Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés travaillent comme manutentionnaires chauffeurs à l’établissement Leclerc, et occupent des postes au groupe et niveau GS-TS-04 - l’employeur refuse de leur payer l’indemnité mensuelle pour le transport de matières dangereuses au motif qu’ils n’ont pas la responsabilité << d’emballer et d’étiqueter >> des marchandises dangereuses au sens de la Loi sur le transport des matières dangereuses - les fonctionnaires s’estimant lésés sont appelés à transporter et à manipuler de façon régulière des produits corrosifs ainsi que des matières corporelles, par exemple des échantillons sanguins, d’urine ou de salive des détenus - ils sont responsables de nettoyer le camion de transport lorsque de tels produits et matières se renversent et peuvent donc être en contact avec de tels produits - l’arbitre de grief a conclu que la description de travail des fonctionnaires s’estimant lésés ainsi que la preuve entendue à l’audience démontrent que l’employeur leur a confié la tâche de transporter des matières dangereuses et que cette tâche fait partie intégrante de leurs fonctions - les fonctionnaires s’estimant lésés ont aussi établi qu’ils sont détenteurs d’un certificat valide de formation conformément à la Loi sur le transport des matières dangereuses - par conséquent, les conditions donnant droit au paiement de l’indemnité prévue à l’Annexe << C >> de la convention collective sont rencontrées. Griefs accueillis.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P 35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-05-26
  • Dossiers:  166-02-34785 à 34787
  • Référence:  2006 CRTFP 62

Devant un arbitre de grief



ENTRE

ROBERT HUPÉE, PAUL MAILLOUX ET PIERRE MAUGER

fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Hupée et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Sylvie Matteau, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés :  Chantal Homier-Nehmé, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur :  Eric De Santis, avocat


Affaire entendue à  Montréal (Québec),
le 3 mai 2006.

Griefs renvoyés à l'arbitrage

[1]   Il s’agit de griefs de trois fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires ») que les parties ont convenu de joindre aux fins d’arbitrage. Les fonctionnaires travaillent pour le Service correctionnel du Canada (SCC) à l’établissement Leclerc à Laval (Québec). Robert Hupée et Paul Mailloux, tous deux manutentionnaires chauffeurs, ont déposé chacun un grief le 11 août 2003. Pierre Mauger, préposé aux services en établissement, a déposé un grief identique le 2 septembre 2003.

[2]   Tous contestent la décision de l’employeur qui leur a refusé le paiement d’une indemnité mensuelle prévue à la clause 6.01 de l’Annexe « C » de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services de l’exploitation (date d’expiration : le 4 août 2003). Cette disposition prévoit le versement d’une indemnité à un employé certifié aux termes de la Loi de 1992 sur le Transport des marchandises dangereuses (LTMD), à qui est confiée la responsabilité d’emballer et d’étiqueter des marchandises dangereuses pour le transport.

[3]   L’employeur soutient que les fonctionnaires n’ont pas droit au versement de cette prime puisqu’il ne leur a pas confié cette responsabilité d’emballer et d’étiqueter des matières dangereuses pour le transport et que leurs tâches ne rencontrent pas les conditions d’application de la clause en question.

[4]   Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits et les trois fonctionnaires ont témoigné à l’audience. L’employeur a fait entendre trois témoins, soit Sylvain Maurice, magasinier à l’établissement Leclerc, Pierre Gauthier, directeur général de l’établissement Leclerc, et David Alexander, coordonnateur régional en matière de santé et sécurité au travail.

[5]   Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur.  En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l'arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l' « ancienne Loi »).

Résumé de la preuve

[6]   L’exposé conjoint des faits signé par les parties le 1er mai 2006 se lit comme suit :

    […]

  1. Au moment du dépôt de leur grief, Monsieur Robert Hupée et Monsieur Paul Mailloux travaillaient à titre de Manutentionnaires chauffeurs à la division des Services de gestion du département de Service Correctionnel Canada, à l’établissement Leclerc à Laval, Québec (Employeur). Au moment du dépôt de son grief et jusqu’à ce jour, Monsieur Pierre Mauger est employé à titre de Préposé aux Services en établissement pour ce même Employeur.

  2. M. Paul Mailloux est retraité depuis le 26 février 2005.

  3. Monsieur Hupée, Mailloux et Mauger font partie de la classification des employés de Services divers GS–TS–04 et sont couvert par la Convention entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada Groupe : Services de l’exploitation (Convention Collective).

  4. À la demande de l’Employeur, Monsieur Hupée, Mailloux et Mauger (Employés) ont suivi la formation sur le transport des matières dangereuses dispensée par Transport Canada et sont en possession d’un certificat valide de formation conformément à la Loi de 1992 sur le Transport des marchandises dangereuses 1992, L.C. ch. 34. [Onglet 1]

  5. Le 4 août 2003 les Employés informent leur superviseur immédiat, Monsieur Sylvain Maurice, de l’obtention de la certification pour le transport des matières dangereuses et demande le paiement de l’indemnité mensuelle prévue à l’article 6.01 Appendice « C », de la Convention Collective. [Onglet 2]

  6. L’article 6.01 de l’Appendice « C » de la convention collective, stipule : « Un employé certifié aux termes de la Loi sur le transport des marchandises dangereuses à qui est confiée la responsabilité d’emballer et d’étiqueter des marchandises dangereuses pour le transport conformément à la Loi, doit recevoir une indemnité mensuelle de soixante-quinze dollars (75$) pour chaque mois au cours duquel il ou elle conserve cette certification.

  7. Le 6 août 2003, Monsieur Sylvain Maurice avise les Employés que ceux-ci n’ont pas droit à l’indemnité mensuelle pour le transport des matières dangereuses car ils n’ont pas la responsabilité d’emballer et d’étiqueter des marchandises dangereuses. [Onglet 3]

  8. Suite au refus de l’Employeur de payer l’indemnité mensuelle, Monsieur Hupée et Mailloux déposent chacun un grief le 11 août 2003 en vertu de l’article 18 de la Convention Collective. Monsieur Mauger dépose un grief identique le 2 septembre 2003. [Onglet 4]

  9. Les trois griefs stipulent :

    « Je conteste la décision reçu le 8 août 2003 »

    « Je demande que l’on paye la prime de l’article 6.01 Appendice C de ma convention. »

  10. Le 25 août 2003, Monsieur Roger Ménard, Représentant de l’employeur, rejette les griefs de Monsieur Hupée et Mailloux sur la base qu’ils n’ont pas la responsabilité d’emballer, étiqueter des matières dangereuses pour leur transport. [Onglet 5]

  11. Le 16 septembre 2003, Monsieur Pierre Gauthier, Représentant de l’employeur, rejette le grief de Monsieur Mauger sur la base qu’il n’a pas la responsabilité d’emballer, étiqueter des matières dangereuses pour leur transport. [Onglet 6]

  12. Le 10 octobre 2003, Monsieur Richard Watkins, Sous commissaire, Région du Québec, rejette les griefs des Employés au second palier. [Onglet 7]

  13. Le 30 juin 2004, Monsieur Simon Coakeley, Commissaire adjoint, Gestion des Ressources Humaines, rejette les griefs au dernier palier. [Onglet 8]

  14. Le 16 mars 2005, les trois griefs font l’objet d’un renvoi à l’arbitrage devant la C.R.T.F.P. [Onglet 9]

  15. […]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[7]   En plus des trois fonctionnaires, Pierre Gariépy, surveillant des Services en établissement et superviseur de M. Mauger, a suivi la même formation en transport de marchandises dangereuses et a été certifié aux fins de la LTMD. Selon M. Gauthier, il est le seul employé à qui l’employeur a confié ces responsabilités. Ceci est dû au fait, selon l’employeur, que la manipulation de marchandises dangereuses n’est requise qu’une ou deux fois l’an.

[8]   Les trois fonctionnaires ont décrit leurs tâches quotidiennes en se référant à leur description de tâches respectives (pièces G-1, G-2 et G-6).   M. Hupée et M. Mailloux, jusqu’à sa retraite, accomplissaient les mêmes tâches; celles de M. Mauger sont différentes. M. Mauger est toutefois appelé à remplacer M. Hupée et, par le passé, il a aussi remplacé M. Mailloux.

[9]   M. Hupée est manutentionnaire chauffeur à l’établissement Leclerc depuis six ans. M. Mailloux a travaillé à ce même établissement du 8 janvier 1996 au 26 février 2005. Quant à M. Mauger, il travaille à l’établissement Leclerc depuis mai 1999 et occupe ses fonctions actuelles depuis plus de trois ans. Il était manutentionnaire chauffeur pendant ses premières années de service.

[10]   Les manutentionnaires chauffeurs ont parmi leurs principales responsabilités celles de placer les commandes de fournitures pour le magasin et au nom des détenus et des employés; recevoir la marchandise; la vérifier; l’étiqueter aux fins d’entreposage; suivre les inventaires et la distribution des marchandises à ceux qui en ont fait la commande.

[11]   Ils entrent en communication avec les fournisseurs en cas de problème avec la marchandise. Ils supervisent également les détenus qui travaillent au magasin et à l’entrepôt. Ils ont deux camions à leur disposition pour faire le transport et la livraison de marchandises. À l’occasion, ils font le transport des contenants d’oxygène vides pour les faire remplir ou les faire remplacer chez le fournisseur et rapportent des contenants pleins. Ces contenants sont ainsi transportés de la centrale thermique de l’établissement à une boutique spécialisé en plongée qui fait le remplissage. Il en est de même pour les extincteurs à incendie, ainsi que les contenants de gaz propane et l’essence pour tondeuses et souffleuses à neige.

[12]   Plusieurs des produits qu’ils transportent sont des produits nettoyants, dont des produits corrosifs comme de l’eau de Javel et des nettoyants pour les fenêtres. Il y a aussi différentes colles, des décapants, des détergents et de la poudre à récurer, de même que de la cire, des germicides, des produits de lutte antiparasitaires et des savons sous forme concentrée.

[13]   Il peut arriver que la marchandise arrive endommagée. Dans ce cas, elle exige parfois d’être transvidée dans d’autres contenants et étiquetée par la suite. Elle est alors entreposée ou retournée au fournisseur. En tout temps, ce dernier est avisé de la défectuosité de la marchandise.

[14]   M. Hupée a déclaré qu’il y avait eu un déversement en raison d’un contenant défectueux provenant du fournisseur de nettoyants pour les vitres. Il a donc dû transvider le produit dans de plus petits contenants et les a tous étiquetés de façon appropriée.

[15]   De plus, les manutentionnaires chauffeurs sont responsables du transport quotidien de matières corporelles, soit les échantillons sanguins, d’urine ou de salive des détenus. Ces matières sont prises en charge dans les trois centres de santé du SCC, soit l’établissement Leclerc, Sainte–Anne–des–Plaines et Montée St–François. Elles sont ensuite transportées dans un contenant semblable à une petite glacière à l’Hôpital La Cité de la Santé à Laval.

[16]   Cette tâche des fonctionnaires exige parfois qu’ils vident le contenant de transport de ses échantillons à l’arrivée à l’Hôpital La Cité de la Santé lorsque les préposés de l’hôpital ne peuvent le faire. Ils placent alors eux-mêmes les échantillons dans un contenant de l’hôpital.

[17]   Selon les fonctionnaires, il est arrivé qu’un échantillon d’urine se renverse pendant le transport. Le déversement a souillé le camion. Le fonctionnaire à qui cet incident est survenu a dû faire lui-même le nettoyage et aviser son superviseur. Selon les témoins, l’employeur ne les a pas informés de mesures particulières à prendre en cas de déversement. À une autre occasion, l’un des fonctionnaires a refusé de prendre à sa charge un contenant, car il était en mauvais état. Le contenant a alors été remplacé par la préposée du centre de santé et un nouveau contenant a été remis au fonctionnaire.

[18]   Toute marchandise transportée doit être accompagnée d’un connaissement de transport qui est la responsabilité des fonctionnaires. Ces derniers ont également la responsabilité d’afficher les indicateurs de danger appropriés sur le camion lors du transport.

[19]   Quant à M. Mauger, ses activités principales visent à coordonner et donner les services d’approvisionnement, d’entretien et de salubrité des bâtiments et terrain, de lutte antiparasitaire, de déménagement et de récupération des déchets pour l’établissement dont il est responsable. Il supervise également les détenus manutentionnaires et nettoyeurs affectés à son secteur. Il peut être appelé à remplacer les manutentionnaires chauffeurs si l’employeur le requiert.

[20]   S’ajoute aux responsabilités de M. Mauger le nettoyage des cellules dans le cas de souillure par des matières corporelles, comme le sang. Une procédure particulière dictée par l’employeur doit alors être suivie pour assurer un nettoyage sécuritaire. La description de tâches de M. Mauger fait également état de l’exigence de connaissances en ce qui concerne la Loi sur la manipulation de matières dangereuses utilisées en milieu de travail, soit du système d’information des matières dangereuses utilisées au travail (SIMDUT). Il a reçu une formation et détient un certificat relativement à cette exigence.

[21]   Ses tâches font également en sorte qu’il transporte et transvide l’essence pour les tondeuses et souffleuses à neige. Il a effectué le transport des matières corporelles lorsqu’il était manutentionnaire chauffeur et a accompli cette tâche à quelques reprises par la suite en remplacement des deux autres fonctionnaires.

[22]   Le 26 avril 2006, M. Mauger a écrit à M. Gariépy (pièce G-3), son superviseur, pour lui demander de clarifier sa description de tâches en ce qui regarde son obligation de remplacer les manutentionnaires chauffeurs, à emballer et retourner des marchandises endommagées ou erronées chez les fournisseurs et à transvider des produits dans des distributrices ou autres contenants. M. Gariépy a confirmé toutes ces tâches.

[23]   Les fonctionnaires ont expliqué que la formation sur le transport des marchandises dangereuses a été exigée d’eux étant donné leurs fonctions. Ils exécutaient ces fonctions avant la formation. Rien n’a changé dans leurs fonctions après cette formation. Ils ont maintenant des manuels pour les aider à identifier le facteur de dangerosité des marchandises qu’ils manipulent et pour les aider à faire l’étiquetage approprié si requis. Il s’agissait d’une nouvelle exigence de l’employeur selon eux. À la suite de cette formation, ils s’attendaient tous à recevoir la prime prévue à la clause 6.01. Comme ils ne la recevaient toujours pas plusieurs semaines plus tard, malgré leurs demandes écrites, ils ont chacun déposé un grief.

[24]   M. Maurice a reçu la demande de versement de la prime des trois fonctionnaires. Il a déclaré avoir alors pris des renseignements et fait des consultations pour préparer une réponse à la demande des fonctionnaires. M. Gauthier a confirmé que les consultations qui ont été faites à la suite de cette demande ont établi que les fonctionnaires ne faisaient pas l’emballage et l’étiquetage de produits dangereux tel qu’entendu par la LTMD. M. Gauthier s’en est remis à l’expertise et l’analyse de M. Alexander et à la déclaration de M. Gariépy, voulant que les fonctionnaires n’accomplissaient ces fonctions qu’une seule fois par année.

[25]   Selon M. Maurice, les fonctionnaires savaient que seul M. Gariépy avait la tâche bien désignée par l’employeur d’emballer et d’étiqueter les marchandises dangereuses. Les trois fonctionnaires ne sont appelés qu’à en faire le transport. M. Gariepy a reçu la formation relative au transport et est certifié en vertu de la LTMD. Il reçoit l’indemnité prévue à la clause 6.01. M. Gauthier a témoigné en ce même sens. Selon ce dernier, la faible fréquence de ces circonstances n’exige pas que plus d’un employé soit ainsi désigné.

[26]   M. Maurice a reconnu en contre-interrogatoire que les fonctionnaires font le transport journalier des matières corporelles comme le sang et l’urine. Il a aussi reconnu qu’il est possible qu’il y ait des déversements et que des produits peuvent, à l’arrivée au magasin, être endommagés et qu’ils doivent être transvidés et étiquetés par les fonctionnaires.

[27]   M. Alexander travaille pour le gouvernement fédéral depuis plus de 25 ans. Il a été nommé à son présent poste en 2001. Dès 1985, il a été co-président d’un comité de santé et sécurité au travail au niveau local, puis au niveau régional. Son expérience relative à la LTMD remonte à 2002. Selon M. Alexander, le but de la législation est d’informer les employés des risques inhérents à l’utilisation ou la manipulation de matières dangereuses; c’est la raison d’être du SIMDUT. Selon lui, l’étiquetage aux fins de transport vise l’apposition des indicateurs appropriés sur le véhicule de transport et non pas l’étiquetage des marchandises dangereuses.

[28]   Selon M. Alexander, les fonctionnaires font essentiellement le transport des marchandises dangereuses; ils ne font pas l’emballage et l’étiquetage des contenants. Il s’agit d’une procédure interne à chaque établissement. À l’établissement Leclerc, par exemple, la personne désignée est M. Gariépy. Dans les centres de santé, ce sont les préposés du centre, les infirmiers ou infirmières qui sont désignés.

[29]   Dans les cas de déversement, il y a des directives différentes selon l’importance des quantités déversées. La LTMD prévoit qu’au-delà de certaines quantités, le Centre canadien d’urgence transport du ministère des Transports (CANUTEC) doit être joint. C’est le seul organisme qui peut procéder à l’enlèvement et au nettoyage de déversements importants. Dans les autres cas, il y a des consignes internes. M. Alexander a déclaré faire lui-même le transport occasionnel de marchandises dangereuses et ne pas recevoir l’indemnité prévue à la clause 6.01. Selon lui, d’autres employés qui sont également du même groupe sont dans la même situation.

Résumé de l’argumentation

Pour les fonctionnaires

[30]   Les fonctionnaires demandent le paiement de l’indemnité prévue à leur convention collective depuis le 4 août 2003, avec intérêts et tout autre redressement jugé approprié. Alternativement, ils demandent une déclaration sur l’interprétation appropriée de la clause en question et une ordonnance à l’employeur pour qu’il se conforme à celle-ci pour l’avenir.

[31]   Selon eux, tous exécutent tous les fonctions décrites à la clause 6.01 et se conforment à tous les critères qui y sont prévus. Les descriptions de tâches soutiennent l’argument des fonctionnaires. Leurs tâches quotidiennes décrites en preuve soutiennent également leur demande. La preuve va même dans le sens qu’une certification est nécessaire à l’accomplissement de leurs tâches.

[32]   Les fonctionnaires soutiennent que le texte de la disposition en cause ne requiert pas une désignation particulière de la part de l’employeur. Il suffit que les fonctionnaires exécutent les tâches visées et qu’ils soient dûment certifiés pour avoir automatiquement droit à la prime, même s’ils ne manipulaient ces marchandises dangereuses qu’à de rares occasions pendant une année.

[33]   Les fonctionnaires m’ont référé à l’article 2 de la LTMD. On y trouve des définitions importantes selon eux : contenant, indicateur de dangerosité, manutention et matières dangereuses. Ils notent que tous les produits qu’ils manipulent quotidiennement et qui ont été mentionnés lors des témoignages se trouvent dans les annexes de la LTMD à titre de matières dangereuses corrosives, explosives ou infectieuses.

[34]   Les fonctionnaires m’ont également référé à un rapport du bureau de conciliation (dossier de la CRTFP 190-02-336 (2004)) qui s’est penché sur la question des indemnités en question.

[35]   Selon les fonctionnaires, ce serait une erreur de conclure que, parce que les déversements ne sont pas fréquents, la clause 6.01 ne trouve pas application. De plus, on n’a jamais ordonné aux fonctionnaires de ne pas accomplir ces tâches. On me demande également de tirer une inférence négative du fait que le superviseur des fonctionnaires n’a pas été appelé à témoigner par l’employeur.

[36]   Enfin, je devrais interpréter les termes de la convention collective dans leur sens ordinaire et dans le sens de la loi à laquelle ils font référence.

Pour l’employeur

[37]   La position de l’employeur veut que les critères d’application de la clause 6.01 ne sont pas présents en l’espèce. Bien qu’il reconnaît que les trois fonctionnaires ont reçu une formation en transport de marchandises dangereuses et qu’ils sont tous certifiés en vertu de la LTMD, l’employeur ne leur a pas spécifiquement confié ces responsabilités.

[38]   Selon le dictionnaire Le petit Robert, le sens à donner au terme « confier » qui se trouve dans la clause 6.01, veut que l’on remette quelque chose au soin d’un tiers. Il appartient seul à l’employeur de confier une responsabilité à un employé. Les fonctionnaires ne peuvent s’arroger de quelque tâche que ce soit sans l’assentiment actif de l’employeur. Comme l’employeur n’avait pas confié ces responsabilités aux fonctionnaires, ceux-ci ne peuvent exiger le paiement de l’indemnité. Au contraire, ils ont été informés à maintes reprises, entre le 6 août 2003 et le 30 juin 2004, que ces tâches ne leur reviennent pas, ce qui est admis par les fonctionnaires au paragraphe 7 de l’énoncé conjoint des faits. Les descriptions de tâches sont mêmes muettes en ce qui a trait à l’emballage et à l’étiquetage des marchandises.

[39]   L’employeur soutient que les termes de la clause 6.01 sont très clairs et non ambigus. L’arbitre de grief ne doit donc pas en faire l’interprétation. En ce sens, il soumet les jurisprudences suivantes : Alexis Nihon Cie Ltd. c. Dupuis, [1960] S.C.R. 53, Doyon c. Commission des relations de travail dans la fonction publique et La Reine, [1978] 1 C.F. 31 et Turgeon c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), dossiers de la CRTFP 166–02–15624 à 15639 et 166–02–15775 (1988).

[40]   Selon l’employeur, la seule responsabilité des fonctionnaires est de transporter ces marchandises qui sont déjà emballées et étiquetées. L’employeur ne leur a pas confié la tâche de l’emballage, ni de l’étiquetage au sens de la LTMD. Le fardeau de cette preuve appartenait aux fonctionnaires et ils ne s’en sont pas déchargés. La preuve a plutôt révélé que les fonctionnaires prenaient possession d’échantillons qui étaient déjà emballés et étiquetés par les préposés des centres de santé. Si le contenant était endommagé, ils demandaient aux préposés de le remplacer. Il n’y a aucune preuve que les fonctionnaires devaient à leur tour étiqueter ou emballer les marchandises aux fins de transport.

[41]   Subsidiairement, l’employeur soumet que s’il y a eu ambiguïté pour les fonctionnaires, celle-ci a pris fin dès qu’ils ont été avisés qu’ils n’avaient pas ces responsabilités par la note de M. Maurice le 6 août 2003.

[42]   En ce sens, le paiement de l’indemnité ne peut se faire que du moment où les fonctionnaires ont été certifiés et au plus tard le 6 août 2003, date à laquelle, ils ont été avisés que ces tâches ne leur avaient pas été confiées.

[43]   De plus, en vertu de la clause 18.10 de la convention collective, la seule période d’éligibilité à l’indemnité est de 25 jours à compter du 11 août 2003, date à laquelle ils ont pris connaissance du refus de paiement de l’employeur. M. Mauger, quant à lui, n’aurait pas droit au paiement car il a déposé son grief plus de 25 jours plus tard. À ce sujet, l’employeur a déposé les décisions Canada (Office national du film) c. Coallier (C.A.F.), [1983] A.C.F. n o 813 et Horvath c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), dossiers de la CRTFP 166–02–21133 et 166–02–21134 (1991).

[44]   L’employeur n’a toutefois pas soulevé l’aspect tardif du grief de M. Mauger. Il argumente plutôt que ce dernier a déposé son grief plus de 25 jours après avoir été avisé par l’employeur, le 6 août 2003, que les responsabilités en question ne lui avaient pas été confiées.

Motifs

[45]   La question à résoudre en l’instance est celle de déterminer si les fonctionnaires ont droit au versement de l’indemnité prévue à la clause 6.01 de l’Annexe « C » de la convention collective applicable. Selon cette disposition, deux conditions sont requises pour le versement de l’indemnité :

  1. la certification aux termes de la Loi de 1992 sur le Transport des marchandises dangereuses ;

  2. s’être vu confier la responsabilité d’emballer et d’étiqueter des marchandises dangereuses pour le transport conformément à la Loi .

[46]   La première condition ne fait pas l’objet d’un litige. Il est reconnu que les trois fonctionnaires détiennent un certificat valide. La deuxième condition pose problème, car l’employeur refuse le paiement de l’indemnité en alléguant qu’il n’a jamais confié ces responsabilités aux fonctionnaires. Selon l’employeur, cette responsabilité doit leur être confiée expressément et de manière non équivoque. En d’autres mots, ce dernier prétend qu’il doit expressément donner son autorisation à ces activités ainsi qu’au paiement de la prime.

[47]   Je dois donc déterminer si l’employeur a ou non confié aux fonctionnaires la responsabilité d’emballer et d’étiqueter des marchandises dangereuses. L’employeur a raison en disant que la clause de la convention collective est claire et que je n’ai pas à l’interpréter. Ma tâche consiste plutôt à appliquer cette disposition à la situation qui m’est présentée et à déterminer si oui ou non cette indemnité devra être payée.

[48]   L’examen de la preuve extrinsèque, soit le rapport du bureau de conciliation présenté par les fonctionnaires, n’est donc pas pertinent dans les circonstances.

[49]   Les fonctionnaires ont tous reçu une formation spéciale en matière de documentation, d’indications de danger des marchandises dangereuses ainsi que de pratiques de transport et maniement sécuritaire, avec caractéristiques des marchandises dangereuses tel que précisé sur leurs certificats (pièces jointes à l’exposé conjoint des faits sous l’onglet 1).

[50]   La preuve a établi que les fonctionnaires manipulent et transportent des marchandises qui sont considérées comme dangereuses en vertu de la LTMD : matières infectieuses, liquides corrosifs, matières inflammables ou explosives. En plus, l’employeur a reconnu dans la description de travail des manutentionnaires chauffeurs (pièces G-1 et G-2, page 1) qu’ils ont comme principales activités « d’emballer, préparer et compléter les documents relatifs aux articles, en vue de l’entreposage ou de leur expédition aux utilisateurs ».

[51]   Selon ces mêmes documents (pièces G-1 et G-2), les fonctionnaires effectuent également « la livraison des fournitures et du matériel ». Parmi les conditions de travail énoncées au chapitre des risques pour la santé (point 3.2 des données justificatives jointes aux pièces G-1 et G-2), l’employeur indique que les fonctionnaires en question sont requis de « manipuler des produits chimiques et des matières dangereuses ». Au chapitre des exigences concernant les connaissances des lois et règlements (4.2), on exige des fonctionnaires la « connaissance des règlements touchant aux matières dangereuses, afin de les manipuler avec précaution ».

[52]   En ce qui concerne M. Mauger, ses tâches comprennent également la manipulation des marchandises (pièce G-6). Ses conditions de travail (point 3.2 des données justificatives jointes à la pièce G-6) incluent les risques pour la santé reliés à la manipulation « de matières toxiques, chimiques et inflammables ». Il doit connaître « la loi sur le SIMDUT et l’organisation du programme établie en institution » (point 4.2 des données justificatives jointes à la pièce G-6).

[53]   Le Règlement sur le transport des marchandises dangereuses définit la « manutention » comme étant « [t]oute opération de chargement, de déchargement, d’emballage ou de déballage de marchandises dangereuses effectuées en vue de leur transport, au cours de celui-ci ou par après. Les opérations d’entreposage effectuées au cours du transport sont incluses dans la présente définition ». Le chargement, le déchargement, l’emballage et le déballage de la marchandise aux fins de transport, avant, pendant et après celui-ci ainsi que l’entreposage sont des activités incluses dans les tâches des fonctionnaires. Ainsi, le transport inclut la manutention des produits.

[54]   L’action d’apposer les indicateurs de danger aux différentes marchandises consiste à étiqueter les marchandises aux fins du transport et en vertu de la LTMD pour signaler soit les risques qu’elles présentent ou leur conformité aux normes réglementaires.

[55]   La preuve a également établi que seuls ces trois fonctionnaires étaient appelés à exécuter ces fonctions, et plus précisément que M. Mauger, aussi détenteur du certificat en question, devait remplacer les deux autres fonctionnaires à la demande de l’employeur.

[56]   L’employeur a confié la tâche de transporter des marchandises dangereuses aux trois fonctionnaires par la voie de leur description de travail. La preuve veut que ces tâches soient exécutées par M. Hupée, comme elles l’étaient par M. Mailloux avant sa retraite. Quant à M. Mauger, l’employeur s’attend à ce qu’il remplace M. Hupée sur  demande. Dans ce cas, et au cours de ses propres activités journalières, ce dernier manipule des marchandises dangereuses.

[57]   Je conclus donc que les fonctionnaires en question ont droit au paiement de l’indemnité prévue à la clause 6.01 de l’Annexe « C » puisqu’ils sont détenteurs du certificat en question et que l’employeur leur a confié la responsabilité d’emballer et d’étiqueter des marchandises dangereuses pour le transport conformément à la LTMD.

[58]   Quant au versement de la prime, je ne peux retenir l’argument de l’employeur concernant la période de paiement. La preuve veut que cette prime soit payée mensuellement en fonction des deux conditions ci-dessus énoncées et contenues dans la clause 6.01. Il s’agit donc d’un défaut récurrent de l’employeur.

[59]   Comme la preuve a établi que les fonctionnaires exerçaient déjà ces fonctions avant qu’ils ne reçoivent leur formation et qu’ils soient certifiés, le paiement de l’indemnité leur est payable à partir du moment où ils ont été certifiés, soit le 18 juin 2003. Le paiement leur est également payable pour chacun des mois où ils étaient certifiés et exécutaient leurs fonctions. La jurisprudence de la Commission est bien établie dans les cas de manquement continuel de la part de l’employeur; le fonctionnaire n’a pas à déposer un nouveau grief tous les 25 jours. À ce sujet, on peut consulter Moyes c. Le Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douane et accise), dossier de la CRTFP 166-2-24629.

[60]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[61]   Les griefs des fonctionnaires sont accueillis. L’employeur devra verser l’indemnité prévue à la clause 6.01 à M. Mailloux pour la période du 18 juin 2003 au 26 février 2005 ainsi qu’à MM. Hupée et Mauger rétroactivement au 18 juin 2003.

 

Le  26 mai 2006.

Sylvie Matteau,
arbitre de grief

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