Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

En avril 2002, le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté un grief pour contester la contravention, par l’employeur, de la disposition de la convention collective interdisant la discrimination - en juin 2002, le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté une plainte de harcèlement à son employeur, dans laquelle il alléguait qu’il était traité de manière inéquitable et était victime de discrimination - il n’existe aucune preuve que le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (<< CCDP >>) même s’il savait sans aucun doute, dès juin 2002, qu’il aurait pu faire valoir ses préoccupations en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) - l’employeur a objecté, à titre préliminaire, que l’arbitre de grief était privée de sa compétence par le paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi, puisque le grief alléguait essentiellement la discrimination pour un motif de distinction illicite prévu par la LCDP et que le fonctionnaire s’estimant lésé disposait d’un recours administratif de réparation devant la CCDP - l’employeur prétendait également que l’omission du fonctionnaire s’estimant lésé de déposer une plainte devant la CCDP ne portait pas un coup fatal à la question de la compétence - l’agent négociateur a pour sa part soutenu que les questions soulevées dans le grief relevaient toutes de l’application de la convention collective et que, dès lors, le grief devait être instruit et tranché au fond - au terme des plaidoiries des parties, l’arbitre de grief a statué de vive voix que sa compétence ne s’étendait pas au grief - la présente décision expose les motifs de cette décision - l’arbitre de griefs a conclu que le grief se voulait essentiellement une plainte de harcèlement et de traitement discriminatoire de la part de la direction fondée sur la déficience physique du fonctionnaire s’estimant lésé - à cet égard, l’arbitre de griefs a déterminé qu’elle était privée de compétence par le sous-alinéa 91(1)a)(ii) de l’ancienne Loi car un autre recours administratif de réparation est ouvert au fonctionnaire s’estimant lésé sous le régime d’une loi fédérale (en l’occurrence la LCDP) pour lui apporter une véritable réparation - l’omission du fonctionnaire s’estimant lésé de se prévaloir de ce recours administratif de réparation ne permet pas à l’arbitre de grief d’exercer le pouvoir qui lui est accordé par le paragraphe 92(1) de l’ancienne Loi - l’arbitre de grief a confirmé sa décision orale antérieure selon laquelle sa compétence ne s’étendait pas au grief. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P 35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-05-03
  • Dossier:  166-02-32537
  • Référence:  2006 CRTFP 47

Devant un arbitre de grief



ENTRE

MIKE PRICE

fonctionnaire s’estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Price c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P–35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Joan M. Gordon, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé :  Corrinne Blanchette, avocate, SYNDICAT DES AGENTS CORRECTIONNELS DU CANADA – CSN

Pour l’employeur :  Harvey Newman, avocat


Affaire entendue à Abbotsford (Colombie–Britannique),
le 8 mars 2006.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Grief renvoyé à l’arbitrage

[1]   L’audience du 8 mars 2006 traitait seulement de l’objection préliminaire de l’employeur à ma compétence pour statuer sur le grief 166–02–32537 (le « grief »).

[2]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné à l’audience au sujet d’un fait contesté, à savoir la réception, par lui, d’une note en date du 17 octobre 2002 d’Alphonse Cormier, sous–commissaire, région du Pacifique. Le reste de la preuve a été présenté sous forme documentaire.

[3]   À la conclusion des observations des parties et après un examen approfondi de l’ensemble des documents qui m’avaient été fournis, j’ai rendu une décision de vive voix selon laquelle je n’ai pas compétence pour statuer sur le grief. Voici les motifs de cette décision.

[4]   Il y a deux questions à trancher : 1) quelle est l’essence du grief?; 2) ma compétence est–elle exclue par le paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique L.R.C. (1985), ch. P–35 (l’« ancienne Loi ») parce qu’un autre recours administratif de réparation est disponible en vertu d’une loi fédérale?

[5]   Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l’arbitrage de grief doit être décidé conformément à l’ancienne Loi.

Résumé de la preuve

[6]   Le 17 avril 2002, le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé le grief, dont voici les extraits pertinents :

[Traduction]

DÉTAILS DU GRIEF

Je présente un grief en vertu de la clause 37.01 de la convention collective du SACC–CSN avec le SCC, parce que je considère qu’il y a eu à mon égard du harcèlement, de l’ingérence et des restrictions concernant ma demande à la Commission des accidents du travail, mon retour au travail et la manière générale dont on a traité de mes préoccupations en matière de santé. Cette violation de la clause 37.01 est attribuable aux actions de la direction de l’Établissement de Matsqui agissant comme représentante du Service correctionnel.

REDRESSEMENT DEMANDÉ

  1. Que me soient rendus tous mes congés de maladie, congés annuels et congés pour obligations familiales que j’ai utilisés et qui m’ont été avancés pendant la durée de la période en cause.

  2. Que je reçoive une compensation financière complète pour l’ensemble de la rémunération que je recevrais s’il avait été remédié plus tôt à cette situation.

  3. Que je reçoive le tarif moyen pour l’ensemble des heures supplémentaires possibles et jours fériés que je n’ai pu travailler à cause de l’inaction de la direction.

  4. Que ma femme et moi soyions indemnisés pour le stress émotionnel et psychologique que l’inaction de la direction a causé à notre famille et à moi–même.

  5. Que l’ensemble des politiques, des procédures et des avis médicaux professionnels applicables à mon cas soient pris en compte pour arriver à la meilleure solution concernant mes limitations médicales.

  6. Que je reçoive des excuses verbales et des excuses écrites de la direction de l’Établissement de Matsqui.

  7. Que me soit offert un emploi constructif, dans un lieu de travail où il n’y a pas de harcèlement.

  8. Que le premier palier de la procédure de règlement du présent grief soit omis (paragraphe a) de la clause 37.02) et que le présent grief passe directement au deuxième palier.

  9. Que j’aie un ou plusieurs représentants syndicaux de mon choix à toutes les réunions avec la direction concernant le présent grief.

[7]   Le 7 juin 2002, l’employeur a répondu au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs de la façon suivante :

[Traduction]

Votre grief relatif à la clause 37.01 de la convention collective conclue avec le SACC a été bien examiné au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs.

Je ne reconnais pas que nous ayons violé la clause 37.01 de la convention collective comme vous l’affirmez. La direction est obligée de travailler avec la Commission des accidents du travail quand il s’agit de blessures professionnelles, et la chef du personnel aurait été négligente si elle n’avait pas signalé que le plan de retour au travail n’avait pas été couronné de succès.

Je suis convaincu que le directeur et la chef du personnel ont agi de bonne foi dans la planification et la mise en œuvre de votre retour au travail. Les mesures d’adaptation portant sur votre cas ont été prises en consultation avec Santé Canada et la Commission des accidents du travail comme c’est requis. Nous considérons que l’affectation postérieure est raisonnable et correspond aux paramètres de vos limitations physiques.

Par conséquent, je ne suis pas disposé à vous accorder le redressement demandé et rejette votre grief.

[8]   Le 4 juin 2002, le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté une plainte de harcèlement (la « plainte ») à Pauline Guenette, coordonnatrice de la lutte contre le harcèlement, région du Pacifique. Aux pages 3 et 4 de ce document, le fonctionnaire s’estimant lésé a résumé les événements constituant la toile de fond de sa plainte :

[Traduction]

Contexte de ma plainte

[...]

[5] En mai 2000, je me suis blessé au travail en déplaçant du matériel dans la salle du GIT du Centre de santé régional (CSR). Pendant que je travaillais dans cette salle, un sac contenant du matériel est tombé sur moi, poussant mes bras vers l’arrière. Je ne savais pas alors quels effets cet accident aurait sur ma santé. Cet accident a eu de graves répercussions sur ma santé, d’où une incapacité physique à remplir complètement les fonctions que j’exerçais comme agent correctionnel.

[6] Après l’accident, j’ai consulté mon médecin de famille, et il a fallu que je demande des prestations d’accident de travail, car je ne pouvais plus travailler, vu le type et la nature de la blessure que j’avais subie.

[7] J’ai continué à recevoir des prestations d’accident de travail jusqu’au 23 juillet 2001. J’ai alors été informé par Mme Susan McKenzie (chef du personnel de l’Établissement de Matsqui), par téléphone, que mes prestations seraient supprimées et que, si je ne retournais pas au travail, je serais obligé d’utiliser mes congés de maladie accumulés. J’ai découvert ultérieurement que Mme McKenzie avait informé un représentant de la Commission des accidents du travail que je n’avais pas terminé mon programme d’orientation, que je n’avais pas cherché à accomplir les fonctions qui m’avaient été attribuées et que je refusais de travailler. Cette déclaration de Mme McKenzie est fausse, car Mme McKenzie m’avait ordonné de rentrer chez-moi, et je n’ai jamais refusé d’accomplir mes fonctions. Lorsque mes prestations d’accident de travail ont été supprimées, mon orthopédiste, le Dr Sweeting, m’a informé que je ne pourrais reprendre le travail que j’avais exercé comme agent correctionnel, à cause des limites attribuables à ma blessure à l’épaule. Ne voulant pas retourner au travail et ainsi aller à l’encontre des recommandations de mon spécialiste, j’ai été obligé d’utiliser mes congés de maladie accumulés pendant que j’attendais que Santé Canada évalue mon état, soit une demande que j’avais faite presque un an avant qu’il soit mis fin à mes prestations d’accident de travail.

[8] Je suis retourné au travail à l’Établissement de Matsqui, et l’on m’a confié un poste de CO–1 au comptoir de dénombrement. En ce qui a trait à mon retour au travail, j’ai affirmé maintes fois (me fondant sur les informations et lettres fournies par deux médecins) que ce poste ne me convient pas, en raison de ma blessure. Ce poste n’est pas, d’un point de vue ergonomique, compatible avec les limites imputables à la blessure que j’ai subie à l’épaule. Mon poste de travail, incompatible avec mes limites, et les fonctions que je dois y remplir m’ont causé plus de douleur et ont aggravé ma blessure à l’épaule. Comme il ne me reste plus de congés de maladie (parce que je les ai utilisés pour ne pas devoir faire un retour hâtif au travail), je suis obligé de venir travailler, même si la douleur constante que j’éprouve à l’épaule peut être quasiment intolérable. Quand j’ai demandé à Mme Susan McKenzie quelles possibilités j’aurais si je tombais malade et si je me blessais de nouveau à l’épaule, elle a répondu : « vous pourriez toujours présenter une autre demande à la Commission des accidents du travail ».

[9]   Le fonctionnaire s’estimant lésé a ensuite énuméré les six allégations de harcèlement suivantes : [traduction] « indifférence aux lettres et notes du Dr Sweeting »; « atteinte à mon éthique et à mon professionnalisme »; « indifférence à l’évaluation du Dr Hilliard de Santé Canada »; « tentative de médiation pour arriver à un règlement »; « manque d’effort pour me contacter ou pour me trouver un emploi approprié »; « directives du commissaire en matière de harcèlement ». À ce dernier chapitre, le fonctionnaire s’estimant lésé a notamment déclaré ceci :

[Traduction]

[...]

[21] Selon les directives du commissaire, les actions de M. John Costello et de Mme Susan McKenzie représentent du harcèlement. Voici un extrait de la directive du commissaire n o 255 intitulée Le harcèlement et toute autre forme de discrimination en milieu de travail.

[Citation de la définition du harcèlement]

[22] Les actions de Mme McKenzie et de M. Costello ont mis en péril ma santé et peut–être aussi celle d’autres employés avec qui je travaille, ont menacé mon gagne–pain, ont créé manifestement de la discrimination fondée sur ma déficience physique et ont influé défavorablement sur ma carrière au SCC. Ni l’un ni l’autre de ces gestionnaires ne semblent soucieux ou désireux de faire l’effort de parvenir à un règlement qui comporte une solution mutuellement acceptable tenant compte de mes limites physiques.

[...]

[c’est moi qui souligne]

[10]   Et il est significatif que la section consacrée au résumé de la plainte dise notamment ceci :

[Traduction]

[24] [...] Je suis convaincu qu’en raison de mes limites physiques, je suis injustement l’objet de harcèlement et de discrimination à mon lieu de travail. Bien que je ne souhaite pas poursuivre cette option, je considère que selon la Loi canadienne sur les droits de la personne, concernant la dignité de la personne et l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, on m’a fait du tort. La décision de Mme Susan McKenzie et de M. John Costello ne prenait nullement en compte mes limitations physiques ou ma dignité.

[...]

[c’est moi qui souligne]

[11]   Par une lettre du 12 juillet 2002, M. Cormier a avisé le fonctionnaire s’estimant lésé que sa plainte ne serait pas acceptée.

[12]   Le 16 septembre 2002, le fonctionnaire s’estimant lésé a répondu comme suit à M. Cormier :

[Traduction]

[...]

Ce harcèlement continuel de la part des gestionnaires de Matsqui en cause a avivé ma blessure. Comme j’ai été obligé d’occuper un poste que j’étais en fait physiquement incapable d’occuper, ma blessure est devenue une déficience permanente. Les gestionnaires mentionnés précédemment continuent à déployer peu d’effort ou à ne rien faire pour faciliter mon retour au travail. En réalité, je considère que, en raison de ma déficience physique, aujourd’hui permanente, résultant d’une blessure professionnelle, je suis maintenant victime de discrimination.

Vu ce harcèlement passé et cette discrimination actuelle de la part des gestionnaires en question et vu l’absence de réaction du Service correctionnel au niveau régional, il me reste peu de solutions de rechange. Malheureusement, j’estime devoir maintenant consulter la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), car ce type particulier de discrimination relève de la compétence de la CCDP.

[...]

[c’est moi qui souligne]

[13]   Aucune preuve n’indiquait que le fonctionnaire s’estimant lésé avait déjà entrepris de déposer une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « CCDP ») en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).

[14]   Dans une note en date du 17 octobre 2002, M. Cormier a répété que la plainte du fonctionnaire s’estimant lésé ne répondait pas aux critères énoncés dans la politique du Conseil du Trésor sur la prévention du harcèlement en milieu de travail. M. Cormier a en outre informé le fonctionnaire s’estimant lésé de ce qui suit : [traduction] « Pour ce qui est de la Commission canadienne des droits de la personne, l’employé a le droit de présenter une plainte à la Commission conformément à la [LCDP]. » Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné à l’audience qu’il a « possiblement » reçu la note de M. Cormier et qu’il y a « possiblement » répondu mais qu’il n’arrive pas à « s’en souvenir » et qu’il n’a aucun document à l’égard de l’un ou l’autre cas.

[15]   Le fonctionnaire s’estimant lésé n’est dorénavant plus un employé du Service correctionnel du Canada. Il a pris sa retraite un certain temps après les événements ayant donné lieu au grief et il reçoit actuellement une pension en vertu de la Loi sur la pension de la fonction publique.

Résumé de l’argumentation

[16]   L’employeur fait valoir que le prétendu grief n’est pas un grief valable pouvant être renvoyé à l’arbitrage. Du point de vue de l’employeur, une plainte selon la LCDP est une plainte à l’égard de laquelle un recours administratif de réparation est ouvert sous le régime d’une loi fédérale aux fins du sous–alinéa 91(1)a)(ii) de l’ancienne Loi et aux fins de la clause 20.02 de la convention collective des parties. L’employeur souligne que le fonctionnaire s’estimant lésé allègue qu’il y a eu une violation de la clause 37.01 de la convention collective, soit la disposition sur l’élimination de la discrimination. L’employeur dit qu’il apparaît à la lecture du grief que l’objet de la préoccupation du fonctionnaire s’estimant lésé est que la direction a fait preuve de discrimination à son égard pour un motif de distinction illicite selon la LCDP – une déficience mentale ou physique. Ainsi, l’essence du grief pourrait être le fondement d’une plainte à la CCDP, tribunal administratif spécialisé qui serait capable d’accorder un redressement véritable au fonctionnaire s’estimant lésé.

[17]   En avançant son argument voulant que le grief soit essentiellement une plainte relative aux droits de la personne qui ne peut être soumise à l’arbitrage en vertu de l’ancienne Loi, l’employeur invoque les décisions suivantes, qui font jurisprudence : Canada (Procureur général) c. Boutilier, [2000] 3 C.F. 27 (CAF) (demande d’autorisation d’appel rejetée, sans exposé de motifs, le 31 août 2000); Cherrier c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 37; Audate c. Conseil du Trésor (Anciens combattants), CRTFP 166–2–27755 (1999) (QL).

[18]   L’employeur m’exhortait à suivre l’avertissement de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Boutilier et à statuer sur cette objection préliminaire avant la présentation de la preuve relative à la question du bien–fondé du grief. L’agent négociateur m’exhortait pour sa part à rejeter de façon sommaire l’objection préliminaire de l’employeur ou à différer le prononcé de ma décision jusqu’à ce que j’aie entendu la preuve sur la question du bien–fondé du grief.

[19]   L’agent négociateur indique que, fondamentalement, le présent grief n’est pas une question touchant les droits de la personne. C’est plutôt une plainte portant sur les aspects suivants : la façon dont le fonctionnaire s’estimant lésé a été traité par la direction; le temps que cela a pris pour mettre en œuvre son programme de retour au travail; l’omission de la direction de suivre la politique pertinente; le harcèlement. À cet égard, l’agent négociateur attire l’attention sur la réponse de M. Cormier au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, réponse dans laquelle la question d’une conduite de bonne foi est soulevée. De l’avis de l’agent négociateur, comme toutes ces questions entrent dans le cadre de la convention collective, le grief devrait être entendu et tranché sur le fond.

[20]   L’agent négociateur fait également remarquer que l’intérêt de la justice commande que le grief soit entendu sur le fond. L’agent négociateur invoque les facteurs suivants qui, dit–il, constituent un préjudice pour lui–même et pour le fonctionnaire s’estimant lésé : l’omission de l’employeur de soulever son objection de compétence il y a trois ans, lorsque l’affaire a été soumise à l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique; le fait que c’est seulement la veille de l’audience que l’employeur a informé de son objection préliminaire l’agent négociateur et le fonctionnaire s’estimant lésé; la perturbation et les dépenses relatives à l’audience pour le fonctionnaire s’estimant lésé et l’agent négociateur. Invoquant l’arrêt Boutilier, l’agent négociateur dit que, si l’employeur avait soulevé son objection de compétence en temps opportun, le fonctionnaire s’estimant lésé aurait pu déposer une plainte auprès de la CCDP. Comme il peut être maintenant trop tard pour cela, il conviendrait de considérer le retard de l’employeur comme une circonstance exceptionnelle habilitant l’arbitre de grief à considérer qu’elle a compétence relativement au fond du grief. Voir la décision Cherrier. Enfin, l’agent négociateur soutient que la preuve du fonctionnaire s’estimant lésé concernant la question du bien–fondé du grief devrait être entendue au cours de la présente procédure parce que, après 30 années d’emploi, il s’estime encore lésé par la conduite de la direction à son égard.

[21]   Dans sa réplique, l’employeur reconnaît que le fonctionnaire s’estimant lésé a toujours été considéré comme un bon employé et qu’il a malheureusement été victime d’un accident de travail. L’employeur souligne par contre que la direction a traité correctement des problèmes du fonctionnaire s’estimant lésé. Dans ces circonstances, l’employeur dit qu’il ne convient pas que l’arbitre de grief accorde au fonctionnaire s’estimant lésé une [traduction] « tribune improvisée » lui permettant d’exposer publiquement ses vues sur l’employeur.

[22]   En ce qui a trait à la préoccupation de l’agent négociateur au sujet du fait que l’employeur a tardé à soulever son objection en matière de compétence, l’employeur admet que cette objection a été avancée à une étape tardive dans la procédure, mais il soutient qu’aucun préjudice n’en est résulté. L’employeur signale que, tôt dans le processus, le fonctionnaire s’estimant lésé a été bien au courant de la vraie nature de sa plainte contre la direction et de la possibilité de soumettre ses préoccupations à la CCDP. L’employeur maintient en outre que l’agent négociateur était bien au courant des raisons pour lesquelles l’objection préliminaire a été l’objet d’un bref préavis. L’employeur soutient aussi qu’il n’y a pas lieu que l’agent négociateur invoque la décision Cherrier. Dans cette affaire, la question du retard ne se rapportait pas à la date de communication de l’objection de compétence; il s’agissait d’un retard de la part de l’autre tribunal administratif.

[23]   En ce qui concerne l’assertion de l’agent négociateur voulant que le grief se rapporte essentiellement à des questions différentes de celles qui apparaissent à sa lecture, l’employeur s’oppose vigoureusement à la tentative de l’agent négociateur pour modifier la nature du grief à ce stade avancé de la procédure. L’employeur note que, dans le grief, le fonctionnaire s’estimant lésé invoque une seule disposition de la convention collective, à savoir la clause 37.01. Par conséquent, dit l’employeur, le fonctionnaire s’estimant lésé ne devrait pas être autorisé à [traduction] « greffer » d’autres questions à la principale question des droits de la personne, à ce stade–ci de la procédure. Voir l’arrêt Burchill c. Canada (Procureur général), [1981] 1 C.F. 109 (CAF).

[24]   L’employeur répète qu’à la lecture du grief il ressort que, fondamentalement, le fonctionnaire s’estimant lésé se plaint d’une discrimination fondée sur une déficience mentale ou physique. Cette plainte, dit l’employeur, constitue une question relative aux droits de la personne qui entre dans le cadre de la compétence de la CCDP. La compétence de l’arbitre de grief est ainsi exclue par le paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi. L’employeur maintient que l’omission du fonctionnaire s’estimant lésé de présenter une plainte à la CCDP n’est pas fatale pour la question de compétence. L’employeur signale que le fonctionnaire s’estimant lésé était sans aucun doute au courant de son droit de déposer une telle plainte auprès de la CCDP et qu’une procédure devant ce tribunal correspond au libellé du paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi. Se fondant sur la récente décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Vaughan c. Canada, [2005] C.S.C. 11, l’employeur argue que l’omission du fonctionnaire s’estimant lésé de choisir l’autre tribune possible n’est pas déterminante à l’égard de la question de compétence. À ce sujet, l’employeur signale en outre que le fonctionnaire s’estimant lésé a tout le temps été représenté par un agent négociateur.

Motifs

[25]   La compétence d’un arbitre de grief nommé en vertu de l’ancienne Loi est prévue à l’article 92 de cette mesure législative :

92.    (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief portant sur :

a)   l’interprétation ou l’application, à son endroit, d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

[26]   Le droit non absolu d’un employé de présenter un grief est régi par le paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi, qui se lit comme suit :

91.    (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d’une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu’il s’estime lésé :

  1. par l’interprétation ou l’application à son égard :

[...]

  1. soit d’une disposition d’une convention collective [...]

[c’est moi qui souligne]

[27]   La clause 20.02 de la convention collective des parties exprime la même intention qu’au paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi, à savoir :

ARTICLE 20

PROCÉDURE DE RÈGLEMENT DES GRIEFS

20.02  Sous réserve de l’article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et conformément aux dispositions dudit article, l’employé–e qui estime avoir été traité de façon injuste ou qui se considère lésé par une action ou l’inaction de l’Employeur au sujet de questions autres que celles qui découlent du processus de classification, a le droit de présenter un grief de la façon prescrite au paragraphe 20.05, compte tenu des réserves suivantes :
  1. s’il existe une autre procédure administrative prévue par une loi du Parlement ou établie aux termes d’une telle loi pour traiter sa plainte particulière, cette procédure doit être suivie,

[...]

[c’est moi qui souligne]

[28]   Le critère quant à la compétence d’un arbitre de grief selon le paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi a été brièvement examiné par le juge Cullen dans le jugement Mohammed c. Canada(Conseil du Trésor), [1998] A.C.F. n o 845 (CFPI) (QL), cité dans la décision Audate :

[...]

Le juge Cullen a conclu que les paragraphes 91(1) et 92(1) de la LRTFP ne donnaient pas à l’arbitre de compétence exclusive pour entendre tout grief. Il a conclu ce qui suit au paragraphe 27 de sa décision :

Il ressort des remarques de Monsieur le juge Linden [il s’agit plutôt du juge Strayer dans l’affaire Byers, supra] que le recours administratif de réparation mentionné au paragraphe 91(1) n’a pas à être identique à la procédure de règlement des griefs prévue par la LRTFP. De plus, les réparations auxquelles donnent lieu ces deux recours n’ont pas à être identiques; la partie en cause devrait plutôt être en mesure d’obtenir une « réparation véritable » qui pourrait être avantageuse pour le plaignant. Le paragraphe 91(1) exige uniquement l’existence d’un autre recours de réparation lorsque la réparation à laquelle peut donner lieu ce recours est dans une certaine mesure avantageuse pour le plaignant lui-même.

[...]

[c’est moi qui souligne]

[29]   Dans plusieurs autres décisions examinées dans l’affaire Audate, il a été déterminé que le recours de réparation prévu en vertu de la LCDP constitue un « autre recours administratif de réparation » aux fins du paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi. Voir les jugements suivants : Chopra c. Canada, [1995] 3 C.F. 445 (1 re inst.); Mohammed; O’Hagan c. Canada(Conseil du Trésor), [1999] A.C.F. n o 32 (CFPI) (QL). Cette conclusion a également été tirée dans l’arrêt Boutilier, dans lequel la Cour d’appel fédérale a souscrit à la décision du juge McGilles et réitéré les raisons suivantes, qu’elle approuvait :

[...]

En vertu du paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, le législateur a également choisi de priver un employé lésé de son droit non absolu de présenter un grief dans des circonstances où un autre recours administratif de réparation existe sous le régime d’une loi fédérale. Par conséquent, lorsqu’un grief potentiel porte essentiellement sur une plainte d’acte discriminatoire dans le contexte de l’interprétation d’une convention collective, les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne s’appliquent et régissent la procédure à suivre. En pareilles circonstances, l’employé lésé doit donc déposer une plainte auprès de la Commission. L’affaire peut uniquement être entendue comme un grief en vertu des dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique dans le cas où la Commission détermine, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré aux alinéas 41(1) a ) ou 44(2) a ) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la procédure de règlement des griefs doit d’abord être épuisée.

[...]

[c’est moi qui souligne]

[30]   Dans le jugement Chopra, la Cour fédérale a confirmé la décision de l’arbitre de grief Chodos selon laquelle ce dernier n’avait pas compétence pour entendre un grief en vertu du paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi parce que le grief était basé uniquement sur la disposition en matière d’élimination de la discrimination de la convention collective et que l’employé alléguait que l’employeur avait agi d’une manière discriminatoire envers lui en raison de sa race. En confirmant la décision de l’arbitre de grief, la cour a conclu que, si un grief et une plainte sont essentiellement identiques en ceci qu’ils soulèvent tous les deux des questions de discrimination, la compétence d’un arbitre de grief est exclue par le paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi étant donné que la CCDP a compétence pour examiner le grief de façon sérieuse et efficace et qu’elle peut accorder de véritables mesures de redressement.

[31]   De même, dans l’affaire Mohammed, un arbitre de grief nommé en vertu de l’ancienne Loi avait conclu qu’il n’avait pas compétence pour régler un grief basé uniquement sur la disposition en matière d’élimination de la discrimination de la convention collective. Dans cette affaire, l’employée alléguait que l’employeur avait fait preuve de discrimination envers elle en raison de sa race et de sa religion.

[32]   Dans l’affaire O’Hagan, un arbitre de grief nommé en vertu de l’ancienne Loi avait établi que l’objet du grief était du harcèlement sexuel au sens de la définition figurant dans une disposition de la convention collective. L’arbitre de grief avait statué que, comme le grief était essentiellement une plainte de discrimination fondée sur un des motifs de distinction illicites prévus dans la LCDP, il n’avait pas compétence pour rendre une décision à ce sujet.

[33]   Dans l’affaire Audate, Yvon Tarte, président de l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique, avait déterminé qu’il convenait de considérer que le grief en cause, qui, à sa lecture même, indiquait que l’auteur se plaignait d’une suspension disciplinaire, était en réalité une plainte de discrimination fondée sur la race, la couleur et l’origine ethnique de l’employée. Cette question s’était posée à un moment donné lors de l’audience, lorsque l’employée avait témoigné qu’à son avis la mesure disciplinaire qui lui avait été imposée constituait une pratique discriminatoire fondée sur sa race, sa couleur et son origine ethnique. Après un examen des décisions mentionnées précédemment, le président Tarte avait conclu, au paragraphe 21, que « [...] les différentes cours s’entendent sur un point : un arbitre de grief perd compétence pour traiter un grief lorsque son essence peut faire l’objet d’un autre recours. » Le président Tarte avait signalé qu’en vertu de l’article 7 de la LCDP, c’est une pratique discriminatoire que de refuser directement ou indirectement d’employer ou de continuer d’employer une personne ou, dans le cadre d’un emploi, de faire une différence relativement à un employé selon un motif de distinction illicite. Comme l’employeur le souligne en l’espèce, les motifs de distinction illicites en vertu de la LCDP comprennent une « déficience physique ou mentale ».

[34]   Dans l’affaire Cherrier, l’employé avait déposé un grief concernant son renvoi disciplinaire selon une convention collective. Il avait en outre présenté à la CCDP une plainte alléguant que l’employeur avait fait preuve de discrimination à son égard à l’encontre de l’article 7 de la LCDP, en ne prenant pas les mesures d’adaptation nécessaires pour sa déficience. Dans ces circonstances, le commissaire Guindon a conclu qu’un autre recours administratif de réparation était ouvert à l’employé, sous le régime de la LCDP, pour contester son renvoi. Le commissaire Guindon a statué que, comme il y avait conflit ou chevauchement entre les deux recours de réparation (la procédure de règlement des griefs et la procédure de règlement des plaintes prévue dans la LCDP), sa compétence était exclue par le paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi. En déterminant cela, il a notamment fait état de la décision que le président Tarte avait rendue dans l’affaire Kehoe c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada), 2001 CRTFP 9.

[35]   Le raisonnement qui sous–tend la décision Kehoe déclinant la compétence en vertu des paragraphes 91(1) et 92(1) de l’ancienne Loi a été résumé dans la décision Cherrier, comme suit (par. 45) :

[...]

La seule conclusion logique à laquelle l’on puisse arriver en examinant le grief de Mme Kehoe est que l’essentiel du grief porte sur des questions fondamentales touchant les droits de la personne, c’est–à–dire la discrimination et le harcèlement fondés sur une déficience ou incapacité. Ces questions ne sont pas simplement secondaires au grief, mais en constituent au contraire l’élément essentiel. [...]

[...]

Dans les circonstances de l’affaire qui nous occupe, comme le grief de Mme Kehoe  soulève des questions qui peuvent être réglées en recourant à la procédure d’examen des plaintes prévue par la L.C.D.P., et à la lumière de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Boutilier (C.A.) (supra), je conclus que, à la lecture du dossier que possède la Commission, le grief de Mme Kehoe ne peut être présenté en vertu du paragraphe 91(1) de la Loi et, en tant que tel, ne peut être renvoyé à l’arbitrage en vertu du paragraphe 92(1). [...]

[...]

[c’est moi qui souligne]

[36]   Avec ces principes à l’esprit, je passe aux questions à trancher en l’espèce.

[37]   Quelle est l’essence du grief?

[38]   Cette première question est factuelle. À la lumière de la preuve qui m’a été présentée, je n’ai aucun mal à conclure que le grief est essentiellement une plainte selon laquelle la direction a fait preuve de harcèlement et de traitement discriminatoire fondés sur la déficience physique du fonctionnaire s’estimant lésé. Fondamentalement, le fonctionnaire s’estimant lésé se préoccupe du fait que la manière dont la direction a traité des questions concernant sa blessure professionnelle et son incapacité subséquente va à l’encontre de l’interdiction de discrimination dans l’emploi fondée sur une déficience physique et à l’encontre de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’employés ayant une déficience, en vertu de la LCDP. Comme dans l’affaire Chopra, je conclus que le grief et la plainte soulèvent essentiellement la même question – un harcèlement et un traitement discriminatoire fondés sur une déficience physique.

[39]   Dans le grief, le fonctionnaire s’estimant lésé invoque seulement une prétendue violation de la clause 37.01, soit la disposition en matière d’élimination de la discrimination de la convention collective. La clause 37.01 prévoit ceci :

Article 37

ÉLIMINATION DE LA Discrimination

37.01  Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé–e du fait de [...] son incapacité mentale ou physique [...]

Comme je l’ai mentionné précédemment, le grief a été rédigé d’une manière qui reflète le libellé de la clause 37.01. La prétendue violation, par la direction, de la clause 37.01 est décrite davantage dans la plainte du fonctionnaire s’estimant lésé, plainte dont plusieurs passages pertinents ont été cités plus haut.

[40]   Comme le commissaire Guindon l’a conclu dans l’affaire Cherrier, je considère que la plainte et la correspondance entre les parties aident à déterminer l’essence du grief. La plainte précise qu’une question relative aux droits de la personne est au cœur du grief. Le grief et la plainte résultent du même ensemble de circonstances et les deux sont centrés sur la même prétendue action ou inaction de la part des mêmes particuliers. La plainte renforce la conclusion selon laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé allègue essentiellement, en vertu de la convention collective, que son employeur l’a harcelé et a fait preuve de discrimination à son égard en raison de sa déficience physique. En fait, le fonctionnaire s’estimant lésé relie expressément sa plainte à la compétence de la CCDP en vertu de la LCDP. En outre, la mesure corrective demandée dans le grief est semblable et dans certains cas identique à la mesure corrective demandée dans la plainte.

[41]   À mon avis, les circonstances en l’espèce ressemblent beaucoup à celles de l’affaire Kehoe. Dans les deux cas, l’essence des griefs se rapporte à des questions fondamentales touchant les droits de la personne – c’est–à–dire la discrimination et le harcèlement fondés sur une déficience.

[42]   Tout doute subsistant encore quant à l’essence de la plainte du fonctionnaire contre la direction se dissipe quand on tient compte de la lettre qu’il a écrite le 16 septembre 2002. L’extrait pertinent de cette lettre est reproduit ici pour en faciliter la consultation :

[Traduction]

[...]

Vu ce harcèlement passé et cette discrimination actuelle de la part des gestionnaires en question et vu l’absence de réaction du Service correctionnel au niveau régional, il me reste peu de solutions de rechange. Malheureusement, j’estime devoir maintenant consulter la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), car ce type particulier de discrimination relève de la compétence de la CCDP.

[...]

[c’est moi qui souligne]

[43]   Malgré la claire détermination, par le fonctionnaire s’estimant lésé, de l’essence de ce qui le préoccupe, l’agent négociateur affirme que le grief est fondamentalement une plainte portant sur les aspects suivants : la façon dont le fonctionnaire a été traité par la direction; le temps que cela a pris pour mettre en œuvre son programme de retour au travail; l’omission de la direction de suivre la politique pertinente; le harcèlement. L’agent négociateur maintient également que, pour déterminer l’essence du grief, la preuve sur la question du bien–fondé du grief doit être entendue.

[44]   Certes, ces questions sont soulevées dans la plainte; le fonctionnaire s’estimant lésé invoque certains éléments et/ou une conduite à cet égard pour étayer son point de vue selon lequel l’employeur a agi d’une manière discriminatoire envers lui à cause de sa déficience physique. Toutefois, le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé mentionne ces événements/cette conduite pour étayer ses allégations de harcèlement et de discrimination ne transforme pas essentiellement le grief en autre chose qu’une question ayant trait aux droits de la personne. Un examen de la conduite de la direction relativement à d’autres dispositions de la convention collective peut être approprié pour établir s’il y a eu violation des droits de la personne pour ce qui est du fonctionnaire s’estimant lésé. Je suis cependant convaincue que de telles questions doivent être considérées comme accessoires par rapport à l’essence du grief.

[45]   Il est vrai, comme le signale l’agent négociateur, que l’employeur a parlé d’une conduite « de bonne foi » dans sa réponse au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Toutefois, le fait que la direction ait choisi cette expression pour décrire la manière dont elle a cherché à prendre des mesures d’adaptation relatives aux limites physiques du fonctionnaire s’estimant lésé ne transforme pas essentiellement le grief en autre chose qu’une plainte portant sur les droits de la personne et alléguant qu’il y a eu du harcèlement et de la discrimination fondés sur une déficience physique.

[46]   Comme je l’ai souligné précédemment, la seule disposition de la convention collective mentionnée dans le grief est la clause 37.01, soit la disposition sur l’élimination de la discrimination. De manière générale, les employeurs ne peuvent modifier fondamentalement l’essence des motifs de discipline à l’audience d’arbitrage de grief, et les employés ayant déterminé l’essence de leurs griefs, comme en l’espèce, ne devraient pas pouvoir non plus modifier l’essence de leurs allégations contre l’employeur selon la convention collective.

[47]   Quant à la deuxième question à trancher, me fondant sur le raisonnement tenu dans les décisions susmentionnées (et notamment dans les décisions Chopra, Mohammed, O’Hagan et Kehoe), je conclus que ma compétence est exclue par le paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi parce qu’un recours administratif de réparation existe en vertu de la LCDP et que la réparation disponible selon ce recours comporte un certain avantage personnel pour le fonctionnaire s’estimant lésé.

[48]   Dans la décision Kehoe, le président Tarte a bien examiné le recours administratif de réparation prévu dans la LCDP ainsi que le pouvoir de redressement de la CCDP. Mon examen de ce recours administratif de réparation et de ce pouvoir de redressement dans le contexte du présent grief me convainc que ma compétence est exclue par le sous–alinéa 91(1)a)(ii) de l’ancienne Loi.

[49]   Comme l’employeur l’a reconnu dans ses observations à l’audience, il est regrettable que l’objection préliminaire de compétence n’ait pas été soulevée plus tôt. Néanmoins, me fondant sur la preuve qui m’a été présentée, on ne saurait dire que la capacité du fonctionnaire s’estimant lésé à déposer une plainte et à se prévaloir du recours administratif de réparation en vertu de la LCDP a subi un préjudice à cause du retard. Le fonctionnaire s’estimant lésé savait sans aucun doute, dès le 4 juin 2002, que ses préoccupations pouvaient être exposées en vertu de la LCDP. Dans sa lettre en date du 4 juin 2002 à l’employeur, le fonctionnaire s’estimant lésé indiquait qu’il ne souhaitait pas [traduction] « encore » poursuivre cette possibilité. Puis, dans sa lettre en date du 16 septembre 2002 à M. Cormier, il indiquait qu’il entendait consulter la CCDP parce que le type particulier de discrimination qu’il allègue contre l’employeur [traduction] « relève de la compétence de la CCDP ».

[50]   La question de compétence selon le paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi ne dépend pas de la question de savoir si un employé utilise réellement en temps opportun un recours administratif disponible en matière de réparation. Il s’agit plutôt de savoir si un recours administratif de réparation sous le régime d’une loi fédérale est disponible pour assurer un véritable redressement à un employé. En l’espèce, la preuve ne fait pas la lumière sur la raison pour laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas porté plainte à la CCDP alors qu’il comprenait que le type particulier de discrimination qu’il alléguait relevait de la compétence de ce tribunal. Son omission de se prévaloir de ce recours administratif de réparation ne permet pas à l’arbitre de grief d’exercer le pouvoir prévu au paragraphe 92(1) de l’ancienne Loi.

[51]   C’est malheureux que le fonctionnaire s’estimant lésé ait été incommodé en devant effectuer le voyage depuis chez lui jusqu’au lieu de l’audience. Cependant, une décision comme Audate établit que la question de compétence peut être soulevée à un moment donné lors d’une audience d’arbitrage de grief. Ainsi, le dérangement regrettable et l’obligation d’engager des frais pour comparaître à l’audience ne permettent pas d’éviter l’application du paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi.

[52]   En ce qui concerne l’observation de l’agent négociateur d’après laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé devrait avoir la possibilité d’exprimer ses vues sur la manière dont la direction a traité des conséquences de sa blessure professionnelle et de l’incapacité ou déficience qui en a résulté, je considère la réponse de l’employeur comme persuasive. Il ne convient pas ici que l’arbitre de grief accorde au fonctionnaire s’estimant lésé une tribune pour exprimer ses vues. Lorsqu’il est conclu comme en l’espèce que le sous–alinéa 91(1)a)(ii) de l’ancienne Loi s’applique de telle sorte que ma compétence est exclue, je ne puis exercer ma compétence légale en equity comme le voudrait l’agent négociateur en l’espèce – c’est–à–dire dans l’intérêt de la justice. J’ai soit compétence pour entendre soit je ne l’ai pas. J’ai déterminé que je n’avais pas compétence à cet égard, et l’on ne m’a cité aucune disposition législative prévoyant une exception, en equity, à l’application du sous–alinéa 91(1)a)(ii) de l’ancienne Loi.

[53]   Pour les motifs précités, je confirme ma précédente décision rendue de vive voix, selon laquelle je n’ai pas compétence pour trancher le grief.

[54]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[55]   Le présent grief est rejeté.

Le 3 mai 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Joan M. Gordon,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.