Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée occupait le poste d’intervieweur à la Division des opérations des enquêtes statistiques de Statistique Canada - l’employeur l’a licenciée au motif qu’elle n’avait pas suivi la procédure applicable lors d’une enquête téléphonique, notamment en remplissant le questionnaire d’enquête en l’absence de la répondante - l’employeur lui reproche d’avoir ainsi falsifié des données apparaissant au questionnaire, contrevenant ainsi à la Loi sur la statistique et minant la crédibilité de Statistique Canada - l’employeur est d’avis que le lien de confiance est rompu et que le licenciement est justifié - la fonctionnaire s’estimant lésée invoque le fait qu’elle a voulu faire vite et voulait éviter d’accaparer inutilement une répondante (une dentiste) pendant ses heures de bureau -- l’arbitre de grief a conclu que l’employeur ne s’était pas acquitté de son fardeau de prouver, sur la base d’une prépondérance de preuve, que la fonctionnaire s’estimant lésée avait falsifié des données lors d’une enquête dont elle avait la responsabilité, et qu’elle n’avait pas d’intention malveillante - il n’a pas établi non plus que le geste de consigner des réponses en l’absence du répondant constituait dans les circonstances un écart de conduite justifiant une mesure disciplinaire. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P 35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-05-15
  • Dossier:  166-24-36049
  • Référence:  2006 CRTFP 55

Devant un arbitre de grief



ENTRE

FERNANDE MORIN

fonctionnaire s’estimant lésée

et

OPÉRATIONS DES ENQUÊTES STATISTIQUES

employeur

Répertorié
Morin c. Opérations des enquêtes statistiques

Affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Georges Nadeau, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée :  Laurent Trudeau, avocat

Pour l’employeur :  David M. Bolger, avocat


Affaire entendue à Sherbrooke, Québec,
du 7 au 10 février, 2006.

Grief renvoyé à l’arbitrage

[1]    Mme Fernande Morin était au service des Opérations des enquêtes statistiques de Statistique Canada, à titre d’intervieweur au bureau de Sherbrooke depuis février 2002. Elle était assujettie aux dispositions de la convention collective liant les Opérations des enquêtes statistiques et l’Alliance de la Fonction publique du Canada.

[2]    Le 29 novembre 2004, M. Guy Oddo, directeur, région de l’Est, l’avisait de son licenciement. Ce licenciement faisait suite à une enquête portant sur l’interrogation et la consignation des réponses et, plus particulièrement, la complétion par Mme Morin d’un questionnaire en l’absence du répondant le 18 novembre dernier.  Le directeur concluait ce qui suit : « Compte tenu que les procédures impératives n’ont pas été suivies et, de ce fait, le lien de confiance nécessaire au maintien de la relation d’emploi a été rompu par le geste que vous avez posé le 18 novembre, 2004, dans le cadre de vos fonctions d’intervieweur téléphonique, je n’ai pas le choix et je dois mettre fin à votre emploi à compter de maintenant ».

[3]    Mme Morin déposait le même jour, le 29 novembre 2004, un grief à l’encontre de ce licenciement. Le grief a été rejeté au palier final le 19 avril 2005 et renvoyé à l’arbitrage de grief le 25 mai 2005.

[4]    Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur.   En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l'arbitrage de grief doit être décidé conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l' « ancienne Loi »).

Résumé de la preuve

[5]    Le premier témoin présenté par l’employeur a été Jill Bench. Mme Bench travaille à Statistique Canada depuis 31 ans et est directrice adjointe, opérations, à la Direction des opérations régionales, région de l’Est. À ce titre, elle est responsable de toute la collecte des données dans la région de l’Est. Cette région inclut les quatre provinces de l’Atlantique et le Québec. Elle est aussi responsable directement et par l’entremise de subordonnés des sondages, des budgets, de la dotation et de la formation. Elle prodigue, à la demande,   des conseils au directeur de la région ainsi qu’au bureau chef sur des questions reliées à la collecte des données.

[6]    Mme Bench a par la suite décrit le sondage sur la population active. Ce sondage mensuel, exécuté à partir d’un échantillon, procure les données sur l’emploi et le chômage pour le Canada en entier. Environ 55 000 ménages canadiens sont contactés tous les mois. Il s’agit d’un sondage dit obligatoire en vertu de la Loi sur la statistique. Les personnes incluses dans l’échantillon ont l’obligation de répondre aux questions.

[7]    Le témoin a présenté le serment que la fonctionnaire s’estimant lésée, Mme Morin, a prêté le 24 janvier 2002 (pièce E-1) et a indiqué que les intervieweurs, une fois assermentés, reçoivent une formation traitant de la confidentialité, des pratiques de l’interview, de la façon d’interagir avec les répondants, de la conversion des refus et des pratiques administratives. De plus, les formations données qui sont spécifiques à certain sondage incluent aussi des propos sur la confidentialité.   

[8]    Le témoin a fait part des mesures de sécurité en place à Sherbrooke pour assurer la confidentialité des renseignements qui y sont gardés. D’une part, les locaux sont à accès contrôlé. Les visiteurs doivent en tout temps être accompagnés et n’ont pas accès aux renseignements confidentiels. L’équipement informatique et les programmes utilisés sont cryptés et un pare-feu protège les données.

[9]    Le témoin indique aussi qu’au moyen de la formation, les employés sont prévenus contre la falsification des données et attire mon attention sur l’alinéa 30 a) de la Loi sur la statistique qui stipule qu’un employé peut être trouvé coupable d’une infraction et passible d’une amende s’il fait volontairement une fausse déclaration ou un faux relevé dans l’exercice de ses fonctions.

[10]    Le témoin indique qu’elle a pris connaissance de la situation impliquant Mme Morin lorsque Mme Claudette Baillargeon a communiqué avec elle par téléphone. Elle a pris connaissance à ce moment d’un possible cas de falsification par un employé de Sherbrooke et qu’une enquête était en cours conduite par M. Christian Bertrand et Mme Joanne Choquette auprès de la personne qui répondait aux questions soumises par l’employée au cours du sondage (la répondante).  

[11]    Mme Bench témoigne que les résultats de l’enquête lui ont été communiqués et que des données avaient été falsifiées. Elle a poursuivi en indiquant que la falsification était une infraction sérieuse parce que le mandat de Statistique Canada est de faire la collecte de données sur des questions nationales qui serviront à des fins d’analyses et de publication sur lesquelles des décisions seront prises.

[12]    Le témoin ajoute que la falsification de données était un évènement rare et hors de l’ordinaire. Elle est d’avis que le congédiement est approprié compte tenu de l’importance de la relation de confiance. Si un tel bris de confiance se produit, la   relation de confiance qui doit exister entre l’employeur et l’employé est brisée.

[13]    Statistique Canada a une excellente réputation basée sur la confidentialité et sur la qualité des données recueillies et publiées. Le témoin est d’avis que compte tenu du bris de confiance qui s’est produit, Statistique Canada ne pourrait réemployer une telle personne.

[14]    En contre-interrogatoire, Mme Bench a confirmé que Mme Morin n’avait aucun antécédent disciplinaire. Elle confirme aussi que les appréciations de rendement faisaient état d’un rendement satisfaisant et qu’elle n’en a pris connaissance qu’après le congédiement.

[15]    Au sujet de l’enquête menée par Christian Bertrand et Joanne Choquette, le témoin indique qu’elle n’a jamais parlé directement avec ces personnes et qu’elle a traité de la situation par l’entremise de la gérante de district de Sherbrooke Mme Baillargeon. Le témoin indique qu’à sa connaissance, seulement une répondante a été contactée au cours de cette enquête. Elle indique aussi qu’à tour de rôle, M. Bertrand et Mme Choquette ont communiqué avec cette répondante. La deuxième communication avait pour objet de s’assurer que les renseignements recueillis portaient bien sur l’enquête supplémentaire conduite en même temps que l’enquête sur la population active (EPA). Le témoin indique aussi que la répondante n’avait pas produit de document écrit à ce sujet.

[16]    Le témoin confirme que l’enquête supplémentaire était celle sur les voyages des Canadiens (EVC) et qu’il ne s’agit pas d’une enquête où les répondants sont tenus d’y répondre par la loi. En vertu de la Loi sur la Statistique, certaines enquêtes sont   obligatoires alors que d’autres sont volontaires. Le témoin confirme aussi que le motif du congédiement n’est pas relié à un bris de la confidentialité mais bien à un bris de confiance.

[17]    Le second témoin présenté par l’employeur est Mme Joanne Choquette. Mme Choquette travaille pour Statistique Canada depuis septembre 2001. Elle a débuté comme intervieweur pour ensuite occuper le poste d’agente de communication et enfin d’intervieweur principal à partir du 31 août 2001.

[18]    La fonction principale du témoin en novembre 2004 était le contrôle de la qualité. Ce contrôle s’effectuait par la surveillance des enquêtes téléphoniques. Il s’agissait d’un travail exécuté à l’aide d’un ordinateur et d’écouteur en réseau avec les postes de travail des intervieweurs. Le témoin indique qu’il s’agissait de s’assurer que le travail des intervieweurs se faisait en conformité avec les critères de base établis par Statistique Canada.

[19]    Les buts visés, selon le témoin, étaient de s’assurer que la collecte des données soit faite de façon professionnelle, et de faire en sorte que l’on puisse assurer la bonne saisie des données pour fin d’analyse.

[20]    Mme Choquette indique que la surveillance se fait à l’aide d’un formulaire qui est rempli en observant l’enquête qui se déroule entre l’intervieweur et le répondant. Elle voit le même écran que l’intervieweur et entend la conversation. L’intervieweur n’est pas informé du fait qu’une entrevue particulière fait l’objet d’une surveillance. Toutefois, les intervieweurs sont informés du fait que ces observations peuvent avoir lieu en tout moment.

[21]    En ce qui a trait à l’observation exécutée le 18 novembre 2004, le témoin indique qu’elle portait sur l’entrevue faite relativement à la population active. Elle a observé que l’enquête a débuté avec la répondante de façon plus amicale que cela aurait dû l’être et a noté une erreur critique parce que les libellés de départ n’avaient pas été suivis. Ces libellés portent sur le fait qu’un surveillant peut être en ligne pour assurer un contrôle de la qualité et un autre pour demander la préférence au niveau de la langue.

[22]    Mme Choquette indique que par la suite l’intervieweur, après avoir confirmé l’adresse, n’a pas corrigé le code postal. Par la suite, elle affirme que l’enquête ne s’est pas déroulée comme cela devait se faire. La lecture des libellés des questions se fait comme si c’était à elle-même que l’intervieweur se posait des questions. Mme Morin ne semble pas attendre les réponses de la répondante. L’enquête se conclut avec l’inscription d’un code final. Cette enquête devait être suivie par l’EVC. Le témoin indique que l’enquête n’a pas comme tel eu lieu et que l’intervieweur a rempli les réponses à l’écran après avoir conclu avec la répondante et l’avoir remercié. La répondante n’était plus en ligne lorsque l’intervieweur a rempli les réponses à l’écran.

[23]    Elle indique aussi que l’EPA se déroule en six entrevues téléphoniques sur une période de 6 mois et que l’EVC se fait lors de la deuxième et de la sixième entrevue.

[24]    Mme Choquette présente le formulaire d’observation aux fins du contrôle de la qualité (pièce E-2) qu’elle a complété en rapport avec cette enquête. Après trois questions, elle indique qu’à son avis il n’y avait plus de possibilités de continuer de prendre note des réponses et que c’était plus de l’auto-questionnement. Elle a essayé de remplir tout ce qu’elle pouvait sur le formulaire et qu’à son avis l’entrevue n’était pas valable.

[25]    Mme Choquette indique qu’elle avait noté que l’entrevue avait duré une minute, que l’intervieweur avait dit au répondant « il me semble que votre nom me dit quelque chose », que la correction au code postal n’avait pas été faite et qu’elle le serait peut-être plus tard dans les notes. Elle indique qu’à un certain moment elle a fait une impression de l’écran.

[26]    Mme Choquette a avisé son superviseur Mme France Corriveau du déroulement de cette enquête et est retournée au travail.

[27]    Par la suite Mme Baillargeon, un superviseur, l’a fait venir à son bureau pour lui demander de communiquer avec la répondante en vue d’établir si celle-ci avait répondu à l’EVC. Les réponses de la répondante ont été transmises au superviseur.

[28]    En contre-interrogatoire, Mme Choquette indique qu’elle a rempli le formulaire d’observations durant l’entrevue pendant qu’elle écoutait et qu’elle l’a remis au superviseur de 5 à 10 minutes plus tard. Elle croit que c’est la répondante elle-même qui a répondu au téléphone mais ne sait pas où elle se trouve. Elle reconnaît toutefois qu’il est possible que ce soit une secrétaire qui a répondu à l’appel et que la répondante était possiblement à son bureau. Elle confirme que ce n’est pas la première fois que cette répondante est questionnée et qu’il y avait déjà des notes au dossier. Elle avait l’impression que Mme Morin avait déjà parlé à cette répondante. Quant à savoir si l’intervieweur la connaissait, elle indique n’avoir jamais vérifié cette observation auprès de l’intervieweur. Elle ajoute que normalement, si le répondant est connu personnellement de l’intervieweur, celui-ci devrait proposer de passer l’entrevue à un collègue. Elle ne se souvient pas exactement comment l’employé s’est présenté.

[29]    Mme Choquette confirme que rendu à la cinquième ou sixième entrevues, les répondants sont moins coopératifs et qu’il faut parfois expliquer pourquoi on repose les mêmes questions. Elle souligne aussi l’importance de recueillir des données exactes qui reflètent les réponses des répondants.

[30]    Lorsque Mme Choquette a porté cette entrevue à l’attention du superviseur c’était pour faire reprendre l’entrevue. Elle considérait que l’entrevue n’avait pas été conduite de façon normale. Quant au fait d’avoir fait une mise en garde contre un congédiement (pièce E-2), le témoin mentionne que son rôle était d’aviser le superviseur et qu’elle considérait cela important pour la saisie des données. Elle avait un rôle pour commenter le contrôle de la qualité et pour aider, le cas échéant, les intervieweurs à faire le travail.

[31]    À la question de savoir si elle se rappelait d’une question posée par Mme Morin qui n’était pas comme à l’écran, le témoin a indiqué qu’elle ne se rappelait pas. À partir de la notation sur la pièce E-2 à l’effet que la répondante, qui était dentiste, déclare « pas de changement » depuis le mois passé, pressée de questions par le représentant de l’employée s’estimant lésée, le témoin indique que Mme Morin peut avoir posé des questions mais qu’elle se les posait à elle-même.   Elle reconnaît aussi que de façon général, la répondante dentiste indiquait « pas de changement » et qu’elle a aussi noté « j’imagine qu’elle parle de l’EVC ».  

[32]    M. Christian Bertrand a aussi témoigné à la demande de l’employeur. M. Bertrand est un gestionnaire de projet à la Division des opérations statistiques. En novembre 2004, il était au service du bureau de Sherbrooke à titre d’intervieweur principal. La direction lui a demandé de faire une vérification afin de déterminer si les questions de l’enquête avaient été posées. Toutefois, son témoignage a été écourté par le représentant de l’employeur qui l’avait appelé à témoigner, compte tenu des dispositions de la Loi sur la statistique relativement à la confidentialité des réponses données par les répondants.

[33]    L’employeur a demandé à France Corriveau de témoigner. Elle est surveillante de projet à Statistique Canada au bureau régional de Sherbrooke depuis août 2001. Avant cela, elle a été surveillante de projet à Montréal pendant 9 mois. Elle indique qu’à Sherbrooke, elle supervise des équipes d’une quinzaine d’intervieweurs chargés de mener les enquêtes. En ce qui à trait à l’EPA, cela représente des contacts avec quelques 8 000 répondants tous les mois de l’année. Le travail sur l’EPA dure 10 jours chaque mois et celle de l’EVC ajoute deux jours de plus. Le travail sur l’EPA se fait uniquement par téléphone et les données sont entrées directement dans l’ordinateur.  

[34]    Mme Corriveau indique que son rôle était de répartir l’échantillon total parmi les différents enquêteurs à raison de 110 à 130 cas par poste de travail. En novembre 2004, 90 % des postes de travail avaient 124 cas.

[35]    Relativement aux évènements du 18 novembre 2004, le témoin affirme que Mme Choquette, intervieweur principal, s’était présentée à son bureau lui indiquant qu’elle ne pouvait laisser passer ce qu’elle venait d’entendre. Elle a rapporté le tout à Mme Baillargeon.

[36]    Mme Corriveau indique qu’elle avait déjà vécu une situation où un employé avait rentré des données pour quelqu’un qui n’était pas là. Toutefois, c’était la première fois qu’un tel évènement lui était rapporté à Sherbrooke. Elle ne s’inquiétait pas du rendement de Mme Morin qui était un intervieweur d’expérience sur qui on pouvait compter.

[37]    Le témoin indique que le but de la surveillance est de vérifier la qualité des données et de modifier la formation des intervieweurs si un sujet est mal compris. La surveillance se fait au hasard tout en tenant compte du classement des intervieweurs. Les intervieweurs moins expérimentés font l’objet de plus de suivi.

[38]    Le témoin indique que Mme Baillargeon lui a demandé de rencontrer Mme Morin et de lui dire d’aller chez elle pendant qu’une enquête se ferait. Lorsque l’enquête serait terminée, on la rappellerait.

[39]    Elle a convoqué la fonctionnaire s’estimant lésée avec deux objectifs en tête, l’un informatif, l’autre interrogatif. Elle voulait vérifier si elle avait parlé à la répondante, lui avait posé les questions de l’EVCs et l’informer qu’elle devait quitter pendant que la vérification se ferait.

[40]    La rencontre a eu lieu dans la salle de conférence et a duré une dizaine de minutes. Le témoin indique qu’elle a demandé à Mme Morin si elle se rappelait d’avoir parlé à une répondante. Mme Morin a indiqué qu’elle se rappelait. Pour ce qui est de l’EVC, Mme Morin a indiqué qu’elle se rappelait que la personne interrogée avait dit qu’elle n’avait pas voyagé. Mme Corriveau indique qu’elle a demandé à Mme Morin   si elle avait fait l’EPA avec la dame. Elle a répondu oui. Elle lui a dem andé si elle avait posé des questions sur les voyages. Mme Morin a répondu que la dame a indiqué qu’elle n’avait pas voyagé.   Elle a demandé si Mme Morin était allée dans l’EVC au moment où elle posait les questions mais ne se souvient pas de la réponse. Elle affirme avoir indiqué à Mme Morin que l’on savait qu’elle n’était pas allée dans l’EVC.

[41]    Quant à la réaction de Mme Morin, Mme Corriveau indique que celle-ci semblait surprise et qu’elle a aussi exprimé de la colère. Elle a exprimé l’opinion que l’on voulait peut-être sa tête et a demandé au témoin « le crois-tu vraiment? ».

[42]    Mme Corriveau a avisé Mme Morin que Mme Baillargeon lui avait demandé de lui dire qu’elle serait payée, ce à quoi la fonctionnaire a rétorqué « dis-lui de prendre tout son temps ».   

[43]    Le témoin a affirmé que l’on ne visait pas Mme Morin et qu’elle ne s’intéressait à la surveillance que s’il y avait un problème particulier.

[44]    En contre-interrogatoire, le témoin confirme qu’elle a signé l’évaluation de Mme Morin et que cette évaluation fait état du taux de réponse bonifié que l’employé obtient dans l’administration des questionnaires. Mme Morin, au dire du témoin, avait l’habileté d’aller chercher un plus grand nombre de personnes. La fonctionnaire s’estimant lésée avait fait partie des équipes de refus. Ces équipes avaient pour tâches de tenter de convaincre les personnes récalcitrantes à répondre aux questionnaires. De l’avis du témoin, Mme Morin possédait les qualités requises d’expérience, de persuasion et de tact pour faire partie de ces équipes. Le témoin confirme aussi l’annotation sur l’évaluation de rendement à l’effet que Mme Morin avait le sens de l’éthique.

[45]    Questionné sur le moment de la rencontre avec Mme Morin le témoin a indiqué que la rencontre a eu lieu vers 16 h 00 alors qu’elle avait été informée de la situation vers 13 h 45.

[46]    Mme Corriveau confirme qu’une procédure a été utilisée pour entrer dans le système informatique. Elle ajoute que le poste de travail assigné à la fonctionnaire s’estimant lésée était le numéro 4 bien qu’elle ait pu travailler à partir d’un poste d’un collègue.

[47]    La fonctionnaire s’estimant lésée, Mme Fernande Morin témoigne par la suite.   Elle travaille à Statistique Canada depuis le mois de février 2002 à titre d’intervieweur. Au moment de l’incident qu’on lui reproche, elle est célibataire et s’occupe de ses deux parents âgés qui sont dépendant de ses soins. Plus spécifiquement cette semaine-là, sa mère est hospitalisée alors que son père qui souffre de maladie est seul à la maison. Dans ces circonstances, elle devait voir son père tous les midis pour s’assurer de son bien-être et visitait sa mère à l’hôpital en soirée.

[48]    Mme Morin indique, relativement à l’incident qu’on lui reproche, qu’elle travaillait sur l’EPA lorsqu’elle a communiqué avec la répondante à son lieu de travail. Cette répondante est dentiste et c’est la secrétaire qui a répondu à l’appel. Elle a demandé de parler à la dentiste en s’identifiant comme étant Fernande Morin de Statistique Canada. Lorsque la répondante a pris l’appel, elle a indiqué à celle-ci que c’était son dernier mois de participation à l’enquête sur l’EPA. La répondante a alors dit « Allez-y qu’on en finisse […] il n’y a pas de changement ». Sentant l’impatience de la répondante, le témoin indique qu’elle a alors offert à la répondante de lui téléphoner à un autre moment, ce à quoi la répondante refuse.   

[49]    Mme Morin confirme qu’elle n’a pas avisé la répondante que la conversation pouvait être écoutée et qu’elle pouvait choisir la langue de communication de son choix. Compte tenu que ce n’était pas le premier appel et qu’il fallait faire vite et se dépêcher dans les circonstances, elle procède en vérifiant les informations à l’écran et à chaque question, la répondante indique qu’il n’y a pas de changement. Elle confirme être allée au plus court et avoir procédé rapidement en disant : « et oui … on roule ».

[50]    Mme Morin indique qu’afin de pouvoir passer des écrans de l’enquête EPA à l’enquête EVC, il faut fermer un programme pour en démarrer un autre. Il se passe une vingtaine de secondes entre la fin de l’un et le début de l’autre. Durant ce temps, Mme Morin affirme avoir demandé à la répondante si elle avait fait des voyages. La répondante a répondu que non. Compte tenu de cette réponse, Mme Morin a mis fin à l’appel sans toutefois lui demander la question portant sur les revenus.   Elle a rempli l’enquête sur l’ordinateur en l’absence de la répondante à partir des réponses données et a mis un point d’interrogation à la question sur les revenus.

[51]    Mme Morin indique que la répondante portait le même nom qu’une personnalité connue ce qui explique qu’elle lui ait dit : « Il me semble que je vous connais, est-ce possible? ». Elle ajoute qu’il arrive que les intervieweurs aient à communiquer avec des personnes âgées dans le cadre de l’EPA et que lorsqu’il s’agit de personnes de plus de soixante-dix ans, les intervieweurs ont   reçu la directive de ne pas insister si la personne a trop de difficulté à répondre. Ils doivent alors confirmer l’adresse et fermer le cas. De même vers la fin de l’enquête de l’EPA, si des répondants ont indiqué qu’ils seraient absents, on tentera de confirmer l’adresse auprès des personnes qui répondent au téléphone pour ensuite fermer l’enquête avec les renseignements du mois précédent.

[52]    Au sujet de la journée du 18 novembre, Mme Morin indique qu’elle a continué à travailler à son enquête durant l’après-midi avant d’être convoquée au bureau de la surveillante, Mme Corriveau. Elle n’avait à ce moment aucune idée de ce qui se passait. Elle a été surprise et incrédule des propos de sa superviseur. Elle croyait qu’elle rêvait.

[53]    Quant à la rencontre du 29 novembre suivant, Mme Morin indique que le représentant de l’employeur, M. Luc Quesnel lui a d’abord demandé si elle savait pourquoi elle était convoquée à cette réunion. Elle a répondu en lui disant : « Vous allez me l’expliquer ». M. Quesnel a alors affirmé qu’elle avait complété une enquête sans avoir posé les questions à la répondante et lui a demandé si elle maintenait avoir posé les questions. Mme Morin a maintenu avoir posé les questions. Mme Baillargeon a alors dit que la répondante, qui avait été jointe à deux reprises, avait affirmé le contraire. Mme Morin a été placée devant l’alternative de remettre sa démission ou d’être congédiée. Après avoir consulté son représentant, la fonctionnaire s’estimant lésée a indiqué à l’employeur qu’elle refusait de démissionner.

[54]    Questionnée sur sa participation aux équipes de refus et de cas spéciaux, Mme Morin a indiqué que dans l’administration des enquêtes dites obligatoires, il y avait toujours des gens réticents à répondre aux questions de l’enquête. Des équipes étaient formées au besoin pour traiter des cas de refus. Il fallait posséder une bonne maîtrise de l’enquête et un bon jugement pour évaluer la situation et amener le répondant à répondre aux questions. Mme Morin indique qu’on lui a souvent demandé de participer à de telles équipes. Quant aux cas spéciaux, Mme Morin donne comme exemple une enquête sur la santé où elle a été mandatée pour mettre sur papier pour le bureau national à Ottawa les problèmes rencontrés dans l’administration de ce questionnaire et de proposer des améliorations aux questionnaires pour obtenir un taux de réponses plus élevé. Mme Morin donne aussi d’autres exemples de sa participation dans des projets spéciaux.

[55]    Mme Morin ajoute que lors de la rencontre disciplinaire, on a demandé au représentant de l’employeur M. Luc Quesnel s’il avait pris connaissance de son dossier d’employé. M. Quesnel aurait répondu : « Non, ça n’a pas rapport ».

[56]    En contre-interrogatoire, Mme Morin confirme qu’elle ne travaille pas et qu’elle est à la recherche d’un emploi. C’est bien sa signature qui apparaît sur le serment d’office et de discrétion (pièce E-1). Elle indique qu’elle connaissait le formulaire d’observation aux fins du contrôle de la qualité (pièce E-2) pour l’avoir déjà vu lors de formations et à la suite d’une discussion avec Mme Choquette. Lors de cette discussion Mme Choquette avait indiqué qu’elle était obligée de noter ces commentaires. La question n’avait pas été posée comme à l’écran et tant qu’une modification n’avait pas été approuvée par le bureau national à Ottawa, il fallait poser la question comme à l’écran.

[57]    Questionnée sur ses rapports avec Mme Choquette, Mme Morin indique qu’elle avait de bons rapports avec Mme Choquette tout comme avec tous ses collègues. Elle ajoute que lorsque Mme Choquette est allée à la surveillance la « farce » qui circulait était : « Joanne (Mme Choquette) s’en vient […] on va faire attention ».

[58]    Questionnée sur la formation reçue à son entrée en fonction, Mme Morin indique que l’entrée de donnés est très importante et qu’elle serait la dernière à fausser des données. Elle maintient être trop intègre pour avoir fait cela.

[59]    Le représentant de l’employeur lui a alors demandé de concilier sa conduite et la formation reçue. Mme Morin a répondu que pour elle la situation était claire. Il s’agit avant tout d’obtenir des réponses claires. Il faut aussi procéder rapidement car on risque de perdre le répondant. Elle considère que la façon dont elle a traité le cas visait à éviter un refus. Elle n’a pas faussé les données.

[60]    Questionnée sur le nombre de questions à l’enquête sur l’EPA, Mme Morin a répondu qu’il y avait environ 18 questions bien que certaines questions pouvaient ne pas être posées selon les réponses données. Quant à l’EVC, si la personne a voyagé cela peut être long.    

[61]    Mme Morin explique qu’au moment du passage de l’enquête EPA à EVC, elle a demandé à la répondante si elle avait voyagé. Celle- ci a répondu que non et qu’il n’y avait pas de changement depuis la dernière fois. Elle ne pense pas avoir posé la question sur le revenu et à par la suite inscrit un point d’interrogation ou un refus de répondre à la réponse à cette question. Elle ne se souvient pas du nombre exacts de questions dans l’EVC.

[62]    Relativement à la durée de l’enquête avec la répondante, Mme Morin croit qu’elle a duré de 3 à 4 minutes et certainement plus que la minute mentionnée par Mme Choquette. Elle croit que Mme Choquette se trompe.

[63]    Relativement à l’EPA, Mme Morin mentionne qu’il arrive que les ordinateurs gèlent et que l’enquête se poursuive quitte à intégrer les données plus tard. Normalement l’EPA prend de 5 à 7 minutes s’il y a des changements.

[64]    En ce qui concerne l’EVC, Mme Morin réitère qu’elle ne s’obstine pas avec Mme Choquette quant au fait que la répondante avait raccroché. Mme Morin réaffirme qu’elle avait déjà posé les questions.

[65]    En terminant, Mme Morin confirme qu’elle souhaite annulation de la sanction disciplinaire et sa réintégration dans son emploi.

Résumé de l’argumentation

[66]    Le représentant de l’employeur présente le dossier comme celui du congédiement d’un employé de moins de trois ans de service qui a falsifié des données. Mme Morin n’a pas respecté son serment lorsqu’elle a sciemment entré des données sans avoir posé les questions à la répondante.

[67]    Il a souligné le témoignage de Mme Bench qui a indiqué que la falsification des données était rare selon son expérience, que les employés sont informés que la falsification des données est une chose sérieuse et que, selon ce témoin, le congédiement est la seule sanction et la bonne sanction. Le bris de confiance est tel que la fonctionnaire ne peut continuer son emploi. Le représentant ajoute que Mme Bench a 31 ans d’expérience dans le domaine et que la falsification des données touche à la réputation de l’agence. Cette réputation est construite sur la confidentialité et sur la qualité des données recueillies et publiées.

[68]    Il poursuit en mentionnant que les intervieweurs de Statistique Canada sont les soldats de première ligne et que si l’employeur n’a pas confiance, l’emploi doit se terminer.

[69]    Le représentant de l’employeur, indique que c’est Mme Choquette, intervieweur principal, qui effectuait la surveillance le 18 novembre 2004, et que celle-ci se faisait sur la base du hasard dans le but d’évaluer, de corriger des erreurs et de former.

[70]    Mme Choquette a rempli le formulaire d’observation (pièce E-2) de l’enquête menée par Mme Morin et sur ce formulaire on note que l’enquête n’a duré qu’une minute. Selon ce témoin, Mme Morin ne posait pas les questions à la répondante mais à elle-même. Mme Choquette a indiqué sur le formulaire deux erreurs critiques relativement aux deux points initiaux de l’enquête. Ces points touchaient le fait qu’un surveillant pouvait être à l’écoute et que le répondant avait le choix de la langue. Le représentant souligne que Mme Choquette a entendu Mme Morin remercier la répondante après la fin de l’EPA et raccrocher la ligne. Mme Choquette a aussi témoigné à l’effet qu’après la fin de la conversation, Mme Morin est entré dans l’EVC et qu’elle a entré des données sans que la répondante ne soit en ligne et sans que les questions ne soient posées.

[71]    Le représentant de l’employeur maintient que Mme Choquette était persuadée de ses observations et qu’elle en était estomaquée. Elle a alors informé son superviseur de cette situation.

[72]    Le représentant continue en affirmant que Mme Corriveau, superviseur, est surprise de la situation puisqu’en cinq ans à Sherbrooke, c’était la première fois que l’on accusait quelqu’un d’avoir falsifié des données. Mme Corriveau, après avoir rencontré et questionné Mme Morin, l’a renvoyée chez elle.

[73]    Le représentant de l’employeur souligne que Mme Morin a admis dans son témoignage qu’elle avait rempli les réponses aux questions après avoir raccroché le téléphone. Il ajoute que Mme Morin nie avoir falsifié les réponses aux questions de l’enquête mais ne se rappelle pas du nombre de questions de l’enquête EPA pas plus que celles de l’EVC.

[74]    Mme Morin ne se rappelle pas de la réponse qu’elle a inscrite à la question sur le revenu de la répondante dans l’EVC. Le représentant m’invite à conclure que la mémoire de Mme Morin est erronée.

[75]    Le représentant note que le document intitulé Formulaire d’observation aux fins du CQ (pièce E-2) qui est contemporain à l’entrevue indique clairement « [sic] puis une fois [sic] répondante raccrochée, elle est entré dans l’EVC [sic] » Il m’invite à conclure que Mme Choquette est une personne de principe qui a observé Mme Morin remplir l’EVC sans avoir posé les questions à la répondante.

[76]    Quant à la sévérité de la sanction, le représentant de l’employeur indique que d’après les témoignages de Mme Bench, Mme Choquette et Mme Corriveau, la falsification des données est une chose rare. Mme Bench a témoigné qu’il y avait un bris de confiance et qu’il ne pouvait être question de réintégration.

[77]    Le représentant de l’employeur soutient que la jurisprudence confirme que lorsque l’emploi exige la protection d’information confidentielle, la conséquence d’un bris de confiance est le congédiement. Il me réfère aux décisions suivantes: Bradley et le Conseil de Trésor (Revenu Canada, Douanes et Accises), 2000 CRTFP 82; Côté c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2002 PSSRB 103; Parsons c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), dossier de la CRTFP no. 166-2-27007 et Rosec. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Douanes et Accises), dossiers de la CRTFP nos. 166-2-27307 et 166-2-27308.

[78]    Le représentant ajoute que la question de la crédibilité des témoins est un point fondamental de la présente cause. Mme Morin a avoué avoir raccroché le téléphone après l’enquête de l’EVA et a répondu aux questions en se fiant à sa mémoire. Cependant, elle ne se rappelle pas du nombre de questions dans l’une ou l’autre des enquêtes. Elle ne se rappelle même pas de la réponse qu’elle a inscrite pour la question des revenus de la répondante dans l’EVC.

[79]    Par contre, Mme Choquette, qui n’a aucun intérêt dans le résultat de ce grief, nous a dit avoir observé l’écran de Mme Morin et l’avoir écouté pendant la discussion. Mme Choquette, qui est témoin, nous indique que Mme Morin n’a pas posé les questions de l’EVC. De l’avis du représentant, cette preuve est la meilleure preuve plutôt que la mémoire défaillante de Mme Morin.

[80]    Le représentant de l’employeur souligne le critère qui apparaît dans la décision de la Cour d’appel dans Faryna c. Chorny 1952 2 D.L.R. 354 (B.C.C.A.) :

[…]

La crédibilité d’un témoin intéressé notamment dans les cas de preuve contradictoire ne peut être évalué uniquement en fonction de la question de savoir sir le comportement du témoin en cause semblait naturel. Il convient d’examiner de manière raisonnable la cohérence de l’exposé des faits du témoin à la lumière des probabilités se rapportant aux conditions qui existent à l’heure actuelle.  

[…]

[81]    Le représentant me demande de me fier sur le témoignage de Mme Choquette parce qu’elle a entendu, observé et pris en note les actes de Mme Morin.

[82]    En conclusion, le représentant de l’employeur plaide que malgré le rendement de Mme Morin, l’acte de falsifier les données qu’elle a commis le 18 novembre 2004 porte atteinte à sa fiabilité et touche à l’intégrité des données de Statistique Canada. L’employeur n’a plus confiance en cette personne et par consequent, il serait impossible de l’intégrer dans le milieu de travail. Il me demande de rejeter le grief.

[83]    Le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée estime, dans un premier temps, que la jurisprudence présentée par l’employeur traite réellement de cas extrêmes alors que telle n’est pas la situation ici.

[84]    Le motif du congédiement qui se trouve dans la pièce S-2 se réfère au fait d’avoir rempli un questionnaire en l’absence du répondant.

[85]    Le représentant signale que Mme Morin admet avoir inscrit les réponses après la fin de la conversation téléphonique. Il indique que le témoignage de M. Christian Bertrand n’a rien ajouté à l’enquête. Quant à celui de Mme Jill Bench, il est d’avis qu’elle a tracé un portrait global de la situation mettant l’accent sur la confidentialité. Toutefois, rien dans la description des agissements de Mme Morin ne peut être interprété comme un bris de confidentialité.

[86]    Le représentant est d’avis que c’est la validité des informations consignées par Mme Morin qui est mise en doute. La fonctionnaire s’estimant lésée a-t-elle inventé ou forgé les réponses ou s’agit-il de renseignements fournis par la répondante.

[87]    Le représentant m’invite à examiner le témoignage de Mme Choquette. Celle-ci estime que Mme Morin a inventé des réponses. Le formulaire d’observation indique qu’il y aurait eu trois questions de posées à la répondante et que par la suite, il s’agissait d’auto-questionnement; auto-questionnement dans le sens où la question était posée sans toutefois véritablement attendre la réponse. À d’autres moments de l’interrogatoire elle affirme que Mme Morin n’a pas posé de questions.

[88]    Le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée signale que Mme Choquette interprète de façon erronée le début de la conversation entre Mme Morin et la répondante, comme faisant état d’une relation personnelle entre les deux. Mme Choquette se fonde sur le commentaire : « Il me semble que votre nom me dit quelque chose ». Cette interprétation va colorer l’interprétation qu’elle donne de la suite des événements. Or, Mme Morin nous a expliqué qu’il n’en est rien et que la répondante a tout simplement le même nom qu’une personne connue.

[89]    Le représentant souligne la contradiction dans le témoignage de Mme Choquette et la preuve documentaire. Alors qu’elle affirme qu’il n’y avait pas eu de questions posées à la répondante relativement à l’EVC, les notes prises sur le questionnaire indiquent (pièce E-2)   « […] dentiste déclare pas de changement depuis le mois passé - l’intervieweur répond des fois il peut y avoir des petits – à faire; j’imagine qu’elle parle de l’EVC ».

[90]    Le représentant met aussi en doute le témoignage de Mme Choquette selon lequel elle aurait rempli le formulaire d’observation (pièce E-2) pendant qu’elle procédait à l’écoute de la conversation téléphonique avec la répondante. Écrire les observations notées sur le document prend plus de temps que la durée inscrite au formulaire de la conversation téléphonique.

[91]    Il note que Mme Choquette avait fini par reconnaître en contre-interrogatoire que la répondante indiquait « pas de changements » aux questions posées par Mme Morin. Elle reconnaît aussi que le ton de la répondante trahissait une certaine impatience.   

[92]    Le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée souligne que le fardeau de la preuve incombe à l’employeur et que l’employeur n’a pas prouvé que l’employé a inventé les réponses aux questions.

[93]   Si Mme Morin reconnaît avoir pressé le pas pour compléter l’entrevue rapidement, il faut comprendre, selon le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée, que le temps d’un chirurgien dentiste est précieux et qu’il s’agit de la sixième fois que les mêmes questions sont posées. Quant à l’EVC, la fonctionnaire a posé les questions avant que les questions n’apparaissent à l’écran. Ayant obtenu les réponses nécessaires, la fonctionnaire a mis fin à la conversation téléphonique et a inscrit les réponses obtenues à l’écran de l’ordinateur par la suite.

[94]    Le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée souligne qu’elle n’est pas une personne dont on questionne le talent, la capacité d’écoute, le taux de réponse et l’éthique, comme en font foi les évaluations de rendement produites en preuve (pièce S-3).

[95]    Le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée me demande d’annuler le congédiement et de rétablir le lien d’emploi sans perte des avantages. Il me demande aussi de rester saisi de l’affaire dans la perspective où je réintègrerais l’employée, pour déterminer les montants des dommages si les parties ne peuvent s’entendre.

[96]    Le représentant de l’employeur en réplique me souligne que pour Statistique Canada, le fait de fausser des données constitue de la fraude. Beaucoup d’entreprises se fient sur les données compilées par Statistique Canada. C’est une faute grave qui mérite la sanction disciplinaire la plus sévère.

Motifs

[97]    Il incombe à l’employeur d’établir que la fonctionnaire s’est conduite de façon répréhensible afin de déterminer s’il y avait lieu pour l’employeur d’imposer une sanction disciplinaire. Or, la preuve présentée ne me convainc pas qu’il y a eu de la part de la fonctionnaire un comportement fautif et volontaire qui justifierait une quelconque sanction disciplinaire.

[98]    L’employeur dans sa lettre de congédiement reproche à Mme Morin la complétion par elle d’un questionnaire en l’absence du répondant. Toutefois lors de sa plaidoirie, le représentant de l’employeur plaide que le congédiement est mérité parce que la fonctionnaire a falsifié des données.   Cette plaidoirie est en accord avec le témoignage de Mme Bench qui reproche à l’employé à la falsification de données. J’en tire la conclusion que l’employeur tente de modifier le motif du congédiement en aggravant en quelque sorte le reproche fait à l’encontre de la fonctionnaire.

[99]    Or, le témoignage de Mme Choquette n’a pas la crédibilité et la précision requises pour soutenir une telle accusation. Alors que Mme Choquette affirme sous serment qu’elle a rédigé la pièce E-2 pendant qu’elle écoutait la conversation téléphonique de Mme Morin avec la répondante, le contenu même du document établit qu’il ne peut en être ainsi. Les commentaires contenus à la page 2 de cette pièce sont à savoir qu’elle a mis la direction en garde contre un congédiement fondé sur la surveillance. Ils ne peuvent avoir été écrits qu’après sa rencontre avec son superviseur et même après qu’on ait considéré un congédiement. Elle n’a donc pas rédigé le document au moment où elle le prétend. De plus, l’imprécision de son témoignage relativement aux questions posées de même que les notes consignées sur la pièce E-2 m’amènent à conclure que la version de Mme Morin est la plus plausible. La fonctionnaire s’estimant lésée a voulu faire vite. Elle est passée à l’essentiel pour limiter le temps pris à une dentiste durant ses heures de travail. Le fait de consigner les réponses après avoir raccroché ne constitue pas à mon avis une faute répréhensible dans les circonstances, d’autant plus que rien ne me prouve que les réponses consignées étaient fausses ou que Mme Morin avait des intentions malveillantes.

[100]    L’employeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver, sur la base d’une prépondérance de preuve, que la fonctionnaire s’estimant lésée a falsifié des données lors d’une enquête dont elle avait la responsabilité pas plus qu’il n’a établi que le geste de consigner des réponses en l’absence du répondant constitue dans les circonstances un écart de conduite justifiant une mesure disciplinaire.     

[101]    Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[102]    Je fais droit au grief et annule le licenciement. J’ordonne à l’employeur de réintégrer la fonctionnaire s’estimant lésée et de lui rembourser toute perte de salaire et d’avantages occasionnées par cette décision. Je demeure saisi au cas où les parties ne pourraient s’entendre sur les montants des dommages subis par la fonctionnaire.

Le 15 mai 2006.

Georges Nadeau,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.