Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée occupait un poste d’adjointe à l’inspection des grains (poste saisonnier d’une durée indéterminée) au sein de la Commission canadienne des grains, à Thunder Bay - après sa mise à pied saisonnière, elle n’a pas été rappelée au début de la saison de navigation 20022003 - elle a déposé un grief pour contester le fait que l’employeur n’a pas appliqué à son égard les dispositions relatives au réaménagement des effectifs prévues dans la convention collective à cette époque - l’arbitre de grief a conclu que le fait de ne pas rappeler la fonctionnaire s’estimant lésée au début de la saison de navigation 20022003 ne constituait pas une situation entraînant un réaménagement des effectifs au sens de la convention collective - bien que l’employeur ait décidé, au cours de la saison de navigation, que << [...] les services d’un ou de plusieurs employé-e-s nommés pour une période indéterminée ne seront plus requis au delà d’une certaine date [...] >>, ce qui a entraîné un réaménagement des effectifs au sens de la convention collective, il n’a pas pris une telle décision à l’égard de la fonctionnaire s’estimant lésée au début de la saison de navigation. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-03-21
  • Dossier:  166-02-32542
  • Référence:  2006 CRTFP 31

Devant un arbitre de grief



ENTRE

KATHLEEN DAWN MOORE

fonctionnaire s’estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Commission canadienne des grains)

employeur

Répertorié
Moore c. Conseil du Trésor (Commission canadienne des grains)

Affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Dan Butler, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée :  Debra Seaboyer, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur : Neil McGraw, avocat


Affaire entendue à Thunder Bay (Ontario),
le 31 janvier et le 1er février 2006.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)


Grief renvoyé à l'arbitrage

[1]   Au moment de la présentation de son grief, Mme Kathleen Moore était une employée saisonnière nommée pour une durée indéterminée à la Commission canadienne des grains (CCG), où elle occupait un poste d’inspectrice adjointe des grains, PI-01, à Thunder Bay (Ontario).

[2]   Mme Moore prétend que l’employeur n’aurait pas appliqué correctement les dispositions de l’APPENDICE « T » — Réaménagement des effectifs (« l’appendice T ») de la convention collective du groupe Services techniques conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada et arrivée à expiration le 21 juin 2003.   Tout a commencé lorsque l’employeur a décidé de ne pas rappeler Mme Moore au travail au début de la saison d’expédition de 2002-2003 aux alentours du 1er avril 2002.   À titre de réparation, Mme Moore demande dans son grief que les dispositions de l’appendice T soient appliquées et qu’on la [traduction] « [...] remette dans la position antérieure ».

[3]   Mme Moore a présenté son grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs le 5 juin 2002.   Après que l’employeur l’eut rejeté au dernier palier de la procédure, le 17 avril 2003, l’affaire a été portée à l’arbitrage le 10 juillet 2003.

[4]   Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur.   En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l'arbitrage de grief doit être décidé conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l' « ancienne Loi »).

[5]   En raison du manque de disponibilité de la fonctionnaire s’estimant lésée, il a été impossible d’instruire le présent renvoi à l’arbitrage avant le 31 janvier 2006.

[6]   D’entrée de jeu à l’audience, la fonctionnaire s’estimant lésée a attiré mon attention sur un rapport d’enquête final de la Commission de la fonction publique (CFP), en date du 1er août 2003, concernant une plainte qu’elle avait déposée auprès de la Direction générale des recours de la CFP (pièce G-4).   La plainte en question portait sur un processus institué par l’employeur en mai 2002 en vue d’établir l’ordre inverse de mérite.   Des détails de ce processus, de même que le rapport d’enquête final de la CFP ont été produits en preuve à l’audience, comme on le verra plus loin.   Je crois comprendre que le rapport d’enquête final de la CFP a été mis en preuve dans le but, principalement, de situer dans leur contexte certains événements survenus durant la saison d’expédition de 2002-2003.   Les décisions rendues par la CFP en vertu du pouvoir qui lui est conféré concernent des questions d’interprétation de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP).   Je ne suis pas saisi à bon droit en l’espèce des questions soulevées dans la plainte faisant l’objet du rapport d’enquête final de la CFP.

Résumé de la preuve

[7]   Dans une large mesure, les faits de la présente affaire ne sont pas contestés, ce qui n’empêche pas les parties de diverger d’opinion sur l’importance à accorder à certains d’entre eux.   Trois témoins ont été entendus, soit la fonctionnaire s’estimant lésée, pour son compte, et deux cadres supérieurs de la CCG, pour le compte de l’employeur.   Les parties ont présenté 24 pièces justificatives à l’audience.

[8]   La Loi sur les grains du Canada confie à la CCG le mandat d’assurer la qualité et la quantité du grain.   Par le truchement de son volet opérationnel, soit la division des Services à l’industrie, la CCG s’acquitte de son mandat en offrant des services d’inspection et de pesée des grains et des services administratifs connexes à Thunder Bay et dans quatre autres régions.

[9]   M. Rick Bevilacqua occupait le poste de directeur régional intérimaire de la région de Thunder Bay à l’époque où Mme Moore a déposé son grief (il a ultérieurement été nommé à ce poste à titre permanent en 2003).   Il relevait de M. Jim Stuart, directeur, Services à l’industrie, à l’administration centrale de Winnipeg, qui lui-même relevait du chef de l’exploitation.

[10]   Les activités à Thunder Bay sont subordonnées aux tonnages de grain à expédier et à la durée de la saison d’expédition.   Dès lors que la navigation reprend dans les Grands Lacs et dans la voie maritime du Saint-Laurent en mars ou avril, les stocks de grain acheminés par rail des Prairies commencent à s’accumuler à Thunder Bay.   Au début du printemps, des cargos mer et des cargos hors mer chargent les grains emmagasinés dans les neuf silos situés à Thunder Bay.   La saison d’expédition se termine généralement en décembre ou au début de janvier l’année suivante.   Les expéditions ralentissement parfois l’été, mais elles reprennent de plus belle à l’automne lorsque arrivent les nouvelles récoltes de grain.   En général, des transbordements de grains par rail continuent à Thunder Bay durant la saison morte (janvier à mars), mais le niveau général d’activité chute considérablement.   On utilise la période de ralentissement de janvier à mars pour faire concorder les registres avec les stocks réels et former les employés.

[11]   Les dernières années ont été difficiles pour la région de Thunder Bay.   Après avoir atteint un sommet en 1984, les expéditions de grain sont maintenant en chute libre (pièce E-9).   Les marchés étrangers se tournent désormais vers la clientèle de l’Asie du Pacifique, laquelle est servie à partir des silos de la côte Ouest canadienne.   La diminution des tonnages de grain transitant par Thunder Bay complique de plus en plus la gestion des activités dans la région.   Au cours des cinq ou six dernières années, la tendance dans le secteur a été de fermer complètement les silos de Thunder Bay durant les mois de janvier à mars.   Une décision de la Commission canadienne du blé (CCB) ayant pour effet de réorienter le grain en provenance des Prairies vers les silos de transbordement situés le long du Saint-Laurent (sur lesquels la durée de la saison d’expédition n’a aucune incidence) a également contribué au déclin de longue durée des tonnages de grain.

[12]   Avant 2002, la stratégie de dotation appliquée pour gérer les fluctuations du tonnage de grain à Thunder Bay s’articulait autour d’un noyau d’employés à temps plein nommés pour une période indéterminée auxquels se greffaient des employés saisonniers et des employés nommés pour une période déterminée.   M. Stuart a indiqué que les employés saisonniers nommés pour une période indéterminée étaient généralement rappelés au travail à la fin de mars ou au début d’avril, chaque année, à l’ouverture de la saison d’expédition.   Ils recevaient ensuite un préavis de mise en disponibilité à la fin de la saison.   Durant la saison morte (janvier à mars), seul le noyau d’employés nommés pour une période indéterminée demeurait en poste.

[13]   Mme Moore a travaillé pour la CCG à Thunder Bay pendant 18 ans environ, à titre d’inspectrice adjointe des grains, dans le groupe et au niveau PI-01.   Elle était responsable de la préparation des échantillons de grain pour l’inspection et du bon fonctionnement du matériel d’échantillonnage.   Jusqu’à la fin de 1990, elle était une employée nommée pour une période déterminée.   Elle participait à un concours chaque hiver pour être inscrite sur la liste d’admissibilité des employés nommés pour une période déterminée en vue de la prochaine saison d’expédition et était ensuite choisie pour travailler chaque saison.   Sa situation a toutefois changé le 1er novembre 1990, lorsqu’on lui a offert et qu’elle a accepté un poste d’inspectrice adjointe des grains à titre saisonnier pour une période indéterminée (pièce E-1).   Ce changement résultait de la décision de l’employeur, en 1990, d’introduire le concept d’« employé saisonnier nommé pour une période indéterminée » à la suite, semble-t-il, des griefs contestant la pratique antérieure qui consistait à mettre en disponibilité chaque année des employés à temps plein nommés pour une période indéterminée.   Le concept d’« employé saisonnier nommé pour une période indéterminée » offrait en effet de la souplesse en matière de dotation.   Il permettait aussi aux employés saisonniers nommés pour une période indéterminée de bénéficier d’avantages auxquels ils n’avaient pas droit à titre d’employés nommés pour une période déterminée.

[14]   Mme Moore croyait que sa nouvelle situation d’« employée saisonnière nommée pour une période indéterminée » faisait en sorte qu’elle pouvait désormais s’attendre à obtenir un emploi chaque année, durant la saison d’expédition, sans avoir à se présenter à un concours.   Les données du Service (pièce G-7) indiquent que ses attentes en ce qui concerne la durée annuelle de sa période d’emploi se sont réalisées.   Si le nombre total de jours de travail a fluctué d’une année à l’autre entre 1991 et 2001, il est néanmoins demeuré élevé tout au long de cette période.   L’emploi saisonnier de Mme Moore commençait généralement à la fin de mars ou au début d’avril, après réception d’un avis de rappel au travail de l’employeur.   Il prenait fin en janvier ou en février de l’année suivante, après réception d’un préavis écrit de « mise en disponibilité saisonnière » de deux semaines (pièce G-6).   Certaines années, Mme Moore n’a même pas été mise en disponibilité durant les mois d’hiver, après la clôture de la saison d’expédition.

[15]   Au dire de M. Stuart, il y a eu une détérioration très nette de la situation à Thunder Bay dans la période qui a précédé la saison d’expédition de 2002-2003.   Après deux années consécutives de sécheresse dans les Prairies, la CCG a reçu des rapports de la CCB et des principaux producteurs de grain, en janvier et au début de février, qui prévoyaient une diminution significative des tonnages de grain à l’ouverture de la saison d’expédition de 2002-2003.   M. Stuart a déclaré que les indices pointaient en direction d’une situation temporaire à ce moment-là.   Il suffisait d’une récolte normale dans la saison de croissance de 2002 pour ramener les tonnages de grain à expédier près de leurs niveaux habituels.   La CCG devait recevoir des mises à jour hebdomadaires qui allaient permettre aux gestionnaires de mieux évaluer les besoins opérationnels et de déterminer les effectifs requis.

[16]   Au début de 2002, l’effectif de la région de Thunder Bay était composé de quelque 130 employés de tous les groupes professionnels; de ce nombre, 95 étaient des employés à temps plein nommés pour une période indéterminée, 26 ou 27 des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée et six ou sept, des employés nommés pour une période déterminée.   Le nombre d’employés saisonniers nommés pour une période indéterminée avait augmenté à la fin de 2001.   Dix nouveaux postes avaient été attribués à des employés qui étaient auparavant employés pour une période déterminée.   Mme Moore a déclaré que l’employeur avait décidé de procéder à ce changement pour permettre à des employés nommés pour une période déterminée de bénéficier des avantages offerts aux employés nommés pour une période indéterminée.

[17]   En février 2002, M. Stuart a entamé des discussions avec M. Bevilacqua pour trouver une solution au problème de la diminution prévue des tonnages de grain pour la saison d’expédition à venir.   Ils en sont arrivés à la conclusion que les employés saisonniers nommés pour une période indéterminée et les employés nommés pour une période déterminée ne pourraient pas tous être rappelés au début de la saison d’expédition et qu’un processus de rappel serait nécessaire pour répondre aux besoins opérationnels lorsque la situation reviendrait à la normale durant la saison.   En dépit de la difficulté de faire des prévisions, M. Stuart s’attendait à ce que la plupart, voire la totalité des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée soient rappelés au travail au cours de la saison d’expédition, surtout si la récolte de 2002 se révélait prometteuse.   C’est M. Bevilacqua, avec l’aide des Ressources humaines, qui a été chargé de concevoir et de gérer le processus de rappel requis dans la région.

[18]   Mme Moore n’a pas tardé à ressentir les effets du changement.   À la fin de mars ou au début d’avril 2002, lorsque l’avis de rappel saisonnier attendu arrive généralement, elle était toujours sans nouvelles de l’employeur.   Voyant cela, elle s’est rendue au bureau pour discuter de la situation avec M. Bevilacqua, lequel l’a informée qu’il ne savait pas exactement quand les employés saisonniers nommés pour une période indéterminée seraient rappelés au travail, que les tonnages de grain avaient diminué, mais que le travail pouvait reprendre « d’une semaine à l’autre ».   Mme Moore est ensuite demeurée sans nouvelles de l’employeur jusqu’à la fin d’avril ou au début de mai.   À sa connaissance, aucun des 16 employés saisonniers nommés pour une période indéterminée de la région n’a été rappelé en avril.  

[19]   Mis à part la question immédiate de savoir quand et comment les employés saisonniers nommés pour une période indéterminée seraient rappelés, M. Stuart en était arrivé à la conclusion, en février 2002, qu’il était nécessaire de rajuster ou de rééquilibrer les effectifs de façon plus permanente, compte tenu du déclin de longue durée des tonnages de grain à Thunder Bay et, surtout, de la fermeture des silos durant les mois de janvier à mars.   L’objectif serait de réduire le noyau d’employés à temps plein nommés pour une période indéterminée en se fondant sur les tonnages moyens au cours des cinq ou six dernières années et de continuer à leur adjoindre, au besoin, des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée et des employés nommés pour une période déterminée.   Au dire de M. Stuart, l’objectif à long terme était de rajuster l’effectif des employés à temps plein nommés pour une période indéterminée en fonction des [traduction] « tonnages moyens plutôt que des tonnages de pointe ».

[20]    L’employeur a alors envisagé la possibilité de procéder à un réaménagement des effectifs (RE).   Afin de respecter les engagements qui avaient été pris lors de consultations nationales avec l’agent négociateur, selon M. Stuart, l’employeur souhaitait atteindre son objectif de réduction des effectifs par des départs volontaires.   M. Bevilacqua a été chargé de concevoir une formule et de mettre en train l’application de l’appendice T.   Après une nouvelle analyse des besoins opérationnels et des discussions avec les Ressources humaines, une stratégie a vu le jour qui prévoyait l’abolition de huit postes.

[21]    Les objectifs de l’employeur en matière de RE ont été communiqués au personnel de Thunder Bay par le chef de l’exploitation de la CCG, M. Gordon Miles, et M. Stuart, lors d’une réunion qui s’est tenue à l’extérieur des locaux, le 2 mai 2002.   Le 17 mai 2002, M. Bevilacqua a envoyé une lettre aux employés de Thunder Bay dans laquelle il invitait ceux qu’un RE volontaire intéressait de se manifester, au plus tard le 24 mai 2002 (pièce G-9).   De 30 à 34 employés, dont Mme Moore (pièce E-2), ont initialement répondu à l’appel.  

[22]   Pendant ce temps, la situation évoluait sur le front des rappels saisonniers.   M. Bevilacqua et son équipe de gestion, avec l’aide des Ressources humaines, avaient conçu un concours fondé sur le mérite dans le but d’établir l’ordre de rappel des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée à mesure que le travail reprenait, et, partant, l’ordre des mises en disponibilité plus tard dans l’année.   Ayant été mis au courant du processus de concours envisagé, quatre employés saisonniers nommés pour une période indéterminée, dont Mme Moore, ont écrit à M. Stuart pour obtenir des précisions sur la formule projetée. Ils ont obtenu réponse à leurs questions le 1er mai 2002 (pièce G-8).

[23]   Mme Moore indique que les employés saisonniers nommés pour une période indéterminée trouvaient que la formule envisagée était injuste et déraisonnable.   Ils avaient déjà participé avec succès à un concours pour obtenir leur poste actuel et été classés et ils craignaient fort d’être obligés de se soumettre à nouveau au même processus pour conserver leur poste.   Les années précédentes, les employés saisonniers avaient été rappelés et mis en disponibilité collectivement.   En raison de l’ajout de 10 nouveaux employés saisonniers nommés pour une période indéterminée en 2002 et de la diminution prévue des tonnages de grain au début de la saison d’expédition de 2002-2003, l’employeur estimait, semble-t-il, que la formule habituelle n’était plus viable.   Quand on l’a questionnée, en contre-interrogatoire, au sujet des conséquences et de l’équité de l’arrivée de 10 nouveaux employés saisonniers nommés pour une période indéterminée lorsqu’il avait été décidé d’établir l’ordre inverse du mérite, Mme Moore a répondu qu’il existait d’autres solutions et que le concours visant à déterminer l’ordre de rappel et de mise en disponibilité des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée n’aurait jamais dû avoir lieu.  

[24]   Seize employés saisonniers nommés pour une période indéterminée du groupe PI ont été informés de leur classement à l’issue du concours.   Selon le rapport d’enquête final de la CFP, Mme Moore s’est classée 16 e .   Des employés ont commencé à être rappelés au travail à partir de juin, à mesure que le travail reprenait.   M. Bevilacqua a déclaré que ses gestionnaires examinaient les besoins chaque semaine au fil de la saison d’expédition et déterminaient quand des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée devaient être rappelés.   Plus tard dans l’année, la mise en disponibilité des employés rappelés s’est effectuée à nouveau selon l’ordre inverse du mérite.   Les derniers employés saisonniers nommés pour une période indéterminée rappelés au travail ont reçu leur préavis de mise en disponibilité saisonnière en décembre 2002.

[25]   Pour sa part, Mme Moore n’a pas été rappelée durant la saison d’expédition de 2002-2003.

[26]   Dans la plainte présentée à la CFP pour le compte de Mme Moore, il était écrit que [traduction] « [...] ses compétences n’[avaient] pas été évaluées comme il se devait dans le cadre d’un processus au mérite [...] » et qu’elle avait été mise en disponibilité, dans les faits, par suite du processus appliqué en violation du paragraphe 29(1) de la LEFP et de l’article 32 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique.

[27]    Mme Moore a obtenu gain de cause devant la CFP.   L’enquêteur a déclaré que le processus au mérite établi par l’employeur à Thunder Bay constituait une application [traduction] « [...] de fait de l’ordre inverse du mérite (OIM) [...] » aux fins de la LEFP et qu’il tombait sous le coup des dispositions relatives aux recours de la LEFP.   L’enquêteur a conclu : [traduction] « [...] que les mesures prises par le ministère à l’endroit des employés touchés durant la saison d’expédition de 2002-2003 s’apparentaient à une mise en disponibilité au sens du paragraphe 29(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique [...] et de l’article  32 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique [...] ».   Après avoir examiné comment le concours s’était déroulé dans les faits et de quelle manière les facteurs cotés avaient été évalués, il a déterminé que : [traduction] « [...] la liste en cause n’[avait] pas été établie conformément au principe du mérite ou aux valeurs régissant la dotation [...] » (pièce G-4).

[28]   Les détails des mesures correctrices recommandées par l’enquêteur en vue de l’étape ultérieure de la conciliation ne présentent aucun intérêt dans l’affaire qui nous occupe.   On m’a toutefois demandé de prendre acte de la lettre d’accompagnement du rapport d’enquête final de la CFP, dans laquelle on reconnaît que : [traduction] « [...] la question de la rémunération durant la période de 120 jours de réflexion ne peut être examinée dans le cadre du présent processus de conciliation; la procédure de règlement des griefs offre toutefois un recours en ce qui concerne l’application de [l’appendice T] ».

[29]   Le processus à « long terme » de RE s’est poursuivi durant l’été et l’automne de 2002.   Mme Moore s’était portée volontaire pour participer à ce processus en mai 2002, sous réserve de sa prétention selon laquelle un « préavis d’employée touchée » donnant ouverture à l’application de l’appendice T aurait dû lui être envoyé le 1er avril 2002, lorsque l’employeur ne l’a pas rappelée au travail au début de la saison d’expédition.   Si cela avait été le cas et qu’elle avait reçu une offre d’emploi raisonnable à ce moment-là, elle aurait accepté cette offre, a-t-elle déclaré, et aurait poursuivi sa carrière dans un autre ministère.   Si la lettre du 1er avril 2002 avait indiqué que l’employeur n’était pas en mesure de lui faire une offre d’emploi raisonnable, elle [traduction] « aurait agi de la même façon qu’elle a agi par la suite » (elle se serait prévalue d’une des options prévues au sous-alinéa 6.3.1c)(ii) de l’appendice T, soit le paiement d’une indemnité d’études, un congé sans solde d’une durée de deux ans ou d’autres avantages) (pièce G-1).

[30]   Les pièces déposées par Mme Moore, d’une part, et l’employeur, d’autre part, décrivent le déroulement du processus de RE par appel de volontaires dans le cas de Mme Moore, c’est-à-dire l’information communiquée, les mises à jour faites sur le processus, les précisions demandées et obtenues, la décision finale de Mme Moore et le forfait qui lui a été offert (voir les pièces G-10 à G-15 et E-3 à E-8).   Aux fins du présent résumé de la preuve, l’essentiel est que la demande de Mme Moore en vue de quitter volontairement son poste a été acceptée par l’employeur dans une lettre en date du 10 janvier 2003 (pièce G-15).   Les dispositions du sous-alinéa 6.3.1c)(ii) de l’appendice T ont ensuite été appliquées.   Pour remédier à l’omission de l’employeur de fournir certains renseignements à la CFP à l’époque, la date à laquelle la priorité d’un an de Mme Moore entrait en vigueur a été repoussée ultérieurement de trois mois environ, jusqu’en avril 2005 (après le congé d’études de deux ans sans solde).

[31]   Après avoir reçu la lettre en date du 10 janvier 2003, en aucun temps Mme Moore n’a été avisée par l’employeur qu’un poste était devenu vacant.   Elle croyait qu’elle n’avait désormais plus le droit d’accepter un poste dans un autre ministère, même si elle savait que des postes étaient affichés dans le site Web de la CFP.   Elle a aussi appris récemment que la CCG avait tenu un concours pour doter un poste de PI-02 durant la période où elle bénéficiait des avantages prévus par l’appendice T.   En date de la présente audience, Mme Moore, dont la priorité d’employée excédentaire prend fin en avril 2006, n’a pas été renommée à un poste dans la fonction publique.       

[32]   M. Stuart a témoigné que 19 employés de la région de Thunder Bay avaient obtenu des forfaits au titre du RE.   En effet, l’appel initial de volontaires de M. Bevilacqua avait suscité beaucoup plus de réponses qu’on ne l’avait prévu; le nombre d’intéressés dépassait largement les huit postes que l’employeur prévoyait abolir au départ.   Après examen du nombre inattendu de réponses, l’employeur en est venu à la conclusion, quelques mois plus tard, qu’il pouvait autoriser davantage de départs volontaires.   M. Stuart a confirmé qu’aucune offre d’emploi raisonnable n’a été faite durant le processus de RE, conformément à de décision de M. Chris Hamblin, commissaire en chef de la CCG.

[33]   En contre-interrogatoire, M. Stuart a déclaré que l’employeur avait envisagé la possibilité de faire des offres d’emploi raisonnables relativement à des postes vacants dans d’autres ministères dans la région de Thunder Bay.   À l’issue de consultations dirigées par M. Bevilacqua et les Ressources humaines, l’employeur avait conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de postes vacants pour tous les employés touchés.

[34]   En contre-interrogatoire, on a demandé à M. Bevilacqua de fournir des précisions supplémentaires sur les consultations auprès des autres ministères et de la CFP concernant la possibilité de faire des offres d’emploi raisonnables et d’expliquer comment le processus de RE s’était déroulé à l’époque et s’il était autorisé par la convention collective.   M. Bevilacqua a confirmé qu’il avait personnellement participé aux consultations et conclu à l’impossibilité de faire des offres d’emploi.   À son point de vue, l’employeur possédait la délégation de pouvoir voulue pour procéder à un réaménagement des effectifs en sollicitant des volontaires.   Il a indiqué que trois employés saisonniers nommés pour une période indéterminée, y compris deux employés du groupe PI (dont Mme Moore), avaient ainsi répondu à l’appel de volontaires du 17 mai 2002 et accepté un forfait au titre du RE.   Quand on lui a demandé si l’un ou l’autre des deux employés saisonniers nommés pour une période indéterminée du groupe PI avait été rappelé au travail durant la saison d’expédition de 2002-2003, avant l’entrée en vigueur des forfaits, M. Bevilacqua a répondu que Mme Moore n’avait pas été rappelée, mais qu’il n’avait pas de certitude concernant l’autre employé.   En tout, cinq employés saisonniers nommés pour période indéterminée (volontaires ou non) n’avaient pas été rappelés à la fin de la saison d’expédition de 2002-2003.

[35]   En contre-interrogatoire, M. Bevilacqua a également fourni des précisions supplémentaires sur la mise en œuvre du processus de rappel et de mise en disponibilité.   Il a indiqué que l’autorité fonctionnelle de déterminer le nombre réel d’employés touchés ainsi que les dates de rappel et de mise en disponibilité appartenait à ses deux gestionnaires principaux, soit celui en charge des services d’inspection et celui en charge des services de pesage.   Ces derniers tenaient compte des paramètres du processus établi et de l’ordre inverse du mérite pour prendre leurs décisions.   Selon M. Bevilacqua, la formule retenue pour toutes les catégories d’employés consistait à trouver d’abord du travail pour les employés à temps plein nommés pour une période indéterminée, à leur adjoindre ensuite des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée si la charge de travail le justifiait et, enfin, des employés nommés pour une période déterminée en utilisant la liste d’admissibilité permanente si des ressources supplémentaires étaient requises.   On procédait de la même façon pour les mises en disponibilité; il y avait deux listes différentes, l’une pour le groupe PI et l’autre pour le groupe GL.

Résumé de l’argumentation

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

[36]   Mme Moore indique que les faits de la présente affaire sont essentiellement admis. La crédibilité des témoignages n’est pas remise en cause et les parties s’entendent en général sur les questions à trancher.  

[37]   Pour commencer, il y a deux questions auxquelles il faut répondre.   Est-ce que le défaut de l’employeur de rappeler la fonctionnaire s’estimant lésée au début de la saison d’expédition de 2002-2003 a donné lieu à une situation de RE au sens de l’appendice T?   Dans l’affirmative, l’employeur s’est-il conformé aux exigences de l’appendice T concernant cette situation?   Si la réponse à cette deuxième question est non, Mme Moore estime que je dois accueillir son grief, l’enjeu étant dès lors de façonner une réparation appropriée.   Mme Moore propose quelques questions pour faciliter la détermination de la mesure de réparation à accorder :   à quel moment l’employeur aurait-il dû faire savoir à Mme Moore qu’elle était une « employée touchée »?; le préavis écrit aurait-il dû être accompagné d’une offre d’emploi raisonnable?; le fait que l’employeur ait demandé aux employés d’exprimer leur intérêt en vue d’une réduction volontaire des effectifs remédie-t-il à la violation de la convention collective, ou ne fait-il qu’aggraver la violation initiale?; Mme Moore a-t-elle reçu tous les avantages auxquels elle avait droit en vertu de l’appendice T après s’être portée volontaire en vue d’une réduction des effectifs?; dans la négative, à quoi a-t-elle encore droit?

[38]   Mme Moore a analysé de multiples dispositions de l’appendice T, dont certaines en profondeur.   Compte tenu de la longueur de l’appendice T, le texte n’en est pas reproduit en l’espèce.   Je cite seulement les dispositions examinées par Mme Moore qui me paraissent constituer l’essence de sa description du processus de RE et de son argumentation.

[39]   L’appendice T s’applique à tous les employés régis par la convention collective, y compris les employés saisonniers nommés pour une période indéterminée :  

[...]

Généralités

Application

Le présent appendice s'applique à tous les employé-e-s. À moins qu'il ne soit spécifiquement indiqué, les parties I à VI ne s'appliquent pas à la diversification des modes d'exécution.

 

  [...]

Les employés saisonniers nommés pour une période indéterminée représentent un très faible pourcentage de la population totale de la fonction publique.   Il reste qu’une décision selon laquelle ils ne peuvent bénéficier des mesures de protection et des avantages prévus par l’appendice T serait certainement contraire à l’objet de la convention collective.

[40]   Une situation de RE se produit lorsqu’un administrateur général décide que les services d’un employé nommé pour une période indéterminée « [...] ne seront plus requis au-delà d’une certaine date [...] » :

[...]

Généralités

[...]

Définitions

 

[...]

Réaménagement des effectifs [...] - Situation qui se produit lorsqu'un administrateur général décide que les services d'un ou de plusieurs employé-e-s nommés pour une période indéterminée ne seront plus requis au-delà d'une certaine date en raison d'un manque de travail, de la suppression d'une fonction, de la réinstallation d'une unité de travail à un endroit où l'employé-e ne veut pas être réinstallé ou du recours à un autre mode d'exécution.

[...]

[41]   Dans le cas des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée qui font l’objet d’une mise en disponibilité saisonnière, comment et à quel moment peut-on savoir qu’un administrateur général a décidé que leurs services « [...] ne seront plus requis au-delà d’une certaine date [...] »?   Il serait invraisemblable que la convention collective exclue la possibilité que le non-rappel d’employés faisant l’objet d’une mise en disponibilité saisonnière, peut-être même pour une période indéterminée, donne lieu à une situation de RE.   L’employeur est obligé d’agir.   L’inaction n’est pas une solution.   Dans l’affaire qui nous occupe, il est évident que l’administrateur général a décidé que les services d’une employée saisonnière nommée pour une période indéterminée « [...] ne ser[aient] plus requis [...] » lorsque l’employeur a omis de rappeler cette employée au travail au début de la saison d’expédition, contrairement à la procédure habituelle.   En ce sens, et dans le cas particulier des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée en cause, l’omission d’agir donne ouverture à l’application de l’appendice T.

[42]   Il est important de souligner que, selon la définition d’un RE à l’appendice T, il n’est pas nécessaire que le « [...] manque de travail [...] » soit permanent.

[43]   Le principe sur lequel s’articule l’appendice T est que : « [...] dans toute la mesure du possible [...] », on doit offrir aux employés touchés d’autres possibilités d’emploi dans la fonction publique.  À cette fin, l’appendice T impose une obligation cruciale à l’employeur, soit garantir qu’une offre d’emploi raisonnable sera faite aux employés touchés :

[...]

Généralités

[...]

Objectifs

L'Employeur a pour politique d'optimiser les possibilités d'emploi pour les employé-e-s nommés pour une période indéterminée en situation de réaménagement des effectifs, en s'assurant que, dans toute la mesure du possible, on offre à ces employé-e-s d'autres possibilités d'emploi. On ne doit toutefois pas considérer que le présent appendice assure le maintien dans un poste en particulier, mais plutôt le maintien d'emploi.

 

À cette fin, les employé-e-s nommés pour une période indéterminée et dont les services ne seront plus requis en raison d'un réaménagement des effectifs et pour lesquels l'administrateur général sait ou peut prévoir la disponibilité d'emploi se verront garantir qu'une offre d'emploi raisonnable dans la fonction publique leur sera faite. Les employé-e-s pour lesquels l'administrateur général ne peut fournir de garantie pourront bénéficier des arrangements d'emploi, ou formules de transition (parties VI et VII).

[...]

[44]   L’obligation d’offrir d’autres débouchés dans la fonction publique et de faire une offre d’emploi raisonnable revient constamment dans le texte de l’appendice T.   À titre d’exemple :

[...]

Généralités

[...]

Définitions

[...]

Garantie d’une offre d’emploi raisonnable [...] - Garantie d'une offre d'emploi pour une période indéterminée dans la fonction publique faite par l'administrateur général à un employé-e nommé pour une période indéterminée touché par le réaménagement des effectifs. Normalement, l'administrateur général garantira une offre d'emploi raisonnable à un employé-e touché pour lequel il sait qu'il existe ou qu'il peut prévoir une disponibilité d'emploi dans la fonction publique. L'employé-e excédentaire qui reçoit une telle garantie ne se verra pas offrir le choix des options offertes à la partie VI du présent appendice.

[...]

Offre d’emploi raisonnable [...] - Offre d'emploi pour une période indéterminée dans la fonction publique, habituellement à un niveau équivalent, sans que soient exclues les offres d'emploi à des niveaux plus bas. L'employé-e excédentaire doit être mobile et recyclable. Dans la mesure du possible, l'emploi offert se trouve dans la zone d'affectation de l'employé-e, selon la définition de la Directive sur les voyages d'affaires. Pour les situations de diversification des modes de prestation des services, une offre d'emploi est jugée raisonnable si elle satisfait aux critères établis aux catégories 1 et 2 de la partie VII du présent appendice.

[...]

Partie I

Rôles et responsabilités

1.1      Ministères

1.1.1   Étant donné que les employé-e-s nommés pour une période indéterminée qui sont touchés par un réaménagement des effectifs ne sont pas eux-mêmes responsables de cette situation, il incombe aux ministères de veiller à ce qu'ils ou elles soient traités équitablement et à ce qu'on leur offre toutes les possibilités raisonnables de poursuivre leur carrière dans la fonction publique, dans la mesure du possible.

[...]

1.1.7   Normalement, l'administrateur général garantira une offre d'emploi raisonnable aux employé-e-s assujettis au réaménagement des effectifs pour lequel il sait ou peut prévoir une disponibilité d'emploi dans la fonction publique.

[...]

1.1.15 Les administrateurs généraux appliquent le présent appendice de façon à ce que le nombre de mises en disponibilité involontaires soit le moins élevé possible. Les mises en disponibilité ne doivent normalement se produire que lorsqu'un employé-e a refusé une offre d'emploi raisonnable, qu'il ou elle n'est pas mobile, qu'il ou elle ne peut pas être recyclé en moins de deux ans ou qu'il ou qu'elle demande à être mis en disponibilité.

[...]

Partie VI

Options offertes aux employé-e-s

6.1      Généralités

6.1.1   Normalement, les administrateurs généraux garantiront une offre d'emploi raisonnable à un employé-e touché pour lequel ils savent qu'il existe ou ils peuvent prévoir une disponibilité d'emploi. L'administrateur général qui ne peut pas donner cette garantie indiquera ses raisons par écrit, à la demande de l'employé/employée. L'employé-e qui reçoit une telle garantie ne se verra pas offrir le choix des options ci-dessous.

[...]

[45]   L’appendice T exige des actions de la part de l’employeur et impose des délais courts et immuables à cet égard.   Il est notamment essentiel qu’un « employé touché » soit informé le plus tôt possible que ses services pourraient ne plus être requis en raison d’une situation de RE :

[...]

Généralités

[...]

Définitions

[...]

Employé-e touché [...] - Employé-e nommé pour une période indéterminée qui a été avisé par écrit que ses services pourraient ne plus être requis en raison d'une situation de réaménagement des effectifs.

[...]

Partie I

Rôles et responsabilités

1.1      Ministères

[...]

1.1.35 Les ministères fournissent aux employé-e-s touchés ou excédentaires une orientation et des renseignements complets le plus tôt possible après que la décision de les déclarer excédentaires ou touchés soit prise, et tout au long du processus [...] .

[...]

[46]   Lorsqu’il est impossible de faire une offre d’emploi raisonnable, les employés touchés ont droit à 120 jours pour réfléchir aux options qui s’offrent à eux à la partie VI de l’appendice T :

[...]

Partie I

Rôles et responsabilités

1.1      Ministères

[...]

1.1.8   Si l'administrateur général ne peut garantir une offre d'emploi raisonnable, il doit donner 120 jours à l'employé-e optant pour examiner les trois options expliquées à la partie VI du présent appendice et prendre une décision. Si l'employé-e ne fait pas de choix, il ou elle sera réputé avoir choisi l'option a), une priorité d'employé-e excédentaire de douze mois pour trouver une offre d'emploi raisonnable.

[...]

Partie VI

Options offertes aux employé-e-s

6.1      Généralités

[...]

6.1.2   L'employé-e qui ne reçoit pas de garantie d'offre d'emploi raisonnable de l'administrateur général aura 120 jours pour envisager les trois options mentionnées plus bas avant de devoir prendre une décision.

[...]

6.3      Options

6.3.1   Seul l'employé-e optant qui ne reçoit pas une garantie d'offre d'emploi raisonnable de son administrateur général aura le choix entre les options suivantes :

a)
(i)
Une priorité d'employé-e excédentaire d'une durée de douze mois pour trouver une offre d'emploi raisonnable. Si une offre d'emploi raisonnable n'est pas faite au cours de ces douze mois, l'employé-e sera mis en disponibilité conformément à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique . L'employé-e qui exerce cette option ou qui est présumé l'exercer est excédentaire.
(ii)
À la demande de l'employé-e, ladite période de priorité d'excédentaire d'une durée de douze mois sera prolongée à l'aide de la partie inutilisée de la période de 120 jours mentionnée à l'alinéa 6.1.2 qui reste valide dès que l'employé-e a choisi par écrit l'option a).
(iii)
Lorsqu'un employé-e excédentaire qui a choisi, ou est réputé avoir choisi, l'option a) propose de démissionner avant la fin de sa période de priorité d'excédentaire de douze mois, l'administrateur général peut autoriser le versement d'un montant forfaitaire égal à sa rémunération normale pendant le reste de la période de priorité d'excédentaire jusqu'à un maximum de six mois. Le montant forfaitaire de rémunération en remplacement de la période de priorité d'excédentaire ne dépasserait pas le maximum que l'employé-e aurait touché s'il ou elle avait choisi l'option b), mesure de soutien à la transition.
(iv)
Les ministères feront tout effort raisonnable pour placer un employé-e excédentaire et l'Employeur demandera à la Commission de la fonction publique de faire tout effort raisonnable pour placer un employé-e excédentaire au cours de sa période de priorité d'excédentaire dans son secteur préféré de mobilité.
ou
b)
Une mesure de soutien à la transition (MST), à savoir un montant forfaitaire versé à l'employé-e optant. Le montant est calculé selon le nombre d'années de service au sein de la fonction publique (voir l'annexe « B »). L'employé-e qui choisit cette option doit démissionner mais il ou elle aura droit à une indemnité de départ au taux de mise en disponibilité.
ou
c)
Une indemnité d'études, qui correspond à la MST (voir l'option b) ci-dessus) plus un montant n'excédant pas huit mille dollars (8 000 $) pour le remboursement des frais de scolarité d'un établissement d'enseignement et des frais de livres et d'équipement requis, appuyés par un reçu. L'employé-e qui retient cette option :
(i)
choisit de démissionner de la fonction publique et recevra une indemnité de départ au taux de mise en disponibilité le jour de sa cessation d'emploi;
ou
(ii)
reporte sa mise en disponibilité et prend un congé sans solde pour une période maximale de deux ans pour effectuer sa formation. La MST est versée en un ou deux paiements forfaitaires sur une période maximale de deux ans. Au cours de cette période l'employé-e peut continuer à bénéficier des régimes offerts et contribuer sa part et celle de l'employeur aux régimes d'avantages sociaux et du régime de retraite, conformément à la Loi sur la pension de retraite de la fonction publique . À la fin de la période de deux ans de congé non payé, l'employé-e est mis en disponibilité conformément à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique , sauf s'il ou elle a trouvé un autre emploi au sein de la fonction publique.

[...]

[47]   Ainsi donc, comment les dispositions de l’appendice T auraient-elles dû s’appliquer dans le cas de Mme Moore?   La convention collective stipule que l’employeur doit prendre certaines mesures au fil des événements.   Il ne peut pas simplement laisser une situation traîner en longueur en espérant qu’un problème se règle de lui-même.   Dans la présente affaire, M me Moore déclare que dès lors que l’employeur a constaté qu’il y avait un manque de travail susceptible d’avoir une incidence sur le nombre d’employés saisonniers nommés pour une période indéterminée qui seraient rappelés au travail ou sur la date de leur rappel, il était obligé d’appliquer l’appendice T.   L’employeur ne peut pas se croiser les bras et laisser venir les événements.  

[48]   Il ressort des dépositions des témoins de l’employeur que celui-ci savait en janvier ou, à tout le moins, au début de février 2002, qu’il allait y avoir un manque de travail.   À ce moment-là, l’employeur aurait dû déterminer combien d’employés saisonniers nommés pour une période indéterminée seraient touchés, et lesquels. Les préavis prévus par l’appendice T auraient dû être envoyés sans tarder dans le délai stipulé par la convention collective.  

[49]   Le 1er avril 2002, soit la date d’ouverture de la saison d’expédition, est la date la plus tardive à laquelle le non-rappel de Mme Moore aurait dû donner lieu à l’application de l’appendice T; qui plus est, la fonctionnaire s’estimant lésée aurait dû recevoir un « préavis d’employée touchée » en application du paragraphe 1.1.35 (supra) à ce moment-là.   Ce préavis aurait dû s’accompagner d’une offre d’emploi raisonnable, une telle offre constituant la règle plutôt que l’exception dans une situation de RE (paragraphe 1.1.7, supra).

[50]   Dès lors qu’un « préavis d’employée touchée » avait été envoyé, plus rien n’empêchait l’employeur de rechercher des volontaires en vue de réduire les effectifs dans le cadre du processus d’échange de postes prévu à l’article 6.2 de l’appendice T.     

[51]   Mme Moore aurait dû bénéficier d’une période de 120 jours pour examiner les options et choisir celle qui lui convenait, conformément au paragraphe 6.1.2 de l’appendice T (supra), et aurait dû être rémunérée pendant cette période.   Mme Moore et les autres employés saisonniers nommés pour une période indéterminée avaient tout lieu de s’attendre à travailler chaque année durant la saison d’expédition.   On doit les distinguer des employés occasionnels ou des employés nommés pour une période déterminée, qui n’ont pas lieu de s’attendre à obtenir du travail, en vertu de la loi.   Mme Moore avait reçu chaque année une offre d’emploi pour une saison d’expédition et elle s’attendait à être rémunérée pendant toute une saison.   La saison d’expédition avait toujours été d’une durée approximative de neuf mois, en général d’avril à décembre.

[52]   L’appendice T ne traite pas expressément de la question de la rémunération durant la période de 120 jours.   Ses dispositions concernent principalement les employés à temps plein nommés pour une période indéterminée qui, contrairement à leurs homologues saisonniers, sont rémunérés en tout temps, jusqu’à ce qu’ils soient remerciés de leurs services.   Étant donné que l’appendice T porte essentiellement sur l’obligation de trouver des postes dans la fonction publique pour les employés touchés et que les employés ne sont pas eux-mêmes responsables d’une situation de RE, il serait déraisonnable de tenir pour acquis que les employés saisonniers nommés pour une période indéterminée n’ont pas le droit d’être rémunérés durant la période de 120 jours juste parce qu’ils faisaient l’objet d’une mise en disponibilité saisonnière au moment où la situation de RE s’est produite.   L’appendice T vise à accorder aux employés touchés une période de sécurité pour prendre une décision cruciale.   Si les employés saisonniers nommés pour une période indéterminée faisant l’objet d’une mise en disponibilité saisonnière ne sont pas rémunérés pendant la période de 120 jours, cette période de « sécurité » devient alors un désavantage.   Quatre mois sans rémunération, [traduction] « ce n’est pas ce qu’on pourrait appeler une période de sécurité ».

[53]   L’appendice T ne s’applique pas seulement lorsqu’il y a une réduction permanente des effectifs, contrairement à ce que l’employeur prétend dans sa réponse au grief de Mme Moore (au dossier).   Ce n’est pas ce que dit la convention collective.   L’absence ou le manque de travail dont fait état l’appendice T peut aussi être de durée temporaire.   Si ce n’était pas le cas, il faudrait déterminer quand, exactement, un manque temporaire de travail devient un manque permanent donnant lieu à une situation de RE.

[54]   Comme c’était la coutume dans les années antérieures, les six employés saisonniers nommés pour une période indéterminée inscrits à l’effectif en 2001 ont été rappelés au travail et mis en disponibilité collectivement.   Le concours qui s’est tenu à la fin de 2001 s’est soldé par l’attribution de postes d’employé saisonnier nommé pour une période indéterminée à des employés nommés pour une période déterminée, triplant ainsi le nombre d’employés saisonniers nommés pour une période indéterminée juste avant une diminution significative des tonnages de grain.   Cette augmentation de l’effectif a une incidence sur les événements de la saison d’expédition suivante.   Chacun des 17 employés saisonniers nommés pour une période indéterminée était désormais touché par la situation de RE qui se préparait en 2002.   L’attribution de postes d’employé saisonnier nommé pour une période indéterminée à des employés nommés pour une période déterminée en 2001 n’était pas en soi une mesure injuste ou arbitraire.   C’est la décision ultérieure de l’employeur, en 2002, de ne pas rappeler et mettre en disponibilité collectivement les employés saisonniers nommés pour une période indéterminée et de tenir un concours pour établir l’ordre inverse du mérite qui serait considérée comme injuste et arbitraire.

[55]   M. Stuart a déclaré au moins quatre fois, au cours de son témoignage, que l’employeur savait déjà en janvier 2002 que les tonnages de grain à expédier seraient beaucoup moins élevés et que cela aurait une incidence sur le rappel des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée.   Il était évident à ce moment-là que le ralentissement prévu ne n’annonçait pas de courte durée.   On peut dire sans se tromper que l’employeur savait que la situation risquait de perdurer et même de devenir permanente.   Les données des cinq ou six dernières années dont l’employeur disposait confirmaient son évaluation de la situation; c’est d’ailleurs durant cette période qu’il a pris la décision de réduire les effectifs, en ciblant finalement huit postes dans l’appel de volontaires du 17 mai 2002.

[56]   Il est acquis que Mme Moore n’a jamais été rappelée au travail.   Ceux qui, comme elle, n’ont pas été rappelés en 2002, ont vécu une situation qui, selon le rapport d’enquête final de la CFP « [...] s’apparenta[it] à une mise en disponibilité [...] » (pièce G-4).   Le dernier jour de travail de Mme Moore durant la saison d’expédition de 2001-2002 est devenu son dernier jour d’emploi à la CCG.   Voyant qu’elle n’était pas rappelée à l’ouverture de la saison d’expédition en 2002, Mme Moore a multiplié les démarches auprès de l’employeur pour savoir quand elle pourrait retourner au travail.   En lui disant que cela pouvait se produire « d’une semaine à l’autre », M. Bevilacqua ne faisait que formuler des vœux pieux.

[57]   Avant d’aborder la question de la réparation appropriée, Mme Moore a soumis plusieurs décisions d’arbitrage de grief antérieures.   Sur la question de la portée de la mesure de réparation, la décision préliminaire rendue dans l’affaire Kreway c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2004 CRTFP 33, a été citée au soutien de la proposition selon laquelle un arbitre de grief est autorisé à façonner une réparation qui lui semble appropriée dans une affaire de RE sans tenir compte de la mesure de réparation demandée dans le grief introductif :

[...]

[25]     [...] Je ne suis pas obligé d'accorder la réparation demandée par le fonctionnaire s'estimant lésé. Je peux très bien façonner une réparation qui me semble appropriée si je conclus à la violation de la convention collective, pour autant que je tienne compte de toute interdiction qui existe dans la LRTFP ou ailleurs.

[...]

[58]   Dans la décision définitive rendue dans l’affaire Kreway c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2004 CRTFP 172, l’arbitre de grief insiste sur l’obligation cruciale de l’employeur de faire savoir le plus tôt possible à l’employé qu’il est touché.   Dans cette affaire, il s'était écoulé six mois entre le moment où la situation de RE était entrée en vigueur et celui où l’employé avait reçu un préavis écrit :

[...]

[61]     En vertu de l'appendice sur le réaménagement des effectifs, les employés touchés ont le droit d'être informés par écrit que leurs services ne sont plus requis (article 1.1.6). Cette lettre leur expose aussi les diverses options qui s'offrent à eux. Or, le 1er novembre 2001, M. Kreway n'a pas reçu de lettre de ce genre alors qu'il était en droit d'en recevoir une; par conséquent, l'employeur a contrevenu aux dispositions de la convention collective.

[...]

[63]     Si l'employeur avait respecté les dispositions de la convention collective, cette lettre aurait été rédigée en novembre 2001. Or, c'est en mai 2002 qu'on a établi la liste des postes équivalents disponibles. Ce que l'employeur aurait dû faire, à mon sens, c'est dresser la liste des postes qui étaient vacants en novembre 2001, puis envoyer à M. Kreway la lettre prévue par les dispositions sur le réaménagement des effectifs.

[...]

[Les passages soulignés le sont dans l’original]

[59]   L’affaire Chevrette c. le Conseil du Trésor (Commission canadienne des grains), dossier de la CRTFP 166-02-25375 (1995) (QL), concerne des inspecteurs des grains employés par la CCG et une situation de RE résultant d’une diminution des tonnages de grain à expédier.   Dans cette affaire, des employés à temps plein nommés pour une période indéterminée avaient été mis « en situation d’inactivité » au moyen d’un préavis écrit, ce qui soulevait la question de savoir si la Directive sur le réaménagement des effectifs s’appliquait.   L’arbitre de grief n’a pas remis en cause le droit de l’employeur de mettre des employés en situation d’inactivité, mais il a conclu que le préavis remis au fonctionnaire s’estimant lésé à cet égard donnait ouverture à l’application de la Directive :

[...]

          La Directive a une application universelle du moment où l'employeur décide de réaménager ses effectifs et de déclarer un fonctionnaire touché en raison d'un manque de travail. Dans le cas de M. Chevrette, la CCG a vécu un manque de travail et M. Chevrette a été affecté.   De plus, l'employeur l'a avisé qu'il était sans travail à partir du 1er février 1993.   Donc, en vertu de la Directive, M. Chevrette était déclaré touché et excédentaire par lettre le 15 janvier 1993 (pièce 3).   En vertu de cette même Directive, CCG pouvait mettre fin à cette déclaration (voir la définition de fonctionnaire excédentaire).   Ainsi, l'employeur devait lui accorder les avis officiels et tous les délais prévus à la Directive.   En plus, M. Chevrette avait droit à l'offre raisonnable ainsi qu'aux autres avantages prévus à cette Directive.   En conclusion, l'employeur était obligé de respecter les dispositions de la Directive et de continuer à verser la rémunération et avantages prévus à la convention collective pertinente.

[...]

[60]   Dans l’affaire Simmons c. le Conseil du Trésor (Forêts Canada), dossier de la Commission 166-02-23843 (1994) (QL), l’arbitre de grief a conclu qu’un employé qui n’avait pas bénéficié d’une période de recyclage dans une situation de RE, en violation des dispositions de la convention collective, avait subi un préjudice du fait de la décision de l’employeur et avait droit à une réparation.   Le grief a donc été accueilli en partie et l’arbitre de grief a ordonné à l’employeur de payer un montant égal à 24 mois de salaire.

[61]   Concernant la réparation, Mme Moore demande, dans son grief, que l’employeur applique l’appendice T et qu’on la « [...] remette dans la position antérieure. »   À cette fin, elle réclame un montant égal au salaire et aux avantages prévus par la convention collective pour chaque saison d’expédition, et ce à compter du 1er avril 2002, moins les montants déjà reçus au titre du forfait de départ volontaire.   Mme Moore tient pour acquis que, si elle avait reçu un « préavis d’employée touchée » le 1er avril  2002, comme il était prévu, elle aurait eu droit à une offre d’emploi raisonnable et serait encore employée dans la fonction publique aujourd’hui, conformément à l’objectif fondamental de l’appendice T.   Aux fins de façonner la réparation appropriée, on me demande de demeurer saisi de l’affaire.

[62]   Au cas où je n’accepterais pas d’accorder cette réparation, d’autres possibilités s’offrent à moi, dont l’octroi d’un congé d’études payé d’une durée de deux ans.

[63]   En ce qui concerne la décision ultérieure de Mme Moore de se porter volontaire aux fins du RE, il faut interpréter cela comme une décision prise de bonne foi en vue d’améliorer son sort et de protéger ses droits.   On ne peut en conclure que cela préjuge les événements qui auraient dû se produire le 1er avril 2002.

Pour l’employeur

[64]   L’employeur prétend qu’il s’agit d’une affaire relativement simple qui concerne uniquement l’interprétation de la convention collective.  Il fait sienne la question fondamentale définie par Mme Moore, à savoir est-ce que le défaut de l’employeur d’aviser la fonctionnaire s’estimant lésée qu’elle était touchée avant le 1er avril 2002 constitue une violation de l’appendice T?

[65]   En tout premier lieu, l’employeur soutient qu’il est crucial de déterminer si les dispositions de la convention collective relatives au RE s’appliquaient effectivement dans la présente affaire.   L’employeur est d’avis que rien ne corrobore cette prétention.

[66]   On m’a renvoyé à la décision récente de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2005 CAF 366, laquelle décision, au dire de l’employeur, confirme l’obligation d’examiner d’abord les conditions préalables pour déterminer si les dispositions de l’appendice T s’appliquent.   Existait-il en fait une situation de RE?  

[67]   Mme Moore prétend que l’omission de l’employeur de la rappeler au travail équivaut à une décision que ses services n’étaient plus requis.   Est-ce vraiment le cas?   Bien que la définition de ce qu’est un RE à l’appendice T (supra) n’utilise pas le terme « permanent » pour qualifier la situation, il est incontestable que l’intention des parties n’était pas d’appliquer cette définition à une situation temporaire.   La mention d’une décision que les services « [...] ne seront plus requis au-delà d’une certaine date [...] » dans la définition ne peut que se rapporter à une mise en disponibilité permanente.   Certes, peut-être ne pourra-t-on jamais déterminer avec certitude que des services « [...] ne seront plus requis [...] » en permanence (c.-à-d. pendant une période de 20 ans), mais rien ne permet certainement de dire, dans le cas d’une situation temporaire, que les services « [...] ne seront plus requis au-delà d’une certaine date [...] » en permanence.

[68]   La preuve indique que l’employeur n’a jamais décidé, en réalité, que les services de la fonctionnaire s’estimant lésée « [...] ne ser[aient] plus requis [...] ».   C’est plutôt à la conclusion contraire qu’il en est venu au début de 2002.   Le fait, tel que l’a indiqué M. Stuart, que l’employeur a décidé qu’il était nécessaire de suivre la situation de près de semaine en semaine après avoir été prévenu, en janvier et février 2002, que les tonnages de grain risquaient d’être très faibles au début de la saison d’expédition prouve que l’employeur n’était pas en mesure de conclure, à ce moment-là, que les services de Mme Moore « [...] ne ser[aient] plus requis au-delà d’une certaine date [...] ».

[69]   Il ressort de la preuve que, avant 2002, il y a trois années où la fonctionnaire s’estimant lésée a été rappelée au travail, après avoir été mise en disponibilité de façon saisonnière, dans la deuxième moitié du mois d’avril seulement (pièce G-7).   Si l’on poursuit jusqu’à sa conclusion logique la thèse de Mme Moore selon laquelle elle aurait dû recevoir un « préavis d’employée touchée » au plus tard le 1er avril 2002, c’est donc à dire qu’elle aurait dû faire l’objet d’un RE chacune de ces années-là.   À vrai dire, la thèse de Mme Moore, pour autant qu’elle soit fondée, établit un dangereux précédent, à savoir que dans les cas où un employé saisonnier nommé pour une période indéterminée n’est pas rappelé le jour où il s’attend à retourner au travail, l’employeur devrait lui envoyer un « préavis d’employé touché » et lui indiquer qu’il sera déclaré excédentaire.   Dans l’affaire qui nous occupe, cela signifie que les 16 employés saisonniers nommés pour une période indéterminée dans la région de Thunder Bay qui étaient visés par le problème de rappel auraient dû être déclarés excédentaires au plus tard le 1er avril 2002, qu’on aurait dû abolir leur poste et faire à chacun une offre d’emploi raisonnable, dans la mesure du possible, ou offrir le choix d’une des trois autres options prévues par la Directive sur le réaménagement des effectifs.

[70]   La preuve montre que la plupart, mais non la totalité des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée à Thunder Bay ont été rappelés durant la saison d’expédition de 2002-2003.   La déposition des deux témoins de l’employeur confirme qu’on prévoyait effectivement rappeler des employés.

[71]   Concernant l’argument selon lequel Mme Moore avait tout lieu de s’attendre à être rappelée en avril 2002 pour la durée de la saison d’expédition, l’employeur a contesté la définition de « saison » qui sous-tend cette attente.   Dans la lettre originale d’offre d’un poste saisonnier à temps plein pour une période indéterminée, la durée de la « saison » n’est pas définie.   Rien dans cette lettre ne garantit un certain nombre d’heures ou de jours de travail dans chaque saison d’expédition.   Au contraire, on y indique ce qui suit : [traduction] « [v]otre période d’emploi cette saison-ci [...] pourrait être d’une durée plus ou moins longue, compte tenu du travail disponible [...] » (pièce E-1).

[72]   La durée du travail est définie à l’appendice M de la convention collective.   Le paragraphe 25.01 confirme en outre que la convention collective envisageait des durées variables puisqu’il y est indiqué que la durée du travail prévue ne doit pas être considérée comme une garantie d’une durée minimale ou maximale du travail :

APPENDICE « M »

DURÉE DU TRAVAIL POUR LE EMPLOYÉ-E-S DU GROUPE INSPECTION DES PRODUITS PRIMAIRES (PI)

25.01 La durée du travail prévue à l'horaire d'un employé-e ne doit pas être considérée comme une garantie d'une durée minimale ou maximale de travail.

[...]

[73]   Concernant le concours qui s’est tenu au printemps de 2002 pour déterminer l’ordre ultérieur de rappel et de mise en disponibilité des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée, l’employeur soutient que rien dans le rapport d’enquête final de la CFP évaluant le processus n’indique que l’employeur n’avait pas le droit d’utiliser l’ordre inverse du mérite dans ces circonstances.   Le rapport d’enquête final de la CFP conclut seulement que la formule particulière retenue par l’employeur pour déterminer l’ordre inverse du mérite était entachée d’irrégularités.   À cet égard, l’arrêt Brescia c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CAF 236, qui mettait également en cas la CCG, confirme que l’employeur a le droit de mettre des employés en situation d’inactivité sans solde.   De plus, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il n’y avait aucune raison, en vertu de la loi, de contester un protocole de rappel des employés par ordre alphabétique des noms de famille.   L’employeur en conclut qu’il dispose de la latitude voulue pour trouver un moyen de trancher la difficile question de savoir qui sera rappelé et quand.

[74]   L’une des grandes questions qui sous-tendent le grief de Mme Moore concerne les avantages ou les mesures de protection qui s’appliquent dans les cas où des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée faisant l’objet d’une mise en disponibilité saisonnière ne sont pas rappelés à la date à laquelle ils s’attendent généralement à reprendre le travail ou à la date à laquelle ils ont été rappelés les années précédentes.   L’employeur estime que cette question concerne l’application de la convention collective et n’est pas du ressort d’un arbitre de grief.   Rien n’empêche les parties à la convention collective de négocier des avantages et des mesures de protection pour les employés saisonniers dans ces situations-là, si le besoin s’en fait sentir.

[75]   L’employeur ne prétend pas que les dispositions de l’appendice T ne peuvent, par définition, s’appliquer aux employés saisonniers nommés pour une période indéterminée, mais seulement que la situation en l’espèce ne donne pas lieu à une situation de RE.   La condition à remplir pour les employés saisonniers nommés pour une période indéterminée soient assujettis aux dispositions de l’appendice T est la même que celle qui s’applique dans le cas des employés à temps plein nommés pour une période indéterminée, c’est-à-dire qu’il doit être décidé que les services « [...] ne seront plus requis au-delà d’une certaine date [...] ».   Si l’employeur a tout lieu de croire que les services seront requis, comme c’est le cas en l’espèce, alors l’appendice T ne s’applique pas.

[76]   L’employeur met en garde contre la tentation de tenir compte rétrospectivement des événements qui sont survenus par la suite tout au long de la saison d’expédition de 2002-2003 pour trancher la question.   Suivant la logique du grief et de l’argumentation de Mme Moore, l’arbitre de grief doit tenir compte de la situation telle qu’elle existait le 1er avril 2002.   Il doit se mettre à la place de l’employeur le 1er avril 2002 et déterminer si celui-ci aurait pu décider, à ce moment-là, que les services de la fonctionnaire s’estimant lésée n’étaient plus requis.

[77]   L’arbitre de grief doit également faire la distinction entre les deux situations différentes décrites dans les témoignages.   Il y a d’abord les circonstances particulières ayant une incidence sur le rappel des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée au printemps de 2002 et ce que les gestionnaires considéraient comme un ralentissement temporaire du travail.   Vient ensuite la « situation générale », qui a contraint l’employeur à procéder à une réduction permanente des effectifs en raison du déclin de longue durée des tonnages de grain.   La première est une situation à court terme qui ne nécessite pas le recours à l’appendice T alors que la seconde est sans contredit une situation à long terme donnant ouverture à l’application de l’appendice T.

[78]   En somme, après examen de la preuve et du libellé de la convention collective, l’employeur affirme que je dois rejeter le grief au motif que l’appendice T ne s’appliquait pas dans la présente affaire.   À son point de vue, il n’a nullement été décidé que les services de Mme Moore « [...] ne ser[aient] plus requis au-delà d’une certaine date [...] ».

[79]   Dans l’éventualité où je ne partagerais pas ce point de vue, l’employeur fait valoir que la question de la réparation ne présente qu’un intérêt théorique.   En effet, rien ne prouve que Mme Moore aurait eu droit à autre chose que ce à quoi elle a eu droit en optant pour un départ volontaire en mai 2002, si une lettre l’avisant qu’elle était touchée lui avait été envoyée le 1er avril 2002, ou si son poste avait été déclaré excédentaire en janvier 2003.   Le résultat aurait été qu’elle aurait bénéficié des mêmes avantages.

[80]   L’employeur avance que c’est à la fonctionnaire s’estimant lésée qu’incombe le fardeau de justifier la nécessité d’une réparation.   Au vu de la prétention de M me  Moore selon laquelle on aurait dû lui faire une offre d’emploi raisonnable le 1er avril 2002, elle doit prouver qu’une telle offre aurait pu lui être faite aux alentours de cette date.   En vertu de la convention collective, l’employeur n’est pas obligé de faire une offre d’emploi raisonnable.   L’administrateur général doit savoir ou être capable de prévoir, telle que le démontre la preuve des décisions prises à ce moment-là, que des emplois sont disponibles pour faire une offre d’emploi raisonnable.   Dans l’affaire qui nous occupe, pour accorder la réparation demandée par la fonctionnaire s’estimant lésée, l’arbitre de grief doit avoir entendu des témoignages en ce sens, ce qui n’est pas le cas.   On ne peut pas tenir tout simplement pour acquis qu’il aurait été possible de faire une offre d’emploi raisonnable dans les circonstances.   L’argument voulant que la déclaration de M. Bevilacqua selon laquelle [traduction] « il n’y avait pas suffisamment de postes vacants pour faire une offre d’emploi raisonnable à tous les employés touchés » permet d’affirmer qu’il y avait en fait des postes vacants ne mène pas fatalement à la conclusion que l’employeur aurait pu ou aurait dû faire une offre à Mme Moore.

[81]   Étant donné que Mme Moore n’aurait pas pu recevoir une offre d’emploi raisonnable le 1er avril 2002 du fait qu’il n’y avait pas de postes vacants pour tous les employés saisonniers nommés pour une période indéterminée qui étaient touchés, la fonctionnaire s’estimant lésée aurait quand même été obligée de réfléchir aux autres options relatives au réaménagement des effectifs qui lui ont été proposées par la suite dans le contexte de la réduction volontaire des effectifs.   L’employeur soutient qu’il y a tout lieu de croire que, eût-elle reçu un préavis en date du 1er avril 2002, elle aurait privilégié la même option que celle sur laquelle elle a ultérieurement fixé son choix dans le cadre de la réduction volontaire des effectifs.   Elle n’aurait bénéficié d’aucun autre avantage.   Au demeurant, Mme Moore n’a pas prétendu devant l’arbitre de grief qu’elle n’avait pas obtenu tous les avantages auxquels elle avait droit après avoir choisi l’option prévue à l’alinéa 6.3.1c)(ii) de l’appendice T.   Bref, la fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas démontré que, s’il y avait eu une réduction des effectifs le 1er avril 2002, elle aurait obtenu quoi que ce soit de plus, en vertu de l’appendice T, que ce à quoi elle a eu droit dans les faits.   En ce sens, la question de la réparation présente un intérêt purement théorique.

[82]   Concernant la question du préavis de 120 jours, l’employeur indique que la convention collective ne précise pas que l’employé doit être rémunéré durant cette période, laquelle représente uniquement la période de temps qui doit être accordée à un employé pour réfléchir aux diverses options prévues par l’appendice T.   La question de savoir si l’employé devrait être rémunéré pour une partie, voire la totalité de cette période est subordonnée à la question de savoir si l’employé travaillait ou non dans les faits.   Le principe fondamental selon lequel les employés sont rémunérés pour les heures de travail accomplies s’applique.   Ni la lettre d’offre envoyée à Mme Moore ni la convention collective n’indique que les employés saisonniers nommés pour une période indéterminée faisant l’objet d’une mise en disponibilité saisonnière ont le droit d’être rémunérés durant la période de 120 jours.   On ne peut tenir pour acquis que les parties à la convention collective ont prévu la situation dont il est question en l’espèce quand elles ont défini les modalités de l’appendice T.   La question de la rémunération des employés saisonniers faisant l’objet d’une mise en disponibilité saisonnière, durant une période de préavis, doit dès lors être considérée comme matière à de futures négociations collectives.

[83]   L’employeur conclut son argumentation en distinguant la jurisprudence citée par Mme Moore.   Il insiste plus particulièrement sur le fait que la plupart des affaires concernent des situations donnant lieu à un RE, de l’aveu même des employeurs.   Or, c’est le contraire qui s’applique dans le cas de Mme Moore.   L’employeur prévient aussi que l’affaire Chevrette (supra) doit être lue en conjugaison avec la décision récente de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Brescia (supra), et que la demande de pourvoi en appel de cette décision devant la Cour suprême du Canada a été rejetée ([2005] S.C.C.A. n o 401 (QL)).

[84]   En résumé, l’employeur conclut qu’il n’y avait pas de situation donnant lieu à un RE aux alentours du 1er avril 2002.   Si ce n’est pas le cas, la question de la réparation présente alors un intérêt purement théorique puisque la fonctionnaire s’estimant lésée n’aurait pas reçu d’offre d’emploi raisonnable à ce moment-là et qu’elle a ultérieurement obtenu les mêmes avantages que ceux auxquels elle aurait eu droit en vertu de l’appendice T, le 1er avril 2002, à supposer qu’aucune offre d’emploi raisonnable n’aurait pu lui être faite.  

Motifs

[85]   Mme Moore prétend dans son grief que l’employeur a contrevenu aux dispositions de l’appendice T de sa convention collective en ne la rappelant pas au travail à la fin de sa période de mise en disponibilité saisonnière le 1er avril 2002.   À titre de réparation, elle demande que les dispositions de l’appendice T soient appliquées et qu’on la « [...] remette dans la position antérieure. »

[86]   Les parties s’entendent sur la question fondamentale que je dois trancher en l’espèce, c’est-à-dire est-ce que le défaut de l’employeur de rappeler la fonctionnaire s’estimant lésée au travail au début de la saison d’expédition de 2002-2003 donne lieu à une situation de RE au sens de l’appendice T?  

[87]   Afin de répondre à cette question, je dois, selon l’employeur, déterminer à partir de la preuve si les conditions préalables étaient présentes pour qu’il y ait une situation de RE; autrement dit, la preuve établit-elle l’existence d’une situation de RE, aux alentours   du 1er avril 2002, selon la définition de l’appendice T?   Si la réponse est non, il s’ensuit que les dispositions de l’appendice T ne s’appliquent pas et que l’employeur ne peut avoir contrevenu à la convention collective, en dépit des allégations de la fonctionnaire s’estimant lésée.

[88]   À cet égard, l’employeur indique qu’il incombe à Mme Moore de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la preuve établit l’existence d’une situation de RE le 1er avril 2002, au sens de l’appendice T.   Si Mme Moore réussit à s’acquitter de ce fardeau, l’étape suivante consiste alors à déterminer si l’employeur a violé les dispositions de l’appendice T et de quelle manière, d’une part, et, d’autre part, comment on devrait remédier à ces violations.   Compte tenu du principe général selon lequel « celle qui porte une accusation doit la prouver », je conviens que c’est Mme Moore qui a le fardeau de la preuve en l’espèce.

[89]   Je note que la récente décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Alliance de la fonction publique du Canada (supra) confirme l’approche préconisée par l’employeur.   Dans cette décision, la Cour d’appel fédérale s’emploie à déterminer s’il y a eu violation des dispositions de la convention collective en litige relatives au RE en établissant d’abord si les conditions préalables donnant lieu à un RE, au sens de la convention collective, sont présentes.   Après avoir confirmé une décision initiale de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, la Cour conclut, au paragraphe 24, que le transfert d’un groupe de postes de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) au Conseil du Trésor ne donnait pas ouverture aux mesures de protection applicables dans le cas d’un RE car le président de l’ACIA n’avait pas décidé « [...] que les services d'un ou de plusieurs employé-e-s nommé-e-s pour une période indéterminée ne ser[aient] plus requis au-delà d'une certaine date [...] » comme le prévoyait la définition de mesure de « transition en matière d’emploi » dans la convention collective.   Autrement dit, les conditions préalables définies donnant lieu à un RE n’étaient pas présentes.

[90]   Les faits examinés dans l’affaire Alliance de la fonction publique du Canada (supra) sont différents de ceux dont je dispose, mais j’estime que l’optique retenue par la Cour d’appel fédérale s’applique quand même en l’espèce.   Est-ce que la preuve dans la présente affaire montre qu’il y avait une situation de RE, au sens de la définition applicable de l’appendice T?  

[91]   L’appendice T définit un RE de la façon suivante :

[...]

Généralités

[...]

Définitions

[...]

Réaménagement des effectifs [...] - Situation qui se produit lorsqu'un administrateur général décide que les services d'un ou de plusieurs employé-e-s nommés pour une période indéterminée ne seront plus requis au-delà d'une certaine date en raison d'un manque de travail, de la suppression d'une fonction, de la réinstallation d'une unité de travail à un endroit où l'employé-e ne veut pas être réinstallé ou du recours à un autre mode d'exécution.

[...]

[92]   L’élément inédit de la présente affaire, qui complique l’interprétation de la convention collective, est le fait que Mme Moore est une employée saisonnière et qu’elle faisait l’objet d’une mise en disponibilité saisonnière lorsqu’une situation de RE s’est prétendument produite.   Les décisions d’arbitrage de grief antérieures invoquées dans l’argumentation traitent généralement de situations où des employés à temps plein nommés pour une durée indéterminée sont touchés par un RE.   Il est donc difficile d’en tirer des conclusions qui s’appliquent facilement aux employés saisonniers nommés pour une période indéterminée.

[93]   Les dispositions de l’appendice T semblent effectivement avoir été conçues en fonction de la situation des employés à temps plein nommés pour une période indéterminée.   Lorsque les mesures de protection et les avantages qui y sont prévus s’appliquent, ces employés ont généralement un emploi et touchent une rémunération.   Les employés saisonniers nommés pour une période indéterminée pourraient aussi faire face à une situation de RE lorsqu’ils ont un emploi et touchent une rémunération durant la « saison », mais qu’arrive-t-il si la situation de RE se produit en-dehors de leur saison de travail?   Comment, par exemple, l’administrateur général fait-il pour déterminer avec précision que leurs services ne sont plus requis?   Comment l’employeur applique-t-il le préavis de 120 jours qui doit être donné aux employés pour réfléchir sur les diverses options prévues dans le cadre du RE?   Quand commence cette période?   Est-elle rémunérée ou non?

[94]   L’effectif des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée ne représente qu’un faible pourcentage de la population totale de la fonction publique.   Il n’est pas exclu que les parties à la convention collective n’aient pas tenu compte expressément des situations de RE mettant en cause des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée faisant l’objet d’une mise en disponibilité saisonnière.   Il ne faut cependant pas en conclure que l’appendice T ne s’applique pas ou ne peut pas s’appliquer à ces employés, que ce soit durant leur « saison » de travail ou une « saison morte ».   Sur ce point, les parties ne semblent pas diverger d’opinion.

[95]   Il s’agit en fait de déterminer si la preuve produite en l’espèce montre qu’il existait une situation de RE le 1er avril 2002.   La fonctionnaire s’estimant lésée a beaucoup insisté sur cette date.   Elle a prétendu que l’employeur savait, en janvier ou au début de février 2002, que les tonnages de grain pour la prochaine saison d’expédition seraient plus faibles que prévu et que cela aurait une incidence importante sur le rappel des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée.   Elle a soumis que l’employeur aurait dû l’aviser, au plus tard le 1er avril 2002, qu’elle était touchée par un RE.   Elle explique ensuite comment l’arbitre de grief devrait procéder, selon elle, pour définir la réparation requise en décrivant les événements qui auraient dû se produire à partir du 1er avril 2002.   Suivant la logique de son argumentation, je devrais donc déterminer s’il y a eu violation de la convention collective le 1er avril 2002, ou peut-être avant cette date.   L’employeur partage d’ailleurs le même point de vue à cet égard; il estime, en effet, que je dois examiner la situation telle qu’elle se présentait le 1er avril 2002 et décider ensuite s’il a omis d’appliquer les dispositions de l’appendice T.

[96]   Les témoignages entendus en l’espèce relatent pour la plupart des événements survenus après le 1er avril 2002.   La fonctionnaire s’estimant lésée aussi bien que les témoins de l’employeur ont surtout insisté, dans leurs témoignages, sur deux successions de faits ultérieurs, soit la conception et le déroulement du processus de concours visant à établir l’ordre inverse du mérite aux fins du rappel et de la mise en disponibilité des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée pour la saison d’expédition de 2002-2003, d’une part, et, d’autre part, le RE annoncé le 2 mai 2002 dans le cadre duquel Mme Moore a ultérieurement accepté un départ volontaire.   Dans le premier cas, Mme Moore a également mis en preuve le rapport d’enquête final de la CFP, qui analyse le déroulement du processus d’établissement de l’ordre inverse du mérite au printemps de 2002 et ses conséquences.

[97]   Les parties affirment que cette preuve situe les événements dans leur contexte et permet de comprendre la situation à laquelle l’employeur et Mme Moore faisaient face durant la saison d’expédition de 2002-2003.   J’accepte cet argument, mais je crois par ailleurs que je dois éviter que la connaissance des événements antérieurs au 1er avril 2002 ne fausse ma compréhension de la situation qui existait aux alentours du 1er avril 2002.   À moins que la preuve relative aux événements ultérieurs ne soit essentielle ou déterminante pour établir qu’il y a eu violation de la convention collective aux alentours du 1er avril 2002, il reste que c’est une preuve contextuelle dont la valeur est limitée.

[98]   J’ai examiné attentivement la preuve et les arguments présentés avec éloquence par les deux parties.   Pour les motifs exposés ci-après, je ne crois pas que Mme Moore ait démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’une situation de RE s’est produite aux alentours du 1er avril 2002, au sens de la définition de RE à l’appendice T.  

[99]   Pour les fins de la présente affaire, la définition d’une situation de RE, dans la convention collective, comporte deux éléments essentiels, soit une décision de l’administrateur général que « [...] les services d’un ou de plusieurs employé-e-s nommés pour une période indéterminée ne seront plus requis au-delà d’une certaine date [...] », et l’existence d’« [...] un manque de travail [...] » ou « [...] la suppression d’une fonction [...] » justifiant une telle décision.  

[100]   Il y a des preuves non contestées en l’espèce que l’administrateur général a pris au moins une décision durant la saison d’expédition de 2002-2003, à savoir que « [...] les services d’un ou de plusieurs employé-e-s nommés pour une période indéterminée ne ser[aient] plus requis au-delà d’une certaine date [...] ».   C’est la décision qui a été annoncée le 2 mai 2002 afin de réduire les effectifs en permanence à Thunder Bay et qui a donné lieu à un appel de volontaires par M. Bevilacqua, le 17 mai 2002, auquel Mme Moore a répondu positivement.   Il n’existe toutefois aucune preuve concluante que c’est à cause de cette décision que Mme Moore n’a pas été rappelée le 1er avril 2002 à la fin de sa période de mise en disponibilité saisonnière.   En fait, en expliquant les raisons pour lesquelles on avait finalement décidé d’annoncer le RE le 2 mai 2002, M. Stuart a indiqué que l’objectif visé, du moins initialement, était de diminuer le nombre d’employés à temps plein nommés pour une période indéterminée.   Après analyse de la situation, l’employeur avait fixé à huit le nombre de postes à abolir.

[101]   À cet égard, la logique de la preuve indique que ce n’est pas l’existence d’employés saisonniers nommés pour une période indéterminée qui est à l’origine du RE annoncé le 2 mai 2002.   En fait, la décision récente de fermer les silos de janvier à mars chaque année conjuguée au déclin de longue durée des tonnages de grain au fil des années avait plutôt provoqué la remise en question du nombre d’employés à temps plein nommés pour une période indéterminée dont la CCG avait besoin dans la région de Thunder Bay.   En ce qui concerne les employés saisonniers nommés pour une période indéterminée, la preuve indique qu’ils continuaient de faire partie intégrante du modèle de dotation flexible que privilégiait l’employeur au début de 2002.   La solution au problème à long terme auquel l’employeur faisait face résidait principalement dans la réduction des effectifs ailleurs (parmi les employés à temps plein nommés pour une période indéterminée).   Qu’il y ait eu des volontaires parmi les employés saisonniers nommés pour une période indéterminée dans le cadre d’un processus de RE élargi par la suite ne change rien au fait établi que l’objectif initial était de réduire le nombre d’employés à temps plein nommés pour une période indéterminée.

[102]   Il est difficile d’isoler complètement le problème de dotation que le RE annoncé le 2 mai 2002 visait à résoudre de la décision de ne pas rappeler les employés saisonniers nommés pour une période indéterminée au début de la saison d’expédition le 1er avril 2002.   Il s’agit, dans une certaine mesure, de deux aspects d’un problème global de manque de tonnage comportant des éléments à court et à long terme.   Cela dit, il ressort des témoignages de MM. Stuart et Bevilacqua que les processus avaient été conçus et s’appliquaient séparément.   Concernant le processus de rappel et de mise en disponibilité des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée, la preuve indique que l’employeur estimait vraisemblablement, au début de 2002, que le problème de rappel des employés faisant l’objet d’une mise en disponibilité saisonnière n’était que temporaire.   Peut-être prenait-il ses désirs pour des réalités, mais là n’est pas la question.   L’employeur a tenu un concours dans le but d’établir l’ordre inverse du mérite croyant, semble-t-il, qu’une partie, voire la totalité des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée seraient rappelés durant la saison d’expédition.   Sinon, comment expliquer qu’il ait consacré du temps et des énergies à mener à bien un processus aussi ardu?   Personne ne savait exactement, dans les tout premiers mois de l’année, quand précisément les employés seraient rappelés.   La décision était subordonnée aux tonnages de grain à expédier, une situation qu’on suivait de près de semaine en semaine.

[103]   Pour accepter l’argument de la fonctionnaire s’estimant lésée à l’effet du contraire, il faudrait qu’il soit établi, selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur savait, aux alentours du 1er avril 2002, que Mme Moore ne serait pas rappelée au travail, que la situation, en ce qui la concernait, n’était pas temporaire et que, en réalité, ses services « [...] ne ser[aient] plus requis au-delà d’une certaine date [...] ».   J’ai conclu que je ne disposais pas de preuves convaincantes pour statuer en ce sens.

[104]   Mme Moore soutient que le fait que l’employeur ait omis de la rappeler le 1er avril 2002, à la fin de sa période de mise en disponibilité saisonnière, devrait être interprété comme une décision que ses services n’étaient plus requis.   Je ne considère pas comme déraisonnable la proposition fondamentale selon laquelle l’inaction d’un employeur pourrait être interprétée, dans des circonstances particulières, comme une décision donnant lieu à une situation de RE.   L’argument de Mme Moore soulève une question évidente, mais hypothétique, en l’espèce, c’est-à-dire pendant combien de temps l’employeur pouvait-il continuer de ne pas rappeler un employé saisonnier nommé pour une période indéterminée, telle Mme Moore, avant que ce qu’il qualifie de « situation temporaire » devienne en fait une situation permanente donnant lieu à un RE?   Si, par exemple, on me demandait de trancher la question à un moment où Mme Moore n’avait nullement été rappelée au travail durant la saison d’expédition de 2002-2003, non plus qu’après trois ou quatre mois, ma décision serait-elle différente?   Peut-être bien, mais je ne suis pas appelé à évaluer une question hypothétique.   Je dois plutôt examiner la situation telle qu’elle existait aux alentours du 1er avril 2002.   À cette date, la preuve montre que, selon la prépondérance des probabilités, le problème du rappel des employés ne semblait que temporaire ou, à tout le moins, que l’employeur avait des raisons de croire que c’était une situation temporaire.

[105]   L’employeur a attiré l’attention sur le fait qu’il y avait trois autres années où Mme Moore n’avait pas été rappelée au travail le 1er avril 2002 (voir la pièce G-7), mais seulement à une date ultérieure.   Dans le but d’établir ce à quoi Mme Moore aurait eu tout lieu de s’attendre au début de la saison d’expédition de 2002-2003, on devrait à tout le moins considérer que ces faits antérieurs laissent entrevoir la possibilité que le rappel ait lieu après le 1er avril 2002 sans que cela donne nécessairement lieu à une situation de RE.   Au demeurant, rien ne prouve que Mme Moore a reçu la garantie de l’employeur que sa période d’emploi commencerait invariablement le premier avril.   La lettre d’offre indique au contraire que sa période d’emploi [traduction] « [...] [pourrait] être d’une durée plus ou moins longue, compte tenu du travail disponible [...] » (pièce E-1).

[106]   Quoi qu’il en soit, les attentes de la fonctionnaire s’estimant lésée quant à la date d’un rappel saisonnier ne déterminent pas si la définition d’une situation de RE à l’appendice T   s’applique; ce qui importe, c’est comment l’employeur a apprécié la situation le 1er avril 2002 et les mesures qu’il a prises ou non à ce moment-là.

[107]   Comme je l’ai indiqué précédemment, la preuve n’indique pas, à mon sens, que l’administrateur général avait décidé, le 1er avril 2002, que les services de Mme  Moore « [...] ne ser[aient] plus requis au-delà d’une certaine date [...] ».   Il faut attribuer un sens aux mots « au-delà d’une certaine date » dans cette définition.   Ils renforcent l’argument selon lequel le « manque de travail », qui donne ouverture à bon droit aux mesures de protection et aux avantages prévus par la définition de RE à l’appendice T, ne se voulait pas une situation temporaire dans l’esprit des parties à la convention collective.   Le sujet et l’objet principaux de l’appendice T, au dire de Mme Moore, est de trouver à un employé touché un emploi permanent ailleurs dans la fonction publique.   Cela suppose, à mon sens, que, dans une situation de RE, le poste actuel de l’employé est aboli, ou est susceptible d’être aboli ou encore qu’il risque fort d’être aboli.   Après tout, la décision de l’employeur de procéder à un RE peut se solder, en définitive, par la rupture permanente de la relation employeur-employé.   Mme Moore n’a pas démontré que l’employeur envisageait, le 1er avril 2002, d’abolir son poste ou de la mettre en disponibilité en permanence.

[108]   L’affaire Brescia (supra) n’est pas dénuée de pertinence en l’espèce.   Elle porte principalement sur la légalité de la décision de l’employeur, la CCG dans ce dossier aussi, de mettre un groupe de 69 employés à temps plein nommés pour une période indéterminée, à Thunder Bay, en « situation d’inactivité » à compter du 10 janvier 2000, en « [...] fixant la date probable de leur retour au travail au 3 avril 2000 ».   L’employeur avait pris cette mesure après avoir appris que la CCB avait décidé de ne pas acheminer de grain par rail jusqu’à Thunder Bay à l’hiver 2000.   Bien qu’aucune question concernant l’interprétation de la convention collective et les dispositions de l’appendice T ne soit analysée par la Cour d’appel fédérale, la décision de la majorité insiste sur le caractère temporaire de la mesure prise par l’employeur et conclut que les aspects de la LEFP relatifs à la « mise en disponibilité » ne s’appliquaient pas, notamment parce qu’il ne s’agissait pas d’une mesure permanente et qu’il n’y avait pas eu de cessation d’emploi.   La majorité de la Cour confirme ensuite que l’employeur avait le droit de mettre des employés à temps plein nommés pour une période indéterminée en « situation d’inactivité » de façon temporaire.   Cette décision semble toutefois remettre en cause la validité de la décision rendue dans l’affaire Chevrette (supra).

[109]   Il est difficile de ne pas être frappé par la similitude qui existe entre la situation examinée dans l’affaire Brescia (supra) et les faits de la présente affaire. Dans l’affaire Brescia (supra), le caractère temporaire de la décision de l’employeur de mettre des employés à temps plein nommés pour une période indéterminée en « situation d’inactivité » est un des éléments ayant servi à déterminer qu’il n’y avait pas eu de « mise en disponibilité » au sens de la LEFP.   Est-il déraisonnable de proposer par analogie dans la présente affaire qu’il doit être démontré que la décision de ne pas rappeler des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée, le 1er avril 2002, n’était pas juste que temporaire avant de conclure qu’il s’agissait d’une situation de RE?   Je ne le crois pas, bien qu’il soit clair pour moi que la question juridique analysée dans l’affaire Brescia (supra) est différente.  

[110]   Je trouve confirmation du caractère temporaire de la situation qui existait le 1er avril 2002 dans le récit des événements survenus par la suite, quoique ce témoignage ne soit pas suffisant pour trancher la question.   Mme Moore a été évaluée par l’employeur en mai 2002 dans le cadre d’un concours visant à établir l’ordre inverse du mérite aux fins du rappel et de la mise en disponibilité des employés saisonniers nommés pour une période indéterminée.   La preuve indique que la plupart des employés inscrits sur la liste ainsi établie ont été rappelés au travail, certains à partir de juin.   Si Mme Moore s’était classée plus haut dans l’ordre inverse du mérite, il est à tout le moins possible, voire probable, qu’elle aurait elle aussi été rappelée durant la saison d’expédition de 2002-2003.  

[111]   La possibilité d’obtenir un emploi permanent s’est éteinte lorsque Mme Moore s’est portée volontaire dans le cadre du RE et que l’employeur a retenu sa candidature.   Dans son rapport d’enquête final, la CFP conclut que ce qui est arrivé à Mme Moore durant la saison d’expédition de 2002-2003 « [...] s’apparent[e] à une mise en disponibilité [...] ».   Je n’ai aucune raison de mettre en doute cette conclusion, non plus que je sois compétent pour le faire bien que je me demande ce que les mots « [...] s’apparent[e] à une mise en disponibilité [...] [c’est moi qui souligne] » signifient exactement dans les faits.   Il reste que la preuve ne me permet pas de conclure sans l’ombre d’un doute que le non-rappel de Mme Moore, le 1er avril 2002, constituait une mise en disponibilité ou que l’employeur avait déjà décidé à ce moment-là que ses services « [...] ne ser[aient] plus requis au-delà d’une certaine date [...] ».

[112]   Ayant déterminé que l’employeur n’avait pas décidé, le 1er avril 2002, que les services de Mme Moore « [...] ne ser[aient] plus requis au-delà d’une certaine date [...] », je dois conclure que la situation décrite dans le présent grief ne cadre pas avec la définition d’un RE à l’appendice T et n’a pas donné lieu à un RE le 1er avril 2002.   Le grief ne peut donc être accueilli.   Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de prendre en considération les questions soulevées dans l’argumentation concernant l’application des autres aspects de l’appendice T ou le façonnement d’une réparation.

[113]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[114]   Le grief est rejeté.

Le 21 mars 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Dan Butler,
arbitre de grief

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