Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé, vétérinaire à l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’Agence), s’est blessé dans le stationnement glacé d’un abattoir où il allait effectuer une inspection - il a subi des fractures graves à la jambe, a dû être hospitalisé pendant un mois et porter un plâtre pendant près de quatre mois - l’employeur a déposé un rapport d’accident auprès de la Saskatchewan Workers’ Compensation Board (WCB) et le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé, aux termes des dispositions de la convention collective du groupe VM, un congé d’accident de travail (CAT) qui lui a été accordé pour une période de 26,5 jours - sa demande à la WCB a également été approuvée - conformément aux dispositions législatives provinciales qui limitent les prestations à 53 000 $ par année, la WCB a informé le fonctionnaire s’estimant lésé que ses prestations étaient rajustées en application de cette disposition - le montant rajusté était considérablement moins élevé que le revenu annuel qu’il touchait à titre de vétérinaire - l'Agence a refusé la demande de prolongation du CAT du fonctionnaire s’estimant lésé et celui-ci a déposé un grief - la jurisprudence indique qu’en ce qui concerne la détermination de la période de congé qui devrait être accordée à un employé, l’employeur jouit d’un pouvoir discrétionnaire pour déterminer ce qui constitue une << période raisonnable >> -- de plus, même si des employeurs ont parfois décidé d’accorder un CAT qui concorde avec la durée de l’absence résultant d’une blessure, la disposition applicable n’oblige pas l’employeur à accorder un tel congé dans tous les cas - l’intention des parties était d’accorder à l’employeur une certaine latitude - l’employeur est libre d’accorder des périodes de congé différentes pourvu qu’elles soient considérées comme << raisonnables >> conformément au terme employé dans la convention collective - la préclusion n’est pas applicable en l’espèce - toutefois, le processus suivi par l’employeur pour déterminer ce qui constitue une << période raisonnable >> doit être examiné - l’employeur doit exercer son pouvoir discrétionnaire à la lumière des circonstances de chaque cas - lorsque l’employeur a appliqué la politique au fonctionnaire s’estimant lésé, il n’était pas au courant du plafond et des répercussions financières qu’auraient celui-ci sur le fonctionnaire s’estimant lésé - il est impossible de déterminer l’effet qu’aurait eu ce facteur s’il avait été pris en compte dans la détermination de la durée du congé à accorder au fonctionnaire s’estimant lésé - lorsqu’il a pris sa décision, l’employeur ignorait un facteur important - la décision ne pouvait donc pas être raisonnable - le redressement approprié en cas de vice de procédure, étant donné que l’employeur n’a pas fait preuve de mauvaise foi, est de permettre à l’employeur de prendre une décision qui tient compte de tous les facteurs pertinents. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-03-31
  • Dossier:  166-32-35436
  • Référence:  2006 CRTFP 37

Devant un arbitre de grief



ENTRE

HARRIS KING

fonctionnaire s’estimant lésé

et

AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

employeur

Répertorié
King c. Agence canadienne d'inspection des aliments

Affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P 35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant : Beth Bilson, c.r., arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Neil Harden, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Stéphane Hould, avocat


Affaire entendue à Regina (Saskatchewan),
le 10 janvier 2006.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Grief renvoyé à l'arbitrage

[1]   Cette décision porte sur l’arbitrage d’un grief du Dr Harris King présenté par son agent négociateur, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC), alléguant que l’employeur du Dr King, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), avait violé le paragraphe C17.01 de la convention collective entre l’IPFPC et l’ACIA à l’égard du groupe VM (date d’expiration : le 30 septembre 2003), en ne lui accordant pas un congé pour accident du travail (CAT) d’une durée raisonnable.

[2]   Le paragraphe C17.01 de la convention collective se lit comme suit :

C17.01

Tout employé bénéficie d’un congé payé pour accident du travail d’une durée raisonnable fixée par l’Employeur lorsqu’il est déterminé par une commission provinciale des accidents du travail que cet employé est incapable d’exercer ses fonctions en raison :

a)
d’une blessure corporelle subie accidentellement dans l’exercice de ses fonctions et ne résultant pas d’une faute de conduite volontaire de la part de l’employé,
b)
d’une maladie résultant de la nature de son emploi,
ou
c)
d’une exposition aux risques inhérents à l’exécution de son travail,

si l’employé convient de verser au receveur général du Canada tout montant d’argent qu’il reçoit en règlement de toute demande faite relativement à cette blessure, maladie ou exposition, pour pertes de salaire subies.

[3]   Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l’arbitrage de grief doit être décidé conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »).

Résumé de la preuve

[4]   Les faits qui ont donné lieu au grief ne sont pas contestés. Le Dr King a été au service du gouvernement du Canada comme vétérinaire pendant une vingtaine d’années. Depuis 1995, il travaille pour Agriculture et Agroalimentaire Canada, l’employeur devenu l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Il est actuellement au maximum de l’échelle de rémunération des VM-02.

[5]   En janvier 2003, le Dr King a été nommé vétérinaire de district à Moose Jaw, en Saskatchewan; il s’acquitte à ce titre de diverses fonctions incluant la surveillance des maladies animales, le contrôle du transport des bêtes, la supervision des vétérinaires contractuels et celle du personnel de bureau du district. Le 9 décembre 2003, il se rendait à un petit abattoir d’Avonlea où il comptait effectuer une inspection. Sur la surface glacée du terrain de stationnement, il a fait une chute et subi de graves fractures à une jambe. Il a passé environ une semaine à l’hôpital, après quoi sa jambe a été dans le plâtre près de quatre mois. Le pronostic : les fractures guériraient en trois à quatre mois, et il pourrait ensuite retourner au travail sans difficulté.

[6]   Le Dr King a promptement informé son superviseur de l’accident; l’employeur a déposé un rapport d’accident à la Commission des accidents du travail de la Saskatchewan (CATS). Les documents déposés à l’arbitrage de grief montrent que le Dr King a aussi présenté une demande de CAT qui a fini par lui être accordée pour une période de 26,5 jours, du 10 décembre 2003 au 14 janvier 2004.

[7]   Dans son témoignage, le Dr King a décrit ce qu’il a dû faire après l’accident. Comme il était incapable de continuer à vivre seul dans son appartement de Moose Jaw, il s’est installé dans un logement qu’un ami lui avait offert, à Regina. Il recevait donc son courrier irrégulièrement, de sorte qu’il a été incapable de préciser à quelles dates il avait reçu la série de lettres et de documents que l’employeur et la CATS lui avaient envoyés. Il a effectivement reçu des lettres de la CATS l’informant que sa demande de prestations avait été approuvée, avec une description des indemnités auxquelles il avait droit. À ce stade — en janvier 2004 — la correspondance indiquait qu’il était admissible à des [traduction] « indemnités remplaçant intégralement son salaire », ce qui signifiait selon lui qu’elles équivaudraient à 90 % de son revenu net. D’après la correspondance qu’il avait reçue, il avait cru comprendre qu’à la fin de son CAT, à la mi-janvier, il se retrouverait en congé non payé pour la période durant laquelle il allait toucher des indemnités pour accident du travail. On l’a aussi informé que le gouvernement fédéral ne poursuivrait pas en justice le tiers responsable du lieu où son accident s’était produit, mais qu’il accepterait l’option du versement d’indemnités pour accident du travail.

[8]   Au début de février 2004, le Dr King a reçu une communication de la CATS l’informant que ses indemnités allaient être rajustées en conformité de la disposition législative qui les plafonnait à 53 000 $ par année. Il y avait de quoi le secouer, puisque cette somme était nettement inférieure à son revenu annuel de vétérinaire. Il a soulevé la question d’abord avec son superviseur, puis avec M. Bill Morse, le directeur régional de l’employeur en Saskatchewan, pour savoir s’il serait possible de prolonger son CAT plutôt que de le contraindre à continuer à toucher le revenu net inférieur des indemnités pour accident du travail. M. Morse a répondu que le versement des indemnités une fois que sa demande avait été approuvée par la CATS était compatible avec la politique de l’employeur et que le CAT ne serait pas prolongé, dans ces conditions.

[9]   Après quelques autres échanges avec M. Morse, le Dr King a rencontré un représentant de l’IPFPC et a déposé un grief. Pendant qu’on discutait de son grief, il a tenté d’autres efforts pour mitiger le problème. Il a demandé qu’on l’autorise à travailler à temps partiel; l’employeur a accepté de lui confier des tâches qu’il pouvait accomplir à temps partiel chez lui. Il n’a pas demandé l’avis d’un médecin pour entreprendre ces tâches qui ne s’inscrivaient pas non plus dans le cadre d’un programme quelconque de retour au travail. Il a informé la CATS du revenu supplémentaire qu’il touchait, et ses indemnités ont été rajustées en conséquence. Vers le 24 mars 2004, comme il pouvait marcher avec un plâtre, il est allé travailler à temps plein dans un poste où il était chargé par intérim de tâches administratives de bureau. Une fois complètement rétabli, il est retourné à ses fonctions dans son poste de vétérinaire de district à Moose Jaw.

[10]   M. Bill Morse était le gestionnaire responsable de l’administration de la politique sur les CAT. Il a témoigné sur l’élaboration de cette politique, établie selon lui après des discussions entre les gestionnaires de la fonction publique fédérale de l’Ouest du Canada au début des années 1990. La politique n’est pas écrite, mais M. Morse a déclaré qu’on savait que c’était l’approche à prendre pour traiter les demandes de CAT. La politique prévoyait des CAT une fois qu’un rapport d’accident avait été déposé à une Commission provinciale des accidents du travail. Quand la demande d’indemnités pour accident du travail avait été approuvée, les fonctionnaires cessaient d’être en CAT et commençaient à toucher des indemnités. La seule exception à la règle était celle des absences de courte durée — de deux à trois semaines –, auquel cas le fonctionnaire était normalement en CAT jusqu’à son retour au travail.

[11]   M. Morse a témoigné avoir traité deux ou trois demandes de ce genre par année, en disant que la politique n’avait jamais été contestée avant ce grief. Il estimait que les CAT devaient faire le pont pour les fonctionnaires, en attendant que leurs demandes d’indemnités pour accident du travail soient traitées de façon qu’ils ne cessent pas de toucher un revenu. Il a dit n’avoir jamais pensé que les CAT étaient censés couvrir toute la période d’absence d’un fonctionnaire de son travail par suite d’une blessure, étant donné que c’était la fonction du système d’indemnisation des accidents du travail. Il a déclaré avoir appliqué la politique en l’espèce et s’être arrangé pour que le Dr King « passe » sous le régime des indemnités pour accident du travail une fois sa demande de prestations approuvée. Il a reconnu que la politique prévoit notamment que l’employeur peut se servir du traitement du fonctionnaire blessé pour payer quelqu’un d’autre chargé des tâches dont l’intéressé est incapable de s’acquitter.

[12]   Dans son témoignage, M. Morse a franchement avoué que, lorsqu’il a fait passer le Dr King sous le régime des indemnités pour accident du travail, il n’avait pas la moindre idée que les indemnités versables étaient légalement plafonnées. C’est le Dr King qui l’a informé du plafond au début de février. Le témoin a déclaré qu’il estimait avoir les mains liées par la politique en vigueur. Il n’avait nullement l’intention de causer des difficultés financières au Dr King; d’ailleurs, c’est avec plaisir qu’il a pris les arrangements qui ont permis à ce dernier de travailler à temps partiel.

[13]   Il vaut la peine de souligner que le Dr King avait été gravement blessé en mai 2003 par un taureau qui l’avait attaqué; cette fois-là, ses blessures l’avaient empêché de retourner au travail avant le mois d’août, mais aucune demande d’indemnisation pour accident du travail n’avait été présentée et il était resté en congé payé pour accident du travail durant toute la période. M. Morse a reconnu qu’il s’agissait d’une [traduction] « erreur », puisque cette situation-là n’était pas compatible avec la politique habituelle dans les cas d’accident du travail; il a déclaré que des représentants du syndicat le lui avaient signalé.

Résumé de l’argumentation

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[14]   M. Harden a commencé par faire état de l’obligation imposée à l’employeur par l’article 124 du Code canadien du travail, L.C. 1985, ch. L-2, à savoir qu’il doit veiller à ce que les lieux de travail soient sans danger pour ses employés. Selon lui, toute blessure subie au travail constitue un manquement à cette obligation, et la disposition de la convention collective sur les CAT devrait être interprétée dans cet esprit. Autrement dit, la charge de prouver qu’il n’a pas manqué à son obligation légale incombe à l’employeur et non à l’employé. La politique que l’employeur a mise en œuvre pour gérer les CAT n’a pas pour but de lui permettre de s’acquitter de cette obligation, mais simplement de lui fournir les fonds disponibles pour payer des substituts.

[15]   Pour M. Harden, si l’on interprète la politique compte tenu de l’obligation de l’employeur de veiller à ce que le lieu de travail soit sans danger, l’objectif des CAT devrait consister à assurer aux fonctionnaires un soutien intégral de leur revenu durant leur absence résultant d’une blessure. Pour étayer cette interprétation, il m’a présenté une politique du Conseil du Trésor datée du 1er octobre 1992 contenant des commentaires sur l’administration des dispositions de la convention collective concernant les CAT. Il a souligné que cette politique prévoit clairement qu’on peut accorder des CAT de longue durée. Par exemple, elle prévoit une évaluation en bonne et due forme de la situation du fonctionnaire après 130 jours de CAT; en outre, elle fait état d’une vérification continue de l’incapacité du fonctionnaire à retourner au travail. Le représentant de l’IPFPC m’a aussi renvoyé à un document daté du 10 février 2000 (pièce E-2) stipulant que cette politique du Conseil du Trésor a été adoptée dans le contexte de la transition à l’Agence canadienne d’inspection des aliments et qu’elle devait s’appliquer jusqu’à ce qu’elle soit remplacée par une politique que cet employeur établira sur la question.

[16]   Ce que cette interprétation — que la politique prévalente du Conseil du Trésor prévoit des CAT d’une durée suffisante pour couvrir l’absence du travail des fonctionnaires blessés — implique, c’est que la doctrine de préclusion empêche l’employeur de mettre en œuvre une politique différente sans la négocier avec l’agent négociateur.

[17]   De toute façon, selon M. Harden, la décision relative à la durée du CAT du Dr King ne satisfaisait pas au critère de raisonnabilité qu’exige le paragraphe C17.01. L’employeur n’a pas entièrement tenu compte des implications de sa décision pour le Dr King, ni de sa situation particulière, en se contentant tout simplement d’appliquer mécaniquement une politique essentiellement conçue pour lui permettre de réaliser des économies.

Pour l’employeur

[18]   L’avocat de l’employeur, M. Hould, a déclaré que le paragraphe C17.01 de la convention collective donne à l’employeur le pouvoir discrétionnaire de déterminer la durée des CAT qu’il accorde aux employés et que la seule restriction de ce pouvoir discrétionnaire est que la durée du congé accordé doit être « raisonnable ». Il a soutenu que les CAT ne sont pas censés remplacer les indemnités pour accident du travail et qu’il n’y a rien de déraisonnable à se fier au régime d’indemnisation des accidents du travail pour verser des indemnités aux travailleurs blessés pendant une grande partie de leur convalescence. Le fait qu’une législature provinciale ait décidé de fixer un plafond des indemnités peut avoir des répercussions malheureuses pour les employés dont le traitement est élevé, mais c’est un aspect d’un régime législatif plutôt qu’un facteur que l’employeur a le pouvoir de changer. L’existence d’un tel plafond ne rend pas déraisonnable la décision de l’employeur sur la durée du CAT du Dr King.

[19]   Selon M. Hould, que la politique du Conseil du Trésor régisse ou pas l’administration de la disposition sur le CAT par l’employeur intéressé, elle ne l’oblige pas à faire bénéficier un fonctionnaire d’un CAT payé durant toute son absence et ne devrait pas non plus être interprétée en ce sens. Comme la politique de l’employeur est parfaitement compatible avec le paragraphe C17.01 de la convention collective, la doctrine de préclusion ne peut pas s’appliquer en l’espèce.

Motifs

[20]   Les parties ont invoqué plusieurs décisions d’arbitrage de grief portant sur l’interprétation du paragraphe C17.01 ou des dispositions analogues. Bien qu’aucune de ces décisions ne soit très récente, elles n’en sont pas moins utiles pour nous aider à comprendre les implications du paragraphe C17.01.

[21]   Il ressort clairement de l’analyse de ces décisions que la durée du CAT considérée comme « raisonnable » par l’employeur a varié énormément. Dans Sabiston c. Conseil du Trésor (Ministère de la Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-2-10395 (1982) (QL), la durée du congé totalisait 272 jours ouvrables; dans Colyer c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-2-16309 (1987) (QL), elle était d’au moins 156 jours; dans Juteau c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada), dossier de la CRTFP 166-2-15113 (1985) (QL) ainsi que dans Demers c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada), dossier de la CRTFP 166-2-15161 (1986) (QL), le congé accordé par l’employeur était initialement d’une durée de 5 jours, mais il a par la suite été révisé à la hausse par l’arbitre de grief, pour qui une durée raisonnable était respectivement de 20 et de 15 jours.

[22]   Les motifs sur lesquels les arbitres de griefs se sont basés dans ces affaires-là pour déterminer le caractère raisonnable de la décision de l’employeur variaient aussi énormément. Dans Juteau (supra) comme dans Demers (supra), même si les motifs sur lesquels l’arbitre de grief s’était basé pour déterminer une période « raisonnable » n’étaient pas évidents, la durée du CAT n’a certainement pas été calculée en fonction de toute la période d’absence des fonctionnaires. Par contre, on pourrait interpréter les décisions Sabiston (supra) et Haslett c. Conseil du Trésor (Ministère de la Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-2-20616 (1991) (QL) en concluant qu’un CAT d’une durée raisonnable couvrirait toute l’absence du fonctionnaire.

[23]   C’est toutefois moins clair quand on y regarde de plus près. Dans Haslett (supra), le grief résultait du fait que l’employeur avait refusé d’accorder un CAT au fonctionnaire s’estimant lésé parce que son absence résultait d’une blessure qu’il s’était infligée lui-même, même si la Commission des accidents du travail du Manitoba avait rejeté cette interprétation de la blessure, en concluant que le fonctionnaire s’estimant lésé avait droit à des indemnités pour accident du travail; son admissibilité à ces indemnités était alors une condition essentielle pour que l’employeur lui accorde un CAT sous le régime de la convention collective pertinente, comme c’est le cas en l’espèce. L’arbitre de grief avait renvoyé la décision concernant le CAT à l’employeur en déclarant que la durée raisonnable d’un tel congé pourrait être toute la période d’absence, dans les circonstances; il convient toutefois de souligner que, dans cette affaire-là, le fait que cette période était relativement courte pourrait avoir influé sur la décision de l’arbitre de grief.

[24]   Dans Sabiston (supra), le grief portait sur la démarche de l’employeur pour envisager une prolongation du CAT après 130 jours. Fondamentalement, il s’agissait de savoir si l’instance de révision avait tenu compte de tous les facteurs pertinents dans son processus décisionnel sur la durée du CAT. L’arbitre de grief avait conclu qu’il avait négligé certains facteurs importants et que sa décision avait été basée sur « la considération du seul facteur temps », de sorte qu’il avait ordonné que la durée du congé soit prolongée pour couvrir toute la période d’absence. Il n’est toutefois pas clair qu’il ait été d’avis que l’employeur aurait nécessairement dû accorder un congé pour toute cette période dès le départ, si la décision avait été dûment faite.

[25]   Il est important de préciser aussi que, dans Sabiston (supra), l’arbitre de grief a conclu que l’arbitrage de grief dans ce contexte devrait non seulement déterminer si la durée du congé lui-même est raisonnable, mais aussi si la démarche de l’employeur pour accorder un congé d’une durée quelconque est raisonnable :

Je rejette, toutefois, l’argument [...] selon lequel je devrais me borner à déterminer si cette décision était conforme ou non au bon sens. J’estime plutôt que la question de savoir si le congé accordé à l’employé en cause était ou non d’une durée raisonnable doit être déterminée objectivement en étudiant les facteurs qui ont inspiré la décision de l’employeur.

Dans Colyer (supra), l’arbitre de grief a fait écho à cette importance accordée au caractère raisonnable du processus décisionnel en déclarant ce qui suit : « Je suis convaincu que ces critères sont raisonnables et que le Conseil a pris une décision judicieuse en en tenant compte. »

[26]   L’effet cumulatif de cette jurisprudence laisse entendre plusieurs choses. Premièrement, pour déterminer la durée du congé qu’il conviendrait d’accorder à un fonctionnaire, l’employeur a le pouvoir discrétionnaire de déterminer ce qui constitue un congé d’une « durée raisonnable ». Deuxièmement, et bien que les employeurs liés par des dispositions analogues au paragraphe C17.01 aient parfois décidé d’accorder un CAT d’une durée coïncidant avec celle de l’absence du fonctionnaire par suite d’une blessure, ces dispositions ne les obligent pas à accorder des congés d’une telle durée dans tous les cas. D’ailleurs, dans Colyer (supra), l’arbitre de grief a conclu :

Bien que, pour obtenir un congé d’accident du travail, un employé doive d’abord faire approuver une demande de prestations d’accident du travail, la convention collective ne dit nulle pas [sic] qu’un tel congé doit nécessairement coïncider avec la période où l’employé touche ces prestations. Si tel était le cas, il ne serait pas nécessaire d’accorder à l’employeur un pouvoir discrétionnaire à cet égard, puisque le congé pour accident du travail serait presque automatiquement la forme de redressement choisie. Une telle intention serait sûrement exprimée plus clairement, soit en permettant aux employés, une fois leur demande approuvée par une commission des accidents du travail, de lui substituer une demande de congé pour accident du travail. Ce n’est pas cela que prévoit la convention collective qui s’applique ici. Celle-ci permet à l’employeur d’accorder un congé pour accident du travail d’une durée qu’il juge raisonnable à la suite d’un accident ou d’une blessure.

[27]   Je souscris à cette interprétation des dispositions analogues au paragraphe C17.01. Si les parties avaient voulu que le CAT serve à faire toucher aux fonctionnaires blessés la totalité de leur traitement tant qu’ils sont absents, elles auraient pu le dire clairement dans la convention collective. En stipulant plutôt que la « durée raisonnable » du congé doit être fixée par l’employeur, elles ont déclaré leur intention de donner à l’employeur de la latitude pour déterminer quelle combinaison de CAT et d’autres formes de soutien du revenu (comme des indemnités pour accident du travail) devrait être accordée à un fonctionnaire qui s’est blessé au travail. Même si ce pouvoir discrétionnaire n’est peut-être pas aussi illimité que l’avocat de l’employeur le prétendrait en l’espèce, en ce sens que ce que l’employeur considère comme raisonnable peut être contesté, rien dans la clause en question n’étaye l’allégation que seule la durée d’un congé coïncidant avec celle de l’absence du fonctionnaire serait raisonnable. La durée variable des congés dans les affaires qu’on a invoquées devant moi montre bien, d’ailleurs, que l’employeur est libre d’accorder des congés de différente durée, au moins dans la mesure de ce qui est réputé raisonnable.

[28]   Je ne crois pas non plus que la politique du Conseil du Trésor citée par M. Harden justifie sa prétention que l’employeur se serait engagé à administrer la disposition pertinente en l’interprétant comme si un congé d’une « durée raisonnable » coïnciderait avec la période d’absence du fonctionnaire blessé. Il est certain que cette politique prévoit des CAT de longue durée, mais elle ne stipule absolument pas qu’il faille accorder dans tous les cas un long congé, ni un congé d’une durée égale à celle de l’absence du fonctionnaire visé.

[29]   Autrement dit, il n’y a ni engagement, ni politique bonifiant les dispositions de la convention collective pour qu’on puisse invoquer avec quelque pertinence la doctrine de préclusion. On ne saurait non plus dire que le Dr King s’est fondé sur cette politique à son détriment. Je dois par conséquent rejeter l’idée que le principe de préclusion serait applicable dans ce contexte.

[30]   J’ai déjà fait allusion à l’autre conclusion tirée de la jurisprudence, à savoir que plusieurs des décisions en question sont favorables à la conclusion que la détermination par l’employeur de ce qui constitue une « durée raisonnable » est contestable. Dans Juteau (supra), tout comme dans Demers (supra), l’arbitre de grief a vérifié si la durée elle-même était raisonnable, compte tenu des circonstances dans chaque cas, en substituant au congé accordé au départ par l’employeur un congé de durée différente. Dans d’autres décisions, notamment dans Colyer (supra), et dans Sabiston (supra), l’arbitre de grief s’est demandé si la démarche de l’employeur pour fixer la durée du congé était raisonnable, plutôt que de trancher la question de savoir si une durée quelconque pouvait être jugée raisonnable ou pas. Dans Colyer (supra), après avoir conclu que les critères de détermination de la durée du congé étaient raisonnables, l’arbitre de grief a hésité à revenir sur la décision du conseil d’examen quant à la durée du congé lui-même, même s’il a conclu qu’une période de congé plus longue « n’aurait pas été déraisonnable ». Enfin, dans Haslett (supra), l’arbitre de grief a conclu que l’employeur n’avait pas tenu compte d’un facteur particulier dans sa décision, en lui renvoyant l’affaire pour qu’il réévalue le dossier sans lui dicter une durée quelconque du congé qui serait raisonnable.

[31]   Comme le paragraphe C17.01 stipule que l’employeur dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour fixer la durée raisonnable du congé, l’approche, dans ce second groupe d’affaires, consistant à insister sur la démarche décisionnelle de l’employeur me paraît utile, puisque c’est un moyen de veiller à ce que l’employeur ne détermine pas la durée du CAT de façon arbitraire, sans le priver du pouvoir discrétionnaire que cette disposition semble prévoir.

[32]   Bien que j’aie conclu que rien dans le paragraphe C17.01 ni dans la politique du Conseil du Trésor n’oblige l’employeur à accorder un CAT d’une durée coïncidant avec celle de l’absence du fonctionnaire de son travail et que l’employeur a le pouvoir discrétionnaire de fixer la durée du congé, il me semble que cette conclusion a pour corollaire que l’employeur doit exercer ce pouvoir discrétionnaire en tenant compte des circonstances dans chaque cas. Si cette disposition ne stipule pas qu’une durée « raisonnable » signifie invariablement que la durée du CAT doit être égale à celle de l’absence du fonctionnaire, elle ne stipule pas non plus qu’une autre formule appliquée sans égard à la situation particulière d’un fonctionnaire est « raisonnable ».

[33]   Dans Sabiston (supra), l’arbitre de grief soulignait que les facteurs devant guider la décision d’un conseil d’examen de prolonger ou pas un CAT étaient :

a.la gravité de la blessure
b.
la quasi-probabilité d’un retour prochain de l’employé au travail;

c.les circonstances de l’accident;

d.
l’ancienneté de l’employé et la nature de son emploi (période déterminée ou indéterminée);

e.
la valeur générale des services rendus par l’employé;

f.son traitement; et

g.les problèmes que pose son remplacement.

L’arbitre de grief a jugé que même si cette liste de facteurs envisageables n’était pas exhaustive, ils représentaient « des critères objectifs sur lesquels on peut se fonder pour juger à bon escient d’une situation donnée », et il a poursuivi en concluant que le conseil d’examen n’avait pas dûment tenu compte de ces facteurs en ne basant sa décision que sur « la considération du seul facteur temps ». Il découle clairement de cette analyse qu’un aspect important de l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu par des dispositions comme le paragraphe C17.01 oblige l’employeur à tenir compte des circonstances dans chaque cas. S’il fallait appliquer une formule rigide pour calculer la durée du congé à accorder aux employés victimes d’un accident, il serait très facile de le préciser dans la convention collective, mais les parties ont préféré donner à l’employeur une marge de manœuvre pour fixer la durée « raisonnable » du congé. Cette souplesse donne à l’employeur la possibilité de tenir compte différemment de circonstances différentes en lui imposant aussi l’obligation de tenir compte des circonstances dans lesquelles la demande de congé est présentée.

[34]   En l’espèce, l’employeur s’est fondé sur une politique qui, d’après M. Morse, était régulièrement appliquée pour déterminer la durée du congé à accorder. L’employeur appliquait cette politique avec une certaine souplesse, en ce sens qu’il pouvait décider si l’absence du fonctionnaire allait être assez courte pour qu’on puisse lui accorder un CAT couvrant toute la période. Autrement, la séquence du rapport d’accident, du CAT, de l’approbation de la demande d’indemnités pour accident du travail et du passage au versement de ces indemnités au fonctionnaire s’enclenchait automatiquement. La politique ne semble ni avoir été contestée, ni avoir fait l’objet d’une plainte pour la plupart des fonctionnaires auxquels elle s’appliquait, peut-être parce que ceux auxquels on avait accordé un CAT auraient touché 90 % de leur traitement normal sous forme d’indemnités pour accident du travail, comme M. Morse l’a expliqué.

[35]   Dans le cas du Dr King, toutefois, l’application de la politique a eu de tout autres conséquences. Pour lui, le passage aux indemnités pour accident du travail signifiait une perte de plus de 30 % de son traitement. M. Morse a candidement reconnu qu’en se conformant à la politique dans le cas du Dr King, il ne savait pas que la loi applicable en Saskatchewan prévoyait un plafond des indemnités pour accident du travail et n’avait pas du tout pensé aux répercussions pour le Dr King de sa décision de lui accorder un congé de la même durée que celui qu’il aurait accordé à d’autres fonctionnaires. Il est impossible de déterminer quel effet ce facteur aurait pu avoir si l’employeur en avait tenu compte pour fixer la durée du congé qu’il a accordé au Dr King. Comme l’arbitre de grief l’a souligné dans Colyer (supra), il ne serait pas nécessairement déraisonnable pour l’employeur de s’attendre à ce que les employés touchent des indemnités pour accident du travail pour couvrir une partie de leur absence même quand c’est moins avantageux pour eux que de bénéficier d’un CAT durant toute cette période. L’employeur a l’obligation de tenir compte de tous les facteurs pertinents pour le fonctionnaire qui demande un congé et de veiller à ce que sa décision soit raisonnable dans ce contexte. Dans le cas du Dr King, le fait que l’employeur n’était pas conscient de l’existence d’un facteur important pour lui durant sa période d’absence du travail signifiait que sa décision ne pouvait pas être raisonnable, conformément aux paramètres décrits dans Colyer (supra), ainsi que dans Sabiston (supra).

[36]   Les arbitres de griefs qui ont conclu que le CAT accordé par un employeur ne satisfaisait pas au critère de raisonnabilité ont ordonné deux sortes de redressements. La première, qui reflète l’approche prise dans Sabiston (supra), est la détermination par l’arbitre de grief de la durée raisonnable du congé, assortie d’une ordonnance en conséquence. La seconde, qui correspond à la démarche de l’arbitre de grief dans Haslett (supra), consiste à renvoyer la décision sur la durée du congé à l’employeur, en lui soulignant les lacunes de sa décision initiale.

[37]   Puisque j’ai conclu que l’employeur n’a pas tenu compte d’un facteur qui aurait pu influer sur sa décision et que sa décision n’était par conséquent pas raisonnable, la démarche la plus directe pour moi consisterait à substituer au congé qu’il a accordé un congé d’une durée que je considère comme raisonnable. Les parties n’ont pas prétendu que je n’aurais pas compétence pour rendre une ordonnance en ce sens et rien ne laisse entendre qu’on ait contesté les décisions des arbitres de griefs qui ont opté pour cela jusqu’ici.

[38]   J’estime toutefois que le redressement optimal pour ce genre d’erreur procédurale de l’employeur consiste à lui donner la possibilité de prendre une décision tenant compte de tous les facteurs pertinents, et plus particulièrement de la situation du Dr King. C’est une approche compatible avec mon analyse de la présente affaire, où j’estime qu’il y a eu une erreur de procédure plutôt que de la mauvaise foi de l’employeur; cela lui donne la chance de prendre une décision tenant dûment compte de tous les aspects de la situation ayant donné lieu à la demande de congé.

[39]   Pour tous ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[40]   J’ordonne que le grief présenté au nom du Dr King soit accueilli en partie et que l’employeur réévalue la demande de CAT en tenant compte du traitement du fonctionnaire s’estimant lésé.

Le 31 mars 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Beth Bilson, c.r.,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.