années 1990 à 1996.   Cependant, à partir du moment où les gestionnaires ont exercé un plus grand contrôle sur la façon de traiter les dossiers sur les délais et le temps associé au dossier du fonctionnaire s’estimant lésé, ce dernier s’est senti encadré.

[88]   Parallèlement à son travail, il exerce des fonctions syndicales et il dénonce les agissements de M. Allard et de certaines autres personnes.

[89]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a quitté pour raison de maladie en mai 1997. Ce n’est qu’à l’hiver 1998 que la nouvelle gestionnaire, Mme Bouliane, exige que le fonctionnaire s’estimant lésé voit un médecin choisi par Santé Canada.   De fait, selon le certificat médical du fonctionnaire s’estimant lésé, le retour au travail est prévu pour janvier 1998, mais a été reporté.

[90]   Dès le début, le fonctionnaire s’estimant lésé conteste l’examen effectué par le Dr Laperrière qui concluait qu’il avait des problèmes de relations de travail qui ne pouvaient être réglés par un débat médical.

[91]   Devant la contestation du fonctionnaire s’estimant lésé, Mme Bouliane demande un deuxième rapport médical au Dr Laperrière en mai 1998 et un autre en août 1998.

[92]   Après les conclusions des rapports du Dr Laperrière, Mme Bouliane exige que le fonctionnaire s’estimant lésé se présente au travail.

[93]   Le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’adresse pas à Mme Bouliane mais il écrit plutôt à la sous-ministre, Mme Vincent.   À la dernière minute, il indique qu’il peut se présenter au travail, mais soumet des conditions de retour et exige d’être transféré ailleurs.   Il dit être incapable d’occuper le même poste.

[94]   Le médecin du fonctionnaire s’estimant lésé veut le bien-être de son patient. Il tient compte du fait que ce dernier a été en conflit avec M. Allard et convient de reporter le retour au travail du fonctionnaire s’estimant lésé en juin 1998, après le départ de M. Allard.   Ce retour est ensuite reporté à l’été 1998.

[95]   Le fonctionnaire s’estimant lésé se dit incapable de retourner au même milieu de travail et il ne se présente pas pour rencontrer l’employeur.

[96]   L’employeur allègue qu’il a agi de façon raisonnable et que le fonctionnaire s’estimant lésé est l’artisan de son propre malheur.

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[97]   De son coté, le fonctionnaire s’estimant lésé allègue qu’il était considéré comme un excellent employé jusqu’en 1995-1996.

[98]   Selon le fonctionnaire s’estimant lésé, les nouveaux gestionnaires ont moins d’expertise que ceux qui les ont précédés. Il a rencontré à quelques reprises MM. Allard et Forget et il trouve qu’ils exercent un contrôle trop poussé.   Ils encadrent davantage les fonctionnaires s’estimant lésés et laissent peu de place à l’initiative.

[99]   Le fonctionnaire s’estimant lésé dit que c’est à juste titre qu’il a dénoncé les agissements de M. Allard quant à l’accès à un dossier.

[100]   Le fonctionnaire s’estimant lésé s’est porté à la défense des fonctionnaires s’estimant lésés contre l’encadrement imposé par la gestion.   À son retour de vacances (10 jours) en avril 1997, il apprend qu’un de ses collègues de travail est à l’hôpital à la suite d’une crise cardiaque.   Il visite ce dernier, qui lui demande de transmettre un message à l’employeur, disant que c’est à cause des pressions de l’employeur qu’il est tombé malade.

[101]   Le fonctionnaire s’estimant lésé rencontre M. Dion, gestionnaire du fonctionnaire s’estimant lésé hospitalisé. M. Dion rétorque que la maladie du fonctionnaire s’estimant lésé est reliée à des problèmes conjugaux plutôt qu’au travail.  Le fonctionnaire s’estimant lésé est offusqué par cette réponse. Il est bouleversé de trouver si peu d’empathie auprès des gestionnaires.   Il visite un médecin et quitte pour un congé de maladie.

[102]   Le fonctionnaire s’estimant lésé rencontre un médecin généraliste en mai 1997 et voit un spécialiste à l’automne 1997.   Le retour prévu est pour janvier 1998. L’employeur demande une évaluation médicale en janvier 1998.   Le fonctionnaire s’estimant lésé conteste la qualité de l’évaluation puisque le spécialiste choisi par Santé Canada n’a pas en main son dossier médical complet.   De plus, l’employeur lui fait parvenir un historique ainsi que des notes sur le comportement au travail du fonctionnaire s’estimant lésé.   Devant ces faits, l’employeur demande un deuxième rapport et il en demandera un troisième avec examen en août 1998.

[103]   La compagnie d’assurance a versé des primes d’invalidité au fonctionnaire s’estimant lésé jusqu’en septembre 1998.   Le médecin spécialiste du fonctionnaire s’estimant lésé ne le juge pas apte à retourner au travail avant le 11 septembre 1998 et ce, en changeant de lieu de travail.

[104]   Il aurait dû y avoir une obligation de la part de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation pour le retour au travail du fonctionnaire s’estimant lésé.

Réplique

[105]   L’employeur réplique que le Dr Ouellette n’a pas précisé de telles mesures et se réfère à Canada (Procureur général) c. Boutilier, [1999] 1 C.F. 459, pour démontrer que je n’ai aucune compétence sur des questions impliquant les droits de la personne.

Motifs

[106]   Notons que dans le présent cas, le fonctionnaire s’estimant lésé a également déposé un grief de harcèlement (l’audience a été reportée) et a déposé une plainte à la CSST (toujours en contestation).

[107]   Je n’ai pas à préciser ici les causes du départ du fonctionnaire s’estimant lésé. Je constate qu’il y a eu des difficultés au travail à compter de 1996-1997.   La conjointe du fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’il était démotivé et se sentait moins important.   Le fonctionnaire s’estimant lésé a dit que les nouveaux gestionnaires ont une culture différente de gestion qui encadre davantage.   Sa preuve à cet effet a été confirmée par Martin Girard, un collègue du fonctionnaire s’estimant lésé.

[108]   Le fonctionnaire s’estimant lésé s’est engagé dans des activités syndicales pour défendre les intérêts de ses collègues de travail. Il a dénoncé les gestes posés par certains gestionnaires, principalement par M. Allard.

[109]   En avril 1997, le fonctionnaire s’estimant lésé a pris deux semaines de vacances. Il se rendait en Floride avec son ancien patron, M. Thibault et deux autres personnes afin de ramener un voilier vers Montréal.   L’expérience a été malheureuse puisque le voilier comportait des défectuosités mécaniques. Au retour, le fonctionnaire s’estimant lésé est un peu déçu puisqu’il a échoué et se sent un peu responsable de l’expédition.   Le manque de sympathie d’un gestionnaire face à un employé hospitalisé affecte davantage le fonctionnaire s’estimant lésé. Dans ces circonstances, il quitte en mai 1997 pour un congé de maladie.

[110]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a-t-il fait preuve d’insubordination en refusant de retourner au travail en septembre 1998 ou avait t-il des motifs valables de refuser? Le fonctionnaire s’estimant lésé pouvait-il retourner au travail en septembre 1998? Pouvait-il effectuer les mêmes tâches ou travailler au même endroit?  

[111]   Les témoignages des médecins, bien qu’ils apparaissent contradictoires, concordent sur plusieurs points. Le Dr Ouellette prévoit un retour au travail pour janvier 1998, mais la date de retour est modifiée pour avril et ensuite pour juillet et enfin pour septembre 1998. Vers ces mêmes dates, le Dr Laperrière pense à un retour au travail possible tout en ayant une supervision médicale.   De son côté, le Dr Ouellette prévoit des soins additionnels avant le retour au travail.

[112]   Il est normal que le Dr Laperrière constate une amélioration satisfaisante du fonctionnaire s’estimant lésé en février 1998 puisque le congé de maladie a débuté en mai 1997.   Dans son témoignage, le Dr Laperrière admet que le fonctionnaire s’estimant lésé puisse, après février 1998, avoir besoin de traitement et de soutien médical sans pour autant s’absenter du travail.

[113]   D’ailleurs, un mois plus tard, le Dr Ouellette indique au fonctionnaire s’estimant lésé qu’il pourrait retourner au travail en mai 1998 puisque de nouveaux gestionnaires seront en place.

[114]   C’est à ce moment que le fonctionnaire s’estimant lésé lui dit que cela ne va toujours pas bien au bureau.   Il est en état de panique en mai 1998 et le Dr Ouellette lui recommande de se distraire, de se motiver, de faire de la voile pour pouvoir retourner au travail par la suite.

[115]   À l’été 1998, le fonctionnaire s’estimant lésé reprend goût aux loisirs; il fait de la voile et il parle de vacances en amoureux avec sa conjointe.   Il m’apparaît encore normal que l’examen du Dr Laperrière en août 1998 réaffirme que le fonctionnaire s’estimant lésé peut reprendre le travail.

[116]   Dans ses communications avec l’employeur (pièces E-21, E-23 et E-30), le fonctionnaire s’estimant lésé conteste la qualité de l’expertise du Dr Laperrière et soutien que le médecin n’a pas en main tous les renseignements sur son dossier.   Je ne crois pas que cet aspect soit déterminant puisque l’employeur n’a pas insisté sur un retour au travail en février 1998, tel que recommandé par le Dr Laperrière.  

[117]   En août 1998, le Dr Laperrière a en main les rapports médicaux du Dr Ouellette. On ne peut prétendre qu’à cette date, il n’a pas l’information suffisante pour rendre un diagnostic.

[118]   La preuve présentée et les documents déposés à l’audience confirment l’opinion du Dr Laperrière relativement au fait que l’employé a des problèmes de relations de travail.

[119]   Le fonctionnaire s’estimant lésé dénonce par écrit le problème de relations de travail.   Ainsi, dans la lettre du 28 août 1998 que le fonctionnaire adresse à la sous-ministre (pièce E-30), il fait état à la première page de trois problèmes de relations de travail et à la deuxième page, il écrit ce qui suit :

[…]

La période 1996-1997, durant laquelle j’avais la responsabilité du renvoi ou non d’un employé, m’épuisa.   Le harcèlement subi m’acheva. J’allai voir un médecin au Complexe Desjardins pour différends maux et il diagnostiqua derechef un burn-out.   Je consultai un médecin-expert, dont j’appris par la suite qu’il était une sommité en la matière, qui diagnostiqua un burn-out et une dépression.

[…]

À la fin de la deuxième page, il conteste la qualité de l’expertise médicale du Dr Laperrière puisqu’il n’avait pas en main tous les rapports médicaux.

[120]   À la page quatre de cette même lettre, il propose le protocole de retour au travail suivant :  

Pourrais-je donc vous proposer ceci:

1-
Nous effectuons la contre-expertise médicale, selon un protocole accepté par toutes les parties.
2-
Nous amorçons les démarches de retour au travail, dans un secteur où mes qualités et capacités pourront être utiles et appréciées.
3-
L’évaluation médicale du docteur Laperrière est suspendue jusqu’au résultat de la tierce-expertise.   Les prestations sont maintenues durant ce délai et durant ma réinsertion graduelle.

Si ces propositions vous rebutent, il y aurait notre séparation de gré à gré, ce qui me rebute férocement, puisque je fus entièrement heureux dans la fonction publique canadienne jusqu’à l’arrivée de monsieur Patrice Allard, comme bien d’autres.

Si cela vous rebute aussi, il ne reste que la plainte de harcèlement ou le renvoi.   Ces deux options sont à résultat aléatoire.   J’y ai néanmoins pensé avec beaucoup d’attention et de minutie.

Je pense qu’il serait extrêmement important que nous puissions nous rencontrer en l’absence de tout filtre déformant et discuter à bâtons rompus de la situation, comme si nous la reprenions de novo.   Veuillez me   pardonner d’avance mon impatience mais je crois que cela en vaudrait la peine.

Je suis disponible quand et où vous le voudrez, sauf d’ici à jeudi le 03 septembre, délai minimum qu’il me faudra pour ramener mon cher voilier, qui ne marche qu’à deux ou trois nœuds à contre-courant et qui est lié aux vents

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[121]   Le Dr Ouellette confirme cette préoccupation qu’a le fonctionnaire s’estimant lésé pour défendre ses collègues de travail.   En avril 1998, il change l’horaire des rendez-vous du fonctionnaire s’estimant lésé pour qu’il ne se présente pas au rendez-vous médical en même temps qu’un autre employé   (collègue de travail du fonctionnaire s’estimant lésé).   Il considère que le fonctionnaire s’estimant lésé a une grande empathie pour soutenir ses collègues et que cela peu l’affecter.

[122]   Le même phénomène s’est produit en avril 1997 lors de l’échec de l’expédition pour rapporter un voilier de la Floride.   Le fonctionnaire s’estimant lésé se sent responsable et est affecté par l’échec comme le confirme sa conjointe.

[123]   Pour refuser de revenir à son poste de travail en septembre 1998, le fonctionnaire s’estimant lésé soumet-il des raisons suffisantes?   L’employé soumet qu’il ne peut pas retourner dans son ancien poste, qui est le poste que l’employeur lui propose. Avait-il raison de refuser de retourner travailler? Selon moi, non. Le Dr. Laperrière considère qu’il est apte à reprendre   son ancien travail et le Dr. Ouellette suggère un autre poste, sans toutefois l’imposer. La preuve démontre qu’en mai et juin 1998, le médecin du fonctionnaire s’estimant lésé prévoit un retour au travail dans le même poste.

[124]   Lors de l’entrevue du 9 septembre 1998 (pièce F-13), le Dr Ouellette écrit ce qui suit:

[…]

La Sun Life doit nous envoyer une lettre pour clarifier les choses
[ … ]

Je fais part au patient que le retour probable au travail doit se faire le 14 avril à temps partiel.   Demande d’attendre en mai, après le départ du directeur.

[…]

[125]   La teneur de cette conversation indique bien que le retour serait au même endroit de travail puisque le fonctionnaire s’estimant lésé demande d’attendre le départ de M. Allard.

[126]   Dans une lettre datée du 22 juin 1998 (pièce E-40), le Dr Ouellette écrit au Dr Laperrière ce qui suit :

[…]

Cependant, cette date de retour au travail a dû être déplacée au 18 août 1998, étant donné la présence de symptômes résiduels importants sous forme de troubles de concentration, d’intolérance globale au stress, de tendances dépressives importantes avec incapacité de s’occuper de sa vie de loisirs.   Nous avons incité monsieur Ste-Marie à certaines activités qui visent à rétablir son mode de fonctionnement dans le but de revenir au travail le plus rapidement possible. Vous comprendrez, cher docteur Laperrière, que notre patient et nous-mêmes faisons le maximum pour obtenir un retour à un fonctionnement normal de monsieur Ste-Marie.   Cependant, ce retour se voit actuellement contrarié par la présence de symptômes dérangeants et nous croyons que monsieur Ste-Marie sera en mesure de réintégrer son poste vers le mois d’août ou au plus tard au début de septembre 1998.

[…]

[Je souligne]

[127]   Dans cette lettre de juin 1998, comme dans le rapport du 9 mars 1998, le médecin traitant parle d’un retour au travail du fonctionnaire s’estimant lésé à son poste de travail.

[128]   Dans son rapport de septembre 1998, le Dr Ouellette parle d’un retour à un autre poste.   Que s’est-il passé entre juin et septembre 1998 pour que son médecin suggère un retour au travail mais à un autre poste?   Rien dans la preuve n’indique que l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé ait pu se détériorer au cours de l’été.

[129]   Le fonctionnaire s’estimant lésé, après certains moments de repos à l’été 1998 expédie une lettre à la sous-ministre et lui demande d’entamer des discussions sur le dossier des relations de travail du ministère. La question qui nous occupe par contre dans le présent dossier est de savoir s’il peut reprendre son poste de travail.

[130]   J’ai examiné l’opinion de deux psychiatres. Comme je l’ai mentionné antérieurement, ces opinions se recoupent et elles ne sont pas totalement contradictoires.   Ce qui diffère, c’est l’approche des deux spécialistes. Le Dr Laperrière a noté qu’il existe des problèmes de relations de travail que le fonctionnaire s’estimant lésé devrait tenter de résoudre.   Il convient cependant, que tout en retournant au travail, le fonctionnaire s’estimant lésé puisse avoir besoin de maintenir un contact avec son médecin.

[131]   De son coté, le Dr Ouellette est soucieux de la santé de son patient.   Il constate que le fonctionnaire s’estimant lésé est nerveux et démontre une certaine fragilité. Il suggère donc qu’il soit transféré dans un autre lieu de travail.

[…]

Pour notre part, sur le plan mental, nous considérons monsieur Ste-Marie apte à un retour au travail.   Cependant, monsieur démontre une telle fragilité sur le plan psychiatrique, que nous suggérons fermement, dans son cas, qu’il soit affecté à un autre Ministère que le Ministère du Revenu.   En effet, au moment de notre examen, monsieur démontre un état de panique et des troubles d’anxiété tels qu’il n’est pas souhaitable qu’il retourne travailler dans les mêmes conditions de travail qu’antérieurement.

Dans l’intérêt de notre patient, nous suggérons donc un changement de lieux et de conditions de travail et nous espérons que la situation pourra être comprise de son employeur.   Nous reverrons monsieur Ste-Marie en thérapie, dans les semaines et dans les mois qui viennent, afin de compléter son traitement.

[ … ]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[132]   Sur ce point, le fonctionnaire s’estimant lésé soumet en plaidoirie que l’employeur a une obligation de prendre des mesures d’adaptation.   Le fonctionnaire s’estimant lésé se réfère à une question rattachée aux décisions relatives au droits de la personne ce qui diffère de mes pouvoirs d’arbitre car je n’ai aucune jurisdiction sur cette question, tel qu’exprimé dans la décision Boutilier (supra).   Dans le présent cas, il appartient au fonctionnaire s’estimant lésé de démontrer qu’il y a le droit de refuser un retour au travail dans son ancien poste.

[133]   Dans le présent cas, le médecin du fonctionnaire s’estimant lésé n’a présenté aucun élément objectif justifiant que le fonctionnaire s’estimant lésé puisse refuser de se présenter à son poste de travail et exiger un transfert.   Le médecin se réfère à des réticences de la part du fonctionnaire s’estimant lésé. En ce sens, un retour au travail dans le contexte où le présentait Mme Gouin, avec une rencontre pour discuter de ses tâches et dans le contexte où les anciens gestionnaires ont été remplacés, aurait pu être profitable au fonctionnaire s’estimant lésé.   Le fonctionnaire s’estimant lésé aurait aussi pu discuter d’un éventuel transfert, à court ou moyen terme, sans en faire une exigence immédiate.

[134]   D’ailleurs, le Dr Lafrenière admet que le fonctionnaire s’estimant lésé puisse avoir besoin de suivi médical après son retour au travail.   Il peut subsister certaines difficultés.

[135]   L’employé a été averti par écrit, à plusieurs reprises, de se présenter au travail sans quoi il en subirait les conséquences.

[136]   Le fonctionnaire s’estimant lésé préfère ne pas retourner au travail dans son poste tant que les questions de relations de travail ne seront pas réglées.   C’est son choix et il doit en subir les conséquences.

[137]   De fait, je considère que le fonctionnaire s’estimant lésé exige comme conditions de son retour au travail un transfert dans un autre lieu de travail. Son approche équivaut à une demande de réparation et d’accommodement, que lui devrait l’employeur pour réparer le tord qu’il lui aurait causé en étant, selon le fonctionnaire s’estimant lésé, la cause de son burn-out.   Dans sa lettre du 19 septembre 1998 (pièce F-9), le fonctionnaire s’estimant lésé s’exprime ainsi :

[ … ]

La position de mon médecin traitant, et la mienne, n’est pas celle d’un refus du retour au travail mais celle du refus du retour au travail dans un milieu qui fut la cause directe de mon burn-out et de ma dépression, ceux-ci ayant été essentiellement le résultat d’actes illégaux et discriminatoires posés par certains de vos mandataires.

Il est un fait qu’en des circonstances moindres, vous avez reconnu à certains employés le droit à un environnement de travail sain.

Peut-être que je ne mérite pas un tel traitement. Cependant, il est un fait établi par des tierces parties dont la crédibilité est inattaquable que je fus déclaré par un ex-directeur « parmi les meilleurs employés qu’il n’aie jamais eu » ou encore par la [sic] ministère de la Justice comme un employé dont le départ « sera une grande perte pour le Ministère [sic]  ».

Il sera inadmissible que celui qui a relevé la commission d’actes ou d’omissions graves et même illégaux soit l’objet de sanctions. Vous savez, puisque vous y avez déjà assenti, que je me voue à promouvoir les intérêts des citoyens, du Ministère [sic] et de l’État, par tout moyen légitime.

Je ne renoncerai pas à ce devoir.

[…]

[138]   Il est possible que le fonctionnaire s’estimant lésé se croit justifié d’exiger que l’employeur pose certains gestes.   Il devrait alors débattre ces questions dans le cadre des relations de travail par un grief ou une plainte mais il ne peut en faire un motif de refus de se présenter au travail.

[139]   La notion d’obéir et d’ensuite porter un grief (obey now, grieve later) prend toute son application. Dans la décision Petrovic c. Conseil du Trésor (Ressources naturelles Canada), dossier de la CRTFP 166-02-28216, (1998) (QL), l’arbitre soumet que l’employeur avait nettement indiqué à l’employé de se présenter au travail mais ce dernier avait répondu qu’il considérait que son emploi n’était pas terminé tant que son grief relatif à une extension de congé ne ferait pas l’objet d’une décision. L’arbitre conclut que l’employé aurait dû retourner au travail et ensuite attendre les conclusions de son grief.

[140]   Le fonctionnaire s’estimant lésé avait été averti à plusieurs reprises par l’employeur. Il connaissait les conséquences de son refus de retourner au travail.

[141]   Compte tenu du contexte du dossier, des témoignages recueillis et des documents déposés, le fait qu’à la dernière minute son médecin confirme son aptitude à travailler mais suggère un changement de lieu de travail ne peut constituer un motif valable de refuser à retourner au travail.

[142]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[143]   Le grief contre le congédiement (dossier de la CRTFP 29158) est rejeté.

Le 21 mars 2006.

Jean-Pierre Tessier,
arbitre de grief

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