Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Une plainte de harcèlement sexuel a été déposée contre le fonctionnaire s’estimant lésé (le << fonctionnaire >>) par une de ses subalternes - au terme d’une enquête interne, l’employeur a réaffecté le fonctionnaire, le relevant de ses responsabilités de gestion, et lui a imposé une suspension de trois jours - une arbitre de grief a conclu que la plainte de harcèlement sexuel n’était pas fondée, a réintégré le fonctionnaire dans ses fonctions de gestion et a annulé la suspension de 3 jours (2002 CRTFP 89) - l’arbitre de grief n’a pas décidé des dommages-intérêts réclamés dans le grief - le fonctionnaire a demandé le contrôle judiciaire de cette décision pour que l’arbitre de grief épuise sa compétence sur la demande de dommages-intérêts - la Cour fédérale a renvoyé l’affaire devant un arbitre de grief pour trancher la demande de dommages-intérêts contenue dans le grief du fonctionnaire (2004 CF 566) - l’arbitre de grief a conclu que, dans le traitement de la plainte de harcèlement sexuel déposée contre le fonctionnaire, l’employeur avait commis certaines erreurs - le fonctionnaire n’a cependant pas établi que ces erreurs engageaient la responsabilité civile de l’employeur. Demande rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P–35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-01-19
  • Dossier:  166-2-30200
  • Référence:  2006 CRTFP 4

Devant un arbitre de grief



ENTRE

HENRI BÉDIRIAN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Justice)

employeur

Répertorié
Bédirian c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice)

Affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P–35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant : Sylvie Matteau, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé : Maryse Lepage, avocate

Pour l'employeur : Michel LeFrançois, avocat


Affaire entendue à Montréal (Québec),
du 7 au 11 février, du 30 mai au 2 juin et du 6 au 10 juin 2005 .

I. Grief renvoyé à l'arbitrage

1 La présente décision porte sur la réclamation en dommages–intérêts faite par le fonctionnaire s’estimant lésé, Henri Bédirian, (le « fonctionnaire ») dans le cadre de son grief du 24 août 2000. Il y conteste la mesure disciplinaire imposée par l’employeur le 28 juillet 2000. Ce grief a été instruit et décidé en partie par l’arbitre de grief Anne E. Bertrand (l’« arbitre Bertrand »). Dans la décision 2002 CRTFP 89, elle accueillait le grief et annulait la mesure disciplinaire. Toutefois, l’arbitre Bertrand n’a pas conservé compétence sur la question des dommages–intérêts alors réclamés par le fonctionnaire.

2 Les parties ont demandé un contrôle judiciaire de la décision 2002 de l’arbitre Bertrand. Le fonctionnaire demandait que l’arbitre Bertrand épuise sa compétence sur sa demande en dommages–intérêts et l’employeur a contesté le bien–fondé de la décision. L’employeur s’est par la suite désisté de sa demande de contrôle judiciaire. La Cour fédérale a décidé en faveur du fonctionnaire (2004 CF 566). L’affaire a donc été renvoyée à un arbitre de grief, afin qu’il épuise sa compétence. La Cour fédérale concluait ainsi :

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de Me Anne E. Bertrand, arbitre et membre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique du Canada (l’ « arbitre »), selon laquelle elle a refusé de réserver sa compétence en ce qui a trait aux réclamations et aux dommages contenus dans le grief du demandeur.

[…]

[22] À mon avis, la prétention du défendeur selon laquelle la compétence de l’arbitre attribuée par la LRTFP consiste uniquement à ordonner la compensation monétaire pour la perte de salaire et d’avantages sociaux causée par la suspension ne peut être retenue. 

[…]

[24] Bien sûr comme dans toute demande de dommages–intérêts, le demandeur aura le fardeau de démontrer, sur la balance des probabilités, que le défendeur a commis une faute ou a agi avec négligence ou mauvaise foi.

[25] En l’espèce, le demandeur recherche un forum dans lequel il peut présenter la preuve relativement à la faute commise par son employeur et au préjudice moral qui en résulterait. Le droit civil, la common law et la jurisprudence canadienne prévoient des limites à l’octroi de dommages–intérêts qui devront être appliquées par l’arbitre qui tranchera sur le bien–fondé de cette réclamation.

[…]

[28] En conséquence, […] l’affaire est renvoyée […] afin que l’arbitre épuise sa juridiction et que l’audition en ce qui a trait aux réclamations et à l’octroi des dommages ait lieu et qu’une décision sur cet aspect soit rendue. Le tout sans frais.

[…]

3 Lors d’une conférence préparatoire, le 6 octobre 2004, j’ai informé les parties que j’agissais en qualité d’arbitre de grief. Les parties ont alors convenu de la procédure et des dates d’audience.

4 Le 15 octobre 2004, conformément aux termes convenus lors de la conférence préparatoire, le fonctionnaire a amendé son grief. Cette modification n’est pas contestée par l’employeur. Elle ne vise que l’évaluation des dommages allégués et la ventilation détaillée de la somme réclamée. L’employeur y a répondu le 22 octobre 2004 et le fonctionnaire a déposé sa réplique le 9 novembre 2004. L’ordonnance que recherche maintenant le fonctionnaire se lit comme suit :

[…]

  1. Ordonner le remboursement intégral des frais juridiques et autres frais que j’ai dû engager dans cette affaire;

  2. Ordonner que le Ministère de la justice m’envoie une lettre d’excuses;

  3. Ordonner qu’il me soit versé à titre de dommages, estimés actuellement à 1 750 000,00 $, le tout avec intérêts, et détaillés de la façon suivante:

    Atteinte à la réputation 250 000,00 $
    Stress, anxiété, troubles et inconvénients, perte de jouissance de la vie 350 000,00 $
    Préjudice psychologique 75 000,00 $
    Atteinte permanente

    50 000,00 $
    (à parfaire)  
    Bris de carrière 100 000,00 $
    Perte de revenu, salaire et autres avantages reliés au régime de retraite (manque à gagner) 600 000,00 $
    (à parfaire)  
    Autres frais divers (frais de financement, frais d’expertises, honoraires professionnels, etc) 75 000,00 $
    Dommages exemplaires 250 000,00 $
  4. Rendre toute autre ordonnance afin de sauvegarder mes droits.

[…]

[Les passages soulignés le sont dans l’original et indiquent les amendements]

5 L’employeur maintient qu’il a, en tout temps, agi de manière responsable et raisonnable dans les circonstances et que la réclamation n’est aucunement justifiée. Subsidiairement, l’employeur prétend que la réclamation est, pour le moins, grandement exagérée.  Il soutient de plus que le fonctionnaire a été amplement indemnisé par les mesures prises par l’employeur à la suite de la décision de l’arbitre Bertrand.

6 Exceptionnellement, l’audience devant l’arbitre Bertrand avait été enregistrée. Il a donc été convenu que la transcription des témoignages, dans leur intégralité, serait produite lorsque les parties se référeraient à tout extrait de l’un de ces témoignages afin de compléter leur preuve sur une question devant moi. Cette façon de procéder a permis d’éviter de reprendre le dossier dans sa totalité. De nombreux volumes de transcription ont ainsi été produits, représentant 19 jours d’audience devant l’arbitre Bertrand. La transcription des témoignages qui suivent a été déposée devant moi :

  1. Interrogatoire et contre–interrogatoire de Me Morris Rosenberg (26 mars 2001);
  2. Pièce « J » mentionnée à l’affidavit de Lorraine Blondin (témoin : C. Letellier de St–Just) (27 mars 2001);
  3. Pièce « K » mentionnée à l’affidavit de Lorraine Blondin (témoin : C. Letellier de St–Just, P. O’Bomsawin) (28 mars 2001);
  4. Témoignage de Me Mario Dion, Me Anne–Marie Lévesque, Me Aziz Saheb–Ettaba (29 mars 2001);
  5. Interrogatoire de Me Mathilde Gravelle–Bazinet (30 mars 2001);
  6. Interrogatoire de Me Mathilde Gravelle–Bazinet (26 juin 2001);
  7. Contre–interrogatoire de Me Mathilde Gravelle–Bazinet (27 juin 2001);
  8. Contre–interrogatoire et ré–interrogatoire de Me Mathilde Gravelle–Bazinet (28 juin 2001);
  9. Interrogatoire, contre–interrogatoire et ré–interrogatoire de Me Jean–Maurice Cantin (28 juin 2001);
  10. Interrogatoire, contre–interrogatoire et ré–interrogatoire de Mme France Dufresne (15 août 2001);
  11. Interrogatoire et contre–interrogatoire de Me Henri Bédirian (22 août 2001);
  12. Contre–interrogatoire de Me Henri Bédirian (22 août 2001);
  13. Pièce « P » mentionnée à l’affidavit de Daniel Massé (témoin : A. Côté, C. Letellier de St–Just) (28 août 2001).

7 Il est entendu que mon rôle n’est pas de réviser l’évaluation de la preuve faite par l’arbitre Bertrand ou les conclusions qu’elle en a tirées. Cette situation inhabituelle a causé certaines difficultés lors de l’audience, les parties s’opposant régulièrement à toute preuve qui avait déjà été abordée lors de la première audience. J’ai d’ailleurs pris sous réserve une objection concernant une partie du témoignage de Me Mario Dion, sous–ministre délégué responsable du droit civil et de la gestion ministérielle à l’époque (le « sous–ministre délégué Dion »).

8 Le fonctionnaire a fait témoigner un psychiatre et un actuaire, reconnus à titre d’experts, son médecin traitant, ainsi que le sous–ministre de la Justice auteur de la mesure disciplinaire. Il a aussi témoigné lui–même pendant plus d’une journée. L’employeur a fait témoigner deux spécialistes des ressources humaines et le sous–ministre délégué Dion, ainsi qu’un psychiatre aussi reconnu à titre d’expert. Les expertises médicales et notes évolutives du médecin traitant du fonctionnaire ont été produites au dossier et ont été scellées aux fins d’en assurer la confidentialité.

9    Le l er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, je demeure saisie de ce renvoi à l’arbitrage de grief, sur lequel je dois statuer conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P–35 (l’« ancienne Loi »).

II. Contexte

10 Le fonctionnaire est avocat du ministère de la Justice (niveau et groupe LA–3A) et gestionnaire au Bureau régional du Québec (BRQ). Il est directeur des Affaires fiscales depuis 1996. Au moment des événements, le fonctionnaire était un fonctionnaire de carrière et aspirait au poste de directeur du BRQ devenu vacant en janvier 2000.

11 Le ministère de la Justice a adopté une politique sur la prévention du harcèlement en milieu de travail en 1993 et a créé le Bureau fédéral de règlement des conflits en milieu de travail (le « Bureau ») en 1996. Sa directrice, la conseillère principale, Me Mathilde Gravelle–Bazinet (la « conseillère principale ») se rapportait directement au sous–ministre de la Justice jusqu’en 2002. Elle s’est ensuite rapporté à la sous–ministre déléguée Collette. La conseillère principale avait pris sa retraite au moment de la présente audience. Les parties ne l’ont pas appelée à témoigner.

12 Le BRQ a fait l’objet d’une évaluation de milieu de travail en 1998 (pièce E–1). On y constatait divers problèmes et insatisfactions importantes chez les employés, incluant la perception de discrimination envers les avocates par les avocats principaux. Des suivis ont été faits et des mécanismes ont été mis en place. Un comité sur la prévention du harcèlement en milieu de travail a été créé et le fonctionnaire en était membre.

13 Le 2 février 2000, la conseillère principale a informé le fonctionnaire, par téléphone, qu’une jeune avocate qu’il supervisait voulait déposer une plainte de harcèlement sexuel contre lui. Bien que deux avocates aient été impliquées dans les événements en question, une seule déposa une plainte. Cette dernière reprochait au fonctionnaire « des propos et propositions inconvenantes et déplacées » (pièce E–39). Toutefois, les deux avocates ont participé à l’enquête de la plainte et à l’arbitrage subséquent du grief du fonctionnaire.

14 Une enquête a donc été immédiatement initiée sous la gouverne du Bureau et de la conseillère principale. Deux enquêteurs ont été mandatés par cette dernière, soit Me Jean–Maurice Cantin et Me Carole Piette. À l’issue de cette enquête, le 28 juin 2000, le sous–ministre Morris Rosenberg (le « sous–ministre ») a suspendu le fonctionnaire pour une période de trois jours, et l’a relevé de son poste de directeur des Affaires fiscales au BRQ et de toute responsabilité de gestion de personnel. Le fonctionnaire conservait toutefois son niveau de classification LA–3A.

15 Le fonctionnaire a alors déposé son grief contre cette mesure disciplinaire. L’audience devant l’arbitre Bertrand a duré 19 jours et s’est échelonnée du 26 mars au 26 octobre 2001. Les parties y ont fait entendre 25 témoins, dont la conseillère principale qui a témoigné pendant près de quatre jours. Le fonctionnaire dit avoir découvert et constaté au cours de cette audience les nombreuses fautes commises par l’employeur et ses représentants dans ce dossier.

16 Au terme de l’audience devant elle, l’arbitre Bertrand concluait comme suit :

[…]

[412]    […] que les allégations de harcèlement sexuel portées à l’encontre de Me Henri Bédirian n’ont pas de fondement, sauf l’incident mineur et isolé lorsque le plaignant a émis des propos déplacés durant la soirée sociale. Pour de tels propos, une mesure disciplinaire à titre d’une réprimande aurait été appropriée à l’époque où l’incident s’est produit. Toutefois, compte tenu de toutes les circonstances de cette affaire, aucune pénalité n’est imposable au plaignant puisqu’à mon avis, Me Bédirian a souffert une plus sévère discipline qu’il ne méritait.

[413]   Ayant décidé ainsi, j’accueille le grief du plaignant, j’annule la décision de l’employeur datée du 28 juillet 2000  […]

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

17 L’arbitre Bertrand ordonnait que soient remboursés au fonctionnaire ses trois jours de suspension.  Elle ordonnait aussi sa réintégration dans son poste de gestion, ainsi que le retrait de son dossier de toute référence à la mesure disciplinaire invalidée. Toutefois, elle déclinait compétence sur la question des dommages et concluait comme suit :

[…]

[414]   Je ne crois pas qu’il soit approprié pour moi de réserver compétence en ce qui a trait aux réclamations additionnelles retrouvées dans le grief du plaignant.

[…]

18 C’est cette question que la Cour fédérale a renvoyée devant moi. Tel que la Cour le souligne, le fonctionnaire doit faire devant moi la preuve de dommages, contenus dans son grief, découlant d’une faute de l’employeur. Le fardeau de la preuve incombe au fonctionnaire.

19 Dans son Plan d’argumentation, le fonctionnaire reproche à l’employeur les fautes qui suivent :

  1. avoir eu l’intention claire et admise de résoudre le « problème » du BRQ et d’en faire porter la responsabilité au fonctionnaire;

  2. avoir omis d’informer les enquêteurs des excuses qui ont été offertes par le fonctionnaire;

  3. avoir faussement informé le sous–ministre, dans le cadre de sa prise de décision, qu’en aucun temps le fonctionnaire n’avait offert d’excuses; 

  4. avoir sciemment omis de transmettre aux enquêteurs les différentes déclarations initiales et les documents au dossier avant le début du processus d’enquête; 

  5. avoir omis, après la preuve d’agissements fautifs de ses préposés, et plus particulièrement de la conseillère principale, de reconsidérer et/ou de rectifier la décision du sous–ministre; 

  6. avoir procédé, après le dépôt du grief, à une évaluation du climat organisationnel avec comme toile de fond la plainte de harcèlement sexuel logée à l’endroit du fonctionnaire, et ce sans aucune précaution quant aux impacts éventuels sur la vie et la carrière de ce dernier.

III. Résumé de la preuve

A. La preuve déjà au dossier

20 Tel que les parties en ont convenu, j’ai pris connaissance intégrale des témoignages répertoriés au paragraphe 6 de la présente décision. Ces témoignages  ont déjà été résumés par l’arbitre Bertrand dans sa décision. J’ai également examiné toutes les pièces qui avaient été déposées devant l’arbitre Bertrand.

B. La preuve faite devant moi

21 Les parties ont présenté devant moi leur complément de preuve sur les allégations de faute. Elles ont présenté une preuve et une défense concernant l’existence et l’évaluation de dommages et le lien de causalité. Cette preuve se résume de la façon suivante. 

22 Le fonctionnaire a entrepris sa carrière à Revenu Canada en 1977, comme agent de recouvrement.  En 1979, il était admis au Barreau du Québec.  En 1984, il se joignait au ministère de la Justice et a été promu directeur des Affaires fiscales (aux groupe et niveau LA–3A) en 1996.  Sa direction compte aujourd’hui près de 60 avocats et 40 employés de soutien.  Il a dirigé cette direction jusqu’à ce que le sous–ministre l’en rélève en juin 2000. Il a repris ses fonctions à la suite de la décision de l’arbitre Bertrand, en octobre 2002, soit quelque deux ans et trois mois plus tard.

23 À la fin de 1999, il avait été informé que le directeur du BRQ, Me Jacques Letellier, s’apprêtait à quitter son poste. Sur invitation du sous–ministre délégué Dion, le fonctionnaire a soumis sa candidature à ce poste le 25 janvier 2000.

24 Les avenues de carrière qui s’offraient au fonctionnaire en janvier 2000 étaient les suivantes : soit continuer sa carrière dans la gestion, soit se diriger vers la tâche d’avocat–général. Ultimement, il visait une percée vers les groupe et niveau LA–3C et être ainsi reconnu comme expert en matière fiscale.

25 Le fonctionnaire participait régulièrement à des activités professionnelles de coordination du droit au niveau régional et national. Il soutient qu’il jouissait alors d’une excellente réputation, tant à titre de gestionnaire qu’à titre d’avocat–expert.  Ses évaluations lui reconnaissaient toutes un rendement de niveau supérieur à exceptionnel. Celles–ci témoignent de ses excellentes relations avec ses employés et de ses compétences juridiques.  

26 Le 2 février 2000, la conseillère principale informe le fonctionnaire, par téléphone, qu’une avocate qu’il supervise entendait déposer une plainte de harcèlement sexuel contre lui. Le monde du fonctionnaire a alors basculé.

27 Comme un processus d’enquête a été entamé peu de temps après, le fonctionnaire déclare que l’affaire a commencé à s’ébruiter au sein de la direction des Affaires fiscales parmi un nombre très limité d’individus.  Bien que certaines personnes cherchaient des témoins, l’affaire s’est très peu ébruitée pendant la conduite de l’enquête.  C’est en août 2000, au moment où l’employeur annonçait à tous les employés que le fonctionnaire était relevé de son poste de directeur, que l’histoire s’est propagée partout au pays.  L’information était connue de tous les directeurs nationaux, des avocats de pratique privée et à la Cour canadienne de l’impôt. Certains praticiens de ce secteur lui auraient même fait des remarques à ce sujet. 

28 Pendant que l’arbitre Bertand entendait le grief du fonctionnaire, le rapport intitulé Vers un milieu de travail respectueux a été remis à tous les employés du BRQ (pièce P–7).  Les consultants expliquent à la page 1 du rapport le contexte de l’exercice et la méthodologie qu’ils ont utilisée :

[…]

2.  CONTEXTE DE L’INTERVENTION ET MÉTHODOLOGIE

Le « respect en milieu de travail » est une priorité corporative du gouvernement du Canada.  Cependant, au moment où les consultants ont été approchés pour intervenir sur le sujet, le Bureau régional du Québec (BRQ) de Justice Canada était confronté à un contexte très particulier : une plainte de harcèlement sexuel avait été logée à l’endroit d’un de ses gestionnaires et causait un certain malaise au sein du bureau dont l’ampleur demeurait à être évaluée.

Il n’était évidemment pas question de concevoir une démarche qui ne mettrait l’accent que sur cet événement, d’autant plus que le respect en milieu de travail, un concept qui peut donner lieu à plusieurs définitions, couvre très certainement plusieurs autres aspects de la vie organisationnelle que le harcèlement sexuel.  De plus, la démarche ne pouvait et ne devait pas s’apparenter à une enquête cherchant à obtenir des réponses à des questions prédéterminées, questions qu’il aurait été difficile de préciser.  C’est pourquoi il fut convenu de ne pas procéder avec l’administration de questions précises, éliminant du coup l’intérêt d’un questionnaire.  La démarche devait plutôt chercher à explorer les différents aspects que les employés eux–mêmes reliaient à la question du respect en milieu de travail.  Elle devait en outre permettre aux individus de s’exprimer sur le sujet et de l’explorer le plus librement possible tout en leur offrant la possibilité d’échanger, voire de confronter leurs opinions. C’est pourquoi les consultants ont procédé à une étude d’informations s’appuyant sur la conduite de groupes de discussion et de rencontres individuelles.

[…]

[Le passage souligné l’est dans l’original]

29 Plus loin dans ce rapport, les consultants expliquent que la démarche a été conduite sur une période de 16 semaines, soit du 11 février au 1 er juin 2001. On y lit que 158 personnes ont été rencontrées (22 individuellement et 148 en petits groupes de discussion d’une dizaine de personnes). Cette consultation aurait joint 42,8 % de la population du BRQ.

30 La section 3.2 du rapport dresse un portrait du BRQ comme un milieu de travail respectueux, tel que perçu par les participants. À la page 11 du rapport, on trouve les commentaires des participants venant de la direction des Affaires fiscales. On peut y lire ce qui suit, au premier point, sous la rubrique « Les manifestations de non–respect les plus souvent énoncées » :

 √ 

Une gestion de la plainte de harcèlement perçue comme étant inefficace et réactive par rapport à : la non diffusion par la direction d’informations appropriées ; la non gestion des rumeurs et des phénomènes émergeant de clans (en faveur ou en défaveur); l’inconfort à l’égard de la décision prise de maintenir le directeur concerné par la plainte sur les lieux.

[ Sic pour l’ensemble de la citation]

[La note de bas de page n’est pas reproduite]

On peut y lire également les commentaires des répondants de la direction des Affaires criminelles, dont le point qui suit : 

 √  Un inconfort perçu dans les rapports hommes–femmes résultant du manque d’information sur la situation de la plainte de harcèlement sexuel vécue à la direction des affaires fiscales.

31 Parmi les pistes de solution identifiées par le groupe de travail, on retrouve la suggestion suivante à la page 14 du rapport, sous le thème des communications : « Éclaircir la situation face à la plainte de harcèlement sexuel au secteur fiscal. » Ce rapport a été diffusé à la suite d’une recommandation des consultants.

32 Ce rapport faisait clairement référence à la plainte contre le fonctionnaire. Selon ce dernier, ceci confirmerait qu’on discutait de plus en plus de cette plainte au sein du BRQ.  Il estime que, compte tenu des rumeurs qui circulaient à l’époque, l’employeur a porté une atteinte directe à sa réputation en ayant autorisé un tel processus d’évaluation alors que le fonctionnaire poursuivait son grief. D’ailleurs, le fonctionnaire note que ce document a été transmis électroniquement à près de 400 employés et pouvait ainsi être disséminé facilement à un très grand nombre de personnes, à l’interne comme en dehors du ministère.  Selon lui, tout le secteur fiscal au Québec, un petit monde, en a été informé. En effet, le fonctionnaire a même eu vent que les avocats de pratique privée et les avocats de Revenu Québec avaient reçu cette information.

33 À la suite de la décision de l’arbitre Bertrand, le fonctionnaire a repris son poste. Il travaillait trois jours par semaine, jusqu’en décembre 2002. Il a ensuite travaillé à plein temps à compter de janvier 2003. En novembre 2002, il a demandé de l’aide à l’employeur pour réaffirmer son leadership. Il éprouvait des difficultés puisque l’employeur demandait le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre Bertrand. Plusieurs semblaient ignorer son autorité, pensant qu’il ne demeurerait pas en fonction pour bien longtemps. Même les chefs d’équipe avaient des réunions en parallèle. Une consultante est intervenue pour l’aider. Elle a travaillé avec lui et avec son groupe pendant toute l’année 2003.

34 Le fonctionnaire explique que toute cette situation l’a affecté au quotidien, que ce soit dans sa façon de prendre des décisions ou sa capacité de « réseauter » et d’entrer en relation avec les autres. Il s’est refermé sur lui–même. Son ambition et sa motivation n’étaient plus les mêmes. Il a cessé de socialiser avec les gens du bureau. Depuis 2004, il ne participe plus aux conférences et congrès dans son domaine.  Son isolement professionnel a amené des coupures avec de nombreuses personnes–ressources, tant au ministère que dans le secteur privé.

35 Quant à l’effet sur sa santé, le fonctionnaire décrit les différents impacts au fur et à mesure du déroulement du dossier. C’était comme le supplice de la goutte. Il a d’abord vécu un stress et une anxiété énorme, jusqu’à ce qu’il connaisse la décision du sous–ministre. Puis, ce fut le long déroulement de l’audience devant l’arbitre Bertrand. Enfin, il a dû attendre jusqu’au jour de l’audience devant la Cour fédérale, en février 2004, pour apprendre que l’employeur se désistait de sa propre demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre Bertrand. 

36 Le fonctionnaire a déclaré que le climat de travail était très difficile, puisque les gens semblaient très froids envers lui.  Toutes sortes de rumeurs circulaient à son sujet. Les gens hésitaient à lui adresser la parole ou à s’associer à lui. Les avocats du secteur privé l’interpellaient, lui faisant constater que l’affaire s’était répandue comme une traînée de poudre.

37 Le fonctionnaire a dit avoir bâti pendant 28 ans, « pierre par pierre », une réputation solide dans la fonction publique fédérale.  Pour lui, sa réputation n’avait pas de prix.  Il dit avoir toujours été professionnel et veillé à éviter toute ambiguïté dans ses relations avec ses collègues et le personnel de soutien. Pendant tout ce temps, il n’a jamais fait l’objet d’une seule mesure disciplinaire; son dossier était sans tache.

38 Parce que l’employeur a décidé que deux des allégations formulées contre lui était fondées, le fonctionnaire a passé cinq ans en enfer. Chacune de ces allégations portait sur une conversation d’une trentaine de secondes.  Sa réputation, son honneur et son intégrité se sont effondrés d’un seul coup.  Selon lui, aucun jugement, décision ou quoi que ce soit ne pourrait complètement blanchir sa réputation.  Il déclare : « Je suis marqué au fer rouge ; il y aura toujours des doutes dans l’esprit des gens qui ne me connaissent pas. »  Avant le mois de février 2000, toutes les avenues lui étaient ouvertes.  Il avait un potentiel intéressant.  Du jour au lendemain, il a tout perdu.  Il soutient que la réaction du milieu a été terrible.

39 Le fonctionnaire explique comment, à la suite de la décision du sous–ministre, on lui a demandé de consentir par écrit à sa réaffectation.  Il était sous le choc et croyait qu’on lui demandait de signer un simple formulaire administratif, ce qu’il a fait quelques trois semaines plus tard. Il a par la suite été informé qu’il n’aurait jamais dû signer ce consentement, qu’il vidait son grief de tout son sens. Il a dit avoir eu le sentiment d’avoir été trahi par l’employeur. Ceci a fait en sorte qu’il est devenu plus méfiant et angoissé. Il n’avait encore soufflé mot ni à sa conjointe, ni à son médecin traitant. C’était toutefois la goutte qui a fait déborder le vase. Après en avoir finalement parlé à son médecin, celui–ci l’a immédiatement retiré du travail.

40 Il a été absent jusqu’au 2 janvier 2001. Cette période a été très difficile, puisqu’il habitait un loft où travaillait sa conjointe. Il dit avoir vécu comme un itinérant, trois ou quatre jours par semaine, quittant le logement le matin pour ne revenir qu’en soirée. Il dit s’être alors senti complètement abandonné par l’employeur. Il a vécu une dépression et d’autres problèmes de santé. Il avait très honte de ce qui lui arrivait et ne pouvait en parler à personne. Il s’est senti de plus en plus isolé. Il a beaucoup appréhendé son retour au travail et la réaction des gens et doutait de sa capacité de concentration. Ces appréhensions se sont confirmées dès son retour au travail.

41 Le fonctionnaire explique que, au fur et à mesure du déroulement de l’audience devant l’arbitre Bertrand, il réalisait qu’on avait voulu le rendre responsable du cas du BRQ. Il considère que la conseillère principale n’a pas bien rempli son rôle. Elle n’a jamais tenté de rapprocher les parties, de les aider à communiquer et de leur permettre de s’expliquer. Selon lui, elle n’a pas tenté de résoudre la situation comme elle devait le faire. Elle a plutôt tenté de démontrer que le Bureau avait sa raison d’être. Alors qu’elle se devait d’être une intervenante neutre, elle a caché de l’information aux enquêteurs et a fait des déclarations au sous–ministre, influençant indûment la décision de ce dernier.

42 Le fonctionnaire reproche à la conseillère principale d’avoir voulu faire table rase.  Selon lui, une telle façon de procéder est injuste. Il ajoute que, avant même d’avoir donné mandat aux enquêteurs, elle aurait communiqué avec France Dufresne, la responsable de l’évaluation de travail en 1998, sous prétexte de vérifier la véracité de la déclaration du fonctionnaire à l’effet que M me Dufresne lui avait dit qu’il était un « gentleman ». Cette démarche de la conseillère principale indiquait au fonctionnaire qu’il s’agissait d’une « chasse aux sorcières » et qu’elle était « déterminée à avoir sa peau ». Selon lui, il devenait un bouc émissaire.  L’employeur démontrait ainsi qu’il passait aux actes à la suite de l’évaluation de travail de 1998.

43 Le fonctionnaire ne s’explique pas que l’employeur ne se soit pas aperçu des failles de l’enquête et de tout le processus suivi par la conseillère principale, tel qu’elles se révélaient au cours de l’audience devant l’arbitre Bertrand. Il ne comprend pas non plus comment l’employeur a pu continuer dans la même veine, jusqu’à demander le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre Bertrand. Le fonctionnaire croit que l’employeur a fait preuve d’abus et que ce dossier n’aurait jamais dû aller si loin. L’employeur avait à sa disposition tous les éléments d’information lui permettant de réajuster sa position et ne l’a pas fait.

44 La période d’attente de la décision de l’arbitre Bertrand a été particulièrement difficile. La conjointe du fonctionnaire l’a finalement laissé. Il a eu de nombreux problèmes de santé et a dû abandonner le travail de nouveau. En juillet 2002, il est retourné au travail, mais sa capacité de concentration était très faible. Le travail exigeait beaucoup d’effort. Il faisait vérifier ses travaux. Il a déclaré avoir encore aujourd’hui de la difficulté à se concentrer. Lorsque la décision de l’arbitre Bertrand lui a été communiquée, il a enfin vu une fin à son calvaire. Toutefois, l’employeur a déposé une demande de contrôle judiciaire qui l’a anéanti. Ceci lui confirmait que l’attitude et les objectifs de l’employeur n’avaient jamais changé. Ceci lui confirmait aussi qu’il était dorénavant « tatoué », « marqué au fer ». Il a souffert de maux de tête, d’insomnie et de nausée. Aujourd’hui, ces symptômes sont ponctués par les diverses étapes de ce dossier, dont l’audience devant moi.

45 Le fonctionnaire dit avoir vécu sous une épée de Damoclès de novembre 2002 à mars 2004, alors que l’employeur contestait la décision de l’arbitre Bertrand et prétendait qu’il y avait effectivement eu harcèlement sexuel. Le fonctionnaire soutient que les représentants de l’employeur ont porté atteinte à sa réputation lorsqu’ils l’ont qualifié de « présumé harceleur » au cours de l’audience devant la Cour fédérale. Selon lui, l’emploi de ces termes ne saurait être justifié puisque, en matière de grief, il est considéré être « le fonctionnaire s’estimant lésé ». Les propos tenus devant la Cour fédérale constituaient une atteinte directe et publique à son honneur, à sa réputation et à son intégrité. 

46 Par ailleurs, l’employeur a souligné que, lors du retrait de sa demande de contrôle judiciaire en mars 2004, il s’était volontairement et unilatéralement engagé à réviser les évaluations de rendement du fonctionnaire pour les années 2000 et 2001, (pièce P–27) et à lui rembourser des frais de représentations raisonnables jusqu’au 17 février 2004. De plus, l’employeur offrait au fonctionnaire un poste de groupe et niveau LA–3B à Ottawa.

47 Malgré cette offre, et à la suggestion de Me Joanne D’Auray, alors directrice du BRQ, ce sont les évaluations de rendement du fonctionnaire pour les années 1998 et 1999 qui auraient été révisées à la hausse, car ceci était plus avantageux pour lui. Il a confirmé que ceci lui avait permis de recevoir une prime de rendement. Il considère que l’employeur ne lui tendait pas la main puisque cela lui était dû. D’ailleurs, son évaluation de rendement pour l’année 2000 n’a jamais été complétée; il attendait aussi la révision pour l’année 2001. Il a aussi reconnu avoir été remboursé pour un peu plus de 118 jours de congé de maladie (pièce E–47).

48 Le fonctionnaire a également confirmé le paiement, en juin 2004 (pièce E–45) de la somme de 102 250 $ pour ses frais de représentation en rapport avec la plainte, son grief et les demandes de contrôle judiciaire. Il a expliqué qu’il avait dû débourser lui–même ces frais. À ces fins, il a dû vendre des immeubles qui lui appartenaient. Il a même utilisé ses cartes de crédit pour se financer. Il a dit avoir encouru des intérêts s’élevant à quelque 12 000 $. Il n’a toutefois présenté aucune preuve à cet effet. Il a aussi encouru des frais s’élevant à 4 621,12 $ en octobre 2003, à la suite d’une consolidation de dettes (pièce P–28).  Il a déclaré avoir emprunté une somme de 75 000 $, garantie par hypothèque. Il n’a pas non plus présenté de preuve documentaire à ce sujet.

49 Le fonctionnaire a maintenu que l’attitude de l’employeur n’a jamais changé. Le fonctionnaire a longuement été contre–interrogé. Il a déclaré avoir continué à se méfier des gestes posés par l’employeur après la décision de l’arbitre Bertrand. Il suggère que l’employeur a tenté de vider son grief de son contenu en lui versant la somme de 102 250 $. Il souligne que ce paiement n’a été fait qu’après menaces de sa part. Il a ajouté que, dans tout autre cause de ce genre, l’employé est remboursé immédiatement, conformément à une entente avec l’Association professionnelle des cadres supérieurs de la fonction publique du Canada, l’APEX. Selon lui, l’employeur ne faisait que répondre à la décision de l’arbitre Bertrand. Toutefois, le fonctionnaire ne pouvait expliquer comment l’employeur aurait eu cette obligation dans le cas d’un grief. À son avis, il s’agissait d’une plainte de harcèlement sexuel contre un gestionnaire, pour laquelle l’employeur devait payer ses frais de représentation.

50 Du 23 juillet 2004 au 27 mai 2005, le fonctionnaire a encouru des frais juridiques s’élevant à 45 434,46 $ (pièce P–29), ce qui inclut une partie des frais pour l’audience devant moi.

51 Dans sa lettre du 17 février 2004, l’employeur offrait au fonctionnaire un nouveau poste de gestionnaire de groupe et niveau LA–3B, à Ottawa, ainsi qu’une formation qui pourrait lui être utile dans ses nouvelles fonctions. L’employeur y écrit : « Cette décision reflète le désir sincère de l’employeur d’aider [le fonctionnaire] à tourner la page sur une situation l’ayant troublé, dans le but de lui permettre de contribuer à nouveau aux activités du ministère de la Justice, dans la pleine mesure de ses moyens. »

52 Le fonctionnaire a maintenu que l’employeur ne lui a jamais offert le poste dont parlait la lettre du 17 février 2004. À sa connaissance, ce poste n’a jamais été créé; il n’en a jamais vu la description des tâches. Il a reconnu toutefois qu’il n’avait fait aucune démarche auprès de l’employeur à ce sujet, puisqu’il ne s’agissait que d’une suggestion de l’employeur.

53 Enfin, dans le cadre d’une réunion de gestion le 30 novembre 2004, à laquelle participaient tous les directeurs et des chefs d’équipe, juristes et parajuristes, soit environ 60 personnes, on a clairement fait allusion à son dossier.  Il s’agissait d’une présentation sur les dispositions de la nouvelle Loi sur la modernisation de la fonction publique. Me Michel LeFrançois a admis que, alors qu’il s’adressait à ce groupe, il aurait fait la remarque suivante : « Nous connaissons tous des cas où on a muté la harcelée et le harceleur a dû rester sur place. » Le fonctionnaire soutient que M e  LeFrançois aurait plutôt dit : « Nous connaissons tous le cas […] ». Le fonctionnaire a dit s’être senti très mal à l’aise lorsque Me LeFrançois a prononcé ces paroles. Celui–ci savait que le fonctionnaire était présent dans la salle. Comme il n’y a eu qu’un seul dossier de cette nature au ministère de la Justice, le fonctionnaire était nécessairement visé.

54 Me Morris Rosenberg, sous–ministre de la Justice du 1 er juillet 1998 au 20 décembre 2004, a témoigné. Il a confirmé avoir été l’auteur de la mesure disciplinaire imposée au fonctionnaire et a confirmé que la conseillère principale relevait directement de lui à cette époque. 

55 Pour déterminer la mesure disciplinaire à imposer au fonctionnaire, le sous–ministre a dit avoir pris en considération plusieurs facteurs. D’abord, il a précisé que la décision a été prise dans le cadre de la politique ministérielle sur la prévention du harcèlement en milieu de travail, dont l’employeur est responsable. Il a pris en considération le fait que l’enquête avait été menée non pas par un, mais deux enquêteurs, l’un d’eux étant un enquêteur chevronné et ancien commissaire de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Entrait aussi en ligne de compte le fait que le fonctionnaire avait des responsabilités de gestionnaire, d’autres en vertu de la politique ministérielle sur la prévention du harcèlement en milieu de travail et avait une formation en ces matières.

56 Le sous–ministre a également pris en considération le fait que le BRQ vivait des problèmes de moral depuis quelques années, en raison du climat de travail, ainsi que le fait que la conseillère principale avait eu avec ce groupe des discussions à ce sujet dans le passé.  Il a aussi pris en considération ses propres responsabilités en matière de prévention du harcèlement en milieu de travail. Enfin, il a considéré le fait que, lors d’une rencontre avec les employés du BRQ le 22 et 23 octobre 1999, des avocates s’étaient publiquement plaintes à lui du climat de travail au BRQ.  Il reconnaît qu’il a pris sa décision après avoir révisé tout le matériel qui lui avait été fourni sur l’affaire par la conseillère principale.

57 Il a également confirmé avoir effectué un certain suivi du dossier au cours de l’audience devant l’arbitre Bertrand. Bien qu’il ait dit ne pas avoir été informé sur une base quotidienne du déroulement de l’audience, il a été tenu au courant de façon générale par les conseillers juridiques concernés. Il a déclaré que ce dossier était pour lui un dossier important et pris avec sérieux au ministère. Il était conscient que ce dossier aurait des répercussions et une certaine notoriété. Il s’agissait du premier dossier de ce genre au ministère.

58 Le sous–ministre ne se souvient pas qu’on lui ait dit que le fonctionnaire aurait offert des excuses à la plaignante. Lorsque la décision de l’arbitre Bertrand lui a été communiquée, qui concluait que des excuses avait été offertes, le sous–ministre n’a pas fait de suivi ou confronté la conseillère principale à ce sujet. Le transfert de responsabilités à la sous–ministre déléguée Collette, avait déjà eu lieu.  En fait, il n’a fait aucun suivi à la décision de l’arbitre Bertrand. Il a également indiqué qu’il n’avait discuté de ce dossier avec nul autre que les gens concernés, mais a concédé que les gens du milieu ont dû être au courant de la réaffectation du fonctionnaire à la suite de sa décision de le relever de ses fonctions de gestionnaire.

59 Pour sa part, le sous–ministre délégué Dion a expliqué sa réaction aux excuses offertes par le fonctionnaire. Il indique qu’il venait de passer plusieurs heures avec les deux avocates concernées. Il a pu constater à quel point elles étaient bouleversées. Le fonctionnaire ne pouvait pas s’en sortir aussi facilement. Il n’y avait aucune proportion entre de simples excuses et l’état dans lequel se trouvaient les deux avocates. De plus, ces excuses ont été offertes à la toute fin de la discussion avec le fonctionnaire, quand il est devenu clair qu’il y aurait des conséquences, dont une enquête. Me Dion a précisé que, pour lui, il ne s’agissait pas de déterminer si les excuses étaient ou non sincères. Elles lui paraissaient plutôt inadéquates dans les circonstances. En contre–interrogatoire, Me Dion a dit ne pas se souvenir de discussions relatives à cette offre d’excuses lors de rencontres ultérieures, incluant la rencontre décisionnelle du sous–ministre.

60 Le sous–ministre a également témoigné sur le processus de dotation pour le poste de directeur du BRQ, commencé le 28 janvier 2000 (pièce P–8). Il a expliqué que le processus s’est déroulé normalement et que le candidat retenu (de groupe et niveau LA–3B), Me Donald Lemaire, est entré en fonction le 1 er avril 2000 (pièce P–9). Me Lemaire a été en poste environ trois ans et demi, jusqu’à la nomination de sa successeure, Me D’Auray, en février 2003 (pièce P–11). Un facteur important qui a joué en faveur de la nomination de Me Lemaire est le fait qu’il n’était pas déjà employé au BRQ.

61 Le sous–ministre a expliqué que, en décembre 2002, quatre directeurs régionaux avaient obtenu une nouvelle classification aux groupe et niveau LA–3C, suivant un processus d’évaluation « Hay ». Cette décision avait été prise au niveau national pour mieux refléter la croissance du personnel dans ces quatre bureaux, le nombre de dossiers et leur complexité, les responsabilités accrues des directeurs ainsi que l’expansion du mandat du ministère. Le sous–ministre a précisé que la nouvelle classification visait les individus et non leurs postes. Les quatre directeurs ont dû participer à un processus de sélection à cet effet et tous ont réussi.

62 Le fonctionnaire a dit avoir été invité par le sous–ministre délégué Dion à participer au concours de janvier 2000. M e Dion lui aurait alors indiqué qu’il avait les compétences pour le poste. C’est l’annonce du dépôt éventuel d’une plainte en février 2000 qui a amené le fonctionnaire à retirer sa candidature, à la suggestion de Me Dion. Le fonctionnaire soutient que les commentaires du sous–ministre délégué Dion avant les événements indiquent bien l’estime que celui–ci avait pour son travail et il se dit confiant qu’il aurait obtenu cette promotion.

63 Le sous–ministre a aussi confirmé que Me D’Auray avait été nommée sans concours, en remplacement de Me Lemaire. Il s’agissait d’une mutation puisque Me D’Auray était déjà classifiée aux groupe et niveau LA–3B. L’expérience avait démontré que la nomination d’une personne de l’extérieur était avantageuse.

64 Pour le fonctionnaire, il s’agissait clairement d’une tactique pour éviter qu’il pose enfin sa candidature au poste de directeur du BRQ. Ceci confirme qu’il n’avait plus de possibilité de promotion. Il a indiqué qu’il avait eu vent d’un concours pour ce poste à l’annonce du départ de M e Lemaire. Le sous–ministre délégué Dion l’aurait encore une fois invité à poser sa candidature. Il a donc été très surpris d’apprendre la nomination sans concours de M e D’Auray et en a tiré ses propres conclusions. Toutefois, en contre–interrogatoire, il n’a pas expliqué pourquoi il aurait été invité à éventuellement participer à un tel concours si l’employeur continuait de s’acharner contre lui.

65 L’actuaire Louis Morissette a présenté un scénario actuariel (scénario 5) démontrant les revenus éventuels du fonctionnaire s’il avait obtenu le poste de directeur du BRQ le 27 mars 2000 et l’avait conservé jusqu’à sa retraite, demeurant aux groupe et niveau LA–3B. Dans ce cas, la perte totale du fonctionnaire est estimée à 232 883 $ (incluant perte de revenus d’emploi, perte de revenus de retraite et cotisations salariales additionnelles au régime de retraite – voir pièce P–9 pour les détails de ce calcul). Le rapport de M. Morissette contient quatre autres scénarios de promotion dont le fonctionnaire aurait pu bénéficier depuis janvier 2000, en fonction des dates de promotion des gestionnaires dans le poste qu’il convoitait.

66 L’employeur a fait entendre deux témoins, spécialistes en ressources humaines qui ont travaillé sur les dossiers de dotation du poste de directeur du BRQ en janvier 2000. Ces témoignages ont confirmé la procédure suivie ainsi que la réception du désistement du fonctionnaire (pièce E–56), le 14 février 2000. Son nom a donc été rayé de la liste des candidats à l’entrevue du 22 février 2000 (pièces E–58 et E–59).

67 L’employeur a également présenté un complément à l’interprétation qu’a donnée l’arbitre Bertrand (2002 CRTFP 89, ¶ 58, 140) aux paroles dites par le sous–ministre délégué Dion, concernant les qualifications du fonctionnaire pour le poste de directeur du BRQ en janvier 2000. Cette interprétation serait erronée et l’employeur allègue pouvoir la corriger grâce au témoignage de la personne concernée, en l’occurrence Me Dion lui–même. Le fonctionnaire s’est opposé à cette partie du témoignage alléguant que l’employeur avait eu la possibilité de contester cette erreur lors de sa demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre Bertrand. Puisqu’il l’a abandonnée, il ne peut maintenant intervenir à ce sujet. Cette objection a été prise sous réserve et mes commentaires à ce sujet se trouvent dans les motifs que j’émettrai plus loin.

68 Étant donné la nature confidentielle des renseignements contenus dans les expertises médicales qui m’ont été présentées, j’ai limité mes commentaires pour les fins de cette décision.

69 Le Dr Sylvain–Louis Lafontaine, psychiatre, a témoigné pour le fonctionnaire et son rapport d’expertise daté du 7 octobre 2004 (pièce P–13) a été déposé au dossier et scellé à la demande du fonctionnaire et avec l’accord de l’employeur. Il y conclut que le degré d’atteinte permanente des fonctions psychiques du fonctionnaire est de 45 %. Le Dr Lafontaine est d’avis que la capacité professionnelle du fonctionnaire et sa capacité personnelle en matière relationnelle sont atteintes.

70 Le Dr Lafontaine a précisé qu’il n’avait constaté aucun antécédent médical, générateur de stress ou événement autre que ceux dont il est maintenant question. L’un des facteurs importants, selon lui, consiste au fait que le fonctionnaire n’a pas encore vécu de résolution dans cette affaire. Les longs délais lui sont défavorables et il ne peut tourner la page avant d’avoir connu l’issue finale de son dossier. Le psychiatre croit que l’employeur a été malicieux dans sa façon de gérer ce dossier, ce qui a contribué à la détresse du fonctionnaire. Ce dernier doutera toujours de ses capacités et de sa bonne réputation. Selon le Dr Lafontaine, des allégations non fondées de harcèlement sexuel génèrent un stress énorme qui laisse des séquelles physiques et psychiques importantes.

71 Le Dr Lafontaine a été longuement contre–interrogé par l’employeur, qui a mis en doute son objectivité et son indépendance, compte tenu de ses opinions sur l’attitude et les gestes de l’employeur. Son évaluation de l’atteinte permanente des fonctions psychiques du fonctionnaire a également été mise en question.

72 L’employeur a fait entendre le Dr Louis Bérard, qui a commenté le rapport du Dr Lafontaine et a communiqué ses propres constatations sur l’état psychique du fonctionnaire à la suite d’une rencontre avec ce dernier. Le rapport d’expertise du Dr Bérard, daté du 27 janvier 2005, a été déposé au dossier sous les mêmes conditions que celui du Dr Lafontaine. Le Dr Bérard est d’avis que l’atteinte permanente des fonctions psychiques du fonctionnaire s’évaluerait plutôt à 5 %. Il s’est basé sur la situation du fonctionnaire à la date de l’expertise. Ce dernier accomplissait son travail et s’occupait de ses fonctions pleinement, selon le Dr Bérard. Dans ces circonstances, le barème utilisé, qui est celui de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec (CSST), et le même que celui utilisé par le Dr Lafontaine, fixe le maximum à 15 %. De plus, le Dr Bérard a tenu compte du fait que le fonctionnaire était de nouveau dans une relation amoureuse stable depuis plus d’un an et de l’absence de mesure thérapeutique depuis deux ans. Il a d’ailleurs fait remarquer que, en date de janvier 2005, le fonctionnaire n’avait jamais eu recours aux services d’un thérapeute.

73 Bien que la qualité de travail du fonctionnaire ou de ses relations soit possiblement moindre qu’avant les événements, le barème de la CSST établit le niveau d’atteinte en fonction des symptômes et de leur récurrence. Le Dr Bérard conclut en disant qu’il est encore trop tôt pour fixer définitivement le niveau d’atteinte du fonctionnaire car le traumatisme serait entretenu par la poursuite des procédures judiciaires.  Cette évaluation ne devrait se faire que deux ans après la fin des événements.

74 Le Dr Jean–Yves Bennett est le médecin traitant du fonctionnaire depuis 1996. Les notes évolutives du Dr Bennett (pièce P–16), et le relevé de médication (pièce P–17) ont été versés au dossier et scellés.  Le Dr Bennett a déclaré que le fonctionnaire l’a consulté la première fois le 9 juin 2000. Le fonctionnaire se plaignait alors de stress important au travail et d’anxiété, de problèmes de sommeil et de concentration. Le Dr Bennett a constaté et traité une hausse de la tension artérielle, une condition préalable qui avait auparavant été stabilisée. Son suivi l’a amené à retirer le fonctionnaire de son milieu de travail, source de stress, le 9 juillet 2000. Ce n’est que le 6 octobre 2000 que le fonctionnaire l’a informé qu’une plainte de harcèlement sexuel avait été portée contre lui.  Le Dr Bennett l’a alors retiré du milieu de travail et a procédé à un ajustement de sa médication.

75 Le Dr Bennett a revu le fonctionnaire à plusieurs reprises, surtout de façon concomitante aux diverses étapes du dossier, telles l’audience devant l’arbitre Bertrand puis l’attente de sa décision. Cette période a semblé causer beaucoup d’anxiété chez le fonctionnaire. En mars 2002, le fonctionnaire s’est plaint de divers malaises qui ont été par la suite diagnostiqués et traités par le Dr Bennett. Le Dr Bennett a discuté à plusieurs reprises avec le fonctionnaire au sujet de son vécu. Le Dr Bennett lui a suggéré à quelques occasions de consulter un psychologue, mais le fonctionnaire aurait préféré gérer la situation lui–même, avec l’aide de médication.

76 Au cours des dernières années, le fonctionnaire a tenté sans succès de réintégrer son réseau de contacts et de participer à certains événements. Il s’y est senti si mal à l’aise qu’il a vite abandonné ses efforts. Il a reconnu ne pas avoir cherché d’aide psychologique. Il a tenté de s’en sortir lui–même. Toutefois, en mars 2005, à la reprise de la présente audience, on lui a recommandé un suivi psychologique, qu’il a finalement accepté. L’insomnie et l’anxiété demeurent toutefois. Il n’a pas non plus retrouvé sa confiance en lui–même et son assurance dans son travail. C’est le « nerf de la guerre » pour un avocat; il faut exhumer une bonne confiance en soi pour bien représenter ses clients. Il a également perdu ses capacités de leadership. Il a dû être assisté par une consultante pour réaffirmer son autorité à son retour à son poste de gestion.

77 Selon le fonctionnaire, il n’aurait jamais dû y avoir d’enquête. Il aurait plutôt fallu lui offrir la possibilité de s’asseoir avec les avocates concernées pour éclaircir la situation et présenter ses excuses. Il n’y aurait alors pas eu de plainte ni de grief. Personne n’a su quand mettre fin à la situation avant qu’elle ne dégénère.

78 Le fonctionnaire est d’avis que la conseillère principale et l’employeur ont agi de mauvaise foi et il réclame des dommages exemplaires. Il allègue, plus particulièrement, que les gestes posés par la conseillère principale constituent de la mauvaise foi dans l’exercice de sa discrétion. Elle a sciemment induit le sous–ministre en erreur en déclarant dans ses documents que le fonctionnaire ne s’était jamais excusé. En contre–interrogatoire, le fonctionnaire a été confronté aux maintes occasions qu’il a eues de constater et de corriger l’information recueillie par les enquêteurs.  Il a reconnu avoir reçu copie des rapports d’enquête en vertu de la procédure usuelle. Il avait alors l’occasion de s’assurer que les enquêteurs avaient tous les renseignements existants. Il n’a pas alors corrigé l’information que contenaient les rapports d’enquête à ce sujet. En réponse, il a dit avoir pris pour acquis que toute l’information était au dossier, que les enquêteurs avaient reçu tous les renseignements, dès le début.

79 Il soutient également que l’employeur s’est acharné contre lui et a été négligent dans sa façon de gérer l’information relative à son dossier. Il a insisté sur le fait que de continuer à le qualifier de « présumé harceleur » à de nombreuses reprises était malicieux puisqu’il considère avoir été blanchi par l’arbitre Bertrand. Il considère également comme de l’acharnement la nouvelle évaluation du milieu de travail en 2001 dans le contexte de la plainte déposée contre lui, et ce, alors que l’arbitre Bertrand entendait son grief. De plus, le rapport Vers un milieux de travail respectueux (pièce P–7) faisait clairement allusion à la plainte contre lui.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire

80 Rappelant le contexte dans lequel se sont déroulés les faits, le fonctionnaire souligne que, en janvier 2000, il s’apprêtait à briguer le poste de directeur du BRQ lorsqu’il a été informé qu’une plainte de harcèlement sexuel serait déposée contre lui. Une enquête s’en est suivie. La décision du sous–ministre du 28 juillet 2000, considérée être une rétrogradation puisqu’elle le relevait de toute responsabilité de gestion, a été connue à l’échelle nationale et a consacré sa déchéance. Dans le but de sauver sa réputation et son intégrité, et parce qu’il était convaincu qu’il n’avait pas harcelé la plaignante, ou qui que ce soit, le fonctionnaire a déposé un grief. Un autre long processus s’en est suivi.  C’est au cours de l’audience devant l’arbitre Bertrand que le fonctionnaire a été à même de découvrir et de constater les fautes commises par l’employeur.

81 Le fonctionnaire soutient que son dossier a été teinté dès le début par l’intention de l’employeur de trouver une solution au problème du BRQ. En effet, l’employeur s’est souvent servi du dossier de l’évaluation de milieu de travail faite en 1998. Il a tenté d’en faire porter la responsabilité au fonctionnaire, tel que l’a clairement conclu l’arbitre Bertrand lorsqu’elle affirme que cette évaluation n’aurait jamais dû servir de preuve contre le fonctionnaire.  Ce dernier n’était pas visé par les plaintes formulées dans le cadre de cette enquête en milieu de travail. La direction des Affaires fiscales ne l’était pas non plus et l’employeur la reconnu.

82 Toutefois, il s’agit, selon lui, du mandat dont s’était investie la conseillère principale, comme l’a constaté l’arbitre Bertrand (2002 CRTFP 89, ¶ 192) :

[…]

[…] [la conseillère principale] a admis en contre–interrogatoire que l’évaluation menée en 1998 au BRQ était pertinente dans l’affaire [du fonctionnaire], car un nouveau sous–ministre venait d’arriver […] Conséquemment, avoue [la conseillère principale] , il fallait résoudre le problème.

[…]

83 Malgré que le fonctionnaire n’était pas visé par cette évaluation, le sous–ministre a admis l’avoir prise en considération. Ceci sans se préoccuper des conséquences sur le fonctionnaire.  L’employeur se serait ainsi basé sur des éléments qui n’ont jamais été prouvés. Ce sont des faits qui ont été soulevés par des employés qu’on ne peut même pas identifier.  Par contre, la conseillère principale n’a pas inclus dans ses documents au sous–ministre le fait que le fonctionnaire avait été identifié comme un « gentleman » lors de cette même évaluation.

84 De plus, les allégations qui n’ont pas été retenues par les enquêteurs n’auraient jamais dû apparaître au résumé exécutif que la conseillère principale a remis au sous–ministre.

85 L’employeur savait que le fonctionnaire n’avait jamais été visé par cette évaluation du milieu de travail. Dans son témoignage devant l’arbitre Bertrand le 15 août 2001, Mme Dufresne a confirmé que le fonctionnaire n’avait jamais été visé par les plaintes de l’époque (pièce P–4 : Constats préliminaires des conflits en milieu de travail du 14 avril 1998). Cinq personnes y étaient clairement identifiées comme sources de conflit au BRQ; le fonctionnaire n’était pas parmi elles. De plus, l’arbitre Bertrand à conclu que toute référence à « la haute direction » ne visait pas le fonctionnaire, tel que l’a expliqué la consultante. À 2002 CRTFP 89, ¶ 143, l’arbitre Bertrand indique ce qui suit : « Mme Dufresne témoigna qu’il est devenu de plus en plus évident [lors des sessions de discussions] que [le directeur du BRQ] était la sixième personne identifiée comme source de conflit […] ». La conseillère principale était présente lors de ces sessions.

86 Il était donc malhonnête et tendancieux de faire référence au rapport d’évaluation du milieu de travail de juin 1998 (pièce E–1) de quelque manière que ce soit. L’arbitre Bertrand conclut en ce sens à 2002 CRTFP 89, ¶ 341 :

[…]

[…] les références à des problèmes de comportement à nature de harcèlement sexuel au BRQ et en particulier les passages soulevés aux pages 37 et 42 de l’évaluation E–1 qui sont répétés dans le [résumé exécutif] ne se donnent [ sic ] pas [au fonctionnaire] et donc n’auraient pas dû servir de preuve contre lui.

[…]

Il s’agit donc d’une première faute retenue par l’arbitre Bertrand contre l’employeur.

87 À partir du moment où on découvre que le fondement du dossier est erroné, on est forcé de conclure que les gestes posés par la suite constituent une faute. L’employeur, en la personne de la conseillère principale, sachant que ces fondements étaient erronés, est quand même allé de l’avant dans le but d’assurer la crédibilité du Bureau et l’efficacité de la politique ministérielle sur la prévention du harcèlement en milieu du travail. La conseillère principale a d’ailleurs admis ces éléments, que l’on retrouve comme facteurs clés de ses recommandations au sous–ministre. Par contre, on ne trouve pas parmi ces facteurs une évaluation de l’impact sur le fonctionnaire et sa carrière.

88 Une autre faute de l’employeur ressort clairement de la preuve: l’omission de communiquer aux enquêteurs et au sous–ministre les excuses offertes par le fonctionnaire dès la première rencontre avec la conseillère principale et le sous–ministre délégué Dion. Ceci est pourtant un aspect essentiel de ce genre de dossier. L’employeur, par l’entremise de la conseillère principale et du sous–ministre délégué Dion, a jugé ces excuses tardives et manquant de sincérité, conformément aux commentaires de la plaignante, à qui elles ont été transmises. Toutefois, l’enquêteur Cantin fait état de l’importance de ces excuses à la page 194 de la transcription de son contre–interrogatoire : « Je pense que ça aurait été pris en considération […] pour les fins, si vous voulez, de la mesure disciplinaire. » Or, il appert que ces excuses n’ont pas été transmises non plus au responsable du dossier au niveau des ressources humaines, M. Deeprose. Celui–ci a donc fait ses recommandations sans cet élément important.

89 Au contraire, le résumé exécutif informe le sous–ministre que la conseillère principale base ses recommandations (paragraphe 7) sur le fait que, entre autres, le fonctionnaire a nié tout méfait et n’a démontré aucun souci pour la plaignante et l’autre avocate visée, ni n’a exprimé le désir de faire des excuses depuis le premier moment où il a été informé (pièce E–35). Pour le fonctionnaire, cette représentation est fautive, puisqu’elle a été faite en toute connaissance de cause. La conseillère principale a admis que le fonctionnaire avait offert des excuses dès la première rencontre. Ceci constituerait un abus de pouvoir et une négligence grossière. Il n’appartenait pas à la conseillère principale de juger la sincérité des excuses du fonctionnaire, ni de décider arbitrairement de ne pas inclure cet important facteur parmi les renseignements transmis aux enquêteurs, puis au sous–ministre.

90 Cette faute a entaché tout le processus, soit l’enquête, les recommandations de la conseillère principale, celles des autres conseillers du sous–ministre et, en fin de compte, la décision même de ce dernier. La conseillère principale ne pouvait pas agir ainsi et n’en avait pas le droit. L’employeur est directement responsable de ces agissements fautifs, surtout en tenant compte du rôle crucial de la conseillère principale. L’arbitre Bertrand s’exprimait comme suit à ce sujet (2002 CRTFP 89, ¶ 407) :

[…]

[…] La Politique décerne beaucoup de responsabilité et de pouvoir au Bureau des règlements des conflits ainsi qu’à la Conseillère principale […] Le poste de [la conseillère principale] est l’élément constant dans tout dossier de plainte porté à l’attention du Bureau. Conséquemment, il appert […] que la Conseillère principale agisse en tout temps de manière indépendante, impartiale et objective afin de maintenir l’intégrité de son poste dans le processus et aux yeux des parties auxquelles elle entend prêter assistance.

[…]

91 Autre élément de faute soulevé : les déclarations initiales n’ont pas été transmises aux enquêteurs. Cette omission a été cruciale sur le résultat de l’affaire. L’enquêteur Cantin a reconnu l’importance de ces déclarations à la page 119 de la transcription de son contre–interrogatoire. Elles pouvaient servir à déterminer si la plaignante avait toujours été constante dans ses déclarations. Elles pouvaient aussi servir à évaluer l’ensemble du dossier. Le processus suivi par la conseillère principale favorisait plutôt de faire table rase. Il s’agit d’une erreur.

92 Ces fautes constituent un déni de justice car elles ont eu pour effet de biaiser et d’entacher une décision qui a eu des conséquences dramatiques sur la carrière et la vie du fonctionnaire. On se doit de faire en sorte que cette situation ne se reproduise jamais. Ces agissements doivent être dénoncés et punis.

93 De plus, l’employeur a commis une faute lorsqu’il n’a pas réévalué le dossier et modifié la décision du sous–ministre après avoir constaté, au cours de l’audience devant l’arbitre Bertrand, que des fautes et des erreurs avaient été commises. Ceci aurait certainement atténué les dommages subis par le fonctionnaire. L’employeur a même rajouté à la faute en demandant le contrôle judiciaire de la décision claire et non équivoque de l’arbitre Bertrand. Ceci a directement affecté le niveau de stress et d’anxiété du fonctionnaire ainsi que sa réputation et sa capacité de leadership au bureau. Il a dû être assisté par une consultante à ce sujet. Pourquoi l’employeur a–t–il attendu jusqu’à la dernière heure avant de se désister de cette demande? Il avait toutes les ressources à sa disposition pour évaluer et réévaluer le dossier.

94 Enfin, l’employeur est également en faute lorsqu’il fait une évaluation du climat organisationnel en 2001. Celle–ci a eu pour effet de rendre le dossier public. L’employeur aurait dû être prudent et diligent et ne pas agir de manière précipitée sans se soucier de l’impact sur le fonctionnaire. Le rapport Vers un milieu de travail respectueux (pièce P–7) a été transmis à l’ensemble du BRQ, et non seulement à la direction des Affaires fiscales. Le contexte de l’intervention est expliqué à la page 1 de ce document. On peut y lire, entre autres, ce qui suit:

[…]

[…] au moment où les consultants ont été approchés […] le [BRQ] était confronté à un contexte très particulier : une plainte de harcèlement sexuel avait été logée à l’endroit d’un de ses gestionnaires et causait un certain malaise au sein du bureau dont l’ampleur demeurait à être évaluée.

[…]

95 En résumé, l’employeur ne s’est pas assuré que le fonctionnaire bénéficie d’un processus d’enquête juste et équitable. De plus, il a failli dans son devoir de protéger la réputation du fonctionnaire pendant cette enquête et par la suite. Ces fautes ont eu un impact sur la carrière et la vie privée du fonctionnaire.

96 La preuve des dommages liés à ces fautes a été faite. Au chapitre de l’atteinte à la réputation, le fonctionnaire allègue que la réputation revêt un caractère essentiel et primordial pour un avocat de carrière. Il s’agit de la pierre angulaire de sa vie, tant professionnelle que personnelle. Selon lui, on ne peut « survivre comme avocat sans une réputation irréprochable ». Il allègue que, durant les 27 années précédentes, il avait bâti une solide réputation, tant auprès de ses collègues au ministère qu’auprès des avocats de pratique privée. Ses évaluations de rendement (pièce P–22) le reconnaissent comme un travailleur assidu, un homme d’équipe intègre et un procureur acharné.

97 Cette réputation a été irrémédiablement entachée. Peu importe la décision de l’arbitre Bertrand, ou toute autre décision, les gens auront toujours un doute à son égard. Il est stigmatisé. Ce dossier a été discuté à l’échelle nationale, autant dans le secteur public que dans le secteur privé. Les procès verbaux des réunions du comité de gestion et les remarques lors de conférences régionales ou nationales le démontrent. Encore à ce jour, son dossier est le seul de ce genre au ministère. Toute référence à ce sujet pointe donc inévitablement en direction du fonctionnaire.

98 Le fonctionnaire a témoigné longuement sur le stress qu’il a vécu, sur son anxiété et les répercussions qu’a eu le dossier sur sa vie professionnelle et privée. Selon lui, tant sa capacité d’interagir avec les autres que de fournir une prestation de travail normale et autonome a été grandement affectée. Il a aussi témoigné sur les problèmes qu’il a vécus au bureau : entre autres, son manque de concentration, de confiance en lui, de leadership. Il a aussi décrit sa situation personnelle, du fait qu’il n’est plus avec sa conjointe de l’époque. Pour ce qui est du point de vue physique, il a expliqué ses insomnies, son stress, des problèmes divers et sa pression artérielle qui augmente par moment.  Avant ces événements, cette dernière constituait son seul problème et le tout était très bien contrôlé. Les expertises médicales déposées en preuve démontrent que le fonctionnaire a maintenant une atteinte psychique permanente évaluée à 45 %.

99 Il est entendu que l’employeur ne peut être tenu responsable du fait qu’une avocate se soit plainte. Toutefois, il doit être tenu responsable de la façon dont la plainte a été traitée et de la façon dont il a géré l’ensemble de la situation depuis. Selon le fonctionnaire, c’est ce traitement du dossier qui est la cause directe des dommages, et non les allégations de harcèlement sexuel elles–mêmes.

100 Le bris de carrière du fonctionnaire et la perte de revenu doivent être évalués au titre des dommages moraux. L’analyse actuarielle mise en preuve offre différents scénarios. Ceux–ci prennent en considération la probabilité que le fonctionnaire ait obtenu le poste de directeur du BRQ en février 2000, ou qu’il ait eu une promotion à un autre moment. Ses chances à ce niveau sont, selon lui, aujourd’hui nulles.

101 Au soutien de cet argument, le fonctionnaire souligne que, en octobre 2002, après avoir été exonéré des allégations, un poste qui l’intéressait a été ouvert.  Bien qu’on lui ait laissé croire à la possibilité de décrocher ce poste, ce dernier a été doté sans concours. Il soumet que je devrais déduire de ces événements une intention négative de la part de l’employeur.

102 De plus, le fonctionnaire prétend que sa carrière est aussi au point mort à l’extérieur de la fonction publique.  Son rendement moindre depuis les événements, ses difficultés de concentration et l’atteinte à sa réputation sont tous des facteurs qui rendent plus improbable sa possibilité d’emploi intéressant dans le secteur privé.

103 En ce qui concerne les frais divers, le fonctionnaire soutient que son cas est exceptionnel et qu’il mérite d’être remboursé des frais qu’il n’aurait pas eu à assumer pour se défendre, n’eut été de la faute de l’employeur.

104 Le fonctionnaire avance que la Cour fédérale m’a reconnu la compétence de lui accorder des dommages exemplaires (2004 CF 566, ¶ 21). Selon lui, l’employeur a persisté à lui faire porter le fardeau du mauvais climat de travail révélé par le rapport d’évaluation du milieu de travail de juin 1998.

105 De plus, on a sciemment négligé d’informer le sous–ministre de l’offre d’excuses du fonctionnaire. Quant à lui, plusieurs énoncés du résumé exécutif préparé à l’attention du sous–ministre étaient non seulement tendancieux, mais clairement faux. Non seulement la conseillère principale ne faisait pas mention du fait que le fonctionnaire avait offert des excuses aux avocates concernées, mais déclarait que le fonctionnaire ne s’était jamais excusé et n’avait jamais reconnu ses fautes. 

106 Enfin, l’employeur a attendu à la toute dernière minute pour se désister de sa demande de contrôle judiciaire alors qu’il avait dû prendre connaissance, tout au long de l’audience devant l’arbitre Bertrand, des erreurs et fautes commises.

107 En conclusion, le fonctionnaire soumet que les dommages subis sont la conséquence logique, directe, immédiate et indiscutable des fautes commises par l’employeur. Le fonctionnaire n’avait aucun antécédent de harcèlement et aucun antécédent médical, à l’exception d’un problème de pression artérielle qui était sous contrôle. Aucun autre facteur extérieur ne peut venir justifier les dommages subis. L’employeur n’a pas non plus démontré qu’il avait agi dans un but purement légitime.

108 Plusieurs décisions ont été soumises par le fonctionnaire au soutien de ses arguments, plus particulièrement quant au montant des dommages. Celles–ci visent toutefois des cas de congédiement, d’accusations malicieuses et de diffamation.

109 Le fonctionnaire prétend avoir fait la preuve de dommages découlant des fautes de l’employeur. Les dommages subis s’élèvent à 1 750 000 $, plus intérêts et le fonctionnaire demande que cette somme lui soit octroyée.

B. Pour l’employeur

110 L’employeur, quant à lui, fonde sa défense sur quatre éléments principaux.  D’abord et avant tout, il doit assurer un milieu de travail libre de tout harcèlement.  Deuxièmement, dans la présente affaire, il a agi de façon responsable et diligente.  En troisième lieu, le fardeau incombant au fonctionnaire d’établir une responsabilité quelconque de l’employeur n’a pas été satisfait. Finalement, si la responsabilité de l’employeur est retenue, ce dernier allègue que le fonctionnaire n’a pas démontré des dommages qui n’ont pas déjà été remboursés.

111 Les affaires Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, et Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252, ont établi une obligation positive de la part de l’employeur. Celui–ci doit être proactif pour assurer un milieu de travail libre de tout harcèlement.  Ainsi, une fois qu’une plainte est déposée, l’employeur a l’obligation de vider la question.  C’est la raison de l’enquête. Il ne suffit pas, toutefois, de simplement traiter la plainte, il faut également rectifier le problème dans le milieu de travail.  C’est ce qui justifiait l’intervention de 2001.

112 L’employeur a admis que les constatations faites sur le milieu de travail en 1998 ont été un facteur dans la détermination du dossier. L’employeur maintient qu’on ne peut reprocher à la conseillère principale d’avoir fourni cet élément comme contexte du dossier du fonctionnaire.  Le fonctionnaire visé était gestionnaire à cette même époque et avait des responsabilités au titre de la politique ministérielle sur la prévention du harcèlement en milieu de travail et était lui–même au courant de la situation du BRQ relativement au climat de travail.

113 Il incombait à la conseillère principale de s’assurer que le sous–ministre prenait une décision éclairée tout en tenant compte du contexte du milieu de travail, de ses obligations envers celui–ci et des responsabilités du fonctionnaire. 

114 L’employeur devait tenir compte de cet élément puisque le fonctionnaire était non seulement gestionnaire, mais avait aussi été membre d’un comité du BRQ sur la prévention du harcèlement en milieu de travail. En vertu de la jurisprudence et de la politique ministérielle sur la prévention du harcèlement dans le milieu de travail, la gestion, à tous les niveaux, est responsable d’assurer un milieu de travail exempt de harcèlement. Le fonctionnaire avait aussi, à titre de gestionnaire, une responsabilité aux termes de cette politique et par rapport aux résultats de l’évaluation du milieu de travail de 1998, tout comme le sous–ministre.

115 L’employeur a conclu que la qualité de gestionnaire du fonctionnaire était un facteur aggravant dans les circonstances. C’est par ses gestionnaires que l’employeur veille au respect de la politique ministérielle sur la prévention du harcèlement en milieu de travail.

116 Le fonctionnaire soutient qu’il n’aurait jamais dû y avoir d’enquête, puisqu’il n’était pas visé par le rapport d’évaluation du milieu de travail de 1998, n’avait aucun antécédent, avait reçu la palme d’or et avait une réputation de « gentleman ».  Au contraire, il aurait été irresponsable de la part de l’employeur de ne pas procéder à une enquête, compte tenu du contexte dans lequel la plainte avait été faite.

117 Le sous–ministre avait lui–même déclaré, lors d’un forum incluant tout le personnel du BRQ, que les gestionnaires devaient mettre fin au climat douteux du BRQ.  Comment aurait–on pu justifier de passer l’éponge sur une plainte contre le fonctionnaire, un gestionnaire, du seul fait qu’il n’avait aucun antécédent à son dossier et que le rapport l’évaluation du milieu de travail de juin 1998 ne l’avait pas visé directement.

118 Selon l’employeur, le sous–ministre n’a jamais prétendu que le rapport d’évaluation du milieu de travail de juin 1998 suggérait que le fonctionnaire faisait partie du problème.  Toutefois, il est certain qu’il devait faire partie de la solution. Sans la participation des gestionnaires, la politique ministérielle sur la prévention du harcèlement en milieu de travail demeurerait lettre morte.

119 Plusieurs éléments de preuve déposés devant l’arbitre Bertrand ont démontré que les avocates en question sentaient leur situation précaire, qu’elles ne se sentaient pas appuyées et que leur relation avec leur gestionnaire, le fonctionnaire, était extrêmement tendue.  C’est la preuve que le fonctionnaire n’assumait pas ses responsabilités en vertu de la politique ministérielle sur la prévention du harcèlement en milieu de travail.

120 Lorsque le fonctionnaire a suggéré de rencontrer les avocates, d’offrir des excuses et ainsi régler l’affaire rapidement, le sous–ministre délégué Dion n’était pas de cet avis. Il avait déjà rencontré les avocates. Dans le contexte de l’époque, celles–ci avaient clairement exprimé leur inconfort face à toute la situation. L’offre du fonctionnaire leur a été transmise et elles l’ont refusée.

121 Compte tenu de ce fait et du fait que sept allégations avaient été formulées contre le fonctionnaire, le sous–ministre délégué Dion a plutôt conclu que ce dossier ne pouvait pas se régler aussi rapidement. Dans le contexte de l’évaluation du milieu de travail de 1998, il jugeait qu’il était trop expéditif et surtout disproportionné de fermer le dossier sur cette simple offre d’excuses. L’enquête était légitime et inévitable, compte tenu de la plainte.

122 L’employeur s’est penché sur la question de l’omission de transmission aux enquêteurs et au décideur. Selon lui, il demeure incontesté que le fonctionnaire n’était prêt à présenter des excuses que si ses propos avaient été mal interprétés.  Cette offre était donc conditionnelle à une mauvaise interprétation de la part de la plaignante.  Il ne s’agissait pas d’une reconnaissance d’un écart de conduite de sa part. Il ne s’excusait tout simplement pas d’avoir eu des propos déplacés.  Il est à noter que l’arbitre Bertrand, bien qu’elle ait conclu qu’il n’y avait pas eu de harcèlement sexuel de la part du fonctionnaire, a tout de même conclu qu’il avait tenu des propos déplacés.  De plus, l’offre d’excuses auraient été formulée uniquement après qu’il eut été question de procéder à une enquête.

123 Selon l’employeur, l’omission d’informer le sous–ministre de cette offre a eu un impact minime sur sa décision.  Cet élément, encore une fois, ne pouvait servir à déterminer s’il y avait eu harcèlement sexuel, mais pouvait être pris en compte seulement dans la détermination de la mesure disciplinaire. Ce n’est toutefois pas le seul élément dont le sous–ministre devait tenir compte et, dans les circonstances, l’employeur soumet que ce n’était certainement pas le plus déterminant.

124 Le sous–ministre a tenu compte du fait que le fonctionnaire était responsable de la gestion d’une centaine d’employés, qu’il y avait des difficultés importantes au BRQ relativement au climat de travail. Il a tenu compte du fait que le fonctionnaire avait reçu une formation et qu’il avait participé à un comité spécial.

125 Il est impossible de conclure que le dossier aurait pris une tournure différente si le sous–ministre avait pris en considération l’offre d’excuses.  Rien ne démontre que le résultat en aurait été différent. Le fonctionnaire s’est vu imposer une mesure minimale de trois jours de suspension et n’a pas été rétrogradé, bien que ses fonctions de gestion lui aient été retirées.

126 En ce qui concerne les agissements de la conseillère principale, l’employeur suggère que le fonctionnaire veut lui faire porter un lourd fardeau.  La responsable du dossier a agi de façon diligente et conforme à ses rôles et responsabilités tout au long de ce dossier.  Elle a agi conformément aux directives du sous–ministre.  De plus, celle–ci était entourée de conseillers juridiques et conseillers en ressources humaines.

127 Le rapport des enquêteurs n’est pas celui de la conseillère principale et ce rapport fait effectivement référence à sept allégations portées contre le fonctionnaire.  Deux de ces allégations ont été retenues par les enquêteurs.  Un résumé, à l’intention du sous–ministre, ne pouvait arbitrairement ignorer l’ensemble du dossier tout en prétendant constituer un rapport complet des événements. La conseillère principale se devait de fournir au sous–ministre tous les éléments représentatifs de l’ensemble du dossier afin que celui–ci puisse prendre une décision éclairée.

128 En ce qui concerne la procédure suivie pour l’enquête, le fonctionnaire allègue que des renseignements aurait dû être fournis aux enquêteurs. Toutefois, il n’a pas démontré qu’une telle procédure aurait été plus appropriée. Tant la conseillère principale que l’enquêteur Cantin ont confirmé qu’il était pratique courante de faire table rase. Ils n’ont pas été contredits. L’arbitre Bertrand n’a pas questionné cette façon de procéder. Tous ces éléments étaient devant elle. Le fonctionnaire a alors eu la possibilité d’interroger et de contre–interroger tous les témoins.

129 On ne peut exiger la perfection dans les enquêtes que doit mener l’employeur. C’est pourquoi les arbitres de grief ont toujours souscrit à la décision Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (QL), qui reconnait que toute injustice au cours de l’enquête administrative est réparée par une audience de novo devant un tribunal administratif. Les fautes alléguées par le fonctionnaire ont donc été réparées par l’audience devant l’arbitre Bertrand. Elles ne peuvent servir de base à une action en dommages. De toute façon, elles ne sont pas déterminantes de l’issue du litige et ne sauraient justifier une demande en dommages.

130 En ce qui concerne l’atteinte à la réputation du fonctionnaire, l’employeur soutient que toute publicité de cette affaire est due au processus d’enquête qui était légitime et à la procédure de grief, qui a été amorcée par le fonctionnaire.

131 Aucune preuve de publicité à outrance ou intentionnelle de la part de l’employeur n’a été présentée.  La décision de relever le fonctionnaire de ses fonctions de gestionnaire a été communiquée sans qu’un jugement ne soit porté. Le suivi du climat de travail en 2001 était légitime et le fonctionnaire n’est pas nommé dans le rapport Vers un milieu de travail respectueux. L’employeur a agi de bonne foi et en toute légitimité.

132 Si le fonctionnaire se sent visé par certains commentaires, remarques ou écrits émanant de l’employeur, ou de ses collègues de travail, ceci peut être dû à sa propre perception ou au fait qu’il s’agit du seul dossier de ce genre au ministère de la Justice.  Dans un cas comme dans l’autre, ceci échappe au contrôle de l’employeur.  D’ailleurs, si, comme le soutient le fonctionnaire, tout le monde sait qu’il a fait l’objet d’allégations de harcèlement sexuel, comment peut–il nier que tout le monde ne sache pas qu’il en ait été exonéré?  Si les gens sont au courant d’une situation, pourquoi ne seraient–ils pas au courant de la suivante? Tous ont pu constater qu’il a réintégré son poste.

133 L’employeur souligne qu’il a remboursé les frais de représentation au fonctionnaire.  La somme de 102 250 $ a été transmise aux procureurs du fonctionnaire le 17 février 2004.  Le fonctionnaire reproche à l’employeur d’avoir tardé à faire ce remboursement puisque, selon lui, un tel remboursement est normalement fait dès le début du dossier. L’employeur soutient que le fonctionnaire confond ici la situation où un gestionnaire reçoit une aide financière lorsqu’il se défend d’une plainte de harcèlement sexuel qui est déposée contre lui, et celle où un gestionnaire se défend contre une mesure disciplinaire, ce qui est le cas ici. Il est clair que l’employeur n’offre pas cette aide dans ces dernières circonstances.

134 En contre–interrogatoire, le fonctionnaire suggère que ce remboursement a été fait avec l’intention de vider son grief de son contenu : son recours en dommages.  Aucune preuve d’une telle intention n’a été présentée. L’employeur soutient plutôt qu’il faut agir avec prudence et circonspection puisqu’il s’agit du Trésor public.

135 Quant au bris de carrière et aux pertes de revenus, l’employeur soutient qu’il n’est pas possible d’affirmer que le fonctionnaire aurait été le candidat retenu pour le poste du directeur du BRQ.  Le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique prévoyait que le candidat le plus qualifié doit être retenu pour tout poste ayant fait l’objet d’un concours. Or, il n’y a aucune façon de démontrer ou de prouver que le fonctionnaire aurait été ce candidat, malgré ses dires ou opinions.

136 L’employeur argue que la jurisprudence est telle que, pour obtenir des dommages, il faut prouver une faute indépendante de l’acte disciplinaire qui puisse faire l’objet d’une poursuite distincte. La faute doit être de la nature du délit civil. Les décisions Vorvis c. Insurance Corp. of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085, et Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701, sont claires à cet effet. Dans ce dernier cas, la Cour suprême du Canada indique bien qu’il faut démontrer une conduite de mauvaise foi. Dans la décision Canada (Procureur général) c. Hester, [1997] 2 C.F. 706 (1re inst.), M. Hester demandait des dommages punitifs. Ils lui ont été refusés, faute de preuve d’une intention de vengeance ou de malice. L’employeur soumet également un bon nombre de décisions sur le montant des dommages accordés dans certaines circonstances où la responsabilité civile de l’employeur a été établie. Les sommes qui y sont accordées sont beaucoup moindres que celles représentées par la jurisprudence soumise par le fonctionnaire.

137 L’employeur conclut que la présente cause n’en est pas une où l’employeur s’est comporté de manière à ouvrir la porte à l’octroi de dommages. Aucune faute n’a été commise en droit. L’employeur regrette beaucoup la situation pour toutes les personnes concernées. Il s’est retrouvé entre l’arbre et l’écorce, il a fait de son mieux. Il faut se rappeler que l’arbitre Bertrand a conclu que le plaignante était crédible. Les délais ont été pénibles pour le fonctionnaire, à n’en pas douter. Toutefois, ils ne sont pas dus à la mauvaise foi de l’employeur, mais au rythme normal des procédures de grief et de contrôle judiciaire.

138 L’employeur a ensuite commenté les dommages allégués et la preuve présentée par le fonctionnaire. Il a en outre mis en doute l’indépendance du Dr Lafontaine. L’employeur prétend que ce témoignage devrait être entièrement écarté; il n’a aucune crédibilité.

139 En conclusion, l’employeur est d’avis que la preuve d’une faute engageant la responsabilité civile de l’employeur n’a pas été faite. Les actes et omissions reprochés ne peuvent constituer, en droit, des fautes donnant ouverture à des dommages.

140 Subsidiairement, le fonctionnaire a amplement été indemnisé de ses dommages par le paiement de la somme de 102 250 $ et autres mesures exécutées volontairement et unilatéralement par l’employeur en février 2004.

C. Réplique du fonctionnaire

141 En réplique, le fonctionnaire reconnaît le devoir de l’employeur en vertu de la politique ministérielle sur la prévention du harcèlement en milieu de travail et les décisions de la Cour suprême du Canada. Toutefois, il rappelle que ce devoir est accompagné d’une lourde responsabilité, tant envers le plaignant qu’envers la personne contre qui la plainte de harcèlement est logée, d’assurer un processus juste et équitable. Dans le présent cas, l’employeur a manqué à ce devoir et doit être tenu responsable des actes et omissions de ses représentants.

V. Motifs

142 Au cours de leurs plaidoiries, les parties ont souvent fait référence à des passages des témoignages, répertoriés au paragraphe 6 de la présente décision, qu’ils jugeaient pertinents à la question maintenant sous étude. J’y ai prêté une attention particulière. Il s’agit principalement des témoignages concernant le processus d’enquête et le processus décisionnel. J’ai également pris connaissance de toutes les pièces qui avaient été déposées devant l’arbitre Bertrand.

143 Tel que je l’ai déjà indiqué, mon rôle consiste simplement à épuiser la compétence de l’arbitre de grief sur la demande en dommages contenue dans le grief du fonctionnaire. L’arbitre Bertrand a conclu que les allégations de harcèlement sexuel formulées a l’égard du fonctionnaire n’étaient pas fondées et a annulé la décision du sous–ministre d’imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire (2002 CRTFP 89, ¶ 412). Mon rôle n’est pas de réviser l’évaluation de la preuve faite par l’arbitre Bertrand ou les conclusions qu’elle en a tirées. Les paramètres de ma compétence ont été fixés par la décision que la Cour fédérale rendait sur la demande de contrôle judiciaire présentée par le fonctionnaire. Il s’agit d’épuiser compétence sur la demande en dommages contenue dans le grief du fonctionnaire, conformément aux principes de droit civil, de common law et à ceux développés par la jurisprudence canadienne (2004 CF 566, ¶ 1, 24–25, 28).

144 Dans Vorvis (supra) et Wallace (supra), la Cour suprême du Canada a développé une analyse en quatre points pour retenir la responsabilité civile de l’employeur. Les questions devant moi se présentent donc ainsi :

  1. Tel que précisé par la Cour fédérale (2004 CF 566, ¶ 24), le fonctionnaire a–t–il démontré, sur la balance des probabilités, que l’employeur a commis une faute ou a agi avec négligence ou mauvaise foi?

  2. Dans l’affirmative, s’agit–il d’une faute distincte qui donne ouverture à un droit d’action fondé sur la responsabilité délictuelle ou contractuelle de l’employeur (Vorvis (supra) et Wallace (supra))? En d’autres termes, la responsabilité civile de l’employeur est–elle engagée?

  3. Dans l’affirmative, le fonctionnaire a–t–il fait la preuve de dommages?

  4. Dans l’affirmative, le fonctionnaire a–t–il établi un lien de causalité probable entre ces dommages et les actes reprochés et prouvés?

145 Il y a donc une chaîne d’éléments qui doivent être démontrés par la preuve avant que je puisse traiter de la question du montant de dommages auquel le fonctionnaire aurait droit dans les limites établies par le droit civil, la common law et la jurisprudence canadienne (2004 CF 566, ¶ 25). Le cas échéant, je devrai également m’assurer que, selon la preuve devant moi, le fonctionnaire n’a pas déjà été indemnisé, en tout ou en partie.

146 Comme le fardeau de la preuve appartient au fonctionnaire, je m’en tiendrai aux reproches qu’il a formulés dans son plan d’argumentation et énoncés au paragraphe 19 de la présente décision. Je propose d’examiner pour chacun d’eux les deux premières questions en litige. J’aborderai par la suite la question des dommages et du lien de causalité, le cas échéant.

147 Les fautes reprochées visent, d’une part, des agissements liés au processus d’enquête sur la plainte de harcèlement sexuel et au processus qui s’en est suivi menant à la décision du sous–ministre. Elles visent, d’autre part, des gestes et omissions ayant eu lieu après le dépôt du grief, dont des gestes liés à la gestion de l’information entourant le dossier au ministère et l’atteinte à la réputation du fonctionnaire.

148 Mon analyse de la preuve et mes conclusions ne requièrent pas que je décide de l’objection au témoignage du sous–ministre délégué Dion concernant les représentations faites au fonctionnaire concernant ses qualités pour obtenir le poste de directeur du BRQ. Je n’ai pas eu à tenir compte de ce témoignage.

A. Intention claire et admise de résoudre le « problème » du BRQ et d’en faire porter la responsabilité au fonctionnaire

149 Le fonctionnaire reproche à l’employeur d’avoir pris en considération les résultats de l’évaluation du milieu de travail faite en 1998 alors que rien dans celle–ci ne le touchait directement ou indirectement. Il prétend que l’employeur n’a traité la plainte de harcèlement sexuel que par crainte de se faire reprocher de ne pas agir face au milieu de travail et pour montrer qu’il faisait quelque chose pour remédier à la situation au BRQ. Le fonctionnaire prétend que tout ce contexte a teinté le dossier, à tort. Il aurait donc été un bouc émissaire. À son avis, il n’y aurait jamais dû y avoir d’enquête. Puisque le fondement de la démarche de l’employeur était vicié, la conclusion du sous–ministre serait nécessairement viciée.

150 Je ne peux être d’accord avec cette assertion. La preuve devant moi et devant l’arbitre Bertrand est à l’effet que la plainte de harcèlement sexuel formulée contre le fonctionnaire était suffisamment sérieuse pour justifier une enquête approfondie. Selon l’arbitre Bertrand, le degré de détresse des avocates lors de l’enquête, et même lors de l’audience devant elle, ne pouvait s’expliquer que par leur sincérité. Elle a d’ailleurs conclu qu’elles étaient crédibles. Le choix de déposer une plainte a été celui de la plaignante (2002 CRTFP 89, ¶ 81–82). Les deux avocates n’ont pas consenti à rencontrer le fonctionnaire pour une explication et un règlement à l’amiable. L’employeur ne pouvait les y obliger. Dans ce cas, selon la preuve, le processus d’enquête est automatiquement amorcé.

151 Dans les circonstances, l’employeur avait l’obligation d’agir, non seulement en raison de la politique ministérielle sur la prévention du harcèlement en milieu de travail, mais surtout en vertu de la jurisprudence, tel que confirmé par la Cour suprême du Canada dans les affaires Robichaud (supra) et Janzen (supra). Les constatations du rapport d’évaluation du milieu de travail de juin 1998 (pièce E–1) ajoutaient à cette obligation.

152 Le sous–ministre, qui a décidé de la mesure disciplinaire, avait avisé tous les employés, et plus particulièrement les gestionnaires, que l’employeur ne tolérerait pas la situation mise en lumière par le rapport d’évaluation du milieu de travail de juin 1998 (pièce E–1). Il s’était lui–même adressé aux employés du BRQ lors d’un forum tenu à Montréal les 22 et 23 octobre 1998. Le fonctionnaire y était présent. À cette occasion, des avocates ont communiqué publiquement au sous–ministre leurs préoccupations quant au milieu de travail.

153 C’est dans ce contexte que la conseillère principale avait reçu des directives particulières concernant ce milieu de travail (2002 CRTFP 89, ¶ 20). Tel que le lui avait demandé le sous–ministre, elle l’a immédiatement avisé qu’une plainte de harcèlement sexuel allait être déposée. Ce dernier a fait appel sans tarder aux services du sous–ministre délégué Dion, de manière à exprimer le sérieux de la situation. En effet, l’employeur n’avait pas d’autre choix, quant à moi, que de prendre la situation du BRQ au sérieux. Les conclusions du rapport d’évaluation du milieu de travail de juin 1998 et les commentaires entendus lors du forum de Montréal étaient clairs. Il devait également prendre au sérieux une plainte de harcèlement sexuel contre un gestionnaire.

154 À la suite de l’évaluation du milieu de travail de 1998, l’employeur avait formé le comité du BRQ sur la prévention du harcèlement en milieu de travail et des interventions auprès des employés ont eu lieu afin d’améliorer le milieu de travail. Le fonctionnaire a été membre de ce comité. À titre de gestionnaire, il avait aussi l’obligation d’agir et de réagir s’il avait connaissance de gestes ou paroles inappropriés. À titre de membre de ce comité, il a reconnu avoir reçu une formation sur la politique ministérielle sur la prévention du harcèlement en milieu de travail et sur le rôle des gestionnaires.

155 C’est dans le même contexte que la conseillère principale a présenté son résumé exécutif au sous–ministre. On ne peut lui reprocher d’avoir ainsi pris ce contexte en considération puisque le sous–ministre lui avait donné des directives particulières. Le fonctionnaire n’a pas démontré qu’en présentant ainsi les recommandations des enquêteurs et des conseillers, la conseillère principale ou l’employeur avait l’intention de lui faire porter la responsabilité de toute l’action de l’employeur sur le milieu de travail.

156 Selon moi, il n’y a donc pas de faute du seul fait que l’employeur a tenu compte du contexte de l’évaluation du milieu de travail de 1998 pour agir. Au contraire, l’inverse aurait été pure négligence de sa part. L’enquête de la plainte de harcèlement sexuel constituait un processus légitime. L’intention claire et admise de résoudre le problème du BRQ a été établie, mais, puisqu’elle était légitime, je ne peux conclure que le processus engagé à la suite de la plainte contre le fonctionnaire avait pour but de lui faire porter seul la responsabilité de ce problème. Le fonctionnaire n’a pas prouvé qu’il a servi de bouc émissaire à la situation au BRQ ni que le processus était vicié dès le départ.

157 Le fonctionnaire soumet également que l’usage inapproprié du contenu du rapport d’évaluation du milieu de travail de juin 1998 soutient sa prétention à l’effet que l’employeur cherchait à démontrer qu’il réagissait à la situation générale du BRQ, au détriment du fonctionnaire. L’arbitre Bertrand a commenté l’usage de l’information entourant ce rapport dans l’analyse de la plainte contre le fonctionnaire. Le rapport a été utilisé pour tenter d’étoffer ou de corroborer la plainte de harcèlement sexuel contre le fonctionnaire, alors que ce rapport ne nommait aucunement le fonctionnaire (2002 CRTFP 89, ¶ 344–345). Le fonctionnaire soutient que ceci était inapproprié et constitue une faute de la part de l’employeur.

158 Le contexte de l’évaluation du milieu de travail de 1998 a été rappelé au début des rencontres avec le fonctionnaire et avec les avocates. C’est à ce moment que le fonctionnaire a indiqué à la conseillère principale et au sous–ministre délégué Dion que les évaluateurs n’avaient fait aucun reproche à l’égard de la direction des Affaires fiscales et que l’une des consultantes lui avait même dit qu’il était un « gentleman ». Même si la conseillère principale n’avait tenté que de vérifier des éléments de disculpation auprès des évaluateurs, à savoir qu’on avait décerné « la palme d’or » au fonctionnaire, je suis d’avis qu’il s’agissait effectivement d’une erreur.

159 La conseillère principale avait remis la responsabilité de l’enquête à deux consultants.  Elle n’avait pas à se mettre à la recherche d’autres renseignements. Son rôle, tel qu’elle l’a amplement expliqué, exigeait qu’elle demeure à l’écart et qu’elle soit neutre, en fait et en apparence. Il n’y a toutefois pas de preuve que la conseillère principale a agi par esprit malicieux, impunément ou de mauvaise foi.

160 En résumé, la référence au rapport d’évaluation du milieu de travail de juin 1998 dans le résumé exécutif était légitime. Il servait à mettre la situation en contexte. Selon le témoignage non contredit du sous–ministre, le rapport n’a été considéré comme facteur décisionnel que de façon contextuelle.

161 Toutefois, l’usage que la conseillère principale a fait du contenu et des détails du rapport d’évaluation de juin 1998 dans l’enquête de la plainte de harcèlement sexuel contre le fonctionnaire était, en partie, inapproprié. Elle n’avait pas à faire de recherche elle–même. La nature objective de son rôle devaient l’en empêcher.

162 Cette faute ne donne toutefois pas ouverture à la responsabilité civile de l’employeur. Il n’y a pas non plus de preuve que la conseillère principale agissait de mauvaise foi (Wallace (supra)). Il ne s’agit pas non plus d’une faute distincte donnant ouverture à un droit d’action. Cette erreur dans la procédure d’enquête a été corrigée par la décision de l’arbitre Bertrand. La responsabilité civile de l’employeur n’est pas engagée ici. De plus, le fonctionnaire n’a pas démontré le caractère scandaleusement dur, vengeur, répréhensible ou malicieux des actes de l’employeur (Vorvis (supra)).

B. Omission d’avoir informé les enquêteurs des excuses qui ont été offertes par le fonctionnaire et omission de transmettre aux enquêteurs les différentes déclarations initiales et les documents au dossier avant le début du processus d’enquête

163 Plus spécifiquement, on reproche à la conseillère principale de ne pas avoir communiqué des renseignements importants aux enquêteurs lors de leurs travaux. Il s’agit bien sûr des excuses offertes par le fonctionnaire, les déclarations initiales des parties et les autres documents au dossier.

164 Bien que la formulation d’excuses soit un élément important, il s’agit d’un facteur dans la détermination de la mesure disciplinaire et non dans la détermination des faits. Ainsi, on ne peut conclure que la conseillère principale a fait une erreur en ne communiquant pas cette information aux enquêteurs.

165 Pour ce qui est des déclarations initiales et de la transmission des documents au dossier, la conseillère principale a témoigné que la politique du Bureau veut que ces documents ne soient pas communiqués aux enquêteurs afin de s’assurer que ces derniers ne soient pas influencés dans leur enquête.  Elle a témoigné devant l’arbitre Bertrand : « On fait tabula rasa. »

166  L’arbitre Bertrand a conclu que les enquêteurs n’avaient pas reçu tous les renseignements divulgués par les deux avocates et le fonctionnaire lors des premières rencontres en décembre 1999 et janvier 2000, soit les notes des différents intervenants (2002 CRTFP 89, ¶ 372–373).  Elle a conclu que le sous–ministre avait basé sa décision sur des conclusions déficientes, car la preuve n’avait pas subi un examen rigoureux, incluant les importantes déclarations initiales et la façon dont on y a réagi. L’arbitre Bertrand a procédé comme il se doit à une réouverture complète de l’enquête administrative à la suite de ses constatations sur les failles apparentes de cette procédure.  Elle a alors renversé la décision de l’employeur.

167 Toutefois, encore une fois, il n’y a pas de faute distincte donnant ouverture à la responsabilité civile de l’employeur. Cette erreur dans la procédure d’enquête a clairement été corrigée par la décision de l’arbitre Bertrand. La règle de la décision Tipple (supra) s’applique ici. Il n’y a pas non plus de preuve que l’employeur ou ses représentants ont agi de mauvaise foi. De plus, comme pour la faute alléguée précédemment, le fonctionnaire n’a pas démontré le caractère scandaleusement dur, vengeur, répréhensible ou malicieux des actes de l’employeur.

C. Information erronément donnée au sous–ministre, dans le cadre de sa prise de décision, à l’effet que le fonctionnaire n’avait pas offert d’excuses

168 Il est allégué que la conseillère principale a soumis un document falsifiant les faits. Dans son résumé exécutif, elle n’a pas informé le sous–ministre de l’offre d’excuses qu’elle a elle–même entendue de la bouche du fonctionnaire. Elle a écrit dans ce document que, lors de la rencontre du 2 février 2000, le fonctionnaire n’avait pas reconnu sa faute et n’avait pas offert d’excuses (pièce E–34, page 3). De plus, dans la note de service accompagnant ce résumé exécutif (pièce E–35, page 2) et contenant ses recommandations, elle indique que le fonctionnaire :

[…]

[Traduction]

7.  A nié tout acte fautif et n’a montré aucune préoccupation pour la plaignante ni même pour [l’autre avocate] ou n’a exprimé le désir de s’excuser. Et cela, à compter du moment où il a été informé pour la première fois des allégations, par Mario Dion et par la conseillère principale, jusqu’au dépôt de ses représentations finales;

[…]

169 Bien que le fonctionnaire soit convaincu qu’il a offert des excuses sincères, la formulation qu’il a utilisée tout au long de cette affaire laisse place à interprétation. C’est ce qu’ont conclu la conseillère principale et le sous–ministre délégué Dion. Devant l’arbitre Bertrand, le fonctionnaire a été très clair : « […] je suis prêt à m’excuser, madame la Présidente, je suis prêt à m’excuser si j’ai commis un impair, si jamais je me suis mal exprimé et qu’elles ont mal interprété mes propos. J’ai [sic] jamais voulu harceler personne. » (page 111 de l’interrogatoire et contre–interrogatoire de Me Henri Bédirian, le 22 août 2001).

170 Cette formulation des excuses offertes par le fonctionnaire, même devant l’arbitre Bertrand, est conditionnelle : si les plaignantes ont mal interprété ses paroles, il s’excusera. Il ne reconnaît pas avoir « commis un impair ». Il ne semble toutefois pas reconnaître que ses excuses sont conditionnelles.

171 Lors de l’audience devant l’arbitre Bertrand, le fonctionnaire a reconnu avoir nié en bloc toutes les allégations qui lui ont été présentées par la conseillère principale et le sous–ministre délégué Dion en février 2000 (page 51 de son interrogatoire et contre–interrogatoire du 22 août 2001) : « […] Je sais que j’ai nié en bloc toutes ces allégations–là à la manière qu’ils me les lançaient, j’ai [sic] pas admis aucun fait qui m’est reproché ». On ne peut donc conclure que l’évaluation que le sous–ministre délégué Dion et la conseillère principale ont fait des déclarations du fonctionnaire était erronée.

172 De plus, le sous–ministre a témoigné que lui seul avait pris la décision de suspendre le fonctionnaire et de le relever de ses fonctions de gestion de personnel. Le sous–ministre a confirmé qu’il ne se souvenait pas d’avoir été informé que des excuses avaient été offertes par le fonctionnaire. Toutefois, lorsque le sous–ministre explique les facteurs retenus pour déterminer la mesure disciplinaire appropriée, il ne fait pas mention du manque de contrition ou de l’absence d’excuses de la part du fonctionnaire.

173 Le sous–ministre déclare plutôt avoir pris en considération plusieurs autres éléments. La responsabilité de l’employeur et des gestionnaires en vertu de la politique ministérielle sur la prévention du harcèlement en milieu de travail était le premier facteur. Il a aussi tenu compte du fait que non seulement un, mais deux enquêteurs réputés en étaient venus à la conclusion que deux allégations étaient fondées. Il a tenu compte également du fait que le fonctionnaire avait reçu une formation sur la prévention du harcèlement en milieu de travail et que le Bureau avait procédé à des interventions dans le passé auprès des employés et gestionnaires du BRQ. Enfin, compte tenu de l’ensemble du dossier et du fait que le fonctionnaire était gestionnaire, il a jugé qu’il serait inapproprié de laisser le fonctionnaire occuper ses fonctions. Une rétrogradation n’étant toutefois pas méritée, il a protégé le niveau de classification du fonctionnaire.

174 Il n’a pas été établi que les représentations de la conseillère principale concernant les excuses ont eu un impact déterminant sur la mesure disciplinaire imposée.  Le sous–ministre a basé sa décision sur l’information dont il disposait à l’époque, qui était constituée principalement du rapport d’enquête préparé par deux enquêteurs expérimentés qui retenaient deux allégations sur un total de sept.

175 Ce n’est que lorsque toute l’affaire a été examinée à fond par l’arbitre Bertrand que celle–ci a jugé que certaines conclusions de l’enquête étaient erronées, que seuls des propos déplacés du fonctionnaire pouvaient lui être reprochés et que la mesure imposée par le sous–ministre était inappropriée et aurait dû être limitée à une réprimande.

176 La Cour suprême du Canada précise dans Wallace (supra) que la demande en dommages qui est contenue dans un grief doit être supportée par une preuve d’intention malicieuse, de négligence grossière, de désinvolture de la part de l’employeur, tel que défini dans la jurisprudence pertinente en droit du travail. Même si la conseillère principale avait, de bonne foi, jugé les excuses fournies inappropriées, elle aurait pu faire rapport au sous–ministre des excuses telles qu’elles lui avaient été communiquées. Elle lui aurait ainsi permis de juger de la nature des excuses et de la reconnaissance de sa faute par le fonctionnaire. Toutefois, il n’y a aucune preuve que ce geste de la conseillère principale était malicieux, empreint de négligence grossière ou de désinvolture.

177 Le geste reproché à la conseillère principale, que je ne peux qualifier de faute entraînant la responsabilité civile de l’employeur, ne constitue pas non plus un geste indépendant du geste disciplinaire conformément à la doctrine Wallace (supra).

D. Omission, après la preuve d’agissements fautifs des préposés de l’employeur et plus particulièrement de la conseillère principale, de reconsidérer et/ou de rectifier la décision du sous–ministre 

178 Je me penche maintenant sur les autres actes reprochés à l’employeur survenus après le dépôt du grief du fonctionnaire, pour déterminer si ceux–ci sont de telle nature qu’ils engagent la responsabilité de l’employeur. Il s’agit d’actes posés pendant la période où la procédure de grief suivait son cours et d’actes subséquents à cette période.

179 Les premiers visent la réaction de l’employeur à la révélation des erreurs commises pendant l’enquête de la plainte. Le fonctionnaire a indiqué s’être rendu compte de toutes ces erreurs au cours de l’audience devant l’arbitre Bertrand. Selon lui, l’employeur aurait dû réagir avant même que l’arbitre Bertrand ne rende sa décision.

180 Le fonctionnaire prétend que, les fautes commises lors de l’enquête ayant été mises à jour, l’employeur aurait dû réévaluer toute la situation, ce qui lui aurait évité de subir « l’odieuse » procédure de grief, ses nombreuses journées d’audience et le long délai d’attente de la décision de l’arbitre Bertrand. Ceci a eu un impact important sur sa santé physique et mentale, ainsi que sur sa situation financière. Le fonctionnaire croit que toute cette situation aurait pu être évitée par la seule reconnaissance des fautes par l’employeur et sa réévaluation du dossier.

181 Compte tenu de mes conclusions précédentes sur la nature des erreurs commises en cours d’enquête, je ne peux conclure que l’employeur aurait dû réévaluer son dossier et concéder le grief comme le suggère le fonctionnaire. La procédure de grief en est une qui est amorcée par le fonctionnaire. Elle met l’employeur en demeure de justifier la mesure disciplinaire auprès de l’employé puis devant une tierce partie, l’arbitre de grief. Il n’y a devant moi aucune preuve que l’employeur a abusé de ce processus, qui appartient d’ailleurs au fonctionnaire, ou qu’il ait agi de mauvaise foi. Il n’y a donc pas de preuve d’une faute engageant la responsabilité de l’employeur.

182 Le fonctionnaire reproche également à l’employeur d’avoir fait persister le doute sur sa culpabilité en portant la décision de l’arbitre Bertrand en contrôle judiciaire, alors qu’il n’avait aucune chance de succès et qu’il a retiré cette demande la veille de l’audience devant la Cour fédérale. L’employeur n’a, encore là, pas concédé la demande de contrôle judiciaire du fonctionnaire et celui–ci a dû subir de nouveaux délais dans l’attente de la décision de la Cour fédérale. Ces délais, ainsi que le doute que ces procédures faisaient subsister sur sa réputation, lui auraient causé de nombreux dommages supplémentaires.

183 Le recours à la procédure de contrôle judiciaire est ouvert à toutes les parties. Il ne peut constituer en soi un abus de droit, à moins de preuve du contraire. Le fonctionnaire devait démontrer la mauvaise foi de l’employeur dans sa demande de contrôle judiciaire et dans le fait qu’il a attendu à la dernière heure pour la retirer. Il est de connaissance judiciaire que ces situations ne sont pas exceptionnelles. Le fonctionnaire n’a pas non plus démontré que la demande de contrôle judiciaire de l’employeur était frivole et abusive. J’ai noté à cet effet que la Cour fédérale n’avait pas ordonné à l’employeur de payer les frais judiciaires du fonctionnaire.

184 Encore une fois, je ne peux conclure ici en l’existence d’une faute engageant la responsabilité de l’employeur.

E. Évaluation du climat organisationnel, après le dépôt du grief, avec comme toile de fond la plainte de harcèlement sexuel logée à l’endroit du fonctionnaire et ce, sans aucune précaution quant aux impacts éventuels sur la vie et la carrière du fonctionnaire

185 Le fonctionnaire soumet que l’employeur s’est acharné contre lui. À preuve, l’évaluation du milieu de travail qui a été effectuée en 2001, alors que le fonctionnaire avait déposé son grief. Le rapport Vers un milieu de travail respectueux fait clairement référence à la plainte de harcèlement sexuel déposée contre un gestionnaire de la direction des Affaires fiscales. Le fonctionnaire soumet que l’employeur aurait dû agir avec prudence, compte tenu de la procédure de grief par laquelle le fonctionnaire contestait la mesure disciplinaire. Le rapport Vers un milieu de travail respectueux a été distribué à plus de 400 personnes et était accessible par courrier électronique. Bien qu’il ne mentionne pas le fonctionnaire, il ne fait aucun doute qu’il fait référence à la plainte de harcèlement sexuel formulée contre lui.  La diffusion de ce rapport aurait causé beaucoup de tort au fonctionnaire.

186 Le rapport Vers un milieu de travail respectueux a clairement indiqué que certaines rumeurs circulaient dans le milieu de travail. Il a confirmé que les employés étaient préoccupés par la situation à la direction des Affaires fiscales.  Le rapport confirme également que l’employeur a été très discret au sujet de la situation.  Les employés demandaient même plus d’information. L’employeur a déclaré avoir agi légitimement en procédant à l’évaluation du milieu de travail, comme employeur responsable. Les conclusions du rapport confirmaient que les employés étaient préoccupés et que l’employeur devait agir. La diffusion du rapport constitue–t–elle cependant une faute couverte par le grief du demandeur? 

187 Le litige qui est maintenant devant moi est le même que celui qui était devant l’arbitre Bertrand. L’amendement au grief ne vise que le montant des dommages réclamés. Les faits reprochés sous le présent énoncé ont eu lieu après le dépôt du grief et ne sont pas liés à la mesure disciplinaire ni au processus d’enquête de la plainte ayant mené à la mesure disciplinaire.

188 L’évaluation du milieu de travail de 2001 et la diffusion du rapport Vers un milieu de travail respectueux constituent des actes distincts de la mesure disciplinaire qui n’étaient pas allégués dans le grief du fonctionnaire et qui n’ont pas été ajoutés à ce dernier.  Il ne saurait donc s’agir d’une faute couverte par la demande en « dommages contenue dans le grief » du fonctionnaire.

189 De plus, on ne peut reprocher à l’employeur d’avoir entrepris une démarche tenant compte du malaise dans le milieu de travail. Le rapport Vers un milieu de travail respectueux a confirmé ce malaise. Il est compréhensible que l’employeur effectue un suivi en milieu de travail à la suite du dépôt d’une plainte de harcèlement sexuel contre l’un de ses gestionnaires. Ceci fait partie des responsabilités de l’employeur envers tous les employés dans le cadre de ses obligations en matière de prévention du harcèlement en milieu de travail. Il a aussi la responsabilité de bien gérer le dossier à l’intérieur du milieu de travail, car en plus d’être responsable envers tous les employés, il l’est également envers l’employé contre qui la plainte a été portée.

190 Le rapport Vers un milieu de travail respectueux, dont un extrait est cité au paragraphe 28 de la présente décision, indique que l’employeur a pris certaines mesures pour affaiblir l’impact de l’intervention en milieu de travail sur le fonctionnaire.  Quant à la diffusion du rapport, elle a été faite sur recommandation des consultants et paraît raisonnable dans les circonstances. Ainsi, même s’il s’agissait d’une faute qui soit distincte (Wallace (supra)), elle n’entraînerait pas la responsabilité civile de l’employeur car la preuve de mauvaise foi ou de négligence grossière est absente.

F. Les dommages : atteinte à la réputation, bris de carrière, perte de revenu, dommages moraux et punitifs et leur lien avec les actes reprochés

191 Je ne doute pas que le fonctionnaire a vécu des moments très difficiles. Sa santé physique et mentale a été atteinte. Sa réputation a aussi été atteinte. Sa carrière a pu être retardée et sa situation financière a pu être affectée en général.

192 Je ne doute pas non plus que le fonctionnaire se soit perçu comme bouc émissaire dans toute cette affaire, ni qu’il soit convaincu qu’il n’aurait jamais vécu cet enfer s’il avait eu l’occasion de s’expliquer auprès des avocates.

193 Je ne doute pas non plus que l’employeur ait agi de bonne foi. Il a immédiatement réintégré le fonctionnaire dans ses fonctions de gestion, sans aucune condition ou commentaire, dès qu’il a pris connaissance de la décision de l’arbitre Bertrand. Lorsque le fonctionnaire a eu certaines difficultés à affirmer son leadership et qu’il a fait une demande d’aide à l’employeur, ce dernier lui a immédiatement fourni les services d’une consultante. Elle a travaillé avec le fonctionnaire et avec ses subalternes pendant près d’un an. Le fonctionnaire a lui–même indiqué qu’il devait s’agir d’un contrat de plusieurs milliers de dollars.

194 Le fonctionnaire devait faire la preuve des gestes qui engageaient la responsabilité civile de l’employeur, tel que défini par la Cour suprême du Canada. Il devait prouver ses dommages et démontrer que les gestes posés par l’employeur étaient la cause directe de ses dommages. Enfin, il devait démontrer que les dommages n’ont pas déjà été indemnisés par l’employeur.

195 La nature des erreurs et omissions alléguées ici ne me permet pas d’accorder les demandes du fonctionnaire. De plus, le lien de causalité est très difficile à préciser. La plainte de harcèlement sexuel est le facteur premier à l’origine de toutes les difficultés vécues par le fonctionnaire. Il est difficile de distinguer l’impact des erreurs et omissions alléguées sur la situation dans laquelle se retrouve aujourd’hui le fonctionnaire.

196 La preuve a démontré que les avocates à qui on avait communiqué l’offre d’excuses du fonctionnaire n’étaient pas prêtes à les accepter et à le rencontrer. La décision du sous–ministre a été basée sur les éléments alors devant lui et les critères dont il a témoigné. Même s’il avait pris en considération l’offre d’excuses telle que formulée par le fonctionnaire, il n’y a pas de preuve que sa décision aurait en toute probabilité été différente tenant compte des autres facteurs pris en considération et la nature de mesure disciplinaire.

197 La décision de contester la mesure disciplinaire appartenait au fonctionnaire et non pas à l’employeur. Ce dernier a été ainsi appelé à justifier la mesure disciplinaire. Il a choisi de laisser à l’arbitre Bertrand la tâche de déterminer si celle–ci était appropriée, ce qu’il était en droit de faire.

198 La décision de l’arbitre Bertrand a eu pour effet de réintégrer le fonctionnaire dans ses responsabilités de gestion. Ceci s’est fait nécessairement au vu et au su de tous, tout comme la perte antérieure de ces mêmes responsabilités qui, selon le fonctionnaire, avait rendu le dossier public. La perception du milieu de travail aurait dû changer à partir de ce moment.

199 Le fonctionnaire a aussi soutenu que les atteintes à sa réputation se sont perpétuées après la décision de l’arbitre Bertrand. Il a fait mention de paroles prononcées par les avocats de l’employeur devant la Cour fédérale et par un avocat du ministère de la Justice lors d’une conférence sur la Loi sur la modernisation de la fonction publique en novembre 2004. Dans chacun de ces cas, le fonctionnaire a démontré qu’on l’avait qualifié de « présumé harceleur ». À compter du moment où l’arbitre Bertrand a rendu sa décision et qu’elle a conclu qu’il n’y avait pas eu de harcèlement sexuel, mais plutôt que des propos inappropriés avaient été prononcés par le fonctionnaire, on ne peut plus le qualifier de « présumé harceleur ».

200 Il s’agit toutefois de faits ayant eu lieu longtemps après la décision de l’arbitre Bertrand. Les dommages réclamés et contenus dans le grief doivent être reliés à des fautes distinctes commises par l’employeur dans le cadre de la mesure disciplinaire. Le fonctionnaire soulève maintenant de nouvelles fautes, non envisagées dans le grief initial. Elles ne peuvent donc pas être considérées dans l’analyse des dommages réclamés dans le grief, quoique ces commentaires puissent confirmer que la réputation du fonctionnaire est atteinte.  Le lieu de causalité est tout de même manquant.

201 Je dois m’en tenir aux circonstances contenues dans le grief initialement présenté et débattu devant l’arbitre Bertrand, en ses places et lieux. La Cour fédérale a clairement invité les parties à présenter un complément de preuve sur la faute. Il ne peut s’agir d’une preuve concernant de nouvelles fautes.  Ceci serait d’ailleurs contraire à toute règle de justice naturelle, car l’employeur avait le droit de connaître les fautes qui lui étaient reprochées pour bien préparer sa défense. Je n’ai donc pas à me prononcer sur ces fautes qui ne peuvent être liées au grief.

202 Le fonctionnaire n’a pas fait la preuve d’une faute liée au fait qu’il n’a pas obtenu la promotion au poste de directeur du BRQ en février 2000. De plus, compte tenu du processus de dotation auquel est assujettie la fonction publique fédérale, on ne peut démontrer que le fonctionnaire aurait été le candidat le plus méritoire dans le cadre du concours de février 2000. Par ailleurs, l’employeur avait l’autorité de procéder au remplacement du directeur sortant du BRQ, sans recourir au processus de concours. Le fonctionnaire n’a pas fait la preuve que cette nomination a été faite dans le seul but d’éviter qu’il participe au concours et qu’il obtienne le poste.

203 Dans le premier cas, bien qu’on ait pu l’inviter à poser sa candidature parce qu’on reconnaissait ses capacités et compétences, aucun candidat ne peut être assuré d’être nommé à un poste brigué dans la fonction publique. La règle du mérite relatif assure le poste au candidat qui possède les meilleures qualifications par rapport aux autres. L’employeur ne contrôle pas le résultat, contrairement à ce que suggère le fonctionnaire.

204 Dans le deuxième cas, le choix de ne pas procéder à un concours appartient au sous–ministre. La preuve ne m’a pas convaincue que cette décision visait uniquement à s’assurer que le fonctionnaire n’obtienne pas le poste en question. Une explication valable et raisonnable m’a été présentée à ce sujet. D’ailleurs, le fonctionnaire a admis qu’on l’avait invité à poser sa candidature à ce poste avant que ne soit prise la décision de procéder à une nomination sans concours.

205 Les délais que le fonctionnaire a dû vivre dans l’attente des décisions de l’arbitre Bertrand, puis de la Cour fédérale et même de la présente décision, sont certainement pénibles. Toutefois, ces délais ne sont pas causés par l’employeur. Il n’y a pas de lien de causalité qui m’aurait permis de retenir la responsabilité de l’employeur à ce chapitre. Les experts ont confirmé que ces délais étaient en grande partie responsables des dommages subis par le fonctionnaire.

206 Le fonctionnaire a conservé son emploi, par choix du sous–ministre. Il n’a pas non plus été rétrogradé. Il a obtenu l’aide nécessaire pour réaffirmer son leadership auprès de son équipe, aux frais de l’employeur. Ses évaluations de rendement ont été réajustées d’une manière avantageuse, à la suggestion du nouveau directeur du BRQ et une prime au rendement lui a été accordée. L’employeur a unilatéralement et volontairement remboursé les frais de représentation du fonctionnaire jusqu’au 17 février 2004. Il lui a également offert un nouveau poste.

207 Le fonctionnaire n’a pas donné suite à cette offre. Cette omission du fonctionnaire me laisse perplexe. Il soutient que l’employeur tentait de vider le grief de son contenu. N’aurait–il pas été plus approprié de saisir l’occasion d’une telle promotion? Le fonctionnaire ne peut justifier d’avoir négligé de donner suite à cette offre sous prétexte que l’employeur cherchait plutôt à vider sa réclamation de son contenu. Comme tout autre demandeur en responsabilité civile, il avait l’obligation de mitiger ses dommages. Il avait en main une offre écrite de promotion dans la région d’Ottawa.

208 Compte tenu de mes conclusions, je n’ai pas à me prononcer sur l’octroi de dommages et leur évaluation n’est pas nécessaire. Le fonctionnaire réclame aussi des dommages exemplaires. Comme le fonctionnaire n’a pas démontré le caractère scandaleusement dur, vengeur, répréhensible, ou malicieux des actes de l’employeur (Vorvis (supra)), je ne peux accorder ces dommages.

209 Le fonctionnaire réclame également des frais de financement, d’expertise et de représentation. Compte tenu du fait que l’employeur a unilatéralement et volontairement versé une somme de 102 250 $ aux procureurs du fonctionnaire, en remboursement de ses frais de représentation au 17 février 2004, et qu’aucune faute engageant la responsabilité de l’employeur n’a été établie, cette réclamation n’est pas non plus accordée.

210 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

211 La réclamation en dommages–intérêts reliée au grief est rejetée.

Le 19 janvier 2006.

Sylvie Matteau,
arbitre de grief

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