Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

À la suite de l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), l’exclusion automatique des avocats du ministère de la Justice (MJ) du processus de négociation collective a pris fin - en vertu de la loi qui précédait la LRTFP, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) avait été accrédité à titre d’agent négociateur d’un petit groupe d’avocats qui travaillaient dans le domaine du droit à l’extérieur du MJ - après l’entrée en vigueur de la LRTFP, la Federal Law Officers of the Crown (FLOC) et l’Association des juristes du ministère de la Justice (AJMJ) ont déposé des demandes d’accréditation auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) - la demande de la FLOC concernait tous les avocats du MJ qui travaillaient au bureau régional de l’Ontario (BRO), ce qui équivaut à environ 10 % des avocats du MJ, tandis que la demande déposée par l’AJMJ concernait tous les avocats qui travaillaient pour le MJ - l’IPFPC a demandé et obtenu la qualité d’intervenant dans l’affaire - le Conseil du Trésor a soutenu que ni l’une ni l’autre des unités de négociations proposées n’était habile à négocier collectivement pour les groupes concernés et a affirmé que l’unité de négociation devrait s’étendre à l’ensemble de la fonction publique - pendant l’audience, l’AJMJ a modifié sa position pour affirmer que l’unité de négociation habile devrait s’étendre à l’ensemble de la fonction publique - la FLOC a soutenu que l’historique des relations entre les avocats qui travaillent au BRO et ceux qui travaillent ailleurs au Canada faisait en sorte que l’AJMJ n’était pas à même de représenter adéquatement les avocats qui travaillent au BRO et qu’elle était en fait déterminée à agir contre les intérêts de ces derniers - la FLOC estimait qu’elle pouvait atteindre son objectif de parité avec les avocats de la Couronne de l’Ontario si elle formait sa propre unité de négociation, mais qu’elle échouerait si elle adhérait à une unité de négociation s’étendant à l’ensemble de la fonction publique - pour déterminer si un groupe d’employés constitue une unité de négociation habile à négocier collectivement, la CRTFP doit tenir compte de la classification de ces employés, telle que définie par l’employeur, et doit établir des unités qui correspondent aux groupes ou sousgroupes professionnels créés par l’employeur, à moins que cela nuise à la représentation adéquate des employés rattachés aux unités - l’unité proposée par la FLOC ne constitue pas un sousgroupe professionnel - l’existence d’un taux de rémunération régional pour les avocats du BRO n’a pas pour effet de créer un sousgroupe professionnel - la CRTFP n’approuve pas le morcellement et la multiplication des unités de négociation - des relations de travail saines nécessitent de grandes unités de négociation, dans la mesure du possible - les différences entre les marchés régionaux ne justifient pas la création d’unités de négociation distinctes - la preuve de l’existence de conflits entre la FLOC et l’AJMJ ne confirme pas qu’une unité de négociation s’étendant à l’ensemble de la fonction publique ne serait pas à même de représenter adéquatement les avocats du BRO - la CRTFP a conclu qu’une unité de négociation regroupant l’ensemble des avocats du groupe du droit (LA) dont le Conseil du Trésor est l’employeur est la seule unité de négociation habile - la CRTFP était convaincue que la majorité des membres du groupe du droit (LA) souhaitaient que l’AJMJ soit leur agent négociateur - l’accréditation accordée à l’IPFPC a été révoquée et une ordonnance accréditant l’AJMJ à titre d’agent négociateur sera délivrée en temps opportun.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-04-28
  • Dossiers:  542–02–1
    542–02–2
    525–02–1
  • Référence:  2006 CRTFP 45

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

FEDERAL LAW OFFICERS OF THE CROWN (542–02–1)
demanderesse
et
CONSEIL DU TRÉSOR
employeur

ASSOCIATION DES JURISTES DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE
(542–02–2)

demanderesse
et
CONSEIL DU TRÉSOR
employeur

CONSEIL DU TRÉSOR (525–02–1)
demandeur
et
INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA
agent négociateur

Répertorié
Association des juristes du ministère de la Justice et al. c. Conseil du Trésor et al.

Dans l'affaire de demandes d'accréditation prévues à l'article 54 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et
dans l'affaire d'une demande de révision d'une unité de négociation en vertu de l'article 70 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant : Yvon Tarte, président; Sylvie Matteau, vice-présidente; Dan Quigley, commissaire

Pour la Federal Law Officers of the Crown : Donald K. Eady, avocat

Pour l'Association des juristes du ministère de la Justice : C. Michael Mitchell, avocat; Marisa Pollock, avocate

Pour l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada : Michel Gingras, négociateur

Pour le Conseil du Trésor : Michel LeFrançois, avocat


Affaires entendues à Ottawa (Ontario),
les 30 novembre et 1er, 2, 5 et 6 décembre 2005.
Observations écrites déposées les 22 décembre 2005 et 13 janvier 2006.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Contexte

[1]   Avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la « nouvelle Loi »), le 1 er avril 2005, les avocats du ministère de la Justice étaient automatiquement exclus du processus de négociation collective [voir la définition de « poste de direction ou de confiance » dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »)]. Lorsque la nouvelle Loi est entrée en vigueur, elle a créé la nouvelle Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP). La nouvelle Loi ne prévoit pas l’exclusion automatique des avocats du ministère de la Justice. Par conséquent, tous les avocats du secteur public fédéral qui relèvent de la compétence de la CRTFP peuvent participer à la négociation collective, sous réserve des règles d’exclusion normales.

[2]   En mars 1969, la CRTFP a délivré à l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) une ordonnance l’accréditant à titre d’agent négociateur du groupe du droit (LA). L’ordonnance comportait une description générale de l’unité de négociation, mais elle ne visait en réalité qu’un petit nombre d’employés du domaine du droit à l’extérieur du ministère de la Justice. La CRTFP a modifié l’ordonnance de l’IPFPC le plus récemment en 1999 (dossier de la Commission 142-2-130). L’unité de négociation du groupe LA de l’IPFPC compte actuellement environ 100 membres.

[3]   À cause de l’effet de l’article 49 des dispositions de transition de la nouvelle Loi, contenues aux articles 36 à 66, les juristes du ministère de la Justice n’ont pas été automatiquement intégrés à l’unité de négociation du groupe LA de l’IPFPC lorsque l’ancienne Loi a été abrogée et la nouvelle est entrée en vigueur. Par conséquent, les organisations syndicales qui désirent représenter les juristes du ministère de la Justice doivent demander une accréditation aux termes de l’article 54 de la nouvelle Loi.

Demandes présentées à la Commission

[4]   Le 1er avril 2005, la Federal Law Officers of the Crown (FLOC) a présenté une demande d’accréditation en vue de représenter :

[Traduction]

Tous les avocats et étudiants en droit qui sont employés par le Bureau régional de l’Ontario du ministère de la Justice ou qui en relèvent, à l’exception des avocats et des étudiants en droit employés à Ottawa, des directeurs et sous-directeurs et des employés qui occupent un poste supérieur à ceux de directeurs et sous-directeurs.

[5]   Un peu plus tard le même jour, l’Association des juristes du ministère de la Justice (AJMJ) a présenté une demande d’accréditation en vue de représenter :

[Traduction]

Tous les juristes membres du groupe du droit au ministère de la Justice, à l’exception de ceux qui ne sont pas des employés au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique .

[6]   Le Conseil du Trésor, en qualité d’employeur, a répondu aux deux demandes d’accréditation le 11 avril 2005 et a déclaré que ni l’une ni l’autre des unités de négociation proposées n’étaient habiles à négocier collectivement. L’employeur a soutenu que l’unité de négociation habile doit regrouper tous les fonctionnaires fédéraux appartenant au groupe LA dont le Conseil du Trésor est l’employeur.

[7]   Compte tenu de son point de vue sur la question, l’employeur a également demandé que la nouvelle Commission révoque l’ordonnance délivrée par l’ancienne Commission à l’IPFPC pour le compte du groupe LA (voir le paragraphe 2 ci-dessus).

[8]   L’IPFPC, face à la position de l’employeur, a demandé la qualité d’intervenant dans l’affaire des demandes d’accréditation et a contesté officiellement la demande de révocation de son accréditation formulée par le Conseil du Trésor.

[9]   Le 26 juillet 2005, les parties ont été informées de la décision prise par la Commission de traiter des deux affaires à la même audience.

Conférence préparatoire

[10]   Une conférence préparatoire sur les affaires a eu lieu le 3 novembre 2005. À cette occasion, il a été décidé que les parties présenteraient leurs arguments dans la séquence suivante : Federal Law Officers of the Crown, Association des juristes du ministère de la Justice, Institut professionnel de la fonction publique du Canada, Conseil du Trésor.

[11]   Par ailleurs, toutes les parties ont convenu, et il a été officiellement noté, que les demanderesses, c’est-à-dire la FLOC et l’AJMJ, étaient des « organisations syndicales » au sens de la nouvelle Loi.

[12]   La Commission s’est fondée sur la documentation qui accompagnait les deux demandes d’accréditation et sur l’accord des parties et a conclu que tant la FLOC que l’AJMJ sont des « organisations syndicales » au sens de la nouvelle Loi aux fins du règlement des affaires dont elle est saisie.

Résumé de la preuve

Preuve présentée par FLOC

[13]   La FLOC a présenté deux témoins à l’appui de sa demande : Fergus O’Donnell, membre du bureau et membre du conseil exécutif de la Federal Lawyers Association of Greater Toronto (FLAG, devenue FLOC), jusqu’à ce qu’il soit nommé sous-directeur, Services régionaux des poursuites, en 2004, et Christopher K. Leafloor, président de la FLOC et l’un des membres fondateurs de son conseil.

[14]   Me O’Donnell, avocat au ministère de la Justice depuis 1987, a passé en revue l’historique de la FLOC, fondée en février 2005. L’organisation a succédé à l’Ontario Justice Lawyers Association (OJLA), puis à la Federal Lawyers Association of Greater Toronto (FLAG). La FLAG a été fondée en 2001, auquel moment elle a remplacé l’OJLA, puis elle est devenue la FLOC en février 2005.

[15]   Le témoin a expliqué que, jusqu’en 1990, les avocats affectés à Toronto étaient rémunérés selon l’unique taux de rémunération national applicable à tous les avocats du ministère de la Justice. En juin 1990, l’employeur a approuvé une échelle salariale majorée à l’intention de tous les avocats du ministère de la Justice affectés au Bureau régional de Toronto, devenu le Bureau régional de l’Ontario (BRO). L’écart salarial est demeuré en vigueur au cours des 15 dernières années.

[16]   L’échelle salariale distincte a été instaurée en réponse à un problème aigu de conservation et de recrutement du personnel dans la région. Depuis lors, les avocats de Toronto bénéficient d’un taux de rémunération supérieur à celui de leurs collègues ailleurs au Canada. Si l’intention initiale était de verser une indemnité non récurrente, celle-ci a, en réalité, été versée à nouveau au cours des années suivantes.

[17]   À l’automne 2000, l’arbitre William Kaplan a rendu une décision (pièce 8) en faveur des avocats de la Couronne de l’Ontario. Du coup, les salaires de ces derniers ont été haussés de 30 %, ce qui a eu pour effet de créer un écart de la même ampleur entre les avocats du ministère de la Justice et leurs collègues provinciaux, dont les salaires avaient servi historiquement de point de comparaison.

[18]   Au dire du témoin, la décision a dynamisé les avocats du ministère de la Justice de Toronto. Leur objectif formel était de parvenir à la parité avec les avocats de la Couronne de l’Ontario. La première étape à franchir à cette fin était d’établir une structure de représentation et de présenter une demande à la direction du ministère de la Justice. Ainsi, l’OJLA a vu le jour. Elle était composée des avocats autres que ceux qui occupaient un poste de direction et des stagiaires en droit du bureau de Toronto. Pas moins de 90 % des avocats et des stagiaires admissibles ont adhéré à l’OJLA.

[19]   En 2001, l’OJLA est devenue la FLAG, de crainte que son nom suscite de la confusion et du fait qu’elle n’était composée que d’avocats de la région de Toronto employés par le gouvernement fédéral. Par la même occasion, une association parallèle est apparue, l’AJMJ. En juin 2001, l’AJMJ a tenu un référendum afin de gagner l’appui de tous les avocats du ministère de la Justice.

[20]   Des discussions ont eu lieu à ce moment au BRO concernant les avantages et les inconvénients de s’allier à une association plus importante. De l’avis du témoin, certains facteurs ont joué dans les discussions. Notamment, on estimait que l’écart salarial était sur le point de disparaître et que l’employeur était en passe de fusionner les deux échelles salariales. En pareil contexte, le bureau de la FLAG a décidé de recommander à ses membres de voter en faveur de l’AJMJ dans le référendum tenu par cette dernière. Environ 90 % des membres de la FLAG ont participé au référendum et ont voté à 95 % en faveur de l’AJMJ.

[21]   En septembre 2001, le ministère de la Justice a publié le « rapport de la société Hay ». Le document n’a fait que rendre la situation plus confuse, car il concluait que Toronto constituait un marché distinct de celui du reste du pays. Dans les circonstances, le maintien de l’écart était de nouveau justifié. L’AJMJ a contesté la méthode d’analyse et l’exactitude du rapport. Elle a soutenu qu’il ne devait y avoir qu’un seul taux de rémunération national.

[22]   À la suite du vote tenu en juin 2001 et tout au long de l’été, les courriels ont foisonné lorsque les avocats de la région de Toronto se sont rendu compte que l’AJMJ favorisait un taux de rémunération national. Le témoin a fait savoir que, en raison du débat et des conclusions du rapport Hay, lui-même et les autres membres du bureau de la FLAG ont commencé à douter du bien-fondé d’appuyer l’AJMJ.

[23]   Le rapport Hay a confirmé que le marché de Toronto était distinct et que l’écart salarial qui y était versé était justifié. Les membres de la FLAG ont compris qu’il était possible de revendiquer la parité avec les avocats de la Couronne de l’Ontario dans la région de Toronto, au profit de quelque 200 avocats, mais non pour l’ensemble du Canada, qui en comptait quelque 2 000.

[24]   Selon le témoin, les positions de la FLAG et de l’AJMJ étaient inconciliables. Le taux de rémunération était un point central. Les avocats de la région de Toronto estiment que l’analyse en faveur de l’écart salarial est persuasive. Ils travaillent sur un marché distinct où le coût de la vie diffère de celui des autres régions du pays. Par conséquent, ils estiment être en bonne posture pour revendiquer collectivement et obtenir la parité salariale avec les avocats de la Couronne de l’Ontario.

[25]   Il semblait, par la même occasion, que l’employeur était en passe de reconnaître l’existence et le fondement de l’écart. Selon le témoin et d’autres membres du bureau de la FLAG, la parité salariale de tous les avocats du ministère de la Justice au Canada avec les avocats de la Couronne de l’Ontario n’était pas un objectif de négociation réaliste. Il en résulterait une hausse de près de 50 % du taux de rémunération des avocats à l’extérieur de la région de Toronto. Par conséquent, la FLAG a soumis la question au vote des membres en décembre 2001. Cent quarante-sept (147) membres ont voté contre l’AJMJ, tandis que sept lui ont accordé leur appui.

[26]   À la suite du sondage tenu en décembre 2001, la FLAG était d’avis que la direction du ministère de la Justice devait traiter directement avec elle, et non avec l’AJMJ, relativement aux avocats affectés au BRO. Selon la FLAG, l’AJMJ ne représentait pas les intérêts des avocats du BRO. Mario Dion, sous-ministre délégué au ministère de la Justice, a fait savoir à la FLAG qu’il poursuivrait les communications avec l’AJMJ, compte tenu de l’énorme appui qu’elle avait recueilli lors du référendum de juin 2001. La situation est devenue préoccupante pour les avocats de Toronto, qui estimaient désormais que l’AJMJ n’était pas à même de bien les représenter.

[27]   D’autres facteurs ont suscité des inquiétudes chez les avocats du BRO et à la FLAG. En juin 2002, le ministère de la Justice a consenti à verser à certains des avocats du BRO une indemnité concurrentielle du marché de Toronto (ICMT) de 8 %, en sus du taux de rémunération régional en vigueur. L’AJMJ n’était pas d’accord avec le versement et a saisi le ministère de la Justice de ses préoccupations.

[28]   Le 10 juin 2003, l’AJMJ a adressé une lettre à la direction du ministère de la Justice dans laquelle elle s’opposait au versement de taux de rémunération régionaux aux avocats de Toronto. La lettre proposait de redistribuer l’ICMT de 2003 à l’ensemble des avocats fédéraux, et elle était clairement contraire aux intérêts des avocats du BRO. Les membres du bureau de la FLAG n’ont été ni informés d’avance de la lettre ni consultés au sujet de son contenu.

[29]   L’ICMT n’a pas été versée en 2003. Il est devenu apparent à ce moment que le ministère de la Justice s’inquiétait du taux d’appui qu’avait l’AJMJ parmi les avocats de Toronto.

[30]   En février 2004, l’AJMJ a adressé à la direction du ministère de la Justice une présentation sur la rémunération de l’année, puis, en mars 2004, elle a rencontré les avocats de la région de Toronto afin de leur en exposer le contenu. Selon le témoin, les participants ont élevé la voix et la rencontre est devenue animée. L’AJMJ a expliqué sa stratégie de taux de rémunération national et a refusé de retirer sa lettre du 10 juin 2003 ou de s’en excuser.

[31]   Le témoin n’était au courant d’aucune consultation menée par l’AJMJ auprès de la FLAG relativement aux propositions de rémunération avancées par l’AJMJ depuis 2001. Celle-ci favorisait la parité immédiate avec les avocats de la Couronne de l’Ontario au profit de tous les avocats du ministère de la Justice, un objectif que le témoin juge irréaliste. En juin 2002, la FLAG avait déjà décidé que l’AJMJ était résolue à desservir les intérêts des avocats du BRO.

[32]   Me Leafloor est employé pour le ministère de la Justice depuis 2003. Il travaille à la Section du droit public du BRO. Il était un membre fondateur de la FLOC en février 2005, et il en est l’actuel président. La FLOC compte environ 300 membres.

[33]   Me Leafloor a fait valoir que la position de l’AJMJ, c’est-à-dire revendiquer un taux de rémunération national paritaire par rapport à celui des avocats de la Couronne de l’Ontario, est irréaliste et qu’elle serait insoutenable auprès de l’employeur, puisque seulement 10 % environ des avocats du ministère de la Justice sont affectés au BRO.

[34]   La présentation de 2004 sur la rémunération a provoqué l’échange de courriels au BRO même et à l’ensemble du pays. Les avocats du BRO sont devenus de plus en plus isolés des autres avocats.

[35]   La décision rendue par la Cour supérieure de la Colombie-Britannique dans l’affaire Babcock et al. v. Attorney General (Canada), 2005 BCSC 513, concernant une demande de parité avec les avocats du BRO déposée par les avocats du ministère de la Justice de la Colombie-Britannique, a contribué à les dissocier davantage. Certains courriels en circulation à ce moment étaient insultants même pour les avocats du BRO et ceux des autres régions.

[36]   En décembre 2004, des représentants de l’AJMJ et de la FLOC se sont rencontrés pour discuter de la représentation au conseil de direction et au bureau de l’AJMJ. Restait à déterminer, toutefois, le mode de nomination de membres de la FLOC au bureau de l’AJMJ, car il n’existait aucun poste vacant à ce moment. La question n’a pas été discutée davantage.

[37]   Selon Me Leafloor, l’AJMJ ne représenterait pas les meilleurs intérêts des avocats du BRO et, au contraire, la stratégie proposée desservirait les membres de la FLOC. L’AJMJ n’a jamais manifesté la volonté de défendre les intérêts des avocats du BRO. Même si la FLOC a plus de chances que toute autre organisation de parvenir à la parité avec les avocats de la Couronne de l’Ontario, elle ne représente que 10 % environ des avocats du ministère de la Justice.

[38]   Les avocats du BRO appuient la FLOC à 90 %, ce qui traduit clairement leur volonté d’être représenté par l’organisation. De l’avis du témoin, l’AJMJ ne s’est jamais efforcée véritablement de communiquer avec les avocats du BRO, de recueillir leurs points de vue et de comprendre leur situation.

[39]   Me Leafloor a reconnu que si l’AJMJ était accréditée à titre d’unique agent de négociation du groupe LA, elle serait tenue légalement de représenter équitablement tous ses membres.

Preuve présentée par l’AJMJ

[40]   L’AJMJ a appelé un témoin, Patrick Jetté, avocat plaidant au criminel de Montréal.

[41]   L’AJMJ a été fondée en juillet 2001 par suite d’un référendum national tenu auprès des avocats du ministère de la Justice en juin 2001. Me Jetté a été élu président de l’AJMJ en février 2002 à la suite d’une élection tenue en janvier 2002, dont l’objet était de constituer le premier conseil de direction permanent de l’organisation. Il a déclaré que, en mars 2002, lui-même et d’autres représentants de l’AJMJ ont rencontré Morris Rosenberg, sous-ministre, et Mario Dion, sous-ministre délégué, ministère de la Justice, afin d’entamer des pourparlers.

[42]   Le 3 avril 2002, Me Jetté a adressé un courriel aux avocats du ministère de la Justice de toutes les régions du Canada consécutivement à une réunion entre M. Dion et le bureau de l’AJMJ, qui a eu lieu le 28 mars 2002.

[43]   À la réunion, M. Dion a informé l’AJMJ que le ministère de la Justice et le Conseil du Trésor avaient conclu une entente triennale sur la rémunération et que le ministère de la Justice avait obtenu le versement d’une somme forfaitaire de 8 % pour les avocats de Toronto. Selon le témoin, M. Dion croyait que la somme forfaitaire de 8 % [appelée ultérieurement l’indemnité concurrentielle du marché de Toronto (ICMT)] risquait de susciter la controverse, comme le Conseil du Trésor était d’avis qu’il n’existait pas de problème de recrutement ou de conservation du personnel à Toronto. Pour cette raison, M. Dion croyait que le Conseil du Trésor pouvait bien refuser la demande du ministère de la Justice. En dépit de cela, le Conseil du Trésor avait consenti à l’ICMT.

[44]   De l’avis de Me Jetté, bien que l’ICMT de 8 % ait été versée à terme aux avocats de Toronto, il ne savait pas si les fonds provenaient du ministère de la Justice ou du Conseil du Trésor. Il a ajouté que l’AJMJ ne s’était pas opposée à l’ICMT.

[45]   Après avoir reçu un certain nombre de questions d’avocats partout au Canada, Me Jetté a adressé un nouveau message, daté du 17 avril 2002, à l’ensemble des avocats du ministère de la Justice afin de faire la lumière davantage sur les propos tenus à la réunion avec M. Dion. Il y disait que l’AJMJ n’avait pas fait valoir son point de vue sur l’entente de rémunération triennale conclue par le Conseil du Trésor et le ministère de la Justice. Il y ajoutait que, en ce qui avait trait à l’ICMT, l’AJMJ favorisait un taux de rémunération national unique pour l’ensemble des avocats.

[46]   Me Jetté a fait savoir que, même s’il n’avait pas participé personnellement à l’élaboration de la proposition de rémunération de 2001 de l’AJMJ, il savait qu’elle comportait trois principales étapes :

  1. les salaires de tous les avocats à l’extérieur de la région de Toronto seraient majorés à l’échelle de rémunération en vigueur à Toronto;
  2. les taux de rémunération des avocats de la Couronne de l’Ontario constitueraient le taux de rémunération maximal suivant applicable à tous les avocats du ministère de la Justice;
  3. tous les avocats du ministère de la Justice bénéficieraient d’une augmentation de 11 % qui les rapprocherait du taux du marché.

[47]   Qui plus est, s’ajouterait aux trois étapes une augmentation annuelle au mérite de 4,6 % versée aux avocats qui ont répondu aux attentes de leur poste, laquelle serait de 7 % dans les cas de ceux qui les ont dépassé.

[48]   Me Jetté a reconnu que la FLAG avait également présenté une proposition de rémunération à l’employeur pour le compte des avocats du BRO, à laquelle l’AJMJ ne s’était pas opposée.

[49]   Le témoin a mentionné un courriel qu’il avait adressé, le 9 juillet 2002, à tous les avocats du ministère de la Justice de Toronto, dans lequel il expliquait que l’objectif de l’AJMJ et celui de la FLAG était le même : parvenir à la parité salariale avec les avocats de la Couronne de l’Ontario. Il a également commenté la décision prise par le Conseil du Trésor de verser l’ICMT de 8 % sous forme de somme forfaitaire plutôt que de hausse salariale, ce qui nuirait à la rente de retraite des avocats en général.

[50]   Le témoin a déclaré qu’il s’efforçait de brosser un tableau global à l’intention des avocats de Toronto et de leur expliquer que l’AJMJ leur procurerait un avantage numérique et un mandat fort qui comprendrait un seul taux de rémunération national pour tous les avocats. Il a ajouté que l’AJMJ avait déjà traité des questions autres que la rémunération, par exemple le harcèlement, les appels et les griefs, à l’intention des avocats de Toronto.

[51]   Dans une lettre datée du 10 juin 2003 adressée à Brent DiBartolo, alors secrétaire adjoint, Secrétariat du Conseil du Trésor, Relations de travail et opérations de la rémunération, Division des opérations, M. Jetté a fait savoir que l’AJMJ aurait préféré que l’ICMT (équivalant à 8 % de la feuille de paye ou 2 millions de dollars environ) soit distribuée aux avocats partout au Canada sous forme de hausse de 1 % accordée aux employés qui répondaient aux exigences de leur poste ou qui les dépassaient. Selon l’AJMJ, le versement d’une hausse de 1 % à l’ensemble des avocats aurait été plus équitable que l’octroi de 8 % aux seuls avocats de Toronto.

[52]   Me Jetté a précisé avoir commis une erreur dans la lettre qu’il avait adressée à M. DiBartolo. Il aurait dû demander au Conseil du Trésor d’accorder une augmentation de 8 % aux avocats dans toutes les régions du Canada plutôt que de répartir entre eux la somme de 8 % destinée à leurs collègues de Toronto. Il a ajouté, toutefois, qu’à son avis, sa lettre n’avait aucunement influencé la décision de l’employeur d’annuler l’ICMT.

[53]   Le témoin a avoué avoir tiré des enseignements de son erreur et a dit avoir élaboré par la suite une nouvelle proposition de rémunération. La proposition de 2004 englobait les commentaires de tous les niveaux du groupe LA et, bien qu’il n’ait pas présidé le comité chargé de sa rédaction, il y a siégé et a fait valoir ses commentaires.

[54]   Me Jetté a décrit une réunion qu’il avait convoquée à Toronto, le 11 mars 2004, à laquelle la proposition de rémunération de 2004 de l’AJMJ avait été présentée aux avocats du BRO en présence. Il a déclaré, notamment, que la diapositive intitulée [traduction] « Un engagement envers Toronto » représentait un effort de conciliation avec les avocats de Toronto à la suite de la lettre qu’il avait adressée à M. DiBartolo. Selon lui, les avocats de Toronto ne renonceraient pas aux gains réalisés comparativement à leurs collègues des autres régions. L’AJMJ négocierait le même pourcentage de hausse pour tous. La hausse dont profiteraient les avocats de Toronto engloberait l’écart prévu pour cette ville. Une deuxième rencontre a eu lieu le soir, mais seul un petit nombre d’avocats de Toronto y ont assisté. De l’avis du témoin, l’engagement pris envers Toronto témoignait de l’évolution de l’AJMJ en tant qu’organisation.

[55]   Le 22 décembre 2004, Me Jetté a convoqué une rencontre avec le bureau de la FLAG et un planificateur de campagne engagé par l’AJMJ afin de discuter d’une alliance éventuelle entre celle-ci et la FLAG. Il a proposé à la FLAG un siège permanent au conseil de direction de l’AJMJ, offre que la FLAG n’a jamais acceptée.

[56]   Bien que Me Jetté ait été mal à l’aise de discuter de la stratégie de négociation de l’AJMJ avec l’employeur à la présente audience, il a quand même fait savoir que le conseil de direction de l’AJMJ avait traité d’allocations provisoires et de taux de rémunération régionaux. Toutefois, à ce moment, la proposition de rémunération de 2004 visait la parité avec les avocats de la Couronne de l’Ontario.

[57]   Le témoin a signalé que, quoique la proposition de rémunération de 2004 renferme la stratégie de négociation actuelle de l’AJMJ, comme c’est toujours le cas, rien ne garantit que la stratégie ne sera pas modifiée. L’objectif de l’AJMJ est de parvenir à la rémunération égale du travail de valeur égale à celui qu’effectuent les avocats de la Couronne de l’Ontario, lesquels ont servi de point de comparaison historique. Si la CRTFP accordait l’accréditation à l’AJMJ, un choix se poserait ensuite entre la conciliation-grève et l’arbitrage. Il a précisé, de plus, que, même si l’AJMJ n’est pas tenue par ses statuts de confier l’établissement du mandat de négociation aux membres, l’organisation tient à consulter les avocats de toutes les régions du Canada en vue d’établir un mandat de négociation collective.

[58]   Invité à se prononcer sur l’existence de sentiments d’hostilité envers les avocats du BRO parmi leurs collègues des autres régions, il a nié catégoriquement que ces derniers entretenaient pareils sentiments. Il estime que, si l’AJMJ est accréditée, celle-ci pourrait représenter les intérêts de tous les avocats, y compris ceux de Toronto, comme ils partagent tous le même objectif. Le problème tient à ce que la FLOC ne croit pas que l’AJMJ puisse parvenir à la parité de l’ensemble du groupe avec les avocats de la Couronne de l’Ontario.

[59]   En contre-interrogation par la FLOC, Me Jetté a expliqué que, aux termes des statuts de l’AJMJ, chaque région élit des représentants au conseil de direction. Selon la formule en vigueur, un représentant par tranche de 75 avocats d’une région peut siéger au conseil, à concurrence de 3 représentants par région. Or, le conseil de direction compte actuellement 43 représentants, dont 22 de la région de la capitale nationale (RCN). Les 43 représentants élisent le bureau. Le nombre de membres du bureau est passé de quatre à sept à la suite d’une modification apportée aux statuts. Le 4 décembre 2004, Me Jetté a offert à la FLAG une place au bureau, offre que l’Association a refusée. Le BRO a droit à trois représentants au conseil de direction de l’AJMJ, et il existe actuellement un poste vacant.

[60]   Toute convention collective serait soumise à la ratification des membres de l’AJMJ selon la règle de 50 % plus un. Les statuts de l’AJMJ ne prévoient aucun veto régional.

[61]   Me Jetté était d’accord pour dire que la demande d’accréditation de l’AJMJ englobait tous les avocats non exclus du ministère de la Justice. Il a ajouté que l’AJMJ n’avait aucunement l’intention de faire le maraudage des avocats représentés par l’IPFPC, même s’il croit que la solution optimale consiste en la représentation de tous les avocats par une seule unité de négociation nationale. Selon lui, il faudrait modifier les statuts de l’AJMJ pour que celle-ci représente les avocats du ministère de la Justice qui font partie actuellement de l’unité de négociation de l’IPFPC.

[62]   Me Jetté croit que le rapport Hay dressé pour le ministère de la Justice était entaché d’information inexacte et périmée. Il a convenu que le document n’avançait pas d’arguments persuasifs en faveur de la parité salariale de tous les avocats des régions canadiennes avec les avocats de la Couronne de l’Ontario.

[63]   Le témoin était d’avis que la proposition de rémunération de 2001-2002 décrivait les fonctions professionnelles des avocats des régions comme étant différentes de celles des avocats de la RCN. Selon lui, le travail effectué par les avocats de Toronto ne diffère aucunement de celui dont s’acquittent les avocats des bureaux régionaux d’un océan à l’autre.

[64]   Les avocats de Vancouver et Montréal n’ont pas appuyé l’ICMT prévue pour les avocats du BRO, car ils s’estiment également soumis à des forces spéciales du marché et sous-payés.

[65]   Me Jetté croit que la position de négociation de la FLOC et de l’AJMJ est affaiblie du fait que les deux groupes s’efforcent chacun de son côté de parvenir à la parité avec les taux de l’Ontario.

[66]   Me Jetté s’est dit d’accord avec le représentant de l’IPFPC, qui affirme que les salaires de l’AJMJ sont fondés sur un régime de « rémunération au rendement » par opposition à un régime de progression salariale « par échelons », comme celui que prévoit la convention collective actuelle de l’IPFPC.

[67]   Le témoin a déclaré que les objectifs de l’AJMJ et de la FLOC sont les mêmes. Toutefois, la FLOC ne croit pas que l’AJMJ peut atteindre ses objectifs. Il est persuadé que l’AJMJ, en qualité d’unité de négociation nationale cohésive, aura l’occasion de négocier avec succès avec le ministère de la Justice et le Conseil du Trésor, ce que ni l’AJMJ ni FLOC n’ont pu avoir jusqu’à jour.

[68]   Me Jetté a répété que l’AJMJ a appris de ses erreurs et que ses propositions récentes ne pénalisent aucunement le groupe du BRO.

[69]   Il a précisé que l’AJMJ souhaite maintenant représenter tous les avocats du groupe LA dans le cadre d’une unité de négociation à l’échelle de la fonction publique.

Résumé de l’argumentation

[70]   Les parties ont été invitées à présenter leurs arguments par écrit, dont le texte intégral a été versé aux dossiers. Les passages qui suivent sont les points saillants de leurs observations et des réponses qui y ont été données. Le texte complet des observations a été versé aux dossiers de la Commission.

Principales observations

Pour la FLOC

[71]   Pour satisfaire aux exigences de l’article 57 de la nouvelle Loi, un groupe de fonctionnaires doit uniquement adhérer à une unité habile à négocier collectivement et non à l’unité la plus habile.

[72]   Par conséquent, la question qui se pose est celle de savoir si l’unité de négociation proposée par la FLOC a une communauté d’intérêts. Il ne s’agit pas d’établir si une autre structure d’unité de négociation proposée aurait une communauté d’intérêts égale ou supérieure à celle de l’unité que préconise la FLOC.

[73]   La FLOC soutient que l’unité de négociation proposée du BRO a une communauté d’intérêts et se réfère pour la circonstance aux facteurs normalisés dont fait état la décision rendue dans l’affaire United Steelworkers of America v. Usarco Limited, [1967] OLRB Rep. 526.

[74]   En ce qui concerne les paragraphes 57(2) et (3) de la nouvelle Loi, la FLOC estime que l’employeur a effectivement établi un groupe ou un sous-groupe professionnel distinct lorsqu’il a fixé un taux de rémunération exceptionnel à l’intention des avocats de la région de Toronto. Il en découle que l’unité de négociation que propose la FLOC correspond aux groupes ou sous-groupes professionnels de l’employeur.

[75]   Par ailleurs, si la Commission décidait que l’unité de négociation que propose la FLOC ne correspond pas aux groupes ou sous-groupes professionnels de l’employeur, elle devrait constater que l’intégration des avocats du BRO à une unité de négociation nationale ne permettrait pas la représentation adéquate des avocats concernés. Pour cette raison, une unité de négociation nationale ne serait pas habile à négocier collectivement.

[76]   En dernier lieu, la demande de révision de la structure de l’unité de négociation de l’IPFPC présentée par l’employeur est prématurée et devrait être rejetée. L’employeur n’a produit aucune preuve qui montre que l’unité de négociation actuelle est inefficace.

[77]   En conclusion, la FLOC ne croit pas que l’établissement de deux unités de négociation à l’intention des avocats du ministère de la Justice occasionnerait le morcellement excessif du groupe ou compromettrait la qualité des relations de travail futures.

Pour l’AJMJ

[78]   L’unité de négociation que propose la FLOC ne correspond pas aux groupes ou sous-groupes professionnels établis par l’employeur. Le groupe LA, tel que défini dans la Gazette du Canada (vol. 133, n o 13, le 27 mars 1999), ne comprend aucun sous-groupe.

[79]   Puisque l’unité que propose la FLOC n’est pas un groupe ou sous-groupe professionnel, son accréditation n’est possible que si son refus ne permet pas la représentation adéquate de ses membres. Or la FLOC n’a pas fait la démonstration que ses membres ne seraient pas représentés adéquatement par une unité à l’échelle de la fonction publique.

[80]   La Commission devrait s’inquiéter du morcellement et de la multiplication des unités de négociation. Tous les avocats du groupe LA ont une forte communauté d’intérêts.

[81]   Par ailleurs, l’AJMJ affirme que même si les avocats du BRO constituent un sous-groupe professionnel aux fins de la nouvelle Loi, l’unité que propose la FLOC n’est pas habile à négocier collectivement.

[82]   En ce qui a trait à l’unité de négociation de l’IPFPC, l’AJMJ s’objecte en indiquant qu’elle ne correspond pas aux groupes ou sous-groupes professionnels de l’employeur.

[83]   Même s’il s’agissait d’un sous-groupe professionnel, rien n’indique que les membres de l’IPFPC ne pourraient pas être représentés de façon adéquate par une unité de négociation à l’échelle de la fonction publique.

Pour l’IPFPC

[84]   Dans ses observations, l’IPFPC a maintenu que tous les avocats employés par le Conseil du Trésor devraient faire partie d’une seule unité de négociation.

[85]   Si la Commission décide d’établir une seule unité de négociation à l’échelle de la fonction publique, ses membres doivent pouvoir choisir leur agent négociateur. L’IPFPC souhaite que son nom figure sur le bulletin si la mise aux voix est prescrite.

[86]   La tenue d’un scrutin dans cette affaire posera des assises démocratiques minimales sur lesquelles pourra prendre appui l’éventuel agent négociateur du groupe LA. Cette façon de faire serait conforme à la pratique antérieure de la Commission, qui consistait à imposer le processus démocratique aux premières étapes de l’accréditation.

Pour l’employeur

[87]   L’employeur demande à la Commission de déterminer que l’unité de négociation habile en espèce est composée de tous les employés du groupe LA.

[88]   Du point de vue de l’employeur, ni la FLOC, ni l’AJMJ, pas plus que l’IPFPC ne se sont acquittés du fardeau de la preuve en faisant la démonstration qu’une unité de négociation à l’échelle de la fonction publique correspondant au groupe professionnel de juristes ne permettrait pas une représentation adéquate de l’ensemble de ses membres.

[89]   La nouvelle Loi prescrit que, au moment de leur accréditation, les unités de négociation doivent correspondre à la structure des groupes professionnels de l’employeur, sauf si elles ne permettent pas de représenter adéquatement les fonctionnaires qui en font partie.

[90]   La thèse selon laquelle les avocats du BRO constituent un sous-groupe professionnel est sans fondement. L’employeur a établi plusieurs sous-groupes professionnels, mais il ne l’a pas fait dans le cas du groupe LA, ce dont fait clairement foi la pièce 10 de la preuve.

[91]   La Commission, sensible au risque de morcellement, a toujours privilégié les unités à l’échelle de la fonction publique.

[92]   La preuve porte à croire que le travail des avocats du BRO ressemble sensiblement à celui des autres avocats du ministère de la Justice, surtout ceux qui sont affectés à d’autres bureaux régionaux.

[93]   Le ministère de la Justice est un ministère intégré du point de vue fonctionnel, avec à sa tête le ministre de la Justice et le procureur général du Canada.

[94]   La détermination et la capacité de l’AJMJ à défendre énergiquement les intérêts de tous les avocats du groupe LA, y compris ceux du bureau régional de l’Ontario, ne peuvent être mises en doute. L’interprétation la plus favorable à donner à la demande d’accréditation présentée par FLOC est qu’elle est prématurée.

[95]   L’employeur n’a aucune préférence quant à l’organisation syndicale qui devrait représenter une unité à l’échelle de la fonction publique, et il n’a donc aucune opinion sur la demande formulée par l’IPFPC en vue de la tenue d’un scrutin de représentation. Cependant, la Commission devrait se demander si un vote favorisera la cohésion de l’unité de négociation ou s’il aura l’effet contraire.

Observations en réplique

Pour la FLOC

[96]   L’unité de négociation que propose la FLOC répond aux exigences de la nouvelle Loi et devrait être accréditée. Les autres propositions ne permettraient pas la représentation adéquate des avocats du BRO.

[97]   La FLOC soutient que les avocats du BRO constituent un sous-groupe professionnel et invoque la jurisprudence de la Commission à l’appui de son affirmation.

[98]   Tant l’AJMJ que l’employeur interprètent mal la demande de la FLOC, car il s’agit d’une demande initiale d’accréditation et non d’une demande de morcellement d’unité de négociation existante.

[99]   Faute de preuves selon lesquelles l’unité proposée par la FLOC n’est pas viable, sa demande ne peut être qualifiée de prématurée.

[100]   En dernier lieu, à cause des rapports conflictuels entre la FLOC et l’AJMJ et de l’incapacité de cette dernière de bien défendre les intérêts des avocats du BRO, l’unité de négociation proposée par l’AJMJ ne peut représenter adéquatement les intérêts des avocats concernés.

Pour l’AJMJ

[101]   L’AJMJ maintient que les avocats du BRO ne constituent pas un sous-groupe au sens des articles 57 et 70 de la nouvelle Loi.

[102]   L’AJMJ, l’IPFPC et l’employeur s’accordent sur la nécessité d’une unité de négociation à l’échelle de la fonction publique qui représenterait tous les avocats du groupe LA qui ont une forte communauté d’intérêts.

[103]   En dernier lieu, il n’existe aucune justification impérieuse d’ordonner la tenue d’un scrutin de représentation si la Commission décide qu’une unité de négociation à l’échelle de la fonction publique offre la solution aux affaires à l’étude. Par ailleurs, non seulement pareil vote constituerait-il un gaspillage des ressources publiques, il serait d’autant plus incompatible avec les bonnes politiques de relations de travail.

Pour l’IPFPC

[104]   Le point de vue de l’IPFPC, qui préconise l’établissement d’une unité de négociation à l’échelle de la fonction publique, permet d’éviter le morcellement ou la multiplication d’unités d’employés dont la classification et le groupe sont identiques.

[105]   L’IPFPC réitère sa position selon laquelle tous les avocats du groupe LA devraient appartenir à une seule unité de négociation dont la représentation devrait être décidée par la tenue d’un vote.

Pour l’employeur

[106]   Aux termes du paragraphe 57(4) de la nouvelle Loi, il est clair que la Commission est autorisée à établir une unité de négociation dont la composition n’est pas identique à celle des unités proposées dans les demandes d’accréditation présentées par la FLOC et l’AJMJ.

[107]   Les observations de la FLOC sur la communauté d’intérêts sont erronées. Il n’appartient pas aux parties opposées au point de vue de la FLOC de décider qu’une unité de négociation réunissant les avocats du BRO ne représenterait pas adéquatement ses membres.

[108]   L’opinion de la FLOC va à l’encontre de la nouvelle Loi et si la Commission devrait se rallier à ce point de vue, celui-ci favoriserait et encouragerait le morcellement des unités de négociation.

[109]   L’employeur reconnaît la pertinence des antécédents d’accréditation et de négociation collective par rapport aux décisions sur la communauté d’intérêts. Toutefois, il n’existe pas d’antécédents comparables de rapports entre les avocats du ministère de la Justice et l’employeur.

[110]   Nulles dispositions de la nouvelle Loi ne laissent entendre la possibilité d’une classification autre que celle dont décide l’employeur à sa seule discrétion. Les observations de la FLOC confondent les concepts de classification et d’établissement de la paye.

[111]   La Commission n’a aucune raison de conclure qu’une unité à l’échelle de la fonction publique ne pourrait représenter adéquatement les avocats du BRO, comme la négociation collective pour le compte des avocats du ministère de la Justice n’a pas encore eu lieu.

Motifs

[112]   Les articles 54, 57 et 70 de la nouvelle Loi, reproduits ci-dessous, énoncent les pouvoirs dont dispose la Commission pour traiter des demandes d’accréditation et de révision de la structure des unités de négociation actuelles :

[...]

54. Sous réserve de l’article 55, toute organisation syndicale peut solliciter son accréditation comme agent négociateur pour un groupe de fonctionnaires qui, selon elle, constitue une unité habile à négocier collectivement. Elle doit alors faire la demande à la Commission en conformité avec les règlements et celle-ci avise l’employeur de la demande sans délai.

[...]

57. (1) Saisie d’une demande d’accréditation conforme à l’article 54, la Commission définit le groupe de fonctionnaires qui constitue une unité habile à négocier collectivement.

(2) Pour décider si le groupe de fonctionnaires constitue une unité habile à négocier collectivement, la Commission tient compte de la classification des postes établis par l’employeur et des personnes qu’il emploie, notamment des groupes ou sous-groupes professionnels qu’il a établis.

(3) La Commission est tenue de définir des unités correspondant aux groupes et sous-groupes professionnels établis par l’employeur, sauf dans le cas où elles ne constitueraient pas des unités habiles à négocier collectivement au motif qu’elles ne permettraient pas une représentation adéquate des fonctionnaires qui en font partie.

(4) L’unité de négociation définie par la Commission ne coïncide pas nécessairement avec le groupe de fonctionnaires visé par la demande d’accréditation.

[...]

70. (1) Dans les cas où elle révise la structure des unités de négociation, la Commission tient compte, pour décider si le groupe de fonctionnaires constitue une unité habile à négocier collectivement, de la classification des postes établis par l’employeur et des personnes qu’il emploie, notamment des groupes ou sous-groupes professionnels qu’il a établis.

(2) La Commission est tenue de définir des unités correspondant aux groupes et sous-groupes professionnels établis par l’employeur, sauf dans le cas où elles ne constitueraient pas des unités habiles à négocier collectivement au motif qu’elles ne permettraient pas une représentation adéquate des fonctionnaires qui en font partie.

[...]

[113]   Lorsqu’elle est appelée à décider si un groupe d’employés constitue une unité habile à négocier collectivement, la Commission doit tenir compte de leur classification établie par l’employeur. Elle doit également définir des unités de négociation correspondant aux groupes et sous-groupes professionnels créés par l’employeur, sauf si elles ne permettaient pas une représentation adéquate des employés qui en font partie.

[114]   Fait à noter, trois des quatre parties qu’intéressent les demandes sont en faveur de l’établissement d’une unité de négociation à l’échelle de la fonction publique qui regrouperait tous les avocats du groupe LA dont le Conseil du Trésor est l’employeur. Seul FLOC adopte un point de vue différent et demande la création d’une unité de négociation qui représenterait tous les avocats du BRO, à l’exception de ceux d’Ottawa.

[115]   La première question à trancher est celle de savoir si l’unité que propose FLOC correspond à un sous-groupe professionnel. Il est clair que ce n’est pas le cas.

[116]   FLOC soutient que l’unité proposée correspond à un sous-groupe professionnel en raison de l’écart salarial ou de l’indemnité que touchent la plupart de ses membres.

[117]   Comme l’illustrent les pièces 10 et 22 de la preuve, l’employeur n’a pas créé de sous-groupes du groupe LA comme il l’a fait pour d’autres groupes professionnels. L’existence d’un taux de rémunération régional applicable à certains avocats du BRO n’a pas pour effet d’établir un sous-groupe professionnel. Hormis les questions de rémunération, la FLOC et l’AJMJ sont identiques du point de vue fonctionnel. Leur situation diffère de celle qui est décrite dans l’affaire IPFPC c. Commission canadienne de la sûreté nucléaire (2004 CRTFP 19) invoquée par la FLOC. Dans l’instance précitée, le système de classification de l’employeur était constitué d’échelles salariales, lesquelles pouvaient être réparties, en gros, entre fonctions administratives et professionnelles.

[118]   Une fois qu’il a été établi que l’unité de négociation proposée par la FLOC ne correspond pas à un sous-groupe professionnel, il reste à décider si la Commission doit conclure que ladite unité est habile à négocier collectivement, puisqu’une unité à l’échelle de la fonction publique ne permettrait pas de représenter adéquatement les avocats du BRO.

[119]   En raison d’un cadre législatif qui prescrit l’établissement d’unités de négociation correspondant aux groupes et sous-groupes professionnels de l’employeur, sauf si cette démarche ne permet pas la représentation adéquate des employés, la FLOC aura fort à faire pour prouver qu’une unité de négociation à l’échelle de la fonction publique ne permettrait pas de représenter adéquatement ses membres.

[120]   Dans les limites du cadre législatif prescrit par la nouvelle Loi, la nouvelle Commission continue de s’opposer au morcellement et à la multiplication des unités de négociation. La nouvelle Commission est d’avis, comme l’était l’ancienne (AFPC c. CCN, 142-29-312 et 313, et Agence Parcs Canada c. IPFPC, 2000 CRTFP 109, par. 127), que les bonnes relations de travail passent par des unités de négociation globales chaque fois que la situation s’y prête.

[121]   Les avocats d’autres marchés régionaux, soit Montréal, Calgary ou Vancouver, peuvent bel et bien soutenir que les forces du marché jouent également dans leur milieu. En soi, cette réalité ne justifie pas l’établissement d’unités de négociation distinctes. Dans l’affaire Agence des douanes et du revenu du Canada, Institut professionnel de la fonction publique du Canada et Alliance de la Fonction publique du Canada c. Association des gestionnaires financiers de la fonction publique et Association des employés en sciences sociales (2001 CRTFP 127, par. 531 et 535), la Commission maintient le même avis qu’elle a exprimé selon lequel :

[...]

La valeur marchande est affaire d’offres et de demandes et d’engouement passager; ce n’est pas une mesure stable ni fiable. Quantité de groupes de travailleurs peuvent voir leurs compétences faire l’objet d’une surenchère à un moment ou à un autre, mais le jeu de l’offre et de la demande ne constitue pas un motif valable de morceler l’effectif d’un employeur [...]

L’objet de la négociation collective est de regrouper les employés pour les aider à faire contrepoids au pouvoir économique de l’employeur et pour établir les modalités d’une convention collective où chacun y trouve son compte.

[...]

[122]   La preuve de l’existence d’un conflit entre la FLOC et l’AJMJ au moment où les deux rivalisent pour obtenir une accréditation ne confirme pas que l’établissement d’une unité de négociation à l’échelle de la fonction publique ne permettrait pas de représenter adéquatement les avocats du BRO. La Commission n’estime pas concluante la preuve d’un conflit qui a été présentée, d’autant plus que la négociation collective au profit des avocats du ministère de la Justice n’a pas encore eu lieu. En formulant ses conclusions, la Commission note également que tant la FLOC que l’AJMJ visent le même objectif, soit la parité salariale avec les avocats de la Couronne de l’Ontario. Elle conclut donc qu’une seule unité de négociation à l’échelle de la fonction publique, composée de tous les avocats du groupe LA dont le Conseil du Trésor est l’employeur, est l’unique unité habile à négocier collectivement.

[123]   Une fois cette conclusion établie, la seule question en suspens est celle de savoir s’il faut tenir un scrutin de représentation.

[124]   D’après la documentation déposée auprès de la Commission, une unité de négociation à l’échelle de la fonction publique composée des avocats du groupe LA dont le Conseil du Trésor est l’employeur compterait 2 600 membres. L’AJMJ a fourni la preuve qu’elle réunit 1 482 avocats du ministère de la Justice, ce qui représente 57 % du nombre total de membres possibles au moment de la présentation des demandes d’accréditation.

[125]   En vertu de l’article 64 de la nouvelle Loi, la Commission doit accréditer une organisation syndicale si elle est convaincue que la majorité des employés de l’unité de négociation souhaitent que l’organisation les représente à titre d’agent négociateur. Or, la Commission est convaincue que la majorité des avocats du groupe LA souhaitent que l’AJMJ les représente à titre d’agent négociateur.

[126]   Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[127]   La Commission ordonne, par les présentes, que l’unité habile à négocier collectivement dans les affaires dont elle est saisie soit composée de tous les avocats du groupe LA dont le Conseil du Trésor est l’employeur et qui ne sont pas exclus de la négociation collective par la loi ou une décision de la Commission.

[128]   La Commission accrédite par les présentes l’AJMJ à titre d’agent négociateur de l’unité de négociation décrite au paragraphe précédent.

[129]   L’ordonnance délivrée à l’IPFPC en 1969 et modifiée ultérieurement est révoquée par la présente décision.

[130]   Une ordonnance désignant l’AJMJ à titre d’agent négociateur de l’unité de négociation décrite au paragraphe 127 sera délivrée en temps et lieu.

[131]   Conformément à l’article 103 de la nouvelle Loi, l’AJMJ, en tant qu’agent négociateur du groupe LA, informera la Commission du mode de négociation collective auquel elle souhaite recourir en vue de résoudre les différends avec l’employeur.

Le 28 avril 2006

Traduction de la C.R.T.F.P.

 

Yvon Tarte,
président

 

Sylvie Matteau,
vice-présidente

 

Dan Quigley,
commissaire

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